L’exilé indexé

J’écris ces lignes en réaction à la lecture d’un article que j’ai lu ce matin, parce que je me sens visé. Pourquoi suis-je visé par cet article en question ? Je ne suis pourtant ni du Mak, ni de la mouvance islamiste qu’il pourfend. Je ne suis plus universitaire, pas même d’Aix-en-Provence, même si je suis provençal et que j’aime la Provence. 

Je me sens égratigné par cet article écrit par un cadet fort sympathique par ailleurs, mais la question n’est pas là.  Je me sens concerné par son article car je suis moi-même comme son « exilé algérien », cœur de l’article. Retenez qu’il écrit « exilé » (neutre, inodore) et non pas « émigré » très chargé et qui sied mieux. Généralement j’apprécie les écrits de cet auteur, ses interrogations et réponses, souvent cinglantes, justes. Parfois « dans l’air du temps » européen (froid, vif et limite intolérant, stigmatisant). M’enfin et bref. 

Dans le papier en question, l’auteur demande à ce que les exilés algériens cessent de faire de la politique pour l’Algérie alors qu’ils en sont si loin. Eux qui ont au cœur à la fois le pays d’accueil où ils vivent et le pays de naissance où ils se rendent souvent, pour beaucoup plus qu’une « semaine de bénévolat ». Il écrit de ces Algériens qu’ils sont  « autant que nous Algériens, mais pas plus », sans ajouter « pas moins », c’est dire l’inconscient ! Ces exilés donc ne devraient pas avoir le droit d’exercer leur citoyenneté au motif qu’ils sont à l’étranger ou alors avec « modestie » ! (suit une typologie de comportements : Algérien, hyper-Algérien)

Avec tout le respect que je dois à l’auteur de cet article, il ne peut m’empêcher d’écrire que ses mots ont un drôle de goût, âcre, qui sent le stal. Je m’arrête là. Je suis persuadé qu’il s’agit d’un dérapage et je veux bien passer, mais deux lignes plus loin il enfonce le clou en nous insultant : « les sentiments de nostalgie des exilés sont de même nature que ceux d’un colon ». C’est une insulte inqualifiable.  Honnêtement et personnellement j’aurais honte d’écrire quelque chose qui se rapproche de ces parallèles Algériens/colons) et de cette idée de déchoir « les exilés algériens » de leurs droit fondamental à l’expression.  En débattre, « malgré le caractère tabou » ajoute-t-il. Quelle honte ! Au point où on en est, pourquoi leur accorder le droit de vote ? Cela dévoile la suffisance, voire l’arrogance et l’ignorance de l’histoire des rôles des émigrations passées et présentes dans les luttes pacifiques de leurs pays, de l’étranger où ils vivaient et vivent. Beaucoup de ces Algériens qui ont « quitté l’Algérie durant les années 90 » ont vécu jusqu’au bout leurs idées, en Algérie même cher monsieur, en Algérie même avant de « fuir » (disait-on dans la périphérie de qui vous savez). Il y a vingt ans, cet auteur que par ailleurs j’apprécie écrivait : « Il est plus commode de vivre les paupières fermées ». Le temps a passé. 

Poursuivre le combat sans zèle (mais sans reddition) à l’étranger n’est pas une tare, mais le plein exercice d’un droit fondamental (merci la France, merci le Canada, l’Allemagne etc.) que ces « exilés » exercent avec fierté, par devoir et que l’auteur de l’article leur dénie en filigrane. Lorsque je lis ou entends pronostiquer que les « manifestations sont sans lendemain » je me revois devant ce professeur polonais (réfugié !) que j’ai eu à l’université dans les années 70 et qui ne comprenait pas ces manifestations des refuznik et de leurs camarades français : « ça sert à quoi ce cirque ? » Il a eu raison durant cinq ans, mais il a eu définitivement tord les années suivantes. Lourdement. Mais il était en droit de se poser là. Je ne lui ai pas jeté la pierre car l’homme est ainsi fait de courage, de tiédeur, de peur etc.

Je ne leur attribue pas (aux refuznik et à leurs soutiens) la chute du Mur, et toutes les conséquences qui suivirent, mais un jour je raconterai l’histoire (en lien avec l’impossible Mur) de ce colibri Topaze « fou » qui entreprit d’éteindre le feu qui décimait l’Amazonie. Un jour. 

Je considère par ailleurs regrettable de distinguer la validité d’un combat patriotique, d’un espoir, selon que l’on est de Suède ou de Aïn Sefra, c’est d’un dommage incompréhensible, et ajouter que « la démocratie (est) absolue ». C’est insensé. Elle ne l’est nulle part et ne pourrait jamais l’être. Elle ne peut qu’être améliorée. Notre ami agite (c’est d’une facilité déconcertante) l’épouvantail de l’islamisme à venir, alors qu’il est présent, partout, hic et nunc, par la grâce d’un pouvoir jusqu’au-boutiste qui nous a déjà prouvé qu’il pouvait faire feu de tout bois (et jusqu’à créer 20 chaînes de télévision au discours univoque louant les dirigeants au creux d’une palette d’artifices). Nier que quasiment toute la société algérienne a intégré les codes islamistes c’est, encore une fois, ne pas voir les trous dans la raquette.

Notre ami ne dit pas un mot sur la nature de ce pouvoir en Algérie, rien de sa capture par une gérontocratie à bout de souffle, toujours à la recherche de compromissions. Elle est vacillante, mais toujours debout par la grâce (aussi) de commentaires laudateurs (aussi) ou lénifiant (aussi) ou visant un horizon quelconque fait de moulins à vent espagnols (ou français). Est-il vrai que celui qui ne dit rien (ou regarde ailleurs, ou minimise…) consent ? Où se nichent les « myopies souveraines », où ?

Si le chroniqueur en question évoque le cœur du pouvoir c’est entre guillemets et par la bouche de notre exilé-enseignant d’Aix qui, dit-il, « harangue la foule avec passion », qui n’a même pas « le sens de la prudence ». Comment haranguer autrement s’il vous plaît une foule d’exilés. Un exilé (universitaire) « intoxiqué par les fakes sur le ‘‘Régime’’ ». Un exilé qui a perdu « le sens de la prudence, la mesure de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. » L’auteur en question a-t-il jamais réfléchi à ce qui — au temps de fakhamatouhou — relevait du possible et à ce qui n’en relevait pas ? 

Il y a plus de vingt ans, il s’interrogeait très justement en rouge et noir, probablement à l’intérieur de son propre dialogue comme il disait…  « Pourquoi faut-il naître dans ce pays (l’Algérie) rien que pour saluer un drapeau, écouter un discours, mâcher un crachat et rêver d’une catapulte vers le Canada et insulter les nouveaux colons ? »  Oui, il y a plus de vingt ans. Le temps a passé, et il n’a pas fini de passer.

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Lire en page 2 l’article de Kamel Daoud et autres réactions les pages suivantes

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