Archives mensuelles : juin 2021

La peau des nuits cubaines de Salim Bachi

____ LE QUOTIDIEN D’ORAN, samedi 19 juin 2021, page 18- « Culture »___

___ LE QUOTIDIEN D’ORAN, dimanche 20 juin 2021, page 18- « Culture »___

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Recension de « La peau des nuits cubaines » de Salim Bachi, édité par Gallimard en mai 2021.

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Salim Bachi aime les voyages et il aime nous les faire partager à travers ses livres. Le dernier nous emmène au cœur des Caraïbes, à Cuba. Il se présente en la forme d’un roman de 153 pages intitulé « La peau des nuits cubaines » édité par Gallimard. L’année de publication inscrite sur la deuxième de couverture est « 2020 », dépôt légal « avril 2021 ». La pandémie de la Covid-19 a retardé d’une année sa mise en librairie (le 7 mai 2021). 

Le roman est composé de trois parties. La première contient les chapitres 1 à 4, la deuxième les chapitres 5 à 7 et la troisième qui est intercalée entre les deux parties ne contient que deux phrases : « Le soir même, Chaytan reçoit un coup de téléphone d’Ely : nous devons rentrer au plus vite. Omid s’est pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro ». Chaque chapitre du roman est subdivisé en sous-parties ou séquences d’une à cinq pages (45 en tout, montées comme un film). Ainsi dans le chapitre 1 il y a 5 séquences, 4 dans le chapitre 2… Le 5° chapitre est celui qui compte le plus de séquences : 12 pour un total de 29 pages.

Voici un roman qui fait la fête à Cuba, à ses villes, qui exalte ses habitants (ses femmes), qui célèbre le cinéma. Sur le bandeau rouge d’accompagnement du livre, il est mentionné en majuscules « Il était une fois La Havane ». Cela pourrait être le titre d’un film réalisé autour de séquences qui s’entrecroiseraient avec les mêmes personnages, avec les mêmes lieux, avec ce qui donne sens à la vie, tout « ce qui disparaît, perte sans remède. »  C’est cette vie, cette perte, que cherche à fixer le narrateur sur pellicule et de fait, sur un autre support par l’auteur.

Nous sommes à Cuba donc, au mois de juin, en « saison humide », où le ciel est « strié d’éclairs et de folies », des éclairs qui « griffent le ciel noir » avec « un vent de fin du monde » et « une lune géante, mortifère, (qui) troue le ciel noir ». Mais parfois le soleil « cogne comme un boxeur ». Le narrateur est en vacances à La Havane, une ville qui « ne ressemble en rien à la carte postale vendue dans le monde entier », rues tracées au cordeau comme New York avec ses calle 1, calle 25, 19… qui se jette dans la mer, mais c’est la seule comparaison possible entre les deux villes.

Les événements se déroulent dans le cœur de La Havane, Cienfuegos, Puenta Gorda, ou dans l’historique Diez de Octubre, dans leurs artères… durant la coupe du monde de football (très probablement celle de juillet 2018 qui eut lieu en Russie). Les maisons de ces quartiers ont presque toutes été éventrées par les arbres tropicaux. Les touristes ne s’y aventurent pas. Le quartier Diez de Octubre porte la date d’un événement historique. Le 10 octobre 1868 est le point de départ de la première guerre d’indépendance de Cuba. Le narrateur est cinéaste. Il filme les quartiers de La Havane, « les décombres de cette Allemagne année zéro », mais il précise qu’il ne rend « sans doute pas justice à cette cité marine. « Je ne montre pas ses qualités, inhumaines, entêtantes comme un songe concocté dans la marmite de cet Atlantique redoutable où reposent des siècles de servitude, esclaves sombres, négrières sordides qui ont engrossé l’île de cette humanité violente. » 

Les principaux personnages du roman sont ce narrateur-cinéaste et Chaytan son hébergeur ou ami, une sorte de patron voyou. Le narrateur soupçonne son camarade de porter deux masques, ceux de la droiture et de l’amoralisme « qui se combinent pour donner cet homme fascinant à la Citizen Kane. »  Chaytan signifie « Satan » en iranien (et en arabe). Se sont-ils connus par le fait du hasard, par le biais d’une agence de tourisme ? Ils naviguent d’un endroit à un autre, arrivent à Cienfuegos « sous un soleil de plomb, dans une voiture chaude comme l’enfer. » Le narrateur écrit « je dérive entre le continent de ma naissance et ce nouveau monde qui s’offre à moi dans son étrangeté au point de m’abandonner, navire corsaire sans mâture, vaisseau fantôme voguant sur des souvenirs absents », ceux de son lointain passé dans l’africaine Cyrtha. 

Chaytan est Iranien. Il a grandi à Chiraz. Le narrateur dit à son propos « il faut prendre ses dires avec circonspection » et se demande s’il n’a pas exagéré son passé politique en Iran, pays qu’il a fui pour la France où il a passé plusieurs années et où il a été marié (et a divorcé) deux fois. Ses enfants lui en veulent « d’être parti vivre à Cuba, avec une femme autre que leur mère. « 15 jours après son divorce il arrivait à La Havane ». Il possède un restaurant, deux appartements. Chaytan loue au narrateur une Casa particular qui se situe à calle San Lazaro et lui avance des pesos convertibles pour ses dépenses. Lui prête un téléphone portable pour son séjour. Le narrateur lui règlera plus tard la location par virement, probablement lorsqu’il sera retourné en France. C’est ce que préfère Chaytan. Sa Casa particular est tenue par deux demandeurs d’asile, iraniens comme lui. Chaytan est un homme difficile, sévère avec ses employés, il se moque d’eux, il n’aime pas les Cubains « des voleurs et des malades mentaux ! » Il dit vivre « dans un hôpital psychiatrique à ciel ouvert. » « Il s’emporte contre le système cubain, sa politique, sa bureaucratie ». Se vante d’avoir « grandi avec les plus grands voyous de Chiraz. »

Laura est l’épouse cubaine de Chaytan. Elle a « 30 ans et des poussières » et possède un appartement à Calle Galiano, près de la Casa de la musica. À la moindre contrariété, elle s’y enferme. Laura ne lit jamais. Elle ne s’intéresse à rien, déteste le théâtre. Elle s’intéresse au Reggaeton et aux magasins qu’elle dévalise. 

Son mari a un visage diabolique, « il ressemble à un bouc. Ses dents du fond manquent à l’appel. » Laura, est dentiste, mais n’a rien pu faire pour les empêcher de tomber ». Lui l’accable de tous les maux ». Il la trouve « immature, malade et instable ». Mais il ne peut en divorcer au risque de tout perdre. Elle le tient. S’il divorce, il perd son restaurant, sa carte de séjour, son appartement, la casa particular de la calle San Lazaro. Chaytan dit avoir fait une erreur en l’épousant. Ils ne s’entendent pas du tout. Lors d’un repas elle confie au narrateur que Chaytan c’est le diable et confirme qu’il porte bien son nom. Lorsqu’elle le quitte après une dispute, elle emporte « un peu des économies de son mari cachées sous le lit conjugal ».  Chaytan aime la belle vie, les soirées, les sorties. Il a invité son ami, le narrateur à la pension de José. Elle se trouve à Puenta Gorda, une presqu’île. José veille sur son établissement et sur sa fille qui ne sort jamais le soir. Chaytan aimerait refaire sa vie avec une fille de la province comme la fille de José. Il est prêt à attendre qu’elle grandisse » « on regrette parfois d’avoir l’âge qui nous interdit de toucher aux jeunes filles en fleurs » dit le narrateur en pensant lui aussi à la fille de José qui le fait rêver « rien de sexuel dans ce désir de regarder danser, chatoyante, cette jeunesse qui bat des ailes comme un papillon. » Elle ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita, dit-il.

Le narrateur est l’autre personnage important. Son nom n’apparaît qu’en page 71. À une fille qui le lui demande, il répond « Durquès… » Ce sera la seule fois. Est-ce son vrai nom ? Nous savons qu’il a été marié et qu’il a un enfant de quatre ans et demi « qui l’appelle pour lui souhaiter bonne fête ». Nous savons également qu’il habite en France et qu’il a passé son adolescence ou enfance à Cyrtha (la ville référence de l’auteur qui le poursuit depuis son premier et célèbre roman Le Chien d’Ulysse). Lorsqu’il pense à son ex-femme et à l’amant de celle-ci, le narrateur dit qu’il regrette de ne pas les avoir frappés lui qui a du sang d’Othello qui coule dans ses veines : « J’aurais dû me venger ! frapper et tuer : elle et son Cassio ! » Cassio le ‘‘capitano moro’’, le fidèle capitaine d’Othello.

La Havane fascine le narrateur « au-delà du raisonnable ». Il restera au moins un mois « empêtré dans cette ville ». Il se rend souvent à Ispahan le restaurant de son ami. La Havane est une cité en ruine qui « accélère la décomposition des sentiments ». « L’eau manque, la misère fleurit sur le fumier, la ville pue. » La pauvreté est partout, mais les habitants s’improvisent restaurateurs pour arrondir leur fin de mois. Dans le quartier de Diez de Octubre, il n’y a que « des rues sordides où la misère suinte des murs, où un immeuble sur deux s’effondre… » Le narrateur/ Durquès aime les Cubains et regrette d’avoir perdu sa jeunesse « dans un pays froid qui ignore l’alchimie des corps ». Il regarde cette vieille ville « qui se déploie comme une tapisserie usée par les siècles » et qui déteint sur ses habitants. Liannis, une des serveuses de l’Ispahan « incarne cette ville étrange, violente, radicale ; hanches déliées des Orientales et des Africaines. Elle ressemble à une Arabe : ses cheveux bouclés flottent comme des palmes. » La Havane, sa chaleur, sa pauvreté attirent le narrateur, le poussent dans sa mémoire « où se sont abîmés avant moi tous les Ulysse du monde. » Elles le renvoient à ses jeunes années passées à Cyrtha. Il regarde les petites voitures des gamins pauvres de l’île et ce sont les ‘‘carricos’’ algériens qui surgissent dans sa mémoire. Alors il se revoit adolescent au collège à Cyrtha « par un matin semblable à celui-ci. » À quoi rêvait-il cet adolescent qu’il était ? Ce souvenir le fait « pleurer longuement, en silence. » 

Durquès restera plusieurs semaines à Cuba, jusqu’à juillet. Avec sa caméra il filme à longueur de journée et de nuit. Il filme « des maisons coloniales en ruine », les filles de la calle Humboldt, Freido le frère de Chaytan et sa femme « cette vierge s’apprêtant à donner vie ».  Il filme même lorsqu’on le lui interdit comme lors de cette fête des saints : « il laisse tourner la caméra pour filmer la fin de la cérémonie », malgré l’interdiction de la sœur de Liannis une des serveuses de l’Ispahan. Le narrateur est magnétisé. On danse, on chante, « c’est une mer déchaînée de corps gras en sueur, cheveux mêlés aux voix tumultueuses teintées d’hystéries. » Il filme au risque de se faire agresser ainsi, Miguel, un jeune étudiant entremetteur qui, non content d’être filmé, sort un couteau « qui brille dans la nuit épaisse ». Sans soleil méditerranéen, la lumière ne giclera pas sur l’acier. Heureusement pour le narrateur, Chaytan ­­— qui veut être « le personnage principal » du film en préparation — est intervenu. « Je lui ai arraché les dents pour lui apprendre son code civil ». Le narrateur, ce « métèque », aura la vie sauve. Il a pris goût à ces déambulations, à ces rencontres fortuites. « Elles sont devenues cet opium qui m’apaise et me permet de sortir de la bulle d’indifférence qui m’emprisonne d’habitude et m’empêche de saisir le monde sinon à travers l’objectif de ma caméra. » « Le cinéma a été pour moi cette connaissance intime de ce qui disparaît, perte sans remède donnant sens à ma vie et que je cherche pourtant à fixer sur une pellicule. Il montera son film ici même, « à La Casa ».

D’autres personnages animent le roman. Il y a Sohar et Omid un couple d’Iraniens demandeurs d’asile, arrivés à Cuba il y a six mois. Sohar est chrétienne et « au pays des mollahs ce n’est pas évident ». Omid manifestait contre le régime. Ils tiennent la Casa particular de Chaytan, s’occupent du ménage, reçoivent les clients étrangers, leur préparent le breakfast. En échange ils sont logés ‘‘gratuitement’’ entre guillemets. Ils « font lit à part », mais c’est elle, Sohar, qui se sent « supérieure dans la souffrance » qui est la « lider maximo » du couple. Tous deux rêvent d’un autre ailleurs. Omid du Canada, elle des États-Unis. En attendant cette issue, Sohar passe son temps à se promener près du Paseo et sur le Malecon avec ses amis. Chaytan se demande si elle ne se prostitue pas. Omid souffre de sa condition. Il est « plus mal loti que dans son pays d’origine ». Il est seul. Sa femme le délaisse. Il n’en peut plus. Il se pend. 

Omid s’est suicidé et le narrateur en a été perturbé. Il pense à ses perruches « qui va s’en occuper  ? » Le narrateur dira que depuis sa disparition il a le sentiment de nager dans l’irréalité. Il regardera Les Enfants du paradis sur son ordinateur. Chaytan a « passé la journée chez les flics puis à l’ambassade d’Iran. Il faut rapatrier le corps d’Omid et il lui faut de l’argent pour cela. Il compte sur une amie pour lui rendre ce qu’elle lui avait emprunté. Chaytan lui avait prêté cet argent pour ne pas le laisser chez lui de crainte que Laura le lui vole. 

Il y a un autre personnage qui apparaît ici et là. Freido le frère de Chaytan. Il dit à Durquès qu’en Iran il a été condamné à mort à cause de son frère, c’est lui qui l’a entraîné dans la politique en Iran. Il n’en revient pas que Chaytan côtoie à Cuba le consul iranien. Contrairement à lui Freido aime les Cubaines « ici les gens n’ont rien et te reçoivent chez eux sans te connaître. » Freido s’est fait plumer par son ex, mais il n’est pas rancunier. 

Chaytan et le narrateur se dévergondent dans les boites de nuits, discothèques, restaurants, bars où ils sont bien accueillis « comme si nous étions de grands amis. » La France vient de se qualifier pour la finale du Mondial, alors partout ils sont les bienvenus, bien reçus. On les prend pour des français, « même le flic qui inscrit nos noms sur son grand carnet nous félicite ». Cela paraît absurde au narrateur. Le match de la qualification à la finale qui s’est déroulé à St Petersbourg a vu la France battre la Belgique par un but à zéro. Ce qui rend heureux les deux amis ce sont les soirées dans les restaurants, les discothèques, avec les Cubaines, plus que le football dont ils n’ont rien à faire. Durquès trouve la situation plutôt drôle lorsque les vigiles les congratulent pour la victoire de l’équipe de France. « Deux étrangers devenus les ambassadeurs d’un pays qui les méprise et les renvoie à leurs différences. Deux métèques naturalisés grâce à une équipe de football dont ils se fichent ! »

 « Miguel leur propose d’aller voir « des copines muy bonitas », « des filles pour 60 pesos ». Elles sont belles, élégantes, l’une d’elles porte « une robe blanche virginale, une pierre brille sur sa narine, un piercing qui aimante le regard du narrateur. Une fille avec de longues jambes noires qui disparaissent sous un short minuscule. » Lorsqu’il en emmène chez lui, Durquès les « laisse traîner seules dans sa chambre ». Elles ne touchent à rien. Des filles à qui il donnait de l’argent pour prendre le taxi, acheter des vêtements. En échange elles le laissaient les filmer. Ces filles (souvent des ‘jineteras’) sont jeunes et belles. Elles font contraste avec les villes en ruine, prêtes à clamer cette discordance au narrateur-cinéaste (il se qualifie « cinéaste-voyeur) qui les filme comme on présenterait ses atouts lors d’un casting. On le devine les accompagner dans la nuit pour les en sortir dans un cadre qui les resserre. Certaines sont « aimantées par la caméra », d’autres ressemblent à des actrices de films cultes. « Tu veux pas me filmer ? Je ressemble à Marylin pourtant ! » dit l’une d’elles, et  « la fille de José ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita. » L’auteur fait de nombreux clins d’œil au cinéma, au théâtre, et à la littérature comme dans d’autres de ses romans… Du Sergent Garcia à Al Capone en passant dans le désordre par La Haine, Majnoun Leïla, Roméo et Juliette, Allemagne année zéro, Citizen Kane, Moby Dick », L’Odyssée (Ulysse, Ithaque, Elpenor), La Bataille d’Alger, Kubrick, Schnitzler, Les Enfants du paradis de Carné, « Dolce vita », Hemingway, etc.

Ce dernier jour, le narrateur arrive au restaurant de Chaytan à midi comme pour un clap de fin. Le restaurant est bondé. Le barman est affalé sur le zinc la tête enfouie entre ses bras. Il est abattu. « Quelque chose d’obscur, comme ce désir malsain de revenir sans cesse sur mon passé, me propulse machinalement vers le fond du restaurant. » À l’intérieur de son appartement, Chaytan était allongé sur l’un des canapés. Il semblait dormir. Torse nu. Visage recouvert par son bras droit. Le gauche traînait sur un tapis le poing serré. Une mouche se posa sur sa poitrine, se posa sur son bras livide. Elle s’attarda ensuite sur sa poitrine. « Doucement et tendrement, elle s’immisça dans une plaie ouverte comme une fleur carnassière où elle finit par disparaître. » À côté de Chaytan, Laura semblait sourire. Égorgée. 

Le roman s’achève sur cette scène échappée du présent comme d’un thriller. Chaytan et son épouse se sont-ils entre-tués, ont-ils été tués par des voyous, par des services secrets ? Car enfin, Omid, lui qui a été condamné à mort en Iran, a été retrouvé pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro.

Et puis Freido disait ne pas comprendre que son frère se rende en Iran chaque année alors que son meilleur ami a été assassiné en prison. Il ne reconnaissait plus Chaytan qui l’a entraîné dans la politique, ce frère qui était recherché par toutes les polices du Shah puis celle des mollahs. Et qui « maintenant fricote à La Havane avec le consul d’Iran ! »  qui rentre sans problème au pays, c’est sûr « qu’il a signé une lettre dans laquelle il a reconnu s’être trompé et qu’il regrettait », dit Freido. 

Le roman s’achève comme un film. Et les caractères, comme les pixels, se transforment en de « scintillantes étoiles ». La focalisation est double, Durquès raconte, exprime ses sentiments, sa subjectivité, mais il observe aussi les autres personnages. Le système narratif est celui du présent. Les phrases sont courtes. L’écriture est inscrite dans une réalité immédiate, forte, permanente, volontairement accessible, non soutenue qui nous donne à deviner, à l’identique d’une caméra discrète qui fouine et zoome, dézoome, plan général, d’ensemble, plan américain, les contours d’une scène, d’un moment poétique, d’une réalité tantôt noire décomposée, tantôt belle comme cette danseuse à l’image d’une « flamme qui tremble dans la nuit ». « Deux flammes vacillent dans la nuit brûlante à la peau veloutée et sombre. Je respire leur beauté qui vibre dans l’air moite de la ville après l’orage ». Et le lecteur se met à figurer ces flammes, cette nuit, et la peau veloutée. Nous sommes installés au cœur de la Havane, sur une banquette du célèbre bar-restaurant El Floridita à siroter comme papa Hemingway à son époque, un daiquiri en suivant au plafond les volutes rondes d’un Cohiba, « la Rolls-Royce du cigare ! » 

Dans la section 4 du chapitre 5 l’auteur écrit au présent : « Chaytan est locataire d’un appartement. Il possède un autre logement, derrière Ispahan, moderne, meublé avec art. » Puis il bascule au passé : « Chaytan aimait l’art et il tenait à le faire savoir »… Puis il revient au présent deux phrases plus loin : « Chaytan vit avec Laura, ils sont mariés depuis trois ans, dans le petit loft qu’il a décoré. Peut-être a-t-il aimé l’art dans le passé, pas (plus) au présent. Il y a des allers-retours entre l’un et l’autre, du présent au souvenir. Dans le dernier chapitre, nous sommes en juillet « le soleil assassine » : il arrive, la chemise colle,  les gens attendent, il cherche, il voit, il fait signe… puis en page suivante et dernière du roman : Chaytan était allongé, son bras traînait, il avait le poing serré, il ne voulait pas, Laura regardait, un trait rouge découpait son cou… 

 Durquès retrouve dans sa mémoire « le frêle adolescent qu’il a été, qui se rendait au collège, dans les rues de Cyrtha ». Il est apaisé. À ses côtés, Maria, la fille rencontrée dans une discothèque du Diez de Octubre « une flamme qui tremble dans la nuit ». « Je la serre fort dans mes bras et me laisse dériver, emporté par mon beau navire corsaire, ma mémoire africaine. » Nul besoin ici de s’encombrer de caméra.

Les subtilités du roman n’ont pu être entièrement rapportées ici, transposées dans ce compte-rendu. Elles sont nombreuses et les subjectivités propres à chacun privilégient telles ou telles strates.

Salim Bachi est l’auteur de dix romans, deux récits, un essai et un recueil de nouvelles. Dix de ses quatorze ouvrages ont été édités chez Gallimard. Salim Bachi publie depuis 2001 un livre tous les 18 mois en moyenne. Il a reçu plusieurs prix : dont le prix Goncourt du 1° roman pour Le chien d’Ulysse. Salim Bachi est l’un des plus doués auteurs algériens (il est franco-algérien) dont le nom mérite d’occuper le haut des plus belles affiches des pages culturelles. Il est regrettable que son œuvre ne soit quasiment ni éditée ni disponible en Algérie.

Ahmed Hanifi,

Auteur.

En Occitanie, le 17 juin 2021

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Élections en Algérie et commentaires, analyses…

Lu sur une page FB « pas d’élection avec la mafia » / « Libérez les détenus d’opinion »

LE GRAPHIQUE ILLUSTRE LA GRANDE VICTOIRE DU HIRAK (à partir des chiffres officiels)

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_____________Dilem Liberté- 19.06.2021______

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER ÉMISSION SPÉCIALE SUR RADIO M du 16 juin 2021

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Tebboune répond à des questions…à des questions…

Abdelmadjid Tebboune répond aux questions de l’hebdomadaire français « Le Point »

Précisément aux deux journalistes algériens: Adlène Meddi et Kamel Daoud, chroniqueurs à l’hebdo cité.


Comment expliquer ces questions banales, neutres, blanches, lénifiantes parfois de quelqu’un (je ne connais pas le second) réputé très audacieux, secoueur des mythes, empêcheur de jouer en eaux calmes et de tourner en rond, etc., etc

Il n’a rien secoué du tout ! était-il malade? pas à l’aise? Souhait-il, enfin, je veux dire…

« Mais, me diriez-vous, comment voulez-vous (tenter d’) adoucir le regard que porte le français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault), sur nous, sur nos dirigeants et notre nouvelle stabilité désormais ? » Car en effet, le lecteur-cible de ce papier est français. seul lui importe. 

D’accord, d’accord, mais comme les journalistes sont Algériens et qu’ils écrivent (aussi) habituellement pour des médias algériens, et que le contenu nous concerne par l’émetteur, alors j’ai lu (merci à A.T.) l’article du journal français et vous donne spontanément mon point de vue.

Les deux journalistes du Point ont posé 33 questions en sus d’une présentation à fleur de poésie et un portrait d’où rien ne dégouline. Du sur-mesure. « ‘‘Vous avez trop de questions’’, commente, tout sourire, Abdelmadjid Tebboune en invitant à prendre le café. » C’est joliment écrit. La dernière question, la 33°, relève de l’ordre médical et même du traitement :  « Comment être heureux en Algérie bon sang docteur ? » « Regardez Sisyphe dit l’autre…, trimez, votez et recommencez ! » (je n’ajouterais pas le gros mot qui fut celui de Léo Ferré dans les seventie’s: « Votez connards! » Non je ne l’ajouterai pas.

Restent 32 questions, 15 concernent les relations avec divers pays et surtout avec la France (10 questions), et 17 qui concernent l’Algérie, les Algériens, leurs dirigeants…

L’état d’esprit du président, son état physique, sa traversée du désert… Lui, attaque en règle les manifestations et cite Corneille, oui monsieur ! « Qui t’a rendu si vain/Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ». Acte 2, scène 2. Nos deux journalistes n’ont pas demandé au président s’il comptait aller jusqu’au 5° acte comme pour le Cid. Enfin si, ils ont balbutié, « pensez-vous avoir besoin d’un second mandat ? » Réponse : « Très honnêtement, je n’y pense pas. » Ils avalent. Et on continue. Le Point baisse la tête, ne relève pas l’outrage contre les marcheurs. Déjà 4 questions. On continue. La libération des détenus « pourquoi ce raidissement aujourd’hui ? » (là par contre j’applaudis), pourquoi Rachad et le MAK… les élections du 12 juin, l’arrestation du journaliste de Liberté… C’est là aussi une bonne question sauf que le président dans sa réponse piétine allègrement la présomption d’innocence « Il a joué au pyromane » dit-il à propos du journaliste enfermé qui n’a fait que son métier (je vois d’ici la tête des lecteurs français à qui on ne la fait pas, on ne plaisante pas « ici » avec les choses graves… mais bons, des Algériens…) Les journalistes passent à une autre question (la 9°) sur le Parlement…le retour aux années 90… Voilà une autre bonne question : « Parler de l’Algérie, c’est évoquer le poids de l’armée et des services de renseignement… » (j’applaudis chaudement). Les journalistes ne savaient pas que l’armée (et les services…) ne font plus de politique depuis 1988 ? Hé bé le président le leur rappelle. Les deux compagnons avaient oublié. Ils se grattent mutuellement le crâne à tour de rôle et passent à autre chose : « comment rassurer les patrons ? » On respire ! Oui comment rassurer le Medef algérien, pour tranquilliser son vis-à-vis ? (les Pinault par exemple) « Un partenaire étranger peut-il gagner de l’argent en Algérie ? » que c’est mignon !

Je ne vous raconte pas le reste, suis fatigué. N’oublions pas que la cible du papier est le « français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault).

Quant à moi, je vais feuilleter La Comédie française de Sapin. C’est plus hilarant, plus sincèrement hilarant.

NB: il nous faut préciser que K.D est partisan de la participation au vote du 12 juin. Il l’a clairement exprimé et répété.

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L’ARTICLE DU JOURNAL LE POINT EST EN PAGE SUIVANTE

Halte à la confiscation de la souveraineté populaire ! (PAD)

Le Pacte pour l’Alternative démocratique (PAD) appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. 

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mercredi 2 juin 2021

COMMUNIQUÉ DU  (PAD)

« Halte à la confiscation de la souveraineté populaire !

Réunies, le 1er juin 2021, les forces du PAD déclarent ce qui suit : 

Le pouvoir s’entête à restaurer le système autoritaire. Affolé par le désaveu des citoyens vis-à-vis du nouveau simulacre électoral du 12 juin prochain, il s’est lancé dans une escalade furieuse de la stratégie de répression mise en œuvre depuis avril 2019, sur fond d’instrumentalisation des appareils sécuritaires, judiciaires et médiatiques. De fait, il interdit les manifestations en leur substituant une occupation policière permanente de la rue. On réprime les marcheurs du hirak et on va jusqu’à inventer, traquer et punir le délit d’intention de manifester. 

Aucune catégorie sociale n’échappe à l’arbitraire et à la violence d’Etat. Des milliers d’interpellations, des centaines de poursuites pénales, des dizaines de condamnations judiciaires sont le palmarès d’une justice aux ordres et d’un appareil sécuritaire voué à la défense des tenants d’un pouvoir illégitime. Après les journalistes, c’est le tour des robes noires. Avec l’emprisonnement de Me Raouf Arslane, avocat de Tebessa, le pouvoir proclame son cruel désir de priver les victimes de son arbitraire de leurs droits à la défense. Désormais, le nombre de détenus d’opinion dépasse les deux cent otages. Faute d’animer une campagne électorale vide de politique par le débat d’idées et de programmes, le régime surpeuple ses prisons. Ultime provocation, cette violence d’Etat caresse l’espoir vain de pousser le hirak à se départir de son pacifisme. 

Un juge attaché à l’exercice légal et indépendant de ses fonctions est radié par un Conseil de la magistrature dont le mandat a expiré depuis plus d’un an. Un procureur récalcitrant est démis de ses fonctions. 

Des associations et des partis sont menacés de dissolution subissant un harcèlement administratif et judiciaire en violation des dispositions de la Loi.

Après avoir échoué à diviser les rangs du peuple par de pseudo différenciations ethniques, le pouvoir use de l’argument terroriste pour jeter l’anathème sur le hirak béni devenu brusquement un levier tombé aux mains d’extrémistes et de forces étrangères. Il est même envisagé d’amender le code pénal pour blacklister, pour terrorisme, des organisations et des individus selon l’humeur des sultans. On veut aller jusqu’à édicter des règles pour régenter l’ouverture des comptes Facebook ou You tube. Toutes les grèves sont déclarées illégales et les travailleurs de l’éducation qui dénoncent les violences subies par leurs collègues dans différentes wilayas sont soumis, à leur tour, à des violences policières. 

Les médias et les réseaux sociaux relaient une campagne de propagande et de calomnies contre tout opposant à l’agenda du pouvoir et à la mascarade du 12 juin.

Le système maffieux paralyse le pays et le plonge dans le marasme économique et social. Toute prise en charge sérieuse de la crise multidimensionnelle, aggravée par les effets de la pandémie de covid-19, est gravement compromise. La communauté algérienne à l’étranger est quasiment interdite de retour dans son pays. Après la menace de déchéance de nationalité, le pouvoir lui inflige des conditions insupportables pour entrer sur le territoire national. La justice et la police des Etats de ses résidences sont enrôlées dans la répression, y compris à l’intérieur des consulats. Et tandis que les uns n’arrivent pas à rentrer en Algérie, d’autres partent toujours plus nombreux et au péril de leur vie, traversant la méditerranée sur des embarcations de fortune. 

Tournant le dos à cette réalité de plus en plus intenable, les clientèles associées au régime se sont engagées dans une course à la curée des dernières ressources du pays.

Loin de démobiliser le peuple algérien, la stratégie du tout répressif et les évolutions géostratégiques de plus en plus incertaines – en particulier à nos frontières- le mettent en alerte et le poussent à se redéployer dans les quartiers et les communes pour continuer d’exprimer pacifiquement son aspiration au changement. 

En faisant de l’échéance du 12 juin un ultimatum, le pouvoir entend exiger du peuple algérien de se résigner au retour à l’ordre ancien. En réalité, il s’est lui-même piégé car il prouve son absence de volonté politique et son incapacité à transcender ses privilèges et accepter le changement démocratique.

Pour l’heure, les forces du PAD réitèrent leurs exigences de libération immédiate de tous les détenus politiques et d’opinion, d’arrêt de la répression et de rétablissement des droits et libertés. 

Face à un pouvoir qui veut en faire une bataille décisive pour sa pérennité, le PAD appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. C’est là, le meilleur moyen de rapprocher et rendre incontournable l’heure d’une transition démocratique indépendante et d’un processus constituant souverain permettant au peuple d’exercer effectivement sa souveraineté.

C’est là, la seule voie pour préserver l’État national fruit d’une indépendance arrachée et défendue au prix de sacrifices inouïs et pour arracher la démocratie, le pluralisme et l’Etat de droit démocratique contre toute forme de dictature. »

Alger, le 2 juin 2021

Le PAD

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