Les jeunes auteurs au SILA

« En Algérie, nous devons payer pour être édités »

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Photo: DR

Huffpostmaghreb.com – 08/11/2019

Par Fayçal Métaoui

Des jeunes auteurs algériens se sont plaints, lors d’un débat organisé jeudi 7 octobre au 24ème Salon international du livre d’Alger (SILA), au Palais des expositions des Pins maritimes, des mauvaises conditions d’édition dans le pays. “En Algérie, nous devons payer pour être publiés. Il y a pas de comités de lecture chez les maisons d’édition. L’auteur doit faire sa propre promotion en allant sur youtube ou sur les réseaux sociaux. Il peut trouver un public, mais pas forcément des lecteurs. Les éditeurs ne donnent aucune importance aux couvertures qui souvent n’ont pas de rapport avec le contenu du livre. Il n’y a pas de correcteurs. L’écrivain est dans un mouvement continu de haut et de bas, ne sait pas où va aller”, a dénoncé Said FetahinePour Mohamed Salah Karef, prix Mohammed Dib 2016, rien n’est facile en Algérie pour les jeunes auteurs. “Là où j’habite(Djelfa), il n’y a pas du tout de livres, pas de librairies. Je me dis que mon souci principal est d’écrire un texte de qualité. Si je pense aux difficultés de se faire éditer, je ne ferais rien”, a-t-il dit. “Il suffit d’avoir de l’argent et votre texte est édité. Rapidement, vous devenez écrivain. Après, l’auteur, qui se précipite pour publier ses textes, va payer les frais. On réduit l’auteur à une somme d’argent. Si les autorités en charge du livre avaient donné de l’importance à cette situation, les maisons d’édition n’auraient pas osé imposer leurs lois et leurs méthodes à l’auteur et aux librairies. L’auteur est réduit à payer pour éditer son livre, mais n’est pas sûr que son livre soit distribué par manque de librairies”, a regretté Nahed Boukhalfa, qui a obtenu le prix Assia Djebbar 2018 pour son roman “Destination d’un homme optimiste”.

“L’écriture est révolution”

Nesrine Benlakhal a estimé, pour sa part, que les éditeurs sont « d’abord des commerçants ». “Ils ne reçoivent pas de soutien du ministère de la Culture. Donc, ils éditent pour vendre plus. Il n’y a pas de lecture, de relecture ou de correction des textes. On se retrouve avec des livres mal faits et de mauvaise qualité en raison du fait que l’auteur verse une somme d’argent pour se faire publier. Cette situation est anormale”, a-t-elle relevé. Ahmed Boufahta est allé dans le même sens en disant que ce phénomène de “payement contre publication” est devenu visible ces cinq dernières années. “Cela va avoir des répercussions négatives sur la littérature algérienne”, a-t-il prévenuWalid Grine dit avoir attendu depuis 2015, la publication de son recueil “Ala hafatou al rassif” (Sur la bordure du troittoir), paru cette année aux éditions ANEP. “Mon livre devait sortir aux éditions Alpha. On m’a demandé de supprimer une histoire, m’autocensuer en d’autres termes. Chose que j’ai refusé. J’ai eu ensuite trois autres mauvaises expériences avec des éditeurs. A chaque fois, on ne m’a pas donné d’explications sur le refus de publication”, a-t-il confié. “L’auteur cherche la consécration littéraire à travers des textes de qualité, des textes soignés, alors que l’éditeur est en quête de gains commerciaux. Nous devons aller vers une véritable industrie du livre”, a relevé Said Fetahine. Revenant au débat littérataireNahed Boukhalfa a estimé que l’écriture est elle même une rébellion. “L’écrivain qui réussit est celui qui suscite le débat et qui se rébelle. L’écriture est révolution », a-t-elle souligné. « L’écriture me permets de dire qui je suis, de dire ce que je veux et à quoi je veux arriver. L’écrivain doit exprimer son opposition, son avis contraire, son refus. Il n’est pas là pour écire des rapports. Ce qu’il écrit est déjà révolutionnaire. L’écriture prouve l’existence”, a repris, pour sa part, Nesrine Benlakhal. Ahmed Boufahta a appelé, lui, à clarifier certains termes comme “rebellion”, “refus” et “révolution”. “Certains, parmi les jeunes auteurs, pensent que la rébellion est de dépasser les coutumes, ne pas respecter la morale, tordre le cou aux croyances religieuses. La nouvelle mode est d’insulter Dieu. J’aurai aimé qu’on lie la notion de “rebellion” à un genre littéraire particulier et pour des sujets définis. La révolution contre les choses sacrées ne donne pas forcément une nouvelle littérature”, a-t-il noté.

“L’imagination doit être utile à la société”

L’écrivain, selon Said Fetahine,  porte la révolution à l’intérieur de lui même. “Il écrit d’abord pour que la justice sociale soit une réalité, pour que la parole soit donnée aux minorités. Lorsqu’il écrit, le romancier est entre les vagues du réel et les ouragans de l’imagination. Dans mon roman, j’ai imaginé un chat qui s’appelle Kafka parlant à une employé d’une bibliothèque qui n’aime pas les livres”, a-t-il plaidé en parlant de son roman, “Al Arabi al akhir” (le dernier arabe). Pour Mohamed Salah Qaref, l’écrivain aborde dans son écriture ce qu’il sait déjà et ce qu’il a déjà vécu. “Il doit répondre à la question : comment écrire sur soi-même et sur ce qui est partagé par tout le monde en même temps ? L’écrivain qui réussit est celui qui sait se cacher dans sa propre écriture, ne pas se dévoiler”, a-t-il tranché. “Nous écrivons sur le réel avec des noms fictifs. Tout ce que nous racontons dans nos livre a trait à des événements ayant déjà eu lieu en d’autres temps. Nous donnons une image à ces événements avec des personnages imaginaires. L’imagination doit être utile à la société, sinon ça ne sert à rien”, a noté Nahed Boukhalfa. Ahmed Boufahta s’est appuyé sur les théories post-modernes pour souligner que l’auteur s’efface désormais face à “la puissance” du lecteur qui, au final, aura le dernier mot.

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