Archives mensuelles : mars 2023

Le rapport d’Amnesty International 2022 (partie Algérie)

Comme chaque année, Amnesty International publie son rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde. Amnesty a analysé 156 pays. Voici le rapport 2022 concernant l’ALGÉRIE.

Publié le 28 MARS 2023

ALGÉRIE 2022

Cette année encore, les autorités ont arrêté et poursuivi en justice des personnes qui avaient exprimé en ligne des opinions dissidentes ou avaient participé à des manifestations. Elles ont aussi continué d’engager des poursuites contre des journalistes et des militant·e·s pacifiques au titre de la législation antiterroriste, et de dissoudre, ou menacer de dissolution, des associations. Des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont torturé et maltraité des détenus, en toute impunité. Les autorités ont ordonné la fermeture de trois églises et refusé de délivrer un agrément à un certain nombre d’autres ; elles ont restreint le droit à la liberté de circulation de plusieurs militant·e·s et journalistes. Trois avocats ont été traduits en justice, l’un pour avoir défendu des militants politiques, les deux autres parce qu’ils avaient dénoncé une mort suspecte en détention. Trente-sept féminicides ont été signalés ; aucune disposition législative n’a été adoptée en vue de protéger les femmes. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

Contexte

À l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a gracié 1 076 détenus le 4 juillet et octroyé une mesure de clémence à 70 autres personnes qui étaient sous le coup de poursuites pénales pour avoir participé, entre 2019 et 2022, au mouvement de protestation pacifique de grande ampleur « Hirak ».

En juillet, le roi du Maroc a appelé de ses vœux le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Algérie. Mettant en avant une série d’« actions hostiles » liées au différend qui oppose de longue date les deux pays sur la question du Sahara occidental (voir Maroc et Sahara occidental), l’Algérie avait rompu ces relations en août 2021.

Pour la huitième fois depuis 2011, le gouvernement a repoussé la visite prévue du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Liberté d’expression et de réunion

Les autorités ont muselé toute forme de dissidence, accentuant la répression généralisée de la liberté d’expression et de réunion pacifique. À la fin de l’année, au moins 280 militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et contestataires étaient toujours incarcérés pour des infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.

En mars, un tribunal d’Alger, la capitale, a condamné à deux années d’emprisonnement cinq jeunes militants du Hirak, parmi lesquels Mohamed Tadjadit et Malik Riahi, qui avaient publié une vidéo dans laquelle un adolescent âgé de 15 ans déclarait avoir été agressé sexuellement par des policiers1. Libéré en août, Mohamed Tadjadit a de nouveau été placé sous mandat de dépôt en octobre sur décision du tribunal de Sidi M’hamed à Alger, puis remis en liberté une semaine plus tard. C’était la quatrième fois en trois ans qu’il faisait ainsi l’objet d’une mesure de détention provisoire.

En avril, le tribunal criminel d’Adrar (sud-ouest de l’Algérie) a condamné à trois ans d’emprisonnement le militant écologiste Mohad Gasmi, déclaré coupable d’avoir divulgué des informations confidentielles sans intention de trahir dans le cadre d’échanges de courriels concernant l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Cet homme purgeait déjà une peine d’emprisonnement pour « apologie du terrorisme », en lien avec une publication sur Facebook dans laquelle il indiquait que la radicalisation d’un activiste algérien connu était due à l’incapacité des autorités à rendre justice à la population et à la traiter avec dignité.

Liberté d’association

Les autorités ont suspendu les activités d’au moins un parti politique et menacé de dissolution au moins deux associations. Elles ont également porté contre des membres de formations politiques d’opposition et de mouvements considérés comme hostiles des accusations fallacieuses liées à la lutte antiterroriste. Un nouveau projet de loi sur les associations était en cours d’élaboration.

À la demande du ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État a ordonné, le 20 janvier, la suspension du Parti socialiste des travailleurs (PST), qui a donc dû cesser toutes ses activités et fermer ses locaux. Le PST a présenté un recours, mais celui-ci restait sans suite et le parti demeurait suspendu. Toujours en janvier, le ministère de l’Intérieur a demandé au Conseil d’État de suspendre deux autres partis politiques, l’Union pour le changement et le progrès et le Rassemblement pour la culture et la démocratie.

En avril, Abdelrahman Zitout, le jeune frère d’un membre de Rachad, un mouvement d’opposition qualifié de « terroriste » par les autorités, a été placé en détention sur la base de multiples charges. Aucun élément susceptible d’étayer des accusations de terrorisme n’a été produit devant la justice. Abdelrahman Zitout a mené plusieurs grèves de la faim en signe de protestation contre son incarcération.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les autres mauvais traitements continuaient d’être pratiqués, en toute impunité.

Le lanceur d’alerte et militant anticorruption Mohamed Benhlima, ancien membre de l’armée, a été transféré en avril à la prison militaire de Blida, au sud-ouest d’Alger. Placé à l’isolement, il a été torturé et maltraité et s’est vu privé des colis de nourriture, de vêtements et de livres qui provenaient de l’extérieur.

Liberté de religion et de conviction

Les autorités ont invoqué cette année encore l’ordonnance n06-03 de 2006, qui établissait des restrictions visant les religions autres que l’islam sunnite, pour poursuivre en justice des adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière et ordonner la fermeture d’au moins trois églises protestantes. Depuis 2018, 29 églises ont ainsi été fermées. Aucune autorisation n’a été délivrée depuis 2006 pour l’exercice d’un culte autre que musulman.

Les autorités ont refusé de délivrer des permis de construire à l’Église protestante d’Algérie, qui comptait 47 églises dans tout le pays.

Le gouvernement a rejeté en janvier l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] selon lequel la condamnation à cinq ans d’emprisonnement d’Hamid Soudad, de confession chrétienne, pour « offense à l’islam », au titre de l’article 144 bis 2 du Code pénal, était incompatible avec le PIDCP. Le gouvernement a indiqué que les dispositions prévues dans cet article avaient pour objectif de protéger l’ordre public.

En juin, le tribunal de première instance de Béjaïa, à l’est d’Alger, a inculpé 18 adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière de « participation à un groupe non autorisé » et de « dénigrement de l’islam », au titre de l’article 46 de la Loi relative aux associations et de l’article 144 bis 2 du Code pénal, respectivement. Le juge a ordonné le placement en détention de trois de ces personnes et a remis les autres en liberté dans l’attente des résultats d’un complément d’enquête. Toutes les charges retenues contre ces personnes ont été abandonnées en novembre. Le 16 novembre, le ministre des Affaires religieuses a prononcé une fatwa (décret religieux) contre ce groupe, qualifiant ses membres d’« hérétiques » qui doivent être « condamnés et punis conformément à la loi ».

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Selon le HCR, plus de 140 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été arrêtées ou expulsées entre le mois de janvier et la mi-septembre. En outre, pas moins de 21 870 personnes ont été renvoyées au Niger en 2022.

En novembre, les autorités ont transféré de force plus de 60 hommes, femmes et enfants syriens et palestiniens de l’autre côté de la frontière avec le Niger et les ont abandonnés à leur sort dans le désert.

Droit de circuler librement

En violation de leur droit de circuler librement et en l’absence de toute décision de justice, au moins cinq militants et journalistes ont été empêchés de quitter le pays.

Lazhar Zouaimia, membre d’Amnesty International Canada possédant la double nationalité canadienne et algérienne, a été inculpé en février de « terrorisme » pour ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et le mouvement Rachad. Les autorités l’ont empêché à deux reprises de quitter l’Algérie, puis l’ont finalement autorisé à partir pour le Canada, en mai2. En septembre, un tribunal de la ville de Constantine a condamné par contumace Lazhar Zouaimia à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende.

En août, des membres du personnel de l’aéroport d’Oran et des forces de l’ordre ont interrogé le militant Kaddour Chouicha et la journaliste Jamila Loukil, et les ont empêchés de se rendre en Suisse, où ils devaient participer à des travaux de l’ONU.

Droit à un procès équitable

Les autorités ont arrêté arbitrairement des avocats, portant atteinte au droit à un procès équitable. En juin, le tribunal de première instance de Tébessa, une ville du nord-est du pays, a condamné l’avocat Abderraouf Arslane à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Arrêté en mai 2021 parce qu’il défendait trois militants du Hirak, et inculpé de diffusion de fausses nouvelles et d’infractions liées au terrorisme, cet homme avait passé plus d’un an en détention provisoire.

Les avocats Abdelkader Chohra et Yassine Khlifi ont été arrêtés en mai pour avoir protesté contre la mort d’un militant en détention, dans des conditions suspectes. Ils ont été inculpés de diffusion de fausses informations et d’incitation à un attroupement non armé. Tous deux condamnés le 15 août à six mois d’emprisonnement avec sursis, ils ont été remis en liberté le jour même.

Droits des femmes

Le Code pénal et le Code de la famille restaient illégalement discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle. La « clause du pardon » prévue par le Code pénal permettait aux auteurs de viol d’échapper à une condamnation s’ils obtenaient le pardon de leur victime. Par ailleurs, le viol conjugal n’était pas explicitement reconnu comme une infraction pénale.

L’organisation militante Féminicides Algérie a fait état de 37 féminicides déclarés dans le pays en 2022.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le Code pénal considérait toujours comme une infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, qui étaient passibles d’une peine de deux mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende.

Droits des travailleuses et travailleurs

Le droit de fonder un syndicat était toujours restreint en vertu des dispositions du Code du travail.

Comme elles le faisaient depuis 2013, les autorités ont refusé cette année encore de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération indépendante.

Le 30 avril, Nacer Kassa, coordonnateur régional du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, a été convoqué par la police de Béjaïa, qui voulait qu’il annule une manifestation organisée pour réclamer un meilleur respect des droits des travailleuses et travailleurs. Le syndicat n’a pas tenu le rassemblement prévu, mais a protesté contre l’interdiction. En octobre, les autorités de Béjaïa ont refusé, sans fournir d’explication, de délivrer au syndicat l’autorisation de tenir son assemblée générale.

Peine de mort

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort, y compris pour des raisons politiques. La dernière exécution dans le pays remontait à 1993.

Le rédacteur en chef du média d’investigation Algérie Part, Mohammed Abderrahmane Semmar, a été condamné en octobre à la peine capitale pour « haute trahison », parce qu’il avait révélé des informations à propos de contrats pétroliers algériens.

En novembre, le tribunal criminel de première instance de Dar el Beïda, à Alger, a condamné à mort des dizaines de personnes, parmi lesquelles une femme, pour le meurtre du militant Djamel Ben Smail, lynché en Kabylie (nord-est de l’Algérie) en août 2021 par une foule en colère. Cinq des accusé·e·s ont été condamnés par contumace sur la base de plusieurs chefs, notamment pour leur appartenance supposée au MAK, une organisation considérée comme « terroriste » par les autorités.

Lutte contre la crise climatique

L’Algérie n’a pas mis à jour ses objectifs d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pour s’assurer qu’ils soient en conformité avec l’impératif de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C. La législation nationale demeurait insuffisante pour protéger et promouvoir le droit à un environnement propre et sain.

Environ 10 000 hectares de forêt ont été détruits en août par des incendies qui ont fait 43 morts.


1. « Algérie. Il faut abandonner les poursuites contre des militants ayant dénoncé la torture infligée à un mineur en garde à vue », 22 mars 

2. « Algérie. Il faut lever les interdictions de voyager visant des militant·e·s de la diaspora », 6 mai 

De Marseille à Tuktoyaktuk

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(POUR UNE LECTURE ORDONNÉE DE L’HISTOIRE, commencer par la page X – la dernière – et remonter jusqu’à la page 1)

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 2_ Suite et fin de l’histoire. 

De Marseille à Tuktoyaktuk- [29/30 et 30/30] : 

Omar active le démarreur et enclenche la vitesse automatique. La Ford Fiesta fait quelques dizaines de mètres, s’engage dans la Dempster. Elle semble prise de soubresauts. Omar recommence la manœuvre. L’engin a des ratés. Il avance encore de quelques mètres et les convulsions reprennent. Il finit par s’immobiliser. Il ne peut plus avancer. Le moteur ne démarre plus. Le voyant « moteur » reste allumé de manière permanente. Véro descend du véhicule, se met à l’arrière et pousse de toutes ses forces. Omar s’irrite, s’énerve. Il commence à pester, « il faut revenir à la station ! »

Arrive un 4X4 sorti lui aussi du motel. Il s’arrête à leur niveau. Trois des occupants en descendent. Ils se mettent à l’arrière de la Ford et poussent à leur tour autant qu’ils peuvent jusqu’à la station. Omar se précipite vers la boutique, oubliant de remercier les trois hommes. Il demande au patron de lui porter secours. Peu après arrive un mécanicien. Il commence par essayer de faire redémarrer la voiture, mais n’y parvient pas. Il s’informe sur ce qui s’est passé. Omar dit qu’il n’en sait rien. Le mécanicien s’acharne à trouver l’origine de la panne. Au bout de longues minutes, il demande à Omar s’il a bien mis du carburant. Omar répond par l’affirmative, « oui, ici-même, j’ai rempli pour 60 $ ». Le mécanicien vérifie la jauge, puis demande à voir le certificat d’immatriculation du véhicule. M. Beauséjour, le patron, arrive à son tour. Le mécanicien demande à Omar le type de carburant qu’il a pris. « Diesel » dit Omar. L’intuition du mécanicien se révèle exacte. La tête qu’il fait est à la hauteur de la gravité de la situation : « You didn’t put the correct fuel ! » Puis il s’adresse à son patron en lui montrant le certificat d’immatriculation. M. Beauséjour est bilingue. Il écoute son employé avant de traduire aux Marseillais. Omar avait globalement compris le mécanicien. Il sursaute et répond que sur la carte grise il est bien indiqué « gazoline ». « Précisément, dit le patron, gazoline, mais vous vous êtes servi en diesel. » « Hé bien oui, j’ai mis du diesel, ou gazoline comme vous dites ». Omar était jusque-là persuadé que l’on disait ‘gazoline’ au Canada, comme on dit ‘diesel’ ou même ‘gasoil’ en France ou en Algérie ou en Belgique. « No » fait M. Beauséjour, « Oh no ! » Omar ne sait plus. Tout se confond maintenant dans son esprit. Le patron voit l’effroi plaqué sur le visage des Marseillais. Il tente de les rassurer, de dédramatiser autant qu’il peut, en demandant à son employé de vider le réservoir du véhicule. Le mécanicien ouvre la trappe puis le bouchon et essaie d’introduire dans le bec de remplissage un tuyau qu’il est allé chercher dans un hangar afin d’aspirer le carburant, mais en vain. Impossible d’ouvrir l’obturateur. Omar et Véro se regardent. Ils sont complètement abattus. Ils prennent de plus en plus clairement conscience que le rêve de voir Inuvik et sa mosquée est en train de s’évanouir. Ou de s’effriter. De s’évaporer. En ce moment précis leur esprit est confus. Énervement et tristesse se mélangent. Omar pose la paume de sa main sur son front. Il s’éloigne, revient, la main immobile sur sa tête. Il ne sait plus quoi faire, quoi dire. Véro est dans le même état. Sa main, placée sur sa bouche, est figée. Ses yeux sont absents, vides maintenant de toute expression. M. Beauséjour rejoint son bureau où il entreprend par téléphone les démarches nécessaires. Il revient au bout de quinze minutes. Il lève les bras comme pour invoquer une fatalité. Omar demande à téléphoner à l’agence. La communication qu’il a avec l’employé de Budget est houleuse. « Les frais de remise en état du véhicule reviennent à la charge des clients. » dit l’agent. « Et l’assurance, et l’assurance ! » crie Omar, mais c’est en vain. Il est là au bord de la crise de nerfs, d’une attaque. M. Beauséjour demande à son chauffeur-mécanicien de se préparer à transporter la Ford jusqu’à Whitehorse sur le camion de dépannage et l’autorise à emmener dans sa cabine les deux Marseillais, si toutefois ils acceptent cette offre qui est aussi celle de l’agence de location. Les gestes qu’effectue Omar suffisent pour expliquer qu’ils n’ont de choix que celui d’abandonner aux portes de la station-service leur rêve de fouler les espaces d’Inuvik, les tapis de la mosquée des Inuits et les sous-sols gelés de Tuk, Tuktoyaktuk.

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Lors du retour vers Whitehorse, les premiers kilomètres se font dans un silence de désolation. Le chauffeur, embarrassé, tente de temps à autre de détendre l’atmosphère, notamment lorsqu’il s’approche d’une aire de repos ou d’un Tim Horton. Il parle du temps qu’il fait, propose un café à emporter, mais manifestement, le cœur de ses passagers n’y est pas. 

Au fil des kilomètres, il réussit à détendre l’atmosphère. Il leur parle des problèmes des régions du Nord, de la vie quotidienne. Véro et Omar lui expliquent combien ce voyage leur tenait à cœur. Ils en parlent encore, lui essaie de les réconforter. Il leur demande s’ils tiennent à s’y rendre, à Inuvik, à Tuk. L’atmosphère est détendue. Il s’appelle Boogie Anaviak. Il leur parle de sa famille, du territoire du grand Nord, l’isolement, l’irruption malsaine des compagnies pétrolières. Il leur dit les difficultés de la Dempster. « L’avion s’est beaucoup mieux ». C’est cher mais pas trop. Et d’autres choses encore. Véro et Omar lui donnent quelques informations sur la vie quotidienne en France, en Europe, les distances tellement petites entre les villes, innombrables, la pollution. Les kilomètres défilent et la discussion roule aussi vite que le camion-dépanneur. Boogie leur offre un café chez Tatchun Centre, près de la station-service de Carmacks, là-même où ils ont fait le complément de carburant, celui qu’il ne fallait pas. Ils continuent d’échanger. Les Marseillais sont-ils sur le point d’oublier leur mésaventure ? Boogie dit qu’un de ses proches travaille chez Alkan Air, une agence de voyage à Whitehorse spécialisée dans les vols charters en monomoteur vers Inuvik. Il nous aidera avec plaisir. Le vol c’est plus cher, mais très agréable. À Inuvik, vous irez dans ma famille, « no problem ». Boogie habite à Inuvik « à cause du travail », le reste de sa famille réside à Tuk.

La discussion se poursuit jusqu’à Whitehorse. À cette heure-là, l’agence Budget est fermée ainsi que le parking où ils ont stationné le Westfalia. Ils prennent une chambre dans le même hôtel que le conducteur, le Yukon Inn, dans le centre-ville. Leur discussion se poursuit avec Boogie au restaurant de l’hôtel et une bonne partie de la soirée avec photos et vidéos de son ordinateur. Il leur parle de la « Tundra mosque » avec grand sourire. Il y était le jour du grand repas, « itw as a great party, o yah ! »  « I’m here, look ! » Il est assis avec des amis, il porte la même casquette qu’aujourd’hui, ce que fait remarquer Omar en riant.

Le lendemain matin, devant l’agence de location, juste avant de restituer le véhicule endommagé, Omar propose à l’homme, désormais leur ami, les jerrycans de carburant dont ils n’ont plus besoin, non sans préciser « diesel », sans rire et sans faire de l’esprit, ce serait malvenu. Le chauffeur-mécanicien accepte et les remercie chaleureusement. Bien sûr, ils échangent leurs coordonnées téléphoniques.

  • On te rappellera demain, promis. Nous avons besoin de réfléchir un peu plus.
  • N’hésitez pas surtout.

À l’agence de location de voitures, l’employé leur rappelle ce qu’il leur avait signifié la veille au téléphone, à savoir que « les frais de remise en état du véhicule ne sont pas pris en charge par l’assureur, car manifestement l’incident vous incombe à vous, pas à notre agence. » Carte bleue : 1600 dollars canadiens. Ils ont transféré leurs effets dans le Westfalia stationné dans le parking de la société.

Le temps ne permet pas à Omar et Véro d’envisager un nouveau départ en direction d’Inuvik ou de Tuktoyaktuk, à tout le moins par route. Ils sont fatigués. Ils ont besoin d’un temps de repos, de remise en état. Et puis leurs jours sont comptés. Ils en discutent entre eux. Ils n’excluent pas du tout la proposition de Boogie. Dans l’esprit de Omar, deux visions complémentaires se côtoient. La première est celle d’une barge transportant une petite mosquée sur le Mackenzie, de Hay River à Inuvik. La seconde est celle d’un petit avion l’emportant lui et Véro encore plus haut dans les Grand territoires. Fouler le plancher tapissé de la mosquée d’Inuvik et les sous-sols gelés de Tuktoyaktuk ne peut demeurer un rêve inassouvi. C’ est une promesse dont il est impossible de faire l’impasse. Ils se décideront le lendemain.

* * *

Quant à moi, je vous remercie d’avoir partagé ce carnet de voyage, du premier au dernier jour de ramadan. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas le dernier. Merci encore. Je vous dis joyeux aïd.

Ahmed HANIFI. 

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ET BELLES VIDÉOS À LA SUITE

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Monique Hervo est décédée

Je suis très peiné par la disparition de Monique Hervo,  ce lundi 20 mars 2023. Elle a tant donné aux Algériens, à la Révolution. Je l’apprends par un petit encadré dans le Quotidien d’Oran de ce matin. Monique Hervo mérite non pas un ridicule un espace de quelques lignes, mais des pages entières sur plusieurs jours et dans plusieurs journaux. Et des conférences et des films… Monique Hervo était la bonté, l’empathie et l’engagement personnifiés. (voir la vidéo en bas de l’article)

Monique Hervo a fait ce que sa conscience lui commandait de faire, au grand jour. Elle n’a jamais rien demandé. La nationalité algérienne lui a été attribué il y a cinq ans.

J’en ai fait un personnage dans mon dernier roman, « Le choc des ombres ». Voici quelques extraits :

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(…) « Quelques mois plus tard, en août, alors que son épouse s’apprêtait à accoucher, Kada s’alarmait, car avec ces choses-là il ne savait comment s’y prendre. Heureusement, une jeune bénévole du Service civil international, très dévouée fit le nécessaire pour qu’une sage-femme dont elle était proche se déplace jusqu’à leur taudis. Kada l’appelle « Madame Monique ». C’est une jeune femme élégante, de taille moyenne, à peine plus âgée que la sienne, quatre ans de plus. Ses cheveux noirs sont coupés court. C’est une dame au cœur aussi grand que ses convictions, autrement dit aussi grand qu’on y logerait la générosité du monde. Depuis quelques années, elle s’était engagée dans les chantiers de volontariat international après avoir été scout de France. Elle qui vécut une partie de son enfance dans un hôtel meublé du 18e arrondissement de Paris sait ce que signifie l’habitat précaire. Depuis le grand incendie du carré nord du bidonville, « à côté de la gare de triage », la bénévole passait des nuits entières avec des familles en détresse. La sage-femme ne connaissait pas le bidonville et risquait de perdre beaucoup de temps, c’est pourquoi « Madame Monique » se rendit sur le lieu des rendez-vous, au 127 rue de la Garenne chez Ali le gérant du café-hôtel, à La Folie, pour attendre son amie. « Le 127 » est une adresse connue par tous les Algériens de Nanterre. La plupart d’entre eux l’utilisent. Moins pour l’hébergement — l’affichette scotchée sur la porte indique souvent « coumpli » — que pour siroter un café ou un thé avec les amis en écoutant M’hamed El Anka, Slimane Azem, Farid El Atrache, Lina l’Oranaise, ou Fadéla Dziria. C’est aussi leur adresse postale. La sage-femme examina Khadra. Elle la rassura et lui certifia que l’accouchement était très proche. Depuis une semaine Monique se présentait tous les jours pour s’enquérir de la santé de Khadra, réduisant par conséquent ses interventions dans les autres bidonvilles. Le six août c’est en taxi que toutes les trois, Monique, la sage-femme et Khadra se rendirent à l’hôpital de Nanterre. C’était bien la première fois que Khadra quittait le bidonville sans son mari, ou même derrière lui. Monique resta à son chevet jusqu’à l’heure de clôture des visites. Le lendemain elle revint à la première heure autorisée. Messaoud naquit à l’aube du samedi sept, « à deux heures ». Monique se chargea d’enregistrer le nouveau-né, puis de régulariser leur mariage à l’état civil où on avait l’habitude de ce type de situation. Mais cela nécessita quelques semaines néanmoins. Ainsi, Messaoud naquit avant le mariage civil de ses parents. Il en fallut des papiers. (…)

Au cinéma, les Parisiens préfèrent les blondes comme Marilyn ou un Premier rendez-vous avec Danielle Darrieux. Les habitants du bidonville invitent souvent Monique à reprendre du thé et à rester un peu plus avec eux. À ses côtés ils sont rassurés, presque heureux de découvrir qu’il n’y a pas que de la haine qui est offerte à l’étonnement de leurs yeux. Monique Hervo transcrit au mieux qu’elle peut leur parole sur des feuilles blanches avec une plume trempée dans l’encrier bleu de Waterman qu’elle transporte toujours dans son gros cartable. Elle écrit à leurs familles restées au bled des lettres qu’ils lui dictent comme ils peuvent, avec une infinie précaution chargée de retenue et de respect. Elle écrit à l’administration, leur explique toutes sortes de démarches à entreprendre, comment utiliser les médicaments…

(…) Il prit peur et aussitôt se déprécia de se laisser gagner par cet état et les tremblements qui s’emparaient de ses jambes, mais c’était au-delà de ses forces. Il tenta de se ressaisir, fit demi-tour. La peur gagnait d’autres manifestants. Des enfants et des femmes couraient dans tous les sens et, de nouveau, Kada pensa à sa famille, à ses fils. Monique avait promis de passer à la maison, comme souvent les mardis, pour consacrer une heure de son temps — qu’il ne lui viendrait jamais à l’esprit de compter — au petit Messaoud pour qu’il apprenne à lire correctement et comprenne la leçon. Mais le matin il avait entendu dire que Monique avait la ferme intention de se joindre aux manifestants. Il la revoyait dans ses pensées. Il l’entendait : « Messaoud, retiens bien ceci, le mot qui dit ce que font les personnes, les animaux, ou les choses… » Kada ne savait plus, il ne retint pas la suite, « est un verbe, un verbe. » Il la voyait, penchée sur son enfant « lit Messaoud, lit : la fille rit. Le chat miaule. Le train roule. » Et Messaoud reprenait les phrases écrites sur son premier livre de grammaire française, à la lueur de la bougie, en faisant glisser son doigt le long des jambages et traverses des lettres, et il répétait encore à la demande de Monique : « la fille rit… » Kada sourit à cette pensée. Comment son fils, qui n’a que sept ans, pouvait saisir ce que lui-même ne comprend pas ? Des policiers, groupés, chargèrent de plus belle : « ratons ! », « fellouzes ! », « crouillats ! » La présence des Français musulmans d’Algérie dans les rues est perçue comme un défi, comme la violation du couvre-feu instauré pour eux seuls, dès 20 h 30.

(…) Lorsqu’au printemps 1962 Kada apprit qu’on lui avait attribué un logement, il ne sut comment exprimer sa gratitude à Monique, car sans son aide il n’est pas sûr qu’il aurait bénéficié de quoi que ce fut. S’il fallait aux autorités montrer leur fermeté à l’encontre du FLN, il leur fallait également montrer qu’elles prenaient en considération les revendications du puissant parti communiste et des nombreuses associations qui ne cessent depuis des années d’attirer leur attention sur l’insoutenable quotidien des familles dans les bidonvilles autour de Paris. Le premier week-end de septembre, Kada emménagea dans un logement de la Cité des grands prés. Plusieurs officiels étaient là, ainsi que des agents de l’ordre public. Kada était content de quitter La Folie et plus content encore que Monique fut présente. « Si je suis arrivé là, c’est grâce à toi Monique » lui dit-il, « tu restes manger le couscous ». D’autres familles bénéficièrent de logements identiques. La cité de transit est constituée d’un ensemble de baraquements individuels de même forme, de même surface, semblables dans la couleur, alignés comme les soldats d’une armée alpine. Depuis que Khadra l’avait rejoint, Kada rêvait, la nuit comme le jour, d’un abri décent et ils en discutaient souvent. (…)

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Cliquer ICI sur ce lien pour voir la vidéo avec Monique Hervo

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BOUDJEDRA, KHADRA

Cela a commencé par la lecture de ce texte outrancière ment violent de Yasmina Khadra qui répond semble-t-il à un autre de Rachid Boudjedra.

Voici le texte de Khadra sur sa page FB, puis repris par « Chroniques algériennes » récemment.

J’ai volontairement ajouté les commentaires de utilisateurs de Facebook.

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Dans l’ordre…

C’est dire l’envergure ! Mais…. je n’ai pas lu le livre à l’origine de tout cela, le livre de Rachid Boudjadra, « Les contrebandiers de l’Histoire » (ed Frantz Fanon, 2017)


Voici mon mot du 20 mars et les commentaires qui ont suivi

Et les commentaires

Ce matin, mardi 21 mars, j’ajoute un mot et ces pages des deux romans dont j’ai extrait hier les phrases.

Mon mot:

L’écriture de Rachid Boudjedra (81 ans),« Faulknérienne », une écriture qui se mord la queue (en spirale, circulaire), traverse toute son œuvre. Il use aussi du monologue intérieur, malmène en quelque sorte les schémas classiques d’écriture. Ses textes sont parfois fragmentaires. Il scrute de l’intérieur, les profonds mouvements sociétaux, il dénonce l’ordre sociétal établi, la violence qui traverse la société. Boudjedra use de l’inter et de l’intratextualité. Boudjedra se définit comme un artiste. Elle est loin, très loin de l’écriture de Khadra. Un mot pour dire que depuis quelques décennies, Boudjedra écrit en arabe, puis il adapte (différent de traduire) en français ses propres textes. Est-ce le cas pour tous ses écrits ? à vérifier. Il demeure, dans la durée, l’un des plus importants (sinon le plus important après Kateb Yacine) auteurs algériens. L’écriture mise à part, il est insupportable (trop long à détailler).

Je joins ici (à la suite de ces pages des romans) une vidéo concernant l’autre auteur. Il s’agit d’une émission très célèbre de France Inter (et très ancienne, créée en 1955 !). Écoutez-la. Ces critiques littéraires de l’incontournable « Masque et la plume » sont « sans pitié » comme on dit.(CLIQUER SUR LE LIEN, EN BAS DE CETTE PAGE, EN ROUGE)

Les pages…

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION « LE MASQUE ET LA PLUME » à propos de Yasmina Khadra

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VOIR AUSSI:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2021/02/739-yasmina-khadra-est-un-ecrivain.html

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