Archives mensuelles : mai 2018

Trier, ranger, jeter…

Je suis rentré au Bled, voilà maintenant une quinzaine de jours, alors que pointait Ramadan. J’y suis venu pour diverses raisons. Rentré provisoirement, cela va sans dire. Pour satisfaire à l’une de celles-ci, il me fallait libérer de l’espace dans ma maison. Faire le tri. C’est-à-dire faire des choix. Et ceux-ci sont parfois douloureux. Il en va ainsi des livres, des journaux…  Il est parfois difficile de décider « ça je garde », « ça non ». Car il se crée une sorte de lien entre l’objet et soi, ici des livres, des journaux… ils nous racontent des bribes de vie de notre propre histoire, de celles du pays, de la famille…Trier, ranger, jeter…

Comme je l’ai écrit dans un précédent post, je me suis séparé de centaines de journaux d’une période très riche dont le spectre s’étale de 1987 (mon dernier retour  « définitif » de France) à 1994 (mon dernier départ « définitif » d’Algérie). Sept années relatées dans ces journaux. Sept années, autant qu’une guerre, sept années d’écrits divers, parfois intelligents, courageux, mais parfois nauséeux comme certains articles (téléguidés ou même assumés) comme ceux de l’Hebdo libéré (une tâche noire indélébile dans la presse algérienne, nous le nommions « L’Hebdo de la haine libérée »), comme ceux de Le Matin ou Le Soir… pour n’évoquer que les francophones. Je n’ai jamais acheté ou lu un journal arabophone. De ce côté je frise hélas l’illettrisme. 
J’ai offert les journaux au CPMDH (Centre de recherche pour la Préservation de la Mémoire et l’étude des Droits de l’Homme, à Oran). Ils y sont entre de bonnes mains.

Je me suis également séparé de nombreux journaux partisans. Vogue la galère, il y en avait pour tous les goûts, jusqu’aux plus détestables. De Saout Echaab au Mounqid en passant par El Haq, l’Avenir, Révolution Africaine,  et Libre Algérie ou FFS-Info. Avant de m’en séparer (j’en ai gardé toutefois quelques-uns, la difficulté du tri disais-je) j’ai lu, parfois des articles entiers et ce qui devait ne prendre que deux jours m’immobilisa plus d’une semaine. Je fus durant tout ce temps complètement submergé par l’effervescence et la tourmente de ces années-là. Nous vivions dans un ancien monde.

Il en fut pareil pour les livres. Heureusement, le nombre des livres cédés est moins important que celui que je garde. Parmi ces derniers je cite :

– Tupamaros Berlin-Ouest (Bommi Braumann)

– Histoire de la révolution russe, tomes 1 et 2 (Léon Trotsky)

– Les enfants du nouveau monde (Assia Djebar)

– La cuisinière et le mangeur d’hommes (André Glucksman)

– La libération intellectuelle en URSS et la coexistence (Andrei Sakharov)

– Mujères de Nicaragua (Paz Espejo)

– De la Chine (Maria-Antonietta Macciocchi)…

Les deux derniers auteurs (Paz et Macciocchi) furent de mes enseignants à l’université. Les précédents (Glucksman, Sakharov) ainsi que Alexandre Soljénitsyne avec les formidables pavés qui forment L’Archipel du Goulag, furent (avec plus tard nombre de journalistes de Libération) parmi ceux qui m’éveillèrent à la réalité du monde très clos, celui du socialisme réel en Union soviétique. Je tournai alors définitivement la page de l’URSS (ouverte quelques années plus tôt) et de son dogme. Ce monde concentrationnaire et cruel n’était pas du tout celui auquel j’aspirais. Il nous a été jeté au visage par ceux qu’on appelait les dissidents (Elena Bonner, et Andrei Sakharov, Vladimir Boukovski, Alexandre Ginsburg, Alexandre Zinoviev, Léonid Plioutch, Alexandre Soljénitsyne évidemment et beaucoup d’autres.) Lorsque certains d’entre eux passaient à Paris, nous allions les écouter. J’habitais dans le 17° et m’apprétais à rejoindre Vincennes (cf.annonce Libération)

 J’ai donc viré ma cuti, non sans faire la nécessaire distinction entre les cocos (les Stals quoi) et les trotskos (mes amis). Oui mais, disent les mauvaises langues, Soljénitsyne c’est un réactionnaire, un bourgeois pourri etc. Très bien. Soljénitsyne est un bourge, pourri, salaud, tout ce que l’on veut… mais ce qu’il raconte il l’a bien vécu, comme l’ont vécu dans leur chair des millions de citoyens de l’Archipel communiste. Rares sont ceux qui continuent de nier l’évidence aujourd’hui. Le Goulag, la Guepeou, La Kolyma, La Sibérie, sont des mots qui glacent l’Homme. La torture, érigée en système, fut un des instruments de contrôle de dizaines de millions de personnes, un instrument de mort, pire, de disparition.

J’ouvre maintenant l’Archipel (C. me l’avait offert pour mon 28° anniversaire, il y a plusieurs décennies de cela). Ses pages ont perdu de leur splendeur blanche, elles aussi marquées par le temps qui passe.

« Alors que dans tout Leningrad personne ne se lavait plus et que les visages étaient recouverts d’une couche noirâtre, les prisonniers de la Grande Maison prenaient une douche chaude tous les dix jours. Certes, on ne chauffait que les couloirs, pour les gardiens, et non les cellules, mais chaque cellule avait l’eau courante et des cabinets : où aurait-on encore pu trouver  l’équivalent à Leningrad ? Quant à la ration de pain, elle était de cent vingt-cinq grammes, comme à l’extérieur, et, de plus, on avait droit, une fois par jour à un bouillon de viande de chevaux abattus ! et à une bouillie liquide !

Voilà une vie de chien enviée par le chat ! et que faites-vous du cachot ? et de la peine suprême ? Non, cela n’explique pas l’amour.

Cela ne l’explique pas…

Asseyez-vous, fermez les yeux, passez-les toutes en revue. Combien de cellules avez-vous « fait » durant votre peine ? vous avez même du mal à les compter, et dans chacune d’elles, il y avait des hommes, des hommes… dans l’une, ils étaient deux ; dans telle autre, cinquante. Dans les unes vous n’avez fait qu’entrer et sortir, en d’autres vous avez séjourné tout un long été.

Mais, entre toutes, vous mettez toujours à part votre première cellule, là où vous avez rencontré vos semblables, voués au même sort que vous. Et il n’est rien – si ce n’est, peut-être, votre premier amour – que vous vous rappellerez, toute votre vie durant, avec autant d’émotion. Et ces hommes qui partagèrent avec vous le sol et l’air de ce cube de pierre, en ces jours où vous étiez entrain de revoir votre vie de fond en comble, vous vous souviendrez d’eux, un jour encore, comme des membres de votre famille.

D’ailleurs, en ces jours-là, eux et eux seuls, étaient votre famille.

Ce que vous avez vécu dans votre première cellule d’instruction n’a son équivalent ni dans votre vie d’AVANT ni dans votre vie d’APRES. Peu importe que les prisons aient existé avant vous pendant des millénaires et qu’elles existent encore, tant d’années après vous (on aimerait se dire : un peu moins…), il est une cellule unique et incomparable, celle où vous avez vécu votre instruction.

Peut-être était-elle atroce pour un être humain. Taule infestée de poux et de punaises, sans fenêtre ni aération, sans châlits, avec un sol malpropre, la sorte de boite qui s’appelle KPZ, attenant à un soviet rural, à un poste de milice, à une petite gare ou installée dans un port (KPZ /DPZ : « cellules (maisons) de détention préventive ». Non pas l’endroit où l’on purge sa peine, mais celui où l’on est enfermé durant l’instruction.)

(Les KPZ et les DPZ, ce sont elles qui sont le plus répandues sur la face de notre terre, c’est là que se trouve la masse.) « cellule individuelle » de la prison d’Arkhanguelsk aux vitres enduites de minium pour que la lumière mutilée du Bon Dieu n’y entre que pourpre, et que brûle éternellement au plafond une ampoule de quinze watts ; ou bien « cellule individuelle » à Tchoïbalsan où vous êtes restés pendant des mois à quatorze sur six mètres carrés, serrés les uns contre les autres, dépliant une jambe pour replier l’autre tous ensemble au commandement. Ou bien encore l’une des cellules « psychiatriques » de la prison de Léfortovo, comme la 111 : peinte en noir avec, là aussi, une ampoule de vingt-cinq watts brûlant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et, pour le reste, conforme à n’importe quelle autre cellule de Léfortovo : sol asphalté, manette du chauffage dans le couloir, à la disposition du gardien, et, surtout, grondement déchirant qui se prolonge durant des heures (il provenait de la soufflerie de l’Institut central d’aérodynamique et d’hydrodynamique qui se trouve à côté ; mais on n’arrive pas à croire que ce ne soit pas fait exprès), grondement telle qu’une gamelle et un quart glissent de la table sous l’effet des vibrations, qu’il est inutile d’essayer de parler, mais que l’on peut chanter à tue-tête sans que le gardien entende ; et quand ce grondement s’arrête, une béatitude vous envahit, supérieure à la liberté.

Cependant, ce n’est bien sûr pas ce sol dégoûtant ni ces murs sombres, ni l’odeur de la tinette que vous avez pris en affection, mais ces hommes avec qui vous vous retourniez au même commandement ; quelque chose qui battait  entre vos âmes ; leurs paroles parfois étonnantes et les pensées fluides et si libres qui naquirent en vous, justement là, et auxquelles récemment encore vous n’auriez pu vous hisser, vous élever.

Ce qu’il vous en a coûté de forcer l’entrée de cette première cellule ! On vous tenait enfermé dans une fosse, dans un box ou dans une cave. Aucune parole humaine, aucun regard humain, on ne faisait que vous arracher à coups de bec – de bec de fer – des morceaux de votre cerveau et de votre cœur ; vous criiez, vous gémissiez, ils riaient.

Pendant une semaine ou un mois, vous avez été complètement isolé au milieu d’ennemis et déjà la raison commençait à vous abandonner, déjà vous renonciez à la vie, déjà vous vous laissiez tomber du radiateur de telle sorte que votre tête allât s’écraser contre le cône de fonte du tuyau d’écoulement (Alexandre D.) : mais, soudain, voilà que vous êtes vivant, voilà qu’on vous conduit jusqu’à vos amis. La raison vous est revenue.

C’est cela, la première cellule !

Vous l’attendiez, cette cellule, vous en rêviez presque comme on rêve de sa libération, tandis qu’on vous sortait d’une fente de souris pour vous jeter dans un trou de rat, de Léfortovo pour vous envoyer dans une de ces prisons diaboliques et légendaires comme la Soukhanovka. »

J’ai relu d’autres pages toutes aussi noires de cette réalité soviétique et je pense à ce pays où je me trouve, le mien, qui n’a pas encore regardé dans les yeux et sans fard son passé, toutes ces décennies d’après indépendance pour en faire émerger non les mémoires (elles foisonnent et se télescopent), mais l’histoire.

Je suis rentré au Bled alors que pointait Ramadan. Les journées ne se bousculent pas et on s’ennuie. On attend impatiemment que la nuit tombe et que la vie se pointe pour quelques heures. Nous avons à ce jour vaincu dix-huit jours et vécu dix-huit nuits. Je continue tant bien que mal de trier, ranger, hésiter, jeter, garder, choisir.

Il est six heures du matin, je vais aller me coucher.

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Un manifeste contre les musulmans

Lorsque le 25 avril le journaliste de Radio Galère de Marseille (qui me recevait pour parler de mon dernier roman « Le Choc des Ombres » (1) sur la haine en France), me demanda mon opinion sur « ce manifeste de Philippe Val » (leparisien.fr – 21 avril) (2), je lui répondis que ce papier agitait les peurs pour exclure une partie de la communauté ». Mais ma réponse, trop courte, ne reflétait pas toute ma pensée. Je me suis dit qu’il me fallait prendre le temps et écrire ma réponse au plus près de ce que je ressens, je pense.

Un manifeste contre les musulmans

Le  » Manifeste ‘contre le nouvel antisémitisme’  » de Philippe Val et consorts est une proclamation contre les musulmans. Je suis outré, révolté contre les criminels, notamment ceux qui tuent au nom de l’Islam, ma religion. Dans la France du XXI° siècle, des femmes et des hommes sont tués parce que juifs. Cela est insupportable. Les actes criminels doivent être clairement dénoncés et leurs auteurs condamnés à hauteur de leur abomination. Quelles que soient les croyances et l’origine ethnique des criminels, quelles que soient celles des victimes. Les moins jeunes se souviennent qu’il n’y a pas si longtemps en France on tirait sur « des Arabes » (lire Algériens) comme sur des lapins de garenne. Des assassinats par centaines parce que « Arabes » (« Arabicides », Fausto Giudice). C’était en France, et c’était il n’y a pas si longtemps.

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Qu’il y ait des réactions fortes aujourd’hui à la suite des derniers drames est un signe positif. C’est ainsi qu’à la suite de plusieurs meurtres de citoyens juifs, un « manifeste, rédigé par Philippe Val et réunissant plus de 250 signataires est rédigé » et publié. (leparisien.fr) (2) Dans ce type de circonstances, toute réaction citoyenne forte est louable à la condition toutefois que tout ou partie d’une composante de la communauté nationale ne soit pas mise au ban de cette dernière par cette réaction, au prétexte que les criminels sont membres de la dite composante. La mise au ban, c’est justement ce à quoi s’emploie, insidieusement, ce « Manifeste contre le nouvel antisémitisme ». Un mot sur ce mot : le terme « antisémitisme » a été dévoyé. Le glissement sémantique qu’il a subi en France nous conduit aujourd’hui à ne considérer sous ce vocable que « l’hostilité à la race juive » (dixit le lexique du CNRTL), exit les autres sémites, alors même que le Littré définit ainsi ce terme : « nom de peuples asiatiques ou africains… Les sémites comprennent les peuples qui parlèrent ou qui parlent babylonien, chaldéen, phénicien, hébreu, samaritain, syriaque, arabe et éthiopien » (Littré 2003, tome 6, page 5827).

Je suis citoyen musulman. Et c’est comme tel, comme musulman que je suis, encore une fois, stigmatisé. Parce que musulmans, des millions de citoyens français sont mis à l’index par des groupes aux relents insupportables, voire répugnants. Cette fois-ci ce sont ces « Quinze intellectuels » très influents dans la sphère politico-médiatique qui chargent à travers un « manifeste contre le nouvel antisémitisme. » Exploitant cette affligeante réalité, le rédacteur, Philippe Val, et ses associés veulent, comme d’autres avant eux, nous marginaliser, faire de nous des allogènes définitifs. Ils usent d’un alibi éculé et rance, l’incompatibilité de l’Islam avec le socle judéo-chrétien de la France. « L’histoire française est profondément liée à la pensée juive » écrivent-il, et par déduction ils suggèrent que ce n’est pas le cas pour la pensée musulmane, que la France s’est faite hors de la « pensée musulmane », un discours véhiculé par  l’extrême droite ancienne et nouvelle. Ce déni insinué est intellectuellement malhonnête.

Ce procédé malsain me contraint d’une part à me demander si le dessein réel de ce Manifeste n’est pas d’exclure les musulmans de la communauté nationale et d’autre part à m’interroger sur les véritables commanditaires de cette charge.

Philippe Val compare des actes criminels isolés à « une épuration ethnique » dont la responsabilité, sournoisement suggérée incombe aux musulmans, à l’Islam. L’équation est abjecte, même si elle est machiavéliquement atténuée, « épuration ethnique à bas bruit » est-il précisé.

Les mots qui suivent, en réaction, reflètent avant tout l’expression de mon profond ressenti, j’allais ajouter « spontané » et ma profonde colère. Certains éléments que j’avance ont été par ailleurs énoncés, mais il m’a paru utile de rappeler leur évidence.

L’engagement qui unit le noyau dur des auteurs du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme » (Philippe Val, Alain Finkielkraut, Bernard Henri Lévy, Pascal Bruckner, Brice Couturier, Georges Bensoussan, Richard Prasquier (ancien président du CRIF), Élisabeth de Fontenay, Manuel Valls… ) l’engagement de ce noyau dur, ces « petites forces », sinon la plupart d’entre les signataires, repose sur une « logique d’auto-renforcement », un triptyque composé des positionnements suivants : 

– Leur islamophobie. Le terme est impropre car il s’agit moins de peur (phobie- φόβος) que de rejet (apotheomai- ἀπωθέω) de l’Islam et des musulmans, ces nouveaux « ennemis de l’intérieur ». Interrogeons la stigmatisation continue du fichu « voile islamique » (pas celui des grands-mères chrétiennes, pas celui des mères juives), du burkini… nous comprendrons mieux cette diatribe contre une partie des citoyens français, la plus vulnérable, les musulmans.

– Leur génuflexion, poings et cœurs serrés au pied d’une laïcité dévoyée, belliqueuse, prosélyte, exclusive, radicale et antireligieuse (antimusulmane en l’occurrence). Ils remettraient en cause la loi de 1905.

– Leur attachement viscéral, leur amour éperdu, et même plus pour d’aucuns,  « éternel » à l’État d’Israël où coule « le lait et le miel » et dont ils ne pipent mot dans leur texte (si, un seul « antisionisme », j’y reviens)

Demander que « les autorités théologiques » musulmanes marquent d’obsolescence des versets du Coran, recourir à ce « blasphème » (Tareq Oubrou), demander à « l’islam (i minuscule) de France qu’il ouvre la voie », c’est ignorer ou feindre d’ignorer que celles-ci n’existent pas en Islam. Nous n’avons pas de Pape. Comme les juifs, les musulmans n’ont pas de clergé. Leur courage (ou lâcheté) leur dictera-t-il de prier « les autorités théologiques » juives d’expurger du Talmud les passages sur les discriminations et les grandes violences, très nombreux versets, contre les non-juifs, les Goyim ? (merci monsieur Jacob Cohen)

Ils auraient pu évoquer l’Ijtihad (effort d’interprétation des textes), faire appel à des lumières, celles et ceux que les médias ignorent ! Ce serait une excellente idée que de leur donner la parole, cela nous changerait (n’est-ce pas) du très controversé Chelghoumi (longtemps suspecté par les services de renseignement français), illustre ignorant, trimballé comme un bouffon médiatique, risée de la majorité des musulmans français, que le maelstrom politico-médiatique français a proclamé imam, « imam des lumières » ! (Annette Lévy-Willard), au lieu et place des musulmans de son quartier. S’il faut bien lui reconnaître une troupe de fidèles à cet individu, elle serait composée pour l’essentiel de nombreux journalistes « positionnés ». Écoutons son génie : « Quand on a vu sur sa première photo de classe que ma fille n’était entourée que de blacks et de Beurs, on s’est dit avec ma femme qu’elle ne devait pas rester dans cette école », école de la République. Sages et fraternelles paroles de l’imam des lumières médiatiques (in Le Figaro.fr).

Mais revenons aux lumières, les vraies, Val et compagnie auraient pu demander dans leur texte à ce que les autorités concernées leur fassent appel. Ils auraient pu. Mais les travaux des penseurs de l’Islam aboutiraient-ils ? La question de la prise de risque peut se poser. Ces « nouveaux penseurs de l’Islam » ne prendraient-ils pas un risque à dire haut et fort leurs Ijtihad ? On leur fait parfois appel, mais le peu de fois qu’ils apparaissent ils se contentent, obligés par le dispositif médiatique, de redondances futiles. Ils savent qu’ils prendraient un risque à s’épancher. Claude Askolovitch exprime magnifiquement et avec retenue ce risque : « J’ai aussi, dans ma vie, expérimenté ce qu’il en coûte de récuser la vulgate identitaire en France, et j’ai dilapidé quelques positions sociales, à fustiger l’islamophobie. » Réservé, mais très clair. Si vous y touchez il vous en coûtera ! (À lire absolument : Le « Manifeste contre le nouvel antisémitisme » une logique dévastatrice ». In Slate.fr, 23 avril 2018)

Pour les messieurs et les mesdames du Manifeste, l’appartenance à la sphère musulmane est naturellement sujette à stigmatisation dans la mesure où cette appartenance est source d’antisémitisme. Ils ne voient pas en moi le citoyen égal à tout autre citoyen, mais le musulman qui est, de fait, parce que musulman, par définition, agrégé à une croyance faite d’un bloc unique, et est par conséquent dénué de capacité de choisir et de critiquer, de nuancer. En suggérant que nous musulmans, pris individuellement, ne sommes que de simples maillons d’une chaîne, les auteurs du manifeste ignorent, par calcul ou réellement, l’histoire et les couleurs du spectre de l’Islam et des musulmans d’une part, et réduisent les capacités individuelles de chacun de nous à se situer sur ce spectre. Déterministes, ils nous dénient l’aptitude au libre-arbitre.

Leurs stigmatisations radicales participent aussi d’une certaine manière à la radicalisation. Ils alimentent la construction d’un dangereux mécanisme dont on n’ose penser l’aboutissement. Circonscrire la violence meurtrière à la seule source de la croyance en faisant fit de quantité de facteurs comme l’exclusion sociale, la discrimination économique, le racisme, la ghettoïsation dans des quartiers populaires (GE, ZAC, ZUP, REP…), la relégation, la trajectoire ou carrière individuelle… est pitoyable et dangereux. Si la sociologie ne règle pas tous les problèmes, elle donne aux Politiques et aux citoyens des clés pour les comprendre, les expliquer.

L’un des signataires, cet ami éternel d’Israël (« par ma femme – la quelle ? –, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël »), dit « avoir assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques… expliquer c’est déjà vouloir un peu excuser. » C’est triste de constater cette carence – venant d’un ancien premier ministre de la République  –, cette ignorance de l’objet des sciences sociales. En première année de licence on apprend que connaître les causes d’un phénomène sociétal, les comprendre, permet d’y apporter des solutions si besoin.

Cette mise à l’index d’une composante de la communauté nationale, cette islamophobie, doit être non seulement combattue, mais comme l’antisémitisme et le racisme, criminalisée (A. Lajnef)

Last but not least : Israël

Cette diatribe contre les musulmans, cette adhésion sans limites aux thèses de « l’État voyou » sont-elles nourries par des rancunes ou par des culpabilités personnelles, familiales, ou même nationales ? Car enfin l’objet des rédacteurs de ce manifeste n’est bien évidemment pas de combattre uniquement les extrémistes se réclamant de l’Islam, soyons sérieux, ou par un objectif inavouable ?

Ceux-là mêmes qui dénonceraient violemment toute référence à un « soi-disant lobby juif » (lorsqu’il est question de lobby israélien bien ancré chez une partie de l’élite) insistent dans ce texte sur « un vote musulman », mais je leur renvoie cette question « qu’est-ce que un vote musulman ? » (la « bassesse électorale » qu’ils évoquent n’est-elle pas un fantasme, le leur ?) Si tous les musulmans de France votaient comme un seul homme, cela se saurait, c’est tellement élémentaire.

Pour mieux appréhender ce « Manifeste de la honte » (Marwan Muhammad) il y a lieu, et c’est important, de s’arrêter devant quelques-uns des cairns indélébiles qui marquent la trajectoire de nombre de ses signataires. Qui sont-ils, d’où nous haranguent-ils, quelles positions occupent-ils ? La trajectoire, « la position dans le champ » médiatique, culturel et politique de ces hommes (et femmes) sont autant importantes que les seuls mots du Manifeste, ceux-ci ne se suffisant pas par eux seuls. Derrière les mots il y a tous les non-dits, il y a un parcours, une filiation, une position sur un échiquier et une association de connivences…

Le « Manifeste contre le nouvel antisémitisme en France » a été rédigé par Philippe Val donc. Soit. À ses côtés on trouve des journalistes influents (producteurs, membres de Conseils de surveillance…), très influents, des responsables politiques anciens et actuels, d’ex nouveaux philosophes décomplexés (« des philosophes de télévision » préciserait Monsieur Pierre Bourdieu qui avait entièrement dénudé, démasqué leurs dispositifs (leurs réseaux) dans toutes leurs ramifications déclarées ou non-dites, des hommes et des femmes de culture, des égarés, et nombre de chiens de garde et autres « prestidigitateurs ». D’autres enfin, en quête d’un ex-voto…

Ils ont tous en commun un attachement aveugle à l’État d’Israël :

  • Certains sont passés « du col Mao au Rotary ». Ils sont notoirement islamophobes. Islamophobe et botulien pour l’un d’eux qu’un célèbre avocat pénaliste qualifia de « vieille pompe à merde », une expression qu’il emprunta à René Magritte). Un autre est poursuivi  par le CCIF, la LDH, le MRAP et… le Ministère public pour incitation à la haine lors d’une émission d’Alain Finkielkraut (on tourne en rond, nous sommes dans une « circulation circulaire » chère à l’éminent sociologue)
  • Un autre anime une émission sur une chaîne publique depuis des décennies. Régulièrement, comme animé par une obsession, toujours la même, il met en joue les jeunes des quartiers populaires, immigrés ou Français, « noirs ou Arabes, avec une identité musulmane », accuse leurs parents, leur supposée croyance. Il constate assure-t-il leur impossible « assimilation » et ne supporte pas leur amour pour l’équipe de France que lui n’aime pas car « elle est black-black-black, ce qui fait ricaner toute l’Europe » (Haaretz/Israël).
  • Un autre est fils d’un antisémite déclaré. Un vrai, de ceux de la France des années 40, envahie, mais libérée – aussi – par des milliers de musulmans, africains, marocains, tunisiens, algériens, aujourd’hui enfouis auprès de leurs frères d’armes de toutes confessions, sous une simple épitaphe effacée par le temps, par les mémoires rancunières et par les identités malheureuses. Un bon fils de nazi, disais-je, qui admet que parfois son père « vocifère dans ma gorge, prend possession de mes cordes vocales.» Devrions-nous alors parler de filiation idéologique du père, réorientée ? devrions-nous relier, avec ou sans son consentement, l’idéologie du rejeton à celle de son père comme sont liés les fils de trame aux fils de chaîne ? Non évidemment. Mais que cherchent les auteurs de ce texte à vouloir faire des musulmans un bloc monolithe ?
  • On trouve également parmi les signataires un triste humoriste qui fait de l’Islam et des musulmans le grand combat de sa vie. Pour avoir abusivement limogé un journaliste au motif « d’antisémitisme » ce que récusa la justice, il fut, avec son journal, condamné. Cet individu (« en Israël je me sens chez moi… on est de la même famille, on s’aime ») a noué de vieilles amitiés duettistes qui font jusqu’en 1996 dans la « pédophilie type obnubilée par les enfants », l’un et l’autre à Charlie-hebdo. Doit-on juger l’un à l’aune du comportement du second, et vice-versa ? Certainement pas. Cela n’a rien avoir avec l’antisionisme, ni l’antisémitisme, ni « la racaille », je le sais, mais cela fait du bien de le rappeler.
  • Un autre, président de la Confédération des Juifs de France et des Amis d’Israël (CJFAI), a rencontré le 8 février 2017 dans un restaurant près de l’Assemblée nationale des membres du FN  et s’est félicité de cette « rupture avec un tabou… le FN n’est plus ce qu’il était »
  •  Un autre, chanteur rancunier et aigri, déclare en recevant « un diplôme » au nom de toutes les unités de l’armée sioniste : « je suis très ému. Depuis le début de ma vie je me suis donné corps et âme à l’Etat d’Israël et en premier lieu à Tsahal ».
  • Un autre, né à Oran, fait le panégyrique blanc sur blanc de cet État d’Israël sans honte, et dans lequel il exprime son dédain pour la lutte de libération des Algériens (in The Times of Israël, en mars dernier).
  • Etc. Etc.
  • D’autres enfin nous déçoivent beaucoup. Mais que fichtre viennent-ils faire dans cette indignité ?

Combien sont-ils dans cette liste à soutenir sans aucun état d’âme Israël, « le dernier État colonial » (Jacques Derrida), un État « bien installé sur l’axe du bien » ? Pourquoi ce Manifeste de Val n’en dit pas un seul mot ? Parce que semblent-ils dire parler du « conflit israélo-palestinien nourrit l’antisémitisme ». Ils répètent que l’antisémitisme se nourrit du conflit israélo-palestinien, mais signent un texte qui ne dit rien de la colonisation, des tueries, à peine y est-il ainsi évoqué « l’antisémitisme d’une partie de la gauche radicale qui a trouvé dans l’antisionisme l’alibi pour transformer les bourreaux en victimes » sans autre développement.  Pourtant il nous faut parler de ce « conflit », dénoncer cette colonisation israélienne.

Leur objectif, en sus de la stigmatisation des musulmans, est de substituer « le nouvel antisémitisme » à l’antisémitisme de souche, initial et pérenne, celui qui pourtant se revigore partout en Europe. Val, et cela dénude ses choix et positions, ne dit pas un mot dans son texte de la politique criminelle menée par l’État d’Israël («État-porte-parole des juifs du monde entier ») contre le Palestiniens depuis plus de 50 ans (huit mille morts, dix mille, qui sait, depuis 2000, combien depuis 1967 ?)

Cela n’a pas « rien à voir » avec la France car la politique de l’État d’Israël, véritable « régime d’apartheid qui opprime et domine le peuple palestinien dans son ensemble » (rapport de l’ONU, mars 2017), cette politique israélienne (combinée aux éditoriaux de nombreux médias français en général plutôt « tolérants » à son égard) alimente l’antisémitisme en France plus que tout. C’est une évidence. Les colonisations, les dépossessions, et les crimes de l’armée israélienne (il faut, selon ces médias, dire « Tsahal » comme l’état-major hébreu), le CRIF les justifie, au nom de tous les juifs français et leurs institutions. Parions qu’il n’en souffle mot lors des dîners annuels où se bouscule toute la nomenclature parisienne.

Alors oui je ne peux qu’être antisioniste et combattre parallèlement l’antisémitisme et tous les racismes, n’en déplaise à Elisabeth Badinter – une autre signataire (« l’antisionisme, assure-t-elle, est une façon de libérer la parole antisémite »). Mon opinion antisioniste, exprimée en France, relève de la hardiesse madame, une gageure.

Alors, comment ne pas, forcément, convoquer la question initiale, m’interroger sur les véritables commanditaires de cette charge, comment ne pas poser cette interrogation ? : et si  Udo Ulfkotte disait vrai ? (lire son essai Der Krieg im Dunkeln, La guerre de l’Ombre ») et si, comme ils auraient procédé notamment durant les révoltes des banlieues de 2005, certains services israéliens de la Metsada sollicitaient de nouveau « leurs amis français », leurs soutiens indéfectibles parmi les hommes politiques, médiatiques, intellectuels influents, très influents, les sayanim … pour, à partir d’une cruelle et dramatique réalité, tenter de salir et faire haïr par le reste des concitoyens, tous les musulmans de France et tous les français musulmans, cette nouvelle « anti-France » quoi. Une interrogation que j’ai longuement développée dans mon dernier roman « LE CHOC DES OMBRES ». (1) Mais aujourd’hui, hic et nunc, il s’agit de notre réalité, pas de roman.

Ahmed HANIFI,

Auteur.

Marseille, 1° mai 2018

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(1) Un exemplaire a été envoyé le 10 janvier dernier à Médiapart, Rubrique Culture, 8 passage Brulon, 75012 Paris…

(2): Le « Manifeste de Philippe Val est à lire ici.

Les écrivains algériens dans la décennie noire

Le livre «Algérie, les écrivains dans la décennie noire» de Tristan Leperlier (CNRS Éditions, Paris septembre 2018, 344 pages), est « la version remaniée » d’une thèse de doctorat de l’auteur, soutenue il y a trois ans à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et intitulée «Une guerre des langues ? Le champ littéraire algérien pendant la décennie noire (1988 – 2003). Crise politique et consécrations transnationales».


Le livre se positionne «entre études littéraires et sociologie des intellectuels» et s’adresse aussi bien «aux lecteurs curieux de découvrir une littérature (algérienne)… qu’aux lecteurs qu’intéressent les enjeux de l’engagement politique en période de censure religieuse, de migrations intellectuelles et d’identités postcoloniales». Il s’articule autour de quatre grandes interrogations (chapitres). La première interroge le statut de l’écrivain, la deuxième ce que fut la guerre civile, la troisième l’engagement de l’écrivain et la quatrième les écrivains dans la relation France-Algérie. Comme l’indique l’intitulé de la thèse, la recherche couvre la période allant de 1988, année de la révolte des jeunes Algériens, à 2003, année de Djazaïr, une année de l’Algérie en France, «couronnant une période où les relations littéraires entre la France et l’Algérie ont été intenses, et marquant le retour de l’État algérien en matières culturelles».


Les choix méthodologiques : l’analyse qui s’inscrit «à la croisée des études littéraires et des sciences sociales» est à la fois qualitative et quantitative, elle introduit des concepts empruntés notamment à Max Weber, Émile Durkheim, Pierre Bourdieu, Erving Goffman. Tristan Leperlier procède à des entretiens semi-directifs en français ou en arabe, avec 80 individus dont 65 écrivains, 15 éditeurs, 2 journalistes… La base de données des œuvres littéraires algériennes en contient «plus de deux mille» (ou : «environ deux mille») et 174 écrivains algériens en activité entre 1988 et 2003». Tout le long du livre, argumentaires et justifications s’enchaînent sous différents angles et contenus et se complètent pour aboutir à une construction cohérente de la question centrale du rôle des écrivains algériens durant la décennie noire et les conséquences que les bouleversements politiques et sociaux ont eues sur eux. Autrement dit, comment les écrivains algériens ont été partie prise et partie prenante ? Le contenu de la recherche est très dense et très circonstancié. Aussi, nous proposons cinq rubriques ramassées qui, dans leur ensemble, espérons-le, en reflètent l’essentiel : 1- la position de l’intellectuel, 2- les différents groupes, 3- francophones, arabophones, 4- engagement et témoignage, 5- une littérature spécifique et des logiques économiques.

1- La position de l’intellectuel


Tristan Leperlier introduit la question de l’autonomie de l’écrivain et la tradition française quant à l’engagement de ce dernier au nom des valeurs universelles de tolérance, de vérité… Deux types d’écrivains sont opposés, l’ «intellectuel critique» et le «conseiller du prince». L’auteur n’évoque pas la question de l’intellectuel organique d’Antonio Gramsci, ni la critique de Pierre Bourdieu. En Algérie, l’écrivain dispose d’un statut éminent, il est le «parangon de l’intellectuel» jusqu’aux années 90, qui seront aussi les années qui mettront un terme à cette position de prestige, au bénéfice des journalistes. Deux facteurs sont la cause du déclin de l’écrivain phare : la crise politique et son internationalisation, et la guerre civile qui suivit. Mais aussi son soutien «bon gré mal gré» à un régime «semi-autoritaire». L’auteur nuance, «l’engagement des écrivains algériens paraît bien plus complexe que le discours d’héroïsation à leur propos ne donne à penser». Alors qu’ils étaient «à l’avant-garde de la contestation du pouvoir politique», au début de la décennie Chadli Bendjedid, ils se mirent en retrait pendant les émeutes d’octobre 88. Kateb Yacine allant jusqu’à appeler à serrer les rangs autour du FLN (Front de libération nationale) post-octobre, écrivant dans une tribune «Le FLN a été trahi» (Le Monde daté du 26 octobre 1988), alors que les journalistes «étaient en première ligne… Dès mai 88, un mouvement des journalistes algériens s’était d’abord structuré autour de revendications salariales». Les journalistes «en tant que journalistes» remplacent les écrivains à l’avant-poste de la contestation». Le silence des écrivains prendra fin au lendemain de «l’arrêt du processus électoral», lorsque la montée en puissance des islamistes mettait en péril l’autonomie du champ littéraire.


À la suite des émeutes d’octobre 88, l’Algérie se démocratise, s’ouvre au multipartisme. Une nouvelle Constitution, garantissant les droits fondamentaux des citoyens, liberté d’expression, d’opinion, d’association, liberté religieuse, liberté de la presse, est adoptée. Le gouvernement de Mouloud Hamrouche libéralise la presse (loi 90-07 du 3 avril 1990). Dans l’effervescence que vit le pays, les journalistes occupent le devant de la scène et le champ intellectuel. Ils sont «l’avant-garde intellectuelle de la contestation politique», alors que les écrivains se mettent en retrait. L’auteur liste les forces politiques en présence alors, citant le FLN et le PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste), puis les islamistes, les berbéristes et les libéraux ou réformateurs, en accusant ces derniers d’être «stratégiquement alliés aux fondamentalistes», faisant l’impasse sur les autres organisations dont plusieurs sont trotskystes et le FFS (Front des forces socialistes), le plus ancien parti d’opposition au régime depuis l’indépendance. L’auteur évoquera plus loin ce parti sans le qualifier ou bien l’indexer comme «participant à la Quatrième internationale».

«Formés généralement dans le marxisme, les écrivains, en tant qu’élite, ont connu une forte promotion dans les années 70 et ne sont donc pas foncièrement hostiles au régime FLN» face auquel ils adoptent «une attitude de soutien-critique» jusqu’au changement intervenu à la tête du Pouvoir avec l’arrivée de Chadli Bendjedid. Avec les émeutes d’octobre 88, «la représentation de l’intellectuel, et de l’écrivain en particulier, est rompue». Il y a entre ces intellectuels et les jeunes émeutiers «un décalage social». 25% (de la base de données de l’auteur) «des écrivains actifs pendant les années 90 ont tenu un poste de responsabilité (haute administration, direction de recherche…)».

Le « retour de la gauche» aux commandes du pays, à la fin des années 80 début 90, invite les intellectuels les plus indépendants par rapport au FLN à «élaborer de nouvelles politiques culturelles publiques» favorisant l’autonomie. On assiste à une forte libéralisation du secteur culturel. La SNED (Société nationale d’édition et de diffusion) où Rachid Boudjedra officiait depuis sa nomination en 1981 comme «censeur en chef assumé» (El Watan, 10 octobre 2017) ne dispose plus du monopole.

 
Le réengagement politique des écrivains ne s’effectuera qu’à la fin de la décennie avec la «visibilisation publique croissante des islamistes» et leur menace. De nombreux écrivains intégreront au début de l’année 89, le «Rassemblement des artistes, intellectuels et scientifiques (RAIS)» qui publie le 29 février une «Déclaration pour la tolérance». Le texte, signé par près de 8.000 personnes, sera déposé à l’Assemblé nationale le 8 mars de la même année. À la fin des années 80, «comme dans les années 70 quand ils acceptaient de répondre aux injonctions de la célébration nationaliste et socialiste, les écrivains reprennent à leur compte les enjeux du champ politique». Leurs sollicitations ont été entendues. «En 1992, ils se sont rangés majoritairement du côté d’un «État» qui n’hésitait pas à mettre en cause le résultat des élections législatives, puis à mettre en place des mesures répressives à l’égard du mouvement islamiste». Les écrivains sont «plus engagés pour les libertés individuelles que pour la démocratisation susceptible de mettre en danger ces libertés». Une dizaine d’années plus tard, «lors du Printemps noir en Kabylie en 2001 -répression massive provoquant des centaines de morts-, les écrivains se sont, comme en 1988, peu mobilisés».



2- Les différents groupes


L’auteur distingue trois positions politiques chez les écrivains : il y a les anti-islamistes radicaux (les éradicateurs), les anti-islamistes dialoguistes et les pro-islamistes. À partir des entretiens et des bases de données, les trois-quarts des anti-islamistes sont radicaux. «Les positions pro-islamistes et dialoguistes paraissent marginales». Tristan Leperlier questionne dans un premier temps la relation entre les prises de positions politiques des écrivains et leur position dans le champ littéraire, et dans un second temps la relation entre ces prises de positions politiques à l’aune de leur proximité ou non avec le Pouvoir, l’auteur écrit souvent «État» sans éclaircissement des deux notions.

Il se dégage de son analyse «trois nuages» : individus, modalités, modalités politiques, à partir desquels sont dégagés trois idéaux-types : les Professionnels (souvent héritiers d’un capital littéraire, ils vivent de leurs écrits), les Professeurs (fonctionnaires, anciens étudiants en Lettres), Les reconvertis (ceux-là, souvent journalistes, venus tard à la publication).


Dans la rubrique «Deux rapports à‘l’État’», l’auteur distingue deux groupes d’écrivains s’inscrivant contre les islamistes : les dialoguistes et les radicaux. Les écrivains du premier ont dénoncé le coup d’État et soutenu la Plateforme de Rome en 1995 signée «entre trois partis frustrés de leur victoire en 1992». Dans les faits, la Plateforme de Rome n’a pas été ratifiée par trois, mais sept partis politiques et la Ligue des droits de l’homme de maître Ali Yahia Abdenour. Les écrivains dialoguistes sont à la marge du champ littéraire, écrit l’auteur, il n’y en a que deux de grande carrure, et ils sont «les moins dotés en toutes sortes de capitaux et ont peu accès aux postes politiques ».


Les écrivains du second groupe ont soutenu l’arrêt du «processus électoral» et «la politique anti-islamiste radicale de Rédha Malek, figure politique importante de la gauche». D’ailleurs, «la tendance de leur participation au pouvoir politique s’est renforcée». Les anti-islamistes radicaux, s’ils reconnaissent qu’au sein du pouvoir il y a une «diversité», ils la «nient» s’agissant du mouvement islamiste, «c’est un leurre», répète par exemple Rachid Boudjedra «communiste très intégré aux cercles du Pouvoir». Ce «Voltaire d’Alger» qui se veut «orientateur des consciences dans son pays et ambassadeur de l’image de l’Algérie dans le monde». Il s’agit en définitive de deux rapports au Pouvoir politique. Nombre d’écrivains de la génération de Novembre «doivent à ‘ »l’État » algérien leur très forte promotion sociale… Si la plupart des jeunes écrivains de langue française ont été favorables à l’arrêt du processus électoral de décembre 1991», contrairement à nombre de leurs aînés, ils «semblent être les premiers à s’éloigner de l’approche anti-islamiste radicale pour mettre en cause et  »l’État » et les islamistes».


L’auteur met en avant la concurrence entre écrivains et journalistes dans le champ intellectuel. «Par les écrivains dialoguistes, le champ littéraire rentre en friction avec d’autres champs intellectuels». L’opposition entre intellectuels anti-islamistes radicaux (des écrivains) et dialoguistes (des journalistes et universitaires structurés autour de la maison française d’édition La Découverte comme Mohammed Harbi, Benjamin Stora, Tassadit Yacine José Garçon, Salima Ghezali, Ghania Mouffok…), on la retrouve entre intellectuels critiques «universalistes» et «spécifiques». Les premiers interviennent dans le débat «au nom des valeurs», les seconds «au nom d’une spécification».


3- Francophones, arabophones


L’auteur réfute cette image qu’ont certaines élites françaises reconduisant une perception coloniale, selon laquelle face à l’Algérien «évolué et moderne» et donc francisé et dont l’horizon est tourné vers la France, est posté «l’archaïsme, voire la barbarie du reste de la population». Selon cette «doxa française, la guerre civile algérienne aurait été avant tout une guerre culturelle opposant arabophones et francophones» Mais il précise que les écrivains algériens exilés en France ont contribué à la diffusion de cette représentation. Boualem Sansal (qui n’est pas exilé à l’étranger) «parle de guerre linguistique». Chez les arabophones, la langue arabe est mise en avant contre le français «langue de la colonisation et de l’aliénation». Brahim Saci, philosophe laïc, «mais» -conjonctionne l’auteur- opposé à l’arrêt du processus électoral, se permet de généraliser : «C’était aussi une guerre des langues», affirme-t-il. Tristan Leperlier indique que dans le champ littéraire «fortement bipolarisé, la guerre civile est devenue une guerre des langues», ce qu’elle n’était pas avant.


Selon l’auteur, en partie, le conflit entre les pro et les anti-islamistes se résume à l’opposition entre fondamentalistes et gauche marxiste qui avait structuré la vie politique depuis l’indépendance. Ce raccourci (il n’y en a pas beaucoup heureusement) ne nous semble pas à la hauteur des prétentions du chercheur. Quelques pages plus loin, et pour illustrer son propos, Tristan Leperlier rapporte les mots d’un auteur de la gauche marxiste qui, -près d’un an après octobre 88-, dans le numéro du 7 juillet 1989 de Révolution Africaine (FLN), faisait sur cinq pages le panégyrique de Nicolae Ceausescu. Cette «opposition entre les pro et les anti-islamistes a été en partie absorbée par le clivage linguistique francophone/arabophone».


4- Engagement et témoignage


La problématique de l’engagement a été «réactivée» par la guerre civile alors qu’elle s’était effacée durant la décennie 80 après qu’elle fût «centrale dans les années 70». L’auteur propose à partir de la sociologie d’Émile Durkheim (explication causale du réel) et de Max Weber (compréhensive et subjectiviste ou le point de vue de l’acteur) une typologie du geste d’engagement par le biais de la littérature. L’engagement d’attestation, l’engagement d’évocation et l’engagement d’interrogation.

L’engagement d’attestation est une «affirmation d’un propos politique». L’objectif de cette stratégie est de contrer les discours pro-islamistes «et surtout dialoguistes». L’engagement d’évocation «ne formule pas de propos politique explicite, n’affirme pas de valeurs». Cet engagement-là «entre en discussion» plus avec un imaginaire. L’engagement d’interrogation «est fondamentalement politique tout en cherchant l’autonomie de la littérature». Il est contradictoire avec l’ethos de témoin, il peut mettre en cause les valeurs  »attestées » par d’autres.


Mais ces engagements sont une chose et l’engagement esthétique en est une autre.


Si l’exil des écrivains algériens est important (le quart d’entre eux), l’accueil qui leur est fait n’en n’est pas moins très positif du fait de l’attente du public français. Il y a une «délocalisation exceptionnelle de la littérature algérienne en France». Les préoccupations nationales sont très présentes dans les livres de ces écrivains. La plupart d’entre eux «ont assumé un ethos de témoin» et nombreux sont leurs écrits qui sont présentés comme des témoignages alors qu’ils se situent entre fiction et histoire vécue. Lors de notre enquête, écrit Tristan Leperlier, «Malika Mokeddem est la plus souvent citée comme l’exemple typique de la  »littérature d’urgence » ou de  »témoignage », elle est devenue une sorte de bouc émissaire ». L’auteur émet l’hypothèse que c’est «son virulent engagement féministe anti-islamiste qui lui est reproché».


La reconnaissance de tous ces écrivains n’est pas acquise. «Cette notion de témoignage, écrit l’auteur, est souvent rattachée dans les années 90 à celle de l’urgence», une représentation très controversée. Pour étayer ses affirmations, l’auteur prend pour exemple le contenu d’ouvrages de Rachid Mimouni, Yasmina Khadra, Malika Boussouf… Il fallait constituer en France, où se développe un discours hostile aux anti-islamistes radicaux, un discours opposé politique et littéraire, même si, comme dans ‘ »La Malédiction » (Stock 1993) de Rachid Mimouni, «la qualité du texte n’a plus rien à voir avec celle des précédents du même auteur» (1). Ce roman «abandonne toute recherche littéraire au profit d’un roman à thèse politique».


Chez Yasmina Khadra, le chercheur note que «les cinq romans qu’il publie entre 1997 et 1999 proposent au lecteur une interprétation spécifique de la guerre civile : elle sert non un peuple opprimé que les islamistes représenteraient, mais les intérêts économiques de la classe dirigeante, appelée «mafia politico-financière». La crédibilité de ce «discours» est liée à l’auteur lui-même, à son identité «à la fois algérienne et musulmane et féminine» et qui est sans cesse rappelée dans le paratexte de ses romans de cette période. Yasmina Khadra révèlera sa véritable identité en 2001 dans son livre L’Écrivain (Julliard).


Avec le roman de Malika Boussouf ‘ »Vivre traquée » (Calmann Lévy, 1995) dédié à André Glucksman et à ses proches, «s’affirme le modèle du témoignage de journaliste». Il y a concurrence entre journalistes et écrivains, conséquence de leur «très grande proximité». L’auteur précise que la moitié des écrivains algériens de la période analysée ont exercé comme journalistes.

Ces écrits sont qualifiés d’intimes, de «témoignages». Dans ‘ »Peurs et mensonges » de Aïssa Khelladi (Amine Touati) qui «travaille à la Sécurité militaire avant de devenir journaliste politique… dans la presse de gauche francophone» (2) peut être qualifié d’autofiction, balançant entre journalisme et témoignage. «C’est un texte sobre et réfléchi : une écriture de l’urgence d’abord», écrit sa collègue Marie Virolle de la revue Algérie Littérature/Action. Une littérature de l’urgence, une «expression quasi oxymorique». Cette notion est critiquée, «une littérature à une dimension uniquement politique et conjoncturelle, et écrite dans la précipitation, c’est-à-dire insuffisamment élaborée (3). C’est en creux, le spectre d’une littérature de journalisme qui se dessine». Ce qu’approuve Leïla Sebbar. Quant à Maïssa Bey (l’auteur écrit Samia Benanteur), même si elle utilise l’éthique du modèle de témoignage (engagement féministe et anti-islamiste), elle prend ses distances avec cette littérature grâce à «son esthétique transparente». À son propos, l’auteur écrit :  »Maïssa Bey met en avant les raisons commerciales qui auraient conduit Le Seuil à refuser son manuscrit  »Au commencement était la mer », puisqu’on lui signifiait que son texte était  »trop poétique pour dire la réalité sanglante de l’Algérie d’aujourd’hui ». C’était le plus beau compliment qu’on pouvait me faire. Ce qui voulait dire que je n’avais pas écrit un  »témoignage », s’est réjouie l’écrivaine.



De nombreux autres exemples sont donnés sur ces questions : S. Ammar-Khodja, S. Bachi, A. Camus, M. Dib, A. Djebar, A. Djemaï, A. Mosteghanemi… que nous ne reprenons pas ici car leur développement alourdirait notre texte.


5- Une littérature spécifique et des logiques économiques



Durant les années 90, La France, en même temps qu’elle accueillait les écrivains algériens, «elles les ghettoïsait dans une étiquette nationale et les soumettait à des logiques économiques».

En France, comme les écrivains algériens francophones, leur littérature est aussi marquée. «Marquée comme toutes les littératures périphériques» et en même temps, elle est étiquetée, ce qui lui donne une visibilité marchande («francophone», «algérien»). Les écrivains sont «conscients des effets de ces étiquetages et en jouent». D’un côté, ils apprécient de pénétrer le marché, mais de l’autre, ils appréhendent «l’assignation à un ghetto».

 
«La guerre civile provoque une forte auto-identification des écrivains algériens». Ils s’alarment de la situation politique du pays et de son image qui se dégrade, et sont pénétrés par un «sentiment de honte», un sentiment exprimé dans les romans comme dans‘ »La troisième fête d’Ismaël »,  »Chronique algérienne », août 1993-août 1994 de Nayla Imaksen ou Soumya Ammar-Khodja (Le Fennec, Casablanca). Une auto-identification que ne partagent pas tous les écrivains, ainsi Anouar Benmalek cité par Tristan Leperlier : «Je revendique et mon enracinement en Algérie ainsi que mon droit à l’universalité. Le terme écrivain algérien a une espèce de connotation ethnique». Mais c’est justement sur ces points, sur «cette auto-identification», sur cette «nouvelle littérature algérienne» que s’édifiera à Paris la revue Algérie Littérature/Action. Il y a un fort intérêt en France quant à cette littérature algérienne pendant les années de guerre civile (et même avant, un «intérêt renouvelé» depuis octobre 88). «Une niche de marché» lui est ouverte avec un risque qu’elle perde son autonomie. Il y a «un double soupçon mercantile» porté à la fois sur les écrivains algériens et les éditeurs français. Certains écrivains algériens qualifiés en Algérie d’«opportunistes» sont accusés de rechercher «les suffrages étrangers», ce qui implique «de se soumettre à la demande d’exotisme du public étranger», quant aux éditeurs français, ils sont qualifiés d’ «ethnocentriques» parce qu’intéressés par la seule violence. Ce soupçon est pour l’auteur «en passe de devenir un lieu commun, tant il circule entre les cercles intellectuels des deux rives». Il ajoute que ce «point de vue est polémique, il exprime le rejet (par les agents du pôle national du champ littéraire) de la domination du pôle international. Le refus de la littérature de témoignage, de l’urgence par les éditions Barzakh relève de cette logique».


Pour le pôle national du champ littéraire algérien, «c’est l’authenticité de la littérature algérienne produite à l’étranger qui est mise en doute. L’auteur cite Kamel Daoud (journaliste) et Sadek Aïssat, auteur. Kamel Daoud qui écrivait alors (à cette époque, il n’avait pas encore publié de livre) : «La littérature algérienne publiée en France est une véritable mise en scène perpétuelle de soi-même et de son propre drame, simplifiée et vulgarisée pour la consommation de l’autre (…). Il ne peut y avoir de culture algérienne en exil en vérité». De son côté, Sadek Aïssat qui avait publié  »L’année des chiens » (Anne Carrière, 1996) déclare : «J’avais peur qu’on m’emmène là où je ne voulais pas aller, j’avais peur que l’édition, les circuits autorisés, me demandent des choses…, me fabriquent, en fait me fabriquent et fassent de moi ce que je ne voulais pas être». Il y a dans l’appréhension de cet auteur et en filigrane la récupération et la transformation de ses écrits par les maisons d’édition françaises. Ce qu’a montré avec pertinence et force détails Kaoutar Harchi (4).

Tristan Leperlier relativise la question du «constat d’ethnocentrisme… (qui) n’est pas particulier aux relations franco-algériennes… les conclusions tirées sont parfois excessives… On a même parlé de ‘‘machine éditoriale à mouliner les auteurs »». L’auteur considère que «les écrivains francophones entrent dans le marché français sans passer par l’intermédiaire d’un traducteur (comme d’autres auteurs), ce qui leur permet une plus grande marge de manœuvre dans la négociation avec leur éditeur». Il distingue différentes postures éditoriales selon que l’on est «petit éditeur», «éditeur moyen» ou «grand éditeur» avec des capitaux faibles ou importants. Il ajoute toutefois que le champ littéraire algérien est aussi soumis aux contraintes du marché «qui sont partiellement des pressions politiques privilégiant l’approche anti-islamiste radicale». En France, les écrivains algériens sont fortement valorisés, «moins du fait de leur autorité propre que des valeurs qu’ils promeuvent comme  »intellectuels musulmans alibis »». Et nous pouvons ajouter et préciser qu’ils sont d’autant valorisés que leurs discours politiques s’emboîtent dans ceux des intellectuels français et autres faiseurs d’opinions. Plusieurs pages de la recherche sont consacrées à la revue Algérie Littérature/Action qui, en France, «avec des capitaux symboliques et économiques français», a participé à la reconstruction d’«un pôle autonome au champ littéraire algérien» qui subissait tant en Algérie qu’en France «des pressions économiques et idéologiques».

En conclusion, Tristan Leperlier affirme notamment que le champ littéraire algérien a été surpolitisé durant la période observée, poussant les écrivains à s’engager politiquement. Le fait que les écrivains «aient été en retrait de la politisation des émeutes d’octobre 88 et qu’ils se soient rangés (majoritairement) du côté de  »l’État » dans la lutte radicale contre le mouvement islamiste, à rebours de l’image héroïque habituelle de l’écrivain luttant contre un État liberticide», s’explique en partie par l’idée que l’écrivain «est censé participer à la construction de la nation et qu’il est ambassadeur du pays à l’étranger, en particulier en direction de l’ancienne métropole coloniale».

Avec la fin de la guerre civile, il y a eu «une dépolitisation inédite du champ littéraire». La hiérarchie qu’on y observe entre francophones et arabophones «s’appuie en bonne partie sur le fait que la langue française est en lien avec la France». Le chercheur conclut que ce livre a permis de battre en brèche trois lieux communs de la critique que nous citons ici sans en reprendre les développements : «Rejeter l’opposition entre littérature et société, rejeter le culturalisme, reconsidérer les relations postcoloniales.


Au terme de notre lecture de cette volumineuse et importante recherche doctorale, nous avons, d’une part, regretté que l’auteur n’ait pas tenu à distinguer clairement «l’État» entendu comme personne juridique et morale de gouvernance et «Pouvoir» en tant que puissance détenue par un groupe de personnes sur les citoyens et, d’autre part, déploré l’absence d’œuvres et de romanciers algériens qui auraient pu apporter un point de vue autre ou nuancé aux côtés de tous ceux qui ont été pris en référence, comme Ahmed Zitouni, Ahmed Kelouaz, Hassan Bouabdallah, Yahia Belaskri, Djamel Mati, Slimane Aït-Sidhoum et bien d’autres ayant publié entre 1988 et 2003, loin des champs altérés.


Dernier roman paru : Le Choc des ombres (Incipit en W- Novembre 2017).


Notes :

1- Charles Bonn, «Paysages littéraires algériens des années 90 et post-modernisme littéraire maghrébin», cité par Tristan Leperlier in page 171.


2- Il y a lieu de préciser que Aïssa. Khelladi «a participé au lancement du Nouvel Hebdo à Alger en 1990, et co-fondé l’Hebdo Libéré en 1991» (africultures.com)


3- http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2005/12/la-littrature-de-lurgence.html


4-http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5245220


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