De Marseille à Tuktoyaktuk

[03/30] : Omar et Véro atterrissent à Montréal le samedi deux juillet à 17h30, heure locale, avec chacun une valise, les deux sont noires avec des bandelettes grises, inimitables, et un sac à dos. Noir est celui de Omar, Denim celui de Véro plus son sac à main ordinaire. Neuf mois se sont écoulés depuis la lecture de l’article sur la mosquée d’Inuvik. A L’aéroport Pierre-Elliott Trudeau ressemble à une gigantesque ruche en effervescence. La file interminable des voyageurs avance pas à pas dans un long couloir en S, fait de rubans et de piquets. L’incommodité et l’inconvenance des questions de l’agent de la police de l’air perturbent le souvenir du calme qui a régné au-dessus de l’Atlantique durant les huit heures et troublent chez quelques vacanciers la quiétude qui, jusque-là, avait empli leur cœur. Le préposé au contrôle des passagers entrant au Canada insiste:

  • Vous allez où ?
  • À Montréal, puis…
  • Vous avez des animaux ?
  • Non
  • Pas d’objet contondant ? » 
  • Non.
  • Vous n’avez pas de viande crue, de foie gras, de saucisson, de boiss…
  • Non.

 

Les réponses que donne Omar, la multiplicité des « non », ne semblent pas convaincre l’agent de la PAF. Avec un feutre rouge, il entoure une des cases de la carte de déclaration. « Passez par là s’il vous plaît. » lui ordonne-t-il. Et par là il indiquait la voie qui mène vers les douaniers, à une petite centaine de mètres. Ils lui réclament la fiche de déclaration puis, comme leurs collègues de la police de l’air, ils posent des questions :

  • Vous restez à Montréal ?
  • Non.
  • Vous allez où ?
  • Yellowknife, puis Whitehorse et Inuvik 
  • Pourquoi Inuvik ?
  • Pour voir la petite mosquée.
  • Vous êtes musulman ?
  • Je suis journaliste.

À la suite de ces réponses à l’interrogatoire, Omar subit une fouille complète de ses affaires et de son corps. Les agents douaniers ont beau signifier avec un sourire nerveux qu’ils suivent à la lettre un protocole qui leur est imposé,  cela n’empêche pas Omar de penser que sa physionomie et son nom agissent comme des signaux d’alerte,  clignotent dans leur cervelle comme un gigantesque feu rouge. Une atmosphère toute européenne, pense Omar. Kifkif. L’officier découvre et saisit un cubitainer de cinq litres de vin enfoui dans le sac à dos et qu’Omar n’a pas déclaré. Le douanier ne semble pas surpris, à peine lui reproche-t-il de mentir. Puis il lui fait signer un document sans lui infliger d’amende. « C’est un cadeau monsieur l’agent ! ». Il y avait dans le regard de l’officier une lueur qui disait qu’on ne la lui fait pas à lui. Et il avait raison, la loi c’est la loi. Il fait bien de ne pas croire ce qu’il entend. Et puis, cette mosquée d’Inuvik fait trembler toute une partie de l’équipe de douaniers qui n’avaient jamais entendu parler d’un lieu de culte musulman dans les TNO. Ils sont plus indulgents avec Véro qui affiche un visage de glace devant leurs sourires déplacés et tant de zèle insolent. Il semble à Omar avoir passé deux heures avant de récupérer les bagages. 

En s’éloignant, la tension baisse peu à peu. Ils s’installent à la cafétéria Van Houtte pour reprendre leurs esprits, grommeler quelques amabilités torrides à l’endroit des fervents fonctionnaires et boire un jus de fruits, avant de monter dans l’autobus 747 qui les conduit au centre-ville, son terminus. Ils arrivent à l’hôtel du Nouveau Forum, à une centaine de mètres derrière le Centre Bell. L’hôtel est une construction cubique massive et sombre de deux étages, à l’allure de coffre-fort, qui contraste avec les mots affables de la réceptionniste qui sourit franchement en tendant à Véro deux fiches à renseigner. Mais les Marseillais sont éreintés par le poids des valises, des sacs à dos, du voyage, et de l’accueil douanier. Ils remplissent les formulaires et rejoignent leur chambre en silence. 

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(‘‘La suite au prochain numéro’’, le [04/30])

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