Joyeux Yennaïr

Pub Mobilis- Le Quotidien d’Oran- L 11.1.2021

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Joyeux Ennaïr (ou Ennayer ou Yennayer)

Ennaïr* de mon enfance à Oran

Je me souviens du jlid qui nous paralysait à l’intérieur de notre unique pièce,

Je me souviens des gerçures qui parcouraient les mains de nenna,

Je me souviens du kanoun qu’elle sollicitait plus encore ce jour-là,

Je me souviens des cheveux de jais de ma mère qu’à l’occasion elle parfumait au zit zitoun,

Je me souviens du kholkhal autour de sa cheville, 

Je me souviens de la couleur brune du meswek qui embellissait son sourire,

Je me souviens des sacoches noires de elbeciclita verte de mon père,

Je me souviens qu’elles étaient pleines de fruits secs,

Je me souviens que certains résistaient à nos assauts : amandes, noisettes, noix,

Je me souviens que d’autres s’y pliaient : dattes, raisins, figues, cacahuètes,

Je me souviens de la maïda qui, exceptionnellement, débordait de cherchem, de couscous, de lben 

Je me souviens aussi de l’inévitable la mouna qui se faufilait entre les mets,             

Je me souviens du mkhalet de halwa – bonbons, réglisse, coco, chewing-gum – étranglé par une cordelette, une ficelle, ce qu’on trouvait,

Je me souviens de la pièce de khamsa douros, parfois deux, que mon père nous tendait, retenues fermement entre ses pouce et index, 

Je me souviens de lawalimoun dont on abusait, et des mini bougies blanches, 

Je me souviens qu’on fixait les chmaâ dans des boites de conserve qu’on avait  préalablement 

trouées de sept ou neuf trous, du nombre je ne me souviens plus,

Je me souviens qu’on les faisait tourner près du corps comme la grande roue d’une fête foraine,

Je me souviens qu’on allait ainsi en courant jusqu’à Covalawa

Je me souviens – c’était bien plus tard – des souvenirs d’enfance de Pérec, de sa Disparition.

Je me souviens. 

ah – janvier 2018

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* Si d’aventure vous ne comprenez pas la Derja, ce qui suit est pour vous :


Derja : c’est une des langues vernaculaires des Algériens.

Ennaïr : ou Yennayer. Premier jour de l’an du calendrier agraire, le 12 janvier.

Jlid : vent glacé.

Nenna : ma grand-mère.

Kanoun : réchaud en terre cuite.

Maïda : table basse. 

Cherchem : plat épicé à base de pois-chiches, de fèves et de blé bouillis. 

Zit-zitoun : huile d’olive.

Kholkhal : bracelet en argent.

Meswek : écorce de noyer séché que les femmes mâchouillent. Il embellit les lèvres comme un rouge à lèvres naturel, et valorise par contraste les dents (précisions in internet).

Elbeciclita : ou biciclita, bicyclette, ici vélo.

Lben : lait fermenté.

La mouna : brioche pied-noir, d’origine espagnole (dit-on), qu’on consommait à Pâques.

Mkhalet : petite bourse emplie de toutes sortes de halwa.

Halwa : friandises, sucreries.

Chmaâ : pluriel de chemâa, bougie. 

Covalawa : ou Cueva d’el agua. C’est le nom d’une zone située près de la jetée, au bas du quartier Gambetta, à l’est d’Oran. Jusque dans les années 60, c’était un important bidonville.

Douro : le douro est une ancienne monnaie espagnole. A Oran, fortement peuplée d’Espagnols, on disait douro plutôt que francs. Un douro équivalait à une pièce de 5 francs, puis au printemps 1964 de 5 dinars.

Lawalimoun : ou agua limon. Eau sucrée au citron.

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Clin d’oeil de Dilem à l’actualité (américaine)

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Nous entrons ce jour dans un nouvel an berbère. Le Quotidien d’Oran lui réserve deux articles. Le premier en page intérieure régionale « est » (page 9)

le second en page « Culture » (p 16) que voici

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El Watan, 12 janvier 2021

Yennayer, le jour de l’An amazigh, un des éléments du patrimoine immatériel le plus fédérateur de la mémoire collective de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, a un goût particulier cette année dans la wilaya de Béjaïa.

On s’est vite rendu compte, après avoir tâté le terrain et pris le pouls des rares préparatifs, que cette fête s’annonce avec beaucoup moins de faste et de solennité que les années écoulées. Même son désormais statut officiel, suite à son intégration dans le calendrier national des fêtes légales, n’y change rien.

La pandémie de la Covid-19 est passée par-là. La crise sanitaire et la contrainte du confinement ont plombé les activités habituelles de célébration. Mais pas que. Le manque de subvention a refroidi les ardeurs des organisateurs de la société civile. «Les associations de notre commune sont à court d’argent. Elles ne peuvent pas organiser une quelconque activité», nous apprend Chafik Abaour, maire de Sidi Aich. «Nous n’avons encore reçu aucun sou dans la caisse. Nous n’avons rien prévu pour Yennayer.

Hormis le déplacement de la statue d’Axel vers le centre-ville d’Ighzer Amokrane et son installation sur un socle. Mais la date de l’opération n’est pas encore arrêtée», souligne Ali Tabet, un des animateurs de l’association Horizons activant dans la commune d’Ouzellaguen. A hauteur du chef-lieu de wilaya, un collectif d’associations a pris son courage à deux mains pour marquer l’événement. Une exposition d’objets traditionnels se tient du 9 au 15 janvier dans l’enceinte de La Casbah.

Il est en outre programmé des balades culturelles à travers les monuments et sites historiques de l’ex-ville des Hammadites, ponctuées par des agapes collectives autour de l’incontournable couscous. Des expositions, des conférences et des ateliers pour jeunes ont également lieu à la maison de la culture et à la bibliothèque communale.

Dans la vallée de la Soummam, Béni Maouche est l’une des rares communes à avoir concocté un programme d’activités consistant pour Yennayer. On annonce pour la matinée du mardi 12 janvier l’inauguration du stade de football du village Aguemoune. L’APC a contribué à hauteur de 110 millions de dinars au financement de cet équipement public.

Les villageois ont mis la main à la pâte et à la poche pour mener l’ouvrage à bon port. «Les citoyens d’Aguemoune ont réuni la somme de 3,5 millions de dinars, mobilisé des engins et réalisé quatre mois de volontariat pour achever ce stade, qui a englouti plus de 20 millions de dinars», nous confie Mokrane Labdouci, le P/APC.

Pour la circonstance, il est prévu un match de gala mettant aux prises l’équipe du village Aguemoune et des vétérans issus des équipes du MOB et de la JSMB. Un couscous est ensuite offert aux convives.

L’après-midi est consacrée à une conférence dans la salle de délibération de l’APC de Trouna (chef-lieu communal), suivie d’une pièce de théâtre et de chants traditionnels berbères.

Dans la commune de Tazmalt, nous informe Sofiane Achour, président de l’association Espoir, les citoyens de la cité Kasdi Merbah, au chef-lieu communal, organisent une exposition centrée sur la thématique de Yennayer et un sacrifice suivant le rite de Timechret. Le même rite sacrificiel est annoncé par l’association Main tendue du village Nord, l’association de la cité des Horloges, les résidants du village Sud, la population du village Ikhervane et l’association Tagmats du village Tiouririne. Une opportunité pour exalter les valeurs de convivialité et de solidarité et sceller la communion entre les villageois.

Dans les autres localités de la Soummam, d’Ighram à Seddouk, en passant par Akbou et Ouzellaguen, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est, bien sûr, le traditionnel dîner de Yennayer. Du couscous aux «sept ingrédients», agrémenté de la viande de volaille. Un plat qui convoque traditionnellement la fratrie et, au-delà, toute la lignée vivante de la famille. Le tout dans une ambiance empreinte de bonhomie et de sérénité.

Par Maouche

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El Watan, le 10 janvier 2021 

Par M’hamed H

Tipasa : La célébration de Yennayer 2971 «à huis clos»

En raison de la pandémie, la célébration du Nouvel An berbère cette année se déroulera à huis clos dans la wilaya de Tipasa. Abdelkader Bouchelaghem, enseignant universitaire à la retraite, animateur actif des émissions en tamazight au niveau de la radio régionale de Tipasa, nous accueille dans sa petite boutique.

Il commence à nous relater les premiers pas de la célébration de Yennayer à Tipasa. Il s’agit de l’organisation du festival du Daynan, des tentatives de la création du mouvement berbère chenoui (MCC) durant le passé. Les autorités de Tipasa, sous l’ère des walis Frikha Hacène et Laroussi Abdelwahab, avaient organisé des semaines des arts et culture chenouis à Gouraya, Cherchell et Tipasa. Ces festivals, organisés avec peu de moyens et des montagnes de volonté, attiraient beaucoup de monde pendant la décennie 90.

Cet événement est mis aux oubliettes hélas depuis le début des années 2000. L’adhésion des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, pour célébrer Yennayer, n’avaient pas suscité l’intérêt des décideurs locaux.

Cette manifestation culturelle, qui avait permis aux familles de la wilaya de Tipasa de découvrir la richesse des us et coutumes de leurs différentes régions, le génie de leurs aînés dans la fabrication des outils utilisés dans le passé lointain pour travailler la terre et surtout la création des copieux mets, afin d’afficher leurs appartenances, autant d’aspects instructifs, sont ignorés. Abdelkader Bouchelaghem se laisse aller involontairement dans le récit historique sur l’appellation d’origine berbère des trois pays du Maghreb, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie.

«Je vous recommande de lire le livre de Mohamed Chibani, pour plus de détails, car c’est bien la France qui a fait les frontières au niveau de l’Afrique du Nord», nous dit-il. Notre interlocuteur ne s’arrête pas dans son récit. Il revient sur la définition d’origine berbère de «Tefsa», avant d’arriver au nom de Tipasa. L’année berbère a commencé en 950 AV JC. «Assegas Amegaz pour cette année», nous déclare-t-il. Yennayer, une date qui coïncide avec le 12 janvier est devenue une journée fériée.

Cela est insuffisant, car le combat doit continuer. Les dernières années, Abdelkader Bouchelaghem, le métronome infatigable invitait les associations, les poètes, les historiens, les artistes afin d’animer l’arrivée du nouvel an berbère, à travers les expositions des œuvres d’arts et les anciens outils de travail traditionnel dans l’agriculture, la poésie, les conférences suivies des débats, la présentation des arts culinaires de chaque région de la wilaya et les chants pour permettre aux jeunes de mieux connaître le sens et la philosopie de Yennayer. Abdelkader Bouchelaghem utilisait alors les ondes de la radio locale de Tipasa pour permettre aux familles de vivre l’événement.

Ces auditrices et auditeurs, pour diverses raisons, avaient été empêchés de rejoindre l’annexe de l’ONCI de Chenoua, lieu qui abritait la manifestation purement culturelle. «En ce 12 janvier 2021, pour respecter le protocole sanitaire, les familles vont utiliser les réseaux sociaux pour communiquer et perpétuer la célébration en attendant des jours meilleurs», indique-t-il.

Notre interlocuteur a le souffle long. Une pluie fine fait son apparition dans les rues, le ciel est bas, la nuit se lève à grands pas, nous demandons alors «l’autorisation» à notre interlocuteur de partir. Courtois, sympathique, un sourire timide, il est arrivé à transmettre son message à travers El Watan. «Assegass Amegaz depuis Tipasa à votre journal, ses employés et vos lecteurs», conclut Kader, le chenoui, avec son timide sourire, celui d’un grand-père.

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Liberté du mardi 12 janvier 2021

REPORTAGE

Dans l’atlas blidéen, sur les traces des traditions amazighes qui résistent au temps

La terre et l’histoire

Liberté, le 12-01-2021 par Mohamed Mouloudj

Tibboura, Tala Amrane, Tachwit, Tamaksawt, Taghzout, Tifarine, Timsirt, Danes, Gar Ougalmime, Baânsar… La toponymie de la région, à cheval entre Blida et Médéa, fait vivre une culture et des traditions millénaires.

“C’est ici que je suis né. J’y ai vécu et je ne peux être moi-même que sur ma terre.” Voilà une phrase qui résume le sentiment d’appartenance à une terre. Celle de Thourtathine sur les monts de Médéa, sur le versant est de l’Atlas blidéen. Dans ce territoire suspendu entre le ciel et les plaines de la Mitidja, la disparition de tamazight (le zénète) n’a pas pour autant rompu le lien qui unit ses enfants à leur terre. La voix de la terre natale finit toujours par résonner là où la surdité a pris place. 

La perception de l’appel de la terre est d’abord cet attachement atavique qui incite à réintégrer les siens. Le recul ou la quasi-disparition de la langue amazighe fait presque perdre son âme à cette région montagneuse. “La langue est le miroir et le portrait de l’âme”, dit un proverbe italien. John Le Carré écrivait dans La taupe : “Posséder une autre langue c’est posséder une autre âme (…)” Il semble, à première vue, que ces deux citations renvoient à la fidèle expression qu’une langue peut véhiculer.

Toutefois, l’âme, aussi éthérée qu’elle soit, garde en son tréfond la marque d’une vie antérieure qui s’est transmise de façon magique. Tout cela porte un nom. C’est cette appartenance à un groupe social, culturel et linguistique qui la distingue des autres. Lors d’une virée dans l’Atlas blidéen, dans les méandres de cette culture amazighe qui tend à laisser place à d’autres emprises, des indices persistent non seulement à marquer, mais aussi à rappeler cette appartenance à une culture qui se meurt, certes, mais qui revit à travers une toponymie qui tient lieu de garde-fous, de barrières qui protègent un héritage que nul ne veut voir disparaître. 

L’Atlas blidéen, un lieu où se meurt l’amazighité, domine des vallées, mais souffre, hélas, d’indigence. Un dénuement qui détruit une vie, celle d’un peuple. La capitale et Blida au Nord, Médéa au Sud et Bouira à l’Est, ce croisement n’est au final que ce continuum qui dissimule une richesse culturelle et linguistique ensorcelante. Région rurale par excellence, l’Atlas blidéen est un haut lieu d’Histoire. 

Une langue unique, une appartenance qui s’étend au fin fond des âges et aussi un imaginaire social qui se reconstruit peu à peu. Une prise de conscience pour briser les chaînes qui la ligotent à une sphère culturelle et linguistique disparate, conçue par des images sans lien sociologique ou historique à une région que toutes les violences ont écrasée pour mieux l’asservir.  

(…)

Yennayer, une fête, une mémoire 
Sur le chemin qui mène de Hammam Melouane à la montagne, Boualem, un jeune agriculteur aborde Mohamed et Dda Amar. Il ne parle pas le zénète. “Dommage”, répond-il, sauf que pour lui, Amar Djerroudi est là pour le leur apprendre. “J’ai quitté la région avec ma famille pour cause de terrorisme, donc nous avons perdu l’usage de la langue, car dans la plaine, les gens ne parlent pas zénète”, a-t-il expliqué. Sur sa moto, Boualem fait le va-et-vient entre la montagne et chez lui en ville. “Je suis éleveur, mais les conditions sont difficiles, d’ailleurs la route n’a été bitumée que récemment”, dit-il.

Interrogé sur Yennayer, Boualem a précisé que cette fête “Assegas”, a-t-il dit, est fêtée d’une manière désintéressée et magnanime chez lui. “Nous fêtons l’an amazigh chaque année”. Sans chercher à connaître la signification, Boualem considère que ce “rite” est un legs qu’il faut garder. Dda Amar, en revanche, ne cesse d’aborder le sujet. Il raconte dans les moindres détails la fête de Yennayer. Il commence d’abord par expliquer que le zénète qu’il parle “est pur”. “À Yennayer, nous préparons des plats traditionnels et nous le fêtons en famille”, a-t-il dit, expliquant que sa défunte mère “préparait Tassabount, du miel, du beurre, de la viande sèche, du couscous d’orge…, et la fête durait parfois deux à trois jours”.

Amar Djerroudi ne compte pas garder “son trésor” pour lui-même. “Je transmets aux jeunes tout ce que j’ai appris, ce dont je me souviens et tout ce que je connais de l’histoire de la région”, a-t-il dit. Sur cet autre versant de l’Atlas blidéen, la situation est tout autre. Les conditions de vie sont meilleures et l’activité agricole vivrière ne domine pas la vie économique locale. Cet “avantage” a fait en sorte que les gens s’intéressent depuis quelque temps à l’histoire. Sur les réseaux sociaux, des groupes de débats et de partages ont été créés. L’histoire, la civilisation, la langue…, y sont constamment abordées et débattues. 

Othmane Mohamed en fait partie. Féru d’agronomie et d’histoire, il s’y intéresse pour raviver une racine, une langue et une culture. Dda Amar, quant à lui, est la mémoire de la région. Un rôle capital dans la prise de conscience dans la région. Pour Mohamed “ceux qui ont initié le combat identitaire ne se doutaient pas que c’est à partir des patelins de Kabylie que l’espoir de toute une nation est né. Cet espoir de vie de toute l’Afrique du Nord viendra exhumer des pans entiers d’une histoire enfouie dans nos âmes”. 

Mohamed évoque le mouvement populaire, le terrorisme, la politique, tamazight… Sans complexe, il estime que tamazight n’est plus ce qu’elle était. “Elle est là. C’est une réalité qui s’impose à tous”, dit-il. Dda Amar Amellal a salué la prise de conscience des jeunes. “Ils veulent apprendre et se réapproprier l’histoire. Tout est à leur honneur. C’est encourageant et cela me donne de l’espoir”, a dit Dda Amar. 

Qu’en sera-t-il dans les années à venir ? Ces jeunes auront-ils toute latitude de réparer cette “entorse” à l’histoire ? Nos deux Zénètes sont convaincus. Ils font appel à l’organisation de colloques sur la région, son histoire, ses traditions et sa langue. Les spécialistes sont désormais interpellés.
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