Bouteflika est mort

Abdelaziz Bouteflika est mort hier vendredi 17 septembre 2021.

Il n’était qu’un élément (important) d’un ensemble immuable moribond.

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Voici ce que répondait avec dédain ce « 3/4 président » face à la détresse des familles de disparitions forcées : « vos disparus je ne les ai pas dans ma poche… lifet mat, le passé est mort. » Contrairement à l’Afrique du Sud, au Chili, en Argentine etc. il n’y aura ni enquête, ni procès, ni justice. Ni vérité. C’est pourquoi – entre autres dossiers fondamentaux mis sous le boisseau –, la schizophrénie et le mal-être profond ont encore de beaux jours devant eux, hélas, avec une perspective possible, la fuite, el Harga vers d’autres cieux plus cléments pour les jeunes.

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Voici un mot de Maître Ali-Yahia Abdenour interrogé à ce sujet par « Confluences Méditerranée » 2004/4 (n°51) :

Le président Abdelaziz Bouteflika a chiffré à deux mille le nombre de disparus. (Les fiches individuelles établies par la LADDH et les associations de familles de disparus font ressortir 7203 disparus, tous identifiés.) Il n’a pas tenu sa promesse d’ouvrir une enquête nationale sur le sujet. Il n’a pas maîtrisé sa colère, furieux d’avoir été interpellé publiquement à la salle Harcha, la veille du référendum de septembre 1999 sur la concorde civile, par les mères de disparus qui demandaient la vérité sur le sort réservé à leurs enfants. Il les a traitées de pleureuses et de marionnettes : « Les disparus ne sont pas dans ma poche, leur a-t-il dit. Enterrez le passé ! On ne sortira pas de la crise avec le passé. Tout le peuple algérien a souffert et il n’y a donc pas lieu d’exiger des droits exceptionnels afférents à la qualité de victime ». 

ahmedhanifi@gmail.com

Sa 18 septembre 2021

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La LADDH avance le chiffre de 18000 disparus 

« Confluences Méditerranée » 2004/4 (n°51) pages 39 à 44

Ali Yahya Abdennour est un miltant de la cause nationale algérienne dès les années 1940. En 1956, il fonde avec Aissat Idir la centrale syndicale UGTA. Au lendemain de l’indépendance, il occupe divers postes ministériels mais il démissionne, s’opposant à l’orientation autoritaire du nouvel Etat. Il s’installe comme avocat à Alger en 1967. En 1985, il est arrêté et traduit devant la Cour de sûreté de l’Etat pour avoir créé la première Ligue Algérienne de défense des Droits de l’Homme (LADDH). Face aux massives violations de droits de l’homme depuis 1992, il mène une activité intense pour mobiliser les énergies à l’intérieur et alerter l’opinion à l’extérieur. Maître Ali Yahya Abdennour est actuellement le président de la LADDH.Confluences Méditerranée : Quel est le nombre exact de disparus et comment définissez-vous un disparu ?

Maître Ali Yahya Abdennour : Une personne est déclarée disparue lorsque son corps n’a pas été retrouvé. Le dossier des disparus s’écrit au jour le jour. Le nombre de disparus est difficile à établir et ne peut être qu’approximatif. Les fiches individuelles établies par la LADDH et les associations de familles de disparus font ressortir 7203 disparus, tous identifiés. Lorsqu’une famille remplit une fiche individuelle, il lui est demandé de préciser si son parent a été enlevé seul ou avec d’autres personnes. La réponse est toujours la même : « il a été kidnappé avec 2, 3 voire 5 personnes ». Mais il y a des familles qui souvent ne veulent pas porter plainte, par peur ou fatalisme. Il en résulte qu’en moyenne une famille sur trois porte plainte, ce qui rend crédible le chiffre de dix-huit mille disparus retenu par la LADDH. 

Le président Abdelaziz Bouteflika a chiffré à deux mille le nombre de disparus. Il n’a pas tenu sa promesse d’ouvrir une enquête nationale sur le sujet. Il n’a pas maîtrisé sa colère, furieux d’avoir été interpellé publiquement à la salle Harcha, la veille du référendum de septembre 1999 sur la concorde civile, par les mères de disparus qui demandaient la vérité sur le sort réservé à leurs enfants. Il les a traitées de pleureuses et de marionnettes : « Les disparus ne sont pas dans ma poche, leur a-t-il dit. Enterrez le passé ! On ne sortira pas de la crise avec le passé. Tout le peuple algérien a souffert et il n’y a donc pas lieu d’exiger des droits exceptionnels afférents à la qualité de victime ».

Quelle est la revendication principale des familles de disparus ? Le président Bouteflika peut-il la satisfaire ?

Les familles veulent d’abord savoir si leurs enfants sont morts ou vivants. Les services connaissent le sort réservé aux disparus. Seraient ils toujours en vie, détenus dans des camps secrets et soumis au lavage de cerveaux, pour en faire des repentis ? S’ils sont vivants, le pouvoir doit les libérer ou les présenter à la justice. S’ils sont morts, ce qui est malheureusement le cas pour la plupart d’entre eux, il doit localiser les charniers où ils ont été enterrés et remettre les ossements aux parents avec l’aide de la LADDH. Le collectif des familles de disparus exige la vérité et la justice, c’est-à-dire le jugement des assassins, quelle que soit leur fonction, par une justice indépendante. Il fait preuve d’une grande vigilance afin que les auteurs de crimes contre l’humanité n’échappent pas à la justice. Il a lancé à l’opinion publique nationale et internationale un cri d’alarme et un appel pressant, lui demandant de faire pression sur le pouvoir algérien afin qu’il donne une réponse précise à la question posée depuis des années : « Q’avez-vous fait des disparus ? Vous les avez pris vivants, rendez-les vivants, ou bien dites où vous les avez enterrés ». 

Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, a déclaré : « Pour les disparus, 2600 à 2700 cas ont été élucidés sur les 4600 plaintes. Il s’agit de personnes ayant rejoint les maquis ; d’autres ont été abattus par leurs compères ; d’autres sont incarcérés ; d’autres encore sont dans des cantonnements de l’armée islamique du salut (AIS) en trêve depuis 1997 » (El-Watan 20 janvier 2002). M. Zerhouni a le droit de mentir pour se défendre, mais la vérité est qu’aucun disparu n’a été retrouvé à ce jour. Zerhouni n’était pas en fonction quand il y a eu le gros des disparitions, mais il ment pour couvrir ceux qui ont donné les ordres et qui l’ont nommé ministre. C’est un problème qui le dépasse et qui dépasse même Bouteflika. Le président Bouteflika n’a ni la capacité, ni la volonté de satisfaire la demande de justice réclamée par les familles de disparus. Il a créé des commissions administratives pour soustraire le dossier des disparus au collectif des familles, aux partis politiques et à la LADDH. 

Les trois armes de la lutte contre les disparitions forcées sont la vérité des faits, la force du droit et la volonté d’aller jusqu’au bout pour découvrir la vérité. 

Qu’est-ce qui empêche que la justice algérienne soit saisie pour affirmer le droit, même au prix de l’arrestation d’un général qui serait coupable de disparitions ? Ne serait-ce pas là une occasion de réhabiliter l’Etat et ses institutions et de regagner la confiance de la population ?

Les conditions politiques et juridiques ne sont pas réunies pour juger en Algérie les commanditaires des crimes contre l’humanité qui sont au sommet de l’Etat, bénéficiant de l’impunité du fait de leur prééminence au sein du pouvoir qui les absout de tous les crimes. Les juges comme les tribunaux et les cours sont soumis au pouvoir, et ne peuvent condamner les responsables des crimes commis au nom de l’Etat. Il faut faire appel à la justice internationale qui vient de faire ses premier pas. Les droits de l’Homme sont universels et ne peuvent être enfermés à l’intérieur des frontières nationales. 

La convention internationale sur la torture de 1984 fait obligation aux Etats qui l’ont ratifiée de déférer sur leur territoire, en justice, tout tortionnaire, quelles que soient sa nationalité et celle des victimes et quel que soit le pays où il a trouvé refuge et vit en exil doré ou est seulement de passage. La Cour Pénale Internationale (CPI) est opérationnelle. Tôt ou tard des dirigeants algériens rendront compte à la CPI parce que pendant la décennie sanglante la lutte antiterroriste a été menée en dehors de la légalité et au mépris des traités internationaux. Cela s’est traduit par des milliers de morts sous la torture, d’handicapés à vie, d’exécutions extra-judiciaires, etc. Pendant dix ans, les organes de l’Etat ont imposé une terreur indescriptible au peuple. Les responsables rendront compte soit à la justice nationale lorsque les conditions politiques seront réunies, soit à la justice internationale si elles ne le sont pas. L’Etat a le monopole de la violence à condition qu’il respecte les lois nationales et internationales relatives aux droits de l’Homme. Il ne doit utiliser ni la terreur ni les moyens illégaux contre les auteurs présumés de la violence, qui doivent être différés devant les tribunaux et cours de justice, et condamnés quand ils sont déclarés coupables selon la loi. L’Etat qui ne respecte pas ses propres lois est un Etat de non-droit. Le peuple algérien veut l’ordre et la paix, à condition que ce ne soit pas l’ordre des prisons, ni la paix des cimetières. 

En tant que militant des droits humains, que reprochez-vous à la politique dite de « concorde civile » initiée par le président Bouteflika lors de son accession à la présidence en avril 1999 ?

Après sa désignation à la magistrature suprême le 15 avril 1999, M. Abdelaziz Bouteflika a voulu donner « une couverture politique et juridique » à un accord conclu entre le DRS et l’AIS. Cet accord avait-il une contrepartie politique ou était-ce seulement un accord verbal sans lendemain ? Pour le chef d’état-major, le général Lamari, il n’y a pas eu d’accord mais seulement une reddition. La loi sur la concorde civile adoptée au pas de charge par le Parlement et soumise à référendum ne s’est finalement pas appliquée à l’AIS qui a rejeté les termes de repenti et de reddition et exigeait une amnistie ainsi que les honneurs de la guerre. Mais le référendum de septembre 1999 n’était qu’une élection présidentielle bis, ayant pour objet de légitimer le président mal élu et de le libérer de la tutelle de l’armée qui avait fait de lui un monarque sans autorité. 

La grâce amnistiante accordée par le décret présidentiel en date du 10 janvier 2002 à l’AIS est anticonstitutionnelle car l’amnistie relève de la compétence exclusive du Parlement. L’effet psychologique recherché par le président de la République, à savoir une reddition massive des groupes armés qui formeraient des files indiennes devant les commissions de probation, afin que le combat cesse faute de combattants, n’a pas eu lieu. Sa démarche n’est pas la solution idoine, car il ne veut pas ouvrir un dialogue avec toutes les forces politiques représentatives sans exclusion, mais imposer sa loi, qui ne relève que de lui, de lui seul, pour ne rien devoir à personne et apparaître aux yeux du peuple comme le sauveur, l’homme providentiel. 

La réconciliation nationale ne peut se réaliser sans la levée de l’impunité. Elle sera vouée à l’échec tant que les commanditaires de crimes contre l’humanité ne seront pas jugés. La véritable réconciliation nationale passe par les concepts de vérité et de justice et par un dialogue entre toutes les forces politiques comme l’a montré la réunion de Sant’Egidio qui a porté sur le contrat national signé à Rome par les forces politiques représentatives de la société algérienne. 

En quoi consiste la différence entre la « concorde civile » lancée en 1999 et la « réconciliation nationale » prônée depuis avril 2004 ?

Le président veut passer de la concorde civile, qui s’apparente à la loi sur la clémence dite de la rahma du président Zeroual, qui ne comportait aucune référence politique, à la concorde nationale ou réconciliation nationale, dont il n’a pas défini encore les contours, pour aboutir à la paix. 

Me Farouk Ksentini, qui préside la commission gouvernementale sur les disparus, a déclaré récemment à la presse que l’Etat doit assumer ses responsabilités sur ce dossier. N’est-ce pas là une avancée significative pour rendre justice aux familles de disparus ?

Me Farouk Ksentini, président de la Commission ad hoc sur les disparus, veut régler ce problème épineux en versant une indemnité aux familles de disparus. Le régime, par la voix de Me Ksentini, propose à chaque famille un million de dinars, ce qui correspond au prix d’une voiture en Algérie. 

La commission ad hoc n’a aucun pouvoir d’investigation. Elle ne comprend pas de délégués des familles de disparus. Les seules institutions en mesure de donner des informations sont le DRS, la gendarmerie, la police et la justice. Me Ksentini a déclaré que l’Etat était responsable mais pas coupable. Cette affirmation révèle qu’il n’est pas du côté des familles et ne recherche pas la justice. Il est du côté du régime et il cherche à disculper ses dignitaires. L’Etat sujet actif du droit pénal, qui fait condamner les coupables, ne peut s’exclure de la culpabilité. L’Etat est responsable et coupable. 

Qu’en est-il aujourd’hui de la torture en Algérie ? Est-elle toujours pratiquée ou bien les autorités ont-elles décidé de l’abolir dans les faits ?

La pratique de la torture est de notoriété publique et seul le pouvoir semble l’ignorer. Ce dernier tolère, cautionne et pratique l’usage de la torture, et ne prend aucune mesure pour l’enrayer et condamner les tortionnaires. La torture ne constitue pas seulement des faits isolés, des bavures, des dépassements sans plus, mais une pratique administrative courante employée de manière systématique. Elle est devenus partie intégrante des interrogatoires quelle remplace avec les moyens de la violence physique. 

En juin dernier, à T’Kout, dans les Aurès, des adolescents ont été torturés et, fait nouveau, le président du tribunal a refusé de les entendre. 

Les bourreaux ne reconnaissent jamais leurs crimes. Larbi Taher, responsable de la LADDH à Lebiod Sidi Cheikh, a été torturé en prison. La violence physique qu’il a subie était visible sur son corps, mais les magistrats l’ont accusé de mensonges. 

La torture atteint l’être humain dans ce qui lui est essentiel, à savoir sa vie, son intégrité physique, sa santé et sa dignité. Pour éviter que ne se maintiennent ou ne se reproduisent l’horreur et l’abominable qu’elle représente il faut engager un combat très ferme contre elle, un combat qu’il faut gagner car elle se nourrit du silence. 

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011

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Bel article de Meddi… tout droit sorti du « frigo »

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