CONFINEMENT LUXUEUX D’UNE BOURGEOISE ?

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La toile s’affole…

« Je vais faire ma Leila S. ce matin. J’espère que Le Monde publiera ma prose immortelle… » ironise S. Bachi. D’autres : « Le ‘‘Journal de confinement’’ de Leïla Slimani est proprement indécent… un texte ‘‘déplacé’’ qui dit l’hébétude ‘‘d’une bourgeoisie qui se rêve écrivain, écriture en temps de pandémie mais qui n’exhibe que sa folie de classe, à l’heure où les gens meurent’’. « la romantisation du confinement est un privilège de classes. Alors que l’autrice rédige ses carnets de bord de sa maison de campagne, ‘‘les ouvriers partent travailler au péril de leur vie, tout s’effondre’’… »

Après lecture du texte de La Goncourt, je dois dire que finalement, il n’y a pas ici de quoi fouetter un chat. Les critiques que j’ai lues sont plutôt sévères, il eut pire. On a lu pire comme texte égocentré ou baignant dans le cynisme. Non, et sans préjuger des articles à suivre, il en y a bien d’autres de chats à fouetter. Par-dessus le marché, pour atténuer son propos – peut-être que Slimani avait envisagé le pire – elle écrit : « À la télévision, un homme qui était, j’en suis sûre, bien intentionné, a dit que nous étions tous à égalité face à cette épreuve et que nous devions nous unir. Mais nous ne sommes pas à égalité. Les jours qui viennent vont au contraire creuser, avec une cruauté certaine, les inégalités. Ceux qui ont peu, ceux qui n’ont rien, ceux pour qui l’avenir est tous les jours incertain, ceux-là n’ont pas la même chance que moi. Pers, je lui tire la langue, sans plus.

Toutefois, en attendant la suite, voici la chronique « Jour1 » (merci Sabrina F. et Mira M. de Facebook).

Le « Journal du confinement » de Leïla Slimani, jour 1 : « J’ai dit à mes enfants que c’était un peu comme dans la Belle au bois dormant » Le Monde 18.03.2020

Jour 1. Cette nuit, je n’ai pas trouvé le sommeil. Par la fenêtre de ma chambre, j’ai regardé l’aube se lever sur les collines. L’herbe verglacée, les tilleuls sur les branches desquels apparaissent les premiers bourgeons. Depuis vendredi 13 mars, je suis à la campagne, dans la maison où je passe tous mes week-ends depuis des années. Pour éviter que mes enfants côtoient ma mère, il a fallu trouver une solution. Nous nous sommes séparés, sans savoir dans combien de temps nous nous reverrions. Ma mère est restée à Paris et nous sommes partis. D’habitude, nous remballons le dimanche soir. Les enfants pleurent, ils ne veulent pas que le week-end se finisse. Nous les portons, endormis, dans la cage d’escalier de notre immeuble. Mais ce dimanche, nous ne sommes pas rentrés. La France est confinée et nous restons ici.

Je me demande si je n’ai pas rêvé. Ça ne peut pas être. Cela ressemble aux histoires qu’on invente à Hollywood, à ces films que l’on regarde en se serrant contre son amoureux.

Tout s’est arrêté. Comme dans un jeu de chaises musicales. Le refrain s’est tu, il faut s’asseoir, ne plus bouger. Un, deux, trois, soleil. Tu as perdu, il faut recommencer. D’un coup, le manège a cessé de tourner. Il y a une semaine, je faisais encore la promotion de mon dernier roman. Je me réjouissais de rencontrer des lecteurs dans les librairies de France. Certains disaient, « Je vous fais la bise, ça n’a jamais tué personne », et d’autres se moquaient de moi quand je refusais les selfies ou les poignées de main. « On ne va quand même pas croire à ces conneries », ai-je entendu. Il faut bien y croire puisque c’est là, puisque nous voilà cloîtrés, calfeutrés. Puisque jamais l’avenir n’a paru aussi incertain.

Nous sommes confinés. J’écris cette phrase mais elle ne veut rien dire. Il est 6 heures du matin, le jour pointe à peine, le printemps est déjà là. Sur le mur qui me fait face, le camélia a fleuri. Je me demande si je n’ai pas rêvé. Ça ne peut pas être. Cela ressemble aux histoires qu’on invente à Hollywood, à ces films que l’on regarde en se serrant contre son amoureux, en cachant son visage dans son cou quand on a trop peur. C’est le réel qui est de la fiction.

J’aime la solitude et je suis casanière. Il m’arrive de passer des jours sans sortir de chez moi et quand je suis en pleine écriture d’un roman, je m’enferme pendant des heures d’affilée dans mon bureau. Je n’ai pas peur du silence ni de l’absence des autres. Je sais rester en repos dans ma chambre. Je ne peux écrire qu’une fois mon isolement protégé. Le confinement ? Pour un écrivain, quelle aubaine ! Soyez certain que dans des centaines de chambres du monde entier s’écrivent des romans, des films, des livres pour enfants, des chansons sur la solitude et le manque des autres. Je pense à mon éditeur qui va crouler sous les manuscrits. « Chronique du coronavirus », « Quarante-cinq jours de solitude ». Je devrais me réjouir, tenter de tirer quelques pages de cette expérience folle. Mais je n’arrive pas à penser ni à écrire. Je ne parviens pas à me concentrer sur le livre que j’ai ouvert et qui traîne sur mon lit depuis des heures. Je regarde de manière compulsive les informations, je relis dix fois les mêmes articles, je cherche quelque chose mais je ne sais pas quoi. Je suis dans un état de sidération c’est-à-dire privée de mots, de sensations. Comme si j’avais reçu un coup de poing en plein visage et que j’essayais, lentement, de me relever.

A la télévision, un homme qui était, j’en suis sûre, bien intentionné, a dit que nous étions tous à égalité face à cette épreuve et que nous devions nous unir. Mais nous ne sommes pas à égalité. Les jours qui viennent vont au contraire creuser, avec une cruauté certaine, les inégalités. Ceux qui ont peu, ceux qui n’ont rien, ceux pour qui l’avenir est tous les jours incertain, ceux-là n’ont pas la même chance que moi. Je n’ai pas faim, je n’ai pas froid, j’ai une chambre à moi d’où je vous écris ces mots. J’ai le loisir de m’évader, dans des livres, dans des films. Le matin, je fais classe à mes enfants, et pour l’instant nous gardons notre calme. Pour expliquer le principe du confinement, je leur ai dit que c’était un peu comme dans la Belle au bois dormant. Pour que la princesse ne meure pas en se piquant au doigt, les fées ont pris la décision de l’endormir, elle et tous ses proches, pendant cent ans. Nous aussi, nous allons devoir prendre du repos, rester chez nous et un jour, tout comme le prince sauve la belle d’un baiser, nous pourrons nous embrasser à nouveau.

Nous rêvions d’un monde où on pourrait, depuis son canapé, regarder des films, lire des livres, commander à manger. Nous y voilà, ne bougez plus, vos vœux sont exaucés.

Mon fils demande : « C’est parce que la planète est fatiguée ? ». Oui, lui dis-je, tu dois avoir raison. Cette pauvre planète est épuisée, elle prend sa revanche, elle nous assigne à résidence. Comment s’empêcher de voir, dans ce qui nous arrive, une certaine ironie ? Celui qui écrit cette pièce à huis clos ne manque pas d’humour. Monde de solitudes, nous voilà esseulés. Monde de virtualité, nous voilà réduits à n’exister, à ne nous parler, à n’interagir qu’à travers des écrans. Monde inhospitalier, nous voilà enfermés. Nous rêvions d’un monde où on pourrait, depuis son canapé, regarder des films, lire des livres, commander à manger. Nous y voilà, ne bougez plus, vos vœux sont exaucés. Il y a dix jours nous scandions « on se lève et on se casse. » Mais il n’y a plus, à présent, nulle part où aller.

Mon fils est assis à la table de la salle à manger. Je lui apprends l’imparfait. « C’est quand on parle d’autrefois. » Et le futur. « Pour ce qui arrivera demain. » Je regarde ses petits doigts glisser sur la feuille et quelque chose, dans son application, dans son souhait de bien faire, me serre le cœur. Je me rends compte que je ne sais plus faire de multiplications. Je ne l’avoue pas et je cache mon portable sous la table pour utiliser ma calculatrice. Aujourd’hui, j’ai proposé un exercice. « Faites un portrait du coronavirus » et mes enfants ont dessiné des monstres colorés, aux yeux rouges et aux doigts couverts de griffes. « On l’aime ce virus. C’est quand même grâce à lui qu’on est en vacances. » Attendons la suite.

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Si vous l’avez adressez-la moi, merci, je complèterai.

J’ai écrit plus haut que les réactions au texte de Slimani furent nombreux, voici un exemple. Un texte de Diane Ducret paru hier 19 mars 2020 dans Marianne intitulé :

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Je pourrais vous dire que depuis ma fenêtre, Paris n’a jamais été si belle depuis que les hommes l’ont désertée. Que j’ai regardé l’aube se lever sur les immeubles, que j’ai vu les cerisiers japonais fleurir, que cela sentait bon le printemps. Que les mouettes appelant le touriste sur l’île Saint-Louis au loin m’ont fait penser aux vacances d’été à Belle-île-en-mer. Qu’en préparant mon café, j’ai songé à la Joconde prisonnière du Louvre, esseulée elle aussi, se languissant des regards émerveillés posés sur elle, au Baiser de Rodin, à ces amants de marbre que personne ne photographie plus.

Au foyer de l’Opéra de Paris, qui se demande où ses danseurs prodigieux ont bien pu passer depuis qu’ils l’ont quitté. Aux cygnes du jardin du Luxembourg qui s’en veulent d’avoir voulu mordre les enfants qui approchaient leurs doigts d’un peu trop près. A ces livres de la bibliothèque Sainte Catherine, qui soupirent d’ennui à présent qu’aucun doigt humide ne vient tourner leurs pages. Je pourrais vous dire que malgré la peur, je ne me sens pas seule car je suis entourée de ces trésors iconiques, et que, décidée à vivre ce confinement comme dans un roman, enivrée par les premières senteurs du printemps, et ouvert la fenêtre et mis la vie en rose… Mais je ne suis pas Leïla Slimani.

LA DERNIÈRE CUITE ET UN SUICIDE

Résumons. Samedi dernier je regardais Edouard Philippe annoncer la fermeture des bars, cafés et restaurants pour le soir même, à minuit. Dans le bar en bas de chez moi, la fête battait son plein. La dernière cuite avant la fin du monde venait de commencer. Les fêtes de Bayonne et le premier de l’an réunis en un samedi soir apocalyptique. On se prend par le cou, on s’embrasse. Tout le monde s’est transformé en Cendrillon d’un soir, craignant de voir minuit sonner et que le bar ne se change en citrouille. Une musique assourdissante fait trembler la fenêtre de mon deux pièces au 5ème étage, d’où mon voisin de palier, âgé de 80 ans, s’est suicidé quelques jours plus tôt, apprenant que la propriétaire du misérable studio qu’il louait depuis vingt ans voulait vendre l’appartement. Gentrification et loi du marché font bon ménage quand il s’agit de passer un coup de balai sur les vieux, les pauvres, les éclopés.

Dimanche, enfermée chez moi depuis déjà deux jours, j’ai vu les images de parisiens prenant des bains de soleil sur les quais de Seine, dans les parcs, comme des amnésiques joyeux. L’homo sapiens latin n’aime assurément pas obéir, tout impératif lui est insupportable. Sans doute les français sont-ils trop existentialistes, « l’existence précède le bon sens ».

PUNITION COSMIQUE

Lundi soir, fidèle au poste sur mon canapé, j’ai vu le Président annoncer la mise en quarantaine de la population pour le lendemain à midi. Quand on vit seule, dans un appartement aux dimensions modestes, et que l’on est loin de chez soi, ces mots vous pètent les tympans comme une déflagration. C’était comme si après une année de gilets jaunes et un hiver du mécontentement sur la réforme des retraites les français étaient punis d’avoir manifesté trop longtemps. Nous recevons une punition cosmique nous clouant à la maison comme dans une fable de Lafontaine « Vous avez défilé tout l’été, eh bien confinez-vous, maintenant ! ».

Le lendemain matin, j’ai fait la queue pour accéder à un supermarché. La bise était venue, pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau dans les rayons. Je ne savais pas quoi acheter, j’avais peur, j’aurais voulu pouvoir rentrer chez mes parents, qu’on me dise que tout irait bien.

DE DEUX MAUX LEQUEL CHOISIR ? 

Mais je n’ai qu’une grand-mère, en province. Elle a 88 ans, une santé de fer, s’enorgueillit-elle toujours, mais jusqu’à quand ? Son aide à domicile est confinée, comment pourra-t-elle se faire à manger ? Aller la retrouver pour veiller sur elle et risquer de l’infecter si je suis porteuse du virus, rester ici et la laisser dépérir seule, de deux maux lequel choisir ?

J’ai vu aux informations de 13H des Parisiens quitter Paris pour leurs maisons de campagnes, leur résidence secondaire. De préférence au bord de la mer. Les célibataires, les petits salaires, les banlieusards, les sans famille, les gens en somme, nous n’avons nulle part où aller. Nous n’avons pas de vie de secours.

CEUX QUI N’ONT DE VIE DE SECOURS 

Pendant ce temps, dans un univers parallèle ordonné par les frères Grimm, Leïla Slimani nous livre son journal de confinement dans Le Monde. Depuis sa maison de campagne à colombages, dans laquelle, nous précise-t-elle, elle passe habituellement tous ces week-ends. Face aux collines que l’aube vient colorer, son camélia est en fleurs et le tilleul bourgeonne, comme c’est charmant. Avec son mari et ses enfants, ils jouent à « dessine-moi un coronavirus ». Les bambins dessinent un monstre, mais un monstre gentil, puisqu’il leur offre des vacances.

Pour Leïla Slimani, le coronavirus, c’est un peu La Belle au bois dormant (sic). Son journal de bord emploi la sémantique du conte, tout y est, les monstres et la bonne fée, la campagne enchanteresse. On met en scène l’enfant qui demande si la terre se venge car « la planète est fatiguée ? ». On en appelle la bonne conscience écologique du lecteur tandis que l’on cravache sa mauvaise conscience chrétienne.

LA QUARANTAINE, UNE AUBAINE…

Pour elle, une quarantaine, c’est « une aubaine ». Du temps pour soi, pour écrire et lire, se retrouver. Dans des centaines de chambres s’écrivent les nouveaux Goncourt, nous rassure-t-elle. C’est affreux ce qui se passe, la misère c’est horrible, surtout de loin, « ça ressemble aux histoires qu’on invente à Hollywood, aux films qu’on regarde en se serrant contre son amoureux en se cachant dans son cou quand on a trop peur ». Où l’expérience du confinement entre le conte de fée et le teen movie.

A tout le moins, nous ne vivons pas la même expérience. Si pour Leïla Slimani, le confinement est tel un conte de fée, je me sens plutôt dans un roman picaresque. Je suis le picaro, de rang social peu élevé, sans honneur ou marginal, aspirant à la liberté et espérant trouver sa survie en faisant preuve de débrouillardise.

MARIE-ANTOINETTE JOUANT À LA FERMIÈRE

En découvrant ses mots, je m’en suis voulue de songer que Marie-Antoinette jouant à la fermière à Trianon n’aurait pu être plus éloignée de la peur, l’angoisse du peuple. Une crise sanitaire agit comme un révélateur d’inégalités sociales. De notre devise « liberté égalité fraternité » dont nous sommes si fiers, que reste-t-il lorsque nous sommes attaqués ? Sitôt que notre chère, si chère liberté est remise en cause, l’égalité se montre un idéal et non une réalité.

Nos élites intellectuelles me semblent parfois hors sol, comme si la révolution française n’a pas eu lieu dans tous les domaines, et que seule une certaine classe sociale était autorisée à exprimer le goût de l’époque. Hélas, les écrivains, penseurs et artistes ne se cantonnent pas nécessairement à trois arrondissements bourgeois du centre de Paris, je regrette que Le Monde l’ait oublié.

Depuis ma fenêtre, on ne voit pas le ciel. L’immeuble d’en face est sale, les rues vides me filent des angoisses cafardeuses. Se faire décaniller par un virus dans ma trentaine, mourir seule, peut-être, dans un deux-pièces, ne me tente que très moyennement. Cela aurait été moins vendeur que les collines dorées et les camélias de Leïla Slimani, mais cela aurait été sans doute plus représentatif de ce que nous vivons.

CENDRILLON VEUT DANSER TOUTE LA NUIT

Au beau milieu d’une ère faite d’images et de superficialité, j’ai le sentiment d’avoir basculé dans l’ère de l’invisible. La menace est partout, en nous, un virus comme une idéologie terroriste se répandent à bas bruit et contaminent les corps et les esprits. Ils peuvent frapper à tout moment. Ma génération n’a jamais été confrontée à la guerre ni à la famine, la société de consommation a rendu floues les lignes entre nos besoins et nos désirs. Et pourtant, comme je me sens démunie face à ce changement de paradigme.

Nous ne voulons pas que la fête s’arrête, nous voulons être divertis, Cendrillon veut danser toute la nuit, et dans des pompes de marque. Nous n’avons jamais eu à retarder nos envies, à délayer nos besoins, et cet apprentissage nous est douloureux.

Résister, c’est moins grandiloquent et romanesque qu’on le souhaiterait. C’est fait d’égoïsme, d’ennui, d’énervement, de réveils nocturnes, mais on tient, presque malgré soi. Le seul ennemi d’un confinement, le temps. Sitôt qu’on sait l’apprivoiser, on ne craint plus grand-chose.

Diane Ducret

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