Archives mensuelles : février 2018

Acrostiche pour un Caillou

à M.

Bonne route et peu importe les cyclones sur les Loyauté, l’humeur des gens des îles, d’ici. On est saisi par la coquetterie des voitures qui narguent à toute vitesse, mais de là haut, les trois commandants de bord n’en ont cure, à chacun son allure.  Noir est mon temps intime, nébuleux celui de la météo. Nouer alliance avec Bourail et l’île des Pins, aux antipodes de nos paisibles calanques, n’est-ce pas nickel ? Enjamber un demi cercle de dix-sept mille cent quinze kilomètres ce n’est pas banal et c’est contrarier cette stupide expression « que le monde est petit ». Renifler, se torturer l’esprit ou liquéfier les larmes qui montent à quoi bon ? On objecte « C’est comme ça » et j’affirme que chacun a droit à son zénith rêvé, nos amis, nos enfants et tous les autres, chacun a droit à son propre Caillou, sa propre utopie, même si parfois ils nous obligent au déchirement, joues humectées. Utopies. Tirer vers soi les lignes d’horizon, cette perspective espérée. Évincer, s’envelopper d’une voile azurée. Maintenir le cap jusqu’à Port Moselle, au bout du rêve. Et jeter l’ancre. Hamdou Allah. Donnez-moi le change, dites ici ce que bon vous semble. « Inventer un monde meilleur », par exemple, mais vous vous fichez peut-être de ces obscures lignes comme de votre dernière embrouille ou de votre première chaussette, et je vous comprends.

Marignane, 19 octobre 2017

Aïn Fouara martyrisée

Tu as depuis longtemps été adoptée

Par la communauté, adulée.

Femme au monde-fontaine,

De ta source jaillit l’universel.

Depuis le premier jour

Tu offres au passant assoiffé ta générosité.

L’invitation permanente gicle de tes yeux voilés,

De ton corps en alerte, ton cœur en ébullition.

Même s’ils savent que tu n’as jamais froid,

Que tu restes de marbre devant leur turpitude

Qu’il vente ou pleuve,

Tu es, femme, la cible ad vitam æternam

Des esprits torturés.

On croyait l’abjection hors de la mémoire de l’esthétique

Mais l’histoire bégaie,

La voilà de retour, armée d’une machette

Pour, comme jadis,

Te récuser, te violenter,

Pour t’amputer,

T’anéantir.

Tes amis t’implorent de nouveau,

Ne cède pas ta beauté aux écervelés torturés

N’abdique pas devant l’acharnement

Des ignorants

Dévots du vide.

Que ta grâce exauce nos vœux ya Fouara*.

Miramas, 20 décembre 2017

* ya Fouara = ô Fouara. Aïn Fouara est une fontaine avec statue, emblématique de la ville de Sétif (Algérie). La sculpture est l’œuvre du Français Francis de Saint-Vidal (1899). La statue représente une femme nue assise sur un rocher, au-dessus d’une fontaine, un bras posé sur la pierre, l’autre sur un côté de la stèle, et une jambe repliée. Sa longue chevelure ondule jusqu’au bas du dos. Elle semble contempler la ville ou le monde…

La statue a été vandalisée le 22 avril 1997, le 31 mars 2006, puis le 18 décembre 2017.

Variations

Il y avait les froufrous des jupes et des jeans,

Il y avait les murmures banals ou affectueux,

Le sifflement des avions en papier

Et les regards alanguis.

Il y avait le crissement des chaussures pressées de quitter la salle,

Il y avait le gémissement des chaises déplacées sans ménagement,

« Eh m’sieur c’est sûr que les serpents à sonnette sont sourds ? »

Le clin d’œil au coin des lèvres et de l’interrogation.

Il y avait le tohu-bohu qui enflait dans la cour nue,

Il y avait le gazouillis que de l’autre côté

Les moineaux sur la pelouse caressée par le mistral

Adressaient aux élèves par-delà les fenêtres béantes et L’attrape-cœurs.

C’était hier peut-être même, déjà, avant-hier,

Vacarme des nombrils pubères égarés dans la nébuleuse

Jusqu’au jour de la restitution des armes,  

« On vous oubliera pas ! »

Il y a désormais l’horloge grise du temps nouveau.

Il y a un autre soleil, bas, plus ambré qu’ocre,

La liberté de m’emmurer ou de plonger dans la grande bleue,

Rêver d’ours blancs au Nunavut ou de khat à Zanzibar.

Il y a l’immense territoire des lettres odorantes de l’H au W,

Il y a la marche quotidienne à travers la campagne chatoyante

Où se mêlent hibiscus, absinthes, genêts,

Lentisques et ravenelles.

Il y a la lune silencieuse, suspendue dans la transparence du vide,

Il y a ce discret scarabée sur ce sable iodé,

Au bord du bel étang de Berre éclairé,

C’est ici et c’est maintenant entre chien et loup.

Janvier 2017

S’ils savaient !

Ils s’arrogent le droit

De te toiser

Du haut de leur profonde laideur.

Habillent les règles

Pour t’intimider, te cerner

Proie trop discrète,

Trop généreuse.

Par ta voix,

Magnanime et inflexible

Comme le Cyprès de Hafiz,

Tu les as faits tes égaux,

Alors qu’ils perdent haleine

Dans une course vaine

Ignorant leur mère

Falsifiant, troquant leur être contre l’avoir.

Tu les as hissés sur le mât de l’indulgence

Qu’ils ne jurent, là, devant toi

Que par toi,

Surtout ne te retourne pas,

Ils te saigneraient.

Dans des cloaques assurément

Ils se nourrissent de mots malsains,

Ils avancent à reculons

La Géhenne dans les yeux

Le sourire doublement fangeux

Aux lèvres pendant

Et le fauchard dans le dos.

Les hypocrites

Les ignorants.

Tu leur indiques le ciel, universel,

Ils plongent les coquins dans leur vil nombril.

S’ils savaient !

Istres, Espace F., le 03 juin 2009