Tous les articles par Ahmed HANIFI

LES MANTRAS DE KAMEL DAOUD

LES MANTRAS DE KAMEL DAOUD

« Un homme n’est rien s’il n’est pas contestant. Mais il doit aussi être fidèle à quelque chose. Un intellectuel, pour moi c’est cela : quelqu’un qui est fidèle à un ensemble politique et social mais qui ne cesse de le contester. » Jean-Paul Sartre. (Situations VII)

Je dédie ce texte à feu Benaoum ‘‘Moussa’’, mon ‘‘ami-ennemi’’ qui m’a beaucoup renseigné.

L’idée de ce qui suit m’est venue au milieu de janvier 2024 alors que je feuilletais un magazine dans la belle (‘‘dès l’entrée le porche d’origine’’) et grande (18000 m2 sur 3 étages) « Bibliothèque de l’Alcazar » de Marseille, au cœur de Belsunce, mon cher (aimé) quartier, où je retrouve régulièrement mes amis d’Oran pour faire le tour de ce qui se dit sur nos quartiers de là-bas (ah, Gambetta !, Bel-Air, Saint-Eugène, M’dina Jdida, Derb Lihoud…) pour recueillir des informations sur nos amis, familles, sur les sempiternelles magouilles des différents pouvoirs à tous les échelons. Pour donner son avis sur les dernières déclarations politiques de tel leader de gauche, ou d’ailleurs selon le moment.

Un vieux numéro de l’hebdomadaire Le Point avec Macron et Kamel Daoud en Une a attiré mon attention. Un lecteur l’avait délaissé dans le fauteuil près d’une petite table du premier étage, propices à la lecture ou à l’écriture. « France et Algérie, l’héritage maudit. Emmanuel Macron se confie à l’écrivain Kamel Daoud » est le titre en une du numéro, daté 12 janvier 2023. Un an. Je me suis installé pour le feuilleter donc. C’est la photo de la page 25 qui a retenu le plus mon attention et qui, la première, m’a donné envie « d’écrire quelque chose ». On y voit le président français et le journaliste-écrivain en pied contemplant ma ville, Oran, l’air grave, du haut du Murdjadjo. Ou de Sidi Abdelkader. C’était à l’occasion d’un voyage officiel en août 2022.

Je me suis demandé si Kamel Daoud était heureux sur cette photo. Ou s’il était amer. Heureux du mouvement qui est tombé comme une bénédiction sur la ville comme sur tout le pays. Ou s’il était amer du grand gâchis qui suivra. 

Dans la même revue, il écrivait quatre ans plus tôt, dans un article de quatre pages (7 mars 2019) : « Je marche, donc je suis. Car marcher en Algérie, en foule, c’est déjà se soulever, pas se promener. » Et là, des hauts du Saint Abdelkader ou « des murailles du front de Santa Cruz » comme l’écrit l’hebdomadaire abandonné dans le fauteuil, il scrute la grande ville à leurs pieds, pensif ou rêveur, comme l’hôte-président, Emmanuel Macron, ou Notre-Dame.

J’ai lu l’article-confidences dans sa totalité (six pages). J’ai relevé des passages qui posent question, d’autres qui grattent ou pincent. Qui bousculent. Certains passages me semblent justes, d’autres plus ou moins injustes, puis d’autres profondément injustes et violents. Voici ce que j’ai relevé : Kamel Daoud (je le désignerai par ses initiales, KD) dit être perçu en Algérie comme un  « ‘‘traître’’ à l’orthodoxie de la guerre mémorielle »… que ‘‘la conversation’’ avec Macron décevra en Algérie « ceux qui ont la passion de la guerre imaginaire et qui exigent de la France ce qu’ils n’exigent pas d’eux-mêmes… En Algérie,  « on adore faire la guerre à la France, car la France est vitale à l’épopée (algérienne), pour escamoter le présent »…   

J’aime ou j’ai aimé les écrits de KD et c’est mon ami, feu Yaddaden Abdelkader, qui avait attiré mon attention (à l’époque) sur ce « Kamel Daoud » qu’il pensait être notre cher ami d’Annaba, le chirurgien Kamel Daoud comme nous, membre du FFS. « Il écrit très bien, il est corrosif » et j’étais d’accord avec lui. J’avais ajouté « et clivant ». J’ai appris par la suite, grâce à un autre ami du parti, Lyamine, qu’il avait travaillé pour « Moussa » (paix à lui, je ne le qualifierais pas, que la paix soit sur lui), patron de Détective. Plus tard j’ai aimé ses romans, quoique parfois ardus où se déploient humour, persiflage et certaines vérités. J’ai fait un long papier dans le Quotidien d’Oran qu’il n’avait pas trop apprécié. Une recension du livre de Kaoutar Harchi, « Le prix de la reconnaissance littéraire… » qui pose la question de la légitimation francophone ou française de nos écrivains dont Boualem Sansal et Kamel Daoud. Kaoutar Harchi interroge cette consécration ainsi que les conditions et instruments de son obtention. À la source du livre, une thèse de doctorat. Kamel Daoud n’a pas aimé. Il m’avait promis une réponse, « dommage de reprendre des thèses fausses et diffamatoires… Je vous fais suivre un texte. » Je ne l’ai jamais reçu. Je l’ai croisé à Oran, notamment à l’Institut français, non loin de la résidence Hasnaoui, au Salon du livre d’Alger. Il m’a dédicacé plusieurs de ses livres, dont le volumineux « Son œil dans ma main » avec Raymond Depardon.

Je reviens à mon objet. Dans l’entretien que lui a accordé le président de la République, KD pose des questions sur la guerre, « l’invasion de l’Ukraine nous rappelle que l’impensable est possible, le retour de la guerre en Europe. La guerre est-elle possible au Maghreb? », sur le voile des femmes en Iran, en France. Il suggère qu’il n’y a pas d’islamophobie en France « Est-ce que le combat des femmes iraniennes est une leçon pour ceux qui accusent, par calcul ou par facilité, la France d’islamophobie? »

Je me suis demandé ce que KD avait bien pu écrire les semaines et mois suivants. Car KD est chroniqueur pour cette revue depuis de nombreuses années. Il ne laisse jamais indifférents, c’est une de ses forces. Une pensée de Jean-Paul Sartre a effleuré mon esprit. Je me suis dit voilà quelqu’un, KD, qui a montré combien il était « contestant » et me suis aussitôt demandé « s’il était fidèle à quelque chose. Quoi ? J’ai décidé d’analyser tous les articles qu’il a écrits pour Le Point de ce jour-là jusqu’à ce jeudi (15 février 2024). J’en ai compté cinquante-quatre. 

Les articles correspondent à une page pleine du périodique. Ils contiennent chacun en moyenne entre 700 et 900 mots, à l’exception d’un seul qui en contient 7700, étalé sur huit pages (il s’agit de l’entretien que lui a accordé Emmanuel Macron. L’ensemble des articles comportent un peu plus de 44 000 mots. Les plus sensibles, on les retrouve utilisés de nombreuses fois. Ainsi j’ai compté 39 occurrences pour le mot ‘‘voile’’, 25 pour ‘‘lutte’’, 18 fois ‘‘solidarité’’, 15 fois le terme ‘‘révolte’’ dont 5 pour qualifier les mouvements en Iran et dans les pays arabes. Les révoltes en France sont qualifiées de ‘‘pubères’’ (deux fois). 15 occurrences pour ‘‘abaya’’, 4 pour ‘‘banlieue’’, le mot ‘‘quartier’’ est utilisé 5 fois, ‘‘cité’’ n’apparaît pas. Pourtant, pour qui veut évoquer les banlieues, tous ces termes sont nécessaires. J’ai compté 7 fois le mot bombardements (israéliens), nulle part le terme ‘‘colon’’ (Israël). ‘‘Judéophobie’’ est employé 13 fois. Celui d’‘’islamophobie’’ est utilisé 3 fois (une seule fois de manière ironique concernant la France : « L’Algérie, traumatisée par la décennie de la guerre civile entre les islamistes et le régime, interdit (l’abaya), malgré les poussées de propagandes intégristes. Et ce n’est ni un débat, ni un affrontement entre identités, ni une islamophobie française récurrente ». Et cetera.

J’ai lu les 54 articles, puis les ai analysés. Les thèmes développés se rapportent à la vie politique et sociale en France, à l’Algérie, à la relation France-Algérie, aux femmes en Iran, à la guerre que mène Israël à Gaza, à la guerre Russie-Ukraine. Et au monde « dit arabe », écrit KD (il semble négliger un monde arabe – Arabie, Yémen, Qatar, Émirats… – en sus du monde « dit arabe » (Maghreb…), un monde ‘‘dit arabe’’ auquel il les intègre par conséquent. Des sujets comme l’Islam/islamisme, les manifestations, les élites arabes… traversent plusieurs rubriques.

À compter du 12 octobre 2023, lendemain de l’attaque du Hamas au 15 février 2024, dernière édition de l’hebdomadaire consultée, il y a eu 18 articles dont 9 consacrés entièrement ou partiellement à la guerre d’Israël à Gaza. Le bilan de cette nouvelle agression de Gaza entamée le 7 octobre suite à l’attaque des forces de Hamas contre Israël s’élève (à ce jour 19 février 2024) à plus de 30 000 morts, dont une proportion importante de femmes et d’enfants.

Voici ce que je retiens du discours de KD, ventilé sous un certains nombres de rubriques, pas complètement étanches.

La France, les quartiers, les luttes

KD écrit « À chaque réforme contestée, on rejoue dans la rue 1789 et ses passions morbides. Des populistes déguisés en révolutionnaires ». Une allusion à LFI dont le député Thomas Portes est pris en photo (le 10 février) le pied sur un ballon à l’effigie du ministre Olivier Dussopt@. KD ajoute « couper la tête en effigie d’un roi ou d’un adversaire, c’est croire rejouer la « scène primitive» de la nation française. Si « la scène » n’est pas des plus futées, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Mais il est probable que KD n’est pas au courant que plusieurs députés de LFI dont son leader, Jean-Luc Mélenchon, ont été menacés de mort (pour de vrai). Le Point n’a pas daigné par exemple relever l’outrance de Papacito qui, dans une vidéo, larde puis décapite l’effigie d’un « insoumis ». Pour KD, les Insoumis sont des populistes qui jouent à de fausses révolutions imbéciles. Leur colère n’est pas juste, dit-il et prédit des lendemains rouges de sang. « Le populisme invente le grotesque, qui un jour sera criminel. » Il faudrait bien un jour cerner les territoires de la stupidité. On serait surpris.

KD poursuit « l’homme aux cornes de bison héritier de l’Américain apparaît français désormais.  Il s’expose dans la rue, sublimée dans un remake de la Révolution ». KD ne voit rien venir de concret de l’autre côté de l’océan. Il ne voit pas « le remake » en cours aux États-Unis. Il poursuit en rapprochant d’une certaine manière le leader de la France Insoumise à l’islamisme. En France, le président Macron affronte « une opinion infantilisée par les radicalités ». KD dit clairement que cette radicalité est portée par « Mélenchon, le gourou et seigneur de la radicalité ». Rien que cela, à dieu ne plaise. Mélenchon est « touché par la radicalité qui n’est pas le monopole des djihadistes. « Il a réinventé cette radicalité en politique ». KD fait de l’amalgame douteux et dévie le sens de la radicalité (intransigeance) qu’il utilise comme repoussoir, comme un stigmate pour délégitimer comme le dit François Cusset. KD qui comme beaucoup dans la droite antipopulaire et adversaire des sans dents « vise à faire passer le mouvement social pour un fascisme rouge, une hystérie politique dangereuse ». Et l’intelligence et la sérénité perdent des plumes. Quelqu’un a écrit très justement que chez certains « L’information est une arme de combat, peu importe la vérité ». Il faudrait une thérapie à Mélenchon écrit KD, (et par conséquent à LFI, la vraie gauche quoi), ces femmes et ces hommes dangereux. « Comment endiguer ce séparatisme social et politique français de ‘‘l’homme aux cornes de bison’’ français? » KD demande s’il est possible  « d’avoir une appréciation contre « le peuple ». Il enferme ‘‘peuple’’ entre deux couples de guillemets-barreaux. Il considère que la « liberté d’expression (est) menacée par les « luttes» qu’il coince également entre quatre guillemets. Lorsqu’en France les luttes se dévoilent, KD alerte : « Il ne faut pas ‘‘iraniser’’ les grandes causes, ni la justice, ni la lutte pour les droits des femmes. » Il dit qu’on sait depuis des décennies que « la liberté d’expression est toujours menacée par les dictatures » qu’il combat formidablement. « On découvre peu à peu (que) elle peut être hypothéquée tout autant par ‘‘la lutte’’ et les grandes causes collectives en démocratie. » Il pose cette menaçante question : ‘‘les luttes’’, dans leurs ferveurs collectives, sont-elles nuisibles à la liberté d’expression dans un pays en crise ? » Sa réponse, on prendrait presque le risque de la deviner. KD part en guerre aussi contre ceux qui abusent de droit, de démocratie. Les ‘‘activistes peinturlurés’’ et les ‘‘Stratégies de la chlorophylle’’ des ‘‘militants et de leurs castes’’ qui ‘‘abusent du militantisme’’. Il n’aime pas ‘‘leur révolte pubère’’ leur ‘‘réclamation juvénile’’. Greta Thunberg et ses émules françaises sont jeunes, mais elles mettraient à genoux beaucoup de fossiles accrochés à leurs certitudes surannées.

Un ami de vieilles luttes me dit en lisant cet extrait « ce type est flippant ». L’esprit français écrit KD résume le paradoxe de sa passion intense pour un pays juste, l’équité, la justice, mais ‘‘en même temps’’ pour la subvention, le ‘‘droit’’ l’assistanat ». Je ne le démentirai pas sur ce qu’il ajoute, « les médias français sont pour beaucoup dans la propagande et les réalités déformées, où la primauté de l’opinion est donnée sur le fait.  J’applaudis et lui propose de réfléchir aux mots du grand homme de médias qu’est Edwy Plenel « Le métier de journaliste a pour enjeu les ‘‘vérités de faits’’ » et de lire en fin de texte le point que je fais sur Le Point à ce propos entre autres.

Il y aurait donc en France un « excès de liberté » selon KD. Est-il soudainement nostalgique ? « Que non » répond-il aussitôt en ponctuant avec un point d’exclamation. « Mais la violence médiatique en France étonne et surprend toutefois: on y retient l’impression étrange que c’est un pays qui en déteste un autre, les deux avec deux drapeaux différents. C’est un pays autobelliqueux, envieux de lui-même, splendide dans ses Lumières au plafond des siècles, et sombre du côté de l’appétit et du choix des viandes. » Oui, bon, passons.

Il y aurait « une campagne de diversion contre Macron ». KD dénonce les manifestations « de rue », les manifestants seraient « des pyromanes qui aujourd’hui adoptent les casseroles plutôt que les urnes. On privilégie la propagande plutôt que l’exactitude » Des pyromanes « contaminés par le mélenchonisme et peut-être aussi par l’effet infantile des réseaux sociaux et la pente du populisme? Mélenchon « y est, y est » (comme on dit au bled, « fiha, fiha » )  par quelque bout que l’on prenne le calicot de KD. Bien évidemment, l’on ne peut évoquer ou disserter sur le combat (insupportable) contre la gauche, l’authentique gauche, sans faire sortir du chapeau le rapport à l’argent et le vilain, très vilain ‘‘wokisme’’.  

Commençons par le rapport à l’argent Il y a en France, écrit KD, « une contrition financière » aux allures de révolution de comédie, avant la chasteté absolue » contre la tentation du péché capitaliste. » Il ironise sur ces acteurs qui réagissent sur l’indécence de l’argent fait dieu. KD écrit qu’il y a dans le rêve français comme une  «giletjaunisation». Il cite Blanche Gardin « qui fait un choix de sainteté et de chasteté » en refusant un astronomique cachet d’Amazon. Bientôt, poursuit KD c’est « La chasteté absolue contre la tentation du péché capitaliste. « ‘‘Là-bas’’, dans le monde dit musulman, ce sont des prêcheurs qui arbitrent le désir. Ici, ce sont les nouvelles vertus radicales… la paranoïa, le wokisme et le harcèlement. » Une actrice de cinéma français vient d’annoncer s’y sacrifier et célèbre, dans sa sainte rage, ce puritanisme pécuniaire en démissionnant de son métier. » Il parle d’Adèle Haenel.  Il faut préciser qu’elle a annoncé qu’elle se retirait du monde du cinéma en mai 2023, pas pour se sacrifier à la « chasteté absolue contre la tentation du péché capitaliste » comme l’avance imprudemment et durement KD, mais pour « s’engager sur le terrain du militantisme politique » qui est à l’opposé des convictions des employeurs de KD. « J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels, et plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est » (a-t-elle écrit à Télérama)

Quant à Blanche, elle est formidable. Elle s’est longuement expliqué dans le Périodique qui autorise KD à postillonner chaque jeudi (cf 27 juillet 2023)

« Amazon est une machine à broyer, une multinationale mégapolluante, reine de l’optimisation fiscale, esclavagiste, tueuse de petits commerces ». Blanche, qui « revendique son capital génétique très très rouge » dit aussi dans le même numéro (je ne serai pas étonné que sa perception du monde horripile KD) : « La misère, il faut la cogner. En France il faut en chier même quand tu es dans la merde jusqu’aux cheveux. Les solutions, on les a. C’est au niveau des choix politiques que ça coince. »… « En France, les immigrés doivent se déshabiller de leur culture et épouser la nôtre. On continue de vouloir que, par magie, malgré la discrimination, malgré les systèmes de relégation sociale et géographique des immigrés et des enfants d’immigrés, ils épousent totalement nos façons d’être et de sentir… » (in Le Point, 27 juillet 2023,page 36). KD ne comprend pas que ces jeunes, cette ‘‘racaille’’, ces ‘‘sauvageons’’ se braquent contre la République qui veut les karchériser. Qui les a trahis depuis la longue marche pour l’égalité et contre le racisme (octobre-décembre 1983), nommée ‘‘la marche des beurs’’ pour en finir, avec pour maître d’œuvre ‘‘SOS Racisme’’ ou la grande mystification. J’ai ici une terrible envie de répéter ces lignes, trois, cinq, dix fois pour qu’elles s’imprègnent, dans la tête et les yeux de ceux qui n’ont que mépris de classe et de géographie pour « ces gens-là », si tant est qu’elles arrivent à leur ‘‘hauteur’’. Merci madame Gardin qui soufflez sur quantité de problématiques qui devraient inspirer les journalistes du Point, les inciter à favoriser la réflexion empathique » et compréhensive » au postillon caricaturiste.

Sur les « woke » (les Éveillés- on dit ‘‘woke’’ souvent avec une intention négative, pour se moquer. C’est un terme qui est, dans la bouche de certaines personnes, péjoratif). Blanche Gardin dit : « J’adhère tout à fait au fond du combat des Éveillés (les wokistes). Moi aussi je suis pour lutter contre les discriminations. J’ai d’ailleurs récemment refusé la proposition d’un théâtre qui voulait que j’écrive une pièce ‘‘anti-woke’’… Le problème des Éveillés, c’est leur méthode » (in Le Point, 27 juillet 2023, page 40). Le Wokisme (stay woke = rester éveillé) est un véritable phénomène sociétal qui ébranle une partie de la classe dirigeante et les élites bien pensantes de l’idéologie dominante. Pas qu’en France. « L’Occident est affaibli par le wokisme et ses culpabilisations manipulées. Le wokisme est une errance idéologique » écrit KD, une « mode qui a abouti au pire… il intoxique encore la «culture » américaine … il a atteint l’Europe, des campus aux salles de rédaction… l’Occident (est) affaibli par ses «woke» et ses culpabilisations manipulées. » Écrirai-je que les anti-woke sont des réacs ? Le wokisme est plutôt un éveilleur de conscience, avec ses plus et ses moins. Tout n’est pas rose dans le wokisme qui porte en lui les germes des combats, radicaux mais pacifiques, à venir. Le wokisme est comme un souk, ou la Samaritaine, on y trouve de tout (enfin, pas tout à fait). C’est un mouvement complexe. Mais jeter aujourd’hui l’eau du bain avec les ancêtres lumineux Félix Guattari, Gilles Deleuze ou Michel Foucault est trop facile.  On ne peut moralement fuir la contextualisation, faire le choix du moins bon, le côté excessif du mouvement ou le discutable (cancel culture/ l’effacement), délaisser tout le versant positif de « l’éveillisme »  (…le combat pour l’égalité, contre les injustices, la défense des minorités, toutes les formes d’exclusion…) et taire dans le même élan la pluralité du mouvement (tout le monde n’est pas sur le même plan, mais le socle est le même). 

KD devrait interroger l’intersectionnalité et dénoncer frontalement les nombreuses formes de discrimination et d’oppression, plutôt que les passer par-dessus jambe. Ne regarder ni ses chaussures, ni le ciel. On devrait éviter d’user de manichéisme devant un mouvement aussi complexe et important que le « woke ». On devrait reprendre Derrida. Déconstruire les discriminations ou les inégalités n’est pas un drame, c’est une nécessité, si l’on veut viser une ‘‘société juste’’ (comprenons-nous bien, une société où le sens de l’intérêt général, du bien commun prime sur les égoïsmes des individus et des États). Je ne suis pas d’accord avec ceux du mouvement qui récriminent le Blackface/washing et ceux qui se griment en Black.  Je suis pour le mouvement Black Live Matter qui se revendique des Éveillés, qui en est non pas une des sources, mais un moteur qui a donné aux luttes des minorités opprimées une grande visibilité. Faire l’impasse sur la domination d’un groupe sur d’autres, relève de la cécité ou d’un choix politique et idéologique. Répéter que le problème ce sont les pauvres n’arrange rien et stigmatiser les leaders des couches sociales défavorisées, déclassées, de populistes plutôt que d’analyser leurs propositions est trop simple et par conséquent peu crédible. Les idéologies inégalitaires et le repli identitaire, ne l’oublions jamais, ont mené à la grande catastrophe des années trente et plus du 20° siècle. Parcourir les 861 pages du livre des excellents Cagé et Piketty sur « Une histoire du conflit politique » révèle ô combien les proximités des puissants et de certaines idéologies funestes ont été décisives (cette proximité est toujours en cours entre les milliardaires et les organisations d’extrême droite). Un pavé qui complète un précédent ouvrage « Le capital au XXIesiècle, Paris, Seuil, 2013.  « Thomas Piketty is right » avait alors écrit M. Solow (The New Republic, 22 avril 2014).  Je propose à KD de parcourir d’autres argumentaires, éloignés du mépris de classe, du manichéisme, consulter les analyses de Jacques Généreux, de Chantal Mouffe, à l’opposé de l’individualisme méthodo de Boudon et compagnie. La Cancel culture elle est à nuancer et non à effacer. Elle n’est pas une inconditionnalité. Dans certains cas, plutôt que de détruire une statue d’un vieux héros colonialiste, apposer dessus une plaque pour contextualiser suffirait. Dans d’autres cas (ou environnements) – en France par exemple – remplacer la statue du vieux colon aux mains rouges par celle de Gisèle Halimi, de la philosophe Simone Weil ou de Michel Foucault. Et Céline ? Faut-il l’effacer ou mettre en garde le lecteur, contextualiser ? Ce sont des questions qui se posent au sein des Éveillés  (les being woke). Tout n’est pas blanc avec les Éveillés, mais tout n’est pas aussi noir comme tentent de l’accréditer les dominants. Les wokes ne sont pas des « lanceurs de pierres » (Obama) mais des lanceurs d’alerte. Je me dis que si le néo-cons Douglas Murray ou Fox News qui les abhorre désignent les wokistes comme « patrouilleurs du langage », mon choix est vite fait. Ceci dit, je regrette que KD, soit insensible aux questions sociales et de ségrégation (mais que peut-il dans Le Point ? … peu, ou rien). 

La question des quartiers, des cités, des banlieues est globalement récurrente. Elle est tantôt mise sous le boisseau, tantôt mise au-devant de la scène et chacun y va de son couplet, sans jamais apporter de réponses inclusives qui satisfasse d’abord les premiers concernés. J’ai habité à Clichy-sous-Bois en 1982 (on ne disait pas encore « dans le neuf-trois). Une petite ville de la ceinture rouge parisienne, pauvre, avec 24 000 habitants et le cœur à gauche (André Déchamps, maire PC). Quarante années plus tard, la ville s’est appauvrie un peu plus, mais est demeurée toujours à gauche (Oliivier Klein, maire DVG). Parce que les Politiques locaux prenaient en charge, tant bien que mal, les préoccupations des citoyens, quelles que soient leurs origines. Jusqu’au grand drame de 2005 exploité par l’extrême droite qui s’est réjouie sans retenue de la relaxe des policiers mis en cause dans le drame des deux jeunes Zyed et Bouna électrocutés.  En juin 2023, presque la même histoire, le même drame se répète. Un jeune, Nahel, est mort à Nanterre à la suite d’un tir de policier lors d’un contrôle routier. KD écrit qu’il est « Triste et en colère contre les radicalités qui marchandent les morts », sans exprimer de sentiment à l’encontre de ceux qui la donnent, en l’occurrence ce policier qui a provoqué la mort du jeune homme par « un tir à bout portant ». Le gamin est fautif, car s’interroge KD pourquoi ne pas « s’arrêter quand on en est sommé par la police? » KD ne semble pas au fait des différents rapports sur la violence policière. ‘‘Le sociologue Sebastian Roché soutient que la police française est celle qui tue le plus en Europe dans deux cas : celui des homicides par tirs policiers et lors d’opérations de maintien de l’ordre.’’ (20’ et Afp- 28.01.2024). Entre autres. KD ajoute, solaire : « Peut-être qu’un policier ne doit pas tirer sur un chauffeur qui refuse de stopper, mais on précipite l’effondrement de l’État, de l’ordre, de la sécurité chaque fois qu’on laisse faire un conducteur dangereux. » Le policier n’a pas laissé faire ce jeune conducteur. Il l’a abattu. ‘‘Un conducteur dangereux’’.

KD poursuit par ailleurs : « Les jeunes Français d’origine maghrébine détruisent le seul pays véritable qu’ils possèdent (la France) au nom d’un pays fantôme qui les renferme (Les pays du Maghreb, ) parce que dès leur plus jeune âge, on a implanté dans la tête de ces jeunes le songe fallacieux du retour au ‘pays natal’. » Le « on » de KD incrimine les premiers cercles des gamins, leurs parents maghrébins, « Algériens précisément ». Et prend pour exemple les enfants d’un « ancien conducteur d’engins dans le nord de la France. » Ces jeunes « ils ne vivront jamais pour s’intégrer, s’assimiler ou devenir français. » Annonce lapidaire KD qui ne connaît pas « La Discrétion » (ici plus loin). Il ne questionne aucunement la responsabilité des politiques de la ville entre autres, d’intégration… régulièrement mises en cause par des rapports officiels. Il tient là un discours aussi vieux que l’immigration, aussi vieux que « le mythe du retour » des années 60 et de « L’Amicale des Algériens en Europe/France »

KD qui s’emmêle les pinceaux, qui dénie le droit à ces « enfants d’immigrés » de revendiquer le territoire français où ils sont nés, comme le leur, à l’étranger, lorsqu’ils parlent de la France, ils disent : « ‘‘là-bas, chez nous’’, avec un curieux pronom affectif et vantard ». KD leur en voudrait-il ? : « en France, les voilà à brandir, ridiculement, drapeaux et racines pour se croire riches. Décidément, KD a oublié ses classiques. Il devrait laisser tomber ces facilités et relire Sayad, Erickson sur la quête identitaire, je préciserai « une quête identitaire, permanente ». 

KD n’aime certainement pas les sociologues. Et encore une fois il essentialise alors que le diable se niche dans les détails. Accuser un groupe social pour ce qu’il est, c’est faire l’impasse de l’effort.

KD poursuit en faisant sur un sujet voisin, le voile, un parallèle inapproprié, entre la France et les pays du Maghreb. « Alors ces bouts de tissus, censés représenter les origines ou les dévoiler en les voilant, évoluent en emblèmes et drapeaux. » Ce présupposé n’est pas nécessairement exact pour tous ceux qui portent ces « bouts de tissus ». On peut supposer que ces jeunes filles sont dans la provocation ? S’il veut se donner la peine, KD verrait bien qu’elles ne sont pas les premières à faire dans la provocation vestimentaire. (on a vite oublié l’affaire des ‘‘foulards de Creil’’ ou ‘‘les folles d’Allah’’, d’un collège de Creil, il y a 35 ans et ses suites). Ni en France ni en Algérie (ou ailleurs). Suis-je naïf ? Non, lui-même constate ce décalage entre « tenue islamique » un jour et « tenues sexy » un autre. Il fait appel aux « ancêtres sublimés (qui) ne portaient pas de qamis ou d’abaya. » KD a pourtant vécu en Algérie. S’est-il rendu à Tizi ou à Bou-Hanifia ? s’est-il rendu à Bab el Assa ? s’est-il rendu à Hassi Mamèche ? 

A-t-il pris un café dans ces Qahwa ordinaires sombres, pesant la ‘‘Marbourou’’ comme nulle part ? S’est-il approché de quelque hammam lorsque ses plages horaires sont interdites aux hommes ?

Dans tous ces villages semi-ruraux, la tradition du port de ces tenues « de coutures grossières » qu’on désigne par différents substantifs se perpétue. 

KD glisse vers « ces générations immédiates, d’immigration ou nées de l’immigration (qui) idéalisent le pays quitté par soi ou par les ascendants (qui) tiers-mondisent le pays qui (les) a vu naître… comme si, par la destruction, les ‘‘enfants’’ voulaient faire de la France le pays que leurs parents ont fui… » (KD pense dans l’ordre  « à l’Algérie, au Maroc, à la Tunisie, aux pays subsahariens », mais ne l’écrit pas ici.) En plus de ce foutoir d’extrême droite en devenir, la France « n’attire pas forcément les meilleurs profils. » KD prône lui aussi la radicalité, mais une certaine radicalité. « Depuis un siècle ou deux, « l’islamisme (est) inséparable de l’Islam »… dit-il. Autrement dit Moussa Hadj – Hadj Moussa (blanc bonnet  – bonnet blanc)

KD procède par un amalgame douteux entre « islamisme » et Islam.  (Franz-Olivier Gisbert, alors directeur du Point plusieurs fois condamné, avait par ce procédé, « contribué à normaliser l’islamophobie. Lire en infra « Le Point ») La radicalisation émanerait de l’Islam. Pourtant, « Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam, mais de l’islamisation de la radicalité.» La violence est moins le fait de la religion que d’une forme de radicalité qui s’arrime à la religion, propose le chercheur, Olivier Roy. « Les jeunes européens radicalisés (Il y a lieu d’ouvrir ici une parenthèse pour rappeler l’importance dans les mouvements djihadistes de jeunes aux patronymes très occidentaux, ‘‘de souche’’ dont les cercles familiaux ne puisent ni dans le Maghreb, ni dans l’arabisme). Les jeunes radicalisés donc ‘‘ne deviennent pas radicaux parce qu’on leur a enseigné l’islam radical. Ils vont chercher l’islam radical parce qu’ils veulent du radical’’,  a encore déclaré Olivier Roy » (in w.rts.ch). D’aucuns préfèrent les explications de Gilles Kepel, celui-là même « qui tient exactement le discours attendu » et qui devient le soutien affiché de Manuel Valls… » (Jocelyne Daïkha « L’Algérie à Cologne, un emballement français). KD poursuit : « Celui qui a le monopole de l’interprétation de cette religion fixe l’orthodoxie et influe sur les musulmans » : « Peut-être qu’on devrait un jour penser à inventer une laïcité plus radicale » en France. Voilà une pensée grosse et grasse qui lave plus blanc que blanc. Une laïcité anti-laïque en somme qui aggraverait le communautarisme, l’islamophobie et le racisme aujourd’hui ouvertement assumés par une partie non négligeable de l’opinion et dans les médias, notamment audiovisuels. Une laïcité qui décréterait, haineusement comme Z. que « l’islam n’est pas compatible avec la République » (avec un i désormais minuscule et, par mimétisme irréfléchi, à cancelliser si possible). Une laïcité qui érigerait la religion musulmane en « ennemie de la nation », qui nationaliserait tous ses avoirs ou l’expulserait corps et biens dans la sphère des ancêtres. Et faire des musulmans des Marranes des sociétés civilisées. Une laïcité qui romprait toutes les digues. Éteindre les lumières et fermer la porte à double tour. Plus d’immigration musulmane. Il y a là une tentation totalitaire de la laïcité qui ne dit pas son nom, tandis que Jean-Luc Marion affirme que « le seul sens valable de la laïcité est la neutralité » (Emmanuel Housset in « La crise de la laïcité et la philosophie » (Érès 2018). KD : « les musulmans français se voient souvent comme des migrants génériques, étrangers permanents. Ils nourrissent le mythe du retour, pas de l’installation. » Le regard de KD sur « les musulmans de France », notez l’article indéfini. KD ne s’appuie que sur sa propre idéologie à lui. Rien, aucune étude ne confirme ce qu’il avance. Il faut par contre relever ce qu’écrit le Palestinien Edouard Saïd concernant le regard des médias occidentaux sur les musulmans : « des spécialistes, universitaires ou journalistes … qui défendent à tout prix un intérêt particulier, ou transforment… le savoir en instrument de pouvoir ». Ce qui nous amène non pas à une compréhension des sociétés et cultures, notamment l’islam, mais à un escamotage en bonne et due forme » (Edward Said, L’Islam dans les médias (ed Sindbad). En septembre 2014, le Figaro avait accusé les musulmans de France, d’être la « 5° colonne » du Djihad international, d’être l’ennemi intérieur.

KD interpelle les Français musulmans : l’offre de Mélenchon n’est ni honnête ni efficace. Vous vous trompez. Selon KD Melenchon « dope la judéophobie, au prétexte d’un droit d’indignation consécutif aux récents événements du Proche-Orient. » « Événements… événements… » Voilà un parallèle inconscient intéressant. KD me renvoie avec ce mauvais euphémisme aux sombres années de la bataille d’Alger menée par la 10° division des parachutistes français sous la responsabilité du sinistre Massu. « Mélenchon ne parie pas, ou plus exclusivement, sur ‘‘le social’’, sur l’intégration ou sur le désormais vieilli ‘‘plafond de verre’’ racial, mais sur les affects liés à une confession… Mélenchon ‘‘s’islamise’’ ». KD ne convaincra que les convaincus lecteurs de son hebdo. Je ne suis pas certain que KD s’aventurerait à une aussi haute réflexion, concernant le Conseil représentatif des institutions juives de France, Crif (aux dîners duquel se bouscule une grande partie de la classe politico-médiatique chaque année qu’il y ait ou non grande élection) sans oublier l’idole Chalghoumi évidemment, car le Crif ce n’est pas qu’une humble « représentation d’institutions », c’est beaucoup plus que cela, un lobby et plus qu’un lobby. Finalement, KD se désavoue. Ah, la précipitation ! Il écrit en effet : «Que faire avec le vote musulman tout en luttant contre l’islamisme? » cette question ne doit pas constituer le monopole de Mélenchon. Elle doit interpeller toute la classe politique.

KD qui aime Sylvain Tesson qui aime Jean Raspail (« mon ami » dit-il), n’aimerait-il pas autant JR que le premier, JR le maître de La Grande submersion, cette hantise qu’on me plaqua au nez alors que je découvrais ce ‘‘Grand pays des Droits de l’homme’’ – Bobigny – il y a un peu plus de 50 ans. Je n’avais pas vingt ans et la police aux trousses. Pour leur fun avec ‘‘un bougnoule’’ offert. Ce n’était pas triste en effet. Nos cadets hurlent à droite toute avec les loups, que dis-je, avec les hyènes. Nous, nous étions (et demeurons) solidaires avec les plus faibles, pour l’égalité effective, pour la justice sociale, pour l’altérité, contre la xénophobie, contre une France étêtée de son F Fraternel. 

« Ce qu’il y a d’admirable, c’est que la France survit toujours aux plus pessimistes des siens. » Quelle France survit aux pessimistes ? KD ne le précise pas. Il dit qu’il « ne (faut) pas laisser (la question migratoire) entre les mains des radicalités et des populismes ; c’est-à-dire LFI principalement. Les ‘‘populismes’’ est une haute injure chez certains qui ont orienté, malrorienté ce concept. C’est pourquoi d’ailleurs on crie au loup, on crie au communautarisme. Dès lors que LFI/Mélenchon dénoncent le peu d’intérêt des gouvernements pour les quartiers populaires (banlieues, cités) on pousse des cris d’orfraie ou de cabri « communautarisme, communautarisme ! » Dès lors que LFI/Mélenchon dénoncent les brutalités policières et les contrôles au faciès de la police, on hurle, « antisémitisme, antisémitisme ! » ou tout à la fois, ébranlés, « communautarisme, antisémitisme, populisme… ! » l’esprit malintentionné.

La réponse serait dans la condamnation de tout horizon universaliste. Les aides aux seuls Français (et pis encore pour certains,  au bénéfice des seuls Français de ‘‘souche’’) Encore un effort et le rubicond serait franchi. La France est en train de se « bardelliser » à cause « Des radicalités assassines des Insoumis et des racismes inversés ». Le fameux racisme antiblanc. KD est cynique et devin (ou diseur). Il a le mépris discret, qu’il me pardonne : « il semble parfois que ce qui est à la source de l’effet d’appel migratoire, c’est autant la souffrance ‘‘d’ailleurs’’, que les aides ‘‘d’ici’’ ». Les hommes et femmes du monde entier se bousculeraient pour venir en France, parce qu’elle est trop charitable. KD ne dit pas que la zone la plus importante quant à la circulation des émigrés se trouve dans les pays du Sud. L’idéologie au secours non des faits, mais des méfaits.

Le discours sur les soi-disant « aides qui font appel d’air » est un mensonge grossier. S’il existe bel et bien certains combinards (ils existent, venus pour certains d’Oran avec des sachets de billets de banque de toutes les couleurs, et je les ai dénoncés- pas à la police évidemment), l’écrasante majorité des gens vit sa vie dans la discrétion et les nouveaux arrivants ne le sont pas. Ne sont souvent même pas au fait de ce que sont les politiques sociales ou d’accueil… 41% des demandes d’asile ont été introduites en 2022 en Allemagne contre 13% en France, 10 en Italie, 9 en Espagne (w.touteleurope.eu) KD se fâche: « on veut que l’État aide, soutienne, s’implique et subventionne et, en même temps on refuse de voir que c’est justement ce qui fait son attrait migratoire. » En vérité il faut en finir avec les fausses vérités, lui répondent Aurélie Trouvé (Maîtresse de Conférence) et Hadrien Clouet (chercheur) « il faut en finir avec les idées reçues sur l’immigration »…. La France et même l’Europe sont globalement très peu concernées par la phénomène migratoire mondial » (Institut La Boétie, 12.2023). L’idéologie au-dessus des faits.

Il indexe l’immigration et semble par ailleurs accepter sa nécessaire marchandisation.  « Le monde est quelque part une marchandise. » Les nations anglo-saxonnes sont des nations marchandes et le monde reste quelque part une marchandise. KD se veut « pragmatique ». Des colis de chair qu’on s’enverrait dans des conteneurs au gré de nos besoins ou de nos lubies comme les lancers de nains. Absolument insupportable. Le discours du pape François à Marseille, le 23 septembre 2023, décontenance : « Marseille est “le sourire de la Méditerranée”… Cette mer, est un “miroir du monde”, et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, vocation unique et unique voie pour prévenir et surmonter les conflits.… Nous sommes ici pour valoriser la contribution de la Méditerranée, afin qu’elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non d’idéologies qui opposent… Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés… Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. » Ce discours de fraternité ne plaît pas à KD. Il écrit un peu moqueur ou persifleur (ça mange pas de pain vous savez), à la lisière du mépris : « Le discours du pape sur l’immigration sera oublié, car trop utopique, trop ambigu, irréaliste et naïf. Son discours est angélique… l’angélisme de l’accueil fleur au fusil, genre Woodstock des nations… Le pape a caricaturé le discours de la solidarité ». C’est vrai, à chacun sa solidarité. Elle peut être sincère, elle peut être misère.

Les Arabes avec et sans guillemets, les musulmans, l’occident, l’extrême droite

Qu’en est-il des pays d’émigration, de ‘‘booti’’, ces barques incertaines, surchargées de Harragas ? KD a écrit un beau texte dans une contribution à « SOS Méditerranée, Les écrivains s’engagent » (Gallimard, Folio 2022. 227 pages), un livre écrit en soutien à cette association, « SOS Méditerranée », dont les navires patrouillent en Méditerranée pour venir en aide aux migrants, sauver des vies à contre-courant des « politiques iniques menées au nom de la gestion prétendument raisonnable des flux migratoires ». Le texte de KD est intitulé « Le mur de la mer » (près de 5000 mots). Les termes qu’il utilise abondamment sont « mer », « mur », « pays » (78, 38 et 20 occurrences). Malheureusement les noms comme « liberté », « évasion », « lutte », « rêve » sont très peu utilisés (4, 2, 1 et 1 fois.) Un livre écrit pourtant en 2022, alors que l’Algérie venait d’être sauvée, écrit KD : « une grande dérive de la dictature du militant s’est exprimée le 22 février 2019 ». Le Hirak a échoué à cause (des seuls) « quelques agitateurs et des influenceurs (qui) fabriquèrent cette terrible monstruosité d’un parti unique opposant, contre le parti unique du régime… La mobilisation sacralisée à outrance se révéla fatale pour la liberté d’expression puis pour la liberté tout court. Il en coûta au pays de rater son plus beau virage. » Et ses enfants continuent de fuir par les airs et les eaux. « Une pensée pour les harragas, ces migrants maghrébins qui s’échappent dans des chaloupes en risquant la noyade et qui ont la tête remplie de rêves sur la liberté sexuelle en Europe » écrit KD. Ont-ils l’espoir de rejoindre Cologne ? Il ne le dit pas.

Mais alors ? Quid de l’Algérie nouvelle ? Selon KD, certains s’imaginent à tort « un scénario d’insultes ou de manifestations de foules colériques » algériennes si la leader du parti d’extrême droite venait à se déplacer en Algérie. Tout cela pour « consacrer le rôle, bien commode, du diable à Marine Le Pen ». « Elle serait très bien accueillie » déclare un haut diplomate français très au fait de la chose algérienne » KD est-il bouche bée devant l’extrême droite internationale ? « La voilà conquérante depuis peu, blanchie et même chargée d’une aura de respectabilité par effet de contraste avec les populismes de l’extrême gauche, leurs tapages et ses (sic) avatars numériques » écrit-il sans questionner les causes profondes de tout cela (de tous ces effets, c’est-à-dire les politiques menées par Emmanuel Macron et ses prédécesseurs. Décidément KD déteste Mélenchon au-delà de la mesure si mesure est possible en ce domaine. « Il ne faut pas moquer le FN » ajoute KD qui n’apprécie guère « les intellectuels décoloniaux, la gauche hyperurbaine d’Alger.  Et Mélenchon bien évidemment, encore et toujours. Ad vitam aeternam.

Les Arabes, regrette KD, ne se mobilisent pas pour les femmes iraniennes. Eux-mêmes « ne subissent pas la contagion » de la révolte des femmes iraniennes. Se révolter dans ces pays c’est l’échec assuré face aux régimes et aux islamistes. On montrera du doigt l’Occident, mais pas le manque d’intérêt des élites qui sont progressistes repliées dans les villes. Occident accusé d’indifférence ou de récupération. Il dit aussi que les élites arabes qui sont partisanes du décolonial permanent sont paralysées, car la lutte contre le voile est perçue « sous le prisme des polémiques en France » sur le sujet. Effectivement « le voile en France n’est pas le voile en Iran ». Nous sommes d’accord. En France, les élites médiatiques reprochent au pouvoir iranien de ne pas laisser le libre choix aux femmes. Ces mêmes « penseurs à grande vitesse », considèrent qu’il devrait y avoir en France une limite à cette même liberté « au nom de la culture judéo-chrétienne ». « S’arrogeant ainsi le monopole de la « raison », la confrérie des élites, toutes fractions confondues, s’arroge du même coup le monopole de la ‘‘pédagogie’’ ». (Henri Maller, in Nouveaux regards, n° 31) 

Dans un article présenté comme un texte sur Depardieu, KD glisse de l’acteur à l’Iran. Il défend moins la présomption d’innocence qu’il ne dénonce le « grand souffle d’inquisition sexuelle, justifié et exagéré… l’hallali, les justices des meutes numériques, les radicalités dangereuses et les assouvissements de haine ».  Sa circonvolution chute donc sur l’Iran. Je répète son alerte : « Il ne faut pas «iraniser» les grandes causes »

KD constate que le pire n’est pas dans les monarchies du Golfe ou dans les royaumes arabes, « où la stabilité politique demeure appréciable, même toute relative, même sanguinaire ou tribalisée. » Le pire est dans « les Républiques arabes ». En Syrie, le président « héros de la rancune contre l’Occident qui exerce son pouvoir comme un quelconque maire d’une quelconque Crimée arabe au bout d’une vague main poutinienne. » Ces régimes résisteraient-ils sans la connivence de l’Occident ? « Certains dans le Nord ne font pas qu’accueillir les dictateurs écrit l’auteur, ils s’en nourrissent puis s’en débarrassent physiquement. Inversement, des leaders européens, xénophobes, proches du fascisme sont reçus comme des leaders honorables. « La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, se rend à Alger: La dame est reçue dans le faste, avec le sourire et les bras ouverts par Alger. La complicité semble évidente et l’avenir gai pour la coopération chantée… Voilà que l’extrême droite, ennemie jurée et classique des ‘‘décolonisés’’ devenue rentiers de la mémoire, est reçue comme une parente, sinon une partenaire du prestige nouveau. » KD fait appel à un « journaliste algérien arabophone » (Nacer Djabi est en fait sociologue, chercheur au Cread) pour poser une question taboue et y répondre aussitôt : «Sommes-nous gouvernés par l’extrême droite au Maghreb ? oui ». « Presque, nuance dans la foulée KD, si on dresse le tableau clinique des signes de cette tendance au Maghreb. » Puis rectifie pour aller dans le sens du sociologue : « La chasse aux binationaux Algériens, exclus de toute possible participation à la vie de leur pays d’origine au nom de la pureté identitaire, confirme la prise de pouvoir culturelle de l’extrême droite en Algérie. Oui, l’extrême droite gouverne au Maghreb. » À titre d’exemple : la loi sur l’information (Journal officiel n° 56 : art 4) interdit aux binationaux d’être actionnaires d’un média : « Les activités d’information sont exercées par les médias relevant ‘‘…des personnes physiques de nationalité algérienne, exclusivement…’’ ». En son article 87, la Constitution stipule : « Pour être éligible à la Présidence de la République, le candidat doit : jouir uniquement de la nationalité algérienne d’origine et attester de la nationalité algérienne d’origine du père et de la mère », d’autres articles restreignent l’accès aux hautes fonctions de l’état… Le ‘‘binat.’’ est mal vu, très mal vu. J’acquiesce. Un traitre, de fait, subodoré avant la traitrise. « La pureté identitaire » à l’œuvre ou la pureté patriotarde, outrancièrement nationaliste. Nous sommes d’accord.

Dans le numéro suivant, un lien est fait avec  « un général russe, Serguei Sourovikine en tenue civile dans les rues d’Oran ». KD parle de collusion. « La collusion s’avère immense… L’ancien adversaire de la propagande islamiste d’il y a trente ans (s’est) métamorphosé en « fidèle », feuillette un coran dans la plus grande mosquée d’Oran, écoute tout sourire l’imam, heureux et converti. » L’ancien ennemi des islamistes guerre d’Afghanistan…) est devenu leur ami.  « Aujourd’hui, l’ennemi du messianisme islamiste n’est plus l’athée communiste russe, mais l’Occidental dans ses diversités »

Ne faut-il pas ajouter à cette « conversion » des Suds, car c’est de cela dont il s’agit, ne faut-il pas marquer la transformation du monde en cours du fait (aussi) de l’arrogance occidentale et des travers des élites occidentales qui (entre autres outrecuidance, indignité et déshonneur) ségréguent les douleurs du sud de celles du nord des douleurs ukrainiennes ‘‘ils sont comme nous’’ hurlent les foules et les commentateurs. ‘‘Ils ont des voitures comme les nôtres, leur mode de vie est le nôtre, ils nous ressemblent’’. Dixit, juré, craché, si j’mens etc. Ma rupture personnelle commençait à prendre forme dans ces moments-là. Il y a chez moi ‘‘une quasi rupture avec le monde occidental’’, comme le disent si bien ces chanteurs égyptiens de Cairokee dans ‘‘Tilq Qadiya’’, rupture qui a été précipitée par l’accueil délirant des Ukrainiens en 2022/23 par les occidentaux (officiels, médias et populations) alors que simultanément ils rejetaient les gueux, gris, arrivés des pays du Sud après avoir échappé (pour la plupart) à plusieurs morts (désert, Méditerranée, mafias…)

« Les élites maghrébines se lamentent sans construire. L’intellectuel maghrébin, tétanisé par le passé, qui croit que ‘‘penser ou commenter le monde ’’ se résume à penser ou commenter contre l’Occident, il refuse toute autocritique » écrit KD qui ajoute que « La Palestine n’a souvent été autre chose que notre prétexte, le cache-misère de nos désengagements dans nos propres pays. »  KD a raison, je l’approuve complètement. Mais il ne dit pas s’il est juste ou pas juste de répéter que (comme l’intellectuel maghrébin) « l’Occident est raciste, aime l’Ukraine et non l’Afrique, pas la Palestine, qu’il s’émeut des ‘‘siens’’ et pas de l’humanité, répéter que l’Occident est un néocolonisateur patenté… » Est-ce juste ou non ? L’ancien chroniqueur du Quotidien nous donne l’impression de vouloir régler ses comptes avec la presse, certains intellectuels (algériens) auxquels il reproche une conduite, négative à ses yeux. Je ne lui jette pas la pierre, mais je dis ceci : autant je l’approuve lorsqu’il met en lumière, et à raison, le peu de crédit qu’on accorde aux analyses – piètres fréquemment et toujours à sens unique – que proposent des médias algériens qui n’ont plus idée de ce que débattre signifie, ou qui s’autocensurent, qui n’osent pas franchir telle ou telle ligne au motif qu’elle est jaune, rouge, grise…  autant je lui retourne la question «  pourquoi ‘‘même toi’’ te tais-tu, justement, sur d’autres problématiques aussi brûlantes, par exemple les discours haineux à l’endroit des Maghrébins ou musulmans… par exemple, ces tags sur les murs de la mosquée de Roanne début octobre, de la mosquée de Pessac au début de novembre, d’une salle de prière à Guingamp au début décembre… par exemple sur la barbarie inouïe de l’armée israélienne (27 585 morts ! – Unicef, 7 février). Par exemple. « Les Israéliens ne voient pas les morts palestiniens », car rien ne passe sur les TV israéliennes unilatérales sur ces questions. Il y a censure ». (Pierre Haski in C à vous le 2.02. 2024). Pas même l’ombre d’un paragraphe, l’ombre d’une phrase, l’ombre d’une ombre. De cadavre. Rien. Mais où est le nif ? On dit, peut-être à tort, qu’il y a derrière le silence une forme de culpabilité ou de prise de position, d’approbation ou de complicité. Mais -a-t-on toujours dans les pays de la liberté et des Droits de l’homme, les libertés et les droits qu’on pense avoir ? Applique-t-on les valeurs essentielles des lumières également aux peuples du monde ? Mon expérience cinquantenaire en France, qui est aussi bien le pays de Voltaire et de Rousseau, que celui de la mainmise de l’argent sur les grands médias m’interdit une réponse affirmative (je reviendrai plus loin sur l’hebdomadaire qui postillonne à tour de pages tous les quatre jeudis).

Les Guerres Russie-Ukraine, Israël-Gaza/ Palestine

Sous cette rubrique j’ai relevé peu d’articles sinon pour dénoncer les pays dits arabes en mettant des guillemets de confusion trois fois sur quatre au mot. L’Arabie ne serait pas arabe. Ni le Yémen ni Qatar… dans un long article sur Poutine. « Le jour où je décide que les Russes partent, ils partent ! » a répondu le président centrafricain Faustin- Archange Touadéra. Suit un commentaire ironique ou condescendant de KD sur cette réponse peu sérieuse selon lui, car il s’agirait alors pour ce faire de d’abord défaire leur alliance avec Wagner. Or « l’alliance se noue entre prédateurs et s’en libérer devient impossible » Wagner s’est dissout dans des jeux que KD n’a su prévoir, la reprise en main de Poutine sur l’armée de ‘‘l’empire’’ d’Evgueni Prigojin. KD dénonce quasi-systématiquement cette détestation de l’Occident par les Africains, au nom de l’histoire, mais il ne dit absolument rien sur ce que fut cette Histoire.

« Comment n’arrive-t-on pas à concevoir que ce que subit l’Ukraine, c’est un effacement, une « solution finale» ? s’interroge KD. Pourquoi ne fait-on pas la guerre aux côtés des victimes, les Ukrainiens, qui ne sont pas moins européens que les autres? »  Ah si seulement KD pouvait écrire en parallèle la même phrase en remplaçant Ukraine par Gaza et Ukrainiens par Palestiniens ou Gazaouis. Soyons clairs. Il ne le peut absolument pas, de son propre fait peut-être, mais de celui de son employeur sûrement. 

KD affirme sous interrogation « Peut-on penser librement quand on est ‘‘arabe’’? » Voici une interrogation que je qualifierais d’essentialiste. Réduire les hommes, quels qu’ils soient, à leur seul qualificatif, relève du scandale. Il relève du scandale, car le terme penser renvoie, aussi et prioritairement, à la réflexion intime avant d’être à voix haute. Dans le premier cas le terme est inadmissible, car tout simplement on ‘‘pense’’ avec ou sans les autres. On peut cogiter et vagabonder seul. Maître à bord. Dans le second cas un autre mot aurait été plus approprié, un autre mot dans le sens « d’avoir et donner une opinion »

L’interrogation de KD n’est qu’un leurre déconstruit dans le texte. Il poursuit « L’intellectuel ‘arabe’ libre est une figure peu autorisée à l’autonomie de réflexion, a l’exercice de la réflexion audacieuse et à la dissidence. Il écrit le terme par lui honni entre guillemets, ‘arabe’, sans préciser de quels terme et ponctuation il relève, lui-même. Il est vrai que « on multiplie les procès en traîtrise, la diffamation, la terreur éditoriale, surtout. »  Sur ce point je suis entièrement d’accord.

L’article (950 mots- 19/10) a pour objet l’intellectuel et la Palestine et les seuls mots de compassion que KD exprime clairement à l’endroit des Palestiniens les voici, concomitamment, une sorte de ‘‘ en même temps’’ de l’ami président, déplacé : « Nos pensées aux enfants assassinés dans cette région des deux côtés du mur des croyances ( dont la Palestine). » Dans un autre article ( 620 mots – 23/11)   il écrit : « des enfants, des femmes, des hommes, en Israël et à Gaza, sont massacrés. Oui, « 115 enfants meurent à Gaza chaque jour ! » (Martine Russel/Unicef) Ce sont les seules lignes de pitié écrites noir sur blanc. Huit mots le 19 octobre et treize mots le 23 novembre. Soit un total de 21 mots à l’égard des Palestiniens en guise de funeste gerbe, au 47° Jour de guerre après le 7 octobre), à travers les 54 articles (du 5 janvier 2023 au 15 février 2024). Près de 30 000 morts « boucliers humains ». KD ose parler de « pratique animalière et barbare, du bouclier humain. » Voici un argument dicté par la propagande de l’armée israélienne et des dirigeants racistes israéliens, un argument inopérant, usé jusqu’à l’os et qui ignore délibérément que la densité humaine à Gaza, la plus élevée au monde (5500 hab/km2), ne permet pas une telle coquetterie au « Khamas ». 

Les attaques du Hamas islamiste (sic) du 7 octobre sont « un désastre pour les Palestiniens. » Il considère sans l’écrire, à l’encre sympathique, que les Palestiniens meurent par la faute d’autres Palestiniens (Hamas). L’attaque du « 7.10 » est transformée en source de tous les maux. Une sorte de Big-bang décrété par les Occidentaux. Une attaque source de l’Histoire ; manipulée. Une ligne tracée à l’encre tekhélèth. Faire abstraction de la grande Histoire. Balayer 75 ans. Pertes et profits.  KD considère que  « la cause palestinienne sort entachée, amoindrie, sinon presque définitivement exclue des faveurs de la communauté internationale ». Hélas pour lui, les réactions à travers le monde entier, montrent le contraire. Oui KD nous pouvons confirmer (et tant pis si tu n’es pas d’accord) que les manifestations (toutes religions confondues) contre les bombardements, je ne trouve pas de mot juste pour les qualifier. 

Ces manifestations pour les Palestiniens sont la preuve d’une solidarité du monde contre les Israéliens ». Contre le gouvernement israéliens pas « contre les Juifs », non monsieur, car nous avons pu lire, voir, entendre cette solidarité contre le gouvernement raciste et messianique israélien et ses complices politiques et médiatiques occidentaux sur tous les calicots du monde, à travers les plus grandes places du monde, des gorges de centaines de milliers d’êtres humains dans le monde (des anonymes aux stars du cinéma, des écrivains,  des chanteurs, des politiques…) à travers tous les continents, des USA à la Nouvelle Zélande, du Chili à la Norvège, de l’Afrique du Sud à la Tunisie… sans oublier la GB, la France (qui interdit un jour, autorise un autre), l’Allemagne, et la belle, très belle Irlande qui sait elle aussi ce que combattre sous le joug du colonialisme veut dire. Et aucunement sous la houlette de « l’internationale islamiste » ou d’Al Jazeera cette « énorme machine à tuer » alors même que les militaires israéliens ont délibérément tué nombre de ses journalistes et tant d’autres avec eux et qui n’avaient, eux, que des micros et leurs verbes pour alimenter « leur machine à tuer ». « 72 journalistes palestiniens ont été tués dans des attaques israéliennes contre Gaza » (w.cpj.org – 15.02.2024). Qui employait ces journalistes cher KD ? qui les a tués Al Jazeera ou ‘‘Tsahal’’ ? Les journalistes français aiment à répéter « Tsahal » comme les Israéliens et comme eux répéter « les islamistes terroristes palestiniens de ‘‘Khamas’’ ». La saloperie (désolé) des Israéliens nous accule dans les cordes du ring, au bord du langage.

KD écrit : « Crier à la libération de la Palestine sans distinction des moyens risque d’arranger les programmes génocidaires de ceux qui confondent ce rêve avec l’extermination du peuple juif. » Il me paraît peu honnête (je n’ai pas trouvé mieux) d’évoquer d’un côté « un programme » génocidaire des islamistes et se taire de l’autre sur une réalité concrète hic et nunc faite de crimes génocidaires (entendus jusqu’à La Haye). KD postillonne en effet durant des pages entières sur les intentions génocidaires des Palestiniens (« noyer les Israéliens ») et tant pis si je me répète. Thomas Bernhard a montré combien la répétition est nécessaire lorsque la barbarie cogne à la porte de notre folie. KD postillonne en effet durant des pages sur les intentions des uns, mais ne pipe mot des massacres, par milliers et bien réels, perpétrés par Israël ( 115 enfants palestiniens meurent chaque jour, je le rappelle) des crimes qui ont eu pour effet de voir Israël comparaître au-devant de la Cour Internationale de Justice début janvier à la suite de la plainte déposée par l’Afrique du Sud le 29 décembre 2023. 

Il est injuste d’écrire que « défendre le droit d’exister pour Israël est considéré comme un crime de guerre par les miens ». Qui sont « les miens ? » Les Arabes, les Maghrébins, les Oranais, les journalistes algériens ? Les, les, les… utiliser ce déterminant défini c’est aussi essentialiser.

Est-il sérieux KD lorsqu’il écrit que le président Kaïs Saïed serait fou parce qu’il enjoint à ses ministres à dire ‘‘Palestine’’ plutôt que ‘‘ceinture de Gaza’’ ou ‘‘bande de Gaza’’ ? ou quand il écrit que l’antisémitisme est institutionnalisé en Tunisie et qu’ un projet de loi y est à l’étude pour criminaliser (des peines de six à douze ans de prison) toute «normalisation» avec Israël alors même que 1,5% de la population gazaouie a été effacée de la surface de la Terre dans le silence politico-médiatique européen.

Le Grand KD pense faire d’une pierre deux coups, tenter d’éjecter l’autre grand, Jean-Paul Sartre (un homme qui a surplombé le 20° siècle avec ses interventions diverses, ses plus de 50 ouvrages édités, commentés dans le monde entier, « véritable légende de son vivant » et ce n’est pas fini), tenter de l’anéantir en cinq mots et deux grosses paires de guillemets « la grande icône du ‘‘Néant’’ », et associer son nom (ou sa pensée, allez savoir !) aux crimes du Hamas. Un tour de force en quelque sorte qui fait sursauter Jean Genêt dans son éternel repos. « Certains, aujourd’hui, écrit KD brandissent Sartre (qui n’a pas de prénom) pour justifier les attaques du Hamas du 7 octobre » (le Big-bang n’est-ce pas ?) Vivant, Roquentin lui aurait dit toute la Melancholia (que cela sonne bien !) qu’il éprouve dans ce monde rendu exécrable qu’il éprouverait à sa lecture. Et KD d’ajouter Jean-luc Mélenchon – tant qu’à faire – « pour doper sa révolution ».  Si Mélenchon et LFI tentent de donner une voix aux Palestiniens, ce que ne leur accorde jamais Le Point, lui, KD, creuse plus encore les sillons du silence assourdissant réservé par les médias et régimes occidentaux aux Palestiniens pour qu’il soit plus fracassant encore.  

Pour KD la judéophobie relève d’un réflexe millénaire. Cette phrase de Netanyahou prononcée lors d’un discours télévisé le 26 octobre n’en relève pas ou précisément elle n’a pas attiré son attention : « Nous sommes le peuple de la lumière, eux sont le peuple des ténèbres… nous réaliserons la prophétie d’Isaïe. », comme ces déferlements non plus, pris au hasard : haine actuelle chez les Israéliens – des responsables israéliens – haine du Palestinien, de l’Arabe, n’offusque pas plus KD. Pour exemple cette déclaration du ministre des Finances israélien, Bezalel Smotrich, le 19 mars 2023 : « Il n’y a pas de Palestiniens, car il n’y a pas de peuple palestinien ». Cet ultracisme du ministre Otzma Yehudit –  représentant du parti suprémaciste religieux Force juive, et membre du gouvernement – qui avait affirmé, en novembre 2023, que le recours à la bombe atomique sur Gaza « était une possibilité », n’est pas arrivé aux oreilles de KD. Les cris haineux « Mort aux Arabes ! » de membres de l’organisation raciste Lehava n’émeuvent pas KD, ni l’apologie par son président Bentzi Gopstein (en 2012) de l’assassin Baruch Goldstein (qui a tué une trentaine de musulmans dans la mosquée à Hébron il y a 30 ans). Pas même  l’adoption (en juillet 2018) d’une « Loi fondamentale » définissant l’État d’Israël comme « État-nation du peuple juif », faisant d’Israël un État d’apartheid. Tout cela laisse KD de marbre. Seule « la judéophobie dopée par Mélenchon » retient son attention. Quant aux mesures provisoires prises par la Cour International de Justice (le 26 janvier 2024) pour protéger les Palestiniens, nous repasserons.

KD défend très bien l’argument pertinent auquel je souscris totalement qui veut que la solidarité avec « le » Palestinien ne peut s’accommoder avec la judéophobie. 

Le problème avec KD, c’est qu’aucun article parmi les 54 qu’il a écrits dans Le Point de janvier 2023 au 15 février de cette année ne se penche sérieusement (au-delà d’une ou deux phrases – qui font comme un coquelicot asphyxié au cœur d’un champ de ronces, qui font tache sur l’ensemble) sur la douleur presque centenaire « du » Palestinien, qu’il singularise, ce moitié métèque auquel la Constitution d’Israël (ou plutôt la loi fondamentale « Israël en tant qu’État-nation du peuple juif) refuse les mêmes droits que son « compatriote » juif.  Parce que le Palestinien n’est pas juif. L’article1° de la loi fondamentale stipule : a) « l’État d’Israël est le foyer national du peuple juif, dans lequel celui-ci ‘‘exerce son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination’’, b) le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est exclusif au peuple juif ». Un Droit exclusif. Circulez, y a rien à voir. Si j’ai un conseil à donner à KD, ce serait celui de lire le rapport (de 280 pages) d’Amnesty International (qui n’est pas une organisation chapeautée par le gourou Mélenchon) publié en février 2023. Dans ce rapport, AI décrit le système institutionnalisé d’oppression et de domination imposé aux « Palestiniens partout où Israël exerce un contrôle sur leurs droits. » Un système d’apartheid qu’il se refuse d’entendre, de voir, de rapporter. Ya Kamel ‘‘ un système d’apartheid’’ !

La question de sa non-solidarité avec les Palestiniens, KD l’a exprimée dans un article intitulé « Ce pour quoi je ne suis pas ‘‘solidaire’’ de la Palestine » in  « Mes indépendances » p 296. Il écrit : « Non, le chroniqueur n’est pas « solidaire » de la Palestine. Le mot solidaire est entre guillemets. Car il a deux sens. D’abord non à la « solidarité » sélective… (non à) cette solidarité au nom de l’islam et de la haine du Juif ou de l’autre. » Nous l’entendons.

Il dénonce dans un autre article « l’émotion sélective » favorable aux Gazaouis, mais il ferme les yeux, se bouche les oreilles et le nez sur l’autre émotion sélective, blanche celle-là, qui s’étale avec une indécente indécence sur tous les médias français ( presque tous).

« Le drame palestinien a été « arabisé » et islamisé à outrance, au point que maintenant le reste de l’humanité peut se sentir débarrassé du poids de cette peine, écrit KD… La cause palestinienne qui a été talibanisée alimente une judéophobie strictement haineuse. C’est une affaire « arabe », et l’affaire des musulmans ». Ceci est inexact. Israël n’a jamais été autant rejeté dans le monde que depuis octobre. Les manifestations contre les bombardements ont sillonné le monde entier. Elles sont la preuve d’une solidarité populaire internationale contre les Israéliens, soutenus par les régimes occidentaux et leur arsenal militaire et financier, et par le silence lâche du ‘‘monde arabe’’. Lire en supra. Il ajoute : « Si le chroniqueur est solidaire, c’est par une autre solidarité. Celle qui ne distingue pas le malheur et la douleur selon l’étiquette de la race et de la confession. Aucune douleur n’est digne, plus qu’une autre, de la solidarité. Et solidarité n’est pas choix, mais élan total envers toutes et tous. Solidarité avec l’homme, partout, contre l’homme qui veut le tuer, le voler ou le spolier, partout. »Très bien. Mais alors, et justement, pourquoi se taire devant les dizaines de milliers de Palestiniens, des civils pour l’écrasante majorité, tués par l’armée israélienne ? Peut-être que le Hic se situe chez le propriétaire de la revue Le Point. Peut-être. Je reviendrai plus bas sur ce fichu canard qui prend les enfants du Bon Dieu pour ce qu’ils ne sont pas. « Le Palestinien est souvent méprisé, peu honoré », pas par la rue comme le dit KD, mais probablement par les milliardaires européens patrons de presse qui suggèrent fortement d’ inverser les faits par un tour de magie grossier à défaut de, à minima, murmurer les monstruosités commises depuis la Naqba par la Haganah et l’Irgoun et leurs progénitures, Shas, Likoud et d’autres. Des dizaines de milliers de morts palestiniens. Taire l’abjection et construire un narratif répété dans leurs médias sous ordres (d’intérêts communautaires) comme des « mani korlo » (lire plus bas « Le Point »)

KD écrit que « L’Occident appelle ses morts des victimes, le monde dit « musulman » qualifie les siens de martyrs, de chahids », dont l’étymologie serait obscure. Non monsieur, le mot martyr ne procède pas de terminologie obscure. Et il n’est pas propre à la religion musulmane. Il vient du grec martys, signifiant « témoin » comme dans l’arabe. Le terme est employé dans les trois religions monothéistes. Chez les chrétiens, le martyre c’est « la voie par excellence vers la sainteté » et obtenir « la couronne ». Ceux qui sont morts en martyrs sont destinés à la béatitude céleste. Chez les Juifs, ceux qui se sacrifient pour Dieu sont appelés les « hassidim, les kedoshim », ou « chahid chez les musulmans. »

À propos des manifestations dans les pays arabes condamnant les bombardements de l’armée israélienne, KD écrit « Ces rendez-vous réactifs,  obscurément récréatifs, rassemblent les partisans de l’humain profané à Gaza (jamais en Israël), mais raniment aussi, par un effet collatéral, les judéophobies extrêmes. » Cher KD, et si nous inversions une fois une seule la formule ? Essayons. Ces rendez-vous réactifs (les manifestations en Israël, et les articles du Point condamnant les exactions de Hamas) rassemblent les partisans de l’humain profané entre Nir Oz et Bé eri (jamais les femmes et enfants de Gaza, de Cisjordanie ‘‘ils sont tous terroristes’’), mais raniment aussi, par un effet collatéral, les islamophobies extrêmes de B-H Levy à Finkielkraut en passant par C. News et autres Fourest et Morano. Ce parallèle déplairait au centre de commandement germanopratin, précisément Balardien, derrière les Maréchaux.

La raison principale de notre soutien au peuple palestinien est la spoliation de ses terres, depuis 1948 et avant. Les Algériens savent ce que « colonisation » signifie. Nos familles, nous-mêmes, l’avons vécue dans notre chair, dans notre être. Dans les années 60, il y avait beaucoup de Palestiniens accueillis en Algérie, comme il y avait beaucoup d’opposants d’Amérique latine, du Portugal, d’Espagne et même de Catalogne. C’est pourquoi nous avons gardé au cœur les combats des populations opprimées, quelle que soit la religion. Et puis, majoritairement, les Algériens, arabophones ou non, sont proches des Palestiniens par l’appartenance à des degrés divers à une même sphère culturelle et cela n’est pas une infraction ni un drame. Ce sont là des raisons objectives. Et c’est dans la nature humaine. Les Européens, particulièrement les Français ont apporté et continuent d’apporter un soutien absolument inouï, en génuflexion, aux Ukrainiens par millions, parce que disent-ils (aussi) « il sont comme nous » alors même qu’ils ont refoulé à la lisière de l’Europe, par milliers, d’autres peuples, parce qu’ils ne leur ressemblent pas ceux-là. Qui a écrit pour eux, ces gueux des Suds ? (les bruns aux pieds nus, aux yeux pas bleus, sans tailleur ni costume, sans tresse d’or à la Loulia) qui a écrit pour sauver la morale du naufrage, pour l’éthique, pour le droit international, qui ? KD écrit « l’invasion de l’Ukraine nous rappelle que l’impensable est possible ». N’y a-t-il pas là une véritable « émotion sélective » dès lors qu’on évite de traiter de l’impensable en cours depuis des décennies contre le peuple palestinien gazaoui aujourd’hui de nouveau enfoui sous les bombes d’un régime israélien en uniforme Svastika, dont d’aucuns ont dit et écrit qu’il procède par mimétisme à l’effacement d’un peuple. « Nous sommes le peuple de la lumière, eux sont le peuple des ténèbres… nous réaliserons la prophétie d’Isaïe. » Justifier les crimes en invoquant la Bible. Et pas un mot dans Le Point qui préfère évoquer « le réflexe millénaire, cette judéophobie, ces haines millénaires, la culpabilité millénaire des musulmans. » 

La libération de la Palestine n’est pas un slogan monsieur KD. « Libérer la Palestine » est aujourd’hui un slogan qui libère surtout les islamistes dans leurs ambitions locales, écrit KD. C’est un slogan, qui isole les voix étouffées et lucides qui croient à la paix sans les bains de sang, et qui ghettoïse les régimes arabes. » Si ‘‘le pape est naïf’’ comme il dit, lui-même est-il niais ou oublieux d’Oslo, ou a-t-il la mémoire sélective (on y revient) au point d’oublier le bain de sang d’Hébron (il y a 30 ans jour pour jour, le 25 février qui pointe), moins d’un an après les accords d’Oslo, lequel massacre a fait basculer le Hamas dans « la légitimité de la violence ». C’est écrit à l’encre noire dans Le Point (oui, le même) daté 13 septembre 2018 : « Comment les accords ont mené à l’impasse ». Le massacre d’Hébron a été suivi par d’autres qui ont abouti à la deuxième Intifada. Alors, de quelle paix parle KD ? Celle réversible des braves ou des loups ? Les Palestiniens ont assez donné. « Libérer la Palestine » n’est pas un slogan qui ghettoïse. Il est un objectif dont l’atteinte est nécessaire, avec ou sans notre consentement, approbation, permission…

Emmanuel Macron- Kamel Daoud, Le Point 

Sur la relation entre la France et l’Algérie : KD dit sa difficulté d’interviewer le président français à cause du passé entre les deux pays. Il pense que « la conversation » avec Macron décevra en Algérie « ceux qui ont la passion de la guerre imaginaire et qui exigent de la France ce qu’ils n’exigent pas d’eux-mêmes ». Parlant de lui (souvent à la troisième personne) KD dit être perçu en Algérie comme un  « ‘‘traître’’ à l’orthodoxie de la guerre mémorielle ». KD parle de lui à la troisième personne, car « le ‘‘je’’ est un abus » écrit-il dans un article repris dans « Mes indépendances ». Il y explique pourquoi il veut se « reposer du journalisme, l’abandonner ». Mais, manifestement, il y est revenu. Honnêtement, en tant que lecteur, je dis qu’il a bien fait. Mais pas dans ce torchon, bon sang ! En Algérie « On adore faire la guerre à la France, car la France est vitale à l’épopée, pour escamoter le présent » . C’est ce que je pense aussi. « Macron endosse habilement son rôle de martyr de l’intérêt public et les infantilismes des oppositions, écrit KD. Autour de son personnage (à Macron) on cultive la haine. Il y a de la démesure dans le ressentiment. »

Emmanuel Macron : « Je crois que l’on s’est enfermé dans une théorie sans espérance qui fait l’éloge de la séparation, de l’impossibilité de penser notre avenir. Une dangereuse théorie de l’impuissance, de la démission… cette jeunesse franco-algérienne, on l’a sommée de ne pas se souvenir pendant longtemps, car un bon Français n’a pas le droit de parler de son héritage quand cet héritage n’est pas source de fierté… Le rejet de la France a été nourri … par les diasporas, depuis la France, et par les frustrations à l’égard de l’ineffectivité de la République à les intégrer.  

Le Point est un magazine classé à droite de l’échiquier politique français conservateur. Il paraît tous les jeudis. Il a été créé en 1972 par, entre autres, Claude Imbert, Olivier Chevrillon. Il appartient depuis 1997 au groupe Artémis (médias, vin, tourisme, mode…) propriété de la famille du milliardaire François Pinault. Le Point insiste, dit-il sur les valeurs : non-conformisme, indépendance, rigueur et vérité. Sur Wikipédia on peut lire que sa ligne éditoriale est présentée comme islamophobe par de nombreux observateurs. Claude Imbert déclara sur LCI : « Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire. » (In Acrimed, 26 octobre 2003).  Franz-Olivier Gisbert, le directeur qui procède par amalgame entre islam et islamisme « a contribué à normaliser l’islamophobie en présentant une image souvent négative des musulmans, et en valorisant des figures connues pour leur discours de stigmatisation de l’islam » (Wikipédia). Plusieurs manquements à la déontologie journalistique ont été relevés depuis longtemps. En 2014, Franz-Olivier Giesbert, son directeur est condamné pour diffamation « Il n’a fait que véhiculer des fantasmes, des suspicions » sur les Français d’origine chinoise » avait dénoncé David Li, président de l’Association des Jeunes Chinois de France. En 2017, la directrice adjointe de la rédaction, Olivia Recasens, est licenciée pour faute grave, sans aucun respect pour la procédure légale de licenciement. Le Point censure des articles en lien avec des malversations liées à la construction dans la capitale libyenne d’un important hôpital, et sur le financement de la campagne de l’ancien président, Sarkozy. « L’interpénétration entre responsables politiques et patrons d’entreprises privées pose la question de la neutralité de la puissance publique. Comment l’État pourrait-il lutter contre l’insécurité sociale quand celle-ci résulte d’incivilités d’industriels ayant pignon sur rue ? » (Le Monde diplo 12.2003). L’hebdo s’extrême droitise peu à peu jusqu’à publier des articles nauséabonds comme « Immigration Roms, allocations, mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire » et un autre, plus tard : « Faut-il avoir peur d’Eurabia, l’Europe islamique ? » et sous-entendre que l’Europe est sur le point d’être colonisée par les immigrés musulmans. En 2022, Médiapart accuse Le Point de « tordre la déontologie ». « Souvenez-vous de l’affaire Pinault, quelque peu scandaleuse, d’ailleurs, impliquant une filiale du Crédit Lyonnais ! » (« Compte-rendu intégral de la Séance du Sénat du 20 mars 2013). D’autres médias (sites internet) comme « Arrêt sur Images » démontent la mécanique peu ragoûtante du Point (faux témoignages…) Le périodique est poursuivi par des élus traînés dans la boue par le mensonge (maire d’Asnières). Dans une autre affaire, le Tribunal judiciaire de Paris condamne Le Point pour « insuffisance de rigueur et carence de fond », et pour « gravité et virulence ». L’actrice Sand Van Roy, a fait condamner en diffamation Le Point pour un article de 2018 sur Luc Besson. En 2022, le journal accuse des députés de LFI d’employer illégalement une femme de ménage algérienne. L’article est retiré, et le journaliste licencié. Sur un autre point (pardon) l’hebdo n’est pas très net : Par exemple, employer 2020 Gabriel Matzneff comme chroniqueur pendant plusieurs mois, jusqu’en janvier 2020, un écrivain accusé de pédophilie. Il n’a pas été licencié, se justifie Etienne Gernelle, le directeur, car « C’est une question de liberté d’expression ». Une liberté d’expression en rupture de morale. La procédure suit son cours. Autre exemple, « Le Point ne communique pas ses résultats financiers aux lecteurs ». 

Alors, chaque début de semaine, en conseil de rédaction (en distanciel plus qu’en présentiel à Victor) on sert à KD du rôti de porc fumé, un filet de Kassler, du lard fumé, des saucisses de Montbéliard et de Strasbourg, deux kilos de choux, un kilo de grosses grumbeere et on lui demande de préparer pour le lendemain le plat de son choix. À l’évidence, sa liberté de choix est celle de ses ingrédients du patron milliardaire.

Tel est le journal où officie, hélas, Kamel Daoud.  Un hebdo sans véritable ‘‘comité d’indépendance éditoriale’’. Une dernière, en décembre 2019, Acrimed (qui est un observatoire des médias français) avait titré un de ses articles « François Pinault (et Le Point) rendez l’argent ! »

Conclusion

KD n’a pas inventé les discours réactionnaires, mais il en reproduit un certain nombre. Il procède par la répétition de son opposition à l’islamisme, à l’immigration, aux couches populaires (et à leurs représentants), aux couches délaissées par les gouvernants depuis des décennies, à travers un prisme exclusif fichtrement ancré à droite et son lot de poncifs… tous les jeudis que dieu fait. Serait-ce une obsession ? Et il tourne, tourne, tourne ses cylindres de mantras, toujours les mêmes, chaque jeudi venu. Il ne cesse de proclamer « ses indépendances » et pourtant ses articles ne tournent qu’autour de trois ou quatre figures synchronisées ‘imposées’ rejouées chaque jeudi alternant godille, flamant rose, flamenco… Oui, comme une obsession. Last but not least « Les malaises ne sont pas tous également ‘‘médiatiques’’ et ceux qui le sont subissent inévitablement un certain nombre de déformations dès qu’ils sont traités par les médias, car, loin de se borner à les enregistrer, le champ journalistique leur fait subir un véritable travail de construction qui dépend très largement des intérêts propres à ce secteur d’activité. » (Patrick Champagne, in La misère du Monde, sous la direction de Pierre Bourdieu). Nous l’avons bien compris. 

L’un des problèmes nodaux est la place que la société française veut accorder ou non à une part non négligeable d’elle-même. Est-elle prête à accepter le multiculturalisme ? Est-elle prête à ouvrir les yeux sur cette réalité d’identités complexes ? Si la réponse est non, alors l’avenir sera plus sombre encore. Parce que cette France-là ne se laissera pas faire. Beaucoup de ces 3°, 4° génération etc. d’enfants d’immigrés français à part entière sont lettrés, sont comme « un poisson dans son eau », parlent à voix haute et occupent des emplois valorisant alors que les grands-parents vivaient dans une grande discrétion,  murmuraient et rasaient les murs. Et c’est ainsi qu’on les supportaient, rasant les murs, les yeux fixés sur leurs chaussures. Cela est fini. Les Français de souche récalcitrants devraient l’entendre, nécessairement. Évidemment il ne faut pas fermer les yeux sur les difficultés d’inadaptations que pose une partie d’entre ces jeunes, des voyous, des radicaux… tout ce qu’on veut. Une exigence qui vaut pour tous les autres citoyens. Mais tous les sociologues vous diront que cela n’est pas nouveau. La France a évolué et il faut ouvrir grands les yeux à cette France-là. On devrait tous lire et relire le beau roman de Faïza Guène, « La discrétion », Plon 2020. Lisez : (Les enfants) « sont heureux de découvrir un nouveau visage du pays dans lequel ils sont nés (la France), et plus heureux encore de le faire découvrir à leurs parents. Il faut dire que c’est sacrément beau la France… On dirait que Yamina (la mère) a enfin fait le deuil de ce retour impossible (au bled, Douar Arbouze, Msirda Fouaga)… Alors qu’elle se dirige sans un bruit vers la salle de bains pour effectuer ses ablutions, elle se rappelle qu’elle a encore fait ce rêve cette nuit… Son chez elle, elle l’a compris, c’est l’endroit où se trouvent ses gosses. » À l’autre partie de la France d’ouvrir les yeux. Alors maintenant, peut-être que les ressassements de KD trouvent résonance en lui-même, en son être, en Soi. Ou à celui des propriétaires de l’hebdo. Mais ce Soi est loin de faire l’unanimité. Très loin.

À moins qu’il ne s’agisse que d’une fable où tout est faux ? « Mais tout le monde sait, au moins depuis Ésope, qu’il n’y a rien de plus vrai qu’une fable. (Zouaoui Benhamadi, 4° de couverture de ‘‘La fable du nain’’ de Kamel Daoud (ed. Dar el Gharb, Oran 2003). Kamel Daoud raconte si bien les histoires.

Ceci étant écrit, les questions ont besoin de réponse. À la première question d’introduction ma réponse est claire. Je pense que Kamel Daoud est bien fidèle à quelque chose. Quelque chose qui m’est bien lointain. Quant à la seconde, je la lui poserai un jour.

_________________

Ahmed Hanifi,

Marseille, le 18 février 2024

Derniers livres parus : Le Choc des Ombres (Incipit en W, 2017) / Poèmes inédits (Sedia, 2022)

__________________

Tous les articles étudiés.

1.Pourquoi la révolte des Iraniennes n’est pas contagieuse_5 janvier 2023

2.Que peut-on pour les Iraniens qu’on pend à l’aube?_12 janvier 2023

3.Les confidences de Macron à Kamel Daoud- Le Point 12 janvier 2023

4.Pourquoi penser au Maghreb c’est toujours critiquer l’Occident? 19 janvier 2023

5.Quand Marine visitera l’Algérie_ 26 janvier 2023

6.La France, eldorado des aides 02 février 2023

7.Patrick Bruel en Algérie, les leçons d’un retour tant attendu 09 février 2023

8.Ces Français qui rêvent de décapitations 16 février 2023

9.Jusqu’où ira la guerre imaginaire contre la France? 23 février 2023

10.Poutine ou la guerre du muet 2 mars 2023

11.Pourquoi le wokisme n’est-il pas « arabe»? 9 mars 2023

12.Wagner ou l’ukrainisation douce de l’Afrique_ 16 mars 2023

13.Les femmes, le prince et le calife_ 23 mars 2023

14.L’« homme aux cornes de bison » français est né_ 30 mars 2023

15.De la difficulté de recevoir Tebboune en France_ 6 avril 2023

16.Macron, portrait en creux des Français?_ 13 avril 2023

17.La ‘lutte’, dangereuse pour la liberté d’expression_ 20 avril 2023

18.Le bon sauvage numérique_ 27 avril 2023

19.La La trahison des médias_ 4 mai 2023

20.La préférence royale du monde dit ‘arabe’_ 11 mai 2023

21.L’argent, un puritanisme français_ 18 mai 2023

22.Le Point-Zelensky, malvenu dans le monde dit ‘arabe’_ 25 mai 2023

23.Le jour de gloire et le jour férié – 1° juin 2023

24.Bachar, un héros de la rancune contre l’Occident- 8 juin 2023

25.Ukraine- le complexe du déserteur chez les Européens- 15 juin 2023

26.Les coutures grossières de l’abaya- 22 juin 2023

27.Elon 1° ou la papauté numérique- 29 juin 2023

28.La France,  »bardellisée » ou tiers-mondisée?- 06 juillet 2023

29.Le rêve du ‘retour’ cauchemar des enfants d’immigrés- 13 juillet 2023

30.Comment ‘guérir’ de l’abaya?- 31 août 2023

31.Que faire des ex-colonies?- 07 septembre 2023

32.La chasse aux ‘bi’ est ouverte- 14 septembre 2023

33.Pourquoi on n’ose pas parler d’extrême droite ‘arabe’?- 21 septembre 2023

34.Le petit Poutine à Oran- 28 septembre 2023

35.Le pape et Meloni, l’Italie des deux discours- 5 octobre 2023

36.Une défaite pour la ’cause palestinienne’- 12 octobre 2023- 1.2

37.Une défaite pour la ’cause palestinienne’- 1.2 octobre 2023- 2.2

38.Peut-on penser librement quand on est ‘arabe’? 19 octobre 2023

39.Israël et Palestine, au-delà de la haine- 26 octobre 2023

40.’Libérer la Palestine’ dans le piège des concurrences- 2 novembre 2023

41.La Tunisie psychiatrique ou le ‘mal’ d’être arabe aujourd’hui- 9 novembre 2023

42.L’erreur du ‘cheikh’ Mélenchon- 16 novembre 2023

43.’même toi?’ ou la judéophobie d’ambiance- 23 novembre 2023

44.Les trois corps du Palestinien- 30 novembre 2023

45.’Chahid’ ou le mort Vip- 7 décembre 2023

46.Les fées contre les Wook- 14 décembre 2023

47.Guerre entre musulmans, l’étrange silence- 21 décembre 2023

48. Femmes – seulement entre Dieu et Depardieu- 4 janvier 2024

49. Imams, qui paie prêche- 11 janvier 2024

50. Gaza, ferveur et cynisme arabes- 18 janvier 2024

51. Le cannibalisme médiatique, une cuisine très française- 25 janvier 2024

52. L’Intellectuel français et la fin du monde- 01 février 2024 

53. Immigration, l’éternel biais français de la culpabilité́- 08 février 2024

54. En Occident, la peur du sexe – 15 février 2024.

__________________________

« LE JOURNALISME FRANÇAIS, UN DANGER PUBLIC »

LE JOURNALISME FRANÇAIS, UN DANGER PUBLIC

Nous le disons avec nos mots. Nous le constatons tous les jours. Mais nous n’avons pas compilé. Nous n’avons pas pris le temps de réunir, d’agglomérer, de coaguler, d’analyser. SERGE HALIMI (journalise, écrivain – « Les nouveaux chiens de garde » (Raisons d’agir), c’est lui !) ET PIERRE RIMBERT (journaliste et sociologue) L’ONT FAIT. Ils sont des spécialistes reconnus des médias. Ils ont à leur actifs de nombreux livres.

Que disent-ils dans le dernier « Monde diplo ? »

_______________

« Depuis le 7 octobre dernier, les grands médias veillent à l’alignement des planètes autoritaires en France. Leur soutien inconditionnel à Israël s’accompagne de leur diffamation des opinions dissidentes, de leur mise en cause des libertés publiques et de leur chasse aux immigrés. 

Jusqu’où ira cette guerre idéologique? Au service de qui ? »

PAR SERGE HALIMI ET PIERRE RIMBERT

(LE MONDE DIPLOMATIQUE Février 2024)

_______________

Voici l’article 

« Oh Palestine ! « Une chanson pour elle

JE VOUS PROPOSE DEUX VIDÉOS

A_ CELLE-CI « Oh Palestine » par Seth Staton Watkins

B_ Plus bas (EN PAGE 2)  » « Telk Qadeya, C’est une cause » – par CAIROKEE »

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO. A

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Paroles ANGLAIS/ FRANÇAIS

LE NETTOYAGE ETHNIQUE DE LA PALESTINE

Commençons par ceci :

In « TRTFRANÇAIS (Service Français de la Radio et Télévision de Turquie) : 13 déc. 2023 

Fayard retire des ventes le livre « Nettoyage ethnique en Palestine » d’Ilan Pappé 

Une nouvelle censure ? Selon le magazine littéraire en ligne Actualitté, la maison d’édition française Fayard a suspendu depuis le 7 novembre la vente du livre de l’historien israélien Ilan Pappé sur la création d’Israël en 1948 et le nettoyage ethnique du peuple palestinien. 

D’après Fayard, contacté par Actualitté, la raison serait que « le contrat était caduc depuis le 27 février 2022. La maison a donc acté, le 3 novembre dernier, sa fin d’exploitation. » … 

Ilan Pappé démontre dans son livre que la fondation d’Israël en 1948 s’est faite sur la base de l’expulsion de la population arabe par des méthodes de nettoyage ethnique, une politique d’expulsion systématique que Pappé appelle un « génocide progressif ». En outre, la suspension des ventes du livre a eu lieu après que Hachette Livre, la société faîtière de Fayard, a été rachetée par le milliardaire français d’extrême droite Vincent Bollore en novembre.

____________________

Voici les premières pages du livre censuré par Bolloré

LE NETTOYAGE ETHNIQUE DE LA PALESTINE

De ILAN PAPPE _ Ed Fayard (Paris, 2008)

_____________________

La Maison rouge

« Nous ne pleurons pas l’adieu/ Nous n’avons pas le temps ni les larmes/ Nous ne comprenons pas l’instant de l’adieu/ Pourquoi c’est l’Adieu/ Et il nous reste les larmes » Muhammad Ali Taha (1988), réfugié du village de Saffuriya. 

Je suis pour le transfert forcé. Je ne vois rien là d’immoral. David Ben Gourion à l’Exécutifde l’Agence juive, juin 1938. 

___________________

 La « Maison rouge » était un bâtiment typique des premiers temps de Tel- Aviv. Elle faisait l’orgueil des maçons et artisans juifs qui l’avaient construite dans les années 1920 pour être le siège de l’union locale du syndicat ouvrier. Elle a servi à cela jusqu’au jour, vers la fin de l’année 1947, où elle est devenue le quartier général de la Haganah, la principale milice clandestine sioniste en Palestine. Situé près de la mer, rue Yarkon, dans le nord de Tel-Aviv, l’immeuble était un nouvel ornement pour la première ville « hébraïque » sur la Méditerranée – la « Ville blanche », comme disaient affectueusement ses lettrés et ses érudits. C’est qu’en ce temps-là, contrairement au nôtre, avec le blanc immaculé de ses maisons, toute la ville baignait encore dans l’opulent éclat typique des ports méditerranéens de l’époque et de la région. C’était une vue extrêmement agréable, où les motifs du Bauhaus fusionnaient élégamment avec l’architecture indigène palestinienne dans un style mixte, dit « levantin », au sens le moins péjoratif du terme. Un style qu’illustrait bien la Maison rouge, dont les lignes simples, rectangulaires, étaient embellies en façade par les arcs qui encadraient l’entrée et soutenaient les balcons de ses deux étages. L’appelait-on « rouge » à cause de son association avec le mouvement ouvrier, ou de la teinte un peu pourprée qu’elle prenait au soleil couchant (Ou encore, comme certains en sont convaincus, parceque sa façade avait été peinte en rouge en signe de solidarité avec le socialisme ) ? La première explication est plus plausible, d’autant que cette maison est restée liée à la version sioniste du socialisme en devenant, dans les années 1970, le siège central du Mouvement des kibboutzim d’Israël. Ce sont des bâtiments comme celui-là, importants vestiges historiques de la période du Mandat, qui ont amené l’UNESCO, en 2003, à inscrire Tel-Aviv au nombre des sites du patrimoine mondial. 

Aujourd’hui la Maison rouge n’existe plus, victime de la promotion immobilière qui a rasé cette relique architecturale pour aménager un parking près du nouveau Sheraton. Dans cette rue non plus il ne reste donc aucune trace de la « Ville blanche », qui s’est lentement et bizarrement transfigurée en cette métropole tentaculaire, polluée, extravagante, qu’est la Tel-Aviv actuelle. 

Dans cette maison, par un froid mercredi après-midi, celui du 10 mars 1948, onze hommes, vieux dirigeants sionistes et jeunes officiers juifs, ont mis la dernière main à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine. Le soir même, des ordres ont été envoyés aux unités sur le terrain pour préparer  l’expulsion systématique des Palestiniens de vastes régions du pays.  (Un historien, Meir Pail, affirme que les ordres ont été envoyés une semaine plus tard (Meir Pail, De la Haganah aux FDI, p. 307). Ces ordres s’accompagnaient d’une description détaillée des méthodes à employer pour évacuer les habitants de force : intimidation massive, siège et pilonnage des villages et des quartiers, incendie des maisons, des biens, des marchandises, expulsion, démolition et pose de mines dans les décombres pour empêcher les expulsés de revenir. Chaque unité a reçu sa propre liste de villages et de quartiers cibles, dans le cadre du plan global. Le « plan D » (en hébreu Daleth) – tel était son nom de code – constituait la quatrième et dernière version de plans moins développés qui esquissaient, dans ses grandes lignes, le destin que les sionistes réservaient à la Palestine, donc à sa population indigène. Les trois versions précédentes étaient restées vagues quant aux intentions des dirigeants sionistes face à la présence de tant de Palestiniens sur la terre que le mouvement national juif revendiquait comme sienne. La quatrième et dernière le disait clairement et sans ambiguïté : ils devaient partir (Les documents de la réunion sont résumés dans les Archives des FDI, GQG/Service opérations, 10 mars 1948, dossier 922/75/595, et dans les Archives de la Haganah, 73/94) Pour citer l’un des premiers historiens à avoir remarqué l’importance de ce plan, Simha Flapan, « la campagne militaire contre les Arabes, dont la “conquête et destruction des zones rurales”, était exposée en détail dans le plan Daleth de la Haganah ». (Simha Flapan, The Birth of Israel : Myths and Realities, p. 93.) De fait, son objectif était la destruction de la Palestine rurale et urbaine. 

Comme tenteront de le montrer les premiers chapitres de ce livre, ce plan était à la fois l’inévitable produit de la volonté idéologique du sionisme d’avoir une population exclusivement juive en Palestine et une réaction à la situation sur le terrain après la décision du cabinet britannique de mettre fin au Mandat. Les heurts avec les milices locales palestiniennes créaient le contexte et le prétexte parfaits pour concrétiser la vision idéologique d’une Palestine ethniquement homogène. La politique sioniste s’est d’abord fondée, en février 1947, sur une logique de représailles contre les attaques palestiniennes ; puis, en mars 1948, elle a pris l’initiative d’un nettoyage ethnique à l’échelle du pays. (Dans Rebirth and Destiny of Israel, David Ben Gourion écrit sans détour : « Avant le départ des Britanniques [15 mai 1948], les Arabes n’ont envahi ou conquis aucune implantation juive, si éloignée fût-elle, tandis que la Haganah […] a pris de nombreuses positions arabes et libéré Tibériade et Haïfa, Jaffa et Safed. […] Ainsi, le jour du destin, la partie de la Palestine où la Haganah pouvait opérer était presque vide d’Arabes » (Ben Gourion, Rebirth and Destiny of Israel, p. 530). )

Une fois la décision prise, il a fallu six mois pour l’appliquer. Quand tout a été fini, près de 800 000 personnes – plus de la moitié de la population indigène de Palestine – avaient été déracinées, 531 villages détruits, 11 quartiers vidés de leurs habitants. Le plan décidé le 10 mars 1948 et surtout sa mise en œuvre systématique au cours des mois suivants ont été un cas clair et net de ce « nettoyage ethnique » que le droit international actuel considère comme un crime contre l’humanité. 

(…)

__________________________

J’y revendrai ICI, sur FB et sur mon Blog

CLIQUER ICI


La blonde franco-israélienne du Nord et la horde Arabo-Palestinienne du Sud

(DEMAIN J AJOUTERAI VIDEO…)

La blonde franco-israélienne du Nord et la horde Arabo-Palestinienne du Sud

La caméra filme de très près le visage (blonde pulpeuse), d’une jeune franco-israélienne, Mia Schem, libérée le Hamas le 30 novembre dernier. Trente jours plus tard elle est autorisée à parler. Elle est filmée. La caméra insiste sur son bras tatoué ‘‘ we will dance again 7.10.2023’’. Puis on la voit se déhancher « au festival techno proche de Gaza quand les terroristes du Hamas surgissent ». Images de voitures et de personnes en fuite. Elle témoigne en hébreu. Très à l’aise, comme dans une série télévisée. Pas une fois en français. Elle égrène calmement l’impensable suggère-t-on. Elle confirme : « J’ai vécu un holocauste, j’étais enfermée dans une pièce sombre, on me regardait comme si j’étais un animal, j’avais sans cesse peur qu’on me touche, une fois je me suis effondrée en pleurs, on m’a dit ‘‘ arrête de pleurer où je t’envoie dans les tunnels’’, j’avais peur d’être violée (nous avons pu lire sur un bandeau d’une chaîne de TV française « ils me violaient par leurs regards »), j’avais peur de mourir, tout le monde là-bas est un terroriste » (vidéo France2 in Francetvinfo.fr- 29/12/2023). Le mois dernier elle disait ceci (France24.com, 30/11/2023) :  « Ils s’occupent de moi, ils me donnent des médicaments, tout va bien. » ‘‘Ils’’ sont ses geôliers du Hamas.

Cette jeune fille dont on sait presque tout, ses amis, ses parents, son nom et son prénom, Mia, qui a eu peur d’être violée, peur d’être touchée, qui a même pleuré dans sa prison (une chambre de famille)…, cette jeune fille a ému toute la France médiatique, chienne de garde d’Israël (sauf le respect que je dois à une minorité qui bataille dur contre vents et marées pour le droit à la vie véritable, à la liberté, à la vérité globale, au respect du droit international). Cette jeune fille a ému jusqu’au sommet de l’état français. Monsieur Macron qui parle au nom de tous les Français déclare :  « C’est une grande joie que je partage avec sa famille et tous les Français. » Lui qui, comme les médias chiens de garde d’Israël, n’évoque jamais les Palestiniens que comme des « lots », des groupes, hagards, des groupes informes. Qui donnent envie de rien, pas même de les aider. Même leurs désarrois sont insupportables à entendre. Ils ne parlent jamais avec une voix mielleuse comme celle de Mia, jamais à tête reposée (réglage caméra, balance des blancs, autofocus), en mimant son futur « tortionnaire » (holocauste !) d’ailleurs ils n’ont ni nom ni prénom ces Palestiniens. Et ils braillent ! Que d’enfants, que d’enfants ! Des ombres à suivre de loin. Lorsqu’on les évoque, on montre de loin leurs cadavres entassés sous des couvertures, ou sous les décombres. Ils nous sont tellement éloignés ces gens-là à « nous les Blancs ! »

Il n’y a dans les reportages de propagande ou de complicité des médias Chiens de garde d’Israël jamais d’image de belle jeune fille palestinienne (Dieu sait qu’il y en a !) qui pourrait si on se donnait la peine, parler, assise à même les décombres de sa maison, devant un thé chaud ou une galette, une coupe d’huile d’olive, (attention au réglage de la caméra, des balances), parler calmement, avec sérénité, les yeux dans les yeux, parler des « visages de ceux qui jetteront nos enfants… » et se demander comme Darwich « Où irons-nous après les dernières frontières ? » C’est que leur propre terre, la Terre de Palestine ne les contient plus. Cette jeune palestinienne, si on avait pris la peine et le courage, la bravoure, de s’en approcher, d’écouter son histoire avec une grande H, aurait pu parler de ses pères, grands-pères dépossédés de leur terre, des centaines de milliers de morts du fait de la terreur coloniale depuis 1948, elle aurait donné chacun de leurs nom, leur lieu de naissance, leurs branches, leurs racines. On aurait entendu le vent des plaines et leurs cris de douleurs. On aurait entendu le cri du malheur originel de son peuple, « Falastini ». Cette jeune palestinienne, niée, redoutée, aurait commencé par le grand terroriste devant l’éternel, le héros des colons, Ben Gourion. Elle aurait rapporté le Grande histoire de son peuple, celle que lui ont inculquée ses parents, celle qu’elle rapportera à ses enfants. Il n’y aura rien de tout cela. Les chiens de garde d’Israël se délectent des récits de « Tsahal ». C’est assez et c’est bien ainsi. 

____________ COMPLEMENT ________________

______ CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER UN TÉMOIGNAGE DE MÉDECIN_________________

Il n’y a rien dans leurs reportages, sur l’alerte très récente (la même semaine) de l’agence onusienne ANPA qui s’alarme : « Les femmes enceintes et les nouveau-nés font face à la guerre, au manque d’hôpitaux et maintenant à la famine à Gaza. » (ANPA- Agence des Nations Unies pour la santé). L’ONU s’inquiète dans le vide. Pas une caméra libre pour ces hordes. Les caméra se bousculent autour de Mia. C’est qu’ils tiennent à protéger leurs arrière-cours. Il n’y a rien à ce sujet dans les reportages de propagande ou de complicité des médias Chiens de garde d’Israël. 

En Australie, de l’autre côté du monde, Zena Chamas écrivait ce jeudi 28 décembre ( abc.net /Australie) : « Au milieu d’une guerre qui fait rage, des femmes accoucheraient sur des sols remplis de décombres, subiraient des césariennes d’urgence sans anesthésie ni soulagement de la douleur, et seraient même mortes après l’accouchement en raison du manque de matériel médical. » 

Nous ne saurons rien de ce côté-ci du Monde Blanc de ces femmes qui ne nous ressemblent pas. Car pas jeunes comme Mia, pas blanches, pas comme elle, pas danseuse comme elle. Pas de tatouages (enfin, pas les mêmes). Rien. Ces femmes à même le bitume n’ont juste plus rien que leurs yeux désorbités. Nous ne verrons pas un seul de leurs visages de femmes non blanches, de leurs bébés (les survivants) non blancs. Elles, sont à l’opposé, de l’autre côté du monde blanc, si loin et parmi nous pourtant. 

Avec cette guerre contre les Palestiniens, cette énième guerre, Le Nord définitivement perdu son honneur. Israël avec lui. Un autre monde l’a bien compris. Il se consolide. Les chiens de garde aboient dans un vide de plus en plus grand. Ils commencent à s’en rendre compte à mots voilés. Mais il est trop tard. Les noms de ces chiens seront écrits à l’encre indélébile sur les murs de l’ignominie.

__________________________________

Lire également ici, article australien sur les hôpitaux à Gaza et la détresse des femmes _ CLIQUER ICI

_______________________________________

Gaza, où meurt notre humanité

PROCHE ET MOYEN-ORIENT

PARTI PRIS/ Edwy Plenel, in MEDIAPART, 7 décembre 2023

Gaza, où meurt notre humanité

Ce n’est pas seulement une humanité concrète, celle des vies irrémédiablement perdues, qui se meurt au Proche-Orient. C’est l’idée même d’une humanité commune que ruine la vengeance sans frein ni limites de l’État d’Israël contre la population palestinienne de Gaza en riposte au massacre commis par le Hamas.

Edwy Plenel

7 décembre 2023

Pense Pense aux autres, est le titre et le refrain d’un célèbre poème de Mahmoud Darwich (1941-2008), sans doute le plus grand poète arabe de notre modernité tant son œuvre ne se réduit pas à la cause palestinienne dont il fut le chantre (son œuvre est traduit en français par Elias Sanbar).

« Quand tu mènes tes guerres, pense aux autres. / (N’oublie pas ceux qui réclament la paix.) », dit sa deuxième strophe. Ce poème est aussi un témoignage car Darwich a grandi dans la conscience de ce souci de l’autre, fût-il ennemi, ayant vécu en Israël jusqu’en 1970, appris l’hébreu comme sa première langue étrangère et découvert dans cette langue la littérature européenne.

Penser aux autres. Ne pas s’enfermer dans une identité close. Ne pas laisser l’émotion détruire l’empathie. Ne pas barbariser l’autre au risque de se barbariser soi-même. Ne pas renoncer à cette élémentaire sensibilité où s’exprime notre souci du monde et du vivant. Or c’est peu dire qu’en France, la scène politique et médiatique n’y incite pas, voire s’y refuse.

Un refus qui peut aller jusqu’à l’ignominie puisqu’on a pu entendre une éditorialiste faire le tri entre des enfants morts selon qu’ils aient été tués « délibérément » (en Israël, dans l’attaque du 7 octobre) ou tués « involontairement » (à Gaza sous les bombes, depuis). La compassion pour les premiers, proclamés victimes de la barbarie, est à la mesure de la déshumanisation des seconds, décrétés tués par la civilisation.

Contribuant à invisibiliser la durable injustice faite au peuple palestinien, tant qu’Israël en occupe et colonise les territoires (en violation depuis 1967 des résolutions de l’ONU) et que ses gouvernants lui refusent le droit de vivre dans un État souverain (en violation des accords d’Oslo de 1993), le discours qui nourrit cette insensibilité fait comme si l’histoire s’était arrêtée le 7 octobre 2023, avec les massacres commis par les combattants du Hamas qui ont fait 1 200 victimes. 

Brandi en présent monstrueux, sans passé ni futur, sans cause ni issue, cet événement terrifiant devient, pour les gouvernants d’Israël et leurs alliés, l’alibi de leur aveuglement. Organisée par la propagande étatique israélienne, la projection des images des tueries du 7 octobre, attestant de crimes de guerre, sert de justification à une riposte qui, elle-même, viole les lois de la guerre, transformant la contre-attaque militaire face au Hamas en une vengeance meurtrière indistincte contre la population palestinienne de Gaza.

Jamais, depuis la Seconde Guerre mondiale, autant de civils (15 800 morts au récent décompte réalisé par le gouvernement du Hamas), de familles entières, de femmes et d’enfants, de soignant·es et d’humanitaires, de journalistes et de professionnel·les des médias – au moins 56 tué·es, soit plus d’un par jour d’offensive israélienne –, etc., n’ont perdu la vie dans un conflit armé en si peu de temps et sur un si petit territoire.

Jamais, non plus, un tel déplacement forcé de population, dans des conditions sanitaires et humanitaires catastrophiques, ne s’est produit dans cette même unité de temps et de lieu. Environ 1,9 million de personnes, soit 80 % de la population gazaouie, ont dû fuir, quittant leurs habitations, abandonnant leurs biens, perdant leurs repères pour devenir des réfugié·es et des exilé·es. Une fuite sans répit et sans abri puisque, désormais, l’armée israélienne attaque le sud de la bande de Gaza vers lequel ces foules ont convergé.

À cette échelle de violence, il ne s’agit pas de dommages collatéraux mais bel et bien d’une stratégie guerrière qui s’en prend au peuple tout entier dont est issu l’ennemi particulier visé : but de guerre proclamé par Israël, l’anéantissement du Hamas est devenu sous nos yeux la destruction de la bande de Gaza, de ses villes, de son histoire et de sa sociabilité, de son passé et de son futur, de ses lieux de vie et de travail. Avec pour conséquence ultime, l’effacement de son peuple, expulsé de sa propre terre.

Entre désespoir et colère, la sidération qu’exprime l’ensemble des organisations internationales, sans en excepter une seule, qu’il s’agisse des agences onusiennes telle l’UNRWA ou des ONG comme Médecins sans frontières, est à la mesure de cette catastrophe inédite. « Nous sommes proches de l’heure la plus sombre de l’humanité », n’hésite pas à déclarer le responsable de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les Territoires palestiniens occupés.

Solennelle et inhabituelle, tant la neutralité du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) lui enjoint d’ordinaire le silence, la récente prise de parole publique de sa présidente, Mirjana Spoljaric, lance la même alarme : « Le niveau de souffrance humaine est intolérable. Il est inacceptable que les civils n’aient aucun endroit sûr où aller à Gaza et, avec un siège militaire en place, il n’y a pas non plus de réponse humanitaire adéquate possible à l’heure actuelle. »

Confronté à la complicité, et donc à l’inaction, des alliés occidentaux d’Israël, au premier chef les États-Unis, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, essaye, en vain jusqu’ici, de secouer leur indifférence. Pour la première fois depuis le début de son mandat en 2017, il vient d’invoquer l’article 99 de la Charte des Nations unies qui lui donne le droit d’attirer « l’attention du Conseil de sécurité sur toute question qui, à son avis, pourrait menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». Un recours justifié, selon le porte-parole de l’ONU, par « l’ampleur des pertes en vies humaines en si peu de temps ».

L’Occident est en train de perdre le monde à force de prétention et d’ignorance.

Répétition de la politique de la peur qui inspira la réponse des États-Unis aux attaques terroristes du 11 septembre 2001, la stratégie israélienne est une perdition morale. Quels que soient les succès militaires revendiqués par Israël, ils finiront par signer sa défaite politique et diplomatique. Car, loin de garantir la sécurité de son peuple, ils l’entraîneront dans une guerre sans fin. Comment imaginer qu’Israël puisse vivre durablement au Proche-Orient en s’imaginant place forte d’un Occident dominateur, méprisant tous les peuples alentour ? D’un Occident qui, de plus, est en train de perdre le monde à force de prétention et d’ignorance.

Précédée de mensonges éhontés et accompagnée de violations infinies des droits humains jusqu’à la légitimation officielle de la torture, la riposte américaine au 11-Septembre n’a fait qu’accroître la dangerosité internationale, ravageant des États souverains, suscitant de nouveaux terrorismes, humiliant des peuples entiers et fédérant leur ressentiment durable. Le tout au grand bénéfice de la Chine et de la Russie qui, pour l’une, s’est hissée au rang de deuxième et potentiellement première puissance économique mondiale, tandis que l’autre renouait avec une logique impériale agressive, de la Syrie à l’Ukraine, en passant par le continent africain.

Loin des idéaux démocratiques dont se paraient les États-Unis tout en les piétinant, leur intervention n’a aucunement aidé les peuples concernés à gagner en liberté et en démocratie. C’est même radicalement l’inverse. Au résultat final, après le retrait piteux des troupes américaines, les talibans sont de retour au pouvoir en Afghanistan depuis 2021, au désespoir, notamment, des femmes afghanes.

Cible prioritaire de leur prétention à réorganiser la région, la République islamique d’Iran n’a cessé d’accroître son influence géopolitique, d’Irak en Syrie, du Liban au Yémen, sans oublier Gaza via le Hamas, tandis que la théocratie qui la dirige réprime les espérances émancipatrices des Iranien·nes.

Enfin, l’Arabie saoudite, monarchie religieuse qui fut le terreau idéologique d’Al-Qaïda, n’est nullement inquiétée pour ses violations des droits humains mais, en revanche, s’imagine plus que jamais en centre du monde, au point d’avoir été choisie pour accueillir l’Exposition universelle de 2030.

Le « coup d’État identitaire » de Benyamin Nétanyahou

À deux décennies de distance, la réaction israélienne n’est cependant pas qu’une répétition de l’aveuglement américain. Elle l’aggrave, au risque d’égarer la planète tout entière, par sa démesure idéologique. Le pouvoir politique qui dirige aujourd’hui Israël et qui par conséquent mène cette guerre, incarne en effet une rupture radicale, ayant poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes l’infernale logique identitaire de la colonisation, de supériorité des civilisations et de hiérarchie des humanités.

Sous le règne de Benyamin Nétanyahou (au pouvoir sans discontinuer depuis 2009, à l’exception d’un bref intermède en 2021-2022), l’idéologie nationaliste religieuse a pris les commandes de l’État d’Israël avec un « coup d’État identitaire » comme l’a écrit le journaliste Charles Enderlin. Depuis 2018, une loi fondamentale, soit le plus haut degré possible en l’absence de Constitution, définit Israël comme le « foyer national du peuple juif » sans aucune référence au principe démocratique de l’égalité des droits.

Légitimant une suprématie identitaire qui discrimine les minorités arabe et druze, elle rompt avec la déclaration d’indépendance de 1948 qui enjoignait à Israël d’assurer « une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ». Loin d’une embardée démagogique, cette radicalisation idéologique marque l’installation aux commandes de l’État d’Israël de forces politiques assumant une rupture avec toute vision universaliste : pas d’égalité naturelle, pas de droit international, pas d’humanité commune.

Pis, cette idéologie est destinée à l’exportation, comme en témoigne la notoriété auprès des droites extrêmes états-unienne et européennes de son théoricien et propagandiste, l’Israélo-Américain Yoram Hazony, auteur d’un best-seller traduit dans une vingtaine de langues, Les Vertus du nationalisme. Ce n’est rien de moins qu’un recyclage contemporain du nationalisme intégral de Charles Maurras, l’antisémitisme en moins, dont l’édition française est préfacée par un propagandiste d’extrême droite, Gilles-William Goldnadel.

Dénonçant le « fanatisme de l’universel » et « l’internationalisme libéral », ce plaidoyer pour l’avènement d’un « ordre des États nationaux » entend mettre fin aux valeurs supranationales promues par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, dans la conscience que des États-nations pouvaient devenir les pires ennemis du genre humain. Ce nationalisme radical implique que les nations ne doivent avoir de comptes à rendre qu’à elles-mêmes, refusant « de transférer les pouvoirs du gouvernement à des institutions universelles ».

« Nous ne devrions pas tolérer que la moindre parcelle de notre liberté soit transmise à des institutions étrangères, quelle qu’en soit la raison, écrit Yoram Hazony. Il en va de même par rapport aux lois qui ne sont pas celles de notre propre nation. » Ce rejet de tout principe universel accompagne une conception ethnique de la nation, revendiquant son « homogénéité interne » face aux « minorités nationales et tribales » dont les revendications pourraient la défaire.

La page ouverte en 1948, en même temps que naissait Israël, d’une humanité commune régie par des principes universels opposables aux États-nations serait ainsi refermée. Il ne s’agit rien de moins que d’un retour en arrière jusqu’aux causes mêmes de la catastrophe européenne puis mondiale, ces nationalismes égoïstes, oppresseurs et dominateurs dont les peuples, dans la première moitié du XXe siècle, ont subi les ravages et les crimes, jusqu’à celui de génocide, tant fascisme et nazisme en furent les produits extrêmes.

À l’urgence humanitaire qui, pour le sort des Palestinien·nes comme des Israélien·nes, exige un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza, s’ajoute donc un impératif politique qui concerne toute la communauté internationale si, du moins, elle existe encore : mettre un coup d’arrêt à cette fuite en avant guerrière et identitaire où se meurt notre humanité.

Edwy Plenel

À LIRE ÉGALEMENT ICI_ CLIQUER

_______________________________

« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl

Chers amis, à partir de lundi 27 novembre, après-demain, j’entamerai la publication d’un long article (par séquence de deux pages word par jour, jusqu’à son épuisement). Il s’agit de la recension d’un des plus importants romans ou romans philosophiques, qui a bouleversé la littérature. C’est « un chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… un chef d’œuvre de la pensée » dit de lui Jean-Baptiste Brenet, le grand spécialiste de la philosophie arabe et latine et professeur à l’université Panthéon-Sorbonne.

Le livre que je vous présenterai dès ce lundi s’intitule « Hayy ben Yaqdhân ». Il a été écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl un philosophe andalou astronome, également médecin, mathématicien…Les photos montrent la documentation qui m’a aidé à préparer (trois mois) la recension. Soyez prêt dès lundi, sur mon mur FB, mais également ici.

Lundi 27 novembre 2023

Bonjour à tous,

Ainsi que je l’écrivais précédemment, voici le premier post d’un long article consacré à l’un des plus importants romans, de ceux qui ont bouleversé la littérature universelle. C’est « un chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… un chef d’œuvre de la pensée tout court » a écrit Jean-Baptiste Brenet, le grand spécialiste de la philosophie arabe et latine et professeur à l’université Panthéon-Sorbonne. « Hayy ben Yaqdhân » est le titre du livre dont il est question. Il a été écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl Abou Bakr Mohammed, un philosophe andalou de Guadix qui fut par ailleurs secrétaire de gouverneur, astronome, médecin, professeur (de médecine), mathématicien… voici donc la première des dix-huit parties de ma recension.

________________________

« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 27.11.2023- 1/18

« Hayy ben Yaqdhân » (ou Ibn Yaqdhân) est un « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… c’est-à-dire de la pensée tout court », « le premier roman philosophique dans l’histoire de la littérature ». C’est un texte écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl, un philosophe andalou. Il est aussi connu sous ces variantes « Vivant fils de l’éveillé »« L’éveillé fils du vigilant »« Le philosophe autodidacte »« Le philosophe sans maître. » Avant d’analyser son œuvre, intéressons-nous à l’auteur.

Ibn Thufaïl, Abou Bakr Mohammed ben Âbd el-Malik ben Mohammed ben Tofaïl el-Qāïci, est né en 1110 à Wadi Âïch/Guadix à l’est de Grenade sous le premier empire berbère, el-Mourabitoun (les almoravides), en crise « qui s’est disloqué aussi vite qu’il a été formé ». L’auteur est connu sous le nom d’Abi Bakr Ben Tofaïl, Abou Djâfar, Abou Bakr el-Andaloussi,  Aboubacer ( ne pas confondre avec Avempace, Ibn Bajja, dit Aboubacer dont il fut « en un certain sens » un disciple)… On écrit son nom indifféremment ben Thofeil, Ibn Thofaïl, ou Ibn (ou Ben) Tofaïl, Tufayl, Thufaïl… Ibn Thufaïl a été influencé par Al Fârâbi et plus par Ibn Sina (Avicenne). Il a été contemporain de Ibn Bajja, Hafsa, Abdelmoumen, Ibn Arabi, Ibn Toumert, Ibn Rochd (Averroès) Omar Khayam, Ibn Zuhr (Avenzoar) et également d’Alain de L’Isle, Moshe ben Maïmon, Jean de Salisbury…

Sur le plan du pouvoir politique, Ibn Tufayl vécut la première partie de sa vie sous le règne des Almoravides : Ali Ben Youssef,  Ben Ali et Ibrahim, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Youssef Ibn Tachfin. Ibrahim sera tué à Oran. Ibn Thufaïl passera la seconde partie de sa vie, sous le règne des Almohades, Abdelmoumen ben Ali Agoumi, premier calife berbère de 1130 à 1163 et son fils Abu Yacoub Youssef calife de 1163 à sa mort en 1184. Il est connu comme philosophe, mais aussi pour ses travaux sur la médecine, l’astronomie, les mathématiques… 

Ibn Thufaïl a été probablement vizir et certainement premier médecin personnel du deuxième calife de la dynastie almohade, Abou Yacoub Youcef héritier de Abdelmoumen ben Ali Agoumi. Il exerça comme secrétaire du gouverneur de Ceuta à Tanger. C’est lui qui a introduit Ibn Rochd (Averroès) auprès de Abou Yacoub ce « roi philosophe » pour qu’il lui interprète les philosophes grecs, notamment Aristote, et pour qu’il « clarifie » ses écrits. Abou Yacoub se plaignait en effet de « l’obscurité du style » d’Aristote (~384-~322). Ibn Rochd fera beaucoup plus que clarifier, notamment avec ses divers Commentaires grands et moyens, et avec son ouvrage « L’Accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. »(lire notre article « Ibn Rochd al-Qortobi, in Le Quotidien d’Oran, 8 avril 2021). C’est sur les conseils avisés d’Ibn Thufaïl que le calife Abou Yacoub Youcef fera d’Ibn Rochd son médecin personnel après le retrait en 1182 d’Ibn Thufaïl. « Ibn Rochd et Ibn Thufaïl, écrit Charles-André Julien, exercèrent sur la philosophie médiévale une influence qui gagna même la chrétienté. » Ibn Thufaïl meurt en 1185 à Marrakech. C’est le calife Abu Youssef Yacoub (fils de Youssef) qui préside à ses funérailles. Cet État berbère almohade est alors « le plus civilisé de l’époque ».

Venons maintenant à l’ouvrage « Hayy Ibn Yaqdhân », le vivant fils de l’éveillé. 

 (à suivre)

PALESTINE/ISRAËL

L’HISTOIRE SAUTE AUX YEUX, ELLE EST SIMPLE CONTRAIREMENT À CEUX QUE RÉPÈTENT LES MÉDIAS PRO SIONISTES EUROPÉENS, ILS PRÉFÈRENT QU’ON DISE (PRO) ISRAÉLIENS

___________________________________________

___________________________________________

ÉCOUTEZ :

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER, VOIR

___________________________________________

Craig Mokhiber, ex-directeur du bureau de New York du Haut Commissariat aux droits humains, démissionne via cette lettre adressée au Haut Commissaire des Nations Unies, Volker Turk, le 28 octobre dernier, pour protester contre la timidité de certains éléments clés du système de l’ONU sur les questions relatives aux droits de l’homme des Palestinien.ne.s. Mokhiber travaille pour les Nations Unies depuis 1992 et a travaillé auparavant comme conseiller en matière de droits de l’homme en Afghanistan et dans les territoires palestiniens occupés.

Ci-dessous, la traduction de sa lettre de démission en français.

agencemediapalestine.fr

________________________

À Volker Turk, Haut Commissaire aux droits humains de l’ONU

Palais Wilson, Genève

Le 28 octobre 2023

Monsieur le Haut Commissaire, 

Il s’agit de ma dernière communication officielle en tant que directeur du bureau de New York du Haut Commissaire aux droits de l’homme.

Je vous écris à un moment de grande angoisse pour le monde, y compris pour beaucoup de nos collègues. Une fois de plus, nous assistons à un génocide qui se déroule sous nos yeux, et l’Organisation que nous servons semble impuissante à l’arrêter. J’enquête sur les droits de l’homme en Palestine depuis les années 1980; j’ai vécu à Gaza en tant que conseiller des Nations Unies pour les droits de l’homme dans les années 1990, et effectué plusieurs missions de défense des droits de l’homme dans le pays avant et depuis cette période. Cette situation m’affecte donc profondément. 

J’ai également travaillé dans nos lieux d’intervention lors des génocides contre les Tutsis, les musulman.e.s bosniaques, les Yazidis et les Rohingyas. Dans chaque cas, lorsque la poussière est retombée sur les horreurs perpétrées contre des populations civiles sans défense, il est devenu douloureusement clair que nous avions manqué à notre devoir de répondre aux impératifs de prévention des atrocités de masse, de protection des personnes vulnérables et à notre obligation de rendre des comptes aux auteurs de ces actes. Il en a été de même avec les vagues successives de meurtres et de persécutions à l’encontre des Palestinien.ne.s depuis la création des Nations Unies.

Monsieur le Haut Commissaire, nous échouons à nouveau.

En tant qu’avocat spécialisé dans les droits de l’homme, fort d’une expérience de plus de trente ans dans ce domaine, je sais bien que le concept de génocide a souvent fait l’objet d’abus politiques. Mais le massacre actuel du peuple palestinien, enraciné dans une idéologie coloniale ethno-nationaliste, dans des décennies de persécution et d’épuration systématiques avec comme unique prétexte leur identité arabe, et associé à des déclarations d’intention explicites de la part des dirigeant.e.s du gouvernement et de l’armée israéliens, ne laisse place ni au doute ni au débat. À Gaza, les maisons de la population civile, les écoles, les églises, les mosquées et les établissements médicaux sont attaqués sans raison et des milliers de civil.e.s sont massacré.e.s. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem occupée, les maisons sont saisies et réaffectées en fonction de la race, et de violents pogroms de colons sont accompagnés par des unités militaires israéliennes. Dans tout le pays, l’apartheid règne.

Il s’agit d’un cas typique de génocide.

Le projet colonial européen, ethno-nationaliste, de colonisation de la Palestine, est entré dans sa phase finale, laquelle vise la destruction accélérée des derniers vestiges de la vie palestinienne indigène en Palestine. Qui plus est, les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni et d’une grande partie de l’Europe sont totalement complices de cet horrible assaut. Non seulement ces gouvernements refusent de s’acquitter de leurs obligations conventionnelles « d’assurer le respect » des conventions de Genève, mais ils arment activement les assaillants, fournissent un soutien économique et des renseignements, et couvrent politiquement et diplomatiquement les atrocités commises par Israël.

De même, les médias occidentaux, de plus en plus captifs et liés à leurs États respectifs, violent ouvertement l’article 20 du ICCPR (Pacte international relatif aux droits civils et politiques). Ils déshumanisent en permanence les Palestinien.ne.s pour faciliter le génocide. Ils diffusent de la propagande pro-guerre et des appels à la haine nationale, raciale ou religieuse — une incitation à la discrimination, à l’hostilité et à la violence. Les entreprises de médias sociaux basées aux États-Unis étouffent les voix des défenseurs.euses des droits de l’homme tout en amplifiant la propagande pro-israélienne. Les trolls en ligne du lobby israélien et les GONGOS (ONGs organisées par les gouvernements pour assurer leurs intérêts) harcèlent et salissent les défenseurs.euses des droits de l’homme, et les universités et employeurs.euses occidentaux.ales collaborent avec eux pour punir ceux et celles qui osent élever leur voix contre ces atrocités. À la suite de ce génocide, ces acteurs.tices devront également rendre des comptes, comme ce fut le cas pour la radio des Milles Collines au Rwanda.

Dans de telles circonstances, notre organisation est plus que jamais appelée à agir de manière efficace et en accord avec nos principes de base. Mais nous n’avons pas relevé le défi. Le pouvoir de protection qui revient normalement au Conseil de sécurité a de nouveau été bloqué par l’intransigeance des États-Unis, le Secrétaire Général est attaqué pour la moindre protestation, et nos mécanismes pour la défense des droits de l’homme font l’objet d’attaques calomnieuses soutenues par un réseau en ligne organisé pour en assurer l’impunité.

Des décennies de distraction par les promesses illusoires, et pour la plupart fourbes, d’Oslo ont détourné l’ONU de son devoir essentiel de défense du droit international, des droits humains et de la Charte elle-même. Le mantra de la « solution à deux États » est devenu ouvertement une plaisanterie dans les couloirs de l’ONU, à la fois pour la réelle impossibilité absolue de sa réalisation et pour son complet manquement à tenir compte des droits humains inaliénables du peuple palestinien. Le soi-disant « Quartet » n’est plus qu’une feuille de vigne pour dissimuler l’inaction et la soumission à un statu quo brutal. La déférence (formulée par les États-Unis) aux « accords entre les parties elles-mêmes » (au lieu qu’au droit international) a toujours été une légèreté transparente, destinée à renforcer le pouvoir d’Israël sur les droits des Palestinien.ne.s occupé.e.s et dépossédé.e.s de leur bien.

Monsieur le Haut Commissaire, je suis arrivé dans cette Organisation dans les années 1980, et j’y ai trouvé une institution fondée sur des principes et des normes qui était résolument du côté des droits humains, y compris dans les cas où les puissants — les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Europe — n’étaient pas de notre côté. Alors que mon propre gouvernement, ses institutions subsidiaires et une grande partie des médias américains soutenaient ou justifiaient encore l’apartheid sud-africain, l’oppression israélienne et les escadrons de la mort en Amérique centrale, les Nations Unies défendaient les peuples opprimés de ces pays. Nous avions le droit international de notre côté. Nous avions les droits humains de notre côté. Nous avions les principes de notre côté. Notre autorité était ancrée dans notre intégrité. Mais ce n’est plus le cas.

Au cours des dernières décennies, des éléments clés des Nations Unies, cédant au pouvoir des États-Unis et à leur peur du lobby israélien, ont abandonné ces principes et ont tourné le dos au droit international lui-même. Nous avons beaucoup perdu lors de cet abandon, notamment notre crédibilité mondiale. Mais c’est le peuple palestinien qui en a subi les plus grandes pertes du fait de nos échecs. L’ironie de l’histoire veut que la Déclaration universelle des droits de l’homme ait été adoptée l’année même où la Nakba a été perpétrée contre le peuple palestinien. Alors que nous commémorons le 75e anniversaire de la DUDH (Déclaration universelle des droits de l’homme), nous ferions bien d’abandonner le vieux cliché selon lequel la DUDH est née des atrocités qui l’ont précédée, et d’admettre qu’elle est née en même temps que l’un des génocides les plus atroces du XXème siècle, celui de la destruction de la Palestine et de son peuple. D’une certaine manière, les auteurs de la Déclaration promettaient les droits humains à tout le monde, sauf au peuple palestinien. Que l’on se souvienne aussi que les Nations Unies sont entachées du péché originel d’avoir facilité la dépossession du peuple palestinien en ratifiant le projet colonial européen: s’emparer des terres palestiniennes pour les remettre aux colons. Nous avons beaucoup à expier.

Mais la voie de l’expiation est claire. Nous avons beaucoup à apprendre de la position de principe adoptée ces derniers jours dans des villes du monde entier, où des masses de gens s’élèvent contre le génocide, même au risque d’être battu.e.s et arrêté.e.s. Les Palestinien.ne.s et leurs allié.e.s, les défenseurs.euses des droits humains de tous bords, les organisations chrétiennes et musulmanes et les voix juives progressistes qui clament « pas en notre nom », montrent tous la voie. Il ne nous reste plus qu’à les suivre.

Hier, à quelques rues d’ici, la gare Grand Central de New York a été envahie par des milliers de défenseurs.euses juifs.ves des droits de l’homme, solidaires du peuple palestinien et exigeant la fin de la tyrannie israélienne (et risquant, pour beaucoup, d’être arrêté.e.s). Ce faisant, ils.elles ont éliminé en un instant l’argument de la hasbara (propagande) israélienne (et le vieux trope antisémite) selon lequel Israël représente en quelque sorte le peuple juif. Ce n’est pas le cas. Israël, en tant que tel, est seul responsable de ses crimes. Sur ce point, il convient de répéter, malgré les calomnies du lobby israélien, que d’attirer l’attention sur des violations des droits humains par Israël n’est pas antisémite, pas plus que la critique des violations saoudiennes n’est islamophobe, ou que la condamnation des violations au Myanmar n’est anti-bouddhiste ou que celle des violations indiennes n’est anti-hindou. Lorsqu’ils cherchent à nous faire taire par des calomnies, nous devons élever la voix, et non baisser le ton. J’espère que vous conviendrez, Monsieur le Haut Commissaire, que c’est ce que signifie dire la vérité au pouvoir.

Malgré tout, je trouve également de l’espoir dans les secteurs des Nations Unies qui ont refusé de compromettre les principes de l’Organisation en matière de droits humains, malgré les énormes pressions exercées en ce sens. Nos rapporteurs.rices spéciaux.ales indépendant.e.s, nos commissions d’enquête et nos expert.e.s des corps de traités, ainsi que la plupart des membres de notre personnel, ont continué à défendre les droits du peuple palestinien, alors même que d’autres secteurs des Nations Unies (même au plus haut niveau) ont honteusement courbé l’échine devant le pouvoir. En tant que gardien des normes et standards en matière de droits humains, le HCDH (Haut Commission pour les droits de l’homme) a le devoir particulier de défendre ces normes. Notre tâche, je crois, est de faire entendre notre voix, celle du Secrétaire général jusqu’à celle de la dernière recrue des Nations Unies, horizontalement dans l’ensemble des Nations Unies, en insistant que les droits humains du peuple palestinien ne sauraient faire l’objet d’aucun débat, d’aucune négociation,  d’aucun compromis, où que ce soit sous le drapeau bleu de l’ONU.

À quoi ressemblerait donc une position fondée sur les normes de l’ONU ? À quoi travaillerions-nous si nous étions fidèles à nos admonestations rhétoriques sur les droits humains et l’égalité pour tous et pour toutes, sur la responsabilité qu’incombe aux auteurs, sur la réparation pour les victimes et la protection des personnes vulnérables et sur la nécessité de rendre le pouvoir à ceux et celles qui voient leurs droits bafoués — le tout dans le cadre de l’État de droit ? La réponse, je crois, est simple : si nous avons la lucidité de voir au-delà des écrans de fumée propagandistes qui déforment la vision de la justice à la promotion de laquelle nous avons prêté serment, le courage d’abandonner la peur et la déférence à l’égard des États puissants, et la volonté d’élever la bannière des droits humains et de la paix. Certes, il s’agit d’un projet à long terme et un chemin dont la montée est raide. Mais nous devons commencer maintenant, ou sinon nous abandonner à une horreur indicible. Je vois dix points essentiels :

1. Une action légitime : Premièrement, nous devons, au sein des Nations Unies, abandonner le paradigme d’Oslo, qui a échoué (et qui est en grande partie fallacieux), sa solution illusoire à deux États, son Quartet impuissant et complice, et sa soumission du droit international aux diktats d’une opportunisme politique au nom d’une supposée efficacité. Nos positions doivent être fondées sans équivoque sur les droits humains et le droit international.

2. Une vision claire : Nous devons cesser de prétendre qu’il s’agit d’un simple conflit territorial ou religieux entre deux parties belligérantes et admettre la réalité de la situation, à savoir qu’un État au pouvoir disproportionné colonise, persécute et dépossède une population indigène sur la base de son appartenance ethnique.

3. Un État unique fondé sur les droits humains : Nous devons soutenir l’établissement d’un État unique, démocratique et laïque dans toute la Palestine historique, avec des droits égaux pour les chrétien.ne.s, les musulman.e.s et les juifs.ves. Cela nécessite, en conséquence, le démantèlement du projet colonialiste profondément raciste et la fin de l’apartheid sur tout le territoire.

4. Lutte contre l’apartheid : Nous devons réorienter tous les efforts et toutes les ressources des Nations unies vers la lutte contre l’apartheid, comme nous l’avons fait pour l’Afrique du Sud dans les années 1970, 1980 et au début des années 1990.

5Retour et réparations : Nous devons réaffirmer et insister sur le droit au retour et à l’indemnisation complète de tous les Palestiniens et Palestiniennes et de leurs familles qui vivent actuellement dans les territoires occupés, au Liban, en Jordanie, en Syrie et dans la diaspora.

6Vérité et justice : Nous devons appeler à un processus de justice transitionnelle, en utilisant pleinement les décennies d’enquêtes, d’investigations et de rapports accumulés par l’ONU, afin de documenter la vérité, de mettre devant leurs responsabilités tous les auteurs de ces crimes, d’assurer la réparation de toutes les victimes et remédier aux injustices documentées.

7La protection : Nous devons insister sur le déploiement d’une force de protection de l’ONU dotée de ressources suffisantes et d’un mandat solide pour protéger la population civile où qu’elle se trouve, entre la rivière (Jourdain) et la mer (Méditerranée).

8. Désarmement : Nous devons plaider pour le retrait et la destruction des stocks massifs d’armes nucléaires, chimiques et biologiques d’Israël, de peur que le conflit ne conduise à la destruction totale de la région et, éventuellement, au-delà.

9. La médiation : Nous devons reconnaître que les États-Unis et les autres puissances occidentales ne sont pas des médiateurs crédibles, mais plutôt des parties au conflit qui sont complices d’Israël dans la violation des droits du peuple palestinien, et nous devons les reconnaître en tant que tels.

10La solidarité: Nous devons ouvrir grand nos portes (et celles du Secrétariat Général) aux légions de défenseurs.euses des droits humains, israélien.ne.s, juifs.ves, musulman.e.s et chrétien.ne.s qui sont solidaires du peuple de Palestine et de ses droits humains, et mettre un terme au flux incontrôlé de lobbyistes israéliens qui cherchent à envahir les bureaux des dirigeant.e.s de l’ONU, où ils prônent la poursuite de la guerre, de la persécution, de l’apartheid et de l’impunité, et dénigrent nos défenseurs.euses des droits humains pour leur défense de principe des droits du peuple palestinien.

Il faudra des années pour y parvenir et les puissances occidentales nous combattront à chaque étape du processus, c’est pourquoi nous devons faire preuve de fermeté. Dans l’immédiat, nous devons œuvrer en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et exiger la fin du siège de Gaza, nous opposer au nettoyage ethnique de Gaza, de Jérusalem et de la Cisjordanie (et d’ailleurs), documenter l’assaut génocidaire à Gaza, contribuer à l’acheminement d’une aide humanitaire massive et à la reconstruction de la Palestine, prendre soin de nos collègues traumatisé.e.s et de leurs familles, et nous battre comme des diables pour une approche fondée sur des principes dans les bureaux politiques de l’ONU.

L’échec de l’ONU en Palestine jusqu’à présent n’est pas une raison pour nous de nous retirer. Au contraire, il devrait nous donner le courage d’abandonner le paradigme du passé qui a échoué, et de nous engager pleinement dans une voie plus fondée sur des principes. En tant que HCDH, rejoignons avec audace et fierté le mouvement anti-apartheid qui se développe dans le monde entier, en ajoutant notre logo à la bannière de l’égalité et des droits humains pour le peuple palestinien. Le monde nous observe. Nous aurons tous et toutes à rendre compte à l’avenir de notre position prise à ce moment crucial de l’histoire. Prenons le parti de la justice.

Je vous remercie, Monsieur le Haut Commissaire Volker, d’avoir écouté ce dernier appel de mon bureau. Dans quelques jours, je quitterai le Bureau pour la dernière fois, après plus de trois décennies de service. Mais n’hésitez pas à me contacter si vous avez besoin de mon aide à l’avenir.

Sincèrement vôtre, 

Craig Mokhiber

JEAN GENÊT raconte les massacres des Palestiniens… en 1982

SAINT JEAN GENÊT

_______________________________________

« À Chatila, à Sabra, des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? » 

(Menahem Begin à la Knesset)

______________________

La commande (la sous-traitance)et le contrôle par Israël de l’extermination des Palestiniens… en septembre 1982, déjà.

Ce récit poignant est de JEAN GENÊT (1910-1986) qui s’est rendu sur place en septembre 1982

————–

16 septembre 1982 : « Quatre heures à Chatila » de Jean Genet

« Du 16 au 18 septembre 1982, l’horreur s’est abattue dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth. Durant plus de 40 heures, près de 3000 Palestiniens ont été décimés par des miliciens phalangistes libanais armés et protégés par les forces d’occupation israéliennes. Un massacre planifié et orchestré par l’armée israélienne. 

En septembre 1982, Jean Genet accompagne à Beyrouth Layla Shahid, devenue présidente de l’Union des étudiants Palestiniens. Le 16 septembre ont lieu les massacres de Sabra et Chatila par les milices libanaises, avec l’active complicité de l’armée israélienne qui vient d’envahir et d’occuper le Liban.

Le 19 septembre, Genet est un des premiers Européens* à pouvoir pénétrer dans le camp de Chatila. Dans les mois qui suivent, il écrit « Quatre heures à Chatila », publié en janvier 1983 dans La Revue d’études palestiniennes.

Ce texte magnifique, réquisitoire implacable contre les responsables de cet acte de barbarie, ne commence pas par évoquer l’horreur du charnier. Il commence par le souvenir des six mois passés dans les camps palestiniens avec les feddayin, dix ans avant le massacre de Sabra et Chatila. Note de la rédaction de la Revue d’études palestiniennes.

« A Chatila, à Sabra, des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? » – Menahem Begin (à la Knesset)

Personne, ni rien, aucune technique du récit, ne dira ce que furent les six mois passés par les feddayin dans les montagnes de Jerash et d’Ajloun en Jordanie, ni surtout leurs premières semaines. Donner un compte rendu des événements, établir la chronologie, les réussites et les erreurs de l’OLP, d’autres l’ont fait. L’air du temps, la couleur du ciel, de la terre et des arbres, on pourra les dire, mais jamais faire sentir la légère ébriété, la démarche au dessus de la poussière, l’éclat des yeux, la transparence des rapports non seulement entre feddayin, mais entre eux et les chefs. Tous, tous, sous les arbres étaient frémissants, rieurs, émerveillés par une vie si nouvelle pour tous, et dans ces frémissements quelque chose d’étrangement fixe, aux aguets, protégé, réservé comme quelqu’un qui prie sans rien dire. Tout était à tous. Chacun en lui-même était seul. Et peut-être non. En somme souriants et hagards. La région jordanienne où ils s’étaient repliés, selon un choix politique, était un périmètre allant de la frontière syrienne à Salt, pour la longueur, délimitée par le Jourdain et par la route de Jerash à Irbid. Cette grande longueur était d’environ soixante kilomètres, sa profondeur vingt d’une région très montagneuse couverte de chênes verts, de petits villages jordaniens et d’une culture assez maigre. Sous les bois et sous les tentes camouflées les feddayin avaient disposé des unités des unités de combattants et des armes légères et semi-lourdes. Une fois sur place, l’artillerie, dirigée surtout contre d’éventuelles opérations jordaniennes, les jeunes soldats entretenaient les armes, les démontaient pour les nettoyer, les graisser, et les remontaient à toute vitesse. Quelques-uns réussissaient l’exploit de démonter et de remonter les armes les yeux bandés afin de pouvoir le réussir la nuit. Entre chaque soldat et son arme s’était établi un rapport amoureux et magique. Comme les feddayin avaient quitté depuis peu l’adolescence, le fusil en tant qu’arme était le signe de la virilité triomphante, et apportait la certitude d’être. L’agressivité disparaissait : le sourire montrait les dents.

Pour le reste du temps, les feddayin buvaient du thé, critiquaient leurs chefs et les gens riches, palestiniens et autres, insultaient Israël, mais parlaient surtout de la révolution, de celle qu’ils menaient et de celle qu’ils allaient entreprendre.
Pour moi, qu’il soit placé dans le titre, dans le corps d’un article, sur un tract, le mot « Palestiniens » évoque immédiatement des feddayin dans un lieu précis – la Jordanie – et à une époque que l’on peut dater facilement : octobre, novembre, décembre 70, janvier, février, mars, avril 1971. C’est à ce moment-là et c’est là que je connus la Révolution palestinienne. L’extraordinaire évidence de ce qui avait lieu, la force de ce bonheur d’être se nomme aussi la beauté.
Il se passa dix ans et je ne sus rien d’eux, sauf que les feddayin étaient au Liban. La presse européenne parlait du peuple palestinien avec désinvolture, dédain même. Et soudain, Beyrouth-Ouest.

***

Une photographie a deux dimensions, l’écran du téléviseur aussi, ni l’un ni l’autre ne peuvent être parcourus. D’un mur à l’autre d’une rue, arqués ou arc-boutés, les pieds poussant un mur et la tête s’appuyant à l’autre, les cadavres, noirs et gonflés, que je devais enjamber étaient tous palestiniens et libanais. Pour moi comme pour ce qui restait de la population, la circulation à Chatila et à Sabra ressembla à un jeu de saute-mouton. Un enfant mort peut quelquefois bloquer les rues, elles sont si étroites, presque minces et les morts si nombreux. Leur odeur est sans doute familière aux vieillards : elle ne m’incommodait pas. Mais que de mouches. Si je soulevais le mouchoir ou le journal arabe posé sur une tête, je les dérangeais.

Rendues furieuses par mon geste, elles venaient en essaim sur le dos de ma main et essayaient de s’y nourrir. Le premier cadavre que je vis était celui d’un homme de cinquante ou soixante ans. Il aurait eu une couronne de cheveux blancs si une blessure (un coup de hache, il m’a semblé) n’avait ouvert le crâne. Une partie de la cervelle noircie était à terre, à côté de la tête. Tout le corps était couché sur une mare de sang, noir et coagulé. La ceinture n’était pas bouclée, le pantalon tenait par un seul bouton. Les pieds et les jambes du mort étaient nus, noirs, violets et mauves : peut-être avait-il été surpris la nuit ou à l’aurore ? Il se sauvait ? Il était couché dans une petite ruelle à droite immédiatement de cette entrée du camp de Chatila qui est en face de l’Ambassade du Koweït. Le massacre de Chatila se fit-il dans les murmures ou dans un silence total, si les Israéliens, soldats et officiers, prétendent n’avoir rien entendu, ne s’être doutés de rien alors qu’ils occupaient ce bâtiment, depuis le mercredi après-midi ?

La photographie ne saisit pas les mouches ni l’odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu’il faut faire quand on va d’un cadavre à l’autre.

Si l’on regarde attentivement un mort, il se passe un phénomène curieux : l’absence de vie dans ce corps équivaut à une absence totale du corps ou plutôt à son recul ininterrompu. Même si on s’en approche, croit-on, on ne le touchera jamais. Cela si on le contemple. Mais un geste fait en sa direction, qu’on se baisse près de lui, qu’on déplace un bras, un doigt, il est soudain très présent et presque amical.

L’amour et la mort. Ces deux termes s’associent très vite quand l’un est écrit. Il m’a fallu aller à Chatila pour percevoir l’obscénité de l’amour et l’obscénité de la mort. Les corps, dans les deux cas, n’ont plus rien à cacher : postures, contorsions, gestes, signes, silences mêmes appartiennent à un monde et à l’autre. Le corps d’un homme de trente à trente-cinq ans était couché sur le ventre. Comme si tout le corps n’était qu’une vessie en forme d’homme, il avait gonflé sous le soleil et par la chimie de décomposition jusqu’à tendre le pantalon qui risquait d’éclater aux fesses et aux cuisses. La seule partie du visage que je pus voir était violette et noire. Un peu plus haut que le genou, la cuisse repliée montrait une plaie, sous l’étoffe déchirée. Origine de la plaie : une baïonnette, un couteau, un poignard ? Des mouches sur la plaie et autour d’elle. La tête plus grosse qu’une pastèque – une pastèque noire. Je demandai son nom, il était musulman.
– Qui est-ce ?
– Palestinien, me répondit en français un homme d’une quarantaine d’années. Voyez ce qu’ils ont fait.

Il tira sur la couverture qui couvrait les pieds et une partie des jambes. Les mollets étaient nus, noirs et gonflés. Les pieds, chaussés de brodequins noirs, non lacés, et les chevilles des deux pieds étaient serrées, et très fortement, par le n ?ud d’une corde solide – sa solidité était visible – d’environ trois mètres de long, que je disposai afin que madame S. (américaine) puisse photographier avec précision. Je demandai à l’homme de quarante ans si je pouvais voir le visage.
– Si vous voulez, mais voyez-le vous-même. Vous voulez m’aider à tourner sa tête ?
– Non.
– L’a-t-on tiré à travers les rues avec cette corde ?
– Je ne sais pas, monsieur.
– Qui l’a lié ?
– Je ne sais pas, monsieur.
– Les gens du commandant Haddad ?
– Je ne sais pas.
– Les Israéliens ?
– Je ne sais pas.
– Vous le connaissiez ?
– Oui.
– Vous l’avez vu mourir ?
– Oui.
– Qui l’a tué ?
– Je ne sais pas.
Il s’éloigna du mort et de moi assez vite. De loin il me regarda et il disparut dans une ruelle de traverse.
Quelle ruelle prendre maintenant ? J’étais tiraillé par des hommes de cinquante ans, par des jeunes gens de vingt, par deux vieilles femmes arabes, et j’avais l’impression d’être au centre d’une rose des vents, dont les rayons contiendraient des centaines de morts.

Je note ceci maintenant, sans bien savoir pourquoi en ce point de mon récit : « Les Français ont l’habitude d’employer cette expression fade « le sale boulot », eh bien, comme l’armée israélienne a commandé le ‘sale boulot’ aux Kataëb, ou aux Haddadistes, les travaillistes ont fait accomplir le ‘sale boulot’ par le Likoud, Begin, Sharon, Shamir. » Je viens de citer R., journaliste palestinien, encore à Beyrouth, le dimanche 19 septembre. »

Au milieu, auprès d’elles, de toutes les victimes torturées, mon esprit ne peut se défaire de cette « vision invisible » : le tortionnaire comment était-il ? Qui était- il ? Je le vois et je ne le vois pas. Il me crève les yeux et il n’aura jamais d’autre forme que celle que dessinent les poses, postures, gestes grotesques des morts travaillés au soleil par des nuées de mouches.

S’ils sont partis si vite (les Italiens, arrivés en bateau avec deux jours de retard, s’enfuirent avec des avions Herculès !), les marines américains, les paras français, les bersaglieri italiens qui formaient une force de séparation au Liban, un jour ou trente-six heures avant leur départ officiel, comme s’ils se sauvaient, et la veille de l’assassinat de Béchir Gemayel, les Palestiniens ont-ils vraiment tort de se demander si Américains, Français, Italiens n’avaient pas été prévenus qu’il faille déguerpir à toutes pompes pour ne pas paraître mêlés à l’explosion de la maison des Kataëb ?

C’est qu’ils sont partis bien vite et bien tôt. Israël se vante et vante son efficacité au combat, la préparation de ses engagements, son habileté à mettre à profit les circonstances, à faire naître ces circonstances. Voyons : l’OLP quitte Beyrouth en gloire, sur un navire grec, avec une escorte navale. Béchir, en se cachant comme il peut, rend visite à Begin en Israël. L’intervention des trois armes (américaine, française, italienne) cesse le lundi. Mardi Béchir est assassiné. Tsahal entre à Beyrouth-Ouest le mercredi matin. Comme s’ils venaient du port, les soldats israéliens montaient vers Beyrouth le matin de l’enterrement de Béchir. Du huitième étage de ma maison, avec une jumelle, je les vis arriver en file indienne : une seule file. Je m’étonnais que rien d’autre ne se passe car un bon fusil à lunette aurait dû les descendre tous. Leur férocité les précédait.Et les chars derrière eux. Puis les jeeps.Fatigués par une si longue et matinale marche, ils s’arrêtèrent près de l’ambassade de France. Laissant les tanks avancer devant eux, entrant carrément dans le Hamra. Les soldats, de dix mètres en dix mètres, s’assirent sur le trottoir, le fusil pointé devant eux, le dos appuyé au mur de l’ambassade. Le torse assez grand, ils me semblaient des boas qui auraient eu deux jambes allongées devant eux.

« Israël s’était engagé devant le représentant américain, Habib, à ne pas mettre les pieds à Beyrouth-Ouest et surtout à respecter les populations civiles des camps palestiniens. Arafat a encore la lettre par laquelle Reagan lui fait la même promesse. Habib aurait promis à Arafat la libération de neuf mille prisonniers en Israël. Jeudi les massacres de Chatila et Sabra commencent. Le ‘bain sang’ qu’Israël prétendait éviter en apportant l’ordre dans les camps !… » me dit un écrivain libanais.

« Il sera très facile à Israël de se dégager de toutes les accusations. Des journalistes dans tous les journaux européens s’emploient déjà à les innocenter : aucun ne dira que pendant les nuits de jeudi à vendredi et vendredi à samedi on parla hébreu à Chatila. » C’est ce que me dit un autre Libanais.

La femme palestinienne – car je ne pouvais pas sortir de Chatila sans aller d’un cadavre à l’autre et ce jeu de l’oie aboutirait fatalement à ce prodige : Chatila et Sabra rasés avec batailles de l’Immobilier afin de reconstruire sur ce cimetière très plat – la femme palestinienne était probablement âgée car elle avait des cheveux gris. Elle était étendue sur le dos, déposée ou laissée là sur des moellons, des briques, des barres de fer tordues, sans confort. D’abord j’ai été étonné par une étrange torsade de corde et d’étoffe qui allait d’un poignet à l’autre, tenant ainsi les deux bras écartés horizontaux, comme crucifiés.

Le visage noir et gonflé tourné vers le ciel, montrait une bouche ouverte, noire de mouches, avec des dents qui me semblèrent très blanches, visage qui paraissait, sans qu’un muscle ne bougeât, soit grimacer soit sourire ou hurler d’un hurlement silencieux et ininterrompu. Ses bas étaient en laine noire, la robe à fleurs roses et grises, légèrement retroussée ou trop courte, je ne sais pas, laissait voir le haut des mollets noirs et gonflés, toujours avec de délicates teintes mauves auxquelles répondaient un mauve et un violet semblable aux joues. Étaient-ce des ecchymoses ou le naturel effet du pourrissement au soleil ?
– Est-ce qu’on l’a frappée à coups de crosse ?
– Regardez, monsieur, regardez ses mains.
Je n’avais pas remarqué. Les doigts des deux mains étaient en éventail et les dix doigts étaient coupés comme avec une cisaille de jardinier. Des soldats, en riant comme des gosses et en chantant joyeusement, s’étaient probablement amusés en découvrant cette cisaille et en l’utilisant.
– Regardez, monsieur.
Les bouts des doigts, les phalangettes, avec l’ongle, étaient dans la poussière. Le jeune homme qui me montrait, avec naturel, sans aucune emphase, le supplice des morts, remit tranquillement une étole sur le visage et sur les mains de la femme palestinienne, et un carton rugueux sur ses jambes. Je ne distinguai plus qu’un amas d’étoffe rose et gris, survolé de mouches.

Trois jeunes gens m’entraînent dans une ruelle.
– Entrez, monsieur, nous on vous attend dehors.
La première pièce était ce qui restait d’une maison de deux étages. Pièce assez calme, accueillante même, un essai de bonheur, peut-être un bonheur réussi avait été fait avec des restes, avec ce qui survit d’une mousse dans un pan de mur détruit, avec ce que je crus d’abord être trois fauteuils, en fait trois sièges d’une voiture (peut-être d’une Mercédès au rebut), un canapé avec des coussins taillés dans une étoffe à fleurs de couleurs criardes et de dessins stylisés, un petit poste de radio silencieux, deux candélabres éteints. Pièce assez calme, même avec le tapis de douilles… Une porte battit comme s’il y avait un courant d’air. J’avançais sur les douilles et je poussai la porte qui s’ouvrait dans le sens de l’autre pièce, mais il me fallut forcer : le talon d’un soulier à tige l’empêchait de me laisser le passage, talon d’un cadavre couché sur le dos, près de deux autres cadavres d’hommes couchés sur le ventre, et reposant tous sur un autre tapis de douilles de cuivre. Je faillis plusieurs fois tomber à cause d’elles.

Au fond de cette pièce, une autre porte était ouverte, sans serrure, sans loquet. J’enjambai les morts comme on franchit des gouffres. La pièce contenait, entassés sur un seul lit, quatre cadavres d’hommes, l’un sur l’autre, comme si chacun d’eux avait eu la précaution de protéger celui qui était sous lui ou qu’ils aient été saisis par un rut érotique en décomposition. Cet amas de boucliers sentait fort, il ne sentait pas mauvais. L’odeur et les mouches avaient, me semblait-il, l’habitude de moi. Je ne dérangeais plus rien de ces ruines et de ce calme.

– Dans la nuit de jeudi à vendredi, durant celles de vendredi à samedi et samedi à dimanche, personne ne les a veillés, pensai-je.
Et pourtant il me semblait que quelqu’un était passé avant moi près de ces morts et après leur mort. Les trois jeunes gens m’attendaient assez loin de la maison, un mouchoir sur les narines.

C’est alors, en sortant de la maison, que j’eus comme un accès de soudaine et légère folie qui me fit presque sourire. Je me dis qu’on n’aurait jamais assez de planches ni de menuisiers pour faire des cercueils. Et puis, pourquoi des cercueils ? Les morts et les mortes étaient tous musulmans qu’on coud dans des linceuls. Quels métrages il faudrait pour ensevelir tant de morts ? Et combien de prières. Ce qui manquait en ce lieu, je m’en rendis compte, c’était la scansion des prières.
– Venez, monsieur, venez vite.
Il est temps d’écrire que cette soudaine et très momentanée folie qui me fit compter des mètres de tissu blanc donna à ma démarche une vivacité presque allègre, et qu’elle fut peut-être causée par la réflexion, entendue la veille, d’une amie palestinienne.
– J’attendais qu’on m’apporte mes clés (quelles clés : de sa voiture, de sa maison, je ne sais plus que le mot clés), un vieil homme est passé en courant.
– Où vas-tu ?
– Chercher de l’aide. Je suis le fossoyeur. Ils ont bombardé le cimetière. Tous les os des morts sont à l’air. Il faut m’aider à ramasser les os.

Cette amie est, je crois, chrétienne. Elle me dit encore : « Quand la bombe à vide – dite à implosion – a tué deux cent cinquante personnes, nous n’avions qu’une seule caisse. Les hommes ont creusé une fosse commune dans le cimetière de l’église orthodoxe. On remplissait la caisse et on allait la vider. On a fait le va-et-vient sous les bombes, en dégageant les corps et les membres comme on pouvait. »

Depuis trois mois les mains avaient une double fonction : le jour, saisir et toucher, la nuit, voir. Les coupures d’électricité obligeaient à cette éducation d’aveugles, comme à l’escalade, bi ou tri-quotidienne de la falaise de marbre blanc, les huit étages de l’escalier. On avait dû remplir d’eau tous les récipients de la maison Le téléphone fut coupé quand entrèrent à Beyrouth-Ouest, les soldats israéliens et avec eux les inscriptions hébraïques. Les routes le furent aussi autour de Beyrouth. Les chars Merkeba toujours en mouvement indiquaient qu’ils surveillaient toute la ville et en même temps on devinait leurs occupants effrayés que les chais ne deviennent une cible fixe. Certainement ils redoutaient l’activité de morabitounes et celle des feddayin qui avaient pu rester dans les secteurs de Beyrouth Ouest.

Le lendemain de l’entrée de l’armée israélienne nous étions prisonniers, or il m’a semblé que les envahisseurs étaient moins craints que méprisés ils causaient moins, d’effroi que de dégoût. Aucun soldat ne riait ni ne souriait. Le temps ici n’était certainement pas aux jets de riz ni de fleurs.

Depuis que les routes étaient coupées, le téléphone silencieux, privé de communication avec le reste du monde, pour la première fois de ma vie je me sentis devenir palestinien et haïr Israël.

A la Cité sportive, près de la route Beyrouth-Damas, stade déjà presque détruit par les pilonnages des avions, les Libanais livrent aux officiers israéliens des amas d’armes, paraît-il, toutes détériorées volontairement.

Dans l’appartement que j’occupe, chacun a son poste de radio. On écoute Radio-Kataëb, Radio-Morabitounes, Radio-Amman, Radio-Jérusalem (en français), Radio-Liban. On fait sans doute la même chose dans chaque appartement.

« Nous sommes reliés à Israël par de nombreux courants qui nous apportent des bombes, des chars, des soldats, des fruits, des légumes ; ils emportent en Palestine nos soldats, nos enfants… en un va-et-vient continu qui ne cesse plus, comme, disent-ils, nous sommes reliés à eux depuis Abraham, dans sa descendance, dans sa langue, dans la même origine… » (un feddaï palestinien). « Bref, ajoute-t-il, ils nous envahissent, ils nous gavent, ils nous étouffent et voudraient nous embrasser. Ils disent qu’ils sont nos cousins. Ils sont très attristés de voir qu’on se détourne d’eux. Ils doivent être furieux contre nous et contre eux-mêmes. »

* * *

L’affirmation d’une beauté propre aux révolutionnaires pose pas mal de difficultés. On sait – on suppose – que les enfants jeunes ou des adolescents vivant dans des milieux anciens et sévères, ont une beauté de visage, de corps, de mouvement, de regards, assez proche de la beauté des feddayin. L’explication est peut être celle-ci : en brisant les ordres archaïques, une liberté neuve se fraye à travers les peaux mortes, et les pères et les grand-pères auront du mal à éteindre l’éclat des yeux, le voltage des tempes, l’allégresse du sang dans les veines.

Sur les bases palestiniennes, au printemps de 1971, la beauté était subtilement diffuse dans une forêt animée par la liberté des feddayin. Dans les camps c’était une beauté encore différente, un peu plus étouffée, qui s’établissait par le règne des femmes et des enfants. Les camps recevaient une sorte de lumière venue des bases de combat et quant aux femmes, l’explication de leur éclat nécessiterait un long et complexe débat. Plus encore que les hommes, plus que les feddayin au combat, les femmes palestiniennes paraissaient assez fortes pour soutenir la résistance et accepter les nouveautés d’une révolution. Elles avaient déjà désobéi aux coutumes : regard direct soutenant le regard des hommes, refus du voile, cheveux visibles quelquefois complètement nus, voix sans fêlure. La plus courte et la plus prosaïque de leurs démarches était le fragment d’une avancée très sûre vers un ordre nouveau, donc inconnu d’elles, mais où elles pressentaient pour elles-mêmes la libération comme un bain et pour les hommes une fierté lumineuse. Elles étaient prêtes à devenir à la fois l’épouse et la mère des héros comme elles l’étaient déjà de leurs hommes.

Dans les bois d’Ajloun, les feddayin rêvaient peut-être à des filles, il semble plutôt que chacun dessinât sur lui-même – ou modelât par ses gestes – une fille collée contre lui, d’où cette grâce et cette force – avec leurs rires amusés – des feddayin en armes. Nous n’étions pas seulement dans l’orée d’une pré-révolution mais dans une indistincte sensualité. Un givre raidissant chaque geste lui donnait sa douceur.

Toujours, et tous les jours pendant un mois, à Ajloun toujours, j’ai vu une femme maigre mais forte, accroupie dans le froid, mais accroupie comme les Indiens des Andes, certains Africains noirs, les Intouchables de Tokyo, les Tziganes sur un marché, en position de départ soudain, s’il y a danger, sous les arbres, devant le poste de garde – une petite maison en dur, maçonnée très vite. Elle attendait, pieds nus, dans sa robe noire, galonnée à son rebord et au rebord des manches. Son visage était sévère mais non hargneux, fatigué mais non lassé. Le responsable du commando préparait une pièce à peu près nue, puis il lui faisait signe. Elle entrait dans la pièce. Refermait la porte, mais non à clé. Puis elle sortait, sans dire un mot, sans sourire, sur ses deux pieds nus elle retournait, très droite, jusqu’à Jerash, et au camp de Baq’a. Dans la chambre, réservée pour elle dans le poste de garde, j’ai su qu’elle enlevait ses deux jupes noires, détachait toutes les enveloppes et les lettres qui y étaient cousues, en faisait un paquet, cognait un petit coup à la porte. Remettait les lettres au responsable, sortait, partait sans avoir dit un mot. Elle revenait le lendemain.

D’autres femmes, plus âgées que celle-là, riaient de n’avoir pour foyer que trois pierres noircies qu’elles nommaient en riant, à Djebel Hussein (Amman) : « notre maison ». Avec quelle voix enfantine elles me montraient les trois pierres, et quelquefois la braise allumée en disant, rieuses : « Dârna. » Ces vieilles femmes ne faisaient partie ni de la révolution, ni de la résistance palestinienne : elles étaient la gaieté qui n’espère plus. Le soleil sur elles, continuait sa courbe. Un bras ou un doigt tendu proposait une ombre toujours plus maigre. Mais quel soleil ? Jordanien par l’effet d’une fiction administrative et politique décidée par la France, l’Angleterre, la Turquie, l’Amérique… « La gaieté qui n’espère plus », la plus joyeuse car la plus désespérée. Elles voyaient encore une Palestine qui n’existait plus quand elles avaient seize ans, mais enfin elles avaient un sol. Elles n’étaient ni dessous ni dessus, dans un espace inquiétant où le moindre mouvement serait un faux mouvement. Sous les pieds nus de ces tragédiennes octogénaires et suprêmement élégantes, la terre était ferme ? C’était de moins en moins vrai. Quand elles avaient fui Hébron sous les menaces israéliennes, la terre ici paraissait solide, chacun s’y faisait léger et s’y mouvait sensuellement dans la langue arabe. Les temps passant, il semblait que cette terre éprouvât ceci : les Palestiniens étaient de moins en moins supportables en même temps que ces Palestiniens, ces paysans, découvraient la mobilité, la marche, la course, le jeu des idées redistribuées presque chaque jour comme des cartes à jouer, les armes, montées, démontées, utilisées. Chacune des femmes, à tour de rôle, prend la parole. Elles rient. On rapporte de l’une d’elles une phrase :
– Des héros ! Quelle blague. J’en ai fait et fessé cinq ou six qui sont au djebel. Je les ai torchés. Je sais ce qu’ils valent, et je peux en faire d’autres.

Dans le ciel toujours bleu le soleil a poursuivi sa courbe, mais il est encore chaud. Ces tragédiennes à la fois se souviennent et imaginent. Afin d’être plus expressives, elles pointent l’index à la fin d’une période et elles accentuent les consonnes emphatiques. Si un soldat jordanien venait à passer, il serait ravi : dans le rythme des phrases il retrouverait le rythme des danses bédouines. Sans phrases, un soldat israélien, s’il voyait ces déesses, leur lâcherait dans le crâne une rafale de mitraillette.

* * *

Ici, dans ces ruines de Chatila, il n’y a plus rien. Quelques vieilles femmes, muettes, vite refermées sur une porte où un chiffon blanc est cloué. Des feddayin, très jeunes, j’en rencontrerai quelques-uns à Damas.

Le choix que l’on fait d’une communauté privilégiée, en dehors de la naissance alors que l’appartenance à ce peuple est native, ce choix s’opère par la grâce d’une adhésion non raisonnée, non que la justice n’y ait sa part, mais cette justice et toute la défense de cette communauté se font en vertu d’un attrait sentimental, peut-être même sensible, sensuel ; je suis français, mais entièrement, sans jugement, je défends les Palestiniens. Ils ont le droit pour eux puisque je les aime. Mais les aimerais-je si l’injustice n’en faisait pas un peuple vagabond ?

Les immeubles de Beyrouth sont à peu près tous touchés, dans ce qu’on appelle encore Beyrouth Ouest. Ils s’affaissent de différentes façons : comme un mille-feuilles serré par les doigts d’un King-Kong géant, indifférent et vorace, d’autres fois les trois ou quatre derniers étages s’inclinent délicieusement selon un plissé très élégant, une sorte de drapé libanais de l’immeuble. Si une façade est intacte, faites le tour de la maison, les autres façades sont canardées. Si les quatre façades restent sans fissures, la bombe lâchée de l’avion est tombée au centre et a fait un puits de ce qui était la cage d’escalier et de l’ascenseur.

A Beyrouth-Ouest, après l’arrivée des Israéliens, S. me dit : « La nuit était tombée, il devait être dix-neuf heures. Tout à coup un grand bruit de ferrailles, de ferrailles, de ferrailles. Tout le monde, ma soeur, mon beau-frère et moi, nous courons au balcon. Nuit très noire. Et de temps en temps, comme des éclairs à moins de cent mètres. Tu sais que presque en face de chez nous il y a une sorte de P.C. israélien : quatre chars, une maison occupée par des soldats et des officiers, et des sentinelles. La nuit. Et le bruit de ferrailles qui se rapproche. Les éclairs : quelques torches lumineuses. Et quarante ou cinquante gamins d’environ douze à treize ans qui frappaient en cadence des petits jerricans de fer, soit avec des pierres, soit avec des marteaux ou autre chose. Ils criaient, en le rythmant très fort : Là ilâh illâ Allah, Lâ Kataëb wa lâ yahoud. (11 n’est point de Dieu que Dieu, Non aux Kataëb, non aux juifs.) »

1.         me dit : « Quand tu es venu à Beyrouth et à Damas en 1928, Damas était détruit. Le général Gouraud et ses troupes, tirailleurs marocains et tunisiens, avaient tiré et nettoyé Damas. Qui la population syrienne accusait-elle ?
Moi. – Les Syriens accusaient la France des massacres et des ruines de Damas.

Lui. – Nous accusons Israël des massacres de Chatila et de Sabra. Qu’on ne mette pas ces crimes sur le seul dos de leurs supplétifs Kataëb. Israël est coupable d’avoir fait entrer dans les camps deux compagnies de Kataëb, de leur avoir donné des ordres, de les avoir encouragé durant trois jours et trois nuits, de leur avoir apporté à boire et à manger, d’avoir éclairé les camps de la nuit. »

Encore H., professeur d’histoire. Il me dit : « En 1917 le coup d’Abraham est réédité, ou, si tu veux, Dieu était déjà la préfiguration de lord Balfour. Dieu, disaient et disent encore les juifs, avait promis une terre de miel et de lait à Abraham et à sa descendance, or cette contrée, qui n’appartenait pas au dieu des juifs (ces terres étaient pleines de dieux), cette contrée était peuplée des Cananéens, qui avaient aussi leurs dieux, et qui se battirent contre les troupes de Josué jusqu’à leur voler cette fameuse arche d’alliance sans laquelle les juifs n’auraient pas eu de victoire. L’Angleterre qui, en 1917, ne possédait pas encore la Palestine (cette terre de miel et de lait) puisque le traité qui lui en accorde le mandat n’avait pas encore été signé.
– Begin prétend qu’il est venu dans le pays.
– C’est le titre d’un film : « Une si longue absence ». Ce Polonais, vous le voyez en héritier du roi Salomon ? »

Dans les camps, après vingt ans d’exil, les réfugiés rêvaient de leur Palestine, personne n’osait savoir ni n’osait dire qu’Israël l’avait de fond en comble ravagée, qu’à la place du champ d’orge il y avait la banque, la centrale électrique au lieu d’une vigne rampante.
– On changera la barrière du champ ?
– Il faudra refaire une partie du mur près du figuier.
– Toutes les casseroles doivent être rouillées : toile émeri à acheter.
– Pourquoi ne pas faire mettre aussi l’électricité dans l’écurie ?
– Ah non, les robes brodées à la main c’est fini : tu me donneras une machine à coudre et une à broder.

La population âgée des camps était misérable, elle le fut peut-être aussi en Palestine mais la nostalgie y fonctionnait d’une façon magique. Elle risque de rester prisonnière des charmes malheureux des camps. II n’est pas sûr que cette fraction palestinienne les quitte avec regret. C’est en ce sens qu’un extrême dénuement est passéiste. L’homme qui l’aura connu, en même temps que l’amertume aura connu une joie extrême, solitaire, non communicable. Les camps de Jordanie, accrochés à des pentes pierreuses sont nus, mais à leur périphérie il y a des nudités plus désolées : baraquements, tentes trouées, habitées de familles dont l’orgueil est lumineux. C’est ne rien comprendre au cœur humain que nier que des hommes peuvent s’attacher et s’enorgueillir de misères visibles et cet orgueil est possible car la misère visible a pour contrepoids une gloire cachée.

La solitude des morts, dans le camp de Chatila, était encore plus sensible parce qu’ils avaient des gestes et des poses dont ils ne s’étaient pas occupés. Morts n’importe comment. Morts laissés à l’abandon. Cependant, dans le camp, autour de nous, toutes les affections, les tendresses, les amours flottaient, à la recherche des Palestiniens qui n’y répondraient plus.
– Comment dire à leurs parents, qui sont partis avec Arafat, confiants dans les promesses de Reagan, de Mitterrand, de Pertini, qui les avaient assurés qu’on ne toucherait pas à la population civile des camps ? Comment dire qu’on a laissé massacrer les enfants, les vieillards, les femmes, et qu’on abandonne leurs cadavres sans prières ? Comment leur apprendre qu’on ignore où ils sont enterrés ?

Les massacres n’eurent pas lieu en silence et dans l’obscurité. Éclairées par les fusées lumineuses israéliennes, les oreilles israéliennes étaient, dès le jeudi soir, à l’écoute de Chatila. Quelles fêtes, quelles bombances se sont déroulées là où la mort semblait participer aux joyeusetés des soldats ivres de vin, ivres de haine, et sans doute ivres de la joie de plaire à l’armée israélienne qui écoutait, regardait, encourageait, tançait. Je n’ai pas vu cette armée israélienne à l’écoute et à l’ ?il. J’ai vu ce qu’elle a fait.

A l’argument : « Que gagnait Israël à assassiner Béchir : à entrer à Beyrouth, rétablir l’ordre et éviter le bain de sang. »
– Que gagnait Israël à massacrer Chatila ? Réponse : « Que gagnait-il à entrer au Liban ? Que gagnait-il à bombarder pendant deux mois la population civile : à chasser et détruire les Palestiniens. Que voulait-il gagner à Chatila : détruire les Palestiniens. »

Il tue des hommes, il tue des morts. Il rase Chatila. Il n’est pas absent de la spéculation immobilière sur le terrain aménagé : c’est cinq millions anciens le mètre carré encore ravagé. Mais « propre » ce sera ?…

Je l’écris à Beyrouth où, peut-être à cause du voisinage de la mort, encore à fleur de terre, tout est plus vrai qu’en France : tout semble se passer comme si, lassé, accablé d’être un exemple, d’être intouchable, d’exploiter ce qu’il croit être devenu : la sainte inquisitoriale et vengeresse, Israël avait décidé de se laisser juger froidement.

Grâce à une métamorphose savante mais prévisible, le voici tel qu’il se préparait depuis si longtemps : un pouvoir temporel exécrable, colonisateur comme on ne l’ose guère, devenu l’Instance Définitive qu’il doit à sa longue malédiction autant qu’à son élection.

De nombreuses questions restent posées :
Si les Israéliens n’ont fait qu’éclairer le camp, l’écouter, entendre les coups de feu tirés par tant de munitions dont j’ai foulé les douilles (des dizaines de milliers), qui tirait réellement ? Qui, en tuant, risquait sa peau ? Phalangistes ? Haddadistes ? Qui ? Et combien ?
Où sont passées les armes qui ont fait toutes ces morts ? Et où les armes de ceux i se sont défendus ? Dans la partie du camp que j’ai visitée, je n’ai vu que deux armes anti-char non employées.

Comment sont entrés les assassins dans les camps ? Les Israéliens étaient-ils à toutes les issues commandant Chatila ? En tout cas, le jeudi ils étaient déjà à l’hôpital de Acca, face à une ouverture du camp.

On a écrit, dans les journaux, que les Israéliens sont entrés dans le camp de Chatila dès qu’ils ont connu les massacres, et qu’ils les ont fait cesser aussitôt, donc le samedi. Mais qu’ont-ils fait des massacreurs, qui sont partis où ?

Après l’assassinat de Béchir Gemayel et de vingt de ses camarades, après les massacres, quand elle sut que je revenais de Chatila, madame B., de la haute bourgeoisie de Beyrouth, vint me voir. Elle monta – pas d’électricité – les huit étages l’immeuble – je la suppose âgée, élégante mais âgée.
– Avant la mort de Béchir, avant les massacres, vous aviez raison de me dire que le pire était en marche. Je l’ai vu.
– Ne me dites surtout pas ce que vous avez vu à Chatila, je vous en prie. Mes nerfs sont trop fragiles, je dois les ménager afin de supporter le pire qui n’est pas encore arrivé.
Elle vit, seule avec son mari (soixante-dix ans) et sa bonne dans un grand appartement à Ras Beyrouth. Elle est très élégante. Très soignée. Ses meubles sont de /le, je crois Louis XVI.
– Nous savions que Béchir était allé en Israël. Il a eu tort. Quand on est chef d’état élu, on ne fréquente pas ces gens-là. J’étais sûre qu’il lui arriverait malheur. Mais je ne veux rien savoir. Je dois ménager mes nerfs pour supporter les coups terribles qui ne sont pas encore venus. Béchir devait retourner cette lettre où monsieur Begin l’appelait son cher ami.

La haute bourgeoisie, avec ses serviteurs muets, a sa façon de résister. Madame B. et son mari ne « croient pas tout à fait à la métempsychose ». Que se passera-t-il s’ils renaissent en forme d’Israéliens ?

Le jour de l’enterrement de Béchir est aussi le jour de l’entrée à Beyrouth-Ouest de l’armée israélienne. Les explosions se rapprochent de l’immeuble où nous sommes ; finalement, tout le monde descend à l’abri, dans une cave. Des ambassadeurs, des médecins, leurs femmes, les filles, un représentant de l’ONU au Liban, leurs domestiques.
– Carlos, apportez-moi un coussin.
– Carlos, mes lunettes.
– Carlos, un peu d’eau.

Les domestiques, car eux aussi parlent français, sont acceptés dans l’abri. Il faut peut-être aussi les sauvegarder, leurs blessures, leur transport à l’hôpital ou au cimetière, quelle affaire !

Il faut bien savoir que les camps palestiniens de Chatila et de Sabra, c’est des kilomètres et des kilomètres de ruelles très étroites – car, ici, même les ruelles soin si maigres, si squelettiques parfois que deux personnes ne peuvent avancer que si l’une marche de profil – encombrées de gravats, de parpaings, de briques, de guenilles multicolores et sales, et la nuit, sous la lumière des fusées israéliennes qui éclairaient les camps, quinze ou vingt tireurs, même bien armés, n’auraient pas réussi à faire cette boucherie. Les tueurs ont opéré, mais nombreux, et probablement des escouades de tortionnaires qui ouvraient des crânes, tailladaient des cuisses, coupaient des bras, des mains et des doigts, traînaient au bout d’une corde des agonisants entravés, des hommes et des femmes vivant encore puisque le sang a longtemps coulé des corps, à tel point que je ne pus savoir qui, dans le couloir d’une maison, avait laissé ce ruisseau de sang séché, du fond du couloir où était la mare jusqu’au seuil où il se perdait dans la poussière. Était-ce un Palestinien ? Une femme ? Un phalangiste dont on avait évacué le corps ?

De Paris, surtout si l’on ignore la topographie des camps, on peut en effet douter de tout. On peut laisser Israël affirmer que les journalistes de Jérusalem furent les premiers à annoncer le massacre. En direction des pays arabes et en langue arabe comment le dirent-ils ? En langue anglaise et en français, comment ? Et précisément quand ? Quand on songe aux précautions dont on s’entoure en Occident dès qu’on constate un décès suspect, les empreintes, l’impact des balles, les autopsies et contre-expertises ! A Beyrouth, à peine connu le massacre, l’armée libanaise officiellement prenait en charge les camps et les effaçait aussitôt, les ruines des maisons comme celles des corps. Qui ordonna cette précipitation ? Après pourtant cette affirmation qui courut le monde : chrétiens et musulmans se sont entre-tués, et après que les caméras eurent enregistré la férocité de la tuerie.

L’hôpital de Acca occupé par les Israéliens, en face d’une entrée de Chatila, n’est pas à deux cents mètres du camp, mais à quarante mètres. Rien vu, rien entendu, rien compris ?

Car c’est bien ce que déclare Begin à la Knesset : « Des non-juifs ont massacré des non-juifs, en quoi cela nous concerne-t-il ? »

Interrompue un moment ma description de Chatila doit se terminer. Voici les morts que je vis en dernier, le dimanche, vers deux heures de l’après-midi, quand la Croix-Rouge internationale entrait avec ses bulldozers. L’odeur cadavérique ne sortait ni d’une maison ni d’un supplicié : mon corps, mon être semblaient l’émettre. Dans une rue étroite, dans un redan de mur en arête, j’ai cru voir un boxeur noir assis par terre, rieur, étonné d’être K.O. Personne n’avait eu le courage de lui fermer les paupières, ses yeux exorbités, de faïence très blanche, me regardaient. Il paraissait déconfit, le bras levé, adossé à cet angle du mur. C’était un Palestinien, mort depuis deux ou trois jours. Si je l’ai pris d’abord pour un boxeur nègre, c’est que sa tête était énorme, enflée et noire, comme toutes les têtes et tous les corps, qu’ils soient au soleil ou à l’ombre des maisons. Je passai près de ses pieds. Je ramassai dans la poussière un dentier de mâchoire supérieure que je posai sur ce qui restait des montants d’une fenêtre. Le creux de sa main tendue vers le ciel, sa bouche ouverte, l’ouverture de son pantalon où manquait la ceinture : autant de ruches où les mouches se nourrissaient.

Je franchis un autre cadavre, puis un autre. Dans cet espace de poussière, entre les deux morts, il y avait enfin un objet très vivant, intact dans ce carnage, d’un rose translucide, qui pouvait encore servir : la jambe artificielle, apparemment en matière plastique, et chaussée d’un soulier noir et d’une chaussette grise. En regardant mieux, il était clair qu’on l’avait arrachée brutalement à la jambe amputée, car les courroies qui habituellement la maintenaient à la cuisse, toutes étaient rompues.

Cette jambe artificielle appartenait au deuxième mort. Celui de qui je n’avais vu qu’une jambe et un pied chaussé d’un soulier noir et d’une chaussette grise.

Dans la rue perpendiculaire à celle où j’ai laissé les trois morts, il y en avait un autre. Il ne bouchait pas complètement le passage, mais il se trouvait couché au début de la rue, de sorte que je dus le dépasser et me retourner pour voir ce spectacle : assis sur une chaise, entourée de femmes et d’hommes encore jeunes qui se taisaient, sanglotait une femme – vêtements de femme arabe – qui me parut avoir seize ou soixante ans. Elle pleurait son frère dont le corps barrait presque la rue. Je vins près d’elle. Je regardai mieux. Elle avait une écharpe nouée sous le cou. Elle pleurait, elle se lamentait sur la mort de son frère, à côté d’elle. Son visage était rose – un rose d’enfant, à peu près uniforme, très doux, tendre – mais sans cils ni sourcils, et ce que je croyais rose n’était pas l’épiderme mais le derme bordé par un peu de peau grise. Tout le visage était brûlé. Je ne puis savoir par quoi, mais je compris par qui.

Aux premiers morts, je m’étais efforcé de les compter. Arrivé à douze ou quinze, enveloppé par l’odeur, par le soleil, butant dans chaque ruine, je ne pouvais plus, tout s’embrouillait.

Des maisons éventrées et d’où sortent des édredons, des immeubles effondrés, j’en ai vu beaucoup, avec indifférence, en regardant ceux de Beyrouth-Ouest, ceux de Chatila je voyais l’épouvante. Les mots, qui me sont généralement très vite familiers, amicaux même, en voyant ceux des camps je ne distinguais plus que la haine et la joie de ceux qui les ont tués. Une fête barbare s’était déroulée là : rage, ivresse, danses, chants, jurons, plaintes, gémissements, en l’honneur des voyeurs qui riaient au dernier étage de l’hôpital de Acca.

Avant la guerre d’Algérie, en France, les Arabes n’étaient pas beaux, leur dégaine était lourde, traînassante, leur gueule de travers, et presque soudainement la victoire les embellit, mais déjà, un peu avant qu’elle soit aveuglante, quand plus d’un demi-million de soldats français s’éreintaient et crevaient dans les Aurès et dans toute l’Algérie un curieux phénomène était perceptible, à l’œuvre sur le visage et dans le corps des ouvriers arabes : quelque chose comme l’approche, le pressentiment d’une beauté encore fragile mais qui allait nous éblouir quand leurs écailles seraient enfin tombées de leur peau et de nos yeux. Il fallait accepter l’évidence qu’ils s’étaient libérés politiquement pour apparaître tels qu’il fallait les voir, très beaux. De la même façon, échappés des camps de réfugiés, échappés à la morale et à l’ordre des camps, à une morale imposée par la nécessité de survivre, échappés du même coup à la honte, les feddayin étaient très beaux ; ci comme celte beauté était nouvelle, c’est-à-dire neuve, c’est-à-dire naïve, elle était fraîche, si vive qu’elle découvrait immédiatement ce qui la mettait en accord avec toutes les beautés du monde s’arrachant à la honte.

Beaucoup de macs algériens, qui traversaient la nuit de Pigalle, utilisaient leurs atouts au profil de la révolution algérienne. La vertu était là aussi. C’est, je crois, Hannah Arendt qui distingue les révolutions selon qu’elles envisagent la liberté ou la vertu – donc le travail. Il faudrait peut-être reconnaître que les révolutions ou les libérations se donnent – obscurément – pour fin de trouver ou retrouver la beauté, c’est à dire l’impalpable, innommable autrement que par ce vocable. Ou plutôt non par la beauté entendons une insolence rieuse que narguent la misère passée, les systèmes et les hommes responsables de la misère et de la honte, mais insolence rieuse qui s’aperçoit que l’éclatement, hors de la honte, était facile.

Mais, dans cette page, il devait être question surtout de ceci : une révolution en est-elle une quand elle n’a pas fait tomber des visages et des corps la peau morte qui les avachissait. Je ne parle pas d’une beauté académique, mais de l’impalpable – innommable – joie des corps, des visages, des cris, des paroles qui cessent d’elle mornes, je veux dire une joie sensuelle et si forte qu’elle veut chasser tout érotisme.

* * *

Me revoici à Ajloun, en Jordanie, puis à Irbid. Je retire ce que je crois être un de mes cheveux blancs tombé sur mon chandail et je le pose sur un genou de Hamza, assis près de moi. Il le prend entre le pouce, le majeur, le regarde sourit, le met dans la poche de son blouson noir, y appuie sa main en disant ;
– Un poil de la barbe du Prophète vaut moins que ça.

Il respire un peu plus large et reprend :
– Un poil de la barbe du prophète ne vaut pas plus que ça.
Il n’avait que vingt-deux ans, sa pensée bondissait à l’aise très au-dessus des Palestiniens de quarante ans, mais il avait déjà sur lui les signes – sur lui : sur son corps, dans ses gestes – qui le rattachaient aux anciens.
Autrefois les laboureurs se mouchaient dans leurs doigts. Un claquement envoyait la morve dans les ronces. Ils se passaient sous le nez leurs manches de velours côtelé qui, au bout d’un mois, était recouverte d’une légère nacre. Ainsi les feddayin. Ils se mouchaient comme les marquis, les prélats prisaient : un peu voûtés. J’ai fait la même chose qu’eux, qu’ils m’ont apprise sans s’en douter.

Et les femmes ? Jour et nuit broder les sept robes (une par jour de la semaine) du trousseau de fiançailles offert par un époux généralement âgé choisi par la famille, éveil affligeant. Les jeunes Palestiniennes devinrent très belles quand elles se révoltèrent contre le père et cassèrent leurs aiguilles et les ciseaux à broder. C’est sur les montagnes d’Ajloun, de Sait et d’Irbid, sur les forêts elles-mêmes que s’était déposée toute la sensualité libérée par la révolte et les fusils, n’oublions pas les fusils : cela suffisait, chacun était comblé. Les feddayin sans s’en rendre compte – est-ce vrai ? – mettaient au point une beauté neuve : la vivacité des gestes et leur lassitude visible, la rapidité de l’oeil et sa brillance, le timbre de la voix plus claire s’alliaient à la promptitude de la réplique et à sa brièveté. A sa précision aussi. Les phrases longues, la rhétorique savante et volubile, ils les avaient tuées.

A Chatila, beaucoup sont morts et mon amitié, mon affection pour leurs cadavres pourrissants était grande aussi parce que je les avais connus. Noircis, gonflés, pourris par le soleil et la mort, ils restaient des feddayin.Vers les deux heures de l’après-midi, dimanche, trois soldats de l’armée libanaise, fusil pointé, me conduisirent à une jeep où somnolait un officier. Je lui demandai :– Vous parlez français ?– English.La voix était sèche, peut-être parce que je venais de la réveiller en sursaut.Il regarda mon passeport. Il dit, en français :– Vous venez de là-bas ? (Son doigt montrait Chatila.)– Oui.– Et vous avez vu ?– Oui.– Vous allez l’écrire ?– Oui.Il me rendit le passeport. Il me fit signe de partir. Les trois fusils s’abaissèrent. J’avais passé quatre heures à Chatila. Il restait dans ma mémoire environ quarante cadavres. Tous – je dis bien tous – avaient été torturés, probablement dans l’ivresse, dans les chants, les rires, l’odeur de la poudre et déjà de la charogne.

Sans doute j’étais seul, je veux dire seul Européen (avec quelques vieilles femmes palestiniennes s’accrochant encore à un chiffon blanc déchiré ; avec quelques jeunes feddayin sans armes) mais si ces cinq ou six êtres humains n’avaient pas été là et que j’ai découvert cette ville abattue, les Palestiniens horizontaux, noirs et gonflés, je serais devenu fou. Ou l’ai-je été ? Cette ville en miettes et par terre que j’ai vue ou cru voir, parcourue, soulevée, portée par la puissante odeur de la mort, tout cela avait-il eu lieu ?

Je n’avais exploré, et mal, que le vingtième de Chatila et de Sabra, rien de Bir Hassan, et rien de Bourj et de Barajné.

* * *

Ce n’est pas à mes inclinaisons que je dois d’avoir vécu la période jordanienne comme une féerie. Des Européens et des Arabes d’Afrique du Nord m’ont parlé du sortilège qui les avait tenus là-bas. En vivant cette longue poussée de six mois, à peine teintée de nuit pendant douze ou treize heures, j’ai connu la légèreté de l’événement, l’exceptionnelle qualité des feddayin, mais je pressentais la fragilité de l’édifice. Partout, où l’armée palestinienne en Jordanie s’était regroupée – prés du Jourdain – il y avait des postes de contrôle où les feddayin étaient si sûrs de leurs droits et de leur pouvoir que l’arrivée d’un visiteur, de jour ou de nuit, à l’un des postes de contrôle, était l’occasion de préparer du thé, de parler avec des éclats de rire et de fraternels baisers (celui qu’on embrassait partait cette nuit, traversait le Jourdain pour poser des bombes en Palestine, et souvent ne revenait pas). Les seuls îlots de silence étaient les villages jordaniens : ils la bouclaient. Tous les feddayin paraissaient légèrement soulevés du sol comme par un très subtil verre de vin ou la goulée d’un peu de hachich. C’était quoi ? La jeunesse insouciante de la mort et qui possédait, pour tirer en l’air, des armes tchèques et chinoises. Protégés par des armes qui pétaient si haut, les feddayin ne craignaient rien.

Si quelque lecteur a vu une carte géographique de la Palestine et de la Jordanie, il sait que le terrain n’est pas une feuille de papier. Le terrain, au bord du Jourdain, est très en relief. Toute cette équipée aurait dû porter en sous-titre « Songe d’une nuit d’été » malgré les coups de gueule des responsables de quarante ans. Tout cela était possible à cause de la jeunesse, du plaisir d’être sous les arbres, de jouer avec des armes, d’être éloigné des femmes, c’est-à-dire d’escamoter un problème difficile, d’être le point le plus lumineux parce que le plus aigu de la révolution, d’avoir l’accord de la population des camps, d’être photogénique quoi qu’on fasse, peut-être de pressentir que cette féerie à contenu révolutionnaire serait d’ici peu saccagée : les feddayin ne voulaient pas le pouvoir, ils avaient la liberté.

Au retour de Beyrouth, à l’aéroport de Damas, j’ai rencontré de jeunes feddayin, échappés de l’enfer israélien. Ils avaient seize ou dix-sept ans : ils riaient, ils étaient semblables à ceux d’Ajloun. Ils mourront comme eux. Le combat pour un pays peut remplir une vie très riche, mais courte. C’est le choix, on s’en souvient, d’Achille dans l’Iliade.

JEAN GENET

Revue d’études Palestiniennes n°6 Hiver 1983

* Lire aussi le remarquable et l’incontournable livre-témoignage de Jacques-Marie Bourget et Marc Simon sur ce génocide qu’ils ont publié trente ans après. « Trente ans après ce génocide scandaleusement jamais jugé, il n’est pas trop tard pour découvrir sa réalité, écrit l’éditeur de ce document Erick Bonnier. « Au second jour le la tuerie, le 17 septembre 1982, puis le lendemain à l’aube, deux journalistes, Jacques-marie Bourget et Marc Simon étaient là, seuls au milieu de l’enfer.

Pendant trente ans personne ne leur a donné la parole pour qu’ils révèlent ce qu’ils ont vu. Et appris au cours de leur enquête qui a suivi qui apporte des pièces capitales. Aujourd’hui, l’existence de ce livre leur permet de révéler les faits dont ils ont été les témoins, d’évoquer les difficultés et vicissitudes du métier de journaliste, puisque ce récit qui prend la forme d’un carnet de reportage.»  SABRA ET CHATILA, AU COEUR DU MASSACRE par Jacques-Marie Bourget. Préface d’Alain Louyot, photographies de Marc Simon. Erick Bonnier Editions, 152 pages, 40 photographies en N&B, septembre 2012

La foire du livre de Francfort bâillonne

La foire du livre de Francfort s’ouvre aujourd’hui mardi 17 octobre. De nombreux éditeurs la boycottent à cause de l’annulation de la remise du prix LiBeraturpreis 2023 que l’écrivaine palestinienne Adania Shibli devait recevoir ce vendredi 20 pour son livre « Tafsil Thanawi », « Un détail mineur » (ed. Actes Sud), (Eine Nebensache en allemand). La rencontre programmée de l’autrice avec le public de la foire, en présence de Günther Orth son traducteur allemand, a également été annulée. Que raconte Adania Shibli dans son livre ? Un crime commis dans le désert Israélien durant la Naqba en août 1949 par des soldats israéliens sur une jeune bédouine palestinienne qu’ils venaient de kidnapper et violer. 

Une pétition signée par 600 écrivains dont trois prix Nobel, Annie Ernaux, le Tanzanien Abdulrazak Gurnay, la Polonaise Olga Tokartczuc a été publiée par Le Monde daté 16 octobre contre ces annulations. Cette tribune est intitulée : « La Foire du livre de Francfort déclare rendre les voix israéliennes “audibles” tandis qu’elle réduit l’espace accordé aux voix palestiniennes ». On interdit maintenant aux Palestiniens de se défendre, de s’exprimer sur la littérature. Ils se doivent même de se taire. Bientôt ne plus respirer. Je ne suis pas abonné au journal Le Monde, je n’ai donc pas accès au texte complet. Si vous l’avez, adressez-le moi. Merci.

_________________________________

Le texte qui suit se trouve sur « Agence Medias Palestine ».

Qui est Adania Shibli ?

Née en Palestine en 1974, Shibli a vu ses œuvres être publiées partout dans le monde arabe et en Europe depuis la fin des années 1990. Elle a écrit des romans, des pièces, des nouvelles et des essais narratifs, tous sont publiés dans des anthologies, des livres d’art, et des magazines littéraires et culturels, et son œuvre a été traduite en de nombreuses langues, dont l’anglais, le français, l’allemand, l’italien, l’hébreu et le coréen, des langues qu’elle-même connaît.

Elle a remporté à deux reprises le Prix du jeune écrivain de l’année, de la Fondation Abdel Mohsin Qattan : d’abord en 2001 pour son roman Masaas, traduit en anglais par Paula Haydar sous le titre Touch, une nouvelle qui se concentre sur une jeune fille qui est la plus jeune de neuf sœurs dans une famille palestinienne ; et puis en 2003 pour Kulluna Ba’id Bethat al Miqdar aan el-Hub, traduit par Paul Starkey sous le titre We Are All Equally Far from Love (Nous sommes tous également loin de l’amour), sur une adolescente employée dans un bureau de poste, qui fait la découverte d’une mystérieuse série de lettres d’amour.

Si elle a écrit trois romans en arabe, Shibli a également travaillé sur des œuvres non fictionnelles, notamment un livre d’art intitulé Dispositions et une collection d’essais éditée sous le titre A Journey of Ideas Across : In Dialogue with Edward Said (Un voyage d’idées à travers : un dialogue avec Edward Said).

Shibli, qui vit entre Jérusalem et Berlin, est titulaire d’un doctorat de l’Université de Londres-Est et elle a également consacré une grande partie de son temps à la recherche universitaire. Elle a été professeure invitée au Département de philosophie et d’études culturelles à l’Université Birzeit, en Palestine.

De quoi parle Un détail mineur ?

Le dernier roman de Shibli se déroule en deux étapes et tourne autour d’un crime violent commis durant l’été 1949 en Palestine, quand des soldats israéliens exterminent un campement de Bédouins dans le désert du Néguev, dont une adolescente qui est violée, tuée et enterrée dans le sable.

Bien des années plus tard, une autre jeune femme de Ramallah part à la découverte des évènements qui entourent cet acte odieux, qualifié de crime « mineur » à l’heure actuelle, qui a été commis 25 ans jour pour jour avant sa naissance.

« Il en résulte une méditation obsédante sur la guerre, la violence et la mémoire, allant au cœur de l’expérience palestinienne de la dépossession, d’une vie sous occupation, et la difficulté persistante de reconstituer un récit face à un effacement et une déresponsabilisation toujours en cours », peut-on lire dans la description du livre sur le site de l’International Booker Prize.

Depuis sa sortie, le livre a été largement salué par les cercles littéraires du monde entier.

Parmi ses admirateurs, le romancier sud-africain et lauréat du Prix Nobel, JM Coetzee, qui déclare : « Adania Shibli fait un pari en confiant notre accès à l’évènement clé de son roman – le viol et le meurtre d’une jeune Bédouine – à deux narrateurs profondément égocentriques – un psychopathe israélien et un détective amateur palestinien avec un degré élevé d’autisme – mais sa méthode d’indirection se justifie pleinement quand son livre en arrive à sa conclusion décapante».

Dans une critique dans The Guardian, un intervenant écrit : « La terreur que Shibli évoque s’intensifie lentement, ardemment, jusqu’à ce qu’elle reluise sur la page… Le livre est, à chaque étape, dangereusement et terriblement bien écrit ».

« Ma littérature ne parle jamais de la Palestine »

Bien que Shibli maîtrise un certain nombre de langues, elle n’écrit la fiction que dans la langue arabe, « parce que cette langue est une sorcière – une sorcière incroyable, drôle, folle, généreuse, et indulgente » dit-elle dans un entretien avec Bomb Magazine, en 2020.

« Elle m’a tout permis» dit-elle. «C’est l’espace de la liberté la plus intime que j’ai connue dans ma vie ».

Une grande partie de ce qu’elle a écrit se concentre sur la Palestine, même si elle affirme que sa préoccupation pour sa patrie est personnelle, plutôt que littéraire.

« Elle forme ma littérature ; mais ma littérature ne parle jamais de la Palestine», dit-elle dans la publication. «Elle se situe plutôt à l’intérieur et à partir de la Palestine comme une condition de l’injustice ; de la normalisation de la douleur et de la dégradation. Elle révèle les limites de la langue ».

Et elle ajoute : «Ma quête dans le cas de la Palestine n’est pas de m’occuper des opinions et des postures, mais de ceux qui souffrent. Nous n’avons que nous-mêmes dans de tels cas, car les privilégiés ne risqueront jamais leur privilège s’ils peuvent continuer à l’utiliser».

Source : The nationalnews 

——————-

Voici ce qu’en dit l’éditeur français (Actes Sud) de « Un détail mineur »

En 2003, un quotidien israélien, Haaretz, révèle qu’en août 1949 des soldats ont kidnappé, violé collectivement, puis tué et enterré une jeune bédouine du Néguev. Un crime qui s’inscrit dans la lignée des massacres commis à cette époque charnière pour terrifier ce qui restait des habitants de cette zone désertique.

Soixante-dix ans plus tard, Adania Shibli s’empare de cet “incident” dans un récit qui s’articule en deux temps nettement marqués. La première moitié relate le déroulement du crime avec une objectivité quasi chirurgicale. Elle met en scène deux personnages principaux : un officier israélien anonyme, maniaque de l’ordre et de l’hygiène, qui envahit les pages de sa présence hypnotique, et sa victime, comme lui jamais nommée. La seconde partie est narrée à la première personne, sur un ton très subjectif et ironique, par une Palestinienne d’aujourd’hui, obsédée par un “détail mineur” de l’incident : le fait qu’il se soit produit vingt-cinq ans jour pour jour avant sa naissance. Bravant les obstacles imposés par l’occupant, elle parvient à se rendre dans le Néguev dans l’espoir d’exhumer le récit occulté de la victime. Mais la détective en herbe ne tardera pas à tourner en rond… Longuement mûri, ce roman décapant dénonce en peu de pages, au-delà du contexte israélo-palestinien, le viol comme banale arme de guerre, et aborde subtilement le jeu de la mémoire et de l’oubli.

_________________________

LE DROIT INTERNATIONAL ET LA PALESTINE VAINCRONT, FORCÉMENT.

LE POÈTE A TOUJOURS RAISON

_________________________________________________

Je dis ceci : le combat du peuple palestinien pour son droit à disposer de lui-même, son combat pour la liberté est juste et très noble. Par les moyens qu’il utilise pour se défendre, pour libérer sa terre spoliée, il peut être amené à le desservir, à le salir. C’est ce qui s’est passé entre samedi 7 et mardi 10 octobre dans les kibboutz de Beeri, Reïm, Kfar Aza près de la frontière est de Gaza en terre annexée. Certaines des interventions des combattants de Hamas ont ciblé des bases militaires israéliennes, mais d’autres peuvent être caractérisées de crimes de guerre. On ne doit pas viser les civils, on ne les tue pas délibérément, à plus forte raison les enfants. C’est ce qu’ils ont fait. Ces crimes sont passibles de la Cour Pénale Internationale. 

Mais, une fois que j’ai dit cela, je n’ai pas tout dit. Il serait vain de vouloir confiner l’Histoire des Palestiniens au seul samedi 7 octobre.

La définition de la barbarie ou des crimes de guerre n’est pas une girouette. La définition de la barbarie ou des crimes de guerre ne peut porter à équivoque. Elle est claire, elle est la même, elle s’applique identiquement à l’ensemble de l’humanité. L’attaque par Israël, ce matin, jeudi 12 octobre d’une ambulance palestinienne tuant quatre urgentistes, relève du crime de guerre. 

Quel que soit celui qui commet un crime de guerre, celui-ci est le même. Il n’a pas de couleur particulière. N’est pas plus ou moins moche qu’un autre crime de guerre. Les barbaries ou crimes de guerre, dès lors qu’ils répondent aux critères qui les définissent, sont identiques. L’Occident, l’Europe, la France ne voient pas l’horreur en dehors de leurs périmètres. Ils pratiquent allègrement le deux poids deux mesures et leurs révoltes sont unilatérales. L’Ukraine et Israël sont hautement présents à leur mémoire, pas l’autre monde, le Sud.

Un crime de guerre est « une violation du droit de la guerre d’une gravité particulière. » Une violation du Droit international humanitaire. La barbarie avérée de l’homme blanc est aussi condamnable que celle de l’homme noir ou vert. L’une n’efface pas l’autre. 

Ce qui s’est passé samedi 7 et le lendemain était prévisible d’une certaine façon, lorsqu’on enferme deux millions de personnes dans un ghetto de 365 km2 (un ghetto à peine plus grand que la ville de Marseille : 240 km2) sans aucune possibilité de s’en extraire, aucune. Toutes les issues leur sont fermées. Très nombreux sont les Gazaouis qui ne sont jamais sortis de cette prison inhumaine. Une situation tragique, d’une sauvage cruauté que leur infligent Israël et ses soutiens.

Deux millions de personnes interdites de tout, vivant l’enfer pour cause de blocus depuis vingt ans au bas mot. Deux millions de personnes, c’est-à-dire deux millions d’êtres humains, enfants, femmes, vieillards, jeunes qu’Israël a voulu effacer, animaliser avec la complicité de l’Occident. Le combat du peuple palestinien ne peut être effacé. Un combat qui parfois, comme ce samedi, peut dériver. Mais la barbarie du pauvre n’efface pas celle du riche, la barbarie du désespéré celle du puissant. La barbarie du couteau n’efface pas la barbarie des missiles air-sol lancés contre les immeubles d’une ville où la densité est parmi les plus élevées du monde ( plus de 6000 habitants au km2, SIX MILLE). 

Lorsque les soldats israéliens détruisent un lot d’immeubles de 15 étages au prétexte qu’ils abritent des « terroristes » ils admettent délibérément que des dizaines de civils, femmes et enfants, mourront aussi. Cela s’apparente à une expédition punitive de l’armée israélienne contre la population civile et cela s’appelle crime de guerre, crime contre l’humanité. Lorsqu’on prive d’électricité, de gaz, d’eau et de nourriture l’ensemble de la population de la Bande de Gaza, c’est vouloir la punir. Et cela est un crime de guerre que le Secrétaire Général de l’ONU a dénoncé. Lorsque les bombardements israéliens tuent onze employés et 30 élèves de l’école de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), c’est un crime de guerre endeuillant l’ONU.

La barbarie du fusil, qui est souvent une lutte de survie, n’efface pas la barbarie des missiles lancés à partir de navires de guerre au large de Gaza contre des enfants qui jouent au foot, et dont la mort a été filmée en direct par TF1 en 2014. Les crimes bricolés du colonisé n’effacent pas les crimes sophistiqués et combien plus destructeurs du spoliateur.

Si, par quelque tour de magie, on n’évoque uniquement que les crimes du colonisé (des crimes du désespoir), du spolié, on absout ceux de l’occupant. Cela s’appelle de la manipulation. C’est ce à quoi on assiste depuis samedi. Les médias mainstream (rongés par la Grande culpabilité historique de leurs parents, uniques responsables de la Shoah) veulent absolument et vent debout, par tous les moyens, laver Israël de tous ses crimes commis depuis (au moins) 1967. Et même depuis sa création, en 1948. Ce même Israël qui est poursuivi pour crime contre l’humanité auprès du TPI.

Voici quelques exemples de crimes commis ces derniers jours :

_ « Israël a mis en place et maintient un régime institutionnalisé de domination raciale et de répression du peuple palestinien : c’est un apartheid, c’est un crime contre l’humanité. »

– Selon une déclaration du Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme « quiconque viole le droit international et cible des civils doit être tenu pour responsable de ses crimes », notant que  » la commission a rassemblé et conservé des preuves des crimes de guerre commis 

° lors de l’attaque du Hamas contre Israël 

°et de la réponse des forces israéliennes par des frappes aériennes sur Gaza. »

Crimes commis par Israël lors du seul mois d’août 2022 :  

Le 5 août 2022, Israël a lancé une offensive militaire « préventive » dans la bande de Gaza faisant 31 civils tués.

Duniana al Amour, étudiante aux Beaux-Arts âgée de 22 ans tuée à Khan Younès par un projectile tiré d’un tank israélien.

La Cour pénale internationale (CPI) doit enquêter sur les attaques illégales commises pendant l’offensive lancée par Israël en août 2022 contre la bande de Gaza, tuant six civils, en les considérant comme des crimes de guerre, a souligné Amnesty International (un petit garçon de quatre ans, un adolescent qui s’était rendu sur la tombe de sa mère et une étudiante qui se trouvait chez elle avec sa famille./Amnesty I)

Selon Michael Lynk, Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, « les colonies israéliennes violent l’interdiction absolue faite à une puissance occupante de transférer une partie de sa population civile vers un territoire occupé ». La communauté internationale a donc été invitée à considérer l’établissement de colonies israéliennes comme un crime de guerre selon le Statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale.

En 2021, Amnesty International, qui a documenté « quatre attaques meurtrières d’Israël contre des maisons d’habitation sans avertissement », a appelé la Cour pénale internationale à enquêter immédiatement sur ces attaques, qui peuvent constituer des crimes de guerre ou crimes contre humanité.

Human Rights Watch a enquêté sur trois raids israéliens au cours de la crise israélo-palestinienne de 2021 qui ont tué 62 civils palestiniens sans cible militaire claire à proximité, et a conclu qu’Israël avait violé les lois de la guerre et que ses actions semblaient constituer des crimes de guerre.

En 2021, le procureur de la Cour Pénale Internationale, Fatou Bensouda, a ouvert une enquête sur les crimes de guerre présumés israéliens dans les territoires palestiniens depuis le 13 juin 2014. (Wikipédia)

Recevant le soutien inconditionnel des puissances occidentales, Israël continue de profiter d’une exclusivité qui lui permet d’agir en toute impunité dans les territoires palestiniens, faisant fi de toutes les résolutions de l’ONU adoptées depuis sa création.

Depuis 1947, Israël a fait l’objet de plus de 50 résolutions et condamnations de l’ONU, qui n’ont pas été respectées ni prises en compte.

Les résolutions de l’ONU non respectées par Israël (Le Monde diplomatique, février 2009) :

Résolution 181 (29 novembre 1947). Adoption du plan de partage : la Palestine est divisée en deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, et Jérusalem est placée sous administration des Nations unies.

Résolution 194 (11 décembre 1948). Les réfugiés qui le souhaitent doivent pouvoir « rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et vivre en paix avec leurs voisins »  ; les autres doivent être indemnisés de leurs biens « à titre de compensation ». Création de la commission de conciliation des Nations unies pour la Palestine.

Résolution 302 (8 décembre 1949). Création de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA).

Résolution 236 (11 juin 1967). Au lendemain de la guerre de juin 1967, le Conseil de sécurité exige un cessez-le-feu et un arrêt immédiat de toutes les activités militaires dans le conflit opposant l’Égypte, la Jordanie et la Syrie à Israël.

Résolution 237 (14 juin 1967). Le Conseil de sécurité demande à Israël d’assurer « la sûreté, le bien-être et la sécurité des habitants des zones où des opérations militaires ont eu lieu » et de faciliter le retour des réfugiés.

Résolution 242 (22 novembre 1967). Le Conseil de sécurité condamne l’« acquisition de territoire par la guerre » et demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés ». Il affirme « l’inviolabilité territoriale et l’indépendance politique » de chaque État de la région.

Résolution 250 (27 avril 1968). Israël est invité à ne pas organiser le défilé militaire prévu à Jérusalem le 2 mai 1968, considérant que cela aggraverait les « tensions dans la région ».

Résolution 251 (2 mai 1968). Le Conseil de sécurité déplore la tenue du défilé militaire de Jérusalem « au mépris » de la résolution 250.

Résolution 252 (21 mai 1968). Le Conseil de sécurité déclare « non valides » les mesures prises par Israël, y compris l’« expropriation de terres et de biens immobiliers », qui visent à « modifier le statut de Jérusalem », et demande à celui-ci de s’abstenir de prendre de telles mesures.

Résolution 267 (3 juillet 1969). Le Conseil de sécurité censure « toutes les mesures prises [par Israël] pour modifier le statut de Jérusalem ».

Résolution 340 (25 octobre 1973). À la suite de la guerre de Ramadan ou de Kippour, création de la deuxième Force d’urgence des Nations unies (FUNU-II) qui vise à « superviser le cessez-le-feu entre les forces égyptiennes et israéliennes » et à assurer le « redéploiement » de ces mêmes forces.

Résolution 446 (22 mars 1979). Le Conseil de sécurité exige l’arrêt des « pratiques israéliennes visant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 », déclare que ces pratiques « n’ont aucune validité en droit » et demande à Israël de respecter la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre.

Résolution 468 (8 mai 1980). Le Conseil de sécurité déclare « illégales » les expulsions à l’étranger de notables palestiniens de Hébron et de Halhoul par les autorités militaires israéliennes et demande à Israël de les annuler.

Résolution 592 (8 décembre 1986). Le Conseil de sécurité rappelle que la convention de Genève relative à la protection des civils en temps de guerre « est applicable aux territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés par Israël depuis 1967 ». Il condamne « l’armée israélienne qui, ayant ouvert le feu, a tué ou blessé des étudiants » de l’université Bir Zeit.

Résolution 605 (22 décembre 1987). Après le déclenchement de la première Intifada, le Conseil de sécurité condamne les pratiques d’Israël « qui violent les droits de l’homme du peuple palestinien dans les territoires occupés, en particulier le fait que l’armée israélienne a ouvert le feu, tuant ou blessant des civils palestiniens ».

Résolution 607 (5 janvier 1988). Israël doit « s’abstenir d’expulser des civils palestiniens des territoires occupés » et respecter les obligations que lui impose la convention de Genève.

Résolution 608 (14 janvier 1988). Le Conseil de sécurité demande à Israël « d’annuler l’ordre d’expulsion des civils palestiniens et d’assurer le retour immédiat et en toute sécurité » de tous ceux déjà expulsés.

Résolution 636 (6 juillet 1989). Le Conseil de sécurité demande à Israël, en conformité avec ses précédentes résolutions et avec la convention de Genève, de « cesser immédiatement d’expulser d’autres civils palestiniens » et d’assurer le retour en toute sécurité de ceux déjà expulsés.

Résolution 641 (30 août 1989). Le Conseil de sécurité « déplore qu’Israël, puissance occupante, continue d’expulser des civils palestiniens » et lui demande d’assurer le retour de tous les expulsés.

Résolution 672 (12 octobre 1990). Après les violences de l’esplanade des Mosquées – le mont du Temple, le Conseil de sécurité condamne « les actes de violence commis par les forces de sécurité israéliennes » à Al-Haram Al-Charif et dans d’autres lieux saints de Jérusalem et demande à Israël de « s’acquitter scrupuleusement des obligations juridiques et des responsabilités qui lui incombent » vis-à-vis des civils des territoires occupés.

Résolution 673 (24 octobre 1990). Le Conseil de sécurité condamne le refus d’Israël d’appliquer la résolution 672.

Résolution 681 (20 décembre 1990). Israël est sommé d’appliquer la convention de Genève.

Résolution 694 (24 mai 1991). Le Conseil de sécurité déclare que l’expulsion de quatre nouveaux civils palestiniens en mai 1991 par les forces israéliennes constitue une violation de la convention de Genève.

Résolution 799 (18 décembre 1992). Le Conseil de sécurité condamne les quatre cents expulsions de décembre 1992, soulignant qu’elle est contraire aux obligations internationales imposées à Israël par la convention de Genève. Le Conseil réaffirme l’indépendance et l’intégrité territoriale du Liban.

Résolution 904 (18 mars 1994). À la suite du massacre de la mosquée de Hébron, le Conseil de sécurité demande à Israël de prendre les mesures nécessaires « afin de prévenir des actes de violence illégaux de la part des colons israéliens »envers les civils palestiniens.

Résolution 1322 (7 octobre 2000). À la suite du début de la seconde Intifada, le Conseil de sécurité déplore les violences et condamne le « recours à la force excessif contre les Palestiniens ». Il demande à Israël de respecter ses obligations relatives à la convention de Genève.

Résolution 1397 (12 mars 2002). Le Conseil de sécurité demande la « cessation immédiate de tous les actes de violence, y compris tous les actes de terreur et toutes provocations, incitations et destructions », et réclame la coopération des Israéliens et des Palestiniens visant à la reprise des négociations.

Résolution 1402 (30 mars 2002). Après la réoccupation totale de la Cisjordanie, le Conseil de sécurité demande un cessez-le-feu immédiat et le « retrait des troupes israéliennes des villes palestiniennes ».

Résolution 1405 (19 avril 2002). Le Conseil de sécurité déclare qu’« il est urgent que les organismes médicaux et humanitaires aient accès à la population civile palestinienne ».

Résolution 1435 (24 septembre 2002). Le Conseil de sécurité exige « le retrait rapide des forces d’occupation israéliennes des villes palestiniennes ». Il demande à l’Autorité palestinienne de « faire traduire en justice les auteurs d’actes terroristes ».

Résolution 1515 (19 novembre 2003). Le Conseil de sécurité se déclare « attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières sûres et reconnues », et demande en conséquence aux parties en conflit de s’acquitter des obligations relatives à la « feuille de route » du Quartet.

Résolution 1544 (19 mai 2004). Le Conseil de sécurité demande qu’Israël respecte « les obligations que lui impose le droit humanitaire international » et « l’obligation qui lui est faite de ne pas se livrer aux destructions d’habitations ».

Résolution 1850 (16 décembre 2008). Le Conseil de sécurité soutient le processus d’Annapolis, et demande aux parties de « s’abstenir de toute mesure susceptible d’entamer la confiance » et de ne pas « remettre en cause l’issue des négociations ».

Résolution 1860 (8 janvier 2009). Après l’incursion de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, le Conseil de sécurité exige « l’instauration immédiate d’un cessez-le-feu durable et pleinement respecté menant au retrait total des forces israéliennes de la bande de Gaza ». Il demande de ne pas entraver l’entrée des organisations médicales dans Gaza et d’empêcher le trafic illégal d’armes. » (Le Monde diplomatique)

______________________

Ahmed Hanifi

Marseille, le jeudi 12 octobre 2023

ahmedhanifi@gmail.com

Résistance palestinienne 2

Lisez, « Sous le pont, la mort au bout » – juillet 2014, un parmi les mille

Sous le pont la mort au bout

Des enfants tournent autour de la fontaine

D’eux tout autour 

Flotte comme une belle aubaine 

Au large des uniformes chargés de haine  

Dans leur misère intérieure 

Des montagnes de laideur 

Les mômes jouent sur la plage près du palace 

Loin des voyous 

Qui du navire menacent 

Ils ajustent la ligne de mire, les rapaces  

Dans leur misère intérieure 

Des montagnes de laideur 

La douleur des enfants déchiquetés monte 

Dans le ciel bas 

Dans le navire de la honte 

On compare la dextérité, on confronte

Dans leur misère intérieure 

Des montagnes de laideur 

Dans le navire les démons dansent et chantent 

Ils ont semé          

La mort d’âmes innocentes 

Devant télés, et ambulances hurlantes 

Dans leur misère intérieure 

Des montagnes de laideur

Sur la plage des pêcheurs on ne joue plus 

Le sable et le ballon sont orphelins 

Des bambins de la plage rouge de Gaza 

Les bombes des marins les ont écharpés 

Dans leur misère intérieure 

Des montagnes de laideur.

Ahmed Hanifi

Marseille, le 18 juillet 2014

________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO

°

________________________________

L’humanité

le 9.10.2023 

Par Pierre Barbancey

En Israël, l’occupation en question 

Le quotidien Haaretz fait porter à Benyamin Netanyahou la responsabilité de ce qui se passe. Plusieurs associations et personnalités font de même. « Nous payons le prix de la mise en cage de deux millions de personnes », explique le journaliste israélien Gideon Levy à l’Humanité.

En France, certains voudraient faire taire tous ceux qui pointent du doigt la politique d’occupation et de colonisation comme facteur principal des violences auxquelles on assiste. Pourtant les mêmes devraient regarder ce qui se passe en Israël.

L’émotion est évidemment très forte, mais elle n’empêche pas la clairvoyance. Gideon Levy, journaliste israélien respecté, qu’on peut difficilement soupçonner d’antisémitisme, explique ainsi à l’Humanité que « tout le monde est sous le choc. C’est vraiment sans précédent et il est très difficile d’expliquer ce qui s’est passé ». Pour lui, « sur un plan plus stratégique, c’est le résultat de l’arrogance d’Israël. Croire qu’il peut continuer avec le siège de Gaza, mettre deux millions de personnes dans une cage et ne jamais en payer le prix… Nous en payons maintenant le prix ».

Il va même plus loin, expliquant que l’attaque de samedi n’a qu’un seul lien, qu’une seule raison : l’occupation. « Les gens sont assiégés. Ils sont mis en cage pendant dix-sept ans. Et la seule façon pour eux de rappeler au monde et à Israël leur problème est par la violence. Quand ils restent immobiles, quand ils restent assis, personne ne se soucie d’eux. »

Pour Haaretz : « Netanyahou porte la responsabilité de cette guerre Israël-Gaza »

Le quotidien israélien Haaretz, lui, n’y va pas par quatre chemins. Son éditorial, qui ferait peut-être scandale dans l’Hexagone, est tout simplement intitulé : « Netanyahou porte la responsabilité de cette guerre Israël-Gaza ». On peut ainsi lire : « Le premier ministre, qui s’est enorgueilli de sa vaste expérience politique et de sa sagesse irremplaçable en matière de sécurité, a complètement échoué à identifier les dangers dans lesquels il conduisait consciemment Israël lors de l’établissement d’un gouvernement d’annexion et de dépossession, en nommant Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir à des postes clés, tout en adoptant une politique étrangère qui ignore ouvertement l’existence et les droits des Palestiniens. »

Le quotidien n’est pas le seul à dénoncer une politique qui mène Israël dans le mur, au détriment des Palestiniens. L’association Breaking the Silence (briser le silence), fondé par d’anciens officiers de l’armée pour dénoncer les exactions commises dans les territoires occupés, s’est aussi exprimée rapidement.

Avner Gvaryahu, le directeur de cette organisation, souligne que « la politique de sécurité d’Israël, depuis des décennies, consiste à gérer le conflit ». Les dirigeants politiques et militaires parlent de « sécurité », de « dissuasion », de « changement de l’équation ». Pour le responsable de Breaking the Silence, « tous ces mots sont des mots de code pour bombarder la bande de Gaza et la transformer en bouillie, toujours justifiés comme ciblant des terroristes, mais toujours avec de lourdes pertes civiles. Entre ces rondes de violence, nous rendons la vie impossible aux Gazaouis, puis nous sommes surpris lorsque c’est l’ébullition ».

’organisation Standing Together (Debout ensemble), qui réunit juifs et arabes, indique : « Ce que nous avons vu est le résultat de l’insistance du gouvernement à nous mener tous dans une impasse, sans aucune promesse d’un avenir meilleur. Nous avons vu aujourd’hui une preuve terrible et douloureuse qu’il n’y a aucun moyen de gérer” l’occupation tout en assurant notre sécurité. Peu importe le nombre de fortifications que nous construirons, tant que la politique en place est une politique de guerre, nous continuerons à payer dans le sang. Et il est difficile d’imaginer combien de sang innocent, d’Israéliens et de Palestiniens, a été versé aujourd’hui. »

Avner Gvaryahu conclut : « L’idée que nous pouvons gérer le conflit” sans jamais avoir à le résoudre s’effondre à nouveau sous nos yeux. Il a tenu le coup jusqu’à maintenant parce que peu de gens ont osé le contester. Ces événements déchirants pourraient changer cela. Ils doivent le faire. Pour nous tous entre la rivière et la mer. » Des paroles qui gagnent à être entendues.

Résistance palestinienne

Laissez-passer les chiens de garde médiatiques qui glapissent contre le peuple palestinien enchaîné et regardez, écoutez la vidéo.

Laissez-passer les chiens de garde médiatiques qui glapissent contre le peuple palestinien enchaîné et lisez ce qui suit, puis regardez, écoutez la vidéo.

____________

La quasi-totalité des journalistes et commentateurs français entendus depuis l’offensive menée par le mouvement Hamas ce samedi 7 octobre 2023, sont des Chiens de garde volontaires d’Israël et de sa politique d’effacement du peuple palestinien, particulièrement celui de Gaza assiégé.

J’écris « journalistes et commentateurs », pas les universitaires et chercheurs entendus depuis samedi, qui font ce qu’ils peuvent, (à l’exemple ici sur « C dans l’air » d’hier lundi) en répétant souvent, de crainte que ces mêmes journalistes et commentateurs ne travestissent leurs propos, « cela bien sûr ne justifie en rien… ». Combien je les comprends.

Nizan disait ceci : « Les jeunes gens qui débutent dans la Philosophie, les amateurs qui se tournent vers la Philosophie seront-ils longtemps encore satisfaits de travailler dans la nuit, sans pouvoir répondre à aucune interrogation sur le sens et la portée de la recherche où ils s’engagent ? » Il ajoutait : « quel emploi feront-ils du vocabulaire philosophique ? Que vont-ils tous entendre par le vocable Philosophie ? Mettront-ils dans les vieilles outres le même vin que leurs maîtres, ou bien un vin nouveau ? Rejetteront-ils les vieilles outres et le vieux vin pour des outres nouvelles et pour un nouveau vin ? (Les chiens de garde)

Les chiens de garde sont lâchés. Ils ne s’interrogent pas, ils n’analysent pas, ils ne comprennent pas et n’expliquent pas. Ils jugent. Ils condamnent. Ils suivent. Ils exécutent. Et gare à eux si. « Ils ressassent, ressassent, ressassent ». Ils sont la voix de leurs maîtres, de leurs employeurs, de leurs influenceurs. De leurs banquiers.

Les Palestiniens se font massacrer depuis la nuit des temps, Israël a tué des dizaines de milliers de Palestiniens depuis 1967 (et avant) et ces journaleux répètent une litanie, sorte de passage périodique obligé dans leur carrière : « Israël est le garant de notre liberté. »

Ce samedi 7 octobre 2023, Hamas a engagé une attaque d’envergure contre l’état d’Israël, contre le blocus (qui dure depuis 20 ans) qu’il inflige à Gaza, contre sa politique d’apartheid, contre sa colonisation (depuis 60 ans bientôt et c’est peut-être peu dire), contre la bantouisation (les territoires gruyères) en cours de la Palestine, pour qu’il accepte le Droit International et toutes les résolutions de l’ONU qu’il bafoue impunément avec la complicité des Occidentaux et de ses médias, notamment français.

Pointer l’attaque d’hier, en faire un fixation et oublier tout le reste, toute la saloperie d’Israël. Tel est le piège posé par ces journalistes à la solde de l’implacable lobby israélien.

ah

______________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO

°

_____________________________

Les chiens de garde d’Israël

LES CHIENS DE GARDE D’ISRAËL:

ÉCOUTEZ-LES SI VOUS LE VOULEZ, MAIS SACHEZ QUE CE SONT DES CHIENS DE GARDE.

Paul Nizan disait ceci : « Les jeunes gens qui débutent dans la Philosophie, les amateurs qui se tournent vers la Philosophie seront-ils longtemps encore satisfaits de travailler dans la nuit, sans pouvoir répondre à aucune interrogation sur le sens et la portée de la recherche où ils s’engagent ? »

Il ajoutait : « quel emploi feront-ils du vocabulaire philosophique ? Que vont-ils tous entendre par le vocable Philosophie ? Mettront-ils dans les vieilles outres le même vin que leurs maîtres, ou bien un vin nouveau ? Rejetteront-ils les vieilles outres et le vieux vin pour des outres nouvelles et pour un nouveau vin ? » (Les chiens de garde, 1932)


Assurément pas.

  • CETTE CARTE EST ÉDIFIANTE:

Image DR. Avec l’aimable autorisation de l’Association France Palestine Solidarité.

Les chiens de garde (« le chien » en l’occurrence ce matin Ali Baddou journaliste franco-marocain notamment sur France Inter),_ et il n’est pas le plus aboyeurs_ sont, de nouveau, en effervescence. Ils ne s’interrogent pas. Ils suivent. Ils exécutent. 

Et gare à eux si.
Ils sont à l’image de ces singes qui ne veulent rien voir, rien entendre. « Ils ressassent, ressassent, ressassent ». Jeunes, nous disions vulgairement de leurs semblables qu’« ils sont la voix de leurs maîtres ». On dirait aujourd’hui de leurs employeurs, de leurs influenceurs. De leurs banquiers. Oui, en définitive, ils sont la voix de leurs maîtres. Leur liberté de se mouvoir concernant ce point rouge (parmi d’autres) est tout à fait relative, voire ridicule (lorsqu’ils ne sont pas sincèrement engagé par le venin qu’ils diffusent).

Les Palestiniens se font massacrer, liquider, depuis la nuit des temps, Israël a tué des dizaines de milliers de Palestiniens depuis 1967 et ces journalistes, sans aucune honte, répètent une litanie, sorte de passage périodique obligé dans leur carrière : « Israël est le garant de notre liberté. » Et depuis quelques années ceci « oui mais Khamas, Khamas, Khamas ».

__________________

Hier, samedi 7 octobre 2023, le Hamas palestinien a engagé une attaque d’envergure contre l’état d’Israël, contre le blocus (qui dure depuis 20 ans), contre l’apartheid, contre sa colonisation (depuis 60 ans bientôt et c’est peut-être peu dire), contre la bantouisation en cours de la Palestine, pour qu’il accepte le Droit International et toutes les résolutions de l’ONU qu’il bafoue impunément avec la complicité des Occidentaux et de ses médias, notamment français. Mais et surtout aussi des « pays frères » en laisse.

Pointer l’attaque d’hier, en faire un fixation et oublier tout le reste, toute la saloperie d’Israël. Tel est le piège posé par Baddou et sa bande, dans lequel la magistrale Hala Abou-Hassira, ambassadrice de Palestine en France, n’est pas tombée.

Écoutez. C’est un exemple parmi des dizaines d’autres. C’est aujourd’hui, dimanche 8 octobre 2023, sur France Inter à 8h20.
__________________

« Un grand entretien aujourd’hui pour faire le point sur la situation après l’offensive armée du Hamas contre l’état d’Israël ce samedi. »

8h21 : « Le Grand entretien ce dimanche matin est consacré à ces images de guerre, de terreur qui nous parviennent depuis maintenant 24 heures, l’attaque du Hamas contre Israël, une tragédie qui bouleverse le monde entier. La « réaction » de l’état israélien.
Ali Baddou: Pour en parler ensemble ce matin avec Marion L’Hour nous sommes avec plusieurs invités. Dans le studio d’Inter justement, Abou Hala Abou-Hassira, ambassadrice de Palestine en France, bonjour et bienvenue, merci d’avoir accepté notre invitation, Gérard Araud bienvenue, vous étiez diplomate ancien ambassadeur de France en Israël notamment entre 2003 et 2006 et fin analyste de la vie diplomatique et de la géopolitique contemporaine, Vincent Lemire bonjour, historien vous viviez à Jérusalem, il y a encore quelques semaines et vous êtes l’auteur de nombreux travaux sur Jérusalem. Nous sommes en ligne avec Tel Aviv et l’historien Élie Barnavi, bonjour monsieur. Élie Barnavi vous avez eu plusieurs vies, vous avez été para dans votre jeunesse dans l’armée israélienne, vous êtes historien, intellectuel, vous avez été ambassadeur d’Israël à Paris et dans des temps difficiles au moment de la deuxième intifada. Il est 9h20 à Tel Aviv… »

Barnavi aura droit à 4’08’’ d’antenne. Gérard Araud à 5’25’’, Vincent Lemire à 4’56’’. Madame l’ambassadrice à 5’13’’. Vraiment 5’13’’? Voyons de plus près.

2.27.16_Ali Baddou : Madame l’ambassadrice, vous avez essayé de joindre votre mère au téléphone il y a quelques heures à peine, pour avoir des nouvelles de votre famille à Gaza. Sur ‘Twetter’ vous disiez que c’était un coup de fil qui ressemblait à des adieux pourquoi ?

Hala Abou-Hassira : Permettez-moi de dire que la situation actuelle, c’est Israel qui est entièrement et seul responsable de ce qui se passe de part la continuité de son occ…
(« … » signifie que la parole lui a été coupée)

AB : mais c’est la Hamas qui a attaqué

HAH : mais le peuple palestinien est sous attaque depuis 75 ans. Le peuple palestinien est sous occupation militaire depuis 56 ans cette année. Le peuple palestinien subit la négation totale de son droit inaliénable à l’autodétermination. C’est le peuple palestinien, que ce soit à Jérusalem-Est, que ce soit en Cisjordanie, que ce soit dans la bande de Gaza qui est sous attaques depuis 75 ans. Hier Israel a…

AB : On va parler de l’histoire, mais voilà, hier, hier c’est le Hamas qui a lancé une attaque d’une ampleur sans précédent

HAH : Israël a décidé de collectivement punir le peuple palestinien comme il fait toujours. Hier ils ont coupé l’électricité sur toute la bande de Gaza, pendant des heures personne n’a pu contacter sa famille ou ses bien-aimés, c’est la terreur. C’est le peuple palestinien dans son entièreté qui est pris en otage par Israël.

AB : Vous avez pu avoir des nouvelles de votre famille ?

HAH : heureusement oui, mais tout le monde, les deux millions d’habitants de Gaza ont passé une nuit de terreur. Nuit de terreur qu’ils ont l’habitude de passer chaque fois qu’Israël mène ses attaques, qu’Israël cherche des gains politiques ou pour satisfaire une alliance gouvernementale d’extrême droite ou de fachiste. L’actuel gouvernement israélien, le gouvernement fachiste d’Israël.

2.29.18_AB : on va y venir, le mot « fachiste », on va en débattre et beaucoup de choses à discuter. On va continuer le tour de table…

(…)

2.31.18_ AB : madame l’ambassadrice, vous ne condamnez pas l’attaque du Hamas contre Israël. Que ce soit simplement dit et clair !

HAH : pour que les choses soient très simples et claires, je condamne l’occupation, je condamne l’apartheid, je condamne les deux. 260 morts palestiniens personnes n’en parle ! Hier, juste hier, six Palestiniens ont été tués en Cisjordanie…

AB : on va en parler ! mais est-ce que vous condamnez l’attaque contre Israël.

HAH : je déplore, je déplore la perte de vie de chaque côté. La perte de vie et des Palestiniens et d’Israéliens…

AB : donc vous ne condamnez pas cette attaque-là

HAH : c’est pour cela, aujourd’hui c’est le moment de renverser cette crise en une opportunité d’engager une vraie dynamique politique pour mettre fin à l’occupation qui est la source des problèmes, la source de toutes ces tensions, la source de ces pertes de vie. Avec une communauté internationale extrêmement biaisée avec un double poids deux mesures. Il faut voir les vies des Palestiniens comme les vies des autres, comme les vies des Ukrainiens…

AB : bien sûr, mais on aura compris que vous ne condamniez pas cette attaque-là en particulier

HAH : je condamne la mort de toute vie innocente, bien sûr.

2.36.23_ AB : justement, Abou Hassira

HAH : merci (à Gérard Araud, ancien ambassadeur de France en Israël) de mentionner la population palestinienne. Ce qui est incroyable c’est qu’on ne parle pas des Palestiniens, des victimes palestiniennes…

AB : alors on le fait depuis ce matin sur Inter

HAH : …du point de vue palestinien ! on minimise ce qui…

AB : madame l’ambassadrice, vous êtes la représentante de l’Autorité palestinienne qui n’est en rien représentante de la bande de Gaza où domine le Hamas. Le Hamas on peut dire qu’elle (elle) a mené une attaque terroriste. La Cisjordanie c’est une autre histoire ! Est-ce que vous êtes solidaire du Hamas, c’est la question qu’on se pose aujourd’hui.

HAH : le peuple…

AB : vous ne représentez pas…

HAH : le peuple…

AB : tous les Palestiniens

HAH : le peuple palestinien dans son entièreté subit l’occupation. Dans la bande de Gaza c’est le siège le plus inhumain de nos temps modernes.

AB : pas de la même manière !

HAH : Hier Natanyahou a invité les Ghazaouis à quitter chez eux (quitter leurs domiciles). Pour aller où ? Pour aller où ? via quelle frontière ? C’est le blocus le plus inhumain imposé sur la bande de Gaza. Personne ne sait où aller à Gaza.

Gérard Araud : (blocus) imposé par l’Égypte.

HAH : par Israël

Gérard Araud : et l’Égypte.

HAH : la bande de gaza est un territoire palestinien occupé comme c’est le cas de la Cisjordanie, comme c’est le cas de Jérusalem-Est occupée. Ça fait des années, ça fait des années qu’on subit les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité d’Israël, et c’est le moment d’engager la responsabilité d’Israël devant le Cour de justice Internationale, devant la CPI…

AB : donc vous êtes solidaire avec le Hamas

HAH : je suis solidaire avec mon peuple. Je suis solidaire avec mon peuple qui subit une occupation, qui subit une attaque, qui subit la terreur ! la terreur au quotidien !

Marion L’Hour journaliste : est-ce que votre peuple dans un sens n’est pas aussi otage ou victime du Hamas ?

HAH : mon peuple est otage d’Israël

M.L. : pas du Hamas

HAH : mon peuple est sous occupation. Pourquoi vous insistez à détourner les choses sur (de) leur vrai sens ? Aujourd’hui c’est le moment, c’est le moment de se dire, ce moment pour mettre fin à la source, au mal le plus grand, et la paix travailler pour une vraie paix dans la région. Parce que la vraie paix ne viendra qu’avec la fin de l’occupation, qu’avec l’exercice du peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Il ne faut pas sélectionner. Il ne faut pas choisir les combats. Il ne faut pas mettre en priorité un peuple sur un autre…

AB : alors, on est loin de la paix,

HAH : on est très loin de la paix mais…

AB : pour le moment c’est la guerre

2.38.44_ HAH : c’est le moment de saisir pour faire la paix…

AB : messieurs, juste pour essayer de comprendre ce qui se passe sur place, est-ce que le Hamas aujourd’hui n’a pas pris le dessus sur le Fatah, sur l’Autorité palestinienne

Gérard Araud : excusez-moi, mais l’Autorité palestinienne ça fait depuis 2006 il n’y a jamais eu d’élection, l’Autorité palestinienne elle est totalement discréditée. S’il y avait des élections aujourd’hui, il est probable

HAH : les élections ont été empêchées par Israël

(…) questions des auditeurs… une seule…. de Philippe du Vaucluse :
« La situation actuelle n’incombe-t-elle pas à la Communauté internationale qui n’a pas ‘‘obligé’’ Israël à respecter les Accords de Camp David et d’Oslo? Et puis le Hamas a été soutenu par Israël tant qu’il lui permettait de combattre plus facilement l’OLP et de diviser… »

2.42.53_ l’auditeur est coupé par Ali Baddou « ce sont des questions compliquées »…

2.43.56 _ AB : madame l’ambassadrice, la Communauté internationale, heu, vous parliez de paix tout à l’heure. C’était étonnant de voir ce mot réapparaître dans ce contexte-là. Vous y croyez encore ?

HAH : bien sûr. Toujours, toujours. Parce que c’est la seule manière d’en finir avec ce qui se passe, avec l’injustice qui se passe aujourd’hui. Aujourd’hui est le résultat de l’impunité d’Israël par cette Communauté internationale, par ces démocraties européennes, ces démocraties occidentales qui donnent à Israël le droit à « l’autodéfense »…

AB : enfin, hier c’était quand même le Hamas qui a attaqué

HAH : à « l’autodéfense » qui est une licence à massacrer…

AB : attaqué Israël.

HAH : une licence à massacrer aujourd’hui le peuple palestinien…

AB : d’un mot parce qu’on arrive au terme

HAH : ce qui se passe aujourd’hui c’est l’échec du système des Nations Unies. Les Nations Unies qui…

AB : on a compris votre point de vue

HAH : les Nations Unies qui ont failli et échoué à rendre justice et à rendre Israël responsable, à la tenir aux Résolutions…

2.44.53_M.L. : Très rapidement, Vincent Lemire pour conclure…

VL : Oui la Communauté internationale a une responsabilité… il y a des choses qui bougent… la Cour pénale Internationale s’est saisie il y a quelques semaines de l’occupation en Cisjordanie qui est peut-être une annexion, et donc la question de l’Apartheid se pose….

2.45.35
Ici: www.radiofrance-fr

Ainsi vont les indignes.

________________

Ici: www.radiofrance-fr

ahmedhanifi@gmail.com

Marseille, dimanche 8 octobre 2023

_________________

À l’Institut français de Constantine:  autour de Mohammed Dib

El Watan, mardi 3 octobre 2023

Rencontre autour de l’œuvre de Mohammed Dib à l’institut français de Constantine : Des contes enchanteurs d’un auteur universel 

Par S. Arslan

On ne présente plus Mohamed Dib. On le lit pour apprécier son style inimitable. 
 

Plonger dans ses œuvres, c’est découvrir ou redécouvrir leur portée universelle et humaniste. Grand romancier, il est plus connu par sa célèbre trilogie Algérie (La Grande maison en 1952, L’incendie en 1954 et Le métier à tisser en 1957), merveilleusement adaptée en 1972 à la télévision algérienne par Arezki Berkouk, alias Mustapha Badie, réalisateur du fameux feuilleton El Hariq. 

Durant une très longue carrière, s’étalant de 1946 jusqu’à sa mort en 2003, jalonnée d’une œuvre abondante et variée, Dib avait produit des poèmes, des romans, du théâtre, des nouvelles, mais aussi des contes pour enfants. Oui des contes. Une œuvre qui vient d’être revisitée au détour d’une réflexion sérieuse et un débat passionnant entre la fille de Dib, Assia, documentaliste installée à Grenoble, et sa nièce, petite-fille de l’écrivain, Louise, une graphiste et typographe douée, ayant beaucoup roulé sa bosse dans ce domaine grâce à son esprit créatif et foisonnant d’idées. 

Le projet inédit, qui a pris cinq ans pour voir le jour, a donné lieu à un coffret de six contes pour enfants écrits par Mohamed Dib à différentes étapes de sa vie. 

Un produit édité chez Barzakh et présenté dans l’après-midi du 30 septembre à l’occasion  d’une sympathique table ronde animée à l’Institut français de Constantine par Assia et Louise Dib. Une rencontre ayant drainé aussi un public intéressé, qui a eu tout le plaisir de découvrir les talents avérés de deux charmantes dames excellant dans la lecture passionnante et passionnée des contes de Dib, en français par Taos Azzam, coach de théâtre, et en arabe dialectal par Leïla Touchi, comédienne. 
 

Une aventure éditoriale

«Cette première édition algérienne du coffret intitulé Baba Fekrane et autres contes a été une véritable aventure éditoriale, au vu des conditions de sa préparation, sa conception, les aspects techniques qui ont marqué sa préparation. Nous avons réuni six contes écrits par Mohamed Dib sur du beau papier, un projet qui a été réalisé grâce au soutien financier de l’Institut français et l’aide des éditions Barzach qui ont une vieille tradition éditoriale avec l’écrivain. C’est un coffret dont la publication nous tenait vraiment à cœur», a confié Louise. 

Ce coffret rappelle les débuts de Mohamed Dib dans l’écriture des contes pour enfants. Il avait publié en 1958 aux éditions La Farandole, son premier album de contes portant le même titre, Baba Fekrane. «Mon père avait un rapport particulier à l’enfance et un attachement au personnage enfantin ; on cite l’exemple d’Omar dans la trilogie ; ça vient du fait qu’il avait été orphelin de père alors qu’il avait à peine 11 ans. Il avait quitté brusquement le monde de l’enfance ; il était l’aîné ; il avait dû prendre la responsabilité de la famille», a expliqué sa fille Assia. Cette dernière rappelle une expression de son père : «L’enfance devient du coup ce paradis perdu.»

 Plusieurs personnages de l’enfance sont présents dans certaines œuvres de Dib, à l’exemple d’Omar dans la trilogie, Lily Bell dans L’infante maure, et d’autres dans ses romans nordiques écrits à partir de 1989, et dans son recueil de poèmes L’enfant jazz. Dib s’est beaucoup inspiré dans ses contes des lieux de son enfance qui ne l’ont jamais quitté. 
 

Dans une photo prise de l’écrivain alors qu’il était enfant, on pourrait facilement imaginer le petit Omar dans l’allure de ce garçon qu’était Mohamed Dib. «Mon père avait commencé à écrire des contes pour enfants à l’âge de 35 ans ; il y a une partie de ces contes un peu moins connus ; on connaît les contes apparus en album, mais il y a aussi des contes insérés dans les romans et d’autres publiés dans les revues. 

Ses trois premiers contes sont parus dans la revue Horizons en 1958, dont Le petit oiseau qui a trouvé un grain de blé et L’histoire du chat qui boude, alors que son conte Baba Fekrane est paru aux éditions La Farandole», révèle Assia Dib. En fait, Mohamed Dib avait connu deux périodes d’écriture de contes. La première qui s’étale entre 1950 et 1960 a vu la parution de contes inspirés de la tradition orale algérienne. Dans une seconde période, il écrira des contes qu’il a inventés et qui étaient destinés à être insérés dans ses romans à l’exemple de ceux de la phase nordique de ses œuvres.
 

Baba Fekrane et autres contes

À propos de ces contes, Assia Dib lit des notes de son père. «Je les avais beaucoup travaillés pour atteindre ce côté abouti de la poésie populaire qui rend le texte invisible», écrivait-il. Mais il y a toujours ce côté particulier dans les contes de Mohamed Dib. Il les raconte dans un style inimitable, avec un sentiment de renouvellement. On n’oublie pas de noter que des contes comme Seigneur, Warda marchera-t-elle ?, Barbe de plumes, Salem et le méchant sorcier, Baba Fekrane,

 L’histoire du chat qui boude, et L’hippopotame qui se trouvait vilain réunis dans le coffret présenté au public, sont autant de merveilles populaires, qui ont ce côté enchanteur chargé d’humour et qui portent une morale et un aspect éducatif, rappelant cette belle enfance et ces soirées passées à écouter avec attention la grand-mère raconter ces pans du patrimoine qui se perd avec l’avènement de l’internet et des antennes paraboliques. 

Mohamed Dib avait bien raison de dire : «Il est une contrée de cette culture qui est particulièrement passionnante pour un écrivain, c’est le conte. La transmission est purement orale. La mémoire du peuple est la bibliothèque nationale de l’Algérie.» 

Des paroles si simples, mais qui ont pris des siècles pour être parachevées, comme les perles qui terminent les contes de Mohamed Dib : «Nous sommes allés tout au long de la route et nous avons trouvé un sac de perles, les grosses pour moi et les petites pour toi.»

S. Arslan, El Watan

ORAN, Wahran

______________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR ORAN, ÉCOUTER KHALED

°

______________________________________________

Extrait du documentaire TV « L’Algérie vue du ciel », un documentaire franco-algérien réalisé par Yann Arthus-Bertrand et Yazid Tizi, sorti en 16 juin 2015. 

J’ai ajouté la chanson magnifique de Ahmed Wahby « Oran » (Wahran) chantée ici par Khaled.

Le rapporteur de l’ONU sur les DH, en Algérie

Le rapporteur onusien spécial sur les droits  à la liberté de réunion: «Une volonté du gouvernement algérien à solliciter l’expertise internationale» 

par Ghania Oukazi 

«Il faut cesser les poursuites judiciaires engagées contre les citoyens sur la base de l’article 87 bis, il faut qu’il y ait un pardon, une grâce, on ne peut mettre en prison des personnes qui contestent pacifiquement ou celles qui les relaient sur les réseaux sociaux, on ne peut les considérer comme des atteintes à la sécurité publique ». 

Ces demandes expressément formulées sont celles exprimées avec insistance par Clément Nyaletsossi Voule, le rapporteur onusien spécial sur les droits à la liberté de réunion, à la liberté d’association et à la liberté d’expression, lors d’une conférence de presse qu’il a animée hier au siège des Nations Unies à Alger en présence de représentants de la presse nationale et internationale. Sa mission arrive à sa fin après avoir passé dix jours en Algérie où il a eu des discussions avec des responsables à l’exemple des ministres de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires religieuses, ceux de la commission de lutte contre la corruption, des représentants de la société civile, de partis politiques et d’associations y compris ceux dissous, ceux représentés au Parlement, des journalistes et autres, avocats en particulier ceux des prisonniers d’opinion. 

«J’ai effectué cette visite à l’invitation du gouvernement algérien aux fins d’évaluer la situation des droits de l’homme, et ce, conformément à l’obligation qu’a le pays qui est signataire de traités internationaux dans ce domaine, traités qui ont une suprématie sur les lois », a-t-il déclaré. Pour Clément Voule, «cette invitation dénote de la volonté du gouvernement algérien à solliciter l’expertise internationale pour améliorer les droits de l’homme dans le pays, j’ai donc bénéficié de toute sa collaboration pour mener ma mission». Il a d’ailleurs déclaré que «j’ai appelé la communauté internationale et toutes les institutions à soutenir cette volonté du pays à aller de l’avant». C’est en référence « au hirak entrepris en 2019 et dont les aspirations sont légitimes », que le rapporteur onusien a affirmé que « l’Algérie doit aller vers un Etat de droit qui reconnaît la valeur de tous ses enfants ». Il estime que « la Constitution prend en charge toutes ces aspirations mais la vraie question est comment les traduire à travers les lois et les textes réglementaires ». Il a d’ailleurs noté que sa mission s’inscrit «dans le cadre des réformes en cours pour mettre la législation en conformité avec la Constitution de 2020 et les aspirations des manifestations du hirak, qui ont mobilisé des centaines de milliers d’Algériens dans la rue chaque semaine pendant plus d’un an en 2019-2020 ». 

«Il faut amender l’article 87 bis du code pénal» 

Il justifie la précision d’un tel objectif parce qu’il a relevé que «même avec l’adoption de cette Constitution, l’Algérie est sous le régime de lois que j’estime restrictives ». Il recommande au gouvernement qu’ « il faut absolument traduire la constitution dans les lois, il faut les harmoniser, trois ans sont déjà passés après cette adoption mais rien n’a été fait dans ce sens, trois ans est un délai raisonnable pour le faire et amender les lois qui lui sont en contradiction, il faut que le gouvernement aille un peu plus vite dans ce sens ». Il citera à plusieurs reprises l’article 87 bis du code pénal dans lequel, dit-il, «je n’ai pas trouvé qu’est-ce qu’on ne doit pas mettre dedans, il faut l’amender, je sais que le pays a vécu des années difficiles de terrorisme mais je pense qu’il faut apprendre du passé pour se projeter dans l’avenir, il faut savoir différencier entre les impératifs de sécurité et le respect des droits de l’homme ». Le problème, dit-il, « c’est l’absence d’un espace pour la société civile dans toutes sa diversité, l’Algérie doit ouvrir un espace civique pour se réunir, s’associer librement, échanger des points de vue et des idées et défendre des intérêts spécifiques, y compris en collaboration avec des partenaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays, laisser les voix critiques s’exprimer et être acceptées, tout autant que les minorités religieuses, c’est essentiel pour améliorer la gouvernance et l’élaboration des politiques publiques, et pour construire une démocratie participative durable et inclusive ». Ainsi formulée, sa demande répond à sa remarque préalable qu’ «il y a une méfiance, il faut nécessairement construire cette confiance, traduire les aspirations des citoyens pour construire cette Algérie nouvelle». Il a alors consigné dans les notes qu’il a prises après ses nombreuses rencontres avec des Algériens issus de plusieurs horizons, qu’«une attention urgente doit être accordée à la situation actuelle de restrictions légales et de poursuites judiciaires à l’encontre d’individus et d’associations en Algérie, j’ai demandé à ce que toutes les personnes arrêtées sous l’emprise d’une loi soient libérées». Pour lui, «le gouvernement doit assouplir les restrictions strictes imposées aux rassemblements et aux associations afin de mettre les lois et les pratiques en conformité avec la Constitution nationale et le droit international relatif aux droits humains ». Clément Nyaletsossi Voule appelle le gouvernement « maintenant à s’attaquer au climat de peur provoqué par une série d’inculpations pénales à l’encontre d’individus, d’associations, de syndicats et de partis politiques en vertu de lois excessivement restrictives, y compris une loi antiterroriste contraire aux obligations internationales de l’Algérie en matière de droits humains (…) ». 

«Il faut qu’il y ait un pardon» 

A une question sur la sécurité des personnes qu’il a questionnées, il répond qu’ «elles ne risquent pas de représailles, si jamais ce sera le cas, il faut qu’elles m’informent». Il enchaîne que «dans le cadre de la construction d’une Algérie nouvelle, j’exhorte le gouvernement à abandonner les poursuites et à gracier les personnes condamnées pour leur implication dans le hirak, cela traduira l’engagement de l’Algérie à aller de l’avant». Il fait savoir que «dans la logique des manifestations pacifiques du hirak, le message commun de tous les acteurs et de toutes les actrices de la société civile que j’ai rencontrées était d’être reconnus par les autorités publiques comme des partenaires de confiance dans le développement de leur pays». Le rapporteur spécial de l’ONU estime « qu’il faut qu’il y ait un pardon, une grâce pour les contestataires pacifiques et ceux qui les relaient sur les réseaux sociaux(…), il faut amender l’article 87 bis du code pénal, le gouvernement a l’obligation de le faire ». Il assure toutefois que «je ne suis pas en train d’appeler à l’impunité ni à l’anarchie mais à un réalisme qui permettra aux Algériens de se réconcilier entre eux, il faut clarifier tout ce qui reste des violations du passé, la corruption, les disparus…». Il souligne que la fermeture de certaines associations et certains partis politiques « a causé beaucoup de problèmes, je pense qu’il y a des procédures en cours qui permettent leur réouverture et une nouvelle loi sur les partis politiques va être bientôt adoptée mais il faut une consultation très large pour cela ». Il a avoué que «je n’ai pas demandé d’aller dans les prisons parce que mon agenda était très chargé, il y a des organismes plus spécialisés que moi dans ce domaine pour regarder les conditions de détention». Le rapporteur spécial présentera un rapport complet sur sa visite en Algérie au Conseil des droits de l’homme en juin 2024. «C’est tout un processus qui permet d’élaborer ce rapport, j’aurai une oreille attentive à la prise en charge de mes préoccupations, je garderai le contact avec les autorités tout au long de l’année, bien que je sais qu’il va y avoir des réserves, j’espère que tout ce que j’ai dit va être pris en charge », a-t-il conclu.

________________________________

Il y a 50 ans, le coup d’état au Chili contre SALVADORE ALLENDE

Il y a 50 ans, le coup d’état au Chili contre SALVADORE ALLENDE

Il y a 50 ans. À Paris. Faisait-il beau ou mauvais en ce jour de septembre ? je n’en sais plus rien aujourd’hui. Ce n’est plus important. Ma mémoire me restitue ce qu’elle veut ou peut. J’avais un peu plus de vingt ans. Je remontais le boulevard Saint-Michel. Nous étions le 13 ou 14 du mois. Devant moi, à hauteur de la bouche de métro, un groupe de personnes se pressait devant une grande table retenue par des tréteaux que l’on devinait sous une grande toile de circonstance, noire. 

Je me dirigeais vers une agence de voyage pour confirmer mon billet d’avion. Le 18 je prendrais en effet un vol pour Copenhague, ville de tous mes fantasmes. J’interroge autour de moi : « une pétition ». Je fais du coude. Nous sommes nombreux. Les visages sont graves. Quelques-uns s’essuient les yeux. Des paroles fusent. Elles se font slogans. « À bas le coup d’État ! »  « À bas l’impérialisme américain ! » Les stylos passent de main en main, comme dans un ralenti de film. Sur des feuilles volantes 21X29 on a tracé des colonnes. On signe à tour de bras. On retient les tracts que distribuent des militants du PCF, et de la LC. Des banderoles sont déployées. Je demande « je peux signer moi aussi ? » J’avais à peine 20 ans et n’étais ni politisé, ni syndiqué, ni rien, mais quelque chose s’est passé en moi en ces instants-là. Quelque chose de définitif. « Oui bien sûr, nom prénom, adresse et signature ». Je n’ai pas d’adresse ici. 

Ce lointain et dramatique événement cognera désormais en moi, chaque année de la même façon, à la porte du 11 septembre. Je ne peux l’expliquer. Une sensation d’avoir perdu quelque chose d’important, un être cher, une part de moi-même. Je ne connaissais ni le Chili, ni les chiliens. Mais quelque chose d’indicible se forgeait. Au Chili, les militaires avaient mis un terme à « une expérience de transformation sociale sans précédent ». Elle n’avait que trois ans, mise en marche par l’ Unité Populaire « qui avait engagé le Chili dans la voie du socialisme démocratique ». L’Espoir était assassiné, Salvador Allende a choisi ce jour-là de mettre fin à ses jours, plutôt que de se rendre au félon, le dictateur Pinochet aujourd’hui enfoui dans le dépotoir de l’Histoire.

J’ai signé la pétition et plus tard je m’engagerai à connaître le continent Latino, en m’inscrivant à plusieurs Unités de valeurs à l’université sous la houlette d’enseignants latino-américains réfugiés en France. Et découvrirais le peuple chilien (et argentin, cubain…) avec bien sûr Isabel, Violeta Parra… 

_______________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO _Dernier discours de SALVADOR ALLENDE,  le 11 septembre 1973. 

°

________________________________________

_______________________________

Écoutez-les ici :

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/search?q=Chili

www.ipscuba.net

antiwarsongs.org/canzone

_________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR ECOUTER VICTOR JARA

°

________________________________________

De Marseille au Royaume Uni et Irlande….

De Marseille au Royaume Uni et Irlande…. mai, juin, juillet (en passant par Paris évidemment !)

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

POUR VOIR DOSSIER COMPLET AVEC PHOTOS ET VIDEOS , CLIQUER ICI

( » LE BLOG DE AHMED HANIFI- LITTÉRATURE ETC. « )

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

15 mai

7h30- JJ_ Le jour se lève et la mer azur nous nargue. C’est jour de grand départ…

17 mai

Bel après-midi sur France5 (enregistrement), puis un verre à « L’ Aulnay » à la mémoire de mon ami Mahmoud Bessaih.

19mai

La ministre de la Culture Rima Abdul Malak vient de l’annoncer: le Centre Beaubourg, l’un des plus importants musées d’Art moderne et contemporain dans le monde, où je me trouve actuellement et où je me trouvais _ déjà _ lors de son inauguration au tout début de l’année 1977 (nous y avons suivi un cours avec Madeleine Rebéirioux devant le parvis en présence de non étudiants et de curieux très curieux), eh bien, ce magnifique Centre de la vraie grande Culture populaire, qu’on a appelé (par erreur ou incompréhension,) « L’Usine », fermera ses portes pour rénovation durant 5 ans à compter de décembre 2025

24mai

Je suis passé hier mardi 23 mai 2023 le long des quais du Nord-est parisien, venant de la gare du Nord ma station « d’entrée » dans la capitale. Quelques jours auparavant, j’avais rendez-vous au quartier très huppé des « Champs » sur la traverse entre Matignon et Marigny. Un autre monde. Il n’est pas le mien et ne l’a jamais été. Qu’à Dieu ne plaise. Des gens qui regardent les autres de haut, qui pas même vous toisent, qui passent le pas pressé sans jamais en faire un de côté, la tête mauvaise et la culotte souillée. C’est qu’ils (et qu’elles) font dans la dentelle, messieurs-dames. « Mais qu’y faisais-tu alors ? » pourriez-vous à raison objecter. « Obligations » vous répondrais-je alors, obligations. Revenons maintenant aux belles choses du nord-est. 

Je me promenais hier mardi dans les rues de Paris. Je suis passé devant les quais du Nord-est parisien. Celui de Jemmapes a bien changé, pas la façade du mythique « Hôtel du nord », albâtre, fatiguée. Qui l’accepterait ? Le temps n’invitait pas vraiment à la promenade, vent et grisaille, et cela tombait bien. Je me suis engouffré dans le café qui fait l’angle de la rue de la Grange aux Belles, le « Caoua ». Ne croyez pas que j’y suis entré par hasard. Non. Ce lieu qui a changé d’enseigne a marqué une partie de notre longue vie parisienne. Et le constat est amer. Le Pont Tournant n’est plus ni sa patronne « canal historique ». Son temps a passé et celui de Jeniya aussi. Ainsi que le nôtre, celui de tous nos amis oranais. Cela avait duré plusieurs années des 70-80. 

Les jeunes patrons m’ont dit du bien de « la vieille dame », Jeniya, qui leur a vendu le bar. Ce n’est d’ailleurs plus un bar mais une sorte de faux bistrot où l’on peut déguster un café, un laid chaud, une tartine, luncher et déjeuner sur le pouce. Au premier étage on peut même travailler (ou jouer) sur son ordinateur.

En ce temps-là, celui des années raï balbutiantes (merci Libé, merci Europe 1 !), la veille de l’inauguration du Salon du livre, au mois de mars de chaque année (ou presque), notre ami Razi prenait le train pour se rendre à Paris qu’il avait quittée pour le soleil du Sud. Il y demeurait généralement une semaine. La journée, durant le Salon, il arpentait ses allées à la recherche de nouveautés, à guetter l’arrivée des écrivains qu’il appréciait pour des interviews. Durant des heures. Sur un coin de table, entre un verre de peu importe quoi et un enregistreur, dans un brouhaha digne du bourdonnement du grand souk de Marrakech ou celui de Marseille, il préparait ses articles. La visite et le travail terminés, il errait dans la ville une ou deux heures durant, volontairement seul, à la recherche d’une respiration, d’un souffle, d’une inspiration. Le soir venu, elle le retrouvait ici même au Pont tournant. C’est ici, dans ce bar, que Razi aimait la rencontrer – lorsqu’elle ne faisait pas son cinéma – ainsi que quelques amis de jeunesse. Le Pont tournant avait longtemps été leur Mecque. Les amis s’y retrouvaient et ensemble refaisaient le tour du monde. Aujourd’hui tous les mars sont passés et les amis aussi. 

Si je suis revenu à ce qui fut Le Pont tournant, c’est pour y sentir l’arôme, les traces de mes amis, retrouver les souvenirs qu’ils y ont répandus. Nous sommes tous éparpillés. Le Pont tournant se trouve sur le quai de Jemmapes à Paris, et ce jour-là, j’y étais, Razi se demandait si sa Lolita arriverait à le situer ? Le bar-restaurant était à l’époque tenu comme un commandant tient son vaisseau ou un brigadier sa brigade. La tenancière était une fille du Bled, Jeniya la diablesse, la vraie, bent Saïda. Elle connaissait chaque client qu’elle désignait par son prénom et son origine. « Hé toi Razi fils d’Oran » ou bien « Viens que je t’embrasse Kader fils de Mascara. À tel ou tel, elle lançait parfois « Rak h’na weld el hlal ? » Toujours avec bienveillance, toujours avec cet accent qui oscille entre le parler fanfaron des parvenus de la côte ouest et le parler vernaculaire des hauts plateaux, à la frontière du feu. Jeniya était pour tous tout à la fois la sœur, l’amie, et pour d’aucuns, la mère. C’est dans ce bar que Razi retrouvait chaque année ses amis d’enfance et d’adolescence, au moment du Salon du livre. Elle, elle était jeune, trop jeune, et ses amis l’apercevaient comme cette la Lolita de Vladimirovith, maligne et luisante comme un ciel pur de mai plus que de mars au crépuscule ou à l’aube, qu’on ne quitte pas des yeux. En réalité elle était sucre perlé sa Lolita. Il l’aimait ainsi. 

Ils ont, ses amis et lui, subi les mêmes enseignants et suivi les mêmes cours durant de nombreuses années. Depuis la première année de collège à Oran jusqu’à Hammou Boutélis et lycée Lotfi. Ils ont fait les quatre cents coups ensemble, jusqu’à ce que le destin de chacun prenne son envol pour le Nord, pour telle ou telle raison, indépendamment des autres. Ils se sont perdus de vue durant de nombreuses années. Puis chacun d’entre eux – hasard encore de la vie – s’est retrouvé à 20 ou 24 ans dans la capitale française. La renommée du troquet de Jeniya les a aspirés, puis les a entraînés à un moment ou à un autre, vers lui, vers elle. 

Le Pont tournant était un lieu que le Tout-Paris des Oranais affectionnait (et ceux de province aussi). C’est-à-dire le Tout-Paris des Oranais qui n’ont rien contre les bars ni contre les soirées embrumées. Jeniya est une des premières femmes maghrébines que Razi a connues en arrivant à Paris. C’était à la fin des années soixante-dix, bien avant qu’elle ne surgisse elle, Lolita. Quant à Jeniya, elle était incontournable. Aujourd’hui il ne s’avancerait certainement pas, il n’a plus l’âge de l’observation. Ni celui du courage. D’ailleurs, où peut-elle bien se nicher ? Aucun Oranais sérieux ne pouvait imaginer visiter Paris sans faire une halte chez Jeniya. Le Pont tournant était pour le groupe d’amis plus qu’un bistrot. C’était souk el-had, la gare Centrale d’Antwerpen, le port d’Amsterdam. Le Narvik définitif. Le Pont tournant était un havre de rencontres, d’échanges de nouvelles, un monument. Il l’est demeuré peut-être, pour d’autres gens. Pourtant le Pont tournant est un lieu ridicule dans son espace. Sa surface est si réduite au rez-de-chaussée, qu’au-delà de douze pèlerins de Paris ou quinze manchots d’Adélie, il affiche complet. Souvent, le samedi soir, certains clients se tenaient devant le rideau blanc à lanières en plastique de la porte ouverte, une semelle dedans, l’autre sur le trottoir. Le premier étage était réservé à la restauration. Couscous fin de Saïda midi et soir, six jours sur sept (avec en face la passerelle Arletty, nous n’avions qu’à imaginer la légendaire scène « est-ce- que j’ai une tête… » etc). Parfois, à l’occasion d’une fête ou sur un coup de tête – une humeur – elle l’offrait à tous les consommateurs présents. Une dizaine de tables. Sur les murs du rez-de-chaussée, une série de photos en noir et blanc d’acteurs et d’actrices des années cinquante rappelaient la proximité de l’Hôtel du nord (aux façades partiellement décrépies désormais) et le pont sur lequel Arletty s’époumonait gouailleuse jusqu’à perdre le souffle un jour du tournage « atmosphère, atmosphère… », jusqu’à la bonne prise. On connaît la suite.

Lolita avait le regard intense. Elle se positionnait face à Arletty toute en noir et blanc et l’observait sans discontinuer. Ce jour-là elle avait réussi à trouver seule Le Pont Tournant. Elle aimait bien s’approcher d’elle, de la légende. Elle aimait ses yeux charbonnés, la finesse de son visage, elle disait qu’elle était zouina. Elle enviait peut-être sa renommée, elle regrettait peut-être sa disparition. Que savait-elle de sa vie ? Elle dévorait les photos incrustées dans les cadres (0.60m X 0.80m) et parfois l’oubliait, lui, Razi, dont les amis lui demandaient si elle n’était pas lunatique. Il ne leur répondait pas, mais elle l’était en effet. Tout cela a disparu. La belle Garance, à demi-nue épinglée sans amour ni respect, dans une pose suggestive, émoustillait les yeux pourpres et l’air vaseux des clients. Il faut dire aussi que ce ridicule boui-boui (21 m2 au rez-de-chaussée, un peu plus à l’étage) était – l’air de rien – affectionné par Simenon, mais si, celui-là même avec son manteau, sa pipe et son canotier, comme Maigret. Simenon s’installait toujours au même endroit, à la dernière table, dit-on, et se mettait à griffonner des histoires à trembler debout. D’autres hommes du milieu artistique y prenaient un verre, parfois plus. Marcel Cerdan et Mouloudji figuraient en bonne place sur le mur, punaisés comme Arletty, sans pitié. Pas d’amour ni de respect pour eux non plus. Ils accueillaient de leur sourire éternel chaque client attentionné. L’un était accroché à gauche en entrant, près du juke-box (qui sature l’espace), l’autre au-dessus du comptoir, près de la guêpe. Celle-ci, Cerdan et Mouloudji « Quai d’Jemmapes, quai d’Jemmapes, pour respirer un peu d’air frais de ce bon vieux quartier. Passez la monnaie, passez la monnaie… », étaient souvent le point de départ de discussions infinies et agitées – because le houblon, la mousse, bien sûr – pour impressionner ou peut-être juste un prétexte pour inviter d’autres clients pas encore éméchés, locaux ou étrangers, venus à la découverte de l’Hôtel du nord mitoyen, prêts à festoyer avec Jeniya, qui finissait toujours par offrir sa tournée. « Tu sens bon Lolita », révélaient à l’autre, certains qui l’avaient à l’œil. Ceux-là, maladifs qu’ils étaient, aimaient souvent jauger du niveau de connaissances des uns et des autres. La Lolita répondait naïvement « Ci Mirac ». Miracle, son parfum préféré, parbleu ! C’était chez Jeniya. Dans ce trou où, au mois de mars lorsque se tenait le Salon du livre, durant de nombreuses années, Razi retrouvait quelques amis de jeunesse pour des moments de fête. Et elle, au centre, rayonnante. Puis, les années passant, ses amis sont devenus louches et insupportables. Le Salon du livre et les articles de presse, il les a abandonnés. Et elle, qu’est-elle devenue ? j’aimerais tant le savoir. Lui, Razi, habite à Stockholm avec Katarina sa compagne (qu’il a connue à Paris sur les quais de Jemmapes je ne plaisante pas) et leur jeune-fille, Éva-Housia. Il ne vient plus, à ma connaissance, au Salon du livre de Paris. Il ne donne presque plus de nouvelles.

Quant à moi, si, comme aujourd’hui alors que mars est passé, je reviens malgré tout en ce lieu qui n’est manifestement plus le nôtre malgré son nom, c’est pour y retrouver les traces de mes amis. Le quai de Jemmapes a bien changé, pas la façade du mythique « Hôtel du nord ». Le temps n’invitait pas à la promenade et cela tombait bien. Je me suis engouffré dans le « Caoua », mais Le Pont Tournant n’est plus. Son temps a passé et celui de Jeniya ainsi que le nôtre, celui de tous nos amis oranais. Cela avait duré plusieurs années, les plus belles à ce jour. La mémoire, Dieu merci est plus forte que tout. Pour l’heure. Et le présent offre à qui veut une nouvelle Jeniya, une nouvelle offre faite de caoua, de laid chaud, de tartine. À propos, je vous dis bonne journée, je me dirige derechef chez Tartine (ex Trartine). N’avez-vous jamais entendu parler de Tartine ? Non ? Vous ne savez rien de Paris alors ni de la rue de Rivoli. Bonne journée.

AH. 24.05.2023, retravaillé.

24 mai

Me voilà à la BNF F. Mitterrand. On me dit ça et là « arrête avec les souvenirs ! » Mais comment faire l’impasse sur ce qui nous a façonné ? Dans ce lieu j’ai passé des journées entières, entre 600 et 900 jours ! (Plus de deux années cumulées) durant 1995-2000. Ces photos pour remercier en quelque sorte…

1_ Dimanche 28 mai 2023_ 

Hier, samedi, j’ai parcouru les boulevards Magenta, Rochechouart, Clichy. Jusqu’à la Place et la colonne Moncey. Plusieurs tréteaux remplis de livres de toutes sortes. J’achète « Serguei Eisenstein » dans la série « Cinéma d’aujourd’hui (celui des années 60) pour un euro. Des jeunes du « Mouvement fédéraliste panafricain » se préparent à une marche de ce lieu jusqu’à la Place Stalingrad. Pour l’heure ils ne sont qu’une petite douzaine à distribuer des tracts.

Au Pathé Wepler on projette plusieurs films dont, en salle 2, Omar le fraise. J’ai rendez-vous vers 17h avec mon ami H. J’ai le temps de voir le film (15 € et pas de pitié pour tous ceux qui ont passé les plus hauts caps). Que dire du film ? Une comédie sympathique dans laquelle Réda Kateb, Benoît Magimel, Meriem Amiar sont magnifiques. Un film (franco-algérien) plutôt drôle. J’ai aimé les images du désert, de la mer, d’Alger et tous ses apprentis bandits abandonnés…

À la sortie, j’ai longé l’avenue de Clichy et de Saint-Ouen, jusqu’à la poste où plonge (si on veut) la rue Lamarck. Je la remonte jusqu’à la place Froment face à la caserne des pompiers et pénètre dans le bar Le Sap’heur, dont le nom est vraiment tiré par le bout des cheveux. Un 51 s’il vous plaît. Le serveur (patron certainement, Farid) est fort sympathique. Le clientèle m’a l’air aisée, intello à l’ouïe des discussions. C’est un petit bar, mais presque toutes les tables sont prises. J’ai pensé à Kamel Daoud. Il avait été interviewé ici-même par France Culture, il y a quelques semaines. Je l’ai perdu de vue (de lecture aussi) depuis le dernier SILA et son roman photo avec Depardon.

Il a écrit ce jeudi un article sur le point (son Postillon) qui ne peut laisser indifférent. Comme très souvent : « (dans les pays dits « arabes), On y préfère Bachar el-Assad au nom de l’appartenance et de l’identité invaincue, à Zelensky au nom de la liberté universelle. » Ce qui est formidable c’est que (en vrai intellectuel) Kamel Daoud ne laisse pas indifférent. Il est rugueux, pas lisse donc et « double-face ». S’il vous plaît. Un mot à son propos. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il écrit. J’apprécie nombre de ses idées. Pas toutes. Mais j’aime beaucoup ses articles car ils secoue le vieux cocotier. D’ailleurs aussitôt le lendemain (jour saint vous rendez-vous compte !) les gardiens du Grand temple, les nationalistes-radicaux (« Le harki », « la France, la France, la France », insultes et compagnie… lui sont tombés sur la tronche (vous savez ceux qui, par exemple, tiennent à leur poste…) Ils insultent, mais n’écrivent pas des textes argumentés.

– Hé monsieur, tu t’égares…

– Désolé, oui, merci. Je reviens à ma journée.

J’ai pris le métro et me suis rendu directement à l’Opéra Garnier. Un magnifique soleil surplombe la ville. Et un chanteur fait le bonheur de la foule agglutinée sur le parvis. (Au passage, la vidéo d’hier a été vue par plus de 300 personnes) 

Mon amie M. n’est pas disponible à cette heure, mais mon ami H. est arrivé à l’heure. Salamalecs…. 

Salut Paris…

__________________________________

2_ Lundi, je découvre Calais, Sangatte et se sont des images insupportables qui me viennent à l’esprit. Celles de l’intolérance, de la xénophobie, de la haine… J’y suis, au bord de la plage. Le patron du café Alexandria et ses clients semblent pourtant fort agréables reprenant les refrains des plus beaux hits des années 70. C’est vrai que c’est dimanche de Pentecôte et les esprits sont à la joie.

La traversée vers Folkestone, ce matin de mardi est plus rapide que je ne la prévoyais. 35 minutes dans le Shuttle. Pour le reste…embouteillages à l’arrivée de Londres. Situation aussi infernale que celle de Paris. Un pot, deux autour de la City…

___________________________________

3_ Jeudi 1° juin 2023

Nous nous sommes (C et A) égarés dans les méandres du métro labyrinthique de Londres. C’est pourquoi nous ne sommes allés ni à Piccadilly, ni à Soho visiter le magasin « Algérian

Coffee Store ». 

Bristol se réveille sous un ciel maussade et un vent vif, piquant. L’Avon qui la traverse attend que les clients se pressent sur ses embarcations ou sur ses rives et les centaines de parcs qui l’entourent. Le soleil est agréable. Les touristes ne se précipitent pas encore dans ses marchés colorés. C’est la ville de Carry Grant et de Hannah Murray.

Visites des quais, des marchés, boats…

__________________________________

4_ Dimanche 4 juin

Ah, Bristol. Ah Bristol disais-je… Si la nouvelle (bonne) reçu à Bristol se confirmait, je serais très heureux. J’y reviendrai (éventuellement). Bristol est (aussi) le pays du papier-cartonné dit « bristol » où il est né. Cette belle ville est aussi celle de Edmund Burke, un homme d’État, et philosophe du 18°, profondément conservateur. Passons donc.Nous voilà à Cardiff, la ville du rugby par excellence (Le Cardiff Rugby FC), mais comme je n’y connais rien… Déambulations dans le cœur de la ville très dynamique et jeune… Un petit tour en péniche, visite du château.

Swansea est plus petite, mais très touristique. On a retenu la superbe marina où est statufié pour toujours Dylan Thomas. Le théâtre, le musée, des places, des rues… portent le nom du grand poète, un des plus grands du siècle dernier. Après la visite du Centre qui lui est dédié, nous avons pris un verre au « No Sign Bar » où il était un client régulier (dit-on), avant de détruire son corps à New York. Il eut le temps d’écrire une épitaphe : « After 39 years, this is all I’ve done »

Loin de la confusion, telle est la voie 

Tel est le prodige que l’homme sait 

Loin du chaos parviendrait la joie. 

Cela est la beauté, disions-nous, 

Enfants émerveillés par les étoiles, 

Cela est le but, cela est le terme. 

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres, 

Traduction d’Alain Suied. (in www. Esprits Nomades)

__________________________________

Vendredi 9 juin 2023

Un saut de la poésie de Swansea à son faux passé de Far West et ses vallons et ses fermes et ses herbes verdoyantes presque artificielles. Puis au mythe de Liverpool. Double mythe : Foot et Musique : Moi évidemment, je suis plutôt Musique : It’s been a hard day’s night, and I been working like a dog/ It’s been a hard day’s night, I should be sleeping like a log/ But when I get home to you I’ll find the things that you do/ Will make me feel alright…

Lundi 12 juin 2023

Après que la fureur du quartier des Beatles à Liverpool et celui des clubs de foot fut tombée, on a poursuivi notre route, l’esprit de nouveau revigoré, plein de chants de supporters et de Révolver, Yellow Submarine, Imagine, Hey Jo, Michelle… Nous voilà Édimbourg (Edinburgh ou en gaélique Dùn Èidin… tiens tiens… on dirait que cela vient de chez moi…) célèbre ville universitaire (notamment dans le domaine de l’informatique, médecine…) Ne pas oublier le Scott Monument édifié en l’honneur du grand écrivain né à Édimbourg, Sir Walter Scott. (1771-1832)

Célèbre aussi pas son château du 10° siècle, par son Parlement… On y trouve également l’une des plus importantes bibliothèques du Royaume-Uni. Magnifique ville, très animée ces jours chauds de juin (malgré un vent irrégulier, frais : vous vous recouvrez et découvrez sans arrêt. Il fait chaud, il vente. Il fait chaud, il ne vente plus… Mais la fête est partout surtout sur les hauteurs, dans la vieille ville. Un dernier mot, n’oublions pas les maîtres à penser Adam Smith ! et David Hume Philosophe des Lumières écossaises… Mettons-nous à leur (partielle évidemment, partielle) lecture (ou relecture)… Bon courage !

______________________

LIVERPOOL

_______________________________

Jeudi 15 juin 2023

Il y a tant de choses à dire à propos du voyage en cours. Il y a tant et tant, mais les mots ne se bousculent pas, comme pour ne pas rajouter à la charge combien lourde. L’épuisement n’est jamais loin, et se manifeste même, après une mobilisation quasi non-stop de plus de 45 mois (hors vacances). Un lecteur me demande de « voyager en silence , nous on a mal de ne point voir, dit-il, ce monde », mais je trouve qu’il a tort, que partager est une belle façon d’atténuer les frustrations. Je pense que le « service minimum » à l’égard de ceux qui lisent (même sans réagir) est une nécessité. Alors voici la suite (légère donc) de ce safari sans animaux (ou presque !)

Nous avons poursuivi sur Perth. Nous y sommes entrés par le long pont qui enjambe la Firth of Forth qui ouvre sur la Mer du Nord. Un lieu important concernant la conservation de la nature.

Nous y avons traîné quelques heures dans cette ancienne capitale (pendant trois siècles) de l’Écosse (l’état d’Australie Occidentale porte ce même nom). Trois photos par ci, trois autres par-là : La Fergusson Gallery, Église méthodiste, Cathédrale Minian’s, Cinemax Playhouse, , La rivière Tay…, Canal Street, South Street, Hight Street.

Nous avons grimpé le Grampian Mountains jusqu’à Braemar et intégré le Cairngorms National Park et Tomintoul qui entame « la route du Whisky et ses distilleries à l’exemple de Dofftown et Cairgellachie…. Nous en avons visité deux (distillerie de Glenfiddish Whisy et The GlenGrant dont la production est expédiée (à 85%) en Italie, ainsi qu’une tonnellerie Speyside Copperage. Les visites sont, selon les propriétaires, gratuites ou payantes. La route est magnifique et le soleil omniprésent s’est égaré du grand sud, jusqu’ à la grande ville du nord, Inviness  (ou : Inbhir Nis) où nous arrivons.

____________________________________

Samedi 17 juin 2023

De Inviness nous retenons le joli grand pont Le North Kessoc en face duquel nous nous sommes installés (South Kessoc). Puis un grand tour dans Inverness City Centre et ses nombreux pubs, restos… Le Loch Ness évidemment plus tard et son fantomatique monstre que nous avons déniché, bien sûr (voir photo) dans la ville de Fort Augustus célèbre pour ses écluses « calédoniennes ». Ne pas oublier que le terme de « Calédonie » désigne initialement le pays de l’Écosse. Plusieurs petits villages longent le Loch, chacun avec ses particularités. Beaucoup de touristes et de circulation.

Le plus beau des villages s’appelle Mallaig, à la pointe de la mer des Ibrides ; En face se trouve l’île de Skye qui, elle-même donne sur les « Na H-Eileanan Siar » (western Isles). Le tableau de l’ensemble est merveilleux. Il a plu quelques gouttes en fin de journée… Nous rencontrons ici et là des gens super sympathiques, notamment Patrick le Corse immigré à Dufftown qui nous a raconté ses succès et déboires dans le pays de madame Nicola Strugeon récemment arrêtée pour détournement de fonds…, Le Marseillais de la Ciotat enchanté avec sa compagne de l’Irlande plus que de l’Écosse, des alsaciennes rencontrées dans un café et celles (Alsaciennes) qui nous ont pris pour des touristes anglais… Et voilà Oban qui se prendrait pour elle-même, n’était ce « b » qui se prendrait volontiers pour un « r » et la ville pour Oran. Belle ville cette Oban avec ses mouvements portuaires, sa belle crique telle une peinture de Justyna Kopania.

Le monstre …

_________________________

Jeudi 22 juin 2023

Nous avons quitté la sage, pour ne pas dire quelconque, ville de Oban à une lettre d’Oran. Sur notre route tout le long, des moutons moutonnent. Il y en a partout, bien sur pattes, bien dodus. Aucun n’est porteur d’angoisse et vit sa vie tranquille… Nous également.
À Lochgilphead au moins un horodateur ne fonctionne pas, « Machine out of order ». Et c’est lui qui nous intéresse. Si j’ai un conseil amical à donner aux voyageurs qui viseraient cette contrée : « ne ratez surtout pas Crinan, à la pointe du Knapdale face à l’île plate nommée (oui, oui) « Jura ». À peine quelques dizaines de présents (résidents et autres), pour ceux qui aiment une comparaison, je dirais idem que Franine (bien avant Kristel/est d’Oran) et aussi jolie, autrement jolie, sans la montagne mais le vert beaucoup plus éclatant.
Plus bas, la ville plutôt morte de Lochgilphead. Nous étions il est vrai dimanche. Et dimanche c’est leur vendredi (après-midi) ici. Plus sympa est Invenaray avec ses longs murs blancs, à l’espagnole, et son église (ce jour-là ouverte aux pauvres auxquels on livrait pour pas cher ou même rien, des sacs de nourriture).
Stireling est une ville populaire, avec des monuments très connus comme l’hôtel, ancien collège, ses vendeurs de cornemuses et pubs sympathiques plus feutrés, moins bruyants, que les bars.
Nous sommes arrivés à Glasgow, à la gare Queen Street par le train. Nous y resterons quelques jours. Nous avons visité quelques quartiers le long de la River Clyde avec sa « Court » pas belle, ses beaux ponts suspendus, sa mosquée (turco-asiatique) sur Gorbals street, le Merchant City et City centre évidemment. 

L’exposition Bansky (la 1° exposition officielle depuis 10 ans) à la Galerie d’Art Moderne de Glasgow (photo) vient d’être annulée. Et vous savez quoi ? Nous n’en avons absolument rien à cirer. Autrement dit: « And you know what ? We have absolutely nothing to wax about » (cela se dit-il ainsi?). Tout ce qui tourne autour de cela est gonflant (gonflant pour son compte à lui le p’tit malin et ceux de ses ouailles)… allez, oust ! (et France Inter devrait elle aussi, aller se coucher avec ce type d’informations merdiques (pardonnez-moi). Oui, car grâce au wifi nous réceptionnons 24/24 depuis le premier jour nous sommes assez au courant des choses et même des pôv moutons du Sud, toujours crédules et naturellement naïfs devant des millions de couteaux plus ou moins aiguisés. Encore quelques villes et villages du sud-ouest écossais et puis, bye bye Scotland…
(Vous comprendrez pourquoi ces comptes-rendus sont brefs, ramassés et directs). 

________________________________________

Mardi 27 juin 2023

En arrivant à Belfast, j’ai eu une pensée forte pour Bobby Sand et les siens « Je me tiens sur le seuil d’un autre monde tremblant. » Il est mort en mai 1981, cinq jour avant l’arrivée de Mitterrand. Nous habitions alors dans le désert. Nous avions quitté « définitivement » Paris un an auparavant. La lutte des indépendantistes Irlandais (ah Vincennes et ses faux Irlandais !!) nous touchait particulièrement… je pense à un texte. Le temps de le préparer…

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VIDEO, TRAVERSÉE GB_IRLANDE DU NORD

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

________________________________________

Merc 28 juin 2023

Alors que je m’apprêtais, hier mardi 27 juin à pénétrer dans Belfast (Larne), je me remémorais ces paroles du nationaliste irlandais Bobby Sands, prononcées à 27 ans, au début de sa longue et tragique grève de la faim (66 jours) : « Je me tiens sur le seuil d’un autre monde tremblant. » Ces paroles je les lis de nouveau aujourd’hui à travers un beau livre de Sorj Chalandon, « Mon traître ». Je vous les donne telles quelles et vous laisse avec l’aïd, que je vous souhaite bon. Nous disions « îd el-kbir ». Extraits :

« J’ai vraiment cru à la paix pour la première fois le lundi 22 août 1994. J’étais à Paris. La ville avait déjà son voile de septembre. Il pleuvait fin et frais. Après être allé à Belfast, au début du mois, j’avais pris quelques jours chez des parents en Mayenne. J’étais aussi allé visiter un ami à Mirecourt, un vieux luthier qui se contente aujourd’hui de trembler. J’étais heureux de retrouver mon atelier. Je rangeais l’établi en sifflotant. Lorsque le téléphone a sonné, je l’ai regardé sans un geste. C’est comme si je savais. Depuis des semaines, l’Irlande bruissait de l’incroyable nouvelle. L’IRA, l’armée républicaine, avait décidé de déposer les armes. Pas de les rendre, comme l’écrivaient les journaux. À qui l’IRA pouvait-elle donc rendre les armes ? Elle n’était ni vaincue ni exsangue. Il n’était pas question ici de reddition militaire mais de courage politique. Déposer les armes, les détruire, accepter de neutraliser son arsenal sous le contrôle d’une commission internationale indépendante, voilà ce que l’IRA proposait. En échange, Sinn Féin – son aile politique – serait associé au processus de paix. En échange, les protestants, unionistes, loyalistes, orangistes, tous devraient accepter de partager le pouvoir avec les minoritaires catholiques. Le temps des concessions grimaçait au fond des armes.

_ Tony ? C’est Tyrone. C’est fait, Tony. C’est pour mercredi minuit. Tu viens ?

J’ai éclaté en larmes. Je serrais mon téléphone à deux mains et je pleurais. C’était fait. La trêve, le cessez-le-feu, peu importe les mots qui seraient mis dessus par d’autres. C’était fait. Je viens ? Mais bien sûr, je viens. Quelques chemises dans un sac, ma casquette de pluie, le premier avion pour Dublin. J’ai tremblé jusqu’à ce que j’arrive à Belfast. J’ai tremblé vraiment, comme un jeune homme avant le bonheur. Tyrone et Sheila étaient à la gare. J’ai couru vers eux. Jamais, je n’avais couru comme cela vers personne. Je courais le long du quai vers Sheila et Tyrone, mon sac à l’épaule. Je courais vers les portes de la gare, vers la ville, vers son odeur de tourbe et de mouillé. Je courais en riant. Sheila, et Tyrone, puis Sheila encore, puis tous trois soudés, passant de bras en bras et de lèvres en peau au milieu de la gare, des regards amusés. Et puis j’ai reculé, j’ai pris Tyrone par les bras, je l’ai regardé, mon front presque à toucher le sien.

_ C’est fait ? C’est sûr ? 

_ Demain minuit, a répondu Tyrone. La cessation complète des opérations militaires. 

_ C’est ça, le communiqué ? Cessation complète ?

_ Tyrone a hoché la tête en souriant. Il m’a pris par l’épaule, lui à ma gauche, Sheila à ma droite, et nous sommes rentrés à la maison.

Juste avant minuit, le mercredi 31 août 1994, nous sommes allés dans la rue. Tyrone avait mis une chemise blanche et une cravate de laine verte. Sheila avait passé la soirée à rouler ses bigoudis. C’était comme si nous sortions. La rue était pleine de familles silencieuses. Des gamins étaient juchés sur les murs. De vieilles femmes conversaient à voix tranquilles. Un blindé, un deuxième, encore un. Pas une pierre, pas un cri. Même les hélicoptères nous semblaient de trop. 

_ Minuit ! a crié Tyrone en levant le poing.

_ IRA ! IRA ! IRA, a scandé la foule. 

Les voitures klaxonnaient. Des jeunes frappaient dans leurs mains en chantant. Une dame s’est signée au passage d’un prêtre qui observait cette humanité comme s’il venait enfin de retrouver sa trace.

J’ai regardé Tyrone. Il avait dans les yeux comme un sourire inquiet. Il m’a dit que ce serait encore long, mais que nous venions de faire le plus dur. En remontant, nous avons croisé des visages d’hommes. Certains étaient fermés. La trêve avait été décidée par le Conseil de l’Armée républicaine irlandaise. Et par lui seul. Contrairement aux règles militaires aucune convention n’avait été réunie par la direction pour voter la cessation du combat. Les hommes du rang ont appris la nouvelle à l’extérieur de leurs unités. Les politiciens du Siin Féin était persuadé que le temps était venu de renoncer aux armes. L’IRA avait décidé de faire vite. Tant pis pour les procédures. Ces visages fermés disaient le scepticisme. Pendant des jours, Tyrone a rencontré beaucoup de ces combattants. Certains étaient tentés par la dissidence. Il les a ramenés les uns après les autres, rappelant que la trêve était un ordre et qu’ils étaient soldats.

Le lendemain, Belfast républicain s’est drapé des couleurs nationales. Nous avions pris place dans une cavalcade de voitures qui descendaient Falls Road en klaxonnant. Sheila conduisait. Tyrone avait le corps passé par la portière ouverte. Il appelait les uns, les autres, saluait les trottoirs sa casquette à la main. J’étais derrière, mon drapeau à la fenêtre. Je chantais la Marseillaise en riant. Devant nous, il y avait un camion de charbonnier. Tyrone est sorti de la voiture en me demandant de la suivre. Il a rejoint le camion. Il a sauté sur la plate-forme en bois, aidé par les gamins qui s’y trouvaient. Je suis monté à mon tour, agrippant les mains qui se tendaient. Tyrone était debout, poings sur les hanches. Il semblait contempler sa ville, son peuple, son combat de simples gens. J’étais à côté de lui. J’agitais mon grand drapeau à la manière d’un ouvreur de parade. Les voitures se suivaient lentement. Chaque trottoir, chaque porte ouverte, chaque fenêtre s’agitait en main de joie. À côté de moi, un jeune homme regardait mon ami. Il m’a demandé si c’était Tyrone Meehan, le grand, le fameux, le vieux prisonnier. J’ai dit que oui. Que c’était bien lui. Le jeune républicain m’a tendu la main. Je l’ai prise. Nous nous sommes félicités d’être là, avec lui, en ce jour du début de tout. » 

________________________________________

Jeudi 29 juin 2023

Hier, jour d’aïd, tout à fait ordinaire ici à Belfast. Nous prenons une Baklaoua à défaut d’une brochette de Melfouf chez un restaurateur palestinien au cœur de Belfast, dont le nom de la boutique se nomme, comme il se doit, Eddirah. J’ai peut-être forcé un peu, mais j’ai associé son nom à ce jeune palestinien, Mohamed al-durah, tué par la horde de l’armée israélienne le 30 septembre 2000. Le patron ne m’a rien dit de contrariant. Belfast est divisée en plusieurs quartiers dont Shankill, Gaeltacht, Queen’s, Cathedral Eastside, Titanic, Divis… Nous n’avons pas pu tous les visiter, mais ceux de City Hall, de Titanic, de Cathedral et de Divis (ouest), nous les avons bien arpentés de long en large. En deux mots, le Titanic, dont il est beaucoup question ces jours-ci (et qui a coulé en 1912) a été construit ici. Vous comprendrez que toute une industrie du commerce de ce paquebot soit mise en place dans cette ville voir cette construction, en 3000 toiles métalliques, qui symbolise la proue du paquebot et la compagnie, ainsi que la sirène du paquebot reproduite à l’identique juste devant.

Un égaré vendeur de frites, admirateur (est-ce sûr ?) de Poutine s’est mis sur notre chemin…. Alors, va pour une photo souvenir. Des photos il y en eut beaucoup, mais nous ne pouvons toutes les afficher.

Nous nous sommes rendus dans les quartiers de lutte des années IRA. Nous avons traversé Castel street, Devis street et Falls road. De longues façades proposent des fresques du combat des républicains, qui n’était pas quoi que l’on dise, un combat religieux. Je n’y crois pas. Les traces sont très nombreuses, l’atmosphère complètement pacifiée. Dieu merci. Les héros le demeurent quoi que l’on fasse. Les identiques combats ailleurs dans le monde pour la liberté, notamment palestiniens, sont très fortement présents ici.

________________________________________

Lundi 03 juillet 2023

Vendredi nous sommes arrivés à Derry. Une très belle ville d’une centaine de mille d’habitants. Longtemps elle a été appelée « Londonderry » au grand dam des locaux. Elle est traversée par la « River Foyle ». Le temps est pourri (pluie abondante, par intermittence avec le soleil…) et les gens sont en T shirt, en short, en chemise courte, en sandales, alors que nous sommes en manteau, pull, parapluie…et tout le barda… Il fait quand même moins de 18 degrés ! (ah Marseille, Marseille, tu nous manques !)

Un grand pont piétonnier (et pour les deux roues) construit pour réconcilier les deux populations Protestante et catholique, enjambe la rivière Foyle. Il forme un immense « V ». Comme à Belfast, tout un quartier garde les traces des années noires. De grandes fresques ornent les boulevards et les immeubles alentour. Mais il y a également des quartiers qui ont soutenu l’armée britannique, ce sont les « loyalistes » (photo « Londonderry West Bank Loyalists)…Nous avons visité le « Muséum Free Derry » ainsi que les monuments dédiés à la structure dite « H » de la prison de Long Kesh où furent emprisonnés les dix combattants de l’IRA durant de nombreux mois, morts des suites d’une longue grève de la faim en 1981. L’amitié entre l’Irlande et la Palestine est, ici aussi, hautement revendiquée, ainsi que la réunification avec l’Irlande « européenne ». La pratique religieuse est (me semble-t-il) assez répandue, les églises sont remplies (MAIS LA DISCRÉTION EST LA RÈGLE). Et même dans la rue on peut assister à des prières (photo), sans besoin de tintamarre… Aucune récupération idéologique, politique… n’est possible. Les Irlandais ont un haut niveau de culture générale. Nous avons assisté à un festival de musique à l’occasion de l’ouverture du mois de juillet… Une autre fois (peut-être) je vous parlerai du comportement (incroyablement civique) des conducteurs automobiles alors que nous n’avons à ce jour pas vu la tête d’un seul policier, gendarme… Une autre fois (peut-être).

________________________________________

Mardi 4 juillet 2023

Nous sommes en Irlande dans le Connemara (au sud de Leenaun à l’extrême ouest de Dublin). Irlande, pays des géants Joyce, Wilde, Service, Shaw et Beckett notamment et évidemment. Et, comment dire, comme demain c’est un grand jour pour les Algériens – 5 juillet, rendez-vous compte ! (61 ans d’ indépendance !)– j’ai pensé à ce poème de Beckett (écrit directement en français) que je reprends autrement, dans la bouche de Fadia la narratrice, dans un de mes livres, parus en 2012, « La folle d’Alger ».

Je vous donne à lire un extrait de Comment dire de Beckett, puis à lire, voir, supposer un extrait de mon roman, celui de l’expression de la folie de Fadia…

« Comment dire : folie — folie que de — que de — comment dire — folie que de ce — depuis — folie depuis ce — donné — folie donné ce que de — vu — folie vu ce — ce — comment dire — ceci — ce ceci — ceci-ci — tout ce ceci-ci — folie donné tout ce — vu — folie vu tout ce ceci-ci que de — que de — comment dire — voir — entrevoir — croire entrevoir — vouloir croire entrevoir — folie que de vouloir croire entrevoir quoi — quoi — comment dire —… » (S.B.)

« On entend un bruit sec. Peut-être celui de la chute du micro ou du magnétophone qui continue toutefois d’enregistrer. Une voix dans l’appareil s’excite. Les paroles sont peu audibles. Sur fond de commentaires de la télévision on devine ces mots: « tu es au courant… tu sais… est-ce que tu sais ? » Fadia rit à gorge déployée et crie « j’ai entendu, oui j’ai entendu, louange à Dieu, Seigneur de l’Univers ! » On discerne difficilement « ta fille… ta fille… naissance… garçon appelé Amine… Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on entend ?… Allô, je viens te chercher !… » On entend des bruits de pas, rapides, lourds. Ils sont ceux de Fadia. Puis un autre bruit sec, lourd, accompagné d’un gémissement et d’une prière. Elle a dû glisser.

Fadia pleure, gémit, répète plusieurs fois: « el- hamdou lillahi rabbi el-alamine, » Louange à Dieu Seigneur des mondes, Louange à Dieu Seigneur des mondes. La prière est suivie d’un youyou étrange qui déchire pauvrement l’air. On entend des va-et-vient, comme des portes qui s’ouvrent et se ferment. Elle dit: « Mon fils, mon petit-fils, Amine! » Et toujours les commentaires identiques de la télévision: « akadet wassaïlou eldjazaïria qtiyel el-aqid Ali Cheklal el-moussemma Samir… » Et Fadia qui fredonne étrangement : « kifech n’qol, la vigne a perdu ses feuilles. Kifech n’qol, comment dire que, demain, dire que demain, Houda, demain, toi, demain toi Houda, ton frère Amine, 3023 jours, où est ton frère, toi demain, Houda. Mon petit-fils Amine. La vigne a perdu ses feuilles, elle les retrouvera bientôt. » Elle semble lire, peut-être improviser, joyeuse. Elle répète « demain, comment dire que, comment dire, ton frère Houda, 3023, tu es la vigne, ton frère la feuille. Je n’ai pas de haine, non, je suis heureuse, je suis heureuse.

Non je n’ai pas de haine. »

Et de nouveau des portes qui s’ouvrent et qui claquent. Et de nouveaux youyous étranges, de nouveau étranges. Les pas s’éloignent puis reviennent. Fadia semble danser maintenant. On entend « allô, allô ? » Et la cadence des pas, le claquement des doigts, des mains, qui marquent le rythme de la chanson. On entend Idir et Fadia qui l’accompagne :

Ayefk agimners isqaâdas afus a lalla

Yebwid asalas sakham ella j’duda

Aya Azwaw sou mendil awragh

La la la lalla la la

Aya Azwaw sou mendil awragh

La la la lalla la la … »

Mercredi 5 juillet 2023

Autour du Connemara (Clifden), Irlande- 05.07.2023

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDEO CONNEMARA

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

11 juillet 2023

Nous sommes à Portlaoise ET IL PLEUT, IL PLEUT !

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDEO

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Chères langues !

Chères langues !

Parlons langues. Nous sommes au Royaume Uni et en Irlande (précisément aujourd’hui à Portlaoise dans le Comté de Laoise. En gaélique on dit « Port Laoighise » (bonjour Lahouari !) Le gaélique est parlé en Écosse et en Irlande du Nord (une variante, le scot d’Ulster). Le Gallois en Pays de Galles. Dans toutes les régions l’anglais et certaines de ces langues (selon les régions) sont officielles. En Irlande la langue anglaise est « auxiliaire » du gaélique (irish) qui est LA première langue officielle et obligatoire à l’école primaire. Ces langues du peuple sont partout (chacune dans sa région, parfois elles traversent plusieurs d’entre elles). Ces langues, partout reconnues, sont utilisées non pas CONTRE, contre l’anglais qui lui est presque partout officiel, pas même contre leurs gros méchants colonisateurs anglais (1800- 1921)ou contre je ne sais quoi ou qui, mais de fait. Elles sont une réalité vernaculaire, de fait. Le celte et le gaélique existent depuis plusieurs milliers d’années avant JC, cinq à sept ou 8000 ans. Personne n’oserait y mettre le moindre grain de sel, ou de division. Ces langues, officielles ou non, sont partagées dans la vie quotidienne, que ce soit dans les médias (Télé, journaux, radios…) sur le fronton des offices publics, mais aussi dans les marchés, les commerces, dans les stades, les écoles, les cafés… partout à côté de l’anglais. On utilise même tantôt l’anglais, tantôt sa langue (ou son autre langue) maternelle. Et nulle part le gaélique ou une autre langue maternelle ne constitue un obstacle pour quiconque, pas même au niveau des panneaux de signalisation ! (photos)

Toutefois, la pratique de ces langues, même si elle résiste comme elle peut, est de plus en plus (passivement) concurrencée par l’anglais qui s’impose presque « naturellement » dans toutes les strates de la société du fait des techniques et du monde tel qu’il va. Comme dans le monde entier. Mais ces langues premières résistent disais-je grâce à des hommes comme Mairtin O Cadhain dans le Connemara, grand défenseur de la langue des Gael ses ancêtres (photo).

________________________

9 juillet

Un extrait de Oscar Wilde sur l’Art et 2 photos de barques…

« Un artiste est un créateur de belles choses. Révéler l’Art en cachant l’artiste, tel est le but de l’Art. Le critique est celui qui peut traduire dans une autre manière ou avec de nouveaux procédés l’impression que lui laissèrent de belles choses. L’autobiographie est à la fois la plus haute et la plus basse des formes de la critique. Ceux qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont corrompus sans être séduisants. Et c’est une faute. Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses sont les cultivés. Il reste à ceux-ci l’espérance. » 

Oscar Wilde- Le portrait de DORIAN GRAY

_________________

Vendredi 14 juillet 2023

Fêt-nat ? alors, à nous deux (trois) Dublin !, à nous Baile Átha Cliath ! Trois ou cinq jours n’y suffisent pas. Pas plus sept ou dix. Une grande ville plutôt calme pour une capitale. Un million et demi d’habitants quand-même. La pollution est toute relative et les embouteillages idem. Le soir, disons vers 17-18 heures, les cafés et les bars/restaurants se remplissent. Le cœur palpitant de la ville est sans doute le très jeune et remuant quartier de Temple-bar (rénové, anciennement dit-on « malfamé ») et ses chanteurs de rue et ses bars remplis de Guinness brassée dans la ville-même (photo).

Nous avons hâte, comme le Bloom de Joyce, de parcourir les quartiers presque sans but (inexact) en marchant. Le max. Nous avons l’habitude. De O’Connell Street à Custom House quarter. De Saint Stephen’s Green à Old City, pour finir – évidemment – à Temple-Bar, les pieds en compote. Mais je ne peux non plus faire l’impasse du célèbre Dalymount Park le poumon (en cours de modernisation et d’agrandissement, pendant deux ans encore) du non moins fameux club très engagé des Bohemians FC de Dublin. On a commencé dans le centre de la ville par la mairie et le château qui la jouxte. Sur la O’Connell Street, de très nombreux bus à impériale vont et viennent sans discontinuer entre le monument du dit personnage historique au Musée des écrivains et la tour Parnell (dédiée au nationaliste Charles Stewart Parnell). Nous sommes passés devant la statue de James (Jim) Larkin (1874- 1947) un des fondateurs du parti Labour irlandais (avec James Connolly et William O’ Brian). J. Larkin et sa célèbre reprise de la Boétie (1530- 1563) : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : Levons-nous ! » (en remplaçant « tyrans » par « grands » (erreur ?) La Boetie (1530- 1563) a précisément déclaré : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

Sur la Liffey River qui traverse Dublin d’est en ouest, à hauteur du quai Custom House, une scène poignante de familles à l’époque de la « Grande Famine » (1845 à 1852), les visages émaciés, les regards vides comme hallucinés fixant l’infini et désespérant Ciel. Plus loin une réplique du célèbre bateau « Jeanie Johnston Famine Ship ». Nous avons pris le pont Samuel Beckett qui a la forme d’une harpe, situé à quelques centaines de mètres de là. Magnifique.

Entre le mémorial de la Famine et le pont, on a gravé cette déclaration de Joseph Wresinski, un des fondateurs de ATD quart Monde et initiateur de la lutte contre l’illettrisme (photo) ô combien actuelle :

« Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré… »  Au Saint Stephan’s Green des animateurs (ou guides ?) transmettent à des jeunes cette mémoire de la Famine irlandaise (et ses conséquences migratoires etc.)

Bien évidemment nous ne pouvions rater le Centre Joyce et le Musée de la littérature irlandaise. (de nombreuses de photos) et dans la foulée ne pas remercier les guides qui nous ont accompagnés étage après étage. Comme nous ne pouvions passer à côté du Merrion Square (il y avait – coincidence- une belle fête avec stands « kebbabs », « falafels »…) et le mémorial dédié au frasque Oscar Wilde.

Sur notre chemin, nous sommes passés devant le Palais du gouvernement au moment ou un fonctionnaire quittait son emploi sur son vélo.

Nous sommes rentrés sur les genoux après un verre au « Busquers » dans le quartier… Temple-bar, évidemment. On ne quittera pas Dublin (ou l’Irlande) sans mettre en avant la sympathie des Irlandais, toujours disponibles et leur conduite automobile extrêmement zen (ils ralentissent au passage des piétons en ralentissant à plus de trois mètres du dit-passage !) Au Musée littéraire les employées se sont pliées en quatre pour nous donner le maximum d’informations sur les auteurs Irlandais, sur leur vie, leurs œuvres…  Mais on quittera ce pays avec soulagement, s’il n’était question ici que du temps : exécrable. Pluie, sur pluie tout le temps 25 heures sur 24. Sans oublier le vent parfois.

Nous n’avons pas compris leur insistance à s’habiller léger avec des temps pareils !

Pour finir je voudrais vous offrir cet extrait de Ulysse de Joyce, c’est un monologue de Mrs Bloom, Pénélope… Unmonologue de 40.000 mots sans ponctuation (qui commence et finit par « Oui » un « Oui femelle » ) qui restituent le flux de conscience de Mrs Bloom, étendue sur son lit, cherchant le sommeil qui ne vient pas. Le monologue commence en page 1057(Gallimard/Folio) pour s’achever en page 1135, soit 79 pages sans une seule ponctuation. Un flux.

PENELOPE

Oui puisque avant il n’a jamais fait une chose pareille de demander son petit déjeuner au lit avec deux œufs depuis l’hôtel des Armes de la Cité quand ça lui arrivait de faire semblant d’être souffrant au lit avec sa voix geignarde jouant le grand jeu pour se rendre intéressant près de cette vieille tourte de Mme Riordan qu’il pensait être dans ses petits papiers et qu’elle ne nous a pas laissé un sou tout en messes pour elle et son âme ce qu’elle pouvait être pingre embêtée d’allonger huit sous pour son alcool à brûler me racontant toutes ses maladies elle en faisait des discours sur la politique et les tremblements de terre et la fin du monde payons-nous un peu de bon temps d’abord et quel Enfer serait le monde si toutes les femmes étaient de cette espèce-là à déblatérer contre les maillots de bain et les décolletés que bien sûr personne n’aurait voulu la voir avec je suppose qu’elle était pieuse parce que aucun homme n’aurait voulu la regarder deux fois j’espère bien que je ne serai jamais comme ça c’est étonnant qu’elle ne nous ait pas demandé de nous couvrir la figure mais tout de même c’était une femme bien élevée et ses radotages sur M. Riordan par ci et M. Riordan par là je pense qu’il a été content d’en être débarrassé et son chien qui sentait ma fourrure et se faufilait pour se fourrer sous mes jupes surtout quand d’ailleurs j’aime assez ça chez lui malgré tout qu’il soit poli avec les vieilles dames comme ça et les domestiques et les mendiants aussi il n’est pas fier parti de rien mais quelquefois si jamais il attrapait quelque chose de grave c’est bien avons manqué le bateau à Algésiras le veilleur qui faisait sa ronde serein avec sa lanterne et O cet effrayant torrent tout au fond O et la mer écarlate quelque fois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuiers dans les jardins de l’Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand j’étais jeune fille et une Fleur de la montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m’a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu’un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m’a demandé si je voulais oui encore oui dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l’ai attiré sur moi pour qu’il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui

ahmedhanifi@gmail.com

Dublin, 14.07.2023

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDEO SIGNATURE CAHIER

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

19 juillet 2023

Les danses de la Mer…

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDEO DE FIN

°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

Sarah Rivens la star

Mon article

des photos

des vidéos

des extraits de « CAPTIVE »

________________________________________

_____________________________________

1° VIDÉO

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA RADIO SUR SARAH RIVENS

_____________________________________

Voilà un nom et un prénom qui, très certainement, vont s’inscrire dans la durée sur les tablettes et rayons de la littérature algérienne : Sarah Rivens. Derrière cet anthroponyme, s’abrite une jeune femme algérienne de vingt-quatre ans à peine, dont toute la Facebookie DZ et pas que, parle depuis quelques semaines. Et plus encore pour ce qui est des groupies qui la suivent depuis ses premiers pas, il y a quelques années. Elle a écrit sous ce pseudo et sous The blurred girl (la fille floue) sur la plateforme wattpad (un réseau social où n’importe qui peut écrire sous réserve d’inscription) et aujourd’hui chez un éditeur papier (BMR – Beau Mec Rebelle – puis HLAB/ Hachette)

On ne sait pas grand-chose d’elle sinon qu’elle est née en 1999 à Alger, qu’elle est actuellement « responsable administrative d’une salle de sport à Alger » (France Inter). Son roman « Captive » (plusieurs tomes) a été traduit du français en neuf langues. Cette jeune femme sortie de nulle part (faut pas exagérer) est devenue en quelques mois l’écrivaine algérienne, toutes langues et genres confondus (sexes et typologies d’écriture) la plus lue (et vendue) depuis le 5 juillet 1962. Elle est en ces premiers mois de l’année 23, en tête du box-office des ventes en France où ses romans sont édités sur papier. « Le succès de Captive est tel que quand Sarah Rivens, l’autrice algérienne de 24 ans, dédicace à la Fnac du Forum des Halles à Paris, des vigiles supplémentaires sont embauchés pour gérer les incroyables files d’attente. La maison d’édition Hachette, qui a lancé il y a quatre ans le nouveau label BMR, savait que Sarah Rivens avait une communauté de fans prosélytes sur TikTok et sur Wattpad » (lemonde.fr- 25.02.2023)

Les vaniteux et hâbleurs algériens (qui écrivent) à la petite semaine à la peine et qui se prennent pour le nombril du monde n’ont qu’à aller se faire refroidir les neurones. Juste avait vu Michel de Montaigne : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul » (pardonnez-moi), mais quand on dit (flène kateb) : « il n’y a pas un seul écrivain qui peut mieux expliquer que moi le problème musulman. » (Canada) c’est qu’on a de sérieux troubles psychiques ou qu’on ne se sent plus !

Je reviens à Sarah Rivens. J’ai découvert cette jeune écrivaine par le biais de commentaires sur Facebook, à la mi-mars. On en parlait à longueur de posts et j’avais l’air d’un zombie, d’un égaré sur terre. « Quoi ? Qui ? comment ? Où ? depuis quand ? » Je n’avais pas l’air fin. Nombre de ces commentaires sont écrits en arabe. Aucun de leurs auteurs n’a pensé à donner à lire ce dont il est question et comment dans le livre. L’avaient-ils lue ? J’ai cherché et ai fini par me procurer le texte à lire avec une liseuse (« Livre »). Je vous livre un extrait : « ‘‘Captive’’, voilà comment on me surnommait. On me considérait comme une monnaie d’échange lors des négociations à des fins illégales. Une rentrée d’argent pour mon ‘‘possesseur’’. On m’utilisait. Me souillait. Et ce, depuis des années. Des années que je me noyais dans ce cauchemar sans en voir le bout. Sans pouvoir me réveiller. J’avais commencé à travailler pour ‘‘elle’’, pour ‘‘la’’ sauver. Pour ‘‘nous’’ sauver.  » Tel est l’incipit. Le reste est dans la même veine. Ne comptez pas sur moi pour vous faire une recension de « la Captive », vous serez déçus. Sa majesté littérature importe peu ici (et pour elle, Sarah, et pour moi en cet article). C’est l’événement qui prime. Les faits sont têtus, il s’en vend comme des baguettes de pain (à 20 €), à des centaines de milliers d’exemplaires. Je m’arrête de lire la dark romance à : « J’avais maintenant 22 ans. Je crois. J’étais la ‘‘captive’’ d’un certain John. Ce gars était une véritable merde. » Et ne nous emballons pas. Oui, je sais, ce n’est ni du Timothée de Fombelle, ni du Agnès de Lestrade. Non,  Sarah plonge dans le dark et le hard. Il est écrit que c’est un livre violent, une « dark romance » avertit son éditeur (HLAB, Hachette numérique), une « romance explicite » qui n’entre pas dans les codes de la romance classique. Certaines scènes peuvent surprendre les lectrices non averties. » Pas les lecteurs ? Vaste, très vaste sujet donc.

J’ai feuilleté « Captive ». Au-delà de ce que j’ai lu attentivement, le reste est manifestement de même facture. Mais les faits disais-je sont têtus. Il y a un engouement certain à lire cette « captive ». Le marketing est aux premières loges : « La reine des ventes en librairies. Sarah Rivens est un précipité de l’époque » (F. Inter) Un condensé très captif dit-on malgré son propos et style effarants. « Quand des millions de lectures en ligne se transposent en achats de livres physiques, cela donne instantanément un nouveau leader pour le Top 20 GFK/Livres Hebdo » (Livreshebdo.fr – 2 février/ net). « La jeune autrice algérienne qui a détrôné le prince Harry (Le Parisien.fr 8 février 2023). 

Souhaitons que les jeunes algériens qui se sont manifestés en grand nombre sur Facebook se mettront à la lire malgré tout. La lecture est très importante. La sienne est très accessible. On peut l’appréhender avec aisance. Voici quelques extraits des posts FB-DZ : 

« Fiers de toi l’Algérienne » (Omar), 

« Félicitation et bonne continuation » (Malika S. B. ), 

« Ma Cha Allah » (Amine Z.), 

« Impressionnant ! tu as le Pdf ? » (Hana M.), 

« Crache-t-elle sur ses origines, sur l’islam ou sur le voile ? » (Thouraya. A), 

« Bravo pour cette prouesse bien de chez nous » (Ch. A.H),

« La magie de l’Internet. D’Alger elle s’est fait un nom en France », (Ashe M.)

« C’est l’histoire de J.Rowling et son Harry Potter, bravo ! » (Ambre B.), 

« Il faut qu’on s’y fasse rapidement » (Omar K.)

« Une lecture pas trop conseillée pour nos jeunes » (Hamida B.)

« Bravo, ceci me donne espoir » (Selma S.), 

« Trash ! » (Myriam K.), 

« Je me méfie de ces romans aux ventes si faciles » (Monique S.C.), 

« Pourquoi un pseudo anglo-saxon ? » (Mounia Z.), 

« Pourquoi pas ? » (Trevor D.), 

« Où peut-on acheter son livre sur Alger ? » (Arezki I.), 

« Captive tome 1 est un régal (Imad I.), 

« Une fierté pour nous et pour l’Algérie (avec un drapeau DZ) » (Soraya H.Y.) ….. 

Un florilège de fleurs domine. Nous pouvons objecter des formulations, un style, un phrasé qui ne convient pas, et dans une société conservatrice presque schizophrénique, ultra prude, crier sur tous les toits que le roman borderline est inacceptable (sans l’interdire !) Mais nous n’avons aucun droit de la juger du haut de je ne sais quel ridicule piédestal mental en convoquant Proust ou Faulkner ou… D’autres auteurs algériens, célèbres ou moyennement connus « écrivent comme un pied » (dixit Leïla Sebbar). Ils sont pourtant lus, se portent bien et vous regardent de haut (oui, oui), le doigt pointé sur votre front comme une arme. Ils racontent des histoires honorables, lisibles et qui peuvent faire passer à beaucoup de lecteurs de bons moments. N’est-ce pas là le plus important ? Alors, souhaitons deux choses, d’abord bon vent dans les hit-parades y compris ceux du cœur à Sarah Rivens et d’autre part que les jeunes algériens se mettent dare-dare à la lecture s’ils veulent tout connaître des darks aventures de Ella (la captive), de John et Asha (les possesseurs), du réseau scott… et faire le grand bon, aller voir ailleurs, autrement. Le tout étant de se jeter à l’eau. DE LIRE.

Qui peut rappeler la place des Algériens dans le classement mondial des lecteurs ? Je n’ai plus les données, par contre je peux dire que le pays se situe aux derniers rangs quant à l’indice mondial du savoir : « 103e place (sur 138 pays) pour l’année 2020 selon Global Knowledge Index. Un classement établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) » (TSA Algérie, 23 décembre 2020). 37 pays derrière l’Algérie, 102 pays devant. 102. Une véritable catastrophe dont les répercussions traîneront durant des décennies. Quelle tristesse ! Et vive Sarah !

Le rapport d’Amnesty International 2022 (partie Algérie)

Comme chaque année, Amnesty International publie son rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde. Amnesty a analysé 156 pays. Voici le rapport 2022 concernant l’ALGÉRIE.

Publié le 28 MARS 2023

ALGÉRIE 2022

Cette année encore, les autorités ont arrêté et poursuivi en justice des personnes qui avaient exprimé en ligne des opinions dissidentes ou avaient participé à des manifestations. Elles ont aussi continué d’engager des poursuites contre des journalistes et des militant·e·s pacifiques au titre de la législation antiterroriste, et de dissoudre, ou menacer de dissolution, des associations. Des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont torturé et maltraité des détenus, en toute impunité. Les autorités ont ordonné la fermeture de trois églises et refusé de délivrer un agrément à un certain nombre d’autres ; elles ont restreint le droit à la liberté de circulation de plusieurs militant·e·s et journalistes. Trois avocats ont été traduits en justice, l’un pour avoir défendu des militants politiques, les deux autres parce qu’ils avaient dénoncé une mort suspecte en détention. Trente-sept féminicides ont été signalés ; aucune disposition législative n’a été adoptée en vue de protéger les femmes. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

Contexte

À l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a gracié 1 076 détenus le 4 juillet et octroyé une mesure de clémence à 70 autres personnes qui étaient sous le coup de poursuites pénales pour avoir participé, entre 2019 et 2022, au mouvement de protestation pacifique de grande ampleur « Hirak ».

En juillet, le roi du Maroc a appelé de ses vœux le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Algérie. Mettant en avant une série d’« actions hostiles » liées au différend qui oppose de longue date les deux pays sur la question du Sahara occidental (voir Maroc et Sahara occidental), l’Algérie avait rompu ces relations en août 2021.

Pour la huitième fois depuis 2011, le gouvernement a repoussé la visite prévue du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Liberté d’expression et de réunion

Les autorités ont muselé toute forme de dissidence, accentuant la répression généralisée de la liberté d’expression et de réunion pacifique. À la fin de l’année, au moins 280 militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et contestataires étaient toujours incarcérés pour des infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.

En mars, un tribunal d’Alger, la capitale, a condamné à deux années d’emprisonnement cinq jeunes militants du Hirak, parmi lesquels Mohamed Tadjadit et Malik Riahi, qui avaient publié une vidéo dans laquelle un adolescent âgé de 15 ans déclarait avoir été agressé sexuellement par des policiers1. Libéré en août, Mohamed Tadjadit a de nouveau été placé sous mandat de dépôt en octobre sur décision du tribunal de Sidi M’hamed à Alger, puis remis en liberté une semaine plus tard. C’était la quatrième fois en trois ans qu’il faisait ainsi l’objet d’une mesure de détention provisoire.

En avril, le tribunal criminel d’Adrar (sud-ouest de l’Algérie) a condamné à trois ans d’emprisonnement le militant écologiste Mohad Gasmi, déclaré coupable d’avoir divulgué des informations confidentielles sans intention de trahir dans le cadre d’échanges de courriels concernant l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Cet homme purgeait déjà une peine d’emprisonnement pour « apologie du terrorisme », en lien avec une publication sur Facebook dans laquelle il indiquait que la radicalisation d’un activiste algérien connu était due à l’incapacité des autorités à rendre justice à la population et à la traiter avec dignité.

Liberté d’association

Les autorités ont suspendu les activités d’au moins un parti politique et menacé de dissolution au moins deux associations. Elles ont également porté contre des membres de formations politiques d’opposition et de mouvements considérés comme hostiles des accusations fallacieuses liées à la lutte antiterroriste. Un nouveau projet de loi sur les associations était en cours d’élaboration.

À la demande du ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État a ordonné, le 20 janvier, la suspension du Parti socialiste des travailleurs (PST), qui a donc dû cesser toutes ses activités et fermer ses locaux. Le PST a présenté un recours, mais celui-ci restait sans suite et le parti demeurait suspendu. Toujours en janvier, le ministère de l’Intérieur a demandé au Conseil d’État de suspendre deux autres partis politiques, l’Union pour le changement et le progrès et le Rassemblement pour la culture et la démocratie.

En avril, Abdelrahman Zitout, le jeune frère d’un membre de Rachad, un mouvement d’opposition qualifié de « terroriste » par les autorités, a été placé en détention sur la base de multiples charges. Aucun élément susceptible d’étayer des accusations de terrorisme n’a été produit devant la justice. Abdelrahman Zitout a mené plusieurs grèves de la faim en signe de protestation contre son incarcération.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les autres mauvais traitements continuaient d’être pratiqués, en toute impunité.

Le lanceur d’alerte et militant anticorruption Mohamed Benhlima, ancien membre de l’armée, a été transféré en avril à la prison militaire de Blida, au sud-ouest d’Alger. Placé à l’isolement, il a été torturé et maltraité et s’est vu privé des colis de nourriture, de vêtements et de livres qui provenaient de l’extérieur.

Liberté de religion et de conviction

Les autorités ont invoqué cette année encore l’ordonnance n06-03 de 2006, qui établissait des restrictions visant les religions autres que l’islam sunnite, pour poursuivre en justice des adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière et ordonner la fermeture d’au moins trois églises protestantes. Depuis 2018, 29 églises ont ainsi été fermées. Aucune autorisation n’a été délivrée depuis 2006 pour l’exercice d’un culte autre que musulman.

Les autorités ont refusé de délivrer des permis de construire à l’Église protestante d’Algérie, qui comptait 47 églises dans tout le pays.

Le gouvernement a rejeté en janvier l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] selon lequel la condamnation à cinq ans d’emprisonnement d’Hamid Soudad, de confession chrétienne, pour « offense à l’islam », au titre de l’article 144 bis 2 du Code pénal, était incompatible avec le PIDCP. Le gouvernement a indiqué que les dispositions prévues dans cet article avaient pour objectif de protéger l’ordre public.

En juin, le tribunal de première instance de Béjaïa, à l’est d’Alger, a inculpé 18 adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière de « participation à un groupe non autorisé » et de « dénigrement de l’islam », au titre de l’article 46 de la Loi relative aux associations et de l’article 144 bis 2 du Code pénal, respectivement. Le juge a ordonné le placement en détention de trois de ces personnes et a remis les autres en liberté dans l’attente des résultats d’un complément d’enquête. Toutes les charges retenues contre ces personnes ont été abandonnées en novembre. Le 16 novembre, le ministre des Affaires religieuses a prononcé une fatwa (décret religieux) contre ce groupe, qualifiant ses membres d’« hérétiques » qui doivent être « condamnés et punis conformément à la loi ».

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Selon le HCR, plus de 140 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été arrêtées ou expulsées entre le mois de janvier et la mi-septembre. En outre, pas moins de 21 870 personnes ont été renvoyées au Niger en 2022.

En novembre, les autorités ont transféré de force plus de 60 hommes, femmes et enfants syriens et palestiniens de l’autre côté de la frontière avec le Niger et les ont abandonnés à leur sort dans le désert.

Droit de circuler librement

En violation de leur droit de circuler librement et en l’absence de toute décision de justice, au moins cinq militants et journalistes ont été empêchés de quitter le pays.

Lazhar Zouaimia, membre d’Amnesty International Canada possédant la double nationalité canadienne et algérienne, a été inculpé en février de « terrorisme » pour ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et le mouvement Rachad. Les autorités l’ont empêché à deux reprises de quitter l’Algérie, puis l’ont finalement autorisé à partir pour le Canada, en mai2. En septembre, un tribunal de la ville de Constantine a condamné par contumace Lazhar Zouaimia à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende.

En août, des membres du personnel de l’aéroport d’Oran et des forces de l’ordre ont interrogé le militant Kaddour Chouicha et la journaliste Jamila Loukil, et les ont empêchés de se rendre en Suisse, où ils devaient participer à des travaux de l’ONU.

Droit à un procès équitable

Les autorités ont arrêté arbitrairement des avocats, portant atteinte au droit à un procès équitable. En juin, le tribunal de première instance de Tébessa, une ville du nord-est du pays, a condamné l’avocat Abderraouf Arslane à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Arrêté en mai 2021 parce qu’il défendait trois militants du Hirak, et inculpé de diffusion de fausses nouvelles et d’infractions liées au terrorisme, cet homme avait passé plus d’un an en détention provisoire.

Les avocats Abdelkader Chohra et Yassine Khlifi ont été arrêtés en mai pour avoir protesté contre la mort d’un militant en détention, dans des conditions suspectes. Ils ont été inculpés de diffusion de fausses informations et d’incitation à un attroupement non armé. Tous deux condamnés le 15 août à six mois d’emprisonnement avec sursis, ils ont été remis en liberté le jour même.

Droits des femmes

Le Code pénal et le Code de la famille restaient illégalement discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle. La « clause du pardon » prévue par le Code pénal permettait aux auteurs de viol d’échapper à une condamnation s’ils obtenaient le pardon de leur victime. Par ailleurs, le viol conjugal n’était pas explicitement reconnu comme une infraction pénale.

L’organisation militante Féminicides Algérie a fait état de 37 féminicides déclarés dans le pays en 2022.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le Code pénal considérait toujours comme une infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, qui étaient passibles d’une peine de deux mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende.

Droits des travailleuses et travailleurs

Le droit de fonder un syndicat était toujours restreint en vertu des dispositions du Code du travail.

Comme elles le faisaient depuis 2013, les autorités ont refusé cette année encore de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération indépendante.

Le 30 avril, Nacer Kassa, coordonnateur régional du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, a été convoqué par la police de Béjaïa, qui voulait qu’il annule une manifestation organisée pour réclamer un meilleur respect des droits des travailleuses et travailleurs. Le syndicat n’a pas tenu le rassemblement prévu, mais a protesté contre l’interdiction. En octobre, les autorités de Béjaïa ont refusé, sans fournir d’explication, de délivrer au syndicat l’autorisation de tenir son assemblée générale.

Peine de mort

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort, y compris pour des raisons politiques. La dernière exécution dans le pays remontait à 1993.

Le rédacteur en chef du média d’investigation Algérie Part, Mohammed Abderrahmane Semmar, a été condamné en octobre à la peine capitale pour « haute trahison », parce qu’il avait révélé des informations à propos de contrats pétroliers algériens.

En novembre, le tribunal criminel de première instance de Dar el Beïda, à Alger, a condamné à mort des dizaines de personnes, parmi lesquelles une femme, pour le meurtre du militant Djamel Ben Smail, lynché en Kabylie (nord-est de l’Algérie) en août 2021 par une foule en colère. Cinq des accusé·e·s ont été condamnés par contumace sur la base de plusieurs chefs, notamment pour leur appartenance supposée au MAK, une organisation considérée comme « terroriste » par les autorités.

Lutte contre la crise climatique

L’Algérie n’a pas mis à jour ses objectifs d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pour s’assurer qu’ils soient en conformité avec l’impératif de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C. La législation nationale demeurait insuffisante pour protéger et promouvoir le droit à un environnement propre et sain.

Environ 10 000 hectares de forêt ont été détruits en août par des incendies qui ont fait 43 morts.


1. « Algérie. Il faut abandonner les poursuites contre des militants ayant dénoncé la torture infligée à un mineur en garde à vue », 22 mars 

2. « Algérie. Il faut lever les interdictions de voyager visant des militant·e·s de la diaspora », 6 mai 

De Marseille à Tuktoyaktuk

__________________________________________________

(POUR UNE LECTURE ORDONNÉE DE L’HISTOIRE, commencer par la page X – la dernière – et remonter jusqu’à la page 1)

________________________________________________

 2_ Suite et fin de l’histoire. 

De Marseille à Tuktoyaktuk- [29/30 et 30/30] : 

Omar active le démarreur et enclenche la vitesse automatique. La Ford Fiesta fait quelques dizaines de mètres, s’engage dans la Dempster. Elle semble prise de soubresauts. Omar recommence la manœuvre. L’engin a des ratés. Il avance encore de quelques mètres et les convulsions reprennent. Il finit par s’immobiliser. Il ne peut plus avancer. Le moteur ne démarre plus. Le voyant « moteur » reste allumé de manière permanente. Véro descend du véhicule, se met à l’arrière et pousse de toutes ses forces. Omar s’irrite, s’énerve. Il commence à pester, « il faut revenir à la station ! »

Arrive un 4X4 sorti lui aussi du motel. Il s’arrête à leur niveau. Trois des occupants en descendent. Ils se mettent à l’arrière de la Ford et poussent à leur tour autant qu’ils peuvent jusqu’à la station. Omar se précipite vers la boutique, oubliant de remercier les trois hommes. Il demande au patron de lui porter secours. Peu après arrive un mécanicien. Il commence par essayer de faire redémarrer la voiture, mais n’y parvient pas. Il s’informe sur ce qui s’est passé. Omar dit qu’il n’en sait rien. Le mécanicien s’acharne à trouver l’origine de la panne. Au bout de longues minutes, il demande à Omar s’il a bien mis du carburant. Omar répond par l’affirmative, « oui, ici-même, j’ai rempli pour 60 $ ». Le mécanicien vérifie la jauge, puis demande à voir le certificat d’immatriculation du véhicule. M. Beauséjour, le patron, arrive à son tour. Le mécanicien demande à Omar le type de carburant qu’il a pris. « Diesel » dit Omar. L’intuition du mécanicien se révèle exacte. La tête qu’il fait est à la hauteur de la gravité de la situation : « You didn’t put the correct fuel ! » Puis il s’adresse à son patron en lui montrant le certificat d’immatriculation. M. Beauséjour est bilingue. Il écoute son employé avant de traduire aux Marseillais. Omar avait globalement compris le mécanicien. Il sursaute et répond que sur la carte grise il est bien indiqué « gazoline ». « Précisément, dit le patron, gazoline, mais vous vous êtes servi en diesel. » « Hé bien oui, j’ai mis du diesel, ou gazoline comme vous dites ». Omar était jusque-là persuadé que l’on disait ‘gazoline’ au Canada, comme on dit ‘diesel’ ou même ‘gasoil’ en France ou en Algérie ou en Belgique. « No » fait M. Beauséjour, « Oh no ! » Omar ne sait plus. Tout se confond maintenant dans son esprit. Le patron voit l’effroi plaqué sur le visage des Marseillais. Il tente de les rassurer, de dédramatiser autant qu’il peut, en demandant à son employé de vider le réservoir du véhicule. Le mécanicien ouvre la trappe puis le bouchon et essaie d’introduire dans le bec de remplissage un tuyau qu’il est allé chercher dans un hangar afin d’aspirer le carburant, mais en vain. Impossible d’ouvrir l’obturateur. Omar et Véro se regardent. Ils sont complètement abattus. Ils prennent de plus en plus clairement conscience que le rêve de voir Inuvik et sa mosquée est en train de s’évanouir. Ou de s’effriter. De s’évaporer. En ce moment précis leur esprit est confus. Énervement et tristesse se mélangent. Omar pose la paume de sa main sur son front. Il s’éloigne, revient, la main immobile sur sa tête. Il ne sait plus quoi faire, quoi dire. Véro est dans le même état. Sa main, placée sur sa bouche, est figée. Ses yeux sont absents, vides maintenant de toute expression. M. Beauséjour rejoint son bureau où il entreprend par téléphone les démarches nécessaires. Il revient au bout de quinze minutes. Il lève les bras comme pour invoquer une fatalité. Omar demande à téléphoner à l’agence. La communication qu’il a avec l’employé de Budget est houleuse. « Les frais de remise en état du véhicule reviennent à la charge des clients. » dit l’agent. « Et l’assurance, et l’assurance ! » crie Omar, mais c’est en vain. Il est là au bord de la crise de nerfs, d’une attaque. M. Beauséjour demande à son chauffeur-mécanicien de se préparer à transporter la Ford jusqu’à Whitehorse sur le camion de dépannage et l’autorise à emmener dans sa cabine les deux Marseillais, si toutefois ils acceptent cette offre qui est aussi celle de l’agence de location. Les gestes qu’effectue Omar suffisent pour expliquer qu’ils n’ont de choix que celui d’abandonner aux portes de la station-service leur rêve de fouler les espaces d’Inuvik, les tapis de la mosquée des Inuits et les sous-sols gelés de Tuk, Tuktoyaktuk.

_________________

Lors du retour vers Whitehorse, les premiers kilomètres se font dans un silence de désolation. Le chauffeur, embarrassé, tente de temps à autre de détendre l’atmosphère, notamment lorsqu’il s’approche d’une aire de repos ou d’un Tim Horton. Il parle du temps qu’il fait, propose un café à emporter, mais manifestement, le cœur de ses passagers n’y est pas. 

Au fil des kilomètres, il réussit à détendre l’atmosphère. Il leur parle des problèmes des régions du Nord, de la vie quotidienne. Véro et Omar lui expliquent combien ce voyage leur tenait à cœur. Ils en parlent encore, lui essaie de les réconforter. Il leur demande s’ils tiennent à s’y rendre, à Inuvik, à Tuk. L’atmosphère est détendue. Il s’appelle Boogie Anaviak. Il leur parle de sa famille, du territoire du grand Nord, l’isolement, l’irruption malsaine des compagnies pétrolières. Il leur dit les difficultés de la Dempster. « L’avion s’est beaucoup mieux ». C’est cher mais pas trop. Et d’autres choses encore. Véro et Omar lui donnent quelques informations sur la vie quotidienne en France, en Europe, les distances tellement petites entre les villes, innombrables, la pollution. Les kilomètres défilent et la discussion roule aussi vite que le camion-dépanneur. Boogie leur offre un café chez Tatchun Centre, près de la station-service de Carmacks, là-même où ils ont fait le complément de carburant, celui qu’il ne fallait pas. Ils continuent d’échanger. Les Marseillais sont-ils sur le point d’oublier leur mésaventure ? Boogie dit qu’un de ses proches travaille chez Alkan Air, une agence de voyage à Whitehorse spécialisée dans les vols charters en monomoteur vers Inuvik. Il nous aidera avec plaisir. Le vol c’est plus cher, mais très agréable. À Inuvik, vous irez dans ma famille, « no problem ». Boogie habite à Inuvik « à cause du travail », le reste de sa famille réside à Tuk.

La discussion se poursuit jusqu’à Whitehorse. À cette heure-là, l’agence Budget est fermée ainsi que le parking où ils ont stationné le Westfalia. Ils prennent une chambre dans le même hôtel que le conducteur, le Yukon Inn, dans le centre-ville. Leur discussion se poursuit avec Boogie au restaurant de l’hôtel et une bonne partie de la soirée avec photos et vidéos de son ordinateur. Il leur parle de la « Tundra mosque » avec grand sourire. Il y était le jour du grand repas, « itw as a great party, o yah ! »  « I’m here, look ! » Il est assis avec des amis, il porte la même casquette qu’aujourd’hui, ce que fait remarquer Omar en riant.

Le lendemain matin, devant l’agence de location, juste avant de restituer le véhicule endommagé, Omar propose à l’homme, désormais leur ami, les jerrycans de carburant dont ils n’ont plus besoin, non sans préciser « diesel », sans rire et sans faire de l’esprit, ce serait malvenu. Le chauffeur-mécanicien accepte et les remercie chaleureusement. Bien sûr, ils échangent leurs coordonnées téléphoniques.

  • On te rappellera demain, promis. Nous avons besoin de réfléchir un peu plus.
  • N’hésitez pas surtout.

À l’agence de location de voitures, l’employé leur rappelle ce qu’il leur avait signifié la veille au téléphone, à savoir que « les frais de remise en état du véhicule ne sont pas pris en charge par l’assureur, car manifestement l’incident vous incombe à vous, pas à notre agence. » Carte bleue : 1600 dollars canadiens. Ils ont transféré leurs effets dans le Westfalia stationné dans le parking de la société.

Le temps ne permet pas à Omar et Véro d’envisager un nouveau départ en direction d’Inuvik ou de Tuktoyaktuk, à tout le moins par route. Ils sont fatigués. Ils ont besoin d’un temps de repos, de remise en état. Et puis leurs jours sont comptés. Ils en discutent entre eux. Ils n’excluent pas du tout la proposition de Boogie. Dans l’esprit de Omar, deux visions complémentaires se côtoient. La première est celle d’une barge transportant une petite mosquée sur le Mackenzie, de Hay River à Inuvik. La seconde est celle d’un petit avion l’emportant lui et Véro encore plus haut dans les Grand territoires. Fouler le plancher tapissé de la mosquée d’Inuvik et les sous-sols gelés de Tuktoyaktuk ne peut demeurer un rêve inassouvi. C’ est une promesse dont il est impossible de faire l’impasse. Ils se décideront le lendemain.

* * *

Quant à moi, je vous remercie d’avoir partagé ce carnet de voyage, du premier au dernier jour de ramadan. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas le dernier. Merci encore. Je vous dis joyeux aïd.

Ahmed HANIFI. 

PHOTOS

ET BELLES VIDÉOS À LA SUITE

________________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR LES VIDÉOS

°

________________________________________________

Monique Hervo est décédée

Je suis très peiné par la disparition de Monique Hervo,  ce lundi 20 mars 2023. Elle a tant donné aux Algériens, à la Révolution. Je l’apprends par un petit encadré dans le Quotidien d’Oran de ce matin. Monique Hervo mérite non pas un ridicule un espace de quelques lignes, mais des pages entières sur plusieurs jours et dans plusieurs journaux. Et des conférences et des films… Monique Hervo était la bonté, l’empathie et l’engagement personnifiés. (voir la vidéo en bas de l’article)

Monique Hervo a fait ce que sa conscience lui commandait de faire, au grand jour. Elle n’a jamais rien demandé. La nationalité algérienne lui a été attribué il y a cinq ans.

J’en ai fait un personnage dans mon dernier roman, « Le choc des ombres ». Voici quelques extraits :

______________

(…) « Quelques mois plus tard, en août, alors que son épouse s’apprêtait à accoucher, Kada s’alarmait, car avec ces choses-là il ne savait comment s’y prendre. Heureusement, une jeune bénévole du Service civil international, très dévouée fit le nécessaire pour qu’une sage-femme dont elle était proche se déplace jusqu’à leur taudis. Kada l’appelle « Madame Monique ». C’est une jeune femme élégante, de taille moyenne, à peine plus âgée que la sienne, quatre ans de plus. Ses cheveux noirs sont coupés court. C’est une dame au cœur aussi grand que ses convictions, autrement dit aussi grand qu’on y logerait la générosité du monde. Depuis quelques années, elle s’était engagée dans les chantiers de volontariat international après avoir été scout de France. Elle qui vécut une partie de son enfance dans un hôtel meublé du 18e arrondissement de Paris sait ce que signifie l’habitat précaire. Depuis le grand incendie du carré nord du bidonville, « à côté de la gare de triage », la bénévole passait des nuits entières avec des familles en détresse. La sage-femme ne connaissait pas le bidonville et risquait de perdre beaucoup de temps, c’est pourquoi « Madame Monique » se rendit sur le lieu des rendez-vous, au 127 rue de la Garenne chez Ali le gérant du café-hôtel, à La Folie, pour attendre son amie. « Le 127 » est une adresse connue par tous les Algériens de Nanterre. La plupart d’entre eux l’utilisent. Moins pour l’hébergement — l’affichette scotchée sur la porte indique souvent « coumpli » — que pour siroter un café ou un thé avec les amis en écoutant M’hamed El Anka, Slimane Azem, Farid El Atrache, Lina l’Oranaise, ou Fadéla Dziria. C’est aussi leur adresse postale. La sage-femme examina Khadra. Elle la rassura et lui certifia que l’accouchement était très proche. Depuis une semaine Monique se présentait tous les jours pour s’enquérir de la santé de Khadra, réduisant par conséquent ses interventions dans les autres bidonvilles. Le six août c’est en taxi que toutes les trois, Monique, la sage-femme et Khadra se rendirent à l’hôpital de Nanterre. C’était bien la première fois que Khadra quittait le bidonville sans son mari, ou même derrière lui. Monique resta à son chevet jusqu’à l’heure de clôture des visites. Le lendemain elle revint à la première heure autorisée. Messaoud naquit à l’aube du samedi sept, « à deux heures ». Monique se chargea d’enregistrer le nouveau-né, puis de régulariser leur mariage à l’état civil où on avait l’habitude de ce type de situation. Mais cela nécessita quelques semaines néanmoins. Ainsi, Messaoud naquit avant le mariage civil de ses parents. Il en fallut des papiers. (…)

Au cinéma, les Parisiens préfèrent les blondes comme Marilyn ou un Premier rendez-vous avec Danielle Darrieux. Les habitants du bidonville invitent souvent Monique à reprendre du thé et à rester un peu plus avec eux. À ses côtés ils sont rassurés, presque heureux de découvrir qu’il n’y a pas que de la haine qui est offerte à l’étonnement de leurs yeux. Monique Hervo transcrit au mieux qu’elle peut leur parole sur des feuilles blanches avec une plume trempée dans l’encrier bleu de Waterman qu’elle transporte toujours dans son gros cartable. Elle écrit à leurs familles restées au bled des lettres qu’ils lui dictent comme ils peuvent, avec une infinie précaution chargée de retenue et de respect. Elle écrit à l’administration, leur explique toutes sortes de démarches à entreprendre, comment utiliser les médicaments…

(…) Il prit peur et aussitôt se déprécia de se laisser gagner par cet état et les tremblements qui s’emparaient de ses jambes, mais c’était au-delà de ses forces. Il tenta de se ressaisir, fit demi-tour. La peur gagnait d’autres manifestants. Des enfants et des femmes couraient dans tous les sens et, de nouveau, Kada pensa à sa famille, à ses fils. Monique avait promis de passer à la maison, comme souvent les mardis, pour consacrer une heure de son temps — qu’il ne lui viendrait jamais à l’esprit de compter — au petit Messaoud pour qu’il apprenne à lire correctement et comprenne la leçon. Mais le matin il avait entendu dire que Monique avait la ferme intention de se joindre aux manifestants. Il la revoyait dans ses pensées. Il l’entendait : « Messaoud, retiens bien ceci, le mot qui dit ce que font les personnes, les animaux, ou les choses… » Kada ne savait plus, il ne retint pas la suite, « est un verbe, un verbe. » Il la voyait, penchée sur son enfant « lit Messaoud, lit : la fille rit. Le chat miaule. Le train roule. » Et Messaoud reprenait les phrases écrites sur son premier livre de grammaire française, à la lueur de la bougie, en faisant glisser son doigt le long des jambages et traverses des lettres, et il répétait encore à la demande de Monique : « la fille rit… » Kada sourit à cette pensée. Comment son fils, qui n’a que sept ans, pouvait saisir ce que lui-même ne comprend pas ? Des policiers, groupés, chargèrent de plus belle : « ratons ! », « fellouzes ! », « crouillats ! » La présence des Français musulmans d’Algérie dans les rues est perçue comme un défi, comme la violation du couvre-feu instauré pour eux seuls, dès 20 h 30.

(…) Lorsqu’au printemps 1962 Kada apprit qu’on lui avait attribué un logement, il ne sut comment exprimer sa gratitude à Monique, car sans son aide il n’est pas sûr qu’il aurait bénéficié de quoi que ce fut. S’il fallait aux autorités montrer leur fermeté à l’encontre du FLN, il leur fallait également montrer qu’elles prenaient en considération les revendications du puissant parti communiste et des nombreuses associations qui ne cessent depuis des années d’attirer leur attention sur l’insoutenable quotidien des familles dans les bidonvilles autour de Paris. Le premier week-end de septembre, Kada emménagea dans un logement de la Cité des grands prés. Plusieurs officiels étaient là, ainsi que des agents de l’ordre public. Kada était content de quitter La Folie et plus content encore que Monique fut présente. « Si je suis arrivé là, c’est grâce à toi Monique » lui dit-il, « tu restes manger le couscous ». D’autres familles bénéficièrent de logements identiques. La cité de transit est constituée d’un ensemble de baraquements individuels de même forme, de même surface, semblables dans la couleur, alignés comme les soldats d’une armée alpine. Depuis que Khadra l’avait rejoint, Kada rêvait, la nuit comme le jour, d’un abri décent et ils en discutaient souvent. (…)

_____________________________________________________

Cliquer ICI sur ce lien pour voir la vidéo avec Monique Hervo

_____________________________________________________

CLIQUER SUR CE LIEN (autres, informations, images…)

______________________________________________________

BOUDJEDRA, KHADRA

Cela a commencé par la lecture de ce texte outrancière ment violent de Yasmina Khadra qui répond semble-t-il à un autre de Rachid Boudjedra.

Voici le texte de Khadra sur sa page FB, puis repris par « Chroniques algériennes » récemment.

J’ai volontairement ajouté les commentaires de utilisateurs de Facebook.

______________________________________

Dans l’ordre…

C’est dire l’envergure ! Mais…. je n’ai pas lu le livre à l’origine de tout cela, le livre de Rachid Boudjadra, « Les contrebandiers de l’Histoire » (ed Frantz Fanon, 2017)


Voici mon mot du 20 mars et les commentaires qui ont suivi

Et les commentaires

Ce matin, mardi 21 mars, j’ajoute un mot et ces pages des deux romans dont j’ai extrait hier les phrases.

Mon mot:

L’écriture de Rachid Boudjedra (81 ans),« Faulknérienne », une écriture qui se mord la queue (en spirale, circulaire), traverse toute son œuvre. Il use aussi du monologue intérieur, malmène en quelque sorte les schémas classiques d’écriture. Ses textes sont parfois fragmentaires. Il scrute de l’intérieur, les profonds mouvements sociétaux, il dénonce l’ordre sociétal établi, la violence qui traverse la société. Boudjedra use de l’inter et de l’intratextualité. Boudjedra se définit comme un artiste. Elle est loin, très loin de l’écriture de Khadra. Un mot pour dire que depuis quelques décennies, Boudjedra écrit en arabe, puis il adapte (différent de traduire) en français ses propres textes. Est-ce le cas pour tous ses écrits ? à vérifier. Il demeure, dans la durée, l’un des plus importants (sinon le plus important après Kateb Yacine) auteurs algériens. L’écriture mise à part, il est insupportable (trop long à détailler).

Je joins ici (à la suite de ces pages des romans) une vidéo concernant l’autre auteur. Il s’agit d’une émission très célèbre de France Inter (et très ancienne, créée en 1955 !). Écoutez-la. Ces critiques littéraires de l’incontournable « Masque et la plume » sont « sans pitié » comme on dit.(CLIQUER SUR LE LIEN, EN BAS DE CETTE PAGE, EN ROUGE)

Les pages…

_______________________________________________

//////////////////////////////////////////////////////////////////

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION « LE MASQUE ET LA PLUME » à propos de Yasmina Khadra

//////////////////////////////////////////////////////////////////

VOIR AUSSI:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2021/02/739-yasmina-khadra-est-un-ecrivain.html

__________________________________

DANIEL DEFERT

(Une vidéo en fin d’article)

Je viens d’apprendre la disparition de Daniel Defert (le 7 février à 85 ans – il est né le 10/09/1937). Il a été un de mes enseignants de sociologie à l’université de Vincennes dans les années 70, (Vincennes cette grande ‘‘usine’’ de conscientisation !) Il a été un des plus attachants profs, un de ceux qui m’ont encouragé à poursuivre les études. Ce que j’ai fait. Il était alors membre du GIP, Groupe d’information sur les prisons qu’il venait de monter depuis peu, notamment avec son ami Michel Foucault. (Je me souviens d’un autre prof, Christian Wekerlé, qui était lui aussi membre du GIP, qui enregistrait systématiquement ses cours pour en faire bénéficier les personnes emprisonnées.) À la suite de la disparition de Michel Foucault, Daniel Defert a fondé l’association AIDES (acronyme de Acquired Immune Deficiency Syndrome).

L’enregistrement qui suit est un extrait d’un cours ou Unité de Valeurs « Sécurité et responsabilité dans l’entreprise » de Daniel Defert à Vincennes, que j’ai enregistré (mercredi 03 mai 1978). J’enregistrais les cours et les réécoutais et vérifiais mes notes…

Vincennes a vu passer en son sein d’autres hommes et des femmes de grande envergure dont (pour quelques-uns) j’ai suivi les cours à l’exemple de Michel Foucault, Hélène Cixous, Jean François Lyotard, Étienne Balibar, Jaques Rancière, François Châtelet, Alain Badiou, Gilles Deleuze, Madeleine Rébérioux, Guy Hockenghem, Maria Antonietta Macciocchi, Henri Weber, Robert Castel, Denis Guedj …. Et beaucoup d’enseignants étrangers (Amérique latine, Maghreb…)

Samedi 11 février 2023

_________________________

°

CLIQUER ICI POUR LIRE/VOIR/ECOUTER VIDÉO

°

___________________________

BONNE ET HEUREUSE ANNÉE 2023 !

Il est difficile en ces temps moroses, en ces temps de crises sanitaires, économiques, du politique, de revirement, de lâcheté, il est difficile en ces temps de retournement de vestes, en ces temps de retour vers des solutions que des millions de peuples à travers le monde ont définitivement rejeté dans les poubelles de l’Histoire après les avoir vécues dans leurs chairs. Le faire d’une minorité à travaux forcés sans égard pour l’écrasante majorité sommée de se terrer. Mais la nécessité exige de nous de garder vivants nos vœux, de les essaimer. Ils sont notre utopie aujourd’hui, ils seront notre réalité demain ou après-demain.

Voici les miens à travers cette vidéo. La musique tout le long de la vidéo est les célèbres concertos  « Les Quatre saisons » d’Antonio Vivaldi (1723). 

 Je vous dis donc BONNE ANNÉE 2023 et à bientôt n’challah. LIBERTÉ POUR TOUS LES DÉTENUS D’OPINION.

_________________________________________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÈO

°

________________________________________________________________________

ANNIE ERNAUX, le discours de Stockholm

ANNIE ERNAUX recevra officiellement le prix Nobel de littérature à Stockholm, demain samedi 10 décembre 2022. Voici l’intégralité de son discours devant l’Académie suédoise.  

« Le prix Nobel de littérature 2022 a été décerné à Annie Ernaux ‘‘pour le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle débusque les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle’’. » © Fondation Nobel 2022©

Par Annie Ernaux 

(La vidéo suit le texte)

Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes. Une sorte de clé. Aujourd’hui, pour affronter une situation que, passé la stupeur de l’événement – « est-ce bien à moi que ça arrive ?  » –, mon imagination me présente avec un effroi grandissant, c’est la même nécessité qui m’envahit. Trouver la phrase qui me donnera la liberté et la fermeté de parler sans trembler, à cette place où vous m’invitez ce soir.

Cette phrase, je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté, sa violence. Lapidaire. Irréfragable. Elle a été écrite il y a soixante ans dans mon journal intime. « J’écrirai pour venger ma race. » Elle faisait écho au cri de Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » J’avais 22 ans. J’étais étudiante en lettres dans une faculté de province, parmi des filles et des garçons pour beaucoup issus de la bourgeoisie locale. Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. Qu’une victoire individuelle effaçait des siècles de domination et de pauvreté, dans une illusion que l’École avait déjà entretenue en moi avec ma réussite scolaire. En quoi ma réalisation personnelle aurait-elle pu racheter quoi que ce soit des humiliations et des offenses subies ? Je ne me posais pas la question. J’avais quelques excuses.

Depuis que je savais lire, les livres étaient mes compagnons, la lecture mon occupation naturelle en dehors de l’école. Ce goût était entretenu par une mère, elle-même grande lectrice de romans entre deux clients de sa boutique, qui me préférait lisant plutôt que cousant et tricotant. La cherté des livres, la suspicion dont ils faisaient l’objet dans mon école religieuse me les rendaient encore plus désirables. Don Quichotte, Voyages de Gulliver, Jane Eyre, contes de Grimm et d’Andersen, David Copperfield, Autant en emporte le vent, plus tard Les Misérables, Les Raisins de la colère, La Nausée, L’Étranger : c’est le hasard, plus que des prescriptions venues de l’École, qui déterminait mes lectures.

Je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture

Le choix de faire des études de lettres avait été celui de rester dans la littérature, devenue la valeur supérieure à toutes les autres, un mode de vie même qui me faisait me projeter dans un roman de Flaubert ou de Virginia Woolf et de les vivre littéralement. Une sorte de continent que j’opposais inconsciemment à mon milieu social. Et je ne concevais l’écriture que comme la possibilité de transfigurer le réel.

Ce n’est pas le refus d’un premier roman par deux ou trois éditeurs – roman dont le seul mérite était la recherche d’une forme nouvelle – qui a rabattu mon désir et mon orgueil. Ce sont des situations de la vie où être une femme pesait de tout son poids de différence avec être un homme dans une société où les rôles étaient définis selon les sexes, la contraception interdite et l’interruption de grossesse un crime. En couple avec deux enfants, un métier d’enseignante, et la charge de l’intendance familiale, je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture et de ma promesse de venger ma race. Je ne pouvais lire « la parabole de la loi » dans Le Procès, de Kafka, sans y voir la figuration de mon destin : mourir sans avoir franchi la porte qui n’était faite que pour moi, le livre que seule je pourrais écrire.

Mais c’était sans compter sur le hasard privé et historique. La mort d’un père qui décède trois jours après mon arrivée chez lui en vacances, un poste de professeur dans des classes dont les élèves sont issus de milieux populaires semblables au mien, des mouvements mondiaux de contestation : autant d’éléments qui me ramenaient par des voies imprévues et sensibles au monde de mes origines, à ma « race », et qui donnaient à mon désir d’écrire un caractère d’urgence secrète et absolue. Il ne s’agissait pas, cette fois, de me livrer à cet illusoire « écrire sur rien » de mes 20 ans, mais de plonger dans l’indicible d’une mémoire refoulée et de mettre au jour la façon d’exister des miens. Écrire afin de comprendre les raisons en moi et hors de moi qui m’avaient éloignée de mes origines.

Il me fallait rompre avec le « bien-écrire »

Aucun choix d’écriture ne va de soi. Mais ceux qui, immigrés, ne parlent plus la langue de leurs parents, et ceux qui, transfuges de classe sociale, n’ont plus tout à fait la même, se pensent et s’expriment avec d’autres mots, tous sont mis devant des obstacles supplémentaires. Un dilemme. Ils ressentent, en effet, la difficulté, voire l’impossibilité d’écrire dans la langue acquise, dominante, qu’ils ont appris à maîtriser et qu’ils admirent dans ses œuvres littéraires, tout ce qui a trait à leur monde d’origine, ce monde premier fait de sensations, de mots qui disent la vie quotidienne, le travail, la place occupée dans la société. Il y a d’un côté la langue dans laquelle ils ont appris à nommer les choses, avec sa brutalité, avec ses silences, celui, par exemple, du face-à-face entre une mère et un fils, dans le très beau texte d’Albert Camus Entre oui et non. De l’autre, les modèles des œuvres admirées, intériorisées, celles qui ont ouvert l’univers premier et auxquelles ils se sentent redevables de leur élévation, qu’ils considèrent même souvent comme leur vraie patrie. Dans la mienne figuraient Flaubert, Proust, Virginia Woolf : au moment de reprendre l’écriture, ils ne m’étaient d’aucun secours. Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venu, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte.

Très vite aussi, il m’a paru évident – au point de ne pouvoir envisager d’autre point de départ – d’ancrer le récit de ma déchirure sociale dans la situation qui avait été la mienne lorsque j’étais étudiante, celle, révoltante, à laquelle l’État français condamnait toujours les femmes, le recours à l’avortement clandestin entre les mains d’une faiseuse d’anges. Et je voulais décrire tout ce qui est arrivé à mon corps de fille, la découverte du plaisir, les règles. Ainsi, dans ce premier livre, publié en 1974, sans que j’en sois alors consciente, se trouvait définie l’aire dans laquelle je placerais mon travail d’écriture, une aire à la fois sociale et féministe. Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.

Comment ne pas s’interroger sur la vie sans le faire aussi sur l’écriture ? Sans se demander si celle-ci conforte ou dérange les représentations admises, intériorisées sur les êtres et les choses ? Est-ce que l’écriture insurgée, par sa violence et sa dérision, ne reflétait pas une attitude de dominée ? Quand le lecteur était un privilégié culturel, il conservait la même position de surplomb et de condescendance par rapport au personnage du livre que dans la vie réelle. C’est donc, à l’origine, pour déjouer ce regard qui, porté sur mon père dont je voulais raconter la vie, aurait été insoutenable et, je le sentais, une trahison, que j’ai adopté, à partir de mon quatrième livre, une écriture neutre, objective, « plate » en ce sens qu’elle ne comportait ni métaphores ni signes d’émotion. La violence n’était plus exhibée, elle venait des faits eux-mêmes et non de l’écriture. Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet.

Le désir de me servir du « je »

Continuer à dire « je » m’était nécessaire. La première personne – celle par laquelle, dans la plupart des langues, nous existons, dès que nous savons parler, jusqu’à la mort – est souvent considérée, dans son usage littéraire, comme narcissique dès lors qu’elle réfère à l’auteur, qu’il ne s’agit pas d’un « je » présenté comme fictif. Il est bon de rappeler que le « je », jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire, ainsi que le revendique Jean-Jacques Rousseau dans ce premier préambule des Confessions : « Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. »

Ce n’est pas cet orgueil plébéien qui me motivait (encore que…), mais le désir de me servir du « je » – forme à la fois masculine et féminine – comme un outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies, celles que le monde autour ne cesse de nous donner, partout et tout le temps. Ce préalable de la sensation est devenu pour moi à la fois le guide et la garantie de l’authenticité de ma recherche. Mais à quelles fins ? Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets, mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires. Qui pourrait dire que l’amour, la douleur et le deuil, la honte ne sont pas universels ? Victor Hugo a écrit : « Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. » Mais toutes choses étant vécues inexorablement sur le mode individuel – « c’est à moi que ça arrive » –, elles ne peuvent être lues de la même façon que si le « je » du livre devient, d’une certaine façon, transparent et que celui du lecteur ou de la lectrice vienne l’occuper. Que ce « je » soit, en somme, transpersonnel, que le singulier atteigne l’universel.

C’est ainsi que j’ai conçu mon engagement dans l’écriture, lequel ne consiste pas à écrire « pour » une catégorie de lecteurs, mais « depuis » mon expérience de femme et d’immigrée de l’intérieur, depuis ma mémoire désormais de plus en plus longue des années traversées, depuis le présent, sans cesse pourvoyeur d’images et de paroles des autres. Cet engagement comme mise en gage de moi-même dans l’écriture est soutenu par la croyance, devenue certitude, qu’un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment. Quand l’indicible vient au jour, c’est politique.

Forme la plus violente et la plus archaïque

On le voit aujourd’hui avec la révolte de ces femmes qui ont trouvé les mots pour bouleverser le pouvoir masculin et se sont élevées, comme en Iran, contre sa forme la plus violente et la plus archaïque. Écrivant dans un pays démocratique, je continue de m’interroger, cependant, sur la place occupée par les femmes, y compris dans le champ littéraire. Leur légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a en France et partout dans le monde des intellectuels masculins, pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines.

Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et/ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais également collective. Déchiffrer le monde réel en le dépouillant des visions et des valeurs dont la langue, toute langue, est porteuse, c’est en déranger l’ordre institué, en bouleverser les hiérarchies.

Mais je ne confonds pas cette action politique de l’écriture littéraire, soumise à sa réception par le lecteur ou la lectrice avec les prises de position que je me sens tenue de prendre par rapport aux événements, aux conflits et aux idées. J’ai grandi dans la génération de l’après-guerre mondiale, où il allait de soi que des écrivains et des intellectuels se positionnent par rapport à la politique de la France et s’impliquent dans les luttes sociales. Personne ne peut dire aujourd’hui si les choses auraient tourné autrement sans leur parole et leur engagement. Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation. Mais, dans le même temps, il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays jusqu’ici démocratiques. Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir de vigilance. Quant au poids du sauvetage de la planète, détruite en grande partie par l’appétit des puissances économiques, il ne saurait peser, comme il est à craindre, sur ceux qui sont déjà démunis. Le silence, dans certains moments de l’Histoire, n’est pas de mise.

Une victoire collective

En m’accordant la plus haute distinction littéraire qui soit, c’est un travail d’écriture et une recherche personnelle menés dans la solitude et le doute qui se trouvent placés dans une grande lumière. Elle ne m’éblouit pas. Je ne regarde pas l’attribution qui m’a été faite du prix Nobel comme une victoire individuelle. Ce n’est ni orgueil ni modestie de penser qu’elle est, d’une certaine façon, une victoire collective. J’en partage la fierté avec ceux et celles qui, d’une façon ou d’une autre, souhaitent plus de liberté, d’égalité et de dignité pour tous les humains, quels que soient leur sexe et leur genre, leur peau et leur culture. Ceux et celles qui pensent aux générations à venir, à la sauvegarde d’une Terre que l’appétit de profit d’un petit nombre continue de rendre de moins en moins vivable pour l’ensemble des populations.

Si je me retourne sur la promesse faite à 20 ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier. Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge social dans ce qui se présente toujours comme un lieu d’émancipation, la littérature.

© Fondation Nobel 2022©

Annie Ernaux

Publié notamment par Le Monde, l’Observateur…datés 7 décembre 2022

____________________ VIDÉO EN PAGE SUIVANTE_______________

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC à LABTER

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC

Les principes du Droit doivent s’appliquer à tout citoyen. Lazhari Labter est un citoyen algérien arrêté pour on ne sait quelles raisons. Nous ne savons pas si celles-ci lui ont été notifiées. Le Droit doit lui être appliqué. Si son Droit a été offensé par la force, au détriment du Droit, il faut dénoncer ce recours à la force. Lui-même ne dit rien à ce propos. Aujourd’hui monsieur Labter a été libéré après avoir purgé sa garde à vue. Et c’est tant mieux, même s’il demeure sous contrôle judiciaire (nous ne sommes pas dans la transparence, tant s’en faut). 

Puisqu’il ne dit rien, osons ces questions. Soit Lazhari Labter a été arrêté pour ses opinions et auquel cas nous dénonçons, car on ne demande pas ses papiers à un poète ! On ne le met pas en prison. Ça ne sert à rien de mettre en tôle un ami des mots (s’il s’agit de cela évidemment) et Nazim Hikmet connaît la chanson « Ce n’est pas pour me vanter,/, mais j’ai traversé d’un trait, comme une balle, / les dix années de ma captivité./ Et si on laisse de côté les douleurs que j’ai au foie,/ le cœur est toujours le même, la tête celle d’autrefois… » Il avait raison bien sûr. 

Soit Lazhari Labter n’a pas été arrêté pour ses opinions. Mais alors pourquoi l’a-t-il été ? Aussitôt libéré, il a remercié et rassuré ses lecteurs. Il les a remerciés « vous tous, nombreux, très nombreux, de toutes les régions de notre pays et de l’étranger qui m’ont ( !) exprimé, sous une forme ou une autre, leur ( !) solidarité… » L’émotion peut-être (« vous tous qui m’ont exprimé leur solidarité »), l’émotion disais-je . Puis il les a rassurés : « votre place dans mon cœur est spéciale, je continuerai mon combat pour ma patrie, dans le respect des principes de justice et de liberté » (ces mots de Justice et Liberté sont très puissants !) puis autocongratulation « Je suis fier de ma carrière propre (il écrit « propre ») en tant que journaliste de 1976 à 1990… » Il rassure ses lecteurs et ses proches donc, met en avant ses principes « de justice et de liberté », puis il se vante d’avoir contribué dit-il – accrochez-vous s’il vous plaît –  « à changer l’image de l’Algérie détériorée à cause… de la propagande ‘‘qui tu qui ?’’ ». Oui, oui : « tu » (l’altérité mon frère au pilori ! qui tue ? tu. Serait-ce encore l’émotion ?)  Et là ça ne va pas du tout ya Si Mohammed Wech eddek ? Mais alors pas du tout. Il escamote l’essentiel pour se vendre ou offrir ses services. Allez savoir, il noie le poisson : « Ya si Mohammed, que t’a-t-on reproché ? » Lazhari Labter sort de garde à vue et vers quoi vont ses premières pensées ? vont-elles vers le questionnement ou la clarification des causes et des raisons qui lui ont valu le mitard ?  Ne veut-il pas en parler ? Non, il ne parlera pas de ce qui fait problème, de ce qui fait os, de ce qui a inquiété tous ses proches et moins proches « pourquoi a-t-il été arrêté ? » Non, pas du tout. 

Personnellement je m’attendais à un partage de questionnements de sa part sur son arrestation, sur une erreur de personne, sur sa saine gestion de ses entreprises (gestion des subventions par exemple…), ou je ne sais quoi d’autre, se poser des questions « qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? ». Non. Les 5WH ça ne se ramasse pas à la pelle chez lui, ils ne l’intéressent pas. Il sort de prison, l’équilibre et l’air frais du matin pas tout à fait retrouvés et la première chose à laquelle il s’attaque, la première, vingt ou trente ans après, la première, sa seule préoccupation c’est, en substance, « pourquoi user du Droit au profit de qui n’en a pas le droit ? » Il dénonce « Le qui tue qui » et ses défenseurs durant les années de terreur (1990-2000), les années grises où les loups et autres affidés marchaient sur toutes les ombres à s’y amalgamer, leurs ombres, mais pas que (lire ses deux uniques messages d’hier mardi 29 novembre). 

Chers amis, j’ai décidé d’écrire ce texte uniquement parce qu’il a fait un bond en arrière de 30 à 20 ans pour accabler des hommes des causes justes, en faisant l’impasse totale sur son arrestation et sa garde à vue de la veille et de l’avant-veille. Une sorte de mauvais dribble croisé quoi, comme disent les footeux fous de Messi.

Chers amis, je n’ai pas l’espace suffisant ici pour écrire tout ce qui se bouscule à cet instant même dans mon cerveau aux capacités incertaines malgré tout avec le temps qui fuit. 1001 pages n’y suffiraient pas. Donc, j’irai à l’essentiel. Et si je suis dur ou crash avec monsieur Labter, c’est parce que ses mots contre mon camp (moi cet homme obscur, hchicha qui ne se laisse toutefois pas marcher sur les pieds, puis quoi encore ? !) m’ont été insupportables au plus haut point. Qu’il me pardonne, mais les faits sont têtus (je suis sociologue et les faits qui m’intéressent je les emprisonne, les fais mijoter jusqu’à leur faire rendre gorge). Tiens, je vais lui parler directement à ce « poète, journaliste, éditeur, manageur, éveilleur de conscience » (138 lignes plus, plus, plus, chez madame Wikipédia s’il vous plaît) qui insulte les défenseurs des Droits humains en faisant quelques petits détours (c’est lui qui a commencé ! – les années noires…) et en deux points :

1_ Monsieur Labter, vous vous honorez de « défendre les principes de justice et de liberté », de défendre la veuve et l’orphelin donc. Mais cher monsieur, votre métier (de justicier) c’est aussi de défendre le principe de présomption d’innocence. En dénigrant les défenseurs du DROIT (maître Ali Yahia, Bouchachi, Tahri…) ah la belle époque n’est-ce pas ? un coup de fil et c’était réglé et vous applaudissiez… Souvenirs, souvenirs : en insultant les mères des disparus forcés « mères de terroristes » et tous ceux qui les soutenaient et les soutiennent encore, vous et certains de vos compères vous avez déshonoré votre métier durant les années de terreur. Ces mères, ces Locas de La Place de Mai, sont notre honneur, notre fierté. Elles ont été, sont et seront (y compris après leur mort physique) la tâche éternelle sur le front de tous les staliniens et assimilés.

À faire justice à la place de la Justice vous vous êtes sali plus encore les mains et la cervelle, déjà salis par ailleurs, et hélas, le journalisme avec vous. Comment peut-on par exemple applaudir à la disparition d’un grand journal comme La Nation dont la petite musique ne vous seyait pas (à vous comme à vos donneurs d’ordre) ? Il a été interdit et vous vous êtes réjouis en y mettant les formes évidemment « problème économique » ! Nos archives sont hautes comme ça vous savez. Des centaines de journaux, quotidiens, hebdomadaires, revues diverses disponibles à l’exploration.  

J’ai pensé un temps que vous vous étiez repenti (vous et vos semblables). Pas du tout. Vous êtes fier. Vous êtes bien plus fier qu’Artaban, d’avoir contribué avec vos livres dites-vous à changer l’image de l’Algérie détériorée aussi bien en Orient qu’en Occident. À l’Est et à l’Ouest. Un Messie. Rien que cela. Vous devriez postuler pour le prix Nobel de la Paix monsieur Labter ou celui de l’entourloupe. Songez-y, cela vous refroidirait les pattes.

2_ Mettons s’il vous plaît maintenant les pieds dans le couscoussier. Rappelez-vous, c’était la période « post 88 ». Les langues se déliaient. Un vent de folle folie embaumait le pays. Depuis des années de nombreux démocrates algériens sont morts ou furent torturés, emprisonnés pour avoir défendu les Droits fondamentaux des Algériens (y compris les vôtres), il y eut Tasfut en avril 1980, la LADH (1985, MCB) et bien sûr il y eut Front uni à trois faces dénaturées contre les ‘‘opposants au régime’’, les ‘‘anti-nationalistes’’, ah, la presse algérienne ! Il y eut également les lycéens en 1986, la jeunesse en octobre 1988, puis certains partis politiques et ONG diverses. Vous devez vous demander où je veux en venir ? Patientez. C’est comme au foot, il faut élaborer une tactique, préparer des combinaisons avant d’aller droit au but, ça ressemble à la guerre, mais ce n’est que ludique. Patientez.

Voyez-vous monsieur, ce sont des gens comme vous qui nous désespèrent d’une Algérie libre et démocratique, plus que d’autres, car les gens comme vous, bousculent, alimentent, gesticulent et crient fort, voyagent de salons en manifestations jusqu’à Mouans-Sartoux et Salon, Paris…, actionnant et réactionnant les éléments de leurs réseaux sectaires (piston)… les amis des amis des amis… pour réécrire l’histoire. Bousculer pour être au centre de la photo de famille pour se faire un nom qui remplacerait d’autres noms. Un nom qui lave plus blanc. Les uns se battent toute l’année dans la discrétion et la conviction, les autres arrivent vers la mi- mars avec troupes et trompettes, billes en poche « poussez-vous c’est moi ! » Ils crient plus fort en comité de quartier pour se métamorphoser en héros. Il faut savoir que Kafka lui-même a dû attendre sa propre mort pour se métamorphoser en Kafka, pas en faisant feu de tout bois et de tout écran. 

Mais, Hamdoullah, grâce aux archives des archivistes (le plus beau métier concernant certaines contrées), les gesticulations ne sont que vaines, la vérité est sauve, même si elle ne se dévoile pas aussi vite qu’on le souhaiterait. La vérité prend son temps. Tenez, celle qui suit est demeurée longtemps sous le boisseau. Son moment est enfin venu. Ouvrez le grand rideau.

Vous étiez journaliste, monsieur Labter. Vous devez alors vous souvenir de ce morceau de rouleau de papier hygiénique que je vous avais envoyé à la rédaction de Révolution Africaine en décembre 1989 à vous et à votre compère A.L ou l’inverse, peu importe (je ne donne pas le nom de votre comparse, car il a disparu lui de la circulation et je lui en sais gré, je serais même tenté de lui rendre hommage. On faute lourdement, on se tait longtemps. On ne fait pas de harage dans un bocal vide). Je vous avais envoyé ces feuilles de rouleau de PQ pour que vous vous essuyiez la bouche avant de parler, car c’est comme cela que faisaient les opposants roumains (les vrais, pas les copies prestidigitatrices) aux journalistes roumains qui défendaient le régime communiste agonisant du sanguinaire Ceausescu. Aujourd’hui j’ai pris du poids et de l’âge, je ne procèderais pas de la même manière et puis le PQ est passé de mode. Jouer avec les mots et les partager me suffit amplement. Mais la jeunesse, ah la jeunesse !

Monsieur Labter, alors que des camarades croupissaient en prison pour avoir défendu « le droit d’avoir des droits » Révolution Africaine vous commande des articles élogieux sur Ceausescu (que vous signez avec AL. Révaf du 7 juillet 1989, du 21 juillet 1989, du 5 janvier 1990… ) Il y eut certainement d’autres flagorneries du même genre concernant Ceausescu ou d’autres tyrans. Et quel article ma mère celui du 7 juillet ! Un panégyrique sur – c’est vous et votre collègue qui repreniez ainsi, comme la propagande roumaine : « le génie des Carpates » !, LE « défenseur des libertés ». Dans votre article du 7 juillet vous consacrez cinq pages au régime sanguinaire « la Roumanie n’est pas l’enfer tant décrié par une certaine presse. » Ah ce magnifique langage, orwellien jusqu’à l’os.

Le Régime National Communiste stalinien de Ceausescu que vous défendiez serait renversé par des communistes réformateurs (le Front de Salut National). Des millions de Roumains sortaient tous les soirs dans les rues, éblouis par l’espoir levant que – le nez dans le guidon du Danube de la Pensée – vous ne voyiez pas, vous et vos semblables. Un peu d’humilité cher monsieur Lazhari Labter, un peu de décence ! Hchem chwiya âla rouhek. Les héros ne se fabriquent pas dans des comités sectaires (appuyés par « LA presse »), non, ils sont le fruit de leurs actes généreux, leurs actes de convictions, leurs actes répétés. Ils ne sont pas nés dans le gris du noir, dans ce « clair-obscur ». Méfions-nous de ceux-là agonisait Gramsci ! 

Ceci étant dit, je ne suis pas rancunier vous savez, j’ai porté (et même anticipé, faut pas être Saint-cyrien), j’ai porté vos Commandements de mars 2019 (avec un brin de méfiance, je l’avoue et vous le comprendriez), j’ai applaudi certains de vos écrits, téméraires, mais justes. Je vous demande simplement de ne pas trop user de l’omission. Méfiez-vous des procédés staliniens qui consistent en la falsification des textes (images…) en éliminant les hommes (idées) tombés en disgrâce pour les leaders du moment. En donnant toutes ces informations sur Révaf, je diminue le risque de falsification en marche. Il y en a d’autres en attente. Les archives sont immenses.

Cher monsieur, je vous suggère de faire vos ablutions et de réciter (à haute voix s’il vous plaît) un mea culpa en bonne et due forme. Vous seriez alors un homme digne du grand club d’humanistes (et peu loquaces- ils n’ont pas de toits, eux, sur lesquels crier), le club des défenseurs des DROITS HUMAINS FONDAMENTAUX.

Des Droits pour tous, les mêmes droits pour tous. TOUS. Pour conclure, je paraphraserais cher monsieur, un célèbre poète victorien « l’humilité est la mère de toutes les vertus ». Et puis, disons-le ouvertement comme ce grand Yankee (je n’aime pas les Yankees, mais là, ‘‘chapô’’ ! « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Last but not least, votre panier sera complet si vous le remplissiez des sept pièces jointes (dans l’œil de Satan).

Ahmed Hanifi, 

Marseille le mercredi 30 novembre 2022

(J’ai failli préciser « auteur, écrivain, sociologue, poète, ex-gestionnaire, humanitaire, grand voyageur sympathique et tout le chkoupi » à la suite de mon nom, mais vous nous avez tout raflé)

___________________________

Lu ce jour 02.12.2022 sur la page >FB de « SOS Disparu »

Adieu Mahmoud

Les Quais de Seine près de St-Michel

___________

Voilà. L’inéluctable est tombé. Mahmoud s’en est allé. Mon ami de plus de trente ans est parti dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 novembre 2022. Nous venions de l’abandonner aux siens dans la chambre 309 de l’hôpital Avicenne de Bobigny, cette ville qu’il a aimée et où il a habité des décennies jusqu’au dernier jour de sa vie. Il y a une quinzaine de jours, nous échangions au téléphone avec légèreté, peut-être un peu feinte. Si-Mahmoud avait ses croyances et ses convictions. J’ai les miennes. Parfois les unes et les autres engendraient de la friture sur nos lignes, mais rien de bien grave. Mais il ne plaisantait jamais avec ses principes. Nous avions tant de choses essentielles en commun que nous partagions. Les monuments, les amis, les voyages en faisaient partie. Les sujets tels que la découverte de nouveaux pays, de leur Histoire, de leur population, de leur culture nous rapprochaient, tandis que nous en évitions d’autres. 

Mahmoud Bessaih, dans le ferry vers Puttgarden en Allemagne _ 2009

Ces dernières années, après Guernica en Pays basque espagnol, Mahmoud avait concrétisé un autre rêve de jeunesse, visiter Cuba, découvrir les Cubains, les vrais. Il parlait avec générosité de l’accueil très fraternel des Havanais de Lavibora, de Puentes grande, des plantations, des récoltes (la zafra) et de la transformation de la canne à sucre, de leurs boutiques à bière au bord de l’effondrement, d’autres très réputées ouvertes aux touristes en mal de nostalgie ou de spleen : le bar-restaurant El Floridita que fréquentait Hemingway, les pêcheurs à la ligne et les sublimes cubaines – répétait-il. Évidemment, le grand adversaire, el gran imperialista, les États-Unis d’Amérique avec leurs gringos qui s’étaient métamorphosés. Mahmoud racontait les routes mythiques et le Bagdad Café sur « la 66 » complètement déclassé où il s’est rendu, en Newberry Springs (Californie), le désert du Mojave. Las Végas qu’il a détestée, mais qu’il lui fallait découvrir et la folie autour, Los Angeles et San Francisco… Il n’avait qu’une envie : retourner en Californie et traverser le pays d’ouest en est jusqu’à New-York, à l’image de Jack Kerouac avec la folie en moins. Il racontait avec moult détails, les rencontres, les monuments, si bien que j’avais l’impression de l’avoir accompagné.

Il est vrai que nous avons visité le pays des Cow-boys, chacun de notre côté, lui l’ouest, moi l’est. Mais il est vrai aussi que nous avons traversé ensemble une partie de l’Europe du Nord pendant des semaines en passant par Bruxelles, Copenhague, Malmö, Hambourg, presque comme des jeunes routards en ébullition. 

Lorsque, comme lui, j’habitais Paris (ou sa banlieue), nous parcourions la plus belle ville du monde de la Porte de Clignancourt à La Porte d’Orléans, de la Porte de Bagnolet à la Porte d’Auteuil. À la recherche de rien, juste pour marcher et observer, voir, écouter, échanger. Cela pouvait aller des quais de la Seine avec ses bouquinistes, de la rue de la Huchette et le Cabaret El Djazaïr, aujourd’hui disparu, à Saint-Denis, entre la basilique et la Place du 8 mai 1945 (leur 8 mai) dans un bar où nous avions appris presque instantanément son assassinat, l’horrible nouvelle de l’exécution de Matoub Lounès. Le bar se ferait soudain silencieux. La rumeur enflerait sur le trottoir à n’en plus pouvoir.

Des anciennes halles de la Villette où Cheikha Rimitti régalait la galerie avec à sa tête le dandy Jack Lang, venu en soutien à la culture algérienne, à la MJC de Bobigny avec les toutes premières interventions des frères Naoui et Khaled (j’avais écrit pour Libé un papier sur la soirée qu’ils ont intitulé « Du rail, du raï, oh yeah ! »  

Lorsque nous avions emmagasiné tant et tant de kilomètres dans les mollets (entrecoupés de quelques transports en métro), il ne nous restait qu’à rejoindre feu Larry et tous les Oranais de Barbès dans son ridicule bistrot à Simplon, Aïcha dans son boui-boui face au Pont tournant et au regard de Garance ou Kader rue de Lappe, rue de Lappe/Passez la monnaie /Passez la monnaie / Et ça tournait /Et plus ça tournait / Et plus ça tournait…  Je n’oublie pas notre ami commun Hadj évidemment qui était le troisième larron de toutes nos péripéties. Nous connaissions tous les recoins de la ville-Monde. Il nous arrivait de nous retrouver sur la Place de la République pour une marche ou une manifestation pour les libertés en Algérie, un colloque à l’EHESS une soirée politique à Paris 8, au Salon du Maghreb du livre, à une rencontre autour de l’Algérie avec Mohammed Harbi ou Pierre Bourdieu. Nous étions (je suis toujours) en recherche naïve d’une potion magique (puisque tout le légal devint interdit) pour chasser du pays les requins, mais les requins sont comme les loups. Et nous avons fait chou blanc. À ce jour. Les mêmes requins et leurs progénitures sont toujours là, comme par magie après le grand coup de semonce, à saigner les Algériens toujours plus que la veille, à leurs profits et à ceux de leurs premiers et seconds cercles. Et aux opportunistes évidemment qui ont acheté de nouvelles vestes à retourner chez les premières friperies. En dernier adieu j’ai fait la tournée de quelques lieux de Paris que nous fréquentions et aimions. Puis nous nous sommes, cas de force majeure, séparés. 

Mahmoud, tu es resté à Paris, alors que je suis descendu sous le soleil provençal. Je t’ai eu au téléphone il y a une vingtaine de jours. J’ai compris qu’il me fallait te rendre vite visite. Le temps au mauvais a refroidi le soleil. Il est implacable avec ou sans cache-nez et bonnet. La visite s’est transformée en à Dieu à la porte 15 du funérarium d’Avicenne.

Pour toi, je suis allé faire un dernier grand tour à la bibliothèque Mohammed Arkoun (Paris 5°), à la bibliothèque Assia Djebar (20°), au jardin Kateb Yacine (13°), la rue Frantz Fanon (20°), la place Rimitti (18°), la place Maurice Audin (5°)

Aujourd’hui,  autour de toi, au cimetière de La Senia, se sont réunis tous ses amis pour une dernière accolade. C’est le seul faux bond cher ami Mahmoud de ne pas y être, pardonne-moi. Je voudrais, pour conclure cher ami, reprendre ton cri de joie préféré que tu me lançais lors de nos retrouvailles : « Aïwa ! »

Ahmed Hanifi, 

Paris le 29 novembre 2022

Copenhague- 08.2009

Kolding (DK) dans le Jutland _ 08.2009

SOS Méditerranée, « Ocean Viking »…

________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO SOIRÉE AU THÉÂTRE DE LA CRIÉE _ MARSEILLE

°

_______________________________________

Pendant que la France nauséeuse hurlait « Retourne en Afrique ! » (au sein même de l’Assemblée Nationale) à l’endroit de Carlos Martens Bilongo, député noir de La France Insoumise, ce 3 novembre 2022, l’autre France, généreuse et porteuse d’honneur, secourait en mer des centaines d’Africains en détresse, au plus près de la mort, ou applaudissait ce secours de SOS Méditerranée avec le navire affrété Ocean Viking. Cette France généreuse est majoritaire. Elle fait honneur à la dignité humaine, à la fraternité des hommes.

Dans le cadre des Rencontres d’Averroès ((17-20 nov 2022) à Marseille, une soirée intitulée « Musique, chansons et lectures de textes » été dédiée à cette association. Des dizaines d’artistes et d’écrivains se sont mobilisés auprès de SOS Méditerranée : Abd Al Malik, Marie Darrieusecq, Laurent gaudé, Marie Ndiaye…et un texte intéressant de Kamel Daoud sur le mur érigé par les autorités à Aïn el Turk (Oran). J’y reviendrai. Nous étions plus de deux cents personnes environ à y assister.

_______________________________________

Qatar, la honte

QUELLE DIGNITÉ A-T-ON LORSQU’ON ACCEPTE (ON SE TAIT) LES EXACTIONS COMMISES À L’ENCONTRE D’ÊTRES HUMAINS ? QUELLE DIGNITÉ ?

6500 TRAVAILLEURS IMMIGRÉS MORTS DANS LES CHANTIERS EN 10 ANS

__________________________________________

Regardez les matches de la coupe du monde au Qatar, pourquoi pas si vous aimez le foot, mais regardez bien cette vidéo sur le rôle de la France (de Sarkozy) dans l’attribution de la coupe du monde de football au Qatar, sur les pots de vin et compagnie… Et sur le Qatar, un pays quasiment sans aucun droit (surtout) pour les NON-nationaux, un état quasi-esclavagiste où la démocratie est un terme illicite.

_______________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR LES DESSOUS DE CE PAYS DE LA HONTE QUI ACCUEILLE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL

°

_____________________________________

suite en page 2

MARCEL PROUST

______________________________________________

°

CLIQUER ICI POUR VOIR ÉMISSION SUR MARCEL PROUST

°

_________________________________________________

Il y a 100 ans disparaissait un monument de la littérature française, Marcel Proust. Il est l’auteur de la phrase la plus longue de la littérature française. Elle contient 855 mots (et 56 lignes en fichier word).  Elle se trouve au début (Partie 1- 1° apparition…page 32+) de Sodome et Gomorrhe. 

Respirez !

« Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui : “Les deux sexes mourront chacun de son côté” ; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les juifs autour de Dreyfus, de la sympathie – parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir, qui ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter à l’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, mais d’une maladie inguérissable ; comme les juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leurs rebuffades, s’enivrant de leurs complaisances ; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable celui qui l’est demeuré davantage), une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher comme un médecin l’appendicite l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’anti-chrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes, qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat : le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas en sortant de chez la duchesse, s’en va conférer avec l’apache ; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas, étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale, légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. »

Le lait était noir

Un récit biographique de Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar. Traduit de l’arabe par Ouahib Mortada

_______________________________________

Ci-après mon compte-rendu de lecture de ce livre

« Le lait était noir » est un récit biographique de l’homme de théâtre marocain Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar et traduit de l’arabe par Ouahib Mortada. Il est présenté par l’Agence de L’Oriental. Le livre est paru en arabe aux éditions Yotoubia (Maroc). L’ouvrage en français, édité à compte d’auteur, comporte 147 pages. Il s’ouvre par une dédicace et une introduction et s’achève par un mot de l’auteur sur sa rencontre avec Mohammed Benjeddi, ainsi que par des témoignages d’une douzaine d’hommes et de femmes de la sphère culturelle marocaine et française. Le livre est écrit de sorte à ce que le rendu reflète au plus près la parole de l’homme de théâtre qui se veut directe, sans fioriture. Le cœur du récit se distribue en 25 très courts chapitres, y compris « Les premières années du 21° siècle » placé en fin de livre. Parmi eux ces titres « À l’école », « Les premiers pas », « Le premier grand voyage », « Rester ou partir », « La fermeture des frontières »…

L’introduction présente la cité minière de Jerada (60 kms au sud d’Oujda) et la famille de Mohammed Benjeddi dont le père, Abdelkader, qui est mineur. Dès sa première enfance Mohammed fait face à des problèmes de santé qui l’ont éloigné de ses parents. Tout petit il souffre des jambes et des bras qu’il ne peut bouger. Il n’est pas le seul dans Jerada. Plusieurs enfants de la ville sont hospitalisés. Autre mal, Mohammed boite et souffre d’une protubérance dorsale. Ses camarades de classe se moquent de son handicap, mais ne peuvent faire mieux que lui dans l’apprentissage scolaire. Il est le meilleur de la classe. Le hasard a voulu que Mohammed connaisse les premières planches à l’école grâce à son maître d’école qui lui propose d’interpréter le rôle d’un personnage d’une pièce de Maxime Gorki où il est question d’un boiteux. Mohammed découvre un nouvel univers, encouragé par ses parents et ses enseignants. À la fin d’un spectacle de fin d’année qui se déroule au sein de la mine, Mohammed reçoit les encouragements du directeur. 

Il poursuit ses études dans un lycée d’Oujda, en interne. C’est par le journal local où son nom est écrit en toutes lettres qu’il apprend qu’il est admis au bac. Sa mère fête l’événement par une zerda où sont invités famille et voisins, et offre à son fils des vêtements neufs. La suite des études se déroulera à Oujda. Mohammed suit également les cours de la faculté de lettres de l’université de Fès, à distance. Il a un rêve, celui de voyager à l’étranger. Il se rend donc en Espagne où il se fait voler les documents de voyage, échappe à une tentative d’attentat à la bombe qui s’est révélée fausse. Il poursuit son voyage en France. Il se rend chez sa sœur, en attendant une convocation pour travailler, puis à Paris « la ville envoûtante ». Sa rencontre avec une voisine de sa sœur causera des problèmes familiaux. Il revient à Oujda où il commence à enseigner, précisément dans sa ville natale, Jerada. Mais pas pour longtemps. Il sera « disqualifié » pour cause de mauvaise santé, alors qu’un médecin le déclare apte. Il constitue un dossier prouvant qu’il est à même physiquement et mentalement d’assumer sa mission d’enseignant. Il apprendra que c’est à la suite d’une plaisanterie (la sienne) visant un médecin, que Mohammed s’est retrouvé « disqualifié de la fonction d’enseignant pour raison de santé ». Il passa des mois entre Oujda, Fès, Rabat, de ministère en ministère. Au ministère de la Fonction public on le décourage « cela prendra beaucoup de temps » lui dit-on. Et ce temps, Mohammed veut le mettre à profit.

Il se rend de nouveau en France (St Quentin) où il rencontre plusieurs artistes, participe à des projets culturels, mais le climat familial ne l’incite guère à rester en France. Ses va-et-vient reprennent entre les différents ministères. Au lycée Jerada où il enseigne, il réalise avec ses élèves une pièce de théâtre. Plus tard il participe à la mise en place du premier festival de théâtre scolaire. Il mettra en scène Al Maghout, réalise des émissions de radio, rencontre des artistes algériens, coordonne les activités de l’Alliance française à Oujda. Après la mort de son père en 2005, il quitte l’Éducation nationale après 37 années de service. Il se détache de l’Alliance française et s’installe dans un petit village, à Tafoughalt.

Mohammed Benjeddi poursuit néanmoins ses activités artistiques. Il participe avec sa troupe Comédrama au Festival d’été de Bruxelles alors que sa santé est très fragile. Le diagnostic des médecins est sans appel. Il rentre alors en urgence au Maroc puis repart en France sur insistance de son fils pour intégrer le CHU de Montpellier. La solidarité entre les artistes va formidablement jouer par l’intermédiaire d’une de ses amies, Danielle Pugnale, qui ouvre une cagnotte sur les réseaux sociaux pour aider Mohammed. Et c’est un grand succès. Les dons affluent de nombreuses régions, de nombreux pays. L’opération médicale est couronnée de succès. À son arrivée à l’aéroport d’Oujda l’artiste est accueilli par une foule importante. On organise une soirée spéciale à son honneur.

Mohammed Benjeddi, dans son entretien avec Amira Leziar l’auteure de son récit biographique, se souvient d’une belle rencontre alors qu’il était en France pour une nouvelle hospitalisation et un contrôle. Une rencontre en Normandie d’une vieille dame. C’était à la suite d’un « week-end théâtral » à Rouen. Une de ses amies qui l’accompagnait lui présenta sa tante qui avait vécu au Maroc. Et à Jerada où elle était infirmière à l’hôpital de la compagnie des mines jusqu’en 1960 et son départ pour la France. Elle a connu « Kader » le père de Mohammed et surtout la vérité sur la composition du lait qu’on distribuait aux familles. « Il y avait du lait mélangé avec des particules de goudron qui tombaient des grandes chaudières où se faisaient le remplissage des bouteilles de lait… » qui causera tant de ravages chez les enfants de Jerada. 

Sur deux pages, l’auteure, explique les conditions de cette rencontre avec Mohammed Benjeddi, notamment à Montpellier où il lui conta son histoire. Une douzaine d’acteurs de la scène artistique marocaine et française lui rendent un hommage appuyé. Le dernier chapitre du livre s’intitule « Parcours de l’artiste » qui en énumère les grands axes. Ses débuts avec « Aïcha Kandicha », son parcours professionnel à Oujda, la troupe qu’il a fondée, « Comédrama », ses représentations, ses participations à différents festivals, ses beaux échanges avec les artistes algériens. Mohammed Benjeddi a reçu la médaille d’or de la Fédération internationale du théâtre en France. Il continue aujourd’hui de suivre de très près le monde du théâtre qui ne l’a jamais abandonné.

___________

Facebook, Twitter…

Bonjour à tous,

Six mois ont passé depuis que j’ai suspendu mes interventions sur Facebook. Je ne pouvais pas demeurer sur le réseau social. Le ronron était devenu intenable. 

Certains se souviennent de ce spectacle de fête foraine où des motards tournent à l’intérieur d’une boule de métal qu’on appelait La boule de la mort. Ils montent et descendent comme des fous, sans aucune issue que celle de tourner et tourner encore jusqu’au sifflet de l’ordonnateur tapis de l’autre côté du danger, hors de la boule, lui. Facebook m’a donné ce vertige inutile. Et puis l’on se rend compte que les Trolls sont plus nombreux que les gens de bonnes intentions. La plupart de ces Trolls (vous vous rappelez des « doubabs » ?) qui subsistent je suppose, sont malveillants. Ils ne construisent pas, ils cassent le débat, les échangent. Seules comptent pour eux les polémiques, les diversions. Beaucoup sont rémunérés, remerciés (d’une façon ou d’une autre). Mais Facebook c’est aussi des rencontres, des retrouvailles, de la joie, parfois pas. 

Il est important parfois de faire des pas de côté, des pauses, mettre à distance, pour faire le point, répondre à ses propres interrogations. Et surtout relativiser. Dans beaucoup de pays (notamment du Sud), les utilisateurs des réseaux sociaux sont une très petite minorité. Ces gens ne révolutionneront pas le monde. L’autre danger dans ces pays est la télévision qui propage le mensonge à longueur de journée. Et lorsqu’il y a 8 ou 15 chaînes c’est 8 ou 15 fois autant de mêmes mensonges répétés. De ces mensonges il en reste forcément quelque chose. Les Algériens en savent un bout.

Je reviens à la parenthèse. Ces pas de côté permettent de relativiser, de mettre en perspective, de se rendre compte combien l’homme, quel qu’il soit ne changera pas seul le monde, et combien il est petit, lui l’homme. Et combien ce réseau social et les autres débordent de vanité, de haine, parfois avec l’assentiment directs ou non de leurs propriétaires. L’exemple récent montre combien le patron de Twitter compte faire émerger tous les discours quels qu’ils soient y compris les plus nauséeux, au nom de la sacro-sainte « liberté d’expression » sans borne. C’est pourquoi j’ai définitivement clos mon compte après treize années de présence. Facebook suivra-t-il ?

J’ai mis à profit cette longue parenthèse pour voir du monde, voyager, écrire. Le monde est entrain de renforcer les aspects les moins heureux, de mettre en spectacle les côtés sombres de notre humanité. Les Droits fondamentaux de l’homme partout reculent. Depuis quelques décennies un renversement progressif des valeurs qui ont fait la fierté des hommes s’est produit.

Aujourd’hui le complotisme, les idéologies que l’on croyait définitivement balayées refont surface, avec des nuances, avec des acteurs et des victimes différentes. Le nationalisme est de retour un peu partout et les cloisonnements dangereux qui vont avec. En Europe, particulièrement en France (où nous vivons) le rejet de l’immigré, de l’immigré musulman, du musulman, de l’Arabe, du Maghrébin, de l’Africain est fortement médiatisé par des chaînes d’information comme C News ou BFM… profondément réactionnaires, sans déontologie, sans éthique, avec des objectifs toujours dictés par la seule cupidité. D’autres chaînes, publiques, sauvent souvent cet honneur perdu, heureusement.

L’accueil des réfugiés ukrainiens en Europe est une nécessité pour son honneur. Le rejet simultané et clairement assumé des nouveaux boat people africains et arabes est révoltant. Le choc est monstrueux. De nombreux Européens (et Français) se sont dit révoltés par cette différenciation de l’humanité selon qu’elle est blanche ou non.  

Quant à l’Algérie, c’est avec tristesse que je l’observe. Beaucoup de tristesse. Mais aussi, hélas, avec de plus en plus de détachement. 

Le racisme qui touche les Africains en Algérie est la pire de toutes les saloperies. On ne peut jeter la pierre à l’occident d’un côté et discourir comme une fripouille, un faquin, concernant nos frères Africains dénudés qu’on ne regarde même pas dans la rue, qu’on évite, qu’on blesse. 

J’observe l’Algérie qui m’a vu naître, grandir avec beaucoup de tristesse. Je suis devenu totalement allergique aux chaînes de télévision algériennes. Je continue de lire la presse papier que je trouve routinière et aseptisée. Il ne se passe (quasiment) presque rien, hormis les chiens écrasés et le bon dos du néocolonialisme, rien sur les responsabilités internes inhérentes à l’autoritarisme. Le régime s’enfonce dans l’aveuglement et la brutalité et on ne peut rien dire. Des jeunes filles et hommes sont jetés en prison pour un oui ou pour un non, les ONG et les partis politiques vivent sous la menace constante et les entrepreneurs honnêtes sur la défensive. Les maquignons qui s’étaient repliés quelque temps sont revenus pour agrandir leurs tanières. Les petites cupidités sournoises au raz du gazon qui virevoltent derrière eux reprennent elles aussi du poil de la bête et leurs trains-trains. Les pénuries d’huile, de pain et autres produits de nécessité première ne les concernent pas. Après avoir crié plus fort que nous tous « Jazair horra démocratia » en tête des cortèges, les voilà ces frappes héraults de l’Algérie neuve. La dine, la rassa, la mella. C’est très triste et très révoltant. 

Mais l’honneur et la dignité ont la vie dure. Un arrêt, une respiration, une pause, ne sont jamais des défaites.


Je quitte Twitter

JE QUITTE TWITTER. 

Pourquoi, après 13 ans de présence, je quitte Twitter ? La raison principale est simple. La digue de la modération est en passe d’être réduite à peau de chagrin sur Twitter. Les discours ouvertement haineux, xénophobes, racistes vont se déverser plus encore sans aucune crainte à commencer par ceux du complotiste ex président des USA, grand ami du milliardaire, désormais patron de Twitter, Elon Musk. L’objectif principal du nouveau patron autoritaire de Twitter est la rentabilité et seulement cela, tout le reste en dépend. Parmi les toutes premières de ses actions figure le licenciement (par mail !) de 50% des employés de twitter. 

Il y a des limites, des « digues » que justement le nouveau propriétaire de ce réseau social semble vouloir détruire. Nous avons en France l’exemple de chaînes TV d’information notamment où le Trash, le racisme, le voyeurisme sont érigés en modèle. Les nombreuses réactions abjectes sur Twitter à la suite de l’intervention ce 3 novembre du député noir Carlos Martens Bilongo de la France Insoumise n’ont pas été supprimées de Twitter. À tous mes amis, je vous conseille une bonne lecture. Personnellement je reprendrai La société du spectacle de Guy Debord « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image », mais avant tout j’émigre dès cette semaine vers Mastodon, beaucoup plus horizontal, où l’éthique semble avoir un sens (me dit-on).

Au revoir, beslama, adiós, Wiedersehen, arrivederci, Hejdå…إلى اللقاء

Ahmed HANIFI, 7 novembre 2022

______________________________________________

12 septembre 2022

L’hypothèse du rachat par Elon Musk du réseau social Twitter a fait grand bruit, avant d’évoluer en saga médiatique après le changement d’avis du milliardaire libertarien. Réputé pour ses positions « radicales » en faveur de la liberté d’expression, le patron de Tesla et Space X a fait craindre, d’après nombre de médias, la fin de la modération agissant comme une sorte de digue démocratique. Une digue qui a notamment permis le bannissement de Donald Trump après l’invasion du capitole par ses partisans en 2020. 
Mais le problème se situe-il réellement à ce niveau ? Est-ce que Twitter, à ce jour, soit avant d’éventuels changements dans la politique de modération, contribue positivement au débat démocratique ? Ou alors, pourrait-il jouer ce rôle si ses dirigeants étaient empreints d’une véritable « éthique » ? Il est permis d’en douter.  

Yves Marry

Cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux, dédiée aux enjeux des écrans et d’économie de l’attention

Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux, qui permettent la transmission d’information en continu et l’échange direct entre émetteur et récepteur, se sont imposés comme les principaux lieux du débat public à l’échelle mondiale. Twitter, premier d’entre eux dans le champ de l’information, est ainsi devenue une sorte d’Agora planétaire, et il apparaît incongru de ne pas y participer lorsque l’on souhaite y prendre part. C’est pourtant la position défendue par ce billet, à l’adresse de celles et ceux qui s’engagent dans la grande « transition écologique et sociale »1 à venir, et donc dans le plaidoyer visant à la promouvoir. Citoyens, responsables politiques, mais aussi, et peut-être surtout, ONG fers de lance du mouvement social : je vais tenter d’expliquer pourquoi, d’après moi, vous devez quitter Twitter.

  1. Se reconnaîtront ici celles et ceux qui sont engagés pour agir réellement, à la racine, contre les catastrophes écologiques et sociales déjà bien commencées.

Twitter ne sera jamais ni démocratique…

Les objectifs de rentabilité sont fondamentalement antinomiques avec ceux du débat démocratique. Ce dernier nécessite une liberté d’expression s’exerçant au sein de limites collectivement définies, la possibilité d’une écoute réciproque, une ouverture aux arguments contraires. Autant de conditions ruinées par l’émergence des grandes plateformes qui ont basé leur modèle économique sur la captation de l’attention humaine, et pour qui l’impératif de profit l’emporte sur toute autre considération.

On pourrait rétorquer à ce stade qu’une version « libre » ou « éthique » – comme Mastodon – de la même application permettrait de conserver les avantages d’Internet, « horizontal », « outil d’accès à la connaissance », etc. Mais la forme capitalistique de Twitter n’est pas le seul problème. C’est même, oserais-je avancer, secondaire. Comme nous l’ont appris les précurseurs de l’écologie : la « technique n’est pas neutre »2. L’infrastructure d’Internet et des réseaux sociaux empêche, par nature, la possibilité d’un débat réellement démocratique.

Neil Postman le démontrait dès 1992 dans Technopoly3 : plus la transmission de l’information s’accélère grâce aux innovations technologiques, plus les contenus « saillants », chargés émotionnellement, sont favorisés par rapport à ceux mobilisant la raison et l’esprit critique.

Journal papier, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux : l’histoire des médias est l’histoire d’une accélération, et ainsi d’une course effrénée vers le trash et le clash. En atteste ce qui capte le plus l’attention aujourd’hui en matière d’information : des émissions de politique spectacle comme TPMP en France, les comptes Twitter de personnalités comme Donald Trump, ou l’enchaînement de vidéos « chocs » sur Youtube et Tik Tok.

Par surcroit, loin d’une prétendue « horizontalité » liée à Internet, on communique dans ces réseaux en silo, à travers des « bulles de filtre », avec des personnes partageant nos opinions – à moins que l’on souhaite troller pour mieux gagner desfollowers, ce qui n’arrange en rien la qualité de la pratique démocratique. Cette fuite en avant se fait au détriment du journalisme professionnel et indépendant et, plus généralement, de la « vérité de fait », pour reprendre les termes d’Hanna Arendt dans sa description du risque totalitaire. 

Consacrant l’ère du clash et du bullshit4, faut-il voir en Twitter un « progrès », ou au contraire un fossoyeur de nos démocraties ?

2. Neil Postman, Technopoly, comment la technologie détruit la culture, traduit collective de l’anglais, L’Échappée, 2019.

3. Pour reprendre les termes de Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau, qu’il est urgent de (re ?) découvrir.

4. Termes de Christian Salmon, auteur de « L’ère du clash » (Fayard, 2019) et d’Elodie Laye Mieczareck, sémiologue, dans le podcast Sismiques : « L’ère du bullshit », épisode 81, janvier 2022.

…ni écologique ou social

La pensée réactionnaire et xénophobe n’a jamais eu besoin d’Internet pour germer dans les esprits. Toutefois, la technologie numérique agit sur elle comme le meilleur des fertilisants. Pointer du doigt des boucs émissaires, attiser la peur et la haine, quoi de plus facile quand c’est l’émotion qui guide la visibilité, et donc la rentabilité ?

S’ajoute à ce biais la faculté de manipulation permise par les algorithmes. Plus il y a de données personnelles, plus des entreprises de marketing politique peuvent cibler les électeurs et influencer les opinions. Cas d’école, l’affaire Cambridge Analytica a révélé l’immense capacité d’influence des agences de communication sur les élections, et donc de l’argent permettant de s’offrir leurs services. Il aura ainsi suffi de cibler quelques électeurs stratégiques via les données récoltées sur Facebook pour faire bifurquer l’histoire : vote du Brexit en 2015 et élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016.

Rappelons aussi, brièvement, l’immense coût écologique de la technologie numérique, longtemps vantée comme un « cloud », et toujours accolée à l’adjectif « smart ». Cette énième duperie de l’industrie numérique a été parfaitement dévoilée par P. Bihouix, G. Pitron, ou le Shift Project, entre autres5. Green IT a même calculé que Twitter émettait chaque jour autant de CO² que 20 aller retours Paris Londres en avion6

Enfin, outil de contrôle par excellence, l’Internet contemporain est-il réellement une arme des « combattants de la liberté » ou plutôt un moyen de surveillance, et donc d’oppression ? Russie, Chine, Birmanie, pour ne citer que quelques exemples récents : tous les mouvements de protestation y sont repérés, puis réprimés. Les « printemps » se sont glacés, et les oppositions meurent en silence. Ou s’organisent « en vrai ». Car quel mouvement de contestation sociale a connu plus de succès, en France ces dix dernières années, que la ZAD de Notre Dame des Landes ? Loin des hashtags et des indignations éphémères, les zadistes se sont réunis physiquement, ont éprouvé l’opposition dans leur chair, se sont liés, et ont obtenu la fin d’un projet industriel absurde.

5. Lire : Philippe Bihouix, L’Âge des low tech ;Vers une civilisation technologiquement soutenable, Seuil, 2014 ; Guillaume Pitron, L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Les liens qui libèrent, 2021 ; Shift Project, Rapport « Pour une sobriété numérique », octobre 2020. 

6. Lire « Combien d’énergie pour un tweet », sur le site de Green IT : w-geenit-fr/2010/06/28 

Le devoir d’exemplarité

Mais si Twitter est devenue l’agora principale, ne faut-il pas y participer, afin de ne pas « laisser la place aux adversaires » ? C’est le même argument qui incite certaines voix du progrès écologique et social à ferrailler sur CNews. Sauf que, précisément, une majorité de ce camp s’y refuse, et à raison : y aller, c’est leur permettre de ne pas parler tout seul, d’avoir quelques balles à smasher. Tout le cadre, l’armature du débat, les temps de parole, les thèmes abordés, les prises de vue, les montages post production : tout favorise la pensée réactionnaire et conservatrice défendue par le milliardaire Vincent Bolloré, dont on sait qu’il mène une croisade idéologique. Dans une moindre mesure, certes, c’est la même logique qui s’applique à Twitter. La bataille culturelle y est perdue d’avance pour le camp de la transition.

Il y a, à contrario, des avantages à quitter Twitter, au premier rang desquels le gain de temps et de disponibilité d’esprit pour communiquer autrement. Car, réjouissons-nous, les autres médias n’ont pas encore totalement disparu. La société civile peut investir pleinement les médias traditionnels, leur réserver les informations exclusives. Elle peut s’exprimer dans les amphithéâtres et les écoles, organiser des cafés débats, distribuer des textes imprimés qui circulent de mains en mains. S’impliquer physiquement, « réellement », dans la construction du monde d’après, plutôt que derrière un écran de fumée.

Pour que la planète soit préservée de la voracité des multinationales, pour que la démocratie s’impose face à l’autoritarisme, pour, comme l’a annoncé la maire de Barcelone Ada Colau l’an dernier au moment de clôturer son compte, que « l’amour l’emporte sur la haine » : quittez Twitter.

Article paru in: w.communication-democratie.org/fr/publications/2022/09/12/pourquoi-il-faut-quitter-twitter

————————-  

Annie Ernaux, prix Nobel

ANNIE ERNAUX PARLE DE SON ECRITURE _ 1984, « APOSTROPHES »

_________________________

CLIQUER ICI POUR L’ÉCOUTER

Annie Ernaux « La Place » ⎜ Archive INA – Bernard Pivot, Apostrophe – 6 avril 1984 Annie ERNAUX présente son livre « la Place »  – Avec les interventions de Georges Emmanuel CLANCIER et d’Alain BOSQUET- Archive INA Institut National de l’Audiovisuel. AH 20221011

————————–

Contexte historique

Par Johanna Pernot

Annie Ernaux est une écrivain contemporaine, connue pour ses écrits autobiographiques.

Née en 1940 en Seine-Maritime, à Lillebonne, elle passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot, dans un milieu modeste. Dès avant sa naissance, ses parents se sont affranchis de leur condition d’ouvrier en achetant un café-épicerie à Lillebonne. Ils rêvent d’ascension sociale, pour eux et leur fille. Alors que celle-ci a cinq ans, ils acquièrent un café-alimentation à Yvetot. Annie, qui grandit dans ce café, au milieu de la clientèle, obtient de bons résultats à l’école. Après des études universitaires à Rouen, elle devient institutrice puis professeur certifiée en 1967. Elle est reçue à l’agrégation de lettres modernes en 1971. Au début des années 1970, elle enseigne dans un collège d’Annecy, puis à Pontoise, avant d’intégrer le CNDP. En 1974, son premier roman autobiographique, Les Armoires vides, signe son entrée en littérature. En 1983, elle rencontre le succès avec La Place. De nombreux récits autobiographiques vont suivre, dont Passion simple, en 1991, qui relate une liaison à l’âge adulte ou La Honte en 1997, davantage centré sur le couple parental et la quête d’un traumatisme originel, social et sexuel. Dans Les Années qu’elle publie en 2008, l’auteur commente des photographies d’elle-même qu’elle intercale, dans son récit à la troisième personne, avec des souvenirs choisis pour leur portée historique ou sociologique. « Les images réelles ou imaginaires » construisent une vaste fresque qui court de l’après-guerre à nos jours. Dans L’Autre fille, Annie Ernaux adresse en 2011 une lettre à sa sœur qu’elle n’a pas connue, morte de la diphtérie à l’âge de six ans. La même année paraît son anthologie, Ecrire la vie, qui réunit la plupart de ses écrits autobiographiques, précédés de cent pages de photos et d’extraits de son journal intime et inédit.

L’autobiographie au sens strict, telle que la définit Philippe Lejeune, est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Elle requiert une homonymie explicite entre auteur, narrateur et personnage. En scellant un « pacte autobiographique », l’autobiographe s’engage à être sincère sur son identité, et le lecteur à le croire. L’autobiographie passe par des étapes-clés, comme le portrait physique, social et moral de la personne, le récit des origines et de l’enfance, les épreuves affrontées… Les Confessions de Rousseau, qu’on considère comme le modèle fondateur du genre, pose déjà un des problèmes de l’autobiographie : celui de la véracité et de la bonne foi de l’auteur. Deux cents ans plus tard, Sartre, avec Les Mots et le recours à l’intertextualité et la parodie, mine définitivement les principes du récit autobiographique. À la définition de Philippe Lejeune, on pourrait donc préférer une notion plus large, qui inclurait l’autofiction, mais aussi les correspondances et les interviews, les albums de photos… À partir des années 60, le récit autobiographique se diversifie et se généralise dans les bibliographies des écrivains. Il prend plus récemment une nouvelle orientation : pour se dire, l’auteur se décentre. Le récit autobiographique initie alors un va-et-vient entre soi et autrui, identité et altérité, comme en atteste La Place d’Annie Ernaux.

Cette autobiographie de cent pages, rédigée entre novembre 1982 et juin 1983, relate l’ascension sociale des parents d’Annie, leurs conditions de travail et leurs espoirs. L’écrivain rend hommage à son père. Il décède deux mois après qu’elle-même a « trahi » son milieu d’origine en devenant professeur de lettres. Le récit, fait de paragraphes qui s’interrompent brutalement, rend compte de la difficulté de dire. Sa sécheresse révèle la douleur latente et la difficulté de parler, entre membres d’une même famille.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée par Bernard Pivot en 1975, Apostrophes s’impose rapidement comme l’émission littéraire de référence à la télévision. Ce salon littéraire moderne remplit parfaitement sa fonction de démocratisation culturelle. Diffusée tous les vendredi soirs pendant quinze ans, l’émission accueille en direct plusieurs invités venus débattre autour d’ouvrages dont Pivot lit de nombreux extraits. Instigatrice de certains succès, révélatrice de phénomènes littéraires, mais aussi lieu d’affrontement des idéologies, Apostrophes connaît une forte audience (plus de 2 millions de téléspectateurs). De l’ivresse scandaleuse d’un Bukowski à l’interview exclusive d’un Soljenitsyne en passant par les entretiens à domicile de Yourcenar ou Duras, l’émission a fortement marqué la mémoire télévisuelle (voir Florilèges de l’émission Apostrophes). Pour les professionnels de l’édition, le passage par Apostrophes est devenu crucial en vertu de sa capacité à lancer le succès d’un livre – à l’instar de La Place, prix Renaudot 1984.

La lecture initiale de Bernard Pivot oriente la discussion sur le style d’Annie Ernaux et son refus du roman. Les plans rapprochés révèlent le visage à peine fardé de l’auteur, qui, l’attitude humble, le regard un peu fuyant, résume la vie très modeste de son père et sa « toute petite ascension sociale », de paysan à petit commerçant.

En refusant délibérément la fiction mensongère du roman, Annie Ernaux respecte l’ambition originelle de toute autobiographie : dire la vérité, sur soi et son entourage. La création d’un personnage aurait nécessairement embelli son père. Au contraire, le choix d’une « écriture plate », sans commentaire, lui permet de raconter objectivement l’histoire paternelle. Le style dépouillé se veut à l’image d’une vie marquée par la nécessité.

Les écrivains et critiques Alain Bosquet et Georges-Emmanuel Clancier soulignent l’un après l’autre le paradoxe de cette écriture : la pudeur, la simplicité des phrases laissent affleurer les émotions. L’ascétisme du style rend le récit d’autant plus touchant.

Le débat s’achève sur l’articulation tragique entre parole et écriture. « On ne parlait plus le même langage » déclare Annie Ernaux. C’est parce que le père ne maîtrise pas « le beau langage » de la culture dominante, et que la communication devient impossible, que la fille se tourne vers l’écriture et consomme la rupture avec son milieu d’origine.

www.enseignants-lumni-fr

Rencontres méditerranéennes de Lourmarin

Les Rencontres de cette année ont commencé ce vendredi 30 septembre avec un atelier à destination d’élèves du primaire, animé par Brigitte Lannaud Levy, « autour de la réalisation d’un portrait d’Albert Camus », puis avec une exposition photo de Carole Charbonnier « à partir du travail réalisé au sein de la maison d’arrêt de Paris La Santé, en partie autour de l’Étranger » et en soirée avec une « lecture musicale de l’Étranger par Réda Kateb accompagné du pianiste Didier Davidas ».

Le samedi matin nous avons eu droit à trois belles interventions de Paris Lounis « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger », d’Alexis Lager et de Maître Georges Girard « sur le thème du procès de Meursault dans l’Étranger en perspective avec l’actualité. »

(CF VIDÉO ICI EN BAS DE PAGE)

D’autres animations sont prévus les samedi après midi et soirée ainsi que le lendemain dimanche avec diffusion entre autre d’un film de Joel Calmette « Camus avec nous  » en présence du réalisateur.

J’ai assisté aux interventions de ce samedi matin. La première notamment avec le remarquable travail de Faris Lounis (voir vidéo ici en bas de page).

Sur le plan anecdotique j’ai noté cette clarification à propos de « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud.

___________________

_ Catherine Camus confirme ce que j’écrivais dans un article que j’ai fait publier par Le Quotidien d’Oran le 30 mai 2017, (voir le lien en bas de page). J’y rapportais avec Kaoutar Harchi que je cite que Kamel Daoud avait dû modifier des passages de « Meursault, contre-enquête » pour que son roman soit accepté par les lecteurs français, mais prioritairement par les éditeurs, par ce « système éditorial qui a le monopole de légitimer ou déligitimer un texte », et par les ayant-droit. 

Voici un extrait : « On s’aperçoit alors que le produit célébré en France n’est pas celui édité en Algérie, ‘‘c’est le projet dépolitisé par le franchissement littéraire’’ où Albert Camus est célébré, mais où la ‘‘petite voix »’’ de Kamel Daoud a été étouffé. L’accueil réservé à Kamel Daoud, cette reconnaissance littéraire a pour effet d’infléchir le discours de l’auteur qui se trouve obligé de l’adapter ‘‘à l’horizon d’attente des consacrants et plus largement du lectorat français’’ constate Katouar Harchi »… K. Daoud bascule d’un « acte littéraire engagé » (dans la version algérienne de Meursault, contre-enquête) écrit la sociologue à un « hommage appuyé à Camus » (dans la française).

Kamel Daoud avait alors réfuté le contenu de notre article et plus encore le pavé de Kaoutar Harchi. Cinq années ont passé depuis. Il ne s’agit pas de « quelques phrases » mais « beaucoup ».

Ce samedi matin, 1° octobre 2022, avait lieu la deuxième journée (sur trois) des « Rencontres méditerranéennes de Lourmarin » avec de très intéressantes interventions dont celle de Faris Lounis très appréciée, « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger ».

Lorsque la parole fut donnée au public, madame Catherine Camus est intervenue (par moment, je ne saisissais pas trop bien ce qu’elle disait, notamment parce qu’ inaudible, mais pas que…) Voici ce que j’ai bien entendu : « En ce qui concerne Kamel Daoud (dont le livre « Meursault, contre-enquête » a été évoqué), on doit beaucoup de choses à Alexandre ( probablement son collaborateur Alajbegovic ) dans ce livre parce que quand on l’a reçu, ça commençait par : ‘‘l’assassin habitait au 93 rue de Lyon’’ (Alger), donc c’était nommément Meursault, Camus, je ne sais pas… et Alexandre me dit ‘‘mais on ne peut pas laisser ça comme ça, quand même !’’ Je dis ‘‘ Oui, mais attention, parce que, attention, si je dis quelque chose ‘‘Le Monde’’ (certainement le quotidien parisien) va me tomber sur le paletot en me disant que j’ai attaqué un Arabe (madame Camus dit « Arabe » en appuyant sur les syllabes. Donc j’ai téléphoné directement à Kamel Daoud, poursuit-elle, qui a été très sympa et qui me dit « Oh ben si… » (elle mêle les mots de KD aux siens) « vous pouvez pas commencer comme ça, c’est pas possible. Vous associez papa à l’Arabe, à … (inaudible). Il m’a dit « Oh ben s’il s’agit de changer deux ou trois occurrences c’est pas un problème ». Donc on en a changé BEAUCOUP (C.C appuie sur le mot). Entre ce qui est sorti en Algérie et ce qui est sorti en France, il y a de grosses différences »…

Oui, de grosses différences. Ni Kaoutar Harchi, ni moi-même n’avons repris « des thèses diffamatoires » comme KD me l’a écrit.

 Lire ici l’article en question (cliquer)

ou ici LE QUOTIIDIEN D’ORAN (30.05.2017)

______________________________________________

CLIQUER ICI POUR VOIR EXTRAITS VIDEOS DES RENCONTRES DU SAMEDI MATIN

_______________________________________________

L’apartheid, révélateur de l’impunité d’Israël

L’apartheid, révélateur de l’impunité d’Israël

Le débat sur l’existence ou non d’un système d’apartheid en Israël et dans les territoires palestiniens occupés est dépassé. L’apartheid israélien est un fait. Comme le confirme l’escalade des frappes et des représailles autour de la bande de Gaza, il est urgent désormais de mettre un terme à l’impunité d’Israël et de contraindre son gouvernement à reprendre les négociations.

Par René Backmann

https://www.mediapart.fr-  7 août 2022 à 11h29

La violence, parfois démesurée et indécente, du récent débat à l’Assemblée nationale sur une proposition de résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » (voir notre article) appelle, me semble-t-il, un retour à la réalité de la situation sur le terrain. Tout s’est passé, apparemment, au Parlement, comme s’il s’agissait de juger si le terme « apartheid » était acceptable pour définir le type de régime imposé par Israël aux Palestiniens de Cisjordanie, de la bande de Gaza et d’Israël. Ou si l’usage de ce mot relevait de la caricature rhétorique, de l’anticipation polémique, de la facilité militante, de l’hallucination idéologique, voire de l’antisémitisme pur et simple.

Le problème, hélas, c’est qu’on n’en est plus là. Israël est responsable, à l’intérieur de ses frontières et dans les territoires palestiniens occupés, du crime d’apartheid. C’est un fait. Clairement établi. Aussi incontestable que la poursuite de l’occupation militaire et le développement de la colonisation en Cisjordanie. Aussi indiscutable que la stratégie du statu quo fondée sur le recours à la force militaire impunie chaque fois que le camp d’en face viole la règle tacite du silence des armes. Comme on vient, une fois encore, de le constater à Gaza où après la mort d’un commandant du Djihad islamique visé vendredi 5 août par une frappe ciblée, l’armée israélienne a répondu aux tirs de représailles du mouvement islamiste par des bombardements qui ont causé la mort de nombreux Palestiniens.

Après avoir été l’idéologie d’un régime instauré en un lieu précis – l’Afrique du Sud – à un moment précis du XXe siècle, l’apartheid est officiellement depuis 1976 le nom d’une violation du droit international qui constitue un crime contre l’humanité, condamné et puni comme tel. Même si son nom est historiquement lié au régime raciste sud-africain, c’est aujourd’hui un concept juridique indépendant, avec son identité et sa vie propres, qui peut exister sans être nécessairement fondé sur une idéologie raciste. Pour le droit international, il existe en fait aujourd’hui deux définitions de l’apartheid.

Celle de la Convention internationale des Nations unies adoptée en novembre 1973 et entrée en vigueur en juillet 1976. Et celle du Statut de Rome, entré en vigueur en juillet 2002, qui crée la Cour pénale internationale et considère l’apartheid comme l’un des dix crimes contre l’humanité relevant de sa compétence. Les deux textes diffèrent sur certains points mais s’accordent sur une base commune selon laquelle on entend par crime d’apartheid « des actes inhumains commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous les groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ». Plus détaillée que le Statut de Rome, la Convention de l’ONU énumère 9 « actes inhumains » qui caractérisent le crime d’apartheid. Parmi ces « actes inhumains » figure notamment le fait de « prendre des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés, en particulier en privant les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».

Adossés à ces deux définitions, l’avocat Michael Sfard et cinq juristes reconnus, parmi lesquels un ancien procureur général de l’État, ont passé au crible du droit international, au printemps 2020, pour l’ONG israélienne Yesh Din (« Il y a une justice ») le statut civique et juridique mais aussi la vie quotidienne des Palestiniens. Leur réponse a été claire : « Le crime contre l’humanité d’apartheid est perpétré en Cisjordanie. Les auteurs du crime sont israéliens et les victimes sont les Palestiniens. » 

Ce n’était pas la première fois que l’accusation était portée contre le gouvernement israélien. Depuis le début, en 2002, des travaux de construction du mur-barrière, qui parcourt plus de 700 km de méandres à travers la Cisjordanie, l’accusation d’instaurer un régime d’apartheid pèse sur les dirigeants d’Israël. Dès 2005, le politologue israélien Menachem Klein dénonçait le projet gouvernemental d’imposer, grâce au mur, une majorité juive à Jérusalem. Il avait baptisé cette stratégie « Spartheid » : l’apartheid réalisé par les moyens de Sparte !

En janvier 2021, B’Tselem, le centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés, affirmait dans un rapport qu’« un régime qui utilise lois, pratiques et violence organisée pour cimenter la suprématie d’un groupe sur un autre est un régime d’apartheid. L’apartheid israélien qui promeut la suprématie des Juifs sur les Palestiniens n’est pas né en un seul jour, ni d’un seul discours. C’est un processus qui est graduellement devenu plus institutionnalisé et plus explicite, avec des mécanismes introduits au cours du temps dans la loi et dans la pratique pour promouvoir la suprématie juive. Ces mesures accumulées, leur omniprésence dans la législation et la pratique politique, et le soutien public et judiciaire qu’elles reçoivent — tout cela forme la base de notre conclusion : la barre pour qualifier le régime israélien d’apartheid a été atteinte ».

Quatre mois plus tard, en conclusion d’un rapport de 213 pages, Human Rights Watch constatait à son tour que « les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité d’apartheid se retrouvent dans le territoire palestinien occupé, dans le cadre d’une politique gouvernementale israélienne unique. Cette politique consiste à maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens à travers Israël et dans le territoire occupé. Elle s’accompagne, dans le territoire occupé, d’une oppression systématique et d’actes inhumains à l’encontre des Palestiniens qui y vivent ».

En février 2022, Amnesty International confortait ces accusations en démontrant, dans une étude de 30 pages, que « presque toute l’administration civile et militaire, ainsi que les institutions gouvernementales et quasi gouvernementales [israéliennes] participent à la mise en œuvre du système d’apartheid contre la population palestinienne en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ». Et en mars dernier, le juriste canadien Michael Lynk, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, apportait la caution de l’ONU à ce réquisitoire en présentant au Conseil des droits de l’homme un rapport de 19 pages dans lequel il concluait que la situation dans les territoires palestiniens « s’apparente à un apartheid ». « Le système politique d’un pouvoir bien établi dans le territoire palestinien occupé, qui confère à un groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels, tout en soumettant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs, des check-points et sous un régime militaire permanent […] répond aux critères de preuve de l’existence de l’apartheid », constatait-il.

Toutes ces accusations, il faut le préciser, tiennent pour un fait majeur, déterminant, le vote par la Knesset, en juillet 2018, à l’initiative de Benyamin Netanyahou, d’une « loi fondamentale », de valeur pratiquement constitutionnelle, qui change la définition de l’État adoptée en 1948 par Ben Gourion et les pionniers dans la Déclaration d’indépendance. Selon ce nouveau texte, Israël n’est plus un État juif qui « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe et garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture », mais « l’État-nation du peuple juif* ». Le changement est capital.

Car l’article premier du nouveau texte précise que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est exclusif au peuple juif ». « Cette loi, constate B’Tselem, établit que distinguer les juifs en Israël (et partout dans le monde) des non-juifs est fondamental et légitime. Cela signale à toutes les institutions d’État, non seulement qu’elles peuvent, mais qu’elles doivent, promouvoir la suprématie juive dans la région entière sous contrôle israélien. » Le vote de ce texte avait conduit Avraham Burg, ancien député travailliste, ancien président de la Knesset et président de l’Agence juive, à demander au tribunal de district de Jérusalem d’effacer son inscription en tant que Juif sur le registre de population du ministère de l’intérieur.

Fils d’un fondateur du Parti national religieux, ancien officier de la brigade parachutiste, héritier de cette « aristocratie sioniste » qui a gouverné le pays pratiquement depuis sa création, il avait expliqué à Mediapart, en janvier 2021 (lire notre entretien), les raisons de sa décision. « Ce qui définit Israël, désormais, c’est le seul monopole juif. Sans l’équilibre constitutionnel des droits et libertés. En vertu de cette loi, un citoyen d’Israël qui n’est pas juif est astreint à un statut inférieur. Comparable à celui qui a été assigné aux juifs pendant des générations. Ce qui fut odieux pour nous, nous l’infligeons maintenant à nos citoyens non juifs. Cette législation est en fait une nouvelle définition des relations entre majorité et minorité en Israël. Elle constitue aussi un changement dans ma définition existentielle. Dans mon identité. Dans ces conditions, ma conscience m’interdit désormais d’appartenir à la nationalité juive, d’être classé comme membre de cette nation, ce qui impliquerait pour moi d’appartenir au groupe des maîtres. Statut que je refuse. »

On ne peut naturellement demander à un propagandiste de Netanyahou comme le député Meyer Habib ou au ministre Éric Dupond-Moretti, qui ont donné de la voix pendant le débat du Parlement, de comprendre – et encore moins de partager – ce point de vue. Ou de renoncer à pratiquer le chantage à l’antisémitisme à l’égard de ceux qui critiquent ou dénoncent la politique de l’État d’Israël. Même si ce chantage est le pire moyen de lutter contre le véritable antisémitisme.

Ce procédé méprisable est, depuis des années, l’arme de dissuasion massive de la droite israélienne et de ses zélotes à l’étranger. Mais on pourrait attendre de ceux qui se définissent comme des amis d’Israël et qui sont attachés à l’existence de l’État juif assez de lucidité pour constater et dénoncer ses erreurs, ses fautes et ses crimes. Et les responsabilités de ses élus et de ses dirigeants, premiers pas vers l’indispensable transformation d’Israël en un pays comme les autres. Critiquable. Et condamnable.

Comment peut-on, interroge le quotidien Haaretz, condamner l’invasion militaire par la Russie d’un pays voisin, l’Ukraine, en violation du droit international, sans la comparer à l’occupation militaire par Israël, en violation du même droit international, des territoires palestiniens ? Comment la majorité des Israéliens peuvent-ils accepter sans s’indigner qu’à un député « arabe israélien », c’est-à-dire palestinien d’Israël, qui dénonce le vol de la terre de son peuple, un dirigeant de la droite et futur premier ministre – Naftali Bennett – réponde : « Vous, les Arabes, grimpiez encore aux arbres quand un État juif existait déjà » ?

Et comment accepter l’impunité totale de l’armée lorsqu’elle se met au service aveugle des colons, ouvre le feu comme à l’exercice sur des civils palestiniens ou tue d’une balle de sniper en plein visage la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, pourtant identifiée par l’inscription « Press » sur son gilet pare-balles ? Le tout en tentant de prétendre qu’elle a été victime d’un tir… palestinien ?

Le temps est peut-être venu pour la France et l’Europe de faire comprendre au régime israélien que tout en respectant son histoire et son peuple, ses amis ne peuvent plus accepter son refus obstiné de négocier, la poursuite de son occupation militaire, l’intensification de sa colonisation et son recours systématique à la violence des armes pour préserver le statu quo dans lequel il s’est installé.

La crise ukrainienne démontre que les outils ne manquent pas pour exercer des pressions sur un pays qui viole le droit international. Mais qui osera faire observer qu’Israël le fait tous les jours ?

* Une légende veut que la Déclaration d’indépendance signée le 14 mai 1948 et lue le 15 mai par David Ben Gourion définisse l’État d’Israël comme « juif et démocratique ». En réalité l’adjectif « démocratique » ne figure pas dans le texte de la Déclaration. Il est indiqué que l’État « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants » et « sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ». Il est indiqué aussi qu’il « respectera les principes de la Charte des Nations unies ».

René Backmann

https://www.mediapart.fr-  07.08.2022

____

DÉSHONNEUR

Le terme « Déshonneur » n’est évidemment pas du Quotidien d’Oran.

__________________

Journée nationale de l’ANP: Toufik, Nezzar et plusieurs généraux à l’honneur 

par Abdelkrim Zerzouri 

De nombreux hauts gradés de l’armée en activité et en retraite, ainsi que les familles de Chouhada du devoir national et les invalides et grands blessés de l’ANP, dans le cadre de la lutte antiterroriste, ont été honorés, lors de la première célébration de la Journée nationale de l’Armée, qui a été décrétée par le président de la République Abdelmadjid Tebboune, le 19 janvier 2022, en vue de se remémorer le processus d’évolution de l’ANP dont l’ALN est la quintessence. 

Ainsi, des attestations d’honneur et de reconnaissance ont été décernées lors de la cérémonie de distinction, supervisée, jeudi dernier, au Cercle national de l’Armée, à Beni Messous (Alger), par le président de la République, au commandant de la Garde république, le général d’armée Ben Ali Ben Ali, aux généraux majors à la retraite Ahmed Djenouhat, Abdelhamid Djouadi, Tayeb Derradji, Zoubir Ghedaidia, Chabane Ghadbane, Brahim Belkerdouh, Zine Al Abidine Hachichi, Mustapha Belaid, Ramdane Djemai, Abdelhamid Metatla et Mahmoud Moula. D’autres hauts gradés, qui n’étaient pas présents lors de la cérémonie pour des « raisons de santé », ont été également honorés, dont l’ancien président Liamine Zeroual, le général de Corps d’armée à la retraite Mohamed Mediene dit Toufik, l’ancien ministre de la Défense nationale Khaled Nezzar, le général major Hocine Benhadid, le général-major Mohamed Betchine, le général Abdelmadjid Cherif et Salim Sadi, membre de l’ALN et ancien commandant de Région militaire. Aussi, aux côtés des éléments des forces spéciales algériennes (commandos) qui ont participé à la lutte antiterroriste et des familles de Chouhada du devoir national, le Président Tebboune a honoré le commandant Hamza Chabane, chef de la section des commandos qui sont intervenus lors de la prise d’otages géante dans le Complexe gazier de Tiguentourine en janvier 2013. Notons que le président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée populaire nationale, le président de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre, ont marqué de leur présence cette cérémonie, ainsi que des Conseillers du président de la République, et des membres du gouvernement, ainsi que du Général d’Armée, Commandant de la Garde républicaine, le Secrétaire général du ministère de la Défense nationale, des Commandants des Forces armées, du Commandant de la Gendarmerie nationale, des Chefs de Départements, des Directeurs et Chefs de services centraux du MDN et de l’État-Major de l’ANP. 

A cette occasion, le Général d’Armée, Saïd Chanegriha a affirmé, dans une allocution, que l’institution par le président de la République de la date de reconversion de l’Armée de Libération Nationale en Armée Nationale Populaire, le 4 août, Journée Nationale de l’Armée Nationale Populaire est inspirée par les valeurs d’abnégation et de sacrifices pour la Patrie, et aspire à l’enracinement de leurs nobles principes dans les esprits des générations successives du peuple algérien. « Notre mémoire nationale était et restera la lanterne qui éclaire le présent et l’avenir de notre Nation, avec tout ce qu’elle porte en hauts-faits, en gloires et en sacrifices au nom de la liberté, de la dignité et de la souveraineté », a-t-il souligné. En s’adressant au président de la République, le Général d’Armée dira: « Votre décision d’instituer cette Journée, une date nationale des plus illustres, sera gravée dans l’histoire et remémorée par les générations successives, en tant que témoin de reconnaissance et de gratitude pour les efforts colossaux et les grands sacrifices, consentis par les enfants de l’ANP, digne héritière de l’ALN, durant les multiples batailles qu’elle a livrées depuis l’indépendance ». 

_____________________________

Le Matin d’Algérie 4 août 2022

Tebboune honore les généraux Nezzar, Zeroual, Betchine, Mediene,…

Abdelmadjid Tebboune a supervisé, jeudi au Cercle national de l’Armée à Beni Messous (Alger), une cérémonie de distinction à l’occasion de la Journée nationale de l’Armée nationale populaire (ANP). D’anciens puissants généraux ont été honorés.

A cette occasion des distinctions ont été remises à l’ancien chef de l’Etat, Liamine Zeroual, à Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, Mohamed Mediene, ancien chef du DRS, Mohamed Betchine, ancien patron de la Sécurité militaire ainsi qu’aux généraux Salim Saadi et Benhadid.

Anciens moudjahidine, ces officiers supérieurs n’étaient néanmoins pas présents à la cérémonie pour des raisons de santé, comme rapporté par le média Dz news Tv (voir le lien ci-dessous).

De nombreux officiers et sous-officiers de l’ANP ont également reçu des distinctions.

Des distinctions après les tribunaux

Le général-major Toufik Mediene a été arrêté le 4 mai 2019 et condamné à 15 ans de prison par le tribunal militaire de Blida en septembre de la même année avant d’être acquitté le 2 janvier 2021.

Le général-major Khaled Nezzar a été lui aussi condamné à 20 ans de prison par le tribunal militaire de Blida. Auparavant, le 6 août 2019, le même tribunal a émis des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de Nezzar, de son fils Lotfi et de Farid Benhamdine. Ils étaient accusés de complot et d’atteinte à l’ordre public.

Néanmoins l’ancien ministre de la Défense rentre en Algérie le 11 décembre 2022et vide le mandat d’arrêt lancé contre lui. Les autorités n’avaient fourni aucune explication sur ce retournement de situation.

Ces généraux qui étaient à couteaux tirés en 2019 contre Ahmed Gaïd Salah et son protégé Abdelmadjid Tebboune se retrouvent désormais dans le même camp. Et se réconcilient pendant que des centaines d’activistes du Hirak/Tanekra sont en détention. Peut-être que le bon peuple a-t-il le droit de savoir ou sans doute, comme d’habitude, il vaut mieux laisser le puits avec son couvercle…

L. M.

Kamel Daoud: Algérie: « Le désert des tartares » versus « La bataille d’Alger »

« Naître en Algérie, c’est mourir dans la gloire de la décolonisation. La seule naissance permise et rejouée sans cesse ». Bravo Kamel Daoud, c’est pertinent. Dommage que – encore une fois – tu ne pipes mot des véritables responsables locaux pour qui cette dramatique situation est bénie, les tenants du régime autoritaire. Tu les évites trop souvent. AH

_______ Voici l’article de KD _________________

Algérie: «Le désert des tartares» versus «La bataille d’Alger» 

OPINION. L’écrivain Kamel Daoud estime que le FLN, qui a libéré l’Algérie des colons français dans les années 1960, a «congelé» le pays et confisqué son histoire à force d’imposer son mouvement de libération comme seul récit national

Kamel Daoud, écrivain

Publié lundi 25 juillet 2022 

«Nous ne voulons pas de la naturalisation, nous refusons l’intégration et nous ne voulons pas être des Français.» Le 8 janvier 1961, le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie ouvre la voie à l’indépendance triomphale du pays. A cette époque, des déclarations passionnées comme celle-ci avaient un sens immédiat, pour les générations qui sortaient de la longue «nuit coloniale» et devaient se battre et se décider pour la liberté, pour leur identité.

Sauf que ce tag date d’à peine trois ans, tracé sur les murs d’un village limitrophe d’Oran, capitale de l’Ouest algérien, là où aucun Français ne vit plus depuis des décennies. Et il n’est pas la seule manifestation de cet anachronisme permanent et nourri que vivent les générations algériennes nées longtemps après 1962. Cette année, en 2022, alors que le pays fête ses 60 ans d’indépendance, les Jeux méditerranéens organisés à Oran justement ont vu ce phénomène prendre une ampleur radicale qui était souvent limitée aux réseaux sociaux ou aux partis populistes. La Marseillaise, l’hymne français, fut systématiquement huée, ainsi que les équipes d’athlètes français venues participer aux épreuves. Partout dans le pays, le sentiment anti-français est exprimé d’ailleurs avec violence. Il sert à définir une inquiétante identité algérienne de substitution et aboutit à une monstrueuse guerre fantasmée (complètement invisible ailleurs) contre l’ancien colonisateur, absent depuis des décennies et donc investi de toutes les projections «à vide».

«Ouled frança»

Les procès en traîtrise, l’expression Ouled frança(littéralement «les fils de la France») qui affabule toute expression de différence, les tribunaux de «purge» en identité érigés par les nationalistes, les campagnes médiatiques haineuses contre les francophones, la langue française ou les écrivains en langue française, ou les femmes non voilées, ainsi que les discours islamiste ou nationaliste font le feuilleton, en huis clos, de cette permanente et ravivée haine de la France. Avec l’expression de la solidarité pro-palestinienne et la détestation du Maroc, l’Algérie populiste y consacre bien le tiers de son temps réel. La guerre à la France se rejoue sans cesse, pour les vétérans qui en transforment le souvenir en féodalité de «décolonisateurs en chefs», mais aussi pour les jeunes Algériens confinés dans un pays fermé, face à un Occident fermé, et cela fige le temps à la hauteur de cette épopée permanente et solitaire.

Lire aussi: Kamel Daoud se coule dans le regard algérien de Raymond Depardon

Ce phénomène de temps figé qui frappe cette ancienne colonie est peu «étudié» en soi, sinon refusé comme réalité, à peine vu comme effet secondaire sans importance face à la saga voulue «indépassable» des aînés. Les élites politiques au pouvoir sont souvent accusées de jouer sur cette légitimité dite «historique» de la guerre de libération en Algérie en rappelant sans cesse qu’ils avaient été les libérateurs du pays, que l’on veut éternelle pour rester au pouvoir, mais elles n’ont pas le monopole de cette cryogénisation. Cette rente de confort piège aussi les élites académiques, figées dans le décolonial permanent, le discours sur la colonisation et la décolonisation qui exclut l’analyse de ce phénomène de «congélation» du temps et qui, avec les jeunes générations perdues et missionnées par les aînées, s’est autonomisé pour devenir une dangereuse dérive et une perte de temps pour construire le pays et se construire dans la souveraineté de l’identité ouverte et de l’affect apaisé.

Légende dorée

Autant le «régime» que les élites universitaires, les classes de vétérans que les islamistes qui travaillent à un révisionnisme de la guerre de libération comme une guerre religieuse anti-chrétienne, chacun fige le temps algérien à cette épopée en mode légende dorée, condamnée à une logique des castes et à une vision infanticide qui croit que l’histoire algérienne est définie, en exclusivité générationnelle, par l’épopée décoloniale anti-française. Ceux qui sont nés plus tard se retrouvent sommés de rejouer sans fin cette épopée, de se définir selon la success-story des vétérans de guerre et de ses morts ou de se soumettre à un procès en loyauté qui les mène à la vie absurde du temps figé d’avant leur naissance et à haïr par procuration une France qu’ils ne connaissent pas. Que faire sinon refaire la guerre pour ceux nés trop tard pour croire donner du sens à la vie?

«La réalité est toujours anachronique», résumait Jorge Luis Borges dans Enquêtes. Elle l’est encore plus pour les pays qui bâtissent leur présent sur le remake du passé et son récit monologique. En Algérie, tout tourne autour de cette épopée (les noms des rues, les billets de banque, les manuels scolaires, l’Histoire, la légitimité politique et même l’opposition, les médias, la concurrence politique). Ceux qui osent plaider la cause du présent ou du futur sont vite jugés pour trahison. Phénomène étrange, «ces ‘traitres’ le sont encore davantage aux yeux de nombre d’Algériens exilés qui, pris dans l’étau des populismes et des exclusions et auto-exclusions communautaires dans le pays d’accueil, démultiplient à l’infini ce passé de compensation.

Hyper-algérien

Ce discours hypernationaliste est encore plus radical en France quand on est Algérien, au nom d’un procès en loyauté qui impose une logique perverse: le seul moyen de résister à la francité «menaçante», ou d’affirmer une valeur académique pour une partie des élites exilées, c’est de se proclamer hyper-algérien, encore plus Algérien que les autochtones, convertis en procureurs permanents de la «réparation».

Le résultat, en France, en Occident comme en Algérie, est que toute critique de cette rente mémorielle est impossible. Tout plaidoyer pour le présent ou la responsabilité est refusé, toute prise de conscience est refoulée par un déni organisé politiquement, académiquement et médiatiquement. Toute politique de «petits pas» de la France, tentative de rapprochement, même insuffisante et trop calculée, se heurte à ce mur du refus net érigé autour du confort victimaire et du souvenir. Et toute déclaration nostalgique de l’extrême droite en France se retrouve amplifiée en Algérie comme étant la voix de la France entière, relançant les batailles vacantes de la guerre fantasmée.

Ce devoir de loyauté pour les petits-enfants des indépendances est repris alors, en mode de fidélité généalogique, autant par les jeunes dans les gradins de stade qu’en France par les élites universitaires et académiques: refaire la guerre à la France définit l’Algérie et rassure sur un récit d’identité que se disputent les islamistes, les hypernationalistes et les berbéristes radicaux qui ont isolé une juste revendication identitaire. Etrange culte de l’indépendance fondée sur la dépendance affective. La France unit l’Algérie autour d’un projet au coût faramineux, à la définition absurde mais à l’effet d’appel puissant: la guerre imaginaire à un ex-colonisateur qui n’existe plus. Le 22 février 2019, à la naissance du Hirak, un vaste mouvement de contestation contre le régime de Bouteflika, les plus jeunes ont vite basculé, aux premiers rangs des manifestants, dans une concurrence inédite: qui ressemblera le plus aux «héros fondateurs» du FLN. On a qualifié le régime de «colonisateur», on exigea une «seconde indépendance», on se bouscula pour prendre des selfies, visages en sang ou mains menottées, lors des arrestations par la police. Le régime accusa la France, des traîtres, la colonisation. Tout fut bon pour rejouer cette épopée unique. La seule qui donne de la noblesse, du sens et conjure le vide.

En noir et blanc

Ici donc, le temps ne passe pas ou, dans un mouvement mythologisé, il remonte vers le passé, en Styx invraisemblable. Il inverse les naissances et les chronologies et instaure le passé comme but ultime d’un futur interverti. Une réalité algérienne qui impose un coût de souffrances et de déni que l’Occident et les pays étrangers à cette mythologie ne distinguent pas. Car la «congélation» du temps en Algérie n’est pas seulement la conséquence d’un regard sur soi que l’on a mythologisé, mais aussi le fait des élites médiatiques et universitaires occidentales. Un intellectuel algérien, autochtone, n’est presque jamais convoqué à la parole que sur ce temps figé, n’est perçu qu’à travers un casting de décolonisé/colonisé qui a droit de voix légitime sur le victimaire, le woke de la décolonisation et le procès de l’Occident et son «empire». Même né des années après l’Indépendance, un intellectuel algérien n’est jamais appelé à prendre la parole que sur ce présent permanent qu’est le passé de son pays. L’Algérie, dans le casting médiatique international, reste un produit dérivé de La Bataille d’Alger, le film algéro-italien de Gillo Pentecorvo, sorti en 1966. Un pays en noir et blanc, couleur d’archives et un cas éternel pour les études postcoloniales utiles au procès de l’Occident et de sa culpabilité.

Cette «congélation» interne et internationale n’assure pas l’éternité de la victime sans un prix à payer: celui de la vie immédiate sacrifiée sur l’autel de l’anachronie. Le déni du présent servira autant à habiller le désarroi des générations nouvelles, à refuser le lien au temps ainsi qu’à se dérober à une réflexion sur le lien au monde, à l’universel et à l’altérité, la responsabilité. La France est l’autre absolu, ignorée dans ce soliloque. Elle est le champ de ce malaise face à l’autre et à soi. La France, c’est le pays où l’on souhaite vivre, en direction duquel rament les chaloupes des migrants «clandestins», auprès des guichets duquel on se bouscule pour un visa, mais c’est aussi le pays de la haine, de la guerre imaginaire et du refus de naître au présent et au reste du monde. La cryogénisation n’est pas sans tourment, sans amputation et sans facture. Aujourd’hui, l’Algérie qui reste à construire ne l’est pas, au nom d’un passé dont personne ne veut quitter la niche et que presque tous cherchent à revivre dans l’éternité mauvaise du décolonisé/décolonisateur permanent. «La France est l’ennemi du passé, du présent et du futur», répète le slogan en vogue depuis des années sur les réseaux sociaux et dans les discours officiels. Curieuse radicalité de change, que ne réclamaient pas les générations qui ont vécu la guerre et les premières années de l’indépendance et qui est à distinguer du devoir de mémoire qui s’impose.

Dette génétique

On rétorquera à chaque occasion, pour justifier cette mission monstrueuse imposée aux plus jeunes, que le trauma colonial est une dette aussi génétique, mémorielle que politique, et cela est vrai et impose la réflexion et la reconnaissance, le travail de deuil et de prise de parole. Entre l’amnésie en France et l’hypermnésie en Algérie, le récit «sain» n’est pas encore commencé.

Mais l’argument presque clinicien absout justement un curieux effet de théâtralisation coûteuse de la dette de mémoire et une installation de confort dans cette rente de la désolation qui fige le temps et le «congèle» avec ses nouveau-nés: naître en Algérie, c’est mourir dans la gloire de la décolonisation. La seule naissance permise et rejouée sans cesse. Une guerre d’attrition avec des armes, factices aujourd’hui, mortelles pour le futur. Mettre fin à cette guerre imaginaire, aux rentes de ses clercs et élites, à ses nostalgiques et à des défenseurs, par le travail sur soi, par la lucidité et la responsabilité, c’est imposer un douloureux et pénible éveil au présent, ce temps responsable sans déni, cette vie sans oubli mais sans momification. Le film La Bataille d’Alger raconte avec génie et grand art l’éveil d’une nation, son accouchement et son effort vers la liberté. Mais ce qui raconte le mieux l’Algérie d’aujourd’hui, c’est un roman écrit et paru lui aussi en Italie, en 1940. Il relate l’histoire d’un homme qui, dans un désert vide, attend la gloire improbable d’une guerre contre des ennemis qui ne viendront jamais: Le Désert des Tartares de Dino Buzzati.

KD.

« UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA GAUCHE COMMENCE » J-L Mélenchon

PAR MICHEL SOUDAIS ET ANTONIN AMADO

POLITIS _

Publié le 13 juillet 2022

À l’issue d’une séquence électorale atypique, Jean-Luc Mélenchon tire le bilan de la recomposition des forces et trace des perspectives pour les combats à venir.

Jean-Luc Mélenchon : « Une nouvelle histoire de la gauche commence »

Alors que les quelque 150 députés de la Nupes mènent bataille au Palais-Bourbon, le leader des insoumis estime que la relève est assurée. S’il souhaite désormais mener le combat politique dans le champ des idées, il envisage l’avenir politique de la gauche avec enthousiasme. Un optimisme assombri par la convergence de la droite et de l’extrême droite ainsi que par la radicalisation de la société résultant des urgences écologiques et sociales.

Après une élection présidentielle et des législatives atypiques, en quoi le paysage politique du pays a-t-il profondément changé ?

Jean-Luc Mélenchon : C’est une saison entièrement nouvelle de l’histoire de la gauche qui commence. Du point de vue des idées, nous inversons la donne du cycle commencé en 2005. Le peuple français refusait alors de constitutionnaliser un régime économique dont les principales règles sont la concurrence libre et non faussée, le libre-échange, le refus de l’harmonisation sociale et fiscale. Mais la sphère institutionnelle répond par un viol de la souveraineté du peuple : l’ordolibéralisme est devenu la loi suprême.

Jusqu’au 10 avril, la question était de savoir si la gauche pouvait continuer à promettre des avantages tirés du système néolibéral, ou si la prolongation du grand projet humain de la Libération – une société de mieux-être et d’égalité – passe par une rupture. Ce qui se jouait, c’était l’existence même d’une gauche politique.

Il y avait beaucoup plus de ruptures en 1981 que ce que proposait votre programme…

Je l’ai dit moi-même plusieurs fois sans qu’on m’entende. Nos ennemis avaient besoin de nous diaboliser pour nous contenir. Ce qui a été le facteur déclenchant de la décomposition de la gauche traditionnelle, c’est son incapacité absolue à comprendre pourquoi la crise écologique mettait la civilisation humaine au pied du mur du capitalisme : comment est-elle organisée, qu’est-ce qu’elle produit, dans quelle finalité et avec quels objectifs ? Si bien que, le 10 avril, cette période se solde par l’effondrement de la gauche traditionnelle et l’option préférentielle pour la gauche de rupture.

Cette gauche de rupture dont vous parlez est-elle une gauche de transformation écologique et sociale ou son projet est-il plus radical ?

Son contenu et son analyse sont plus radicaux. Car le capitalisme est devenu un système qui ne fait plus de compromis. Le capitalisme financier de notre temps va au bout de cela : il pille sans limite et se nourrit aussi des dégâts qu’il provoque. Et il doit détruire la démocratie parce qu’il ne veut d’aucune régulation, or la source de celle-ci, c’est la loi et donc le citoyen qui la fait voter. Face à une forme extrêmement radicalisée du capitalisme, nous avons besoin d’une stratégie claire de rupture avec le système qui épuise et détruit l’homme et la nature. Il a fallu aussi construire une force indépendante pour lutter contre l’hégémonie d’une gauche qui n’était même plus de transformation sociale, mais juste un accompagnement enthousiaste du système. Le paroxysme a été atteint sous François Hollande. En déclarant, dans une conférence de presse, que c’est l’offre qui crée la demande, il a rayé d’un trait de plume un siècle et demi de combats de gauche qui partaient des besoins humains.

Ce qui se jouait, c’était l’existence même d’une gauche politique.

Le 10 avril, le choix pour la gauche de rupture que j’incarnais avec le programme L’Avenir en commun répétait celui de 2017. Mais, il y a cinq ans, la gauche traditionnelle a pensé que c’était un accident de l’histoire, lié soit à mon habileté à faire campagne, soit au fait que Benoît Hamon n’aurait pas fait une campagne assez centriste. Il aura fallu le deuxième coup, moi à 22 % et tous les autres à moins de 5 %, pour clarifier les choses.

Quand j’ai proposé en 2018 de constituer une fédération populaire, à deux reprises il m’a été répondu qu’on ne pouvait réaliser l’union qu’autour du centre gauche, que toute autre formule était vouée à l’échec. Encore aujourd’hui, on continue à me demander si j’ai l’intention de rester radical alors qu’il faudrait s’élargir. Comme si la radicalité venait d’ailleurs que du contexte !

Dans la campagne, j’avais dit que, si j’arrivais au second tour, je proposerais à tout le monde de se rassembler. Nous étions intellectuellement prêts à l’idée que, si on passait en tête, la signification serait que la gauche se réorganiserait tout entière autour de l’axe de la rupture. La plus grosse incertitude était de savoir s’il y avait intérêt à discuter avec les socialistes qui nous avaient si grossièrement éconduits les deux autres fois et toujours rejetés par le peuple.

Vous avez hésité…

Tout à fait. Des messages sont passés. Le risque n’était pas pour eux, ils étaient déjà à 1,75 %. Pour nous, il était énorme parce que nous incarnons deux courants politiques : celui très revendicatif des milieux populaires déshérités que nous surreprésentons et celui des classes moyennes en voie de déclassement. Le risque était que nos électeurs pensent que nous étions en train de faire de la tambouille avec le PS. L’autre risque était que le PS nous enferme dans une discussion sans fin qui nous ridiculise. Pour en avoir le cœur net – la discussion avait commencé avec les Verts sans aucune difficulté –, j’ai rencontré Olivier Faure. Il m’a convaincu qu’il avait compris le moment nouveau. À partir de là, les choses deviennent simples. L’accord électoral est forcément un accord de premier tour, sinon le Front national submergerait la scène. C’est la raison des candidatures communes, ce qu’on n’avait jamais fait dans toute l’histoire de la gauche.

Pour appliquer la ligne de rupture, nous avons mordicus refusé que l’on se contente d’une plateforme en 15 points. Notre programme de plus de 600 points marque où en est la gauche. Notre méthode a été celle de la déconstruction des désaccords pour en vérifier le contenu et de la reconstruction sur une radicalité concrète et faisable. C’est ainsi que nous avons réglé avec une extrême facilité la question de l’Europe alors que tout le monde nous disait que ce serait le piège dont personne ne ressortirait uni.

Après des années de discussion stérile, l’union de la gauche s’est constituée de manière incroyablement rapide. Pourquoi maintenant et pas en 2017 ?

En douze jours ! La raison centrale, c’est qu’ils ont pu mesurer cette fois-ci que la disparition pure et simple les attendait s’ils continuaient sur le refus d’une ligne de rupture.

C’est une question de survie pour eux ?

Oui, sans doute, mais il ne faut pas non plus mépriser les socialistes. Quand vous adhérez au PS, même si vous êtes très modéré, c’est quand même pour changer la société. Les bases socialistes sont très largement acquises à l’idée de combattre la racine des injustices sociales et du saccage environnemental. À présent, leurs dirigeants savent que la ligne d’accompagnement ne mène nulle part.

Il n’y a qu’en France que l’on voit un gouvernement défait aux législatives se maintenir.

Aux législatives, nous avions le choix entre une stratégie pour nous renforcer seuls et minoritaires, ou une stratégie capable de victoire. Le contexte était bon à la sortie de l’élection présidentielle, avec trois blocs à peu près de taille égale, mais nous entrons dans une autre élection que celle uninominale à un tour… la présidentielle.

C’est intéressant que vous le disiez comme ça.

Parce que c’est la vérité, celui qui arrive au deuxième tour bat Le Pen, et voilà… Là, nous partions du constat qu’il y avait un quatrième bloc en enjeu : les abstentionnistes. Notre raisonnement est assez classique : le plus uni et le plus fort entraîne ceux qui hésitent. Or, les blocs conservateur et d’extrême droite sont divisés, l’un entre Macron et LR, l’autre entre Le Pen et Zemmour. En nous unissant, nous pensions passer en tête dans un nombre extrêmement important de circonscriptions.

À la sortie du premier tour, le 12 juin, nous étions carrément en tête dans le pays ! La stratégie était donc juste. Depuis, beaucoup ont oublié que Macron a été battu. Il n’y a qu’en France que l’on voit un gouvernement défait aux législatives se maintenir. La culture démocratique y est tellement érodée que, le jour du discours de politique générale, une majorité de chaînes d’info discutait le style, le comportement, et passait à côté de l’événement historique en train de se produire : un gouvernement qui ne demande même pas la confiance et nous annonce qu’il veut bricoler avec l’Assemblée. N’importe quel analyste politique sait que cette situation appelle la censure. Pourtant c’est elle qui fut considérée par les commentateurs comme un facteur de désordre.

La Nupes est-elle durable ? À quelles conditions ? À l’Assemblée, un intergroupe s’est constitué mais, en dehors de cette institution, quel mode de liaison entre les partis qui la composent ?

Commençons par saluer le résultat : on nous a dit : « le lendemain du vote, ce sera fini ». Eh bien, cela continue ! Quand nous arrivons à l’Assemblée, j’ai proposé que l’on forme un seul groupe pour marquer le paysage. Ce n’était pas prévu, mais ce qui n’était pas prévu non plus, ce sont les 89 députés du Front national. Je me disais qu’en s’affichant à 150 contre 89, on réglait la question. C’était trop pour beaucoup.

Si vous aviez fait cette annonce il y a encore quelques mois, ça aurait été l’hallali. Là, on a vu des refus polis formulés de manière extrêmement calme…

J’ai même trouvé que c’était amical. Si ça s’est passé comme cela, c’est que tous avaient l’intention de continuer à travailler ensemble sans envie qu’un incident l’empêche. La preuve : nous sommes vite arrivés à un accord général pour présenter des candidats communs aux postes de l’Assemblée. Il faut voir ce que représente un tel accord entre des groupes qui s’étaient ignorés dans la mandature précédente. Deuxième chose totalement inattendue, mais bien travaillée par Mathilde Panot et Manuel Bompard, c’est la proposition d’appeler tous nos groupes Nupes. On l’a fait, donc les Verts aussi, le PS pareil et, par effet de domino, le groupe GDR [communiste, NDLR] également, à l’issue d’un vote interne où Fabien Roussel a été battu.

Le sort des élections se joue dans la conjonction des classes populaires et des classes moyennes.

Ensuite tous étaient d’accord pour la censure et l’on a pu mesurer, après le discours de politique générale d’Élisabeth Borne, combien les orateurs étaient convergents et manifestaient une même radicalité sous des formes évidemment différentes. C’est un début.

À chaque étape se poseront des questions. Au sein de l’intergroupe, Olivier Faure est extrêmement actif dans l’effort de liant. C’est un peu lui qui a poussé tout le monde à se réunir toutes les semaines.

Il existe aussi une structure moins connue de coordination des organisations de la Nupes qui se tient le lundi. J’y participe désormais. Il y a une grande différence dans les rythmes de fonctionnement de chacun. Il faut qu’on arrive à s’accorder pour ne pas gripper le système.

Quel va être le rôle de cette structure ?

Elle est essentielle et va devenir l’un des lieux centraux de la vie politique du pays. Pourquoi ? Premièrement parce que nous avons repris pied dans les cités populaires. Nous sommes le premier parti des pauvres, des chômeurs et des précaires : dans les 10 % des villes les plus démunies, 80 % des députés sont Nupes. Dans les quartiers populaires, où l’abstention est très forte, nous sommes hégémoniques avec des scores de 70 à 80 %. Bien sûr, nous rencontrons des limites, mais les zones qui avaient largement déserté le vote de gauche se reconstruisent autour de la Nupes. Y compris dans des zones périurbaines et rurales. La vallée de la mécanique dans l’Aveyron, terre perdue par la gauche traditionnelle, a élu un ouvrier LFI cégétiste. En Haute-Vienne, où la gauche avait perdu Limoges, les trois députés sont Nupes, dont un insoumis.

Deuxièmement, il existe un phénomène psychologico-politique essentiel : la classe moyenne et moyenne supérieure change de camp. Après avoir été longtemps majoritairement socialiste ou centriste, puis idéologiquement persuadée qu’elle trouverait son compte dans le système, elle bascule. C’est décisif parce que le sort des élections se joue dans la conjonction des classes populaires et des classes moyennes. La Nupes va devenir le seul lieu uni pour l’action populaire. La marche contre la vie chère à la rentrée va le montrer.

À quoi attribuez-vous ce reflux des classes moyennes ?

À l’impasse sociale et à la situation écologique. Cette dernière travaille les classes moyennes par les enfants. Beaucoup de parents trient déjà les déchets à la maison, font très attention à ce qu’ils mangent… Ce n’est donc pas une classe sociale acculturée sur le sujet. Mais sa jeune génération, celle pour laquelle elle a fait le plus de sacrifices, jette l’éponge. Ce sont les étudiants d’AgroParisTech qui disent « votre agriculture ne nous intéresse pas » ; les élèves ingénieurs de l’aéronautique qui disent « faire des avions, ça ne nous intéresse plus ». On parle de la « fin de l’ambition » et de la « grande démission ». Ces deux phénomènes vont de pair. Ils ont connu un effet d’accélérateur avec le covid. En renvoyant les gens à la maison, il les a fait s’interroger sur le sens de leur existence. Des centaines de milliers de personnes ne s’étaient jamais posé la question de savoir pourquoi elles se tapaient des heures de transport tous les jours, pourquoi elles ramenaient tous les samedis à la maison leur ordinateur sous le bras pour continuer à travailler. Tout cela a brisé l’hégémonie de l’imaginaire néolibéral. Nous voilà confrontés à des problèmes qui frappent de plein fouet l’élémentaire de l’espèce humaine : la santé, l’éducation, l’accès à l’eau. Et donc, qu’est-ce qu’on fait ? Comment on s’en sort ?

Par ces cheminements intellectuels, la radicalisation de la société va se poursuivre. Et puis l’espace spécifique de la gauche unie facilite le regroupement du milieu social qu’elle veut représenter. Avec la Nupes, il est beaucoup plus facile pour les syndicats d’opérer la jonction avec la gauche politique. La violence des confrontations entre gauche de rupture et gauche d’accompagnement pouvait menacer la vie même des sections syndicales. Le fait qu’il y ait un état-major politique uni est tout à fait essentiel, même s’il n’a pas encore pleinement conscience du rôle qu’il peut jouer.

Lire la suite de cet entretien > « Je lutterai jusqu’à mon dernier souffle. »

_____________________

Jean-Luc Mélenchon : « Je lutterai jusqu’à mon dernier souffle. »

S’il se met en retrait, le leader de la France insoumise n’est pas en retraite. Il le dit lui-même dans cette deuxième partie du long entretien qu’il nous a accordé.

Après être revenu sur la séquence électorale atypique qui a conduit à l’union de la gauche sous la forme de la Nupes, le leader de la France insoumise a répondu sans détours à nos questions : sur la place faite aux représentants des quartiers populaires, la réception du discours de l’Union populaire dans les zones rurales et péri-urbaines – une « discussion ouverte » par François Ruffin et non une divergence, assure-t-il –, la fin du front républicain face au RN, ses propos sur la police, la crise économique qui s’annonce et la bataille contre le réchauffement climatique. Nous l’aurions bien encore interrogé sur quelques autres sujets, mais le temps manquait alors que nous avions déjà échangé près de deux heures.

Plusieurs collectifs de quartiers populaires comme « On s’en mêle » ont pris publiquement position pour vous avant le premier tour. Mais ils sont nombreux à déclarer avoir été déçus de la place qui leur a été réservée aux législatives. Que leur répondez-vous ?

Jean-Luc Mélenchon : Je comprends parfaitement que, d’un balcon ou d’un autre, le paysage ne soit pas le même. Dans le cas des quartiers populaires, pour ce qui concerne La France insoumise, nous avons mené le travail comme jamais. Ce n’est pas juste de nous jeter la pierre quand dans l’ensemble de nos circonscriptions, une trentaine de candidats, dont nombre de figures symboliques, avaient une adresse dans une cité populaire. S’il y a un mouvement populaire, c’est bien le nôtre.

La politique dans les quartiers est divers aussi ; il y a différentes orientations et, comme dans le reste de la société, elles sont en compétition les unes avec les autres. Certains qui ne sont pas forcément d’accord avec ceux qui ont intégré les bancs de l’Assemblée nationale auraient préféré que ce soient eux.

Il n’y a pas que l’adresse. Des personnes issues de la diversité ne sont pas représentées à l’Assemblée nationale…

Je laisse aux observateurs le soin de voir qui était candidat, dans quelles conditions, et combien il y a de députés insoumis – je ne peux pas parler pour les autres – qui sont l’émanation directe des cités et de ce que vous appelez la « diversité de la France ». Je ne vais pas dresser la liste. Je ne fais pas de tri, moi. Et je demande aux gens de regarder si ça leur paraît représenter ou non la France. C’est ausi une bonne chose qu’il y ait une ouvrière agricole dans le groupe insoumis – elle n’habite pas dans une cité mais dans une ferme –, qu’un ouvrier de la vallée de la mine habite dans une cité en train de s’enfoncer dans le sol.

Mais quoi que l’on fasse, ce n’est pas bien. C’est presque décourageant. Est-ce que quelqu’un a l’intention de fixer une proportion ethnique dans les groupes ? Bien sûr que non. Donc la question est mal posée. Les cités populaires ont été représentées dans toute la France. Dans certaines, on a gagné ; dans d’autres, on a perdu.

Je suis fatigué de la jérémiade permanente et d’une forme d’ethnicisation de l’arrivisme. On pourrait dire : « waouh, vous avez fait le plus beau groupe socialement divers depuis quarante ans. » Même en 1981, il n’y avait pas une telle diversité sociale. Quel autre groupe est à ce point représentatif des plus pauvres ? C’était déjà le cas en 2017 quand Jean-Hugues Ratenon, le président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté – il vivait avec le RSA – a été élu. Personne au RSA n’avait été élu avant lui. C’était aussi le cas pour Caroline Fiat, aide-soignante, Adrien Quatennens, qui travaillait pour une plateforme téléphonique. Ces deux-là ont fait des émules : des tas de gens se sont dit « moi aussi je peux ».

Y compris dans des échelons plus locaux de la démocratie…

La preuve est faite que tout le monde peut être élu. Quand on a présenté, à Marseille, en face d’un cacique du FN un dirigeant incontesté des luttes populaires des cités, Mohamed Bensaada, il perd parce que les LREM n’ont pas voté pour lui. On voit que le sujet était politique, pas ethnique. Bien sûr, les discriminations existent et se superposent, mais l’entrée en scène politique de la France créolisée est faite. C’est fini, vous ne pouvez plus revenir là-dessus. Idir Boumertit était adjoint de la maire de Vénissieux, il est maintenant député du Rhône.

François Ruffin affirme que vous avez ranimé la gauche, et il estime que le discours de l’Union populaire a permis de séduire le cœur des grandes villes et les quartiers populaires. Mais qu’il reste clivant dans les zones rurales et périurbaines, où le RN réalise ses meilleurs scores. Partagez-vous son constat ?

Je n’ai pas de divergence avec François Ruffin lorsqu’il ouvre des discussions. Et c’est ce qu’il fait. Sur le fond, il n’est pas vrai que les territoires périphériques et ruraux aient massivement voté RN. Je ne dis pas cela pour contredire François, car il existe une part de vérité dans son discours, et particulièrement dans la Somme, où il a été seul élu Nupes. On peut aussi ajouter l’Aisne et de l’Oise, dans lesquels la situation est semblable. Mais l’être humain n’est réductible ni à son socle géographique ni à son origine sociale. Il n’est pas vrai de dire que l’ouvrier, le jour où on lui aura révélé la condition réelle de son exploitation par le capitalisme, verra surgir en lui comme par illumination la conscience révolutionnaire. Les êtres humains sont composés de réalités sociales, géographiques, politiques et culturelles.

La droite commet l’erreur de croire qu’elle finira par gagner les voix du RN.

Exemple, mon copain ouvrier à la « Peuj » du côté de Montbéliard. Il affirmait qu’il ne voterait jamais le programme commun de la gauche. Il était pourtant d’accord avec. Mais, me disait-il, « je suis catholique, je ne vote pas pour des athées qui veulent nous empêcher de croire ». Cet homme était surdéterminé par ce qui lui paraissait important, sa foi religieuse. Ça compte et nous n’avons pas le droit de l’ignorer. Ensuite, quand vous regardez les implantations culturelles les plus anciennes de la réaction, vous mettez au jour des schémas très anciens. Partout en Vendée la gauche est minoritaire, sauf dans les villes créées par Napoléon. La carte électorale, là comme ailleurs, n’a pas évolué depuis deux siècles. Ailleurs aussi, des terres de révolte sont de gauche, depuis un ou deux siècles parfois. Mais sur l’ensemble des terrains, nous reprenons pied. Nous devons toujours analyser les conditions politiques de la formation des consciences. Et la meilleure preuve de cela, c’est justement la Somme. Là où François a mené campagne très intensément, il y a remporté une brillante victoire alors que nous ne sommes qu’à la troisième place dans sa circonscription à la présidentielle. Nous ne butons pas sur la géographie. Mais bien sur l’état différent des consciences face aux problèmes sociaux communs. L’explosion sociale et la destruction de la civilisation précédente ont provoqué un tel désarroi qu’à la fin, dans des zones entières et faute de combattants, les gens finissent par se tourner vers l’extrême droite.

Lorsque vous utilisez le terme « faute de combattants », qui critiquez-vous ?

D’abord les organisations de gauche traditionnelle et leurs élus locaux qui n’ont pas mené efficacement leur mission. Il fallait aller au-devant des gens, les aider à porter leurs revendications, les éduquer politiquement. Les gens, n’ayant plus face à eux des personnes capables de les éclairer sur les luttes à mener, ne pouvant s’informer que devant les chaînes d’information en continu, se tournent naturellement vers ceux vers qui les orientent le système.

Les électeurs du RN sont sensibles aux questions régaliennes, et particulièrement à celles touchant à la sécurité. Avez-vous prévu de travailler davantage ce type de sujets en vue des prochaines élections ?

Mais nous avons un discours très complet sur le sujet de la sécurité. Nous avons le meilleur spécialiste des questions de police avec le député Ugo Bernalicis. Nous avons organisé un colloque, publié une brochure, nous nous sommes expliqués cent fois sur ce sujet… Mais comment résister à un discours martelé un million de fois et qui se résume à dire que nous n’aimons pas la police ? Quand je dis « la police tue », ça choque. Et une môme de 21 ans qui se prend une balle dans la tête, ça choque qui dans ce pays, à part nous ? Je n’en peux plus de la brutalisation du matin au soir, de la mort des gens de couleur, des jeunes qui subissent sans cesse les contrôles au faciès. Que réclamons-nous ? Simplement que les policiers soient formés correctement, car ils sont ignorants de bien des situations qu’ils ont pourtant à gérer. Et leurs syndicats tiennent des discours factieux. Alors, non ! Nous n’avons pas à amender notre discours. La seule chose à dire est la suivante : nous voulons une police républicaine composée de gardiens de la paix. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils soient armés en manif, ni qu’ils mutilent des gens ou leur tirent dessus pour refus d’obtempérer. Si nous mettons le doigt dans l’engrenage, alors nous finirons par manifester avec des organisations de policiers d’extrême droite pour dire que le problème de la sécurité, ce sont les juges.

Dans les colonnes de Politis, le sociologue Bruno Amable avait été visionnaire puisqu’il avait prévu une alliance du bloc bourgeois allant de LREM au RN. La vitesse de l’effondrement du front républicain vous surprend-elle ?

Le front républicain a toujours été frappé du sceau de l’hypocrisie. Car si le FN est un danger pour la République et la stabilité de ses institutions, il faut l’interdire. Pour mémoire, j’avais signé la pétition lancée par Charlie Hebdo en 1996 réclamant cette interdiction. Mais il est très vite apparu que le RN est l’assurance-vie du système. La colère étant captée par l’extrême droite au premier tour, il ne reste au second que le candidat du système pour empêcher la peste brune. Cette posture est désormais intenable. Et c’est moi qui ai contribué à y mettre fin en 2017 dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Si j’avais appelé à voter Macron, ce que nous avions accompli aurait volé en éclats. Et puis le temps des consignes de vote était révolu. Nous avions demandé que pas une voix ne se porte sur Marine Le Pen. Et l’on s’est aperçu que si des votes insoumis se sont reportés sur elle, c’est de manière très marginale.

L’ordre géopolitique va basculer en même temps que l’ordre climatique.

Cinq ans plus tard, nos adversaires politiques ne se sont pas astreints à la même règle à notre égard. Cela ne m’a pas surpris, car depuis cinq ans nous avons vu se construire une tentative de créer un ample « centre » opposé aux « extrêmes ». Et dans une certaine mesure, cette stratégie a fonctionné. Nous avons perdu 40 duels avec le RN parce que les LREM se sont abstenus ou sont allés voter blanc. Mais le centre de gravité de la droite se déplace vers l’extrême droite. La porosité existe désormais dans les urnes sous la forme de l’abstention, du bulletin nul ou du report. La première étape, c’est « plutôt Hitler que le Front populaire ». La seconde, à laquelle nous sommes en train d’assister, c’est la jonction des droites.

La droite commet l’erreur de croire que, parce qu’elle serait attentive aux névroses des électeurs du RN, elle finira par gagner leurs voix. Et cela passe par des clins d’œil insupportables, telle cette interview du président de la République dans L’Express en décembre 2020, dans laquelle il affirme que Pétain était tout de même un grand stratège militaire et que Charles Maurras demeurait un grand écrivain. Non. Maurras comme Pétain sont des traîtres à la patrie, deux antisémites meurtriers, par ailleurs dépourvus de talents stratégiques et littéraires. Et un Président ne peut s’exprimer ainsi.

Le destin de LREM, de LR et du RN est de se regrouper sous la houlette de Le Pen. Cela se passera de la manière suivante : l’Assemblée nationale va devenir la casserole dans laquelle ils vont mettre à cuire leur soupe. Lorsque le gouvernement affirme qu’il travaillera à des majorités de projets, il sait parfaitement que cela ne fonctionnera pas avec nous. Ils présenteront donc des textes sur lesquels LR fera de la surenchère pour tenter de grignoter des parts à l’extrême droite. Ce qui fait du RN le maître du jeu de la recomposition de la droite. Mme Le Pen n’a jamais eu un autre projet que celui de M. Zemmour, qui n’a cessé d’appeler à la jonction de la droite et de l’extrême droite. Ce n’est pas une surprise pour moi. Dès 2012, j’avais affirmé sur France 2 que, face à la crise, cela se finirait entre le RN et nous.

Une crise économique de très grande ampleur est en train de se former sous nos yeux. Ses racines nous ramènent évidemment en 2007 et à la crise des dettes souveraines, elle-même issue de celle des crédits hypothécaires…

La situation s’est-elle améliorée depuis 2007 ? Le rapport entre la production de la masse d’objets marchandables et la masse monétaire en circulation s’est-il ajusté ? Non. Pire à présent, depuis 2008, tous les banquiers centraux émettent de la monnaie et rachètent à tour de bras de la dette publique mais aussi de la dette privée. Mais il n’y a ni hausse ni de la production ni des salaires. Le décrochage entre les bulles que je viens de décrire et l’économie réelle reste entier. Ce hiatus n’est plus tenable et explosera nécessairement. Mais d’autres facteurs aggravent encore la situation.

Le covid-19 a disloqué les chaînes longues d’approvisionnement et de production. Elles ne se sont depuis jamais complètement rétablies, ce qui explique des pénuries sur des matières premières comme le bois et le fer. Les hausses de prix liées à ces pénuries sont par ailleurs aggravées par des mécanismes spéculatifs qui anticipent des hausses, sur le blé par exemple. Ce système économique ne peut qu’imploser. La guerre froide engagée sous la direction des Etats-Unis d’Amérique contre la Chine, atelier du monde, ne peut pas être gagnée autrement que par la force. Mais tout recours à la force est un facteur aggravant des déséquilibres du système globalisé. Et la guerre, qui est redevenue une possibilité, est l’un des moyens traditionnels de règlement des crises du capitalisme.

Le sujet de la dette avait été relégué depuis mars 2020 et l’apparition de la pandémie. Il fait son grand retour dans le discours des responsables politiques…

Il y a plusieurs manières de régler le problème de la masse de la dette. D’abord, la payer. C’est impensable aujourd’hui. Il y a ensuite celle de l’inflation qui la dévore. Puis la banqueroute et enfin la guerre. Alors que je réclamais que notre dette publique devienne perpétuelle, Bruno Le Maire m’a un jour répondu avec beaucoup de franchise : « Mais, Monsieur Mélenchon, c’est déjà le cas. Nous ne remboursons jamais. Nous ne faisons qu’emprunter pour rembourser nos créances plus anciennes. » La dette est donc devenue un système de rente, autour duquel toute la société est organisée pour le seul profit de quelques-uns.

Après Hollande et Macron, la cause environnementale a particulièrement souffert. Cette bataille est-elle déjà perdue ?

J’appartiens à l’école des pessimistes. J’entends le discours des optimistes quand ils disent qu’il est encore temps de réparer et qui insistent pour que d’autres seuils de dégradation ne soient pas franchis. Mais je doute que ce soit possible, compte tenu de la force d’inertie de phénomènes irréversibles, et en premier lieu le réchauffement climatique. Une toute nouvelle organisation du climat et la dévastation du vivant vont créer des conditions entièrement nouvelles d’existence, y compris pour des sociétés qui ont dominé le monde au cours du siècle passé. L’ordre géopolitique va basculer en même temps que l’ordre climatique. Cette mise au pied du mur va nous confronter à la question de l’ordre social et écologique. Cette nouvelle forme d’organisation de la société et le discours qui va avec restent à construire.

Vous n’êtes plus député, mais vous conservez une forte influence sur votre mouvement et plus largement sur la gauche. Quel rôle comptez-vous jouer dans les mois à venir ?

Une certaine mise en retrait sans retraite. Je vais agir dans la bataille culturelle. Sans doute avec la fondation « La Boétie », qui est missionnée par la France Insoumise. J’aimerai ancrer le mouvement insoumis dans sa racine philosophique fondamentale, l’humanisme politique radical. De toute façon, au niveau du Mouvement la relève est là. Il y a nombre de femmes et hommes bons stratèges, orateurs très puissants, militants sans peur. L’intervention de Mathilde Panot à l’Assemblée nationale après le discours de politique générale de la Première ministre le prouve. Je n’aurais pas fait aussi bien. Je n’ai plus à me soucier de savoir si la continuité du combat est assurée. Mais si je suis en retrait de l’Assemblée, je ne suis pas en retraite. Je vais participer pleinement à ce que j’ai appelé le quatrième tour écologique et social. Ce qui est certain, c’est que je lutterai jusqu’à mon dernier souffle.

13.07.2022

_____________

Schizophrénie

Schizophrénie. 

Un caprice juvénile devient le firmament d’une nation entière exaltée par les officiels calculateurs. Misère de misère. Le degré de cette misère, morale, se mesure à la force de préhension – très vigoureuse en l’occurrence – de tout ce qui émane de l’Autre. On s’arrime à son regard, sa pensée, son verbe. Tout ce qu’on entreprend est lié à ce regard, cette pensée, ce verbe que l’Autre nous renvoie. Cet Autre qu’on envie, qu’on craint, qu’on invite sur un piédestal et que, très paradoxalement, on hait par médiocre rivalité. Et auquel in fine et malgré soi, on se soumet. Comment construire notre Je si nous honorons et à la fois rejetons l’Autre ? Quelle misère inapaisée ! Inapaisée car nous n’avons pas apuré nos passés, tous, avec sérénité. Aux perturbations objectives on a régulièrement – pour des calendriers pernicieux – fomenté des perturbations subjectives, misérables, outrancièrement nationalistes. L’universalisme n’est pas l’horizon de l’Algérien nouveau. Nous en sommes hélas là. La servitude n’étant pas toujours contrainte, demain il fera nuit encore et encore. Allez, je vous quitte.

J’ai posté ce texte sur Facebook hier lundi 27 juin 2022 – 16 H

Ce qu’ont fait les Algériens (à commencer par la présidence de la République) d’un simple caprice d’un gamin américain (de vouloir se rendre en Algérie et le dire en arabe) ainsi que les multiples réactions concernant des jeunes filles en tenue (officielle) de gymnastique m’ont rendu perplexe et d’autres encore. J’ai écrit ce texte spontanément à la suite de la lecture des pages Facebook du jour. Un pays (et beaucoup de ses gens) malade. Très.

J’ai clôturé mon compte (provisoirement?)

_______________________________________

Précédemment (mi juin) j’avais posté ceci, dégoûté:

« … On ne saurait s’imaginer jusqu’à quel point un peuple ainsi assujetti par la fourberie d’une traître, tombe dans l’avilissement, et même dans un tel profond oubli de tous ses droits, qu’il est presque impossible de le réveiller de sa torpeur pour les reconquérir, servant si bien et si volontiers qu’on dirait, à la voir, qu’il n’a pas perdu seulement sa liberté́, mais encore sa propre servitude, pour s’engourdir dans le plus abrutissant esclavage… »

Étienne de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire (1549) 

et encore en juin, en avril…

____________________

CE QU’ETAIT MON PAYS (1960 – 1980)

////////////////////////////////////

CE QU ILS EN ONT FAIT (« ILS »: LE POUVOIR ET SES ALLIES, LES INTEGRISTES)

°

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LE GAMIN

°

_______________________________________

Coupure ajoutée dim 3 juillet 2022

________________________

À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF

À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF ASSASSINÉ LE LUNDI 29 JUIN 1992 À ANNABA

INSPIREZ un bon coup, car vous allez embarquer dans plus de 8000 mots dont les destinations auxquelles ils invitent nécessitent parfois des détours. Elles n’abritent pas les mêmes intérêts, ni les mêmes mémoires. Il y a néanmoins un point commun et je vous laisse le soin de le trouver.

Ce, samedi 25 juin 2022, seront inaugurés à Oran les 19° Jeux Méditerranéens. J’ai lu des centaines de lignes sur ces jeux, tout est dit ou presque. Pourquoi « presque » ? Parce qu’il m’a été impossible de lire où exactement se déroulera la cérémonie d’ouverture. Je prends au hasard cet article de presse (Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 juin 2022, page 13, non signé. 

« Le président de la Commission des cérémonies d’ouverture et de clôture des JM, monsieur Salim Dada a donné, lors d’une conférence de presse un aperçu complet de l’agenda culturel… » mais rien sur le lieu de la cérémonie. Nous savons que « la cérémonie d’ouverture des JM sera une grande cérémonie » mais on ne sait rien du lieu. Nous savons « qu’elle sera une œuvre artistique complète avec tous les éléments expressifs», mais on ne nous dit rien sur le lieu. Nous savons qu’elle « sera exécutée par un orchestre symphonique composé d’une centaine de musiciens » mais où ? on n’en sait rien. Nous apprenons « qu’elle comprendra des mouvements artistiques d’ensemble sur une superficie de 9.000 mètres carrés et 500 drones seront utilisés à cette fin, en plus d’un spectacle son et lumière et des jeux pyrotechniques. Mais où ? débrouillez-vous. Nous savons que « La présentation artistique de la cérémonie d’ouverture comprend 20 tableaux », que « le scenario mettra en exergue les multiples facettes de la culture algérienne en général, celle de la région Ouest et de la ville d’Oran ». Rien dans cet article n’est dit sur le lieu de la cérémonie. Ne cherchez pas sur l’Internet vous ne trouveriez rien. C’est tout simplement dingue. J’ai pensé au stade Zabana, mais n’en suis pas sûr du tout. Pourquoi Zabana ? parce qu’il en est beaucoup question dans mon article ainsi que de Ben Bella (il y a 57 ans exactement) et de Boudiaf (il y a 30 ans exactement).

Au début il n’y avait peut-être pas le verbe, mais la danse des Ombres qui se profilaient. Cela s’est passé il y a longtemps. Certains parmi vous étaient adolescents ou jeunes adultes, d’autres même pas nés. Vous avez été confrontés à un « roman national officiel » mensonger, mais vous n’êtes pas dupes. Vous savez que la vérité vient rarement du discours officiel élaboré par le pouvoir qui s’en tient mordicus à la vérité de ses laboratoires, celle du « roman national officiel » qu’il a lui-même préparé en maison ou vase clos. Voici un morceau de cette histoire, il est ma propre vérité qui se nourrit de mon vécu. Il lui manque toutes les autres vérités vécues. En attendant, voici ma part de vérité et de fiction, entremêlées.

Le témoignage que je vous livre ci-après a été mis en ligne une première fois en juin 2015. Je l’ai repris, retravaillé et étoffé. Il embrasse notamment la folle, très folle journée du 25 juin 1992, avec la visite du président Boudiaf chez nous, dans notre village, le lugubre 29 juin 1992 avec l’assassinat du président Boudiaf quatre jours après sa visite chez nous, ainsi que la finale de la coupe d’Algérie au stade « ex Municipal », avec le match Algérie – Brésil du 17 juin 1965, deux jours avant le coup d’État du colonel Boumediène. Tout cela dans un sympathique et apparent désordre qui n’en est pas un.

Nous étions le dernier lundi de juin de l’an 1992 et notre pays et ses hommes allaient incessamment sombrer bien malgré l’écrasante majorité d’entre nous dans un gouffre de déraison qui saignerait la terre, attristerait le temps et ferait pleurer le ciel. Toutes les étoiles du Nord n’avaient pas suffi pour maintenir intact notre espoir cardinal et nos résolutions pacifiques qui allaient être contrariés, gravement blessés, pis encore qu’ils ne l’eussent été quelques mois plus tôt, à l’aube de la nouvelle année. Oui, nous allions sombrer dans un gouffre de déraison, un monde d’affres et d’épouvantes, une longue nuit, un cauchemar interminable, dont les premiers signes annonciateurs nous avaient été livrés disais-je six mois plus tôt, et pour certains depuis plusieurs années en amont. Nous allions voir ce que nous allions voir. L’horloge de mon bureau indiquait 13h30. Sur mes fiches d’identification de poste de travail que j’appelais FIP, j’ajoutais, rayais, surchargeais, rectifiais, revenais à l’indication initiale. Pour chaque poste de travail (plusieurs centaines à reconsidérer) il me fallait proposer une évolution possible. Je croyais fermement que les grands patrons m’avaient proposé ce job de « chef de gestion de carrières » parce qu’ils me prenaient au sérieux, croyaient en mes compétences. Plaisanterie. « Le gaz est naturel. Il coule dans des tuyaux depuis le Sahara jusqu’ici. On ouvre les vannes et on remplit les méthaniers. Gaz cryogénique à liquéfier puis à regazéifier, voilà une question banale depuis 1910, époque des ballons dirigeables, alors bon… Les dollars arrivent, coulant à flots, dans l’autre sens et dans d’autres tuyaux, opaques. Et on les distribue, avec ou sans le syndicat. Tout le reste est du festi » me répétait un vieux collègue qui en avait vu des vertes et des pas mûres depuis les premiers temps de la Camel. « Tous ces services de Personnel, de Carrières, de Moyens généraux, de Social et de et de… ça sert à rien, qu’à nous faire passer le temps ». Je ne le croyais pas. À tort.

vue de GOOGLE – ana khatini ! (je ne suis pour rien dans cette prise !)

___________________________________________________________________ 

Il était 13h30 ce lundi 29 juin. Max-Si-Ali (appelons-le Max-Si-Ali), notre syndicaliste-chef maison est entré comme une furie dans mon bureau, j’ai cru que dans son élan il allait déglinguer les paumelles de la porte de mon bureau.

– Tu as entendu la dernière ?

– Quoi ? 

– Boudiaf, Boudiaf… a-t-il bégayé le souffle et les yeux aux abois. Il s’étranglait. 

– Euh ?

– Il a été liquidé ! en direct à la télévision !… 

Et il a fait demi-tour vers l’extérieur aussi rapidement qu’il était entré en claquant la porte, pour aller porter la mauvaise nouvelle à tous les bureaux. Un brouhaha s’en est suivi, car d’autres collègues venaient d’apprendre la nouvelle et eux aussi ont décidé de s’en faire porteurs. J’ai abandonné mes FIP et mes courbes et mes stats, et suis sorti précipitamment, emporté par la folle et incroyable nouvelle et c’est tout le complexe de liquéfaction qui se transformerait en souk d’échange d’informations et de rumeurs.

La journée commençait, jusqu’à ce moment-là, ordinaire dans une usine ordinaire de la Sonatrach à Bethioua (Arzew). Max-Si-Ali (il avait la barbe et les tics de son idole allemande et jamais Le Manifeste ne le quittait) passait son temps à récolter des informations et des rumeurs qu’il distillait après les avoir triées, alimentées. Max-Si-Ali a passé une grande partie de sa vie syndicale (il était technicien supérieur affecté à un poste fictif) à combattre contre vents et marées pour que « goffat el aïd » (1), un panier (au féminin en arabe « goffa ») de produits de première nécessité soit attribuée aux travailleurs, et reconduite chaque année. C’était sa traduction intime du Manifeste.

Le couffin qui nous avait été offert (merci le syndicat, merci patron) le mardi 9 et mercredi 10 juin était bien conséquent. C’était pour chacun ou le 9 ou le 10, le matin ou l’après-midi, à 9h15 ou 30 ou plus tard à 14h00, 15, 45 etc, selon le poste qu’on occupait, le service, le département, la sous-structure, tout était calculé et précisé au quart d’heure, à l’encre noire dans un grand tableau blanc Excel (42X30) démultiplié en autant d’exemplaires qu’il y avait de lieux d’affichage. Tout le monde était concerné, de la femme de ménage au cadre le plus gradé. Tout le monde. Le tableau était scotché, punaisé ou agrafé à l’entrée des départements, des services, des sections, sur la porte du local syndical, et bien sûr sur la porte et les murs de la Coopérative syndicale). C’était la Grande Révolution prolétarienne de notre secrétaire maison, en branle. Deux gros tampons l’accompagnant : celui du Syndicat – encre bleue – et celui de la Direction – encre rouge –, main dans la main et drôles de couleurs. L’aïd du mouton est tombé le week-end suivant. Max-Si-Ali était comme le père Noël, et rouge comme lui et comme son ancêtre idéologique. Un grand syndicaliste, très apprécié – malgré tout – par tous les directeurs sous-directeurs, cadres divers successifs. Les travailleurs aussi, mais ceux-ci n’avaient pas d’autres choix. Max-Si-Ali avait du mordant, du bagou, de la répartie, mais il ne fallait jamais évoquer devant lui ou le directeur les conditions de travail des chaudronniers, des manœuvres ou des saisonniers par exemple. Jamais évoquer les relations qu’entretenaient avec eux les petits-chefs, jamais évoquer les décisions unilatérales. Cela risquait de le rendre plus rouge encore.  

Max-Si-Ali a couru donc comme une flèche pour être le premier à donner la mauvaise nouvelle comme un augure écrasé par les événements. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas seul dans le couloir, il a pris la direction de la Direction. Notre planète est sortie de ses gonds immémoriaux puis s’est arrêtée de tourner le temps d’une rotation. « Ils l’ont eu » me suis-je entendu chuchoter. Toutes les télés du monde se sont brusquement tournées vers nous. Nous étions de nouveau le cœur d’un monde malsain et incertain. L’Amérique latine en mauvaise copie, très mauvaise. Les télés ne parlaient que de ce terrible drame et le film de l’événement repassait en boucle. « Le chef de l’État algérien, Mohamed Boudiaf a été assassiné ce matin à Annaba, à 600 km d’Alger. Le président algérien était en train d’inaugurer une maison de la Culture… » a annoncé Paul Amar en ouverture du journal 19/20 de FR3. Des lots d’images, par dizaines, se bousculaient dans mon esprit. 

_________________________________

°

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA TÉLÉ _ F3 SUR L’ASSASSINAT DE MOHAMED BOUDIAF_ 29 JUIN 1992

°

__________________________________