Confinement, mais.

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Confinement, mais.

Je me faisais cette remarque de bonne heure ce samedi matin en traversant un des champs en bordure de la ville. Je me disais que contrairement à il y a quelques semaines, lorsque j’entends le mot « confinement », je ne vois plus, n’entends plus, un régiment de canards sauvages cancaner à la lisière d’un étang ou d’oies blanches printanières cacarder dans une ferme, les uns comme les autres sans vergogne ni respect pour leur voisinage. Aussitôt après cette remarque je me suis demandé « pourquoi des oies ? » Je n’en savais rien et n’en sais toujours rien en fait, peut-être à cause de ces sympathiques syllabes « confi » ? Aujourd’hui le terme confinement me renvoie très justement à enfermement (et à « caserne », allez savoir pourquoi, je ne détaillerai pas au risque de me retrouver – et de vous entraîner – au cœur d’un complexe labyrinthe semblable à ceux de Borges).

Aujourd’hui, disais-je, lorsque j’entends « confinement », j’entends en même temps « enfermement ». « Restez enfermés (confinés) chez vous, sauf pour de courtes exceptions » entend-on régulièrement à la radio et à la télé. On peut déroger à la règle « pour, par exemple, pratiquer brièvement un sport individuel ». Les termes exacts portés sur l’Attestation de déplacement – que l’on doit absolument porter sur soi avec sa pièce d’identité sous peine d’amende – sont ceux-ci : « Déplacements brefs à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle… » Il y a d’autres exemples. Très bien. Mardi dernier lorsque je découvrais cette « Attestation de déplacement dérogatoire, je me suis demandé « mais que signifie ‘‘bref’’ ? » Le dictionnaire nous enseigne que le mot bref veut dire « Qui est court », « qui a peu d’étendue ». Comment puis-je continuer à marcher avec cette définition ? me suis-je alors questionné. Et que veut dire « proximité » ? Le même dictionnaire  répond sans se fouler « à faible distance, aux environs immédiats ». Faire le tour de deux, trois pâtés de maisons pensai-je. De gros pâtés alors, car il me faut répondre aux « recommandations fortes » de mon médecin « marchez une heure et demie par jour au pas accéléré ». C’est qu’il se fâcherait le toubib.

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Rester enfermé, sauf pour marcher, une fois par jour. J’ai donc continué à marcher ce mardi-là et  chaque jour comme les jours d’avant. Oui, il nous faut désormais dire « les jours d’avant », car depuis son déclenchement cette pandémie ravageuse de Coronavirus – une pierre blanche, plutôt noire – est un marqueur majeur pour notre monde, une frontière haute plantée entre deux mondes. Une date charnière. Une date historique comme la naissance de Jésus-Christ il y a 2020 ans (date erronée par ailleurs), où l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années. On dira « c’était avant le coronavirus » comme on dit « avant J.C » ou « après le coronavirus », ou encore « pendant le coronavirus ». Le monde d’après sera autre. Un nouveau monde naîtra demain à la suite de cette dramatique et scandaleuse expérience humaine, je l’ai rêvé et je l’ai récemment mentionné. Un monde qui fera de la fraternité une vertu cardinale, auprès d’autres. « naïf » ai-je entendu dans mon rêve. Nous sommes pour sûr des millions de naïfs à penser, espérer ce nouveau monde. Nous y croyons et nous l’espérons les bras décroisés, le corps et l’esprit en action. Évidemment. 

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Mais revenons à nos oies d’aujourd’hui. J’ai donc continué à marcher mardi, mercredi, jeudi, vendredi et tôt ce matin comme les jours d’avant. Le soleil pointait au-dessus des arbres, bouffi d’insolence et impassible avec plus ou moins de vigueur, comme hier, et comme demain. Les fleurs du printemps « ces rêves de l’hiver » (Khalil Gibran) commencent à bourgeonner. Voyez la vigne ! Les rues étaient entièrement silencieuses. Le gazouillis des oiseaux, frénétique. Et mes pas qui se bousculaient. Au détour d’une ruelle, un homme surgit avec son petit chien noir au bout d’une laisse, tout frisé, un masque sur le visage. Il portait des gants aussi. Nous avons tous les trois, d’un même mouvement, sursauté. Le fox-terrier se blottit derrière son maître sans même aboyer. Nous avons dit (le monsieur et moi) en même temps « bonjour » sur un ton identique, empreint d’une légère inquiétude, plus que de surprise, le sien étouffé par le tissus. Le fox jappa en trépignant. J’ai traversé la rue et poursuivi mon challenge quotidien plongé dans mes pensées, mais en rasant les murs ou les arbres, comme si je ne souhaitais pas que l’on me voie.

Ahmed Hanifi,

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