Droits de l’homme en Algérie: le rapport de HRW

Les autorités algériennes ont continué de réprimer le « Hirak », mouvement de protestation réformiste qui a poussé le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner en avril 2019. Abdelmadjid Tebboune, à qui le Hirak s’est opposé, a remporté une élection présidentielle qui s’est tenue en décembre 2019. Malgré ses promesses de « dialogue », les autorités ont continué d’arrêter et d’emprisonner des manifestants, des activistes et des journalistes, dans une tentative de museler le Hirak. Sous les auspices du président, une nouvelle Constitution a été approuvée, qui contient des termes plus forts en ce qui concerne les droits des femmes, mais qui restreint par ailleurs la liberté d’expression et sape l’indépendance de la justice.

Élection présidentielle

Le 10 décembre 2019, deux jours avant l’élection présidentielle à laquelle le Hirak s’opposait de manière pacifique, la police a arrêté Kadour Chouicha, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, à Oran. Le jour-même, un tribunal l’a déclaré coupable et l’a condamné à un an de prison pour « rébellion » et «atteinte à l’intégrité du territoire national. » L’accusation s’est fondée sur des affichages sur Facebook effectués par Chouicha en novembre, dans lesquels il s’opposait à la tenue de l’élection présidentielle, et sur sa participation, une semaine avant le scrutin, à une manifestation à l’extérieur d’une salle où un candidat à cette élection tenait une réunion électorale.

Abdelmadjid Tebboune, qui fut Premier ministre sous Bouteflika, est sorti vainqueur de cette élection marquée par un taux de participation historiquement faible[PH1] Dans son discours d’investiture, Tebboune a affirmé qu’il était « ouvert au dialogue » avec le Hirak et a annoncé que son gouvernement consoliderait la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains.

Le 2 janvier 2020, jour où Tebboune a formé son nouveau gouvernement, environ 70 membres du Hirak qui étaient en détention ont été remis en liberté. Le Comité national pour la libération des détenus, organisation qui observe la situation des manifestants du Hirak emprisonnés, a estimé qu’après ces remises en liberté, environ 80 protestataires étaient encore derrière les barreaux. Les arrestations de manifestants ont repris peu après, notamment d’un groupe de 20 personnes le 17 janvier.

Le 13 janvier, un romancier, Anouar Rahmani, a été inculpé d’« insultes envers le président de la République » pour des publications satiriques sur Facebook au sujet de Tebboune. Il a été mis en liberté provisoire, puis condamné le 9 novembre à une amende d’environ 400 dollars.

Liberté de réunion

Des centaines de manifestants du Hirak ont été arrêtés dans tout le pays lors des manifestations du début de l’année 2020. Quoique une majorité d’entre eux aient été remis en liberté le même jour, certains ont été jugés et condamnés à des peines de prison sous des chefs d’accusation comme participation à un « attroupement illégal », « atteinte à l’unité nationale » ou « atteinte au moral de l’armée. »

Le 21 juin, un tribunal de Cheraga, une ville satellite d’Alger, la capitale, a condamné Amira Bouraoui, une gynécologue et membre en vue du Hirak, à un an de prison. Elle avait été poursuivie pour « participation à un attroupement non armé », « offense au président de la République », «atteinte à l’unité nationale » et « dénigrement de l’Islam. » Elle a été remise en liberté provisoire le 2 juillet. Son procès en appel devait s’ouvrir le 12 novembre.

Le 15 septembre, une cour d’appel a condamné Samir Ben Larbi, un militant politique, et Slimane Hamitouche, coordinateur national des Familles de personnes disparues, à un an de prison, dont huit mois avec sursis, pour leur participation en mars à des manifestations du Hirak. Ils ont été libérés après avoir purgé les quatre mois fermes de leur peine. 

Le 17 mars, le gouvernement a interdit toute manifestation de rue avant d’instaurer un confinement général dans tout le pays, par précaution afin de ralentir la propagation du Covid-19. Les dirigeants du Hirak avaient eux-mêmes appelé à la suspension des manifestations quelques jours auparavant, afin de protéger la santé publique. Le gouvernement a décrété un confinement général dû au Covid-19 le 23 mars, d’abord à Alger, puis dans le reste du pays. Après le relâchement graduel du confinement à partir du mois de mai, la police a brutalement dispersé des tentatives par des activistes du Hirak de reprendre les manifestations. Elle a arrêté des manifestants, notamment à Alger, Blida, Sétif et Tizi-Ouzou les 21 août, et à Annaba et Bejaïa le 24 septembre.

Le 1er avril, le président Tebboune a signé un décret d’amnistie concernant 5 037 personnes, apparemment afin de réduire la population carcérale en réponse à la pandémie de Covid-19. L’amnistie n’a pas inclus les activistes du Hirak.

Liberté d’expression

Le 24 mars, une cour d’appel d’Alger a condamné un homme politique éminent et partisan du Hirak, Karim Tabbou, à un an de prison. Coordinateur national de l’Union démocratique et sociale (UDS), un parti d’opposition non homologué, Tabbou avait été inculpé d’« atteinte à la défense nationale », « atteinte à l’unité nationale » et « atteinte au moral de l’armée », pour des commentaires pacifiques qu’il avait affichés sur les réseaux sociaux. Son procès avait été entaché de violations de la régularité des procédures, notamment le refus du juge d’attendre l’arrivée des avocats de Tabbou avant d’ouvrir une audience, alors qu’il ne les avait pas informés de la tenue de cette audience. Le 2 juillet, Tabbou a été remis en liberté après avoir passé plus de neuf mois en détention.

Le 27 mars, à Alger, la police a arrêté un journaliste de renom, Khaled Drareni, fondateur d’un site internet, la Tribune de la Casbah, et correspondant de la chaîne francophone TV5 Monde et de l’organisation Reporters sans frontières. Drareni a été accusé d’«incitation à attroupement non armé » et d’« atteinte à l’unité nationale » pour sa couverture régulière des manifestations du Hirak, depuis leur début en février 2019, notamment sur ses comptes très suivis sur les réseaux sociaux. Les autorités l’avaient mis en garde à plusieurs reprises avant de restreindre sa couverture, lors d’interpellations et d’interrogatoires. Le 10 août, un tribunal a déclaré Drareni coupable des deux chefs d’inculpation et l’a condamné à trois ans de prison, avant qu’une cour d’appel réduise cette sentence à deux ans, le 15 septembre. Il est incarcéré depuis son arrestation.

Le 27 avril, Walid Kechida, fondateur et administrateur d’une page satirique sur Facebook, Hirak Memes, a été arrêté à Sétif et inculpé d’«outrage et offense au président de la République » et d’« atteinte aux préceptes de la religion. » Le 4 janvier 2021, il a été condamné à trois ans de prison.

Le 24 août, Abdelkrim Zeghileche, directeur de Radio Sarbacane, une station en ligne, a été condamné à deux ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale » et « outrage au chef de l’État », pour un affichage dans lequel il appelait à la création d’un nouveau parti politique. Sa défense a fait appel du verdict. Zeghileche est incarcéré à Constantine depuis le 23 juin.

Le 21 septembre, le ministère des Communications a interdit à la chaîne de télévision française M6 d’opérer en Algérie, au lendemain de sa diffusion d’un film documentaire sur les manifestations du Hirak, arguant que l’équipe de M6 avait utilisé une « fausse autorisation » pour filmer en Algérie. Le communiqué du ministère annonçant cette interdiction ajoutait [PH2] que M6 avait tenté de «ternir l’image de l’Algérie et [de] fissurer la confiance indéfectible établie entre le peuple algérien et ses institutions. »

Le 22 avril, le parlement a adopté à l’unanimité une réforme du code pénal, comprenant de nouvelles lois criminalisant la diffusion de fausses informations et de discours de haine. Certaines infractions, comme « atteinte à la sécurité publique et à l’ordre public » et « atteinte à la stabilité des institutions de l’État », qui sont passibles respectivement d’un maximum de trois ans et sept ans de prison, sont définies de manière si vague qu’elles peuvent être utilisées pour criminaliser la critique pacifique.

Indépendance de la Justice

Le 10 février, le ministère de la Justice a ordonné, dans une décision apparemment punitive, le transfert d’un procureur, Mohamed Sid Ahmed Belhadi, à El Oued, à 600 kilomètres au sud d’Alger, après qu’il eut exhorté un tribunal d’Alger à acquitter 16 manifestants, arguant qu’ils avaient été poursuivis en justice uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté de réunion. L’Union nationale des magistrats algériens a qualifié ce transfert de « punition et mesure de représailles politique » pour les propos du procureur.

Réforme constitutionnelle

Le 1er novembre, les Algériens ont approuvé une nouvelle Constitutionà une majorité de 66 %, dans un référendum auquel le taux de participation a été historiquement bas, à 23 %.

Amnesty International a relevé que cette nouvelle Constitution «introduit des termes positifs sur les droits des femmes », notamment la mention que « l’État protège les femmes contre toute forme de violence en tout lieu et en toutes circonstances, (et) garantit aux victimes l’accès à des refuges, à des centres médicaux, à des moyens appropriés d’obtenir réparation et à une assistance juridique gratuite ».

Le président de la République préside le « Conseil supérieur de la magistrature », organe constitutionnel qui nomme les juges et contrôle leurs carrières par les promotions et les mesures disciplinaires, ce qui est en contradiction avec la mission de cet organe consistant à «garantir l’indépendance de la justice ».

Comme la précédente Constitution, la nouvelle Loi fondamentale garantit le droit de « recevoir et disséminer de l’information », mais soumet l’exercice de ce droit à des conditions vagues et restrictives, telles que l’interdiction d’interférer avec les « exigences de la sécurité nationale ».

Droits des femmes et orientation sexuelle

Les meurtres de femmes et de filles ont continué en 2020. Deux femmes, qui ont lancé une campagne visant à accroître la sensibilité à ce genre de meurtre, ont affirmé qu’il y avait eu au moins 36 féminicides en 2020. Bien que la Loi algérienne de 2015 sur les violences domestiques criminalisait certaines formes de violence conjugale, elle contenait des failles qui permettent d’invalider des verdicts de culpabilité ou de réduire des peines si les victimes pardonnent à leurs agresseurs. Par ailleurs, la loi ne contenait pas de mesures additionnelles visant à empêcher les abus ou protéger les victimes, telles que des ordonnances de protection (interdictions de domicile pour les auteurs d’abus).

L’article 326 du code pénal, relique de l’époque coloniale, permet à une personne qui commet l’enlèvement d’une mineure d’échapper à des poursuites en justice s’il épouse sa victime.

Le Code algérien de la famille permet aux hommes d’obtenir un divorce unilatéralement et sans explication mais exige, pour les femmes, qu’elles s’adressent aux tribunaux pour obtenir un divorce pour des raisons spécifiques.

Les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, en vertu de l’article 338 du code pénal.

Migrants et demandeurs d’asile

Entre janvier et le 10 octobre, les autorités algériennes, invoquant « la lutte contre la migration illégale », ont rassemblé sommairement et expulsé collectivement plus de 17 000 migrants, pour la plupart en provenance d’Afrique sub-saharienne, parmi lesquels se trouvaient des centaines de femmes et d’enfants et certains demandeurs d’asile dûment enregistrés comme tels. Ces expulsions se sont poursuivies même après la fermeture des frontières en mars à cause du Covid-19. Des membres du personnel de sécurité ont séparé des enfants de leurs familles lors d’arrestations massives, ont confisqué leurs biens à des migrants, se sont abstenus de vérifier individuellement leur statut d’immigrant ou de réfugié et ne leur ont pas permis de contester leur refoulement. Un peu plus de la moitié (8 900) étaient originaires du Niger, ont été rapatriés de force dans des convois de camions et remis entre les mains de l’armée nigérienne, en vertu d’un accord bilatéral informel de 2014. L’armée algérienne a laissé les autres – soit environ 8 100 migrants d’au moins 20 nationalités différentes – dans le désert à la frontière, leur ordonnant de passer à pied au Niger. Certains migrants expulsés, et des travailleurs humanitaires qui leur portent assistance au Niger, ont affirmé que les autorités algériennes s’étaient livrées à des passages à tabac et à d’autres abus lors de ces expulsions.

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