Archives mensuelles : octobre 2022

Annie Ernaux, prix Nobel

ANNIE ERNAUX PARLE DE SON ECRITURE _ 1984, « APOSTROPHES »

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Annie Ernaux « La Place » ⎜ Archive INA – Bernard Pivot, Apostrophe – 6 avril 1984 Annie ERNAUX présente son livre « la Place »  – Avec les interventions de Georges Emmanuel CLANCIER et d’Alain BOSQUET- Archive INA Institut National de l’Audiovisuel. AH 20221011

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Contexte historique

Par Johanna Pernot

Annie Ernaux est une écrivain contemporaine, connue pour ses écrits autobiographiques.

Née en 1940 en Seine-Maritime, à Lillebonne, elle passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot, dans un milieu modeste. Dès avant sa naissance, ses parents se sont affranchis de leur condition d’ouvrier en achetant un café-épicerie à Lillebonne. Ils rêvent d’ascension sociale, pour eux et leur fille. Alors que celle-ci a cinq ans, ils acquièrent un café-alimentation à Yvetot. Annie, qui grandit dans ce café, au milieu de la clientèle, obtient de bons résultats à l’école. Après des études universitaires à Rouen, elle devient institutrice puis professeur certifiée en 1967. Elle est reçue à l’agrégation de lettres modernes en 1971. Au début des années 1970, elle enseigne dans un collège d’Annecy, puis à Pontoise, avant d’intégrer le CNDP. En 1974, son premier roman autobiographique, Les Armoires vides, signe son entrée en littérature. En 1983, elle rencontre le succès avec La Place. De nombreux récits autobiographiques vont suivre, dont Passion simple, en 1991, qui relate une liaison à l’âge adulte ou La Honte en 1997, davantage centré sur le couple parental et la quête d’un traumatisme originel, social et sexuel. Dans Les Années qu’elle publie en 2008, l’auteur commente des photographies d’elle-même qu’elle intercale, dans son récit à la troisième personne, avec des souvenirs choisis pour leur portée historique ou sociologique. « Les images réelles ou imaginaires » construisent une vaste fresque qui court de l’après-guerre à nos jours. Dans L’Autre fille, Annie Ernaux adresse en 2011 une lettre à sa sœur qu’elle n’a pas connue, morte de la diphtérie à l’âge de six ans. La même année paraît son anthologie, Ecrire la vie, qui réunit la plupart de ses écrits autobiographiques, précédés de cent pages de photos et d’extraits de son journal intime et inédit.

L’autobiographie au sens strict, telle que la définit Philippe Lejeune, est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Elle requiert une homonymie explicite entre auteur, narrateur et personnage. En scellant un « pacte autobiographique », l’autobiographe s’engage à être sincère sur son identité, et le lecteur à le croire. L’autobiographie passe par des étapes-clés, comme le portrait physique, social et moral de la personne, le récit des origines et de l’enfance, les épreuves affrontées… Les Confessions de Rousseau, qu’on considère comme le modèle fondateur du genre, pose déjà un des problèmes de l’autobiographie : celui de la véracité et de la bonne foi de l’auteur. Deux cents ans plus tard, Sartre, avec Les Mots et le recours à l’intertextualité et la parodie, mine définitivement les principes du récit autobiographique. À la définition de Philippe Lejeune, on pourrait donc préférer une notion plus large, qui inclurait l’autofiction, mais aussi les correspondances et les interviews, les albums de photos… À partir des années 60, le récit autobiographique se diversifie et se généralise dans les bibliographies des écrivains. Il prend plus récemment une nouvelle orientation : pour se dire, l’auteur se décentre. Le récit autobiographique initie alors un va-et-vient entre soi et autrui, identité et altérité, comme en atteste La Place d’Annie Ernaux.

Cette autobiographie de cent pages, rédigée entre novembre 1982 et juin 1983, relate l’ascension sociale des parents d’Annie, leurs conditions de travail et leurs espoirs. L’écrivain rend hommage à son père. Il décède deux mois après qu’elle-même a « trahi » son milieu d’origine en devenant professeur de lettres. Le récit, fait de paragraphes qui s’interrompent brutalement, rend compte de la difficulté de dire. Sa sécheresse révèle la douleur latente et la difficulté de parler, entre membres d’une même famille.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée par Bernard Pivot en 1975, Apostrophes s’impose rapidement comme l’émission littéraire de référence à la télévision. Ce salon littéraire moderne remplit parfaitement sa fonction de démocratisation culturelle. Diffusée tous les vendredi soirs pendant quinze ans, l’émission accueille en direct plusieurs invités venus débattre autour d’ouvrages dont Pivot lit de nombreux extraits. Instigatrice de certains succès, révélatrice de phénomènes littéraires, mais aussi lieu d’affrontement des idéologies, Apostrophes connaît une forte audience (plus de 2 millions de téléspectateurs). De l’ivresse scandaleuse d’un Bukowski à l’interview exclusive d’un Soljenitsyne en passant par les entretiens à domicile de Yourcenar ou Duras, l’émission a fortement marqué la mémoire télévisuelle (voir Florilèges de l’émission Apostrophes). Pour les professionnels de l’édition, le passage par Apostrophes est devenu crucial en vertu de sa capacité à lancer le succès d’un livre – à l’instar de La Place, prix Renaudot 1984.

La lecture initiale de Bernard Pivot oriente la discussion sur le style d’Annie Ernaux et son refus du roman. Les plans rapprochés révèlent le visage à peine fardé de l’auteur, qui, l’attitude humble, le regard un peu fuyant, résume la vie très modeste de son père et sa « toute petite ascension sociale », de paysan à petit commerçant.

En refusant délibérément la fiction mensongère du roman, Annie Ernaux respecte l’ambition originelle de toute autobiographie : dire la vérité, sur soi et son entourage. La création d’un personnage aurait nécessairement embelli son père. Au contraire, le choix d’une « écriture plate », sans commentaire, lui permet de raconter objectivement l’histoire paternelle. Le style dépouillé se veut à l’image d’une vie marquée par la nécessité.

Les écrivains et critiques Alain Bosquet et Georges-Emmanuel Clancier soulignent l’un après l’autre le paradoxe de cette écriture : la pudeur, la simplicité des phrases laissent affleurer les émotions. L’ascétisme du style rend le récit d’autant plus touchant.

Le débat s’achève sur l’articulation tragique entre parole et écriture. « On ne parlait plus le même langage » déclare Annie Ernaux. C’est parce que le père ne maîtrise pas « le beau langage » de la culture dominante, et que la communication devient impossible, que la fille se tourne vers l’écriture et consomme la rupture avec son milieu d’origine.

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Rencontres méditerranéennes de Lourmarin

Les Rencontres de cette année ont commencé ce vendredi 30 septembre avec un atelier à destination d’élèves du primaire, animé par Brigitte Lannaud Levy, « autour de la réalisation d’un portrait d’Albert Camus », puis avec une exposition photo de Carole Charbonnier « à partir du travail réalisé au sein de la maison d’arrêt de Paris La Santé, en partie autour de l’Étranger » et en soirée avec une « lecture musicale de l’Étranger par Réda Kateb accompagné du pianiste Didier Davidas ».

Le samedi matin nous avons eu droit à trois belles interventions de Paris Lounis « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger », d’Alexis Lager et de Maître Georges Girard « sur le thème du procès de Meursault dans l’Étranger en perspective avec l’actualité. »

(CF VIDÉO ICI EN BAS DE PAGE)

D’autres animations sont prévus les samedi après midi et soirée ainsi que le lendemain dimanche avec diffusion entre autre d’un film de Joel Calmette « Camus avec nous  » en présence du réalisateur.

J’ai assisté aux interventions de ce samedi matin. La première notamment avec le remarquable travail de Faris Lounis (voir vidéo ici en bas de page).

Sur le plan anecdotique j’ai noté cette clarification à propos de « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud.

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_ Catherine Camus confirme ce que j’écrivais dans un article que j’ai fait publier par Le Quotidien d’Oran le 30 mai 2017, (voir le lien en bas de page). J’y rapportais avec Kaoutar Harchi que je cite que Kamel Daoud avait dû modifier des passages de « Meursault, contre-enquête » pour que son roman soit accepté par les lecteurs français, mais prioritairement par les éditeurs, par ce « système éditorial qui a le monopole de légitimer ou déligitimer un texte », et par les ayant-droit. 

Voici un extrait : « On s’aperçoit alors que le produit célébré en France n’est pas celui édité en Algérie, ‘‘c’est le projet dépolitisé par le franchissement littéraire’’ où Albert Camus est célébré, mais où la ‘‘petite voix »’’ de Kamel Daoud a été étouffé. L’accueil réservé à Kamel Daoud, cette reconnaissance littéraire a pour effet d’infléchir le discours de l’auteur qui se trouve obligé de l’adapter ‘‘à l’horizon d’attente des consacrants et plus largement du lectorat français’’ constate Katouar Harchi »… K. Daoud bascule d’un « acte littéraire engagé » (dans la version algérienne de Meursault, contre-enquête) écrit la sociologue à un « hommage appuyé à Camus » (dans la française).

Kamel Daoud avait alors réfuté le contenu de notre article et plus encore le pavé de Kaoutar Harchi. Cinq années ont passé depuis. Il ne s’agit pas de « quelques phrases » mais « beaucoup ».

Ce samedi matin, 1° octobre 2022, avait lieu la deuxième journée (sur trois) des « Rencontres méditerranéennes de Lourmarin » avec de très intéressantes interventions dont celle de Faris Lounis très appréciée, « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger ».

Lorsque la parole fut donnée au public, madame Catherine Camus est intervenue (par moment, je ne saisissais pas trop bien ce qu’elle disait, notamment parce qu’ inaudible, mais pas que…) Voici ce que j’ai bien entendu : « En ce qui concerne Kamel Daoud (dont le livre « Meursault, contre-enquête » a été évoqué), on doit beaucoup de choses à Alexandre ( probablement son collaborateur Alajbegovic ) dans ce livre parce que quand on l’a reçu, ça commençait par : ‘‘l’assassin habitait au 93 rue de Lyon’’ (Alger), donc c’était nommément Meursault, Camus, je ne sais pas… et Alexandre me dit ‘‘mais on ne peut pas laisser ça comme ça, quand même !’’ Je dis ‘‘ Oui, mais attention, parce que, attention, si je dis quelque chose ‘‘Le Monde’’ (certainement le quotidien parisien) va me tomber sur le paletot en me disant que j’ai attaqué un Arabe (madame Camus dit « Arabe » en appuyant sur les syllabes. Donc j’ai téléphoné directement à Kamel Daoud, poursuit-elle, qui a été très sympa et qui me dit « Oh ben si… » (elle mêle les mots de KD aux siens) « vous pouvez pas commencer comme ça, c’est pas possible. Vous associez papa à l’Arabe, à … (inaudible). Il m’a dit « Oh ben s’il s’agit de changer deux ou trois occurrences c’est pas un problème ». Donc on en a changé BEAUCOUP (C.C appuie sur le mot). Entre ce qui est sorti en Algérie et ce qui est sorti en France, il y a de grosses différences »…

Oui, de grosses différences. Ni Kaoutar Harchi, ni moi-même n’avons repris « des thèses diffamatoires » comme KD me l’a écrit.

 Lire ici l’article en question (cliquer)

ou ici LE QUOTIIDIEN D’ORAN (30.05.2017)

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CLIQUER ICI POUR VOIR EXTRAITS VIDEOS DES RENCONTRES DU SAMEDI MATIN

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