Sarah Rivens la star

Mon article

des photos

des vidéos

des extraits de « CAPTIVE »

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1° VIDÉO

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Voilà un nom et un prénom qui, très certainement, vont s’inscrire dans la durée sur les tablettes et rayons de la littérature algérienne : Sarah Rivens. Derrière cet anthroponyme, s’abrite une jeune femme algérienne de vingt-quatre ans à peine, dont toute la Facebookie DZ et pas que, parle depuis quelques semaines. Et plus encore pour ce qui est des groupies qui la suivent depuis ses premiers pas, il y a quelques années. Elle a écrit sous ce pseudo et sous The blurred girl (la fille floue) sur la plateforme wattpad (un réseau social où n’importe qui peut écrire sous réserve d’inscription) et aujourd’hui chez un éditeur papier (BMR – Beau Mec Rebelle – puis HLAB/ Hachette)

On ne sait pas grand-chose d’elle sinon qu’elle est née en 1999 à Alger, qu’elle est actuellement « responsable administrative d’une salle de sport à Alger » (France Inter). Son roman « Captive » (plusieurs tomes) a été traduit du français en neuf langues. Cette jeune femme sortie de nulle part (faut pas exagérer) est devenue en quelques mois l’écrivaine algérienne, toutes langues et genres confondus (sexes et typologies d’écriture) la plus lue (et vendue) depuis le 5 juillet 1962. Elle est en ces premiers mois de l’année 23, en tête du box-office des ventes en France où ses romans sont édités sur papier. « Le succès de Captive est tel que quand Sarah Rivens, l’autrice algérienne de 24 ans, dédicace à la Fnac du Forum des Halles à Paris, des vigiles supplémentaires sont embauchés pour gérer les incroyables files d’attente. La maison d’édition Hachette, qui a lancé il y a quatre ans le nouveau label BMR, savait que Sarah Rivens avait une communauté de fans prosélytes sur TikTok et sur Wattpad » (lemonde.fr- 25.02.2023)

Les vaniteux et hâbleurs algériens (qui écrivent) à la petite semaine à la peine et qui se prennent pour le nombril du monde n’ont qu’à aller se faire refroidir les neurones. Juste avait vu Michel de Montaigne : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul » (pardonnez-moi), mais quand on dit (flène kateb) : « il n’y a pas un seul écrivain qui peut mieux expliquer que moi le problème musulman. » (Canada) c’est qu’on a de sérieux troubles psychiques ou qu’on ne se sent plus !

Je reviens à Sarah Rivens. J’ai découvert cette jeune écrivaine par le biais de commentaires sur Facebook, à la mi-mars. On en parlait à longueur de posts et j’avais l’air d’un zombie, d’un égaré sur terre. « Quoi ? Qui ? comment ? Où ? depuis quand ? » Je n’avais pas l’air fin. Nombre de ces commentaires sont écrits en arabe. Aucun de leurs auteurs n’a pensé à donner à lire ce dont il est question et comment dans le livre. L’avaient-ils lue ? J’ai cherché et ai fini par me procurer le texte à lire avec une liseuse (« Livre »). Je vous livre un extrait : « ‘‘Captive’’, voilà comment on me surnommait. On me considérait comme une monnaie d’échange lors des négociations à des fins illégales. Une rentrée d’argent pour mon ‘‘possesseur’’. On m’utilisait. Me souillait. Et ce, depuis des années. Des années que je me noyais dans ce cauchemar sans en voir le bout. Sans pouvoir me réveiller. J’avais commencé à travailler pour ‘‘elle’’, pour ‘‘la’’ sauver. Pour ‘‘nous’’ sauver.  » Tel est l’incipit. Le reste est dans la même veine. Ne comptez pas sur moi pour vous faire une recension de « la Captive », vous serez déçus. Sa majesté littérature importe peu ici (et pour elle, Sarah, et pour moi en cet article). C’est l’événement qui prime. Les faits sont têtus, il s’en vend comme des baguettes de pain (à 20 €), à des centaines de milliers d’exemplaires. Je m’arrête de lire la dark romance à : « J’avais maintenant 22 ans. Je crois. J’étais la ‘‘captive’’ d’un certain John. Ce gars était une véritable merde. » Et ne nous emballons pas. Oui, je sais, ce n’est ni du Timothée de Fombelle, ni du Agnès de Lestrade. Non,  Sarah plonge dans le dark et le hard. Il est écrit que c’est un livre violent, une « dark romance » avertit son éditeur (HLAB, Hachette numérique), une « romance explicite » qui n’entre pas dans les codes de la romance classique. Certaines scènes peuvent surprendre les lectrices non averties. » Pas les lecteurs ? Vaste, très vaste sujet donc.

J’ai feuilleté « Captive ». Au-delà de ce que j’ai lu attentivement, le reste est manifestement de même facture. Mais les faits disais-je sont têtus. Il y a un engouement certain à lire cette « captive ». Le marketing est aux premières loges : « La reine des ventes en librairies. Sarah Rivens est un précipité de l’époque » (F. Inter) Un condensé très captif dit-on malgré son propos et style effarants. « Quand des millions de lectures en ligne se transposent en achats de livres physiques, cela donne instantanément un nouveau leader pour le Top 20 GFK/Livres Hebdo » (Livreshebdo.fr – 2 février/ net). « La jeune autrice algérienne qui a détrôné le prince Harry (Le Parisien.fr 8 février 2023). 

Souhaitons que les jeunes algériens qui se sont manifestés en grand nombre sur Facebook se mettront à la lire malgré tout. La lecture est très importante. La sienne est très accessible. On peut l’appréhender avec aisance. Voici quelques extraits des posts FB-DZ : 

« Fiers de toi l’Algérienne » (Omar), 

« Félicitation et bonne continuation » (Malika S. B. ), 

« Ma Cha Allah » (Amine Z.), 

« Impressionnant ! tu as le Pdf ? » (Hana M.), 

« Crache-t-elle sur ses origines, sur l’islam ou sur le voile ? » (Thouraya. A), 

« Bravo pour cette prouesse bien de chez nous » (Ch. A.H),

« La magie de l’Internet. D’Alger elle s’est fait un nom en France », (Ashe M.)

« C’est l’histoire de J.Rowling et son Harry Potter, bravo ! » (Ambre B.), 

« Il faut qu’on s’y fasse rapidement » (Omar K.)

« Une lecture pas trop conseillée pour nos jeunes » (Hamida B.)

« Bravo, ceci me donne espoir » (Selma S.), 

« Trash ! » (Myriam K.), 

« Je me méfie de ces romans aux ventes si faciles » (Monique S.C.), 

« Pourquoi un pseudo anglo-saxon ? » (Mounia Z.), 

« Pourquoi pas ? » (Trevor D.), 

« Où peut-on acheter son livre sur Alger ? » (Arezki I.), 

« Captive tome 1 est un régal (Imad I.), 

« Une fierté pour nous et pour l’Algérie (avec un drapeau DZ) » (Soraya H.Y.) ….. 

Un florilège de fleurs domine. Nous pouvons objecter des formulations, un style, un phrasé qui ne convient pas, et dans une société conservatrice presque schizophrénique, ultra prude, crier sur tous les toits que le roman borderline est inacceptable (sans l’interdire !) Mais nous n’avons aucun droit de la juger du haut de je ne sais quel ridicule piédestal mental en convoquant Proust ou Faulkner ou… D’autres auteurs algériens, célèbres ou moyennement connus « écrivent comme un pied » (dixit Leïla Sebbar). Ils sont pourtant lus, se portent bien et vous regardent de haut (oui, oui), le doigt pointé sur votre front comme une arme. Ils racontent des histoires honorables, lisibles et qui peuvent faire passer à beaucoup de lecteurs de bons moments. N’est-ce pas là le plus important ? Alors, souhaitons deux choses, d’abord bon vent dans les hit-parades y compris ceux du cœur à Sarah Rivens et d’autre part que les jeunes algériens se mettent dare-dare à la lecture s’ils veulent tout connaître des darks aventures de Ella (la captive), de John et Asha (les possesseurs), du réseau scott… et faire le grand bon, aller voir ailleurs, autrement. Le tout étant de se jeter à l’eau. DE LIRE.

Qui peut rappeler la place des Algériens dans le classement mondial des lecteurs ? Je n’ai plus les données, par contre je peux dire que le pays se situe aux derniers rangs quant à l’indice mondial du savoir : « 103e place (sur 138 pays) pour l’année 2020 selon Global Knowledge Index. Un classement établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) » (TSA Algérie, 23 décembre 2020). 37 pays derrière l’Algérie, 102 pays devant. 102. Une véritable catastrophe dont les répercussions traîneront durant des décennies. Quelle tristesse ! Et vive Sarah !

Le rapport d’Amnesty International 2022 (partie Algérie)

Comme chaque année, Amnesty International publie son rapport annuel sur les droits de l’homme dans le monde. Amnesty a analysé 156 pays. Voici le rapport 2022 concernant l’ALGÉRIE.

Publié le 28 MARS 2023

ALGÉRIE 2022

Cette année encore, les autorités ont arrêté et poursuivi en justice des personnes qui avaient exprimé en ligne des opinions dissidentes ou avaient participé à des manifestations. Elles ont aussi continué d’engager des poursuites contre des journalistes et des militant·e·s pacifiques au titre de la législation antiterroriste, et de dissoudre, ou menacer de dissolution, des associations. Des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont torturé et maltraité des détenus, en toute impunité. Les autorités ont ordonné la fermeture de trois églises et refusé de délivrer un agrément à un certain nombre d’autres ; elles ont restreint le droit à la liberté de circulation de plusieurs militant·e·s et journalistes. Trois avocats ont été traduits en justice, l’un pour avoir défendu des militants politiques, les deux autres parce qu’ils avaient dénoncé une mort suspecte en détention. Trente-sept féminicides ont été signalés ; aucune disposition législative n’a été adoptée en vue de protéger les femmes. Les tribunaux ont prononcé des condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu.

Contexte

À l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune a gracié 1 076 détenus le 4 juillet et octroyé une mesure de clémence à 70 autres personnes qui étaient sous le coup de poursuites pénales pour avoir participé, entre 2019 et 2022, au mouvement de protestation pacifique de grande ampleur « Hirak ».

En juillet, le roi du Maroc a appelé de ses vœux le rétablissement des relations diplomatiques avec l’Algérie. Mettant en avant une série d’« actions hostiles » liées au différend qui oppose de longue date les deux pays sur la question du Sahara occidental (voir Maroc et Sahara occidental), l’Algérie avait rompu ces relations en août 2021.

Pour la huitième fois depuis 2011, le gouvernement a repoussé la visite prévue du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.

Liberté d’expression et de réunion

Les autorités ont muselé toute forme de dissidence, accentuant la répression généralisée de la liberté d’expression et de réunion pacifique. À la fin de l’année, au moins 280 militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et contestataires étaient toujours incarcérés pour des infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.

En mars, un tribunal d’Alger, la capitale, a condamné à deux années d’emprisonnement cinq jeunes militants du Hirak, parmi lesquels Mohamed Tadjadit et Malik Riahi, qui avaient publié une vidéo dans laquelle un adolescent âgé de 15 ans déclarait avoir été agressé sexuellement par des policiers1. Libéré en août, Mohamed Tadjadit a de nouveau été placé sous mandat de dépôt en octobre sur décision du tribunal de Sidi M’hamed à Alger, puis remis en liberté une semaine plus tard. C’était la quatrième fois en trois ans qu’il faisait ainsi l’objet d’une mesure de détention provisoire.

En avril, le tribunal criminel d’Adrar (sud-ouest de l’Algérie) a condamné à trois ans d’emprisonnement le militant écologiste Mohad Gasmi, déclaré coupable d’avoir divulgué des informations confidentielles sans intention de trahir dans le cadre d’échanges de courriels concernant l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Cet homme purgeait déjà une peine d’emprisonnement pour « apologie du terrorisme », en lien avec une publication sur Facebook dans laquelle il indiquait que la radicalisation d’un activiste algérien connu était due à l’incapacité des autorités à rendre justice à la population et à la traiter avec dignité.

Liberté d’association

Les autorités ont suspendu les activités d’au moins un parti politique et menacé de dissolution au moins deux associations. Elles ont également porté contre des membres de formations politiques d’opposition et de mouvements considérés comme hostiles des accusations fallacieuses liées à la lutte antiterroriste. Un nouveau projet de loi sur les associations était en cours d’élaboration.

À la demande du ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État a ordonné, le 20 janvier, la suspension du Parti socialiste des travailleurs (PST), qui a donc dû cesser toutes ses activités et fermer ses locaux. Le PST a présenté un recours, mais celui-ci restait sans suite et le parti demeurait suspendu. Toujours en janvier, le ministère de l’Intérieur a demandé au Conseil d’État de suspendre deux autres partis politiques, l’Union pour le changement et le progrès et le Rassemblement pour la culture et la démocratie.

En avril, Abdelrahman Zitout, le jeune frère d’un membre de Rachad, un mouvement d’opposition qualifié de « terroriste » par les autorités, a été placé en détention sur la base de multiples charges. Aucun élément susceptible d’étayer des accusations de terrorisme n’a été produit devant la justice. Abdelrahman Zitout a mené plusieurs grèves de la faim en signe de protestation contre son incarcération.

Torture et autres mauvais traitements

La torture et les autres mauvais traitements continuaient d’être pratiqués, en toute impunité.

Le lanceur d’alerte et militant anticorruption Mohamed Benhlima, ancien membre de l’armée, a été transféré en avril à la prison militaire de Blida, au sud-ouest d’Alger. Placé à l’isolement, il a été torturé et maltraité et s’est vu privé des colis de nourriture, de vêtements et de livres qui provenaient de l’extérieur.

Liberté de religion et de conviction

Les autorités ont invoqué cette année encore l’ordonnance n06-03 de 2006, qui établissait des restrictions visant les religions autres que l’islam sunnite, pour poursuivre en justice des adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière et ordonner la fermeture d’au moins trois églises protestantes. Depuis 2018, 29 églises ont ainsi été fermées. Aucune autorisation n’a été délivrée depuis 2006 pour l’exercice d’un culte autre que musulman.

Les autorités ont refusé de délivrer des permis de construire à l’Église protestante d’Algérie, qui comptait 47 églises dans tout le pays.

Le gouvernement a rejeté en janvier l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire [ONU] selon lequel la condamnation à cinq ans d’emprisonnement d’Hamid Soudad, de confession chrétienne, pour « offense à l’islam », au titre de l’article 144 bis 2 du Code pénal, était incompatible avec le PIDCP. Le gouvernement a indiqué que les dispositions prévues dans cet article avaient pour objectif de protéger l’ordre public.

En juin, le tribunal de première instance de Béjaïa, à l’est d’Alger, a inculpé 18 adeptes de la religion ahmadie de la paix et de la lumière de « participation à un groupe non autorisé » et de « dénigrement de l’islam », au titre de l’article 46 de la Loi relative aux associations et de l’article 144 bis 2 du Code pénal, respectivement. Le juge a ordonné le placement en détention de trois de ces personnes et a remis les autres en liberté dans l’attente des résultats d’un complément d’enquête. Toutes les charges retenues contre ces personnes ont été abandonnées en novembre. Le 16 novembre, le ministre des Affaires religieuses a prononcé une fatwa (décret religieux) contre ce groupe, qualifiant ses membres d’« hérétiques » qui doivent être « condamnés et punis conformément à la loi ».

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Selon le HCR, plus de 140 personnes réfugiées ou demandeuses d’asile ont été arrêtées ou expulsées entre le mois de janvier et la mi-septembre. En outre, pas moins de 21 870 personnes ont été renvoyées au Niger en 2022.

En novembre, les autorités ont transféré de force plus de 60 hommes, femmes et enfants syriens et palestiniens de l’autre côté de la frontière avec le Niger et les ont abandonnés à leur sort dans le désert.

Droit de circuler librement

En violation de leur droit de circuler librement et en l’absence de toute décision de justice, au moins cinq militants et journalistes ont été empêchés de quitter le pays.

Lazhar Zouaimia, membre d’Amnesty International Canada possédant la double nationalité canadienne et algérienne, a été inculpé en février de « terrorisme » pour ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et le mouvement Rachad. Les autorités l’ont empêché à deux reprises de quitter l’Algérie, puis l’ont finalement autorisé à partir pour le Canada, en mai2. En septembre, un tribunal de la ville de Constantine a condamné par contumace Lazhar Zouaimia à cinq ans d’emprisonnement assortis d’une amende.

En août, des membres du personnel de l’aéroport d’Oran et des forces de l’ordre ont interrogé le militant Kaddour Chouicha et la journaliste Jamila Loukil, et les ont empêchés de se rendre en Suisse, où ils devaient participer à des travaux de l’ONU.

Droit à un procès équitable

Les autorités ont arrêté arbitrairement des avocats, portant atteinte au droit à un procès équitable. En juin, le tribunal de première instance de Tébessa, une ville du nord-est du pays, a condamné l’avocat Abderraouf Arslane à trois ans d’emprisonnement, dont deux avec sursis. Arrêté en mai 2021 parce qu’il défendait trois militants du Hirak, et inculpé de diffusion de fausses nouvelles et d’infractions liées au terrorisme, cet homme avait passé plus d’un an en détention provisoire.

Les avocats Abdelkader Chohra et Yassine Khlifi ont été arrêtés en mai pour avoir protesté contre la mort d’un militant en détention, dans des conditions suspectes. Ils ont été inculpés de diffusion de fausses informations et d’incitation à un attroupement non armé. Tous deux condamnés le 15 août à six mois d’emprisonnement avec sursis, ils ont été remis en liberté le jour même.

Droits des femmes

Le Code pénal et le Code de la famille restaient illégalement discriminatoires à l’égard des femmes en matière d’héritage, de mariage, de divorce, de garde des enfants et de tutelle. La « clause du pardon » prévue par le Code pénal permettait aux auteurs de viol d’échapper à une condamnation s’ils obtenaient le pardon de leur victime. Par ailleurs, le viol conjugal n’était pas explicitement reconnu comme une infraction pénale.

L’organisation militante Féminicides Algérie a fait état de 37 féminicides déclarés dans le pays en 2022.

Droits des lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexes

Le Code pénal considérait toujours comme une infraction les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe, qui étaient passibles d’une peine de deux mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende.

Droits des travailleuses et travailleurs

Le droit de fonder un syndicat était toujours restreint en vertu des dispositions du Code du travail.

Comme elles le faisaient depuis 2013, les autorités ont refusé cette année encore de reconnaître la Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie, une confédération indépendante.

Le 30 avril, Nacer Kassa, coordonnateur régional du Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique, a été convoqué par la police de Béjaïa, qui voulait qu’il annule une manifestation organisée pour réclamer un meilleur respect des droits des travailleuses et travailleurs. Le syndicat n’a pas tenu le rassemblement prévu, mais a protesté contre l’interdiction. En octobre, les autorités de Béjaïa ont refusé, sans fournir d’explication, de délivrer au syndicat l’autorisation de tenir son assemblée générale.

Peine de mort

Les tribunaux ont continué de prononcer des condamnations à mort, y compris pour des raisons politiques. La dernière exécution dans le pays remontait à 1993.

Le rédacteur en chef du média d’investigation Algérie Part, Mohammed Abderrahmane Semmar, a été condamné en octobre à la peine capitale pour « haute trahison », parce qu’il avait révélé des informations à propos de contrats pétroliers algériens.

En novembre, le tribunal criminel de première instance de Dar el Beïda, à Alger, a condamné à mort des dizaines de personnes, parmi lesquelles une femme, pour le meurtre du militant Djamel Ben Smail, lynché en Kabylie (nord-est de l’Algérie) en août 2021 par une foule en colère. Cinq des accusé·e·s ont été condamnés par contumace sur la base de plusieurs chefs, notamment pour leur appartenance supposée au MAK, une organisation considérée comme « terroriste » par les autorités.

Lutte contre la crise climatique

L’Algérie n’a pas mis à jour ses objectifs d’émission de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 pour s’assurer qu’ils soient en conformité avec l’impératif de limiter la hausse des températures mondiales à 1,5 °C. La législation nationale demeurait insuffisante pour protéger et promouvoir le droit à un environnement propre et sain.

Environ 10 000 hectares de forêt ont été détruits en août par des incendies qui ont fait 43 morts.


1. « Algérie. Il faut abandonner les poursuites contre des militants ayant dénoncé la torture infligée à un mineur en garde à vue », 22 mars 

2. « Algérie. Il faut lever les interdictions de voyager visant des militant·e·s de la diaspora », 6 mai 

De Marseille à Tuktoyaktuk

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(POUR UNE LECTURE ORDONNÉE DE L’HISTOIRE, commencer par la page X – la dernière – et remonter jusqu’à la page 1)

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 2_ Suite et fin de l’histoire. 

De Marseille à Tuktoyaktuk- [29/30 et 30/30] : 

Omar active le démarreur et enclenche la vitesse automatique. La Ford Fiesta fait quelques dizaines de mètres, s’engage dans la Dempster. Elle semble prise de soubresauts. Omar recommence la manœuvre. L’engin a des ratés. Il avance encore de quelques mètres et les convulsions reprennent. Il finit par s’immobiliser. Il ne peut plus avancer. Le moteur ne démarre plus. Le voyant « moteur » reste allumé de manière permanente. Véro descend du véhicule, se met à l’arrière et pousse de toutes ses forces. Omar s’irrite, s’énerve. Il commence à pester, « il faut revenir à la station ! »

Arrive un 4X4 sorti lui aussi du motel. Il s’arrête à leur niveau. Trois des occupants en descendent. Ils se mettent à l’arrière de la Ford et poussent à leur tour autant qu’ils peuvent jusqu’à la station. Omar se précipite vers la boutique, oubliant de remercier les trois hommes. Il demande au patron de lui porter secours. Peu après arrive un mécanicien. Il commence par essayer de faire redémarrer la voiture, mais n’y parvient pas. Il s’informe sur ce qui s’est passé. Omar dit qu’il n’en sait rien. Le mécanicien s’acharne à trouver l’origine de la panne. Au bout de longues minutes, il demande à Omar s’il a bien mis du carburant. Omar répond par l’affirmative, « oui, ici-même, j’ai rempli pour 60 $ ». Le mécanicien vérifie la jauge, puis demande à voir le certificat d’immatriculation du véhicule. M. Beauséjour, le patron, arrive à son tour. Le mécanicien demande à Omar le type de carburant qu’il a pris. « Diesel » dit Omar. L’intuition du mécanicien se révèle exacte. La tête qu’il fait est à la hauteur de la gravité de la situation : « You didn’t put the correct fuel ! » Puis il s’adresse à son patron en lui montrant le certificat d’immatriculation. M. Beauséjour est bilingue. Il écoute son employé avant de traduire aux Marseillais. Omar avait globalement compris le mécanicien. Il sursaute et répond que sur la carte grise il est bien indiqué « gazoline ». « Précisément, dit le patron, gazoline, mais vous vous êtes servi en diesel. » « Hé bien oui, j’ai mis du diesel, ou gazoline comme vous dites ». Omar était jusque-là persuadé que l’on disait ‘gazoline’ au Canada, comme on dit ‘diesel’ ou même ‘gasoil’ en France ou en Algérie ou en Belgique. « No » fait M. Beauséjour, « Oh no ! » Omar ne sait plus. Tout se confond maintenant dans son esprit. Le patron voit l’effroi plaqué sur le visage des Marseillais. Il tente de les rassurer, de dédramatiser autant qu’il peut, en demandant à son employé de vider le réservoir du véhicule. Le mécanicien ouvre la trappe puis le bouchon et essaie d’introduire dans le bec de remplissage un tuyau qu’il est allé chercher dans un hangar afin d’aspirer le carburant, mais en vain. Impossible d’ouvrir l’obturateur. Omar et Véro se regardent. Ils sont complètement abattus. Ils prennent de plus en plus clairement conscience que le rêve de voir Inuvik et sa mosquée est en train de s’évanouir. Ou de s’effriter. De s’évaporer. En ce moment précis leur esprit est confus. Énervement et tristesse se mélangent. Omar pose la paume de sa main sur son front. Il s’éloigne, revient, la main immobile sur sa tête. Il ne sait plus quoi faire, quoi dire. Véro est dans le même état. Sa main, placée sur sa bouche, est figée. Ses yeux sont absents, vides maintenant de toute expression. M. Beauséjour rejoint son bureau où il entreprend par téléphone les démarches nécessaires. Il revient au bout de quinze minutes. Il lève les bras comme pour invoquer une fatalité. Omar demande à téléphoner à l’agence. La communication qu’il a avec l’employé de Budget est houleuse. « Les frais de remise en état du véhicule reviennent à la charge des clients. » dit l’agent. « Et l’assurance, et l’assurance ! » crie Omar, mais c’est en vain. Il est là au bord de la crise de nerfs, d’une attaque. M. Beauséjour demande à son chauffeur-mécanicien de se préparer à transporter la Ford jusqu’à Whitehorse sur le camion de dépannage et l’autorise à emmener dans sa cabine les deux Marseillais, si toutefois ils acceptent cette offre qui est aussi celle de l’agence de location. Les gestes qu’effectue Omar suffisent pour expliquer qu’ils n’ont de choix que celui d’abandonner aux portes de la station-service leur rêve de fouler les espaces d’Inuvik, les tapis de la mosquée des Inuits et les sous-sols gelés de Tuk, Tuktoyaktuk.

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Lors du retour vers Whitehorse, les premiers kilomètres se font dans un silence de désolation. Le chauffeur, embarrassé, tente de temps à autre de détendre l’atmosphère, notamment lorsqu’il s’approche d’une aire de repos ou d’un Tim Horton. Il parle du temps qu’il fait, propose un café à emporter, mais manifestement, le cœur de ses passagers n’y est pas. 

Au fil des kilomètres, il réussit à détendre l’atmosphère. Il leur parle des problèmes des régions du Nord, de la vie quotidienne. Véro et Omar lui expliquent combien ce voyage leur tenait à cœur. Ils en parlent encore, lui essaie de les réconforter. Il leur demande s’ils tiennent à s’y rendre, à Inuvik, à Tuk. L’atmosphère est détendue. Il s’appelle Boogie Anaviak. Il leur parle de sa famille, du territoire du grand Nord, l’isolement, l’irruption malsaine des compagnies pétrolières. Il leur dit les difficultés de la Dempster. « L’avion s’est beaucoup mieux ». C’est cher mais pas trop. Et d’autres choses encore. Véro et Omar lui donnent quelques informations sur la vie quotidienne en France, en Europe, les distances tellement petites entre les villes, innombrables, la pollution. Les kilomètres défilent et la discussion roule aussi vite que le camion-dépanneur. Boogie leur offre un café chez Tatchun Centre, près de la station-service de Carmacks, là-même où ils ont fait le complément de carburant, celui qu’il ne fallait pas. Ils continuent d’échanger. Les Marseillais sont-ils sur le point d’oublier leur mésaventure ? Boogie dit qu’un de ses proches travaille chez Alkan Air, une agence de voyage à Whitehorse spécialisée dans les vols charters en monomoteur vers Inuvik. Il nous aidera avec plaisir. Le vol c’est plus cher, mais très agréable. À Inuvik, vous irez dans ma famille, « no problem ». Boogie habite à Inuvik « à cause du travail », le reste de sa famille réside à Tuk.

La discussion se poursuit jusqu’à Whitehorse. À cette heure-là, l’agence Budget est fermée ainsi que le parking où ils ont stationné le Westfalia. Ils prennent une chambre dans le même hôtel que le conducteur, le Yukon Inn, dans le centre-ville. Leur discussion se poursuit avec Boogie au restaurant de l’hôtel et une bonne partie de la soirée avec photos et vidéos de son ordinateur. Il leur parle de la « Tundra mosque » avec grand sourire. Il y était le jour du grand repas, « itw as a great party, o yah ! »  « I’m here, look ! » Il est assis avec des amis, il porte la même casquette qu’aujourd’hui, ce que fait remarquer Omar en riant.

Le lendemain matin, devant l’agence de location, juste avant de restituer le véhicule endommagé, Omar propose à l’homme, désormais leur ami, les jerrycans de carburant dont ils n’ont plus besoin, non sans préciser « diesel », sans rire et sans faire de l’esprit, ce serait malvenu. Le chauffeur-mécanicien accepte et les remercie chaleureusement. Bien sûr, ils échangent leurs coordonnées téléphoniques.

  • On te rappellera demain, promis. Nous avons besoin de réfléchir un peu plus.
  • N’hésitez pas surtout.

À l’agence de location de voitures, l’employé leur rappelle ce qu’il leur avait signifié la veille au téléphone, à savoir que « les frais de remise en état du véhicule ne sont pas pris en charge par l’assureur, car manifestement l’incident vous incombe à vous, pas à notre agence. » Carte bleue : 1600 dollars canadiens. Ils ont transféré leurs effets dans le Westfalia stationné dans le parking de la société.

Le temps ne permet pas à Omar et Véro d’envisager un nouveau départ en direction d’Inuvik ou de Tuktoyaktuk, à tout le moins par route. Ils sont fatigués. Ils ont besoin d’un temps de repos, de remise en état. Et puis leurs jours sont comptés. Ils en discutent entre eux. Ils n’excluent pas du tout la proposition de Boogie. Dans l’esprit de Omar, deux visions complémentaires se côtoient. La première est celle d’une barge transportant une petite mosquée sur le Mackenzie, de Hay River à Inuvik. La seconde est celle d’un petit avion l’emportant lui et Véro encore plus haut dans les Grand territoires. Fouler le plancher tapissé de la mosquée d’Inuvik et les sous-sols gelés de Tuktoyaktuk ne peut demeurer un rêve inassouvi. C’ est une promesse dont il est impossible de faire l’impasse. Ils se décideront le lendemain.

* * *

Quant à moi, je vous remercie d’avoir partagé ce carnet de voyage, du premier au dernier jour de ramadan. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas le dernier. Merci encore. Je vous dis joyeux aïd.

Ahmed HANIFI. 

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ET BELLES VIDÉOS À LA SUITE

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Monique Hervo est décédée

Je suis très peiné par la disparition de Monique Hervo,  ce lundi 20 mars 2023. Elle a tant donné aux Algériens, à la Révolution. Je l’apprends par un petit encadré dans le Quotidien d’Oran de ce matin. Monique Hervo mérite non pas un ridicule un espace de quelques lignes, mais des pages entières sur plusieurs jours et dans plusieurs journaux. Et des conférences et des films… Monique Hervo était la bonté, l’empathie et l’engagement personnifiés. (voir la vidéo en bas de l’article)

Monique Hervo a fait ce que sa conscience lui commandait de faire, au grand jour. Elle n’a jamais rien demandé. La nationalité algérienne lui a été attribué il y a cinq ans.

J’en ai fait un personnage dans mon dernier roman, « Le choc des ombres ». Voici quelques extraits :

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(…) « Quelques mois plus tard, en août, alors que son épouse s’apprêtait à accoucher, Kada s’alarmait, car avec ces choses-là il ne savait comment s’y prendre. Heureusement, une jeune bénévole du Service civil international, très dévouée fit le nécessaire pour qu’une sage-femme dont elle était proche se déplace jusqu’à leur taudis. Kada l’appelle « Madame Monique ». C’est une jeune femme élégante, de taille moyenne, à peine plus âgée que la sienne, quatre ans de plus. Ses cheveux noirs sont coupés court. C’est une dame au cœur aussi grand que ses convictions, autrement dit aussi grand qu’on y logerait la générosité du monde. Depuis quelques années, elle s’était engagée dans les chantiers de volontariat international après avoir été scout de France. Elle qui vécut une partie de son enfance dans un hôtel meublé du 18e arrondissement de Paris sait ce que signifie l’habitat précaire. Depuis le grand incendie du carré nord du bidonville, « à côté de la gare de triage », la bénévole passait des nuits entières avec des familles en détresse. La sage-femme ne connaissait pas le bidonville et risquait de perdre beaucoup de temps, c’est pourquoi « Madame Monique » se rendit sur le lieu des rendez-vous, au 127 rue de la Garenne chez Ali le gérant du café-hôtel, à La Folie, pour attendre son amie. « Le 127 » est une adresse connue par tous les Algériens de Nanterre. La plupart d’entre eux l’utilisent. Moins pour l’hébergement — l’affichette scotchée sur la porte indique souvent « coumpli » — que pour siroter un café ou un thé avec les amis en écoutant M’hamed El Anka, Slimane Azem, Farid El Atrache, Lina l’Oranaise, ou Fadéla Dziria. C’est aussi leur adresse postale. La sage-femme examina Khadra. Elle la rassura et lui certifia que l’accouchement était très proche. Depuis une semaine Monique se présentait tous les jours pour s’enquérir de la santé de Khadra, réduisant par conséquent ses interventions dans les autres bidonvilles. Le six août c’est en taxi que toutes les trois, Monique, la sage-femme et Khadra se rendirent à l’hôpital de Nanterre. C’était bien la première fois que Khadra quittait le bidonville sans son mari, ou même derrière lui. Monique resta à son chevet jusqu’à l’heure de clôture des visites. Le lendemain elle revint à la première heure autorisée. Messaoud naquit à l’aube du samedi sept, « à deux heures ». Monique se chargea d’enregistrer le nouveau-né, puis de régulariser leur mariage à l’état civil où on avait l’habitude de ce type de situation. Mais cela nécessita quelques semaines néanmoins. Ainsi, Messaoud naquit avant le mariage civil de ses parents. Il en fallut des papiers. (…)

Au cinéma, les Parisiens préfèrent les blondes comme Marilyn ou un Premier rendez-vous avec Danielle Darrieux. Les habitants du bidonville invitent souvent Monique à reprendre du thé et à rester un peu plus avec eux. À ses côtés ils sont rassurés, presque heureux de découvrir qu’il n’y a pas que de la haine qui est offerte à l’étonnement de leurs yeux. Monique Hervo transcrit au mieux qu’elle peut leur parole sur des feuilles blanches avec une plume trempée dans l’encrier bleu de Waterman qu’elle transporte toujours dans son gros cartable. Elle écrit à leurs familles restées au bled des lettres qu’ils lui dictent comme ils peuvent, avec une infinie précaution chargée de retenue et de respect. Elle écrit à l’administration, leur explique toutes sortes de démarches à entreprendre, comment utiliser les médicaments…

(…) Il prit peur et aussitôt se déprécia de se laisser gagner par cet état et les tremblements qui s’emparaient de ses jambes, mais c’était au-delà de ses forces. Il tenta de se ressaisir, fit demi-tour. La peur gagnait d’autres manifestants. Des enfants et des femmes couraient dans tous les sens et, de nouveau, Kada pensa à sa famille, à ses fils. Monique avait promis de passer à la maison, comme souvent les mardis, pour consacrer une heure de son temps — qu’il ne lui viendrait jamais à l’esprit de compter — au petit Messaoud pour qu’il apprenne à lire correctement et comprenne la leçon. Mais le matin il avait entendu dire que Monique avait la ferme intention de se joindre aux manifestants. Il la revoyait dans ses pensées. Il l’entendait : « Messaoud, retiens bien ceci, le mot qui dit ce que font les personnes, les animaux, ou les choses… » Kada ne savait plus, il ne retint pas la suite, « est un verbe, un verbe. » Il la voyait, penchée sur son enfant « lit Messaoud, lit : la fille rit. Le chat miaule. Le train roule. » Et Messaoud reprenait les phrases écrites sur son premier livre de grammaire française, à la lueur de la bougie, en faisant glisser son doigt le long des jambages et traverses des lettres, et il répétait encore à la demande de Monique : « la fille rit… » Kada sourit à cette pensée. Comment son fils, qui n’a que sept ans, pouvait saisir ce que lui-même ne comprend pas ? Des policiers, groupés, chargèrent de plus belle : « ratons ! », « fellouzes ! », « crouillats ! » La présence des Français musulmans d’Algérie dans les rues est perçue comme un défi, comme la violation du couvre-feu instauré pour eux seuls, dès 20 h 30.

(…) Lorsqu’au printemps 1962 Kada apprit qu’on lui avait attribué un logement, il ne sut comment exprimer sa gratitude à Monique, car sans son aide il n’est pas sûr qu’il aurait bénéficié de quoi que ce fut. S’il fallait aux autorités montrer leur fermeté à l’encontre du FLN, il leur fallait également montrer qu’elles prenaient en considération les revendications du puissant parti communiste et des nombreuses associations qui ne cessent depuis des années d’attirer leur attention sur l’insoutenable quotidien des familles dans les bidonvilles autour de Paris. Le premier week-end de septembre, Kada emménagea dans un logement de la Cité des grands prés. Plusieurs officiels étaient là, ainsi que des agents de l’ordre public. Kada était content de quitter La Folie et plus content encore que Monique fut présente. « Si je suis arrivé là, c’est grâce à toi Monique » lui dit-il, « tu restes manger le couscous ». D’autres familles bénéficièrent de logements identiques. La cité de transit est constituée d’un ensemble de baraquements individuels de même forme, de même surface, semblables dans la couleur, alignés comme les soldats d’une armée alpine. Depuis que Khadra l’avait rejoint, Kada rêvait, la nuit comme le jour, d’un abri décent et ils en discutaient souvent. (…)

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Cliquer ICI sur ce lien pour voir la vidéo avec Monique Hervo

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BOUDJEDRA, KHADRA

Cela a commencé par la lecture de ce texte outrancière ment violent de Yasmina Khadra qui répond semble-t-il à un autre de Rachid Boudjedra.

Voici le texte de Khadra sur sa page FB, puis repris par « Chroniques algériennes » récemment.

J’ai volontairement ajouté les commentaires de utilisateurs de Facebook.

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Dans l’ordre…

C’est dire l’envergure ! Mais…. je n’ai pas lu le livre à l’origine de tout cela, le livre de Rachid Boudjadra, « Les contrebandiers de l’Histoire » (ed Frantz Fanon, 2017)


Voici mon mot du 20 mars et les commentaires qui ont suivi

Et les commentaires

Ce matin, mardi 21 mars, j’ajoute un mot et ces pages des deux romans dont j’ai extrait hier les phrases.

Mon mot:

L’écriture de Rachid Boudjedra (81 ans),« Faulknérienne », une écriture qui se mord la queue (en spirale, circulaire), traverse toute son œuvre. Il use aussi du monologue intérieur, malmène en quelque sorte les schémas classiques d’écriture. Ses textes sont parfois fragmentaires. Il scrute de l’intérieur, les profonds mouvements sociétaux, il dénonce l’ordre sociétal établi, la violence qui traverse la société. Boudjedra use de l’inter et de l’intratextualité. Boudjedra se définit comme un artiste. Elle est loin, très loin de l’écriture de Khadra. Un mot pour dire que depuis quelques décennies, Boudjedra écrit en arabe, puis il adapte (différent de traduire) en français ses propres textes. Est-ce le cas pour tous ses écrits ? à vérifier. Il demeure, dans la durée, l’un des plus importants (sinon le plus important après Kateb Yacine) auteurs algériens. L’écriture mise à part, il est insupportable (trop long à détailler).

Je joins ici (à la suite de ces pages des romans) une vidéo concernant l’autre auteur. Il s’agit d’une émission très célèbre de France Inter (et très ancienne, créée en 1955 !). Écoutez-la. Ces critiques littéraires de l’incontournable « Masque et la plume » sont « sans pitié » comme on dit.(CLIQUER SUR LE LIEN, EN BAS DE CETTE PAGE, EN ROUGE)

Les pages…

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION « LE MASQUE ET LA PLUME » à propos de Yasmina Khadra

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VOIR AUSSI:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2021/02/739-yasmina-khadra-est-un-ecrivain.html

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DANIEL DEFERT

(Une vidéo en fin d’article)

Je viens d’apprendre la disparition de Daniel Defert (le 7 février à 85 ans – il est né le 10/09/1937). Il a été un de mes enseignants de sociologie à l’université de Vincennes dans les années 70, (Vincennes cette grande ‘‘usine’’ de conscientisation !) Il a été un des plus attachants profs, un de ceux qui m’ont encouragé à poursuivre les études. Ce que j’ai fait. Il était alors membre du GIP, Groupe d’information sur les prisons qu’il venait de monter depuis peu, notamment avec son ami Michel Foucault. (Je me souviens d’un autre prof, Christian Wekerlé, qui était lui aussi membre du GIP, qui enregistrait systématiquement ses cours pour en faire bénéficier les personnes emprisonnées.) À la suite de la disparition de Michel Foucault, Daniel Defert a fondé l’association AIDES (acronyme de Acquired Immune Deficiency Syndrome).

L’enregistrement qui suit est un extrait d’un cours ou Unité de Valeurs « Sécurité et responsabilité dans l’entreprise » de Daniel Defert à Vincennes, que j’ai enregistré (mercredi 03 mai 1978). J’enregistrais les cours et les réécoutais et vérifiais mes notes…

Vincennes a vu passer en son sein d’autres hommes et des femmes de grande envergure dont (pour quelques-uns) j’ai suivi les cours à l’exemple de Michel Foucault, Hélène Cixous, Jean François Lyotard, Étienne Balibar, Jaques Rancière, François Châtelet, Alain Badiou, Gilles Deleuze, Madeleine Rébérioux, Guy Hockenghem, Maria Antonietta Macciocchi, Henri Weber, Robert Castel, Denis Guedj …. Et beaucoup d’enseignants étrangers (Amérique latine, Maghreb…)

Samedi 11 février 2023

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BONNE ET HEUREUSE ANNÉE 2023 !

Il est difficile en ces temps moroses, en ces temps de crises sanitaires, économiques, du politique, de revirement, de lâcheté, il est difficile en ces temps de retournement de vestes, en ces temps de retour vers des solutions que des millions de peuples à travers le monde ont définitivement rejeté dans les poubelles de l’Histoire après les avoir vécues dans leurs chairs. Le faire d’une minorité à travaux forcés sans égard pour l’écrasante majorité sommée de se terrer. Mais la nécessité exige de nous de garder vivants nos vœux, de les essaimer. Ils sont notre utopie aujourd’hui, ils seront notre réalité demain ou après-demain.

Voici les miens à travers cette vidéo. La musique tout le long de la vidéo est les célèbres concertos  « Les Quatre saisons » d’Antonio Vivaldi (1723). 

 Je vous dis donc BONNE ANNÉE 2023 et à bientôt n’challah. LIBERTÉ POUR TOUS LES DÉTENUS D’OPINION.

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ANNIE ERNAUX, le discours de Stockholm

ANNIE ERNAUX recevra officiellement le prix Nobel de littérature à Stockholm, demain samedi 10 décembre 2022. Voici l’intégralité de son discours devant l’Académie suédoise.  

« Le prix Nobel de littérature 2022 a été décerné à Annie Ernaux ‘‘pour le courage et l’acuité clinique avec lesquels elle débusque les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle’’. » © Fondation Nobel 2022©

Par Annie Ernaux 

(La vidéo suit le texte)

Par où commencer ? Cette question, je me la suis posée des dizaines de fois devant la page blanche. Comme s’il me fallait trouver la phrase, la seule, qui me permettra d’entrer dans l’écriture du livre et lèvera d’un seul coup tous les doutes. Une sorte de clé. Aujourd’hui, pour affronter une situation que, passé la stupeur de l’événement – « est-ce bien à moi que ça arrive ?  » –, mon imagination me présente avec un effroi grandissant, c’est la même nécessité qui m’envahit. Trouver la phrase qui me donnera la liberté et la fermeté de parler sans trembler, à cette place où vous m’invitez ce soir.

Cette phrase, je n’ai pas besoin de la chercher loin. Elle surgit. Dans toute sa netteté, sa violence. Lapidaire. Irréfragable. Elle a été écrite il y a soixante ans dans mon journal intime. « J’écrirai pour venger ma race. » Elle faisait écho au cri de Rimbaud : « Je suis de race inférieure de toute éternité. » J’avais 22 ans. J’étais étudiante en lettres dans une faculté de province, parmi des filles et des garçons pour beaucoup issus de la bourgeoisie locale. Je pensais orgueilleusement et naïvement qu’écrire des livres, devenir écrivain, au bout d’une lignée de paysans sans terre, d’ouvriers et de petits commerçants, de gens méprisés pour leurs manières, leur accent, leur inculture, suffirait à réparer l’injustice sociale de la naissance. Qu’une victoire individuelle effaçait des siècles de domination et de pauvreté, dans une illusion que l’École avait déjà entretenue en moi avec ma réussite scolaire. En quoi ma réalisation personnelle aurait-elle pu racheter quoi que ce soit des humiliations et des offenses subies ? Je ne me posais pas la question. J’avais quelques excuses.

Depuis que je savais lire, les livres étaient mes compagnons, la lecture mon occupation naturelle en dehors de l’école. Ce goût était entretenu par une mère, elle-même grande lectrice de romans entre deux clients de sa boutique, qui me préférait lisant plutôt que cousant et tricotant. La cherté des livres, la suspicion dont ils faisaient l’objet dans mon école religieuse me les rendaient encore plus désirables. Don Quichotte, Voyages de Gulliver, Jane Eyre, contes de Grimm et d’Andersen, David Copperfield, Autant en emporte le vent, plus tard Les Misérables, Les Raisins de la colère, La Nausée, L’Étranger : c’est le hasard, plus que des prescriptions venues de l’École, qui déterminait mes lectures.

Je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture

Le choix de faire des études de lettres avait été celui de rester dans la littérature, devenue la valeur supérieure à toutes les autres, un mode de vie même qui me faisait me projeter dans un roman de Flaubert ou de Virginia Woolf et de les vivre littéralement. Une sorte de continent que j’opposais inconsciemment à mon milieu social. Et je ne concevais l’écriture que comme la possibilité de transfigurer le réel.

Ce n’est pas le refus d’un premier roman par deux ou trois éditeurs – roman dont le seul mérite était la recherche d’une forme nouvelle – qui a rabattu mon désir et mon orgueil. Ce sont des situations de la vie où être une femme pesait de tout son poids de différence avec être un homme dans une société où les rôles étaient définis selon les sexes, la contraception interdite et l’interruption de grossesse un crime. En couple avec deux enfants, un métier d’enseignante, et la charge de l’intendance familiale, je m’éloignais de plus en plus chaque jour de l’écriture et de ma promesse de venger ma race. Je ne pouvais lire « la parabole de la loi » dans Le Procès, de Kafka, sans y voir la figuration de mon destin : mourir sans avoir franchi la porte qui n’était faite que pour moi, le livre que seule je pourrais écrire.

Mais c’était sans compter sur le hasard privé et historique. La mort d’un père qui décède trois jours après mon arrivée chez lui en vacances, un poste de professeur dans des classes dont les élèves sont issus de milieux populaires semblables au mien, des mouvements mondiaux de contestation : autant d’éléments qui me ramenaient par des voies imprévues et sensibles au monde de mes origines, à ma « race », et qui donnaient à mon désir d’écrire un caractère d’urgence secrète et absolue. Il ne s’agissait pas, cette fois, de me livrer à cet illusoire « écrire sur rien » de mes 20 ans, mais de plonger dans l’indicible d’une mémoire refoulée et de mettre au jour la façon d’exister des miens. Écrire afin de comprendre les raisons en moi et hors de moi qui m’avaient éloignée de mes origines.

Il me fallait rompre avec le « bien-écrire »

Aucun choix d’écriture ne va de soi. Mais ceux qui, immigrés, ne parlent plus la langue de leurs parents, et ceux qui, transfuges de classe sociale, n’ont plus tout à fait la même, se pensent et s’expriment avec d’autres mots, tous sont mis devant des obstacles supplémentaires. Un dilemme. Ils ressentent, en effet, la difficulté, voire l’impossibilité d’écrire dans la langue acquise, dominante, qu’ils ont appris à maîtriser et qu’ils admirent dans ses œuvres littéraires, tout ce qui a trait à leur monde d’origine, ce monde premier fait de sensations, de mots qui disent la vie quotidienne, le travail, la place occupée dans la société. Il y a d’un côté la langue dans laquelle ils ont appris à nommer les choses, avec sa brutalité, avec ses silences, celui, par exemple, du face-à-face entre une mère et un fils, dans le très beau texte d’Albert Camus Entre oui et non. De l’autre, les modèles des œuvres admirées, intériorisées, celles qui ont ouvert l’univers premier et auxquelles ils se sentent redevables de leur élévation, qu’ils considèrent même souvent comme leur vraie patrie. Dans la mienne figuraient Flaubert, Proust, Virginia Woolf : au moment de reprendre l’écriture, ils ne m’étaient d’aucun secours. Il me fallait rompre avec le « bien-écrire », la belle phrase, celle-là même que j’enseignais à mes élèves, pour extirper, exhiber et comprendre la déchirure qui me traversait. Spontanément, c’est le fracas d’une langue charriant colère et dérision, voire grossièreté, qui m’est venu, une langue de l’excès, insurgée, souvent utilisée par les humiliés et les offensés, comme la seule façon de répondre à la mémoire des mépris, de la honte et de la honte de la honte.

Très vite aussi, il m’a paru évident – au point de ne pouvoir envisager d’autre point de départ – d’ancrer le récit de ma déchirure sociale dans la situation qui avait été la mienne lorsque j’étais étudiante, celle, révoltante, à laquelle l’État français condamnait toujours les femmes, le recours à l’avortement clandestin entre les mains d’une faiseuse d’anges. Et je voulais décrire tout ce qui est arrivé à mon corps de fille, la découverte du plaisir, les règles. Ainsi, dans ce premier livre, publié en 1974, sans que j’en sois alors consciente, se trouvait définie l’aire dans laquelle je placerais mon travail d’écriture, une aire à la fois sociale et féministe. Venger ma race et venger mon sexe ne feraient qu’un désormais.

Comment ne pas s’interroger sur la vie sans le faire aussi sur l’écriture ? Sans se demander si celle-ci conforte ou dérange les représentations admises, intériorisées sur les êtres et les choses ? Est-ce que l’écriture insurgée, par sa violence et sa dérision, ne reflétait pas une attitude de dominée ? Quand le lecteur était un privilégié culturel, il conservait la même position de surplomb et de condescendance par rapport au personnage du livre que dans la vie réelle. C’est donc, à l’origine, pour déjouer ce regard qui, porté sur mon père dont je voulais raconter la vie, aurait été insoutenable et, je le sentais, une trahison, que j’ai adopté, à partir de mon quatrième livre, une écriture neutre, objective, « plate » en ce sens qu’elle ne comportait ni métaphores ni signes d’émotion. La violence n’était plus exhibée, elle venait des faits eux-mêmes et non de l’écriture. Trouver les mots qui contiennent à la fois la réalité et la sensation procurée par la réalité allait devenir, jusqu’à aujourd’hui, mon souci constant en écrivant, quel que soit l’objet.

Le désir de me servir du « je »

Continuer à dire « je » m’était nécessaire. La première personne – celle par laquelle, dans la plupart des langues, nous existons, dès que nous savons parler, jusqu’à la mort – est souvent considérée, dans son usage littéraire, comme narcissique dès lors qu’elle réfère à l’auteur, qu’il ne s’agit pas d’un « je » présenté comme fictif. Il est bon de rappeler que le « je », jusque-là privilège des nobles racontant des hauts faits d’armes dans des Mémoires, est en France une conquête démocratique du XVIIIe siècle, l’affirmation de l’égalité des individus et du droit à être sujet de leur histoire, ainsi que le revendique Jean-Jacques Rousseau dans ce premier préambule des Confessions : « Et qu’on n’objecte pas que n’étant qu’un homme du peuple je n’ai rien à dire qui mérite l’attention des lecteurs. (…) Dans quelque obscurité que j’aie pu vivre, si j’ai pensé plus et mieux que les rois, l’histoire de mon âme est plus intéressante que celle des leurs. »

Ce n’est pas cet orgueil plébéien qui me motivait (encore que…), mais le désir de me servir du « je » – forme à la fois masculine et féminine – comme un outil exploratoire qui capte les sensations, celles que la mémoire a enfouies, celles que le monde autour ne cesse de nous donner, partout et tout le temps. Ce préalable de la sensation est devenu pour moi à la fois le guide et la garantie de l’authenticité de ma recherche. Mais à quelles fins ? Il ne s’agit pas pour moi de raconter l’histoire de ma vie ni de me délivrer de ses secrets, mais de déchiffrer une situation vécue, un événement, une relation amoureuse, et dévoiler ainsi quelque chose que seule l’écriture peut faire exister et passer, peut-être, dans d’autres consciences, d’autres mémoires. Qui pourrait dire que l’amour, la douleur et le deuil, la honte ne sont pas universels ? Victor Hugo a écrit : « Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. » Mais toutes choses étant vécues inexorablement sur le mode individuel – « c’est à moi que ça arrive » –, elles ne peuvent être lues de la même façon que si le « je » du livre devient, d’une certaine façon, transparent et que celui du lecteur ou de la lectrice vienne l’occuper. Que ce « je » soit, en somme, transpersonnel, que le singulier atteigne l’universel.

C’est ainsi que j’ai conçu mon engagement dans l’écriture, lequel ne consiste pas à écrire « pour » une catégorie de lecteurs, mais « depuis » mon expérience de femme et d’immigrée de l’intérieur, depuis ma mémoire désormais de plus en plus longue des années traversées, depuis le présent, sans cesse pourvoyeur d’images et de paroles des autres. Cet engagement comme mise en gage de moi-même dans l’écriture est soutenu par la croyance, devenue certitude, qu’un livre peut contribuer à changer la vie personnelle, à briser la solitude des choses subies et enfouies, à se penser différemment. Quand l’indicible vient au jour, c’est politique.

Forme la plus violente et la plus archaïque

On le voit aujourd’hui avec la révolte de ces femmes qui ont trouvé les mots pour bouleverser le pouvoir masculin et se sont élevées, comme en Iran, contre sa forme la plus violente et la plus archaïque. Écrivant dans un pays démocratique, je continue de m’interroger, cependant, sur la place occupée par les femmes, y compris dans le champ littéraire. Leur légitimité à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a en France et partout dans le monde des intellectuels masculins, pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines.

Dans la mise au jour de l’indicible social, cette intériorisation des rapports de domination de classe et/ou de race, de sexe également, qui est ressentie seulement par ceux qui en sont l’objet, il y a la possibilité d’une émancipation individuelle mais également collective. Déchiffrer le monde réel en le dépouillant des visions et des valeurs dont la langue, toute langue, est porteuse, c’est en déranger l’ordre institué, en bouleverser les hiérarchies.

Mais je ne confonds pas cette action politique de l’écriture littéraire, soumise à sa réception par le lecteur ou la lectrice avec les prises de position que je me sens tenue de prendre par rapport aux événements, aux conflits et aux idées. J’ai grandi dans la génération de l’après-guerre mondiale, où il allait de soi que des écrivains et des intellectuels se positionnent par rapport à la politique de la France et s’impliquent dans les luttes sociales. Personne ne peut dire aujourd’hui si les choses auraient tourné autrement sans leur parole et leur engagement. Dans le monde actuel, où la multiplicité des sources d’information, la rapidité du remplacement des images par d’autres accoutument à une forme d’indifférence, se concentrer sur son art est une tentation. Mais, dans le même temps, il y a en Europe – masquée encore par la violence d’une guerre impérialiste menée par le dictateur à la tête de la Russie – la montée d’une idéologie de repli et de fermeture, qui se répand et gagne continûment du terrain dans des pays jusqu’ici démocratiques. Fondée sur l’exclusion des étrangers et des immigrés, l’abandon des économiquement faibles, sur la surveillance du corps des femmes, elle m’impose, à moi, comme à tous ceux pour qui la valeur d’un être humain est la même, toujours et partout, un devoir de vigilance. Quant au poids du sauvetage de la planète, détruite en grande partie par l’appétit des puissances économiques, il ne saurait peser, comme il est à craindre, sur ceux qui sont déjà démunis. Le silence, dans certains moments de l’Histoire, n’est pas de mise.

Une victoire collective

En m’accordant la plus haute distinction littéraire qui soit, c’est un travail d’écriture et une recherche personnelle menés dans la solitude et le doute qui se trouvent placés dans une grande lumière. Elle ne m’éblouit pas. Je ne regarde pas l’attribution qui m’a été faite du prix Nobel comme une victoire individuelle. Ce n’est ni orgueil ni modestie de penser qu’elle est, d’une certaine façon, une victoire collective. J’en partage la fierté avec ceux et celles qui, d’une façon ou d’une autre, souhaitent plus de liberté, d’égalité et de dignité pour tous les humains, quels que soient leur sexe et leur genre, leur peau et leur culture. Ceux et celles qui pensent aux générations à venir, à la sauvegarde d’une Terre que l’appétit de profit d’un petit nombre continue de rendre de moins en moins vivable pour l’ensemble des populations.

Si je me retourne sur la promesse faite à 20 ans de venger ma race, je ne saurais dire si je l’ai réalisée. C’est d’elle, de mes ascendants, hommes et femmes durs à des tâches qui les ont fait mourir tôt, que j’ai reçu assez de force et de colère pour avoir le désir et l’ambition de lui faire une place dans la littérature, dans cet ensemble de voix multiples qui, très tôt, m’a accompagnée en me donnant accès à d’autres mondes et d’autres pensées, y compris celle de m’insurger contre elle et de vouloir la modifier. Pour inscrire ma voix de femme et de transfuge social dans ce qui se présente toujours comme un lieu d’émancipation, la littérature.

© Fondation Nobel 2022©

Annie Ernaux

Publié notamment par Le Monde, l’Observateur…datés 7 décembre 2022

____________________ VIDÉO EN PAGE SUIVANTE_______________

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC à LABTER

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC

Les principes du Droit doivent s’appliquer à tout citoyen. Lazhari Labter est un citoyen algérien arrêté pour on ne sait quelles raisons. Nous ne savons pas si celles-ci lui ont été notifiées. Le Droit doit lui être appliqué. Si son Droit a été offensé par la force, au détriment du Droit, il faut dénoncer ce recours à la force. Lui-même ne dit rien à ce propos. Aujourd’hui monsieur Labter a été libéré après avoir purgé sa garde à vue. Et c’est tant mieux, même s’il demeure sous contrôle judiciaire (nous ne sommes pas dans la transparence, tant s’en faut). 

Puisqu’il ne dit rien, osons ces questions. Soit Lazhari Labter a été arrêté pour ses opinions et auquel cas nous dénonçons, car on ne demande pas ses papiers à un poète ! On ne le met pas en prison. Ça ne sert à rien de mettre en tôle un ami des mots (s’il s’agit de cela évidemment) et Nazim Hikmet connaît la chanson « Ce n’est pas pour me vanter,/, mais j’ai traversé d’un trait, comme une balle, / les dix années de ma captivité./ Et si on laisse de côté les douleurs que j’ai au foie,/ le cœur est toujours le même, la tête celle d’autrefois… » Il avait raison bien sûr. 

Soit Lazhari Labter n’a pas été arrêté pour ses opinions. Mais alors pourquoi l’a-t-il été ? Aussitôt libéré, il a remercié et rassuré ses lecteurs. Il les a remerciés « vous tous, nombreux, très nombreux, de toutes les régions de notre pays et de l’étranger qui m’ont ( !) exprimé, sous une forme ou une autre, leur ( !) solidarité… » L’émotion peut-être (« vous tous qui m’ont exprimé leur solidarité »), l’émotion disais-je . Puis il les a rassurés : « votre place dans mon cœur est spéciale, je continuerai mon combat pour ma patrie, dans le respect des principes de justice et de liberté » (ces mots de Justice et Liberté sont très puissants !) puis autocongratulation « Je suis fier de ma carrière propre (il écrit « propre ») en tant que journaliste de 1976 à 1990… » Il rassure ses lecteurs et ses proches donc, met en avant ses principes « de justice et de liberté », puis il se vante d’avoir contribué dit-il – accrochez-vous s’il vous plaît –  « à changer l’image de l’Algérie détériorée à cause… de la propagande ‘‘qui tu qui ?’’ ». Oui, oui : « tu » (l’altérité mon frère au pilori ! qui tue ? tu. Serait-ce encore l’émotion ?)  Et là ça ne va pas du tout ya Si Mohammed Wech eddek ? Mais alors pas du tout. Il escamote l’essentiel pour se vendre ou offrir ses services. Allez savoir, il noie le poisson : « Ya si Mohammed, que t’a-t-on reproché ? » Lazhari Labter sort de garde à vue et vers quoi vont ses premières pensées ? vont-elles vers le questionnement ou la clarification des causes et des raisons qui lui ont valu le mitard ?  Ne veut-il pas en parler ? Non, il ne parlera pas de ce qui fait problème, de ce qui fait os, de ce qui a inquiété tous ses proches et moins proches « pourquoi a-t-il été arrêté ? » Non, pas du tout. 

Personnellement je m’attendais à un partage de questionnements de sa part sur son arrestation, sur une erreur de personne, sur sa saine gestion de ses entreprises (gestion des subventions par exemple…), ou je ne sais quoi d’autre, se poser des questions « qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? ». Non. Les 5WH ça ne se ramasse pas à la pelle chez lui, ils ne l’intéressent pas. Il sort de prison, l’équilibre et l’air frais du matin pas tout à fait retrouvés et la première chose à laquelle il s’attaque, la première, vingt ou trente ans après, la première, sa seule préoccupation c’est, en substance, « pourquoi user du Droit au profit de qui n’en a pas le droit ? » Il dénonce « Le qui tue qui » et ses défenseurs durant les années de terreur (1990-2000), les années grises où les loups et autres affidés marchaient sur toutes les ombres à s’y amalgamer, leurs ombres, mais pas que (lire ses deux uniques messages d’hier mardi 29 novembre). 

Chers amis, j’ai décidé d’écrire ce texte uniquement parce qu’il a fait un bond en arrière de 30 à 20 ans pour accabler des hommes des causes justes, en faisant l’impasse totale sur son arrestation et sa garde à vue de la veille et de l’avant-veille. Une sorte de mauvais dribble croisé quoi, comme disent les footeux fous de Messi.

Chers amis, je n’ai pas l’espace suffisant ici pour écrire tout ce qui se bouscule à cet instant même dans mon cerveau aux capacités incertaines malgré tout avec le temps qui fuit. 1001 pages n’y suffiraient pas. Donc, j’irai à l’essentiel. Et si je suis dur ou crash avec monsieur Labter, c’est parce que ses mots contre mon camp (moi cet homme obscur, hchicha qui ne se laisse toutefois pas marcher sur les pieds, puis quoi encore ? !) m’ont été insupportables au plus haut point. Qu’il me pardonne, mais les faits sont têtus (je suis sociologue et les faits qui m’intéressent je les emprisonne, les fais mijoter jusqu’à leur faire rendre gorge). Tiens, je vais lui parler directement à ce « poète, journaliste, éditeur, manageur, éveilleur de conscience » (138 lignes plus, plus, plus, chez madame Wikipédia s’il vous plaît) qui insulte les défenseurs des Droits humains en faisant quelques petits détours (c’est lui qui a commencé ! – les années noires…) et en deux points :

1_ Monsieur Labter, vous vous honorez de « défendre les principes de justice et de liberté », de défendre la veuve et l’orphelin donc. Mais cher monsieur, votre métier (de justicier) c’est aussi de défendre le principe de présomption d’innocence. En dénigrant les défenseurs du DROIT (maître Ali Yahia, Bouchachi, Tahri…) ah la belle époque n’est-ce pas ? un coup de fil et c’était réglé et vous applaudissiez… Souvenirs, souvenirs : en insultant les mères des disparus forcés « mères de terroristes » et tous ceux qui les soutenaient et les soutiennent encore, vous et certains de vos compères vous avez déshonoré votre métier durant les années de terreur. Ces mères, ces Locas de La Place de Mai, sont notre honneur, notre fierté. Elles ont été, sont et seront (y compris après leur mort physique) la tâche éternelle sur le front de tous les staliniens et assimilés.

À faire justice à la place de la Justice vous vous êtes sali plus encore les mains et la cervelle, déjà salis par ailleurs, et hélas, le journalisme avec vous. Comment peut-on par exemple applaudir à la disparition d’un grand journal comme La Nation dont la petite musique ne vous seyait pas (à vous comme à vos donneurs d’ordre) ? Il a été interdit et vous vous êtes réjouis en y mettant les formes évidemment « problème économique » ! Nos archives sont hautes comme ça vous savez. Des centaines de journaux, quotidiens, hebdomadaires, revues diverses disponibles à l’exploration.  

J’ai pensé un temps que vous vous étiez repenti (vous et vos semblables). Pas du tout. Vous êtes fier. Vous êtes bien plus fier qu’Artaban, d’avoir contribué avec vos livres dites-vous à changer l’image de l’Algérie détériorée aussi bien en Orient qu’en Occident. À l’Est et à l’Ouest. Un Messie. Rien que cela. Vous devriez postuler pour le prix Nobel de la Paix monsieur Labter ou celui de l’entourloupe. Songez-y, cela vous refroidirait les pattes.

2_ Mettons s’il vous plaît maintenant les pieds dans le couscoussier. Rappelez-vous, c’était la période « post 88 ». Les langues se déliaient. Un vent de folle folie embaumait le pays. Depuis des années de nombreux démocrates algériens sont morts ou furent torturés, emprisonnés pour avoir défendu les Droits fondamentaux des Algériens (y compris les vôtres), il y eut Tasfut en avril 1980, la LADH (1985, MCB) et bien sûr il y eut Front uni à trois faces dénaturées contre les ‘‘opposants au régime’’, les ‘‘anti-nationalistes’’, ah, la presse algérienne ! Il y eut également les lycéens en 1986, la jeunesse en octobre 1988, puis certains partis politiques et ONG diverses. Vous devez vous demander où je veux en venir ? Patientez. C’est comme au foot, il faut élaborer une tactique, préparer des combinaisons avant d’aller droit au but, ça ressemble à la guerre, mais ce n’est que ludique. Patientez.

Voyez-vous monsieur, ce sont des gens comme vous qui nous désespèrent d’une Algérie libre et démocratique, plus que d’autres, car les gens comme vous, bousculent, alimentent, gesticulent et crient fort, voyagent de salons en manifestations jusqu’à Mouans-Sartoux et Salon, Paris…, actionnant et réactionnant les éléments de leurs réseaux sectaires (piston)… les amis des amis des amis… pour réécrire l’histoire. Bousculer pour être au centre de la photo de famille pour se faire un nom qui remplacerait d’autres noms. Un nom qui lave plus blanc. Les uns se battent toute l’année dans la discrétion et la conviction, les autres arrivent vers la mi- mars avec troupes et trompettes, billes en poche « poussez-vous c’est moi ! » Ils crient plus fort en comité de quartier pour se métamorphoser en héros. Il faut savoir que Kafka lui-même a dû attendre sa propre mort pour se métamorphoser en Kafka, pas en faisant feu de tout bois et de tout écran. 

Mais, Hamdoullah, grâce aux archives des archivistes (le plus beau métier concernant certaines contrées), les gesticulations ne sont que vaines, la vérité est sauve, même si elle ne se dévoile pas aussi vite qu’on le souhaiterait. La vérité prend son temps. Tenez, celle qui suit est demeurée longtemps sous le boisseau. Son moment est enfin venu. Ouvrez le grand rideau.

Vous étiez journaliste, monsieur Labter. Vous devez alors vous souvenir de ce morceau de rouleau de papier hygiénique que je vous avais envoyé à la rédaction de Révolution Africaine en décembre 1989 à vous et à votre compère A.L ou l’inverse, peu importe (je ne donne pas le nom de votre comparse, car il a disparu lui de la circulation et je lui en sais gré, je serais même tenté de lui rendre hommage. On faute lourdement, on se tait longtemps. On ne fait pas de harage dans un bocal vide). Je vous avais envoyé ces feuilles de rouleau de PQ pour que vous vous essuyiez la bouche avant de parler, car c’est comme cela que faisaient les opposants roumains (les vrais, pas les copies prestidigitatrices) aux journalistes roumains qui défendaient le régime communiste agonisant du sanguinaire Ceausescu. Aujourd’hui j’ai pris du poids et de l’âge, je ne procèderais pas de la même manière et puis le PQ est passé de mode. Jouer avec les mots et les partager me suffit amplement. Mais la jeunesse, ah la jeunesse !

Monsieur Labter, alors que des camarades croupissaient en prison pour avoir défendu « le droit d’avoir des droits » Révolution Africaine vous commande des articles élogieux sur Ceausescu (que vous signez avec AL. Révaf du 7 juillet 1989, du 21 juillet 1989, du 5 janvier 1990… ) Il y eut certainement d’autres flagorneries du même genre concernant Ceausescu ou d’autres tyrans. Et quel article ma mère celui du 7 juillet ! Un panégyrique sur – c’est vous et votre collègue qui repreniez ainsi, comme la propagande roumaine : « le génie des Carpates » !, LE « défenseur des libertés ». Dans votre article du 7 juillet vous consacrez cinq pages au régime sanguinaire « la Roumanie n’est pas l’enfer tant décrié par une certaine presse. » Ah ce magnifique langage, orwellien jusqu’à l’os.

Le Régime National Communiste stalinien de Ceausescu que vous défendiez serait renversé par des communistes réformateurs (le Front de Salut National). Des millions de Roumains sortaient tous les soirs dans les rues, éblouis par l’espoir levant que – le nez dans le guidon du Danube de la Pensée – vous ne voyiez pas, vous et vos semblables. Un peu d’humilité cher monsieur Lazhari Labter, un peu de décence ! Hchem chwiya âla rouhek. Les héros ne se fabriquent pas dans des comités sectaires (appuyés par « LA presse »), non, ils sont le fruit de leurs actes généreux, leurs actes de convictions, leurs actes répétés. Ils ne sont pas nés dans le gris du noir, dans ce « clair-obscur ». Méfions-nous de ceux-là agonisait Gramsci ! 

Ceci étant dit, je ne suis pas rancunier vous savez, j’ai porté (et même anticipé, faut pas être Saint-cyrien), j’ai porté vos Commandements de mars 2019 (avec un brin de méfiance, je l’avoue et vous le comprendriez), j’ai applaudi certains de vos écrits, téméraires, mais justes. Je vous demande simplement de ne pas trop user de l’omission. Méfiez-vous des procédés staliniens qui consistent en la falsification des textes (images…) en éliminant les hommes (idées) tombés en disgrâce pour les leaders du moment. En donnant toutes ces informations sur Révaf, je diminue le risque de falsification en marche. Il y en a d’autres en attente. Les archives sont immenses.

Cher monsieur, je vous suggère de faire vos ablutions et de réciter (à haute voix s’il vous plaît) un mea culpa en bonne et due forme. Vous seriez alors un homme digne du grand club d’humanistes (et peu loquaces- ils n’ont pas de toits, eux, sur lesquels crier), le club des défenseurs des DROITS HUMAINS FONDAMENTAUX.

Des Droits pour tous, les mêmes droits pour tous. TOUS. Pour conclure, je paraphraserais cher monsieur, un célèbre poète victorien « l’humilité est la mère de toutes les vertus ». Et puis, disons-le ouvertement comme ce grand Yankee (je n’aime pas les Yankees, mais là, ‘‘chapô’’ ! « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Last but not least, votre panier sera complet si vous le remplissiez des sept pièces jointes (dans l’œil de Satan).

Ahmed Hanifi, 

Marseille le mercredi 30 novembre 2022

(J’ai failli préciser « auteur, écrivain, sociologue, poète, ex-gestionnaire, humanitaire, grand voyageur sympathique et tout le chkoupi » à la suite de mon nom, mais vous nous avez tout raflé)

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Lu ce jour 02.12.2022 sur la page >FB de « SOS Disparu »

Adieu Mahmoud

Les Quais de Seine près de St-Michel

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Voilà. L’inéluctable est tombé. Mahmoud s’en est allé. Mon ami de plus de trente ans est parti dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 novembre 2022. Nous venions de l’abandonner aux siens dans la chambre 309 de l’hôpital Avicenne de Bobigny, cette ville qu’il a aimée et où il a habité des décennies jusqu’au dernier jour de sa vie. Il y a une quinzaine de jours, nous échangions au téléphone avec légèreté, peut-être un peu feinte. Si-Mahmoud avait ses croyances et ses convictions. J’ai les miennes. Parfois les unes et les autres engendraient de la friture sur nos lignes, mais rien de bien grave. Mais il ne plaisantait jamais avec ses principes. Nous avions tant de choses essentielles en commun que nous partagions. Les monuments, les amis, les voyages en faisaient partie. Les sujets tels que la découverte de nouveaux pays, de leur Histoire, de leur population, de leur culture nous rapprochaient, tandis que nous en évitions d’autres. 

Mahmoud Bessaih, dans le ferry vers Puttgarden en Allemagne _ 2009

Ces dernières années, après Guernica en Pays basque espagnol, Mahmoud avait concrétisé un autre rêve de jeunesse, visiter Cuba, découvrir les Cubains, les vrais. Il parlait avec générosité de l’accueil très fraternel des Havanais de Lavibora, de Puentes grande, des plantations, des récoltes (la zafra) et de la transformation de la canne à sucre, de leurs boutiques à bière au bord de l’effondrement, d’autres très réputées ouvertes aux touristes en mal de nostalgie ou de spleen : le bar-restaurant El Floridita que fréquentait Hemingway, les pêcheurs à la ligne et les sublimes cubaines – répétait-il. Évidemment, le grand adversaire, el gran imperialista, les États-Unis d’Amérique avec leurs gringos qui s’étaient métamorphosés. Mahmoud racontait les routes mythiques et le Bagdad Café sur « la 66 » complètement déclassé où il s’est rendu, en Newberry Springs (Californie), le désert du Mojave. Las Végas qu’il a détestée, mais qu’il lui fallait découvrir et la folie autour, Los Angeles et San Francisco… Il n’avait qu’une envie : retourner en Californie et traverser le pays d’ouest en est jusqu’à New-York, à l’image de Jack Kerouac avec la folie en moins. Il racontait avec moult détails, les rencontres, les monuments, si bien que j’avais l’impression de l’avoir accompagné.

Il est vrai que nous avons visité le pays des Cow-boys, chacun de notre côté, lui l’ouest, moi l’est. Mais il est vrai aussi que nous avons traversé ensemble une partie de l’Europe du Nord pendant des semaines en passant par Bruxelles, Copenhague, Malmö, Hambourg, presque comme des jeunes routards en ébullition. 

Lorsque, comme lui, j’habitais Paris (ou sa banlieue), nous parcourions la plus belle ville du monde de la Porte de Clignancourt à La Porte d’Orléans, de la Porte de Bagnolet à la Porte d’Auteuil. À la recherche de rien, juste pour marcher et observer, voir, écouter, échanger. Cela pouvait aller des quais de la Seine avec ses bouquinistes, de la rue de la Huchette et le Cabaret El Djazaïr, aujourd’hui disparu, à Saint-Denis, entre la basilique et la Place du 8 mai 1945 (leur 8 mai) dans un bar où nous avions appris presque instantanément son assassinat, l’horrible nouvelle de l’exécution de Matoub Lounès. Le bar se ferait soudain silencieux. La rumeur enflerait sur le trottoir à n’en plus pouvoir.

Des anciennes halles de la Villette où Cheikha Rimitti régalait la galerie avec à sa tête le dandy Jack Lang, venu en soutien à la culture algérienne, à la MJC de Bobigny avec les toutes premières interventions des frères Naoui et Khaled (j’avais écrit pour Libé un papier sur la soirée qu’ils ont intitulé « Du rail, du raï, oh yeah ! »  

Lorsque nous avions emmagasiné tant et tant de kilomètres dans les mollets (entrecoupés de quelques transports en métro), il ne nous restait qu’à rejoindre feu Larry et tous les Oranais de Barbès dans son ridicule bistrot à Simplon, Aïcha dans son boui-boui face au Pont tournant et au regard de Garance ou Kader rue de Lappe, rue de Lappe/Passez la monnaie /Passez la monnaie / Et ça tournait /Et plus ça tournait / Et plus ça tournait…  Je n’oublie pas notre ami commun Hadj évidemment qui était le troisième larron de toutes nos péripéties. Nous connaissions tous les recoins de la ville-Monde. Il nous arrivait de nous retrouver sur la Place de la République pour une marche ou une manifestation pour les libertés en Algérie, un colloque à l’EHESS une soirée politique à Paris 8, au Salon du Maghreb du livre, à une rencontre autour de l’Algérie avec Mohammed Harbi ou Pierre Bourdieu. Nous étions (je suis toujours) en recherche naïve d’une potion magique (puisque tout le légal devint interdit) pour chasser du pays les requins, mais les requins sont comme les loups. Et nous avons fait chou blanc. À ce jour. Les mêmes requins et leurs progénitures sont toujours là, comme par magie après le grand coup de semonce, à saigner les Algériens toujours plus que la veille, à leurs profits et à ceux de leurs premiers et seconds cercles. Et aux opportunistes évidemment qui ont acheté de nouvelles vestes à retourner chez les premières friperies. En dernier adieu j’ai fait la tournée de quelques lieux de Paris que nous fréquentions et aimions. Puis nous nous sommes, cas de force majeure, séparés. 

Mahmoud, tu es resté à Paris, alors que je suis descendu sous le soleil provençal. Je t’ai eu au téléphone il y a une vingtaine de jours. J’ai compris qu’il me fallait te rendre vite visite. Le temps au mauvais a refroidi le soleil. Il est implacable avec ou sans cache-nez et bonnet. La visite s’est transformée en à Dieu à la porte 15 du funérarium d’Avicenne.

Pour toi, je suis allé faire un dernier grand tour à la bibliothèque Mohammed Arkoun (Paris 5°), à la bibliothèque Assia Djebar (20°), au jardin Kateb Yacine (13°), la rue Frantz Fanon (20°), la place Rimitti (18°), la place Maurice Audin (5°)

Aujourd’hui,  autour de toi, au cimetière de La Senia, se sont réunis tous ses amis pour une dernière accolade. C’est le seul faux bond cher ami Mahmoud de ne pas y être, pardonne-moi. Je voudrais, pour conclure cher ami, reprendre ton cri de joie préféré que tu me lançais lors de nos retrouvailles : « Aïwa ! »

Ahmed Hanifi, 

Paris le 29 novembre 2022

Copenhague- 08.2009

Kolding (DK) dans le Jutland _ 08.2009

SOS Méditerranée, « Ocean Viking »…

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO SOIRÉE AU THÉÂTRE DE LA CRIÉE _ MARSEILLE

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Pendant que la France nauséeuse hurlait « Retourne en Afrique ! » (au sein même de l’Assemblée Nationale) à l’endroit de Carlos Martens Bilongo, député noir de La France Insoumise, ce 3 novembre 2022, l’autre France, généreuse et porteuse d’honneur, secourait en mer des centaines d’Africains en détresse, au plus près de la mort, ou applaudissait ce secours de SOS Méditerranée avec le navire affrété Ocean Viking. Cette France généreuse est majoritaire. Elle fait honneur à la dignité humaine, à la fraternité des hommes.

Dans le cadre des Rencontres d’Averroès ((17-20 nov 2022) à Marseille, une soirée intitulée « Musique, chansons et lectures de textes » été dédiée à cette association. Des dizaines d’artistes et d’écrivains se sont mobilisés auprès de SOS Méditerranée : Abd Al Malik, Marie Darrieusecq, Laurent gaudé, Marie Ndiaye…et un texte intéressant de Kamel Daoud sur le mur érigé par les autorités à Aïn el Turk (Oran). J’y reviendrai. Nous étions plus de deux cents personnes environ à y assister.

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Qatar, la honte

QUELLE DIGNITÉ A-T-ON LORSQU’ON ACCEPTE (ON SE TAIT) LES EXACTIONS COMMISES À L’ENCONTRE D’ÊTRES HUMAINS ? QUELLE DIGNITÉ ?

6500 TRAVAILLEURS IMMIGRÉS MORTS DANS LES CHANTIERS EN 10 ANS

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Regardez les matches de la coupe du monde au Qatar, pourquoi pas si vous aimez le foot, mais regardez bien cette vidéo sur le rôle de la France (de Sarkozy) dans l’attribution de la coupe du monde de football au Qatar, sur les pots de vin et compagnie… Et sur le Qatar, un pays quasiment sans aucun droit (surtout) pour les NON-nationaux, un état quasi-esclavagiste où la démocratie est un terme illicite.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LES DESSOUS DE CE PAYS DE LA HONTE QUI ACCUEILLE LA COUPE DU MONDE DE FOOTBALL

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suite en page 2

MARCEL PROUST

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CLIQUER ICI POUR VOIR ÉMISSION SUR MARCEL PROUST

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Il y a 100 ans disparaissait un monument de la littérature française, Marcel Proust. Il est l’auteur de la phrase la plus longue de la littérature française. Elle contient 855 mots (et 56 lignes en fichier word).  Elle se trouve au début (Partie 1- 1° apparition…page 32+) de Sodome et Gomorrhe. 

Respirez !

« Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à la découverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui : “Les deux sexes mourront chacun de son côté” ; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les juifs autour de Dreyfus, de la sympathie – parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir, qui ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter à l’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, mais d’une maladie inguérissable ; comme les juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leurs rebuffades, s’enivrant de leurs complaisances ; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe, l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable celui qui l’est demeuré davantage), une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allant chercher comme un médecin l’appendicite l’inversion jusque dans l’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pas d’anti-chrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime, parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus aux autres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes, qui souhaitent de ne pas se connaître, aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonne pas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat : le prince, avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas en sortant de chez la duchesse, s’en va conférer avec l’apache ; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n’est pas, étalée, insolente, impunie là où elle n’est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale, légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes, et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. »

Le lait était noir

Un récit biographique de Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar. Traduit de l’arabe par Ouahib Mortada

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Ci-après mon compte-rendu de lecture de ce livre

« Le lait était noir » est un récit biographique de l’homme de théâtre marocain Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar et traduit de l’arabe par Ouahib Mortada. Il est présenté par l’Agence de L’Oriental. Le livre est paru en arabe aux éditions Yotoubia (Maroc). L’ouvrage en français, édité à compte d’auteur, comporte 147 pages. Il s’ouvre par une dédicace et une introduction et s’achève par un mot de l’auteur sur sa rencontre avec Mohammed Benjeddi, ainsi que par des témoignages d’une douzaine d’hommes et de femmes de la sphère culturelle marocaine et française. Le livre est écrit de sorte à ce que le rendu reflète au plus près la parole de l’homme de théâtre qui se veut directe, sans fioriture. Le cœur du récit se distribue en 25 très courts chapitres, y compris « Les premières années du 21° siècle » placé en fin de livre. Parmi eux ces titres « À l’école », « Les premiers pas », « Le premier grand voyage », « Rester ou partir », « La fermeture des frontières »…

L’introduction présente la cité minière de Jerada (60 kms au sud d’Oujda) et la famille de Mohammed Benjeddi dont le père, Abdelkader, qui est mineur. Dès sa première enfance Mohammed fait face à des problèmes de santé qui l’ont éloigné de ses parents. Tout petit il souffre des jambes et des bras qu’il ne peut bouger. Il n’est pas le seul dans Jerada. Plusieurs enfants de la ville sont hospitalisés. Autre mal, Mohammed boite et souffre d’une protubérance dorsale. Ses camarades de classe se moquent de son handicap, mais ne peuvent faire mieux que lui dans l’apprentissage scolaire. Il est le meilleur de la classe. Le hasard a voulu que Mohammed connaisse les premières planches à l’école grâce à son maître d’école qui lui propose d’interpréter le rôle d’un personnage d’une pièce de Maxime Gorki où il est question d’un boiteux. Mohammed découvre un nouvel univers, encouragé par ses parents et ses enseignants. À la fin d’un spectacle de fin d’année qui se déroule au sein de la mine, Mohammed reçoit les encouragements du directeur. 

Il poursuit ses études dans un lycée d’Oujda, en interne. C’est par le journal local où son nom est écrit en toutes lettres qu’il apprend qu’il est admis au bac. Sa mère fête l’événement par une zerda où sont invités famille et voisins, et offre à son fils des vêtements neufs. La suite des études se déroulera à Oujda. Mohammed suit également les cours de la faculté de lettres de l’université de Fès, à distance. Il a un rêve, celui de voyager à l’étranger. Il se rend donc en Espagne où il se fait voler les documents de voyage, échappe à une tentative d’attentat à la bombe qui s’est révélée fausse. Il poursuit son voyage en France. Il se rend chez sa sœur, en attendant une convocation pour travailler, puis à Paris « la ville envoûtante ». Sa rencontre avec une voisine de sa sœur causera des problèmes familiaux. Il revient à Oujda où il commence à enseigner, précisément dans sa ville natale, Jerada. Mais pas pour longtemps. Il sera « disqualifié » pour cause de mauvaise santé, alors qu’un médecin le déclare apte. Il constitue un dossier prouvant qu’il est à même physiquement et mentalement d’assumer sa mission d’enseignant. Il apprendra que c’est à la suite d’une plaisanterie (la sienne) visant un médecin, que Mohammed s’est retrouvé « disqualifié de la fonction d’enseignant pour raison de santé ». Il passa des mois entre Oujda, Fès, Rabat, de ministère en ministère. Au ministère de la Fonction public on le décourage « cela prendra beaucoup de temps » lui dit-on. Et ce temps, Mohammed veut le mettre à profit.

Il se rend de nouveau en France (St Quentin) où il rencontre plusieurs artistes, participe à des projets culturels, mais le climat familial ne l’incite guère à rester en France. Ses va-et-vient reprennent entre les différents ministères. Au lycée Jerada où il enseigne, il réalise avec ses élèves une pièce de théâtre. Plus tard il participe à la mise en place du premier festival de théâtre scolaire. Il mettra en scène Al Maghout, réalise des émissions de radio, rencontre des artistes algériens, coordonne les activités de l’Alliance française à Oujda. Après la mort de son père en 2005, il quitte l’Éducation nationale après 37 années de service. Il se détache de l’Alliance française et s’installe dans un petit village, à Tafoughalt.

Mohammed Benjeddi poursuit néanmoins ses activités artistiques. Il participe avec sa troupe Comédrama au Festival d’été de Bruxelles alors que sa santé est très fragile. Le diagnostic des médecins est sans appel. Il rentre alors en urgence au Maroc puis repart en France sur insistance de son fils pour intégrer le CHU de Montpellier. La solidarité entre les artistes va formidablement jouer par l’intermédiaire d’une de ses amies, Danielle Pugnale, qui ouvre une cagnotte sur les réseaux sociaux pour aider Mohammed. Et c’est un grand succès. Les dons affluent de nombreuses régions, de nombreux pays. L’opération médicale est couronnée de succès. À son arrivée à l’aéroport d’Oujda l’artiste est accueilli par une foule importante. On organise une soirée spéciale à son honneur.

Mohammed Benjeddi, dans son entretien avec Amira Leziar l’auteure de son récit biographique, se souvient d’une belle rencontre alors qu’il était en France pour une nouvelle hospitalisation et un contrôle. Une rencontre en Normandie d’une vieille dame. C’était à la suite d’un « week-end théâtral » à Rouen. Une de ses amies qui l’accompagnait lui présenta sa tante qui avait vécu au Maroc. Et à Jerada où elle était infirmière à l’hôpital de la compagnie des mines jusqu’en 1960 et son départ pour la France. Elle a connu « Kader » le père de Mohammed et surtout la vérité sur la composition du lait qu’on distribuait aux familles. « Il y avait du lait mélangé avec des particules de goudron qui tombaient des grandes chaudières où se faisaient le remplissage des bouteilles de lait… » qui causera tant de ravages chez les enfants de Jerada. 

Sur deux pages, l’auteure, explique les conditions de cette rencontre avec Mohammed Benjeddi, notamment à Montpellier où il lui conta son histoire. Une douzaine d’acteurs de la scène artistique marocaine et française lui rendent un hommage appuyé. Le dernier chapitre du livre s’intitule « Parcours de l’artiste » qui en énumère les grands axes. Ses débuts avec « Aïcha Kandicha », son parcours professionnel à Oujda, la troupe qu’il a fondée, « Comédrama », ses représentations, ses participations à différents festivals, ses beaux échanges avec les artistes algériens. Mohammed Benjeddi a reçu la médaille d’or de la Fédération internationale du théâtre en France. Il continue aujourd’hui de suivre de très près le monde du théâtre qui ne l’a jamais abandonné.

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Facebook, Twitter…

Bonjour à tous,

Six mois ont passé depuis que j’ai suspendu mes interventions sur Facebook. Je ne pouvais pas demeurer sur le réseau social. Le ronron était devenu intenable. 

Certains se souviennent de ce spectacle de fête foraine où des motards tournent à l’intérieur d’une boule de métal qu’on appelait La boule de la mort. Ils montent et descendent comme des fous, sans aucune issue que celle de tourner et tourner encore jusqu’au sifflet de l’ordonnateur tapis de l’autre côté du danger, hors de la boule, lui. Facebook m’a donné ce vertige inutile. Et puis l’on se rend compte que les Trolls sont plus nombreux que les gens de bonnes intentions. La plupart de ces Trolls (vous vous rappelez des « doubabs » ?) qui subsistent je suppose, sont malveillants. Ils ne construisent pas, ils cassent le débat, les échangent. Seules comptent pour eux les polémiques, les diversions. Beaucoup sont rémunérés, remerciés (d’une façon ou d’une autre). Mais Facebook c’est aussi des rencontres, des retrouvailles, de la joie, parfois pas. 

Il est important parfois de faire des pas de côté, des pauses, mettre à distance, pour faire le point, répondre à ses propres interrogations. Et surtout relativiser. Dans beaucoup de pays (notamment du Sud), les utilisateurs des réseaux sociaux sont une très petite minorité. Ces gens ne révolutionneront pas le monde. L’autre danger dans ces pays est la télévision qui propage le mensonge à longueur de journée. Et lorsqu’il y a 8 ou 15 chaînes c’est 8 ou 15 fois autant de mêmes mensonges répétés. De ces mensonges il en reste forcément quelque chose. Les Algériens en savent un bout.

Je reviens à la parenthèse. Ces pas de côté permettent de relativiser, de mettre en perspective, de se rendre compte combien l’homme, quel qu’il soit ne changera pas seul le monde, et combien il est petit, lui l’homme. Et combien ce réseau social et les autres débordent de vanité, de haine, parfois avec l’assentiment directs ou non de leurs propriétaires. L’exemple récent montre combien le patron de Twitter compte faire émerger tous les discours quels qu’ils soient y compris les plus nauséeux, au nom de la sacro-sainte « liberté d’expression » sans borne. C’est pourquoi j’ai définitivement clos mon compte après treize années de présence. Facebook suivra-t-il ?

J’ai mis à profit cette longue parenthèse pour voir du monde, voyager, écrire. Le monde est entrain de renforcer les aspects les moins heureux, de mettre en spectacle les côtés sombres de notre humanité. Les Droits fondamentaux de l’homme partout reculent. Depuis quelques décennies un renversement progressif des valeurs qui ont fait la fierté des hommes s’est produit.

Aujourd’hui le complotisme, les idéologies que l’on croyait définitivement balayées refont surface, avec des nuances, avec des acteurs et des victimes différentes. Le nationalisme est de retour un peu partout et les cloisonnements dangereux qui vont avec. En Europe, particulièrement en France (où nous vivons) le rejet de l’immigré, de l’immigré musulman, du musulman, de l’Arabe, du Maghrébin, de l’Africain est fortement médiatisé par des chaînes d’information comme C News ou BFM… profondément réactionnaires, sans déontologie, sans éthique, avec des objectifs toujours dictés par la seule cupidité. D’autres chaînes, publiques, sauvent souvent cet honneur perdu, heureusement.

L’accueil des réfugiés ukrainiens en Europe est une nécessité pour son honneur. Le rejet simultané et clairement assumé des nouveaux boat people africains et arabes est révoltant. Le choc est monstrueux. De nombreux Européens (et Français) se sont dit révoltés par cette différenciation de l’humanité selon qu’elle est blanche ou non.  

Quant à l’Algérie, c’est avec tristesse que je l’observe. Beaucoup de tristesse. Mais aussi, hélas, avec de plus en plus de détachement. 

Le racisme qui touche les Africains en Algérie est la pire de toutes les saloperies. On ne peut jeter la pierre à l’occident d’un côté et discourir comme une fripouille, un faquin, concernant nos frères Africains dénudés qu’on ne regarde même pas dans la rue, qu’on évite, qu’on blesse. 

J’observe l’Algérie qui m’a vu naître, grandir avec beaucoup de tristesse. Je suis devenu totalement allergique aux chaînes de télévision algériennes. Je continue de lire la presse papier que je trouve routinière et aseptisée. Il ne se passe (quasiment) presque rien, hormis les chiens écrasés et le bon dos du néocolonialisme, rien sur les responsabilités internes inhérentes à l’autoritarisme. Le régime s’enfonce dans l’aveuglement et la brutalité et on ne peut rien dire. Des jeunes filles et hommes sont jetés en prison pour un oui ou pour un non, les ONG et les partis politiques vivent sous la menace constante et les entrepreneurs honnêtes sur la défensive. Les maquignons qui s’étaient repliés quelque temps sont revenus pour agrandir leurs tanières. Les petites cupidités sournoises au raz du gazon qui virevoltent derrière eux reprennent elles aussi du poil de la bête et leurs trains-trains. Les pénuries d’huile, de pain et autres produits de nécessité première ne les concernent pas. Après avoir crié plus fort que nous tous « Jazair horra démocratia » en tête des cortèges, les voilà ces frappes héraults de l’Algérie neuve. La dine, la rassa, la mella. C’est très triste et très révoltant. 

Mais l’honneur et la dignité ont la vie dure. Un arrêt, une respiration, une pause, ne sont jamais des défaites.


Je quitte Twitter

JE QUITTE TWITTER. 

Pourquoi, après 13 ans de présence, je quitte Twitter ? La raison principale est simple. La digue de la modération est en passe d’être réduite à peau de chagrin sur Twitter. Les discours ouvertement haineux, xénophobes, racistes vont se déverser plus encore sans aucune crainte à commencer par ceux du complotiste ex président des USA, grand ami du milliardaire, désormais patron de Twitter, Elon Musk. L’objectif principal du nouveau patron autoritaire de Twitter est la rentabilité et seulement cela, tout le reste en dépend. Parmi les toutes premières de ses actions figure le licenciement (par mail !) de 50% des employés de twitter. 

Il y a des limites, des « digues » que justement le nouveau propriétaire de ce réseau social semble vouloir détruire. Nous avons en France l’exemple de chaînes TV d’information notamment où le Trash, le racisme, le voyeurisme sont érigés en modèle. Les nombreuses réactions abjectes sur Twitter à la suite de l’intervention ce 3 novembre du député noir Carlos Martens Bilongo de la France Insoumise n’ont pas été supprimées de Twitter. À tous mes amis, je vous conseille une bonne lecture. Personnellement je reprendrai La société du spectacle de Guy Debord « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image », mais avant tout j’émigre dès cette semaine vers Mastodon, beaucoup plus horizontal, où l’éthique semble avoir un sens (me dit-on).

Au revoir, beslama, adiós, Wiedersehen, arrivederci, Hejdå…إلى اللقاء

Ahmed HANIFI, 7 novembre 2022

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12 septembre 2022

L’hypothèse du rachat par Elon Musk du réseau social Twitter a fait grand bruit, avant d’évoluer en saga médiatique après le changement d’avis du milliardaire libertarien. Réputé pour ses positions « radicales » en faveur de la liberté d’expression, le patron de Tesla et Space X a fait craindre, d’après nombre de médias, la fin de la modération agissant comme une sorte de digue démocratique. Une digue qui a notamment permis le bannissement de Donald Trump après l’invasion du capitole par ses partisans en 2020. 
Mais le problème se situe-il réellement à ce niveau ? Est-ce que Twitter, à ce jour, soit avant d’éventuels changements dans la politique de modération, contribue positivement au débat démocratique ? Ou alors, pourrait-il jouer ce rôle si ses dirigeants étaient empreints d’une véritable « éthique » ? Il est permis d’en douter.  

Yves Marry

Cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux, dédiée aux enjeux des écrans et d’économie de l’attention

Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux, qui permettent la transmission d’information en continu et l’échange direct entre émetteur et récepteur, se sont imposés comme les principaux lieux du débat public à l’échelle mondiale. Twitter, premier d’entre eux dans le champ de l’information, est ainsi devenue une sorte d’Agora planétaire, et il apparaît incongru de ne pas y participer lorsque l’on souhaite y prendre part. C’est pourtant la position défendue par ce billet, à l’adresse de celles et ceux qui s’engagent dans la grande « transition écologique et sociale »1 à venir, et donc dans le plaidoyer visant à la promouvoir. Citoyens, responsables politiques, mais aussi, et peut-être surtout, ONG fers de lance du mouvement social : je vais tenter d’expliquer pourquoi, d’après moi, vous devez quitter Twitter.

  1. Se reconnaîtront ici celles et ceux qui sont engagés pour agir réellement, à la racine, contre les catastrophes écologiques et sociales déjà bien commencées.

Twitter ne sera jamais ni démocratique…

Les objectifs de rentabilité sont fondamentalement antinomiques avec ceux du débat démocratique. Ce dernier nécessite une liberté d’expression s’exerçant au sein de limites collectivement définies, la possibilité d’une écoute réciproque, une ouverture aux arguments contraires. Autant de conditions ruinées par l’émergence des grandes plateformes qui ont basé leur modèle économique sur la captation de l’attention humaine, et pour qui l’impératif de profit l’emporte sur toute autre considération.

On pourrait rétorquer à ce stade qu’une version « libre » ou « éthique » – comme Mastodon – de la même application permettrait de conserver les avantages d’Internet, « horizontal », « outil d’accès à la connaissance », etc. Mais la forme capitalistique de Twitter n’est pas le seul problème. C’est même, oserais-je avancer, secondaire. Comme nous l’ont appris les précurseurs de l’écologie : la « technique n’est pas neutre »2. L’infrastructure d’Internet et des réseaux sociaux empêche, par nature, la possibilité d’un débat réellement démocratique.

Neil Postman le démontrait dès 1992 dans Technopoly3 : plus la transmission de l’information s’accélère grâce aux innovations technologiques, plus les contenus « saillants », chargés émotionnellement, sont favorisés par rapport à ceux mobilisant la raison et l’esprit critique.

Journal papier, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux : l’histoire des médias est l’histoire d’une accélération, et ainsi d’une course effrénée vers le trash et le clash. En atteste ce qui capte le plus l’attention aujourd’hui en matière d’information : des émissions de politique spectacle comme TPMP en France, les comptes Twitter de personnalités comme Donald Trump, ou l’enchaînement de vidéos « chocs » sur Youtube et Tik Tok.

Par surcroit, loin d’une prétendue « horizontalité » liée à Internet, on communique dans ces réseaux en silo, à travers des « bulles de filtre », avec des personnes partageant nos opinions – à moins que l’on souhaite troller pour mieux gagner desfollowers, ce qui n’arrange en rien la qualité de la pratique démocratique. Cette fuite en avant se fait au détriment du journalisme professionnel et indépendant et, plus généralement, de la « vérité de fait », pour reprendre les termes d’Hanna Arendt dans sa description du risque totalitaire. 

Consacrant l’ère du clash et du bullshit4, faut-il voir en Twitter un « progrès », ou au contraire un fossoyeur de nos démocraties ?

2. Neil Postman, Technopoly, comment la technologie détruit la culture, traduit collective de l’anglais, L’Échappée, 2019.

3. Pour reprendre les termes de Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau, qu’il est urgent de (re ?) découvrir.

4. Termes de Christian Salmon, auteur de « L’ère du clash » (Fayard, 2019) et d’Elodie Laye Mieczareck, sémiologue, dans le podcast Sismiques : « L’ère du bullshit », épisode 81, janvier 2022.

…ni écologique ou social

La pensée réactionnaire et xénophobe n’a jamais eu besoin d’Internet pour germer dans les esprits. Toutefois, la technologie numérique agit sur elle comme le meilleur des fertilisants. Pointer du doigt des boucs émissaires, attiser la peur et la haine, quoi de plus facile quand c’est l’émotion qui guide la visibilité, et donc la rentabilité ?

S’ajoute à ce biais la faculté de manipulation permise par les algorithmes. Plus il y a de données personnelles, plus des entreprises de marketing politique peuvent cibler les électeurs et influencer les opinions. Cas d’école, l’affaire Cambridge Analytica a révélé l’immense capacité d’influence des agences de communication sur les élections, et donc de l’argent permettant de s’offrir leurs services. Il aura ainsi suffi de cibler quelques électeurs stratégiques via les données récoltées sur Facebook pour faire bifurquer l’histoire : vote du Brexit en 2015 et élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016.

Rappelons aussi, brièvement, l’immense coût écologique de la technologie numérique, longtemps vantée comme un « cloud », et toujours accolée à l’adjectif « smart ». Cette énième duperie de l’industrie numérique a été parfaitement dévoilée par P. Bihouix, G. Pitron, ou le Shift Project, entre autres5. Green IT a même calculé que Twitter émettait chaque jour autant de CO² que 20 aller retours Paris Londres en avion6

Enfin, outil de contrôle par excellence, l’Internet contemporain est-il réellement une arme des « combattants de la liberté » ou plutôt un moyen de surveillance, et donc d’oppression ? Russie, Chine, Birmanie, pour ne citer que quelques exemples récents : tous les mouvements de protestation y sont repérés, puis réprimés. Les « printemps » se sont glacés, et les oppositions meurent en silence. Ou s’organisent « en vrai ». Car quel mouvement de contestation sociale a connu plus de succès, en France ces dix dernières années, que la ZAD de Notre Dame des Landes ? Loin des hashtags et des indignations éphémères, les zadistes se sont réunis physiquement, ont éprouvé l’opposition dans leur chair, se sont liés, et ont obtenu la fin d’un projet industriel absurde.

5. Lire : Philippe Bihouix, L’Âge des low tech ;Vers une civilisation technologiquement soutenable, Seuil, 2014 ; Guillaume Pitron, L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Les liens qui libèrent, 2021 ; Shift Project, Rapport « Pour une sobriété numérique », octobre 2020. 

6. Lire « Combien d’énergie pour un tweet », sur le site de Green IT : w-geenit-fr/2010/06/28 

Le devoir d’exemplarité

Mais si Twitter est devenue l’agora principale, ne faut-il pas y participer, afin de ne pas « laisser la place aux adversaires » ? C’est le même argument qui incite certaines voix du progrès écologique et social à ferrailler sur CNews. Sauf que, précisément, une majorité de ce camp s’y refuse, et à raison : y aller, c’est leur permettre de ne pas parler tout seul, d’avoir quelques balles à smasher. Tout le cadre, l’armature du débat, les temps de parole, les thèmes abordés, les prises de vue, les montages post production : tout favorise la pensée réactionnaire et conservatrice défendue par le milliardaire Vincent Bolloré, dont on sait qu’il mène une croisade idéologique. Dans une moindre mesure, certes, c’est la même logique qui s’applique à Twitter. La bataille culturelle y est perdue d’avance pour le camp de la transition.

Il y a, à contrario, des avantages à quitter Twitter, au premier rang desquels le gain de temps et de disponibilité d’esprit pour communiquer autrement. Car, réjouissons-nous, les autres médias n’ont pas encore totalement disparu. La société civile peut investir pleinement les médias traditionnels, leur réserver les informations exclusives. Elle peut s’exprimer dans les amphithéâtres et les écoles, organiser des cafés débats, distribuer des textes imprimés qui circulent de mains en mains. S’impliquer physiquement, « réellement », dans la construction du monde d’après, plutôt que derrière un écran de fumée.

Pour que la planète soit préservée de la voracité des multinationales, pour que la démocratie s’impose face à l’autoritarisme, pour, comme l’a annoncé la maire de Barcelone Ada Colau l’an dernier au moment de clôturer son compte, que « l’amour l’emporte sur la haine » : quittez Twitter.

Article paru in: w.communication-democratie.org/fr/publications/2022/09/12/pourquoi-il-faut-quitter-twitter

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Annie Ernaux, prix Nobel

ANNIE ERNAUX PARLE DE SON ECRITURE _ 1984, « APOSTROPHES »

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Annie Ernaux « La Place » ⎜ Archive INA – Bernard Pivot, Apostrophe – 6 avril 1984 Annie ERNAUX présente son livre « la Place »  – Avec les interventions de Georges Emmanuel CLANCIER et d’Alain BOSQUET- Archive INA Institut National de l’Audiovisuel. AH 20221011

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Contexte historique

Par Johanna Pernot

Annie Ernaux est une écrivain contemporaine, connue pour ses écrits autobiographiques.

Née en 1940 en Seine-Maritime, à Lillebonne, elle passe son enfance et sa jeunesse à Yvetot, dans un milieu modeste. Dès avant sa naissance, ses parents se sont affranchis de leur condition d’ouvrier en achetant un café-épicerie à Lillebonne. Ils rêvent d’ascension sociale, pour eux et leur fille. Alors que celle-ci a cinq ans, ils acquièrent un café-alimentation à Yvetot. Annie, qui grandit dans ce café, au milieu de la clientèle, obtient de bons résultats à l’école. Après des études universitaires à Rouen, elle devient institutrice puis professeur certifiée en 1967. Elle est reçue à l’agrégation de lettres modernes en 1971. Au début des années 1970, elle enseigne dans un collège d’Annecy, puis à Pontoise, avant d’intégrer le CNDP. En 1974, son premier roman autobiographique, Les Armoires vides, signe son entrée en littérature. En 1983, elle rencontre le succès avec La Place. De nombreux récits autobiographiques vont suivre, dont Passion simple, en 1991, qui relate une liaison à l’âge adulte ou La Honte en 1997, davantage centré sur le couple parental et la quête d’un traumatisme originel, social et sexuel. Dans Les Années qu’elle publie en 2008, l’auteur commente des photographies d’elle-même qu’elle intercale, dans son récit à la troisième personne, avec des souvenirs choisis pour leur portée historique ou sociologique. « Les images réelles ou imaginaires » construisent une vaste fresque qui court de l’après-guerre à nos jours. Dans L’Autre fille, Annie Ernaux adresse en 2011 une lettre à sa sœur qu’elle n’a pas connue, morte de la diphtérie à l’âge de six ans. La même année paraît son anthologie, Ecrire la vie, qui réunit la plupart de ses écrits autobiographiques, précédés de cent pages de photos et d’extraits de son journal intime et inédit.

L’autobiographie au sens strict, telle que la définit Philippe Lejeune, est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa personnalité. » Elle requiert une homonymie explicite entre auteur, narrateur et personnage. En scellant un « pacte autobiographique », l’autobiographe s’engage à être sincère sur son identité, et le lecteur à le croire. L’autobiographie passe par des étapes-clés, comme le portrait physique, social et moral de la personne, le récit des origines et de l’enfance, les épreuves affrontées… Les Confessions de Rousseau, qu’on considère comme le modèle fondateur du genre, pose déjà un des problèmes de l’autobiographie : celui de la véracité et de la bonne foi de l’auteur. Deux cents ans plus tard, Sartre, avec Les Mots et le recours à l’intertextualité et la parodie, mine définitivement les principes du récit autobiographique. À la définition de Philippe Lejeune, on pourrait donc préférer une notion plus large, qui inclurait l’autofiction, mais aussi les correspondances et les interviews, les albums de photos… À partir des années 60, le récit autobiographique se diversifie et se généralise dans les bibliographies des écrivains. Il prend plus récemment une nouvelle orientation : pour se dire, l’auteur se décentre. Le récit autobiographique initie alors un va-et-vient entre soi et autrui, identité et altérité, comme en atteste La Place d’Annie Ernaux.

Cette autobiographie de cent pages, rédigée entre novembre 1982 et juin 1983, relate l’ascension sociale des parents d’Annie, leurs conditions de travail et leurs espoirs. L’écrivain rend hommage à son père. Il décède deux mois après qu’elle-même a « trahi » son milieu d’origine en devenant professeur de lettres. Le récit, fait de paragraphes qui s’interrompent brutalement, rend compte de la difficulté de dire. Sa sécheresse révèle la douleur latente et la difficulté de parler, entre membres d’une même famille.

Éclairage média

Par Johanna Pernot

Créée par Bernard Pivot en 1975, Apostrophes s’impose rapidement comme l’émission littéraire de référence à la télévision. Ce salon littéraire moderne remplit parfaitement sa fonction de démocratisation culturelle. Diffusée tous les vendredi soirs pendant quinze ans, l’émission accueille en direct plusieurs invités venus débattre autour d’ouvrages dont Pivot lit de nombreux extraits. Instigatrice de certains succès, révélatrice de phénomènes littéraires, mais aussi lieu d’affrontement des idéologies, Apostrophes connaît une forte audience (plus de 2 millions de téléspectateurs). De l’ivresse scandaleuse d’un Bukowski à l’interview exclusive d’un Soljenitsyne en passant par les entretiens à domicile de Yourcenar ou Duras, l’émission a fortement marqué la mémoire télévisuelle (voir Florilèges de l’émission Apostrophes). Pour les professionnels de l’édition, le passage par Apostrophes est devenu crucial en vertu de sa capacité à lancer le succès d’un livre – à l’instar de La Place, prix Renaudot 1984.

La lecture initiale de Bernard Pivot oriente la discussion sur le style d’Annie Ernaux et son refus du roman. Les plans rapprochés révèlent le visage à peine fardé de l’auteur, qui, l’attitude humble, le regard un peu fuyant, résume la vie très modeste de son père et sa « toute petite ascension sociale », de paysan à petit commerçant.

En refusant délibérément la fiction mensongère du roman, Annie Ernaux respecte l’ambition originelle de toute autobiographie : dire la vérité, sur soi et son entourage. La création d’un personnage aurait nécessairement embelli son père. Au contraire, le choix d’une « écriture plate », sans commentaire, lui permet de raconter objectivement l’histoire paternelle. Le style dépouillé se veut à l’image d’une vie marquée par la nécessité.

Les écrivains et critiques Alain Bosquet et Georges-Emmanuel Clancier soulignent l’un après l’autre le paradoxe de cette écriture : la pudeur, la simplicité des phrases laissent affleurer les émotions. L’ascétisme du style rend le récit d’autant plus touchant.

Le débat s’achève sur l’articulation tragique entre parole et écriture. « On ne parlait plus le même langage » déclare Annie Ernaux. C’est parce que le père ne maîtrise pas « le beau langage » de la culture dominante, et que la communication devient impossible, que la fille se tourne vers l’écriture et consomme la rupture avec son milieu d’origine.

www.enseignants-lumni-fr

Rencontres méditerranéennes de Lourmarin

Les Rencontres de cette année ont commencé ce vendredi 30 septembre avec un atelier à destination d’élèves du primaire, animé par Brigitte Lannaud Levy, « autour de la réalisation d’un portrait d’Albert Camus », puis avec une exposition photo de Carole Charbonnier « à partir du travail réalisé au sein de la maison d’arrêt de Paris La Santé, en partie autour de l’Étranger » et en soirée avec une « lecture musicale de l’Étranger par Réda Kateb accompagné du pianiste Didier Davidas ».

Le samedi matin nous avons eu droit à trois belles interventions de Paris Lounis « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger », d’Alexis Lager et de Maître Georges Girard « sur le thème du procès de Meursault dans l’Étranger en perspective avec l’actualité. »

(CF VIDÉO ICI EN BAS DE PAGE)

D’autres animations sont prévus les samedi après midi et soirée ainsi que le lendemain dimanche avec diffusion entre autre d’un film de Joel Calmette « Camus avec nous  » en présence du réalisateur.

J’ai assisté aux interventions de ce samedi matin. La première notamment avec le remarquable travail de Faris Lounis (voir vidéo ici en bas de page).

Sur le plan anecdotique j’ai noté cette clarification à propos de « Meursault, contre-enquête » de Kamel Daoud.

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_ Catherine Camus confirme ce que j’écrivais dans un article que j’ai fait publier par Le Quotidien d’Oran le 30 mai 2017, (voir le lien en bas de page). J’y rapportais avec Kaoutar Harchi que je cite que Kamel Daoud avait dû modifier des passages de « Meursault, contre-enquête » pour que son roman soit accepté par les lecteurs français, mais prioritairement par les éditeurs, par ce « système éditorial qui a le monopole de légitimer ou déligitimer un texte », et par les ayant-droit. 

Voici un extrait : « On s’aperçoit alors que le produit célébré en France n’est pas celui édité en Algérie, ‘‘c’est le projet dépolitisé par le franchissement littéraire’’ où Albert Camus est célébré, mais où la ‘‘petite voix »’’ de Kamel Daoud a été étouffé. L’accueil réservé à Kamel Daoud, cette reconnaissance littéraire a pour effet d’infléchir le discours de l’auteur qui se trouve obligé de l’adapter ‘‘à l’horizon d’attente des consacrants et plus largement du lectorat français’’ constate Katouar Harchi »… K. Daoud bascule d’un « acte littéraire engagé » (dans la version algérienne de Meursault, contre-enquête) écrit la sociologue à un « hommage appuyé à Camus » (dans la française).

Kamel Daoud avait alors réfuté le contenu de notre article et plus encore le pavé de Kaoutar Harchi. Cinq années ont passé depuis. Il ne s’agit pas de « quelques phrases » mais « beaucoup ».

Ce samedi matin, 1° octobre 2022, avait lieu la deuxième journée (sur trois) des « Rencontres méditerranéennes de Lourmarin » avec de très intéressantes interventions dont celle de Faris Lounis très appréciée, « une critique de la lecture qu’Edward Saïd a faite de l’Étranger ».

Lorsque la parole fut donnée au public, madame Catherine Camus est intervenue (par moment, je ne saisissais pas trop bien ce qu’elle disait, notamment parce qu’ inaudible, mais pas que…) Voici ce que j’ai bien entendu : « En ce qui concerne Kamel Daoud (dont le livre « Meursault, contre-enquête » a été évoqué), on doit beaucoup de choses à Alexandre ( probablement son collaborateur Alajbegovic ) dans ce livre parce que quand on l’a reçu, ça commençait par : ‘‘l’assassin habitait au 93 rue de Lyon’’ (Alger), donc c’était nommément Meursault, Camus, je ne sais pas… et Alexandre me dit ‘‘mais on ne peut pas laisser ça comme ça, quand même !’’ Je dis ‘‘ Oui, mais attention, parce que, attention, si je dis quelque chose ‘‘Le Monde’’ (certainement le quotidien parisien) va me tomber sur le paletot en me disant que j’ai attaqué un Arabe (madame Camus dit « Arabe » en appuyant sur les syllabes. Donc j’ai téléphoné directement à Kamel Daoud, poursuit-elle, qui a été très sympa et qui me dit « Oh ben si… » (elle mêle les mots de KD aux siens) « vous pouvez pas commencer comme ça, c’est pas possible. Vous associez papa à l’Arabe, à … (inaudible). Il m’a dit « Oh ben s’il s’agit de changer deux ou trois occurrences c’est pas un problème ». Donc on en a changé BEAUCOUP (C.C appuie sur le mot). Entre ce qui est sorti en Algérie et ce qui est sorti en France, il y a de grosses différences »…

Oui, de grosses différences. Ni Kaoutar Harchi, ni moi-même n’avons repris « des thèses diffamatoires » comme KD me l’a écrit.

 Lire ici l’article en question (cliquer)

ou ici LE QUOTIIDIEN D’ORAN (30.05.2017)

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CLIQUER ICI POUR VOIR EXTRAITS VIDEOS DES RENCONTRES DU SAMEDI MATIN

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L’apartheid, révélateur de l’impunité d’Israël

L’apartheid, révélateur de l’impunité d’Israël

Le débat sur l’existence ou non d’un système d’apartheid en Israël et dans les territoires palestiniens occupés est dépassé. L’apartheid israélien est un fait. Comme le confirme l’escalade des frappes et des représailles autour de la bande de Gaza, il est urgent désormais de mettre un terme à l’impunité d’Israël et de contraindre son gouvernement à reprendre les négociations.

Par René Backmann

https://www.mediapart.fr-  7 août 2022 à 11h29

La violence, parfois démesurée et indécente, du récent débat à l’Assemblée nationale sur une proposition de résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » (voir notre article) appelle, me semble-t-il, un retour à la réalité de la situation sur le terrain. Tout s’est passé, apparemment, au Parlement, comme s’il s’agissait de juger si le terme « apartheid » était acceptable pour définir le type de régime imposé par Israël aux Palestiniens de Cisjordanie, de la bande de Gaza et d’Israël. Ou si l’usage de ce mot relevait de la caricature rhétorique, de l’anticipation polémique, de la facilité militante, de l’hallucination idéologique, voire de l’antisémitisme pur et simple.

Le problème, hélas, c’est qu’on n’en est plus là. Israël est responsable, à l’intérieur de ses frontières et dans les territoires palestiniens occupés, du crime d’apartheid. C’est un fait. Clairement établi. Aussi incontestable que la poursuite de l’occupation militaire et le développement de la colonisation en Cisjordanie. Aussi indiscutable que la stratégie du statu quo fondée sur le recours à la force militaire impunie chaque fois que le camp d’en face viole la règle tacite du silence des armes. Comme on vient, une fois encore, de le constater à Gaza où après la mort d’un commandant du Djihad islamique visé vendredi 5 août par une frappe ciblée, l’armée israélienne a répondu aux tirs de représailles du mouvement islamiste par des bombardements qui ont causé la mort de nombreux Palestiniens.

Après avoir été l’idéologie d’un régime instauré en un lieu précis – l’Afrique du Sud – à un moment précis du XXe siècle, l’apartheid est officiellement depuis 1976 le nom d’une violation du droit international qui constitue un crime contre l’humanité, condamné et puni comme tel. Même si son nom est historiquement lié au régime raciste sud-africain, c’est aujourd’hui un concept juridique indépendant, avec son identité et sa vie propres, qui peut exister sans être nécessairement fondé sur une idéologie raciste. Pour le droit international, il existe en fait aujourd’hui deux définitions de l’apartheid.

Celle de la Convention internationale des Nations unies adoptée en novembre 1973 et entrée en vigueur en juillet 1976. Et celle du Statut de Rome, entré en vigueur en juillet 2002, qui crée la Cour pénale internationale et considère l’apartheid comme l’un des dix crimes contre l’humanité relevant de sa compétence. Les deux textes diffèrent sur certains points mais s’accordent sur une base commune selon laquelle on entend par crime d’apartheid « des actes inhumains commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous les groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ». Plus détaillée que le Statut de Rome, la Convention de l’ONU énumère 9 « actes inhumains » qui caractérisent le crime d’apartheid. Parmi ces « actes inhumains » figure notamment le fait de « prendre des mesures, législatives ou autres, destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe ou des groupes considérés, en particulier en privant les membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ».

Adossés à ces deux définitions, l’avocat Michael Sfard et cinq juristes reconnus, parmi lesquels un ancien procureur général de l’État, ont passé au crible du droit international, au printemps 2020, pour l’ONG israélienne Yesh Din (« Il y a une justice ») le statut civique et juridique mais aussi la vie quotidienne des Palestiniens. Leur réponse a été claire : « Le crime contre l’humanité d’apartheid est perpétré en Cisjordanie. Les auteurs du crime sont israéliens et les victimes sont les Palestiniens. » 

Ce n’était pas la première fois que l’accusation était portée contre le gouvernement israélien. Depuis le début, en 2002, des travaux de construction du mur-barrière, qui parcourt plus de 700 km de méandres à travers la Cisjordanie, l’accusation d’instaurer un régime d’apartheid pèse sur les dirigeants d’Israël. Dès 2005, le politologue israélien Menachem Klein dénonçait le projet gouvernemental d’imposer, grâce au mur, une majorité juive à Jérusalem. Il avait baptisé cette stratégie « Spartheid » : l’apartheid réalisé par les moyens de Sparte !

En janvier 2021, B’Tselem, le centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés, affirmait dans un rapport qu’« un régime qui utilise lois, pratiques et violence organisée pour cimenter la suprématie d’un groupe sur un autre est un régime d’apartheid. L’apartheid israélien qui promeut la suprématie des Juifs sur les Palestiniens n’est pas né en un seul jour, ni d’un seul discours. C’est un processus qui est graduellement devenu plus institutionnalisé et plus explicite, avec des mécanismes introduits au cours du temps dans la loi et dans la pratique pour promouvoir la suprématie juive. Ces mesures accumulées, leur omniprésence dans la législation et la pratique politique, et le soutien public et judiciaire qu’elles reçoivent — tout cela forme la base de notre conclusion : la barre pour qualifier le régime israélien d’apartheid a été atteinte ».

Quatre mois plus tard, en conclusion d’un rapport de 213 pages, Human Rights Watch constatait à son tour que « les éléments constitutifs des crimes contre l’humanité d’apartheid se retrouvent dans le territoire palestinien occupé, dans le cadre d’une politique gouvernementale israélienne unique. Cette politique consiste à maintenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens à travers Israël et dans le territoire occupé. Elle s’accompagne, dans le territoire occupé, d’une oppression systématique et d’actes inhumains à l’encontre des Palestiniens qui y vivent ».

En février 2022, Amnesty International confortait ces accusations en démontrant, dans une étude de 30 pages, que « presque toute l’administration civile et militaire, ainsi que les institutions gouvernementales et quasi gouvernementales [israéliennes] participent à la mise en œuvre du système d’apartheid contre la population palestinienne en Israël et dans les territoires palestiniens occupés ». Et en mars dernier, le juriste canadien Michael Lynk, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés, apportait la caution de l’ONU à ce réquisitoire en présentant au Conseil des droits de l’homme un rapport de 19 pages dans lequel il concluait que la situation dans les territoires palestiniens « s’apparente à un apartheid ». « Le système politique d’un pouvoir bien établi dans le territoire palestinien occupé, qui confère à un groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels, tout en soumettant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs, des check-points et sous un régime militaire permanent […] répond aux critères de preuve de l’existence de l’apartheid », constatait-il.

Toutes ces accusations, il faut le préciser, tiennent pour un fait majeur, déterminant, le vote par la Knesset, en juillet 2018, à l’initiative de Benyamin Netanyahou, d’une « loi fondamentale », de valeur pratiquement constitutionnelle, qui change la définition de l’État adoptée en 1948 par Ben Gourion et les pionniers dans la Déclaration d’indépendance. Selon ce nouveau texte, Israël n’est plus un État juif qui « assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe et garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture », mais « l’État-nation du peuple juif* ». Le changement est capital.

Car l’article premier du nouveau texte précise que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est exclusif au peuple juif ». « Cette loi, constate B’Tselem, établit que distinguer les juifs en Israël (et partout dans le monde) des non-juifs est fondamental et légitime. Cela signale à toutes les institutions d’État, non seulement qu’elles peuvent, mais qu’elles doivent, promouvoir la suprématie juive dans la région entière sous contrôle israélien. » Le vote de ce texte avait conduit Avraham Burg, ancien député travailliste, ancien président de la Knesset et président de l’Agence juive, à demander au tribunal de district de Jérusalem d’effacer son inscription en tant que Juif sur le registre de population du ministère de l’intérieur.

Fils d’un fondateur du Parti national religieux, ancien officier de la brigade parachutiste, héritier de cette « aristocratie sioniste » qui a gouverné le pays pratiquement depuis sa création, il avait expliqué à Mediapart, en janvier 2021 (lire notre entretien), les raisons de sa décision. « Ce qui définit Israël, désormais, c’est le seul monopole juif. Sans l’équilibre constitutionnel des droits et libertés. En vertu de cette loi, un citoyen d’Israël qui n’est pas juif est astreint à un statut inférieur. Comparable à celui qui a été assigné aux juifs pendant des générations. Ce qui fut odieux pour nous, nous l’infligeons maintenant à nos citoyens non juifs. Cette législation est en fait une nouvelle définition des relations entre majorité et minorité en Israël. Elle constitue aussi un changement dans ma définition existentielle. Dans mon identité. Dans ces conditions, ma conscience m’interdit désormais d’appartenir à la nationalité juive, d’être classé comme membre de cette nation, ce qui impliquerait pour moi d’appartenir au groupe des maîtres. Statut que je refuse. »

On ne peut naturellement demander à un propagandiste de Netanyahou comme le député Meyer Habib ou au ministre Éric Dupond-Moretti, qui ont donné de la voix pendant le débat du Parlement, de comprendre – et encore moins de partager – ce point de vue. Ou de renoncer à pratiquer le chantage à l’antisémitisme à l’égard de ceux qui critiquent ou dénoncent la politique de l’État d’Israël. Même si ce chantage est le pire moyen de lutter contre le véritable antisémitisme.

Ce procédé méprisable est, depuis des années, l’arme de dissuasion massive de la droite israélienne et de ses zélotes à l’étranger. Mais on pourrait attendre de ceux qui se définissent comme des amis d’Israël et qui sont attachés à l’existence de l’État juif assez de lucidité pour constater et dénoncer ses erreurs, ses fautes et ses crimes. Et les responsabilités de ses élus et de ses dirigeants, premiers pas vers l’indispensable transformation d’Israël en un pays comme les autres. Critiquable. Et condamnable.

Comment peut-on, interroge le quotidien Haaretz, condamner l’invasion militaire par la Russie d’un pays voisin, l’Ukraine, en violation du droit international, sans la comparer à l’occupation militaire par Israël, en violation du même droit international, des territoires palestiniens ? Comment la majorité des Israéliens peuvent-ils accepter sans s’indigner qu’à un député « arabe israélien », c’est-à-dire palestinien d’Israël, qui dénonce le vol de la terre de son peuple, un dirigeant de la droite et futur premier ministre – Naftali Bennett – réponde : « Vous, les Arabes, grimpiez encore aux arbres quand un État juif existait déjà » ?

Et comment accepter l’impunité totale de l’armée lorsqu’elle se met au service aveugle des colons, ouvre le feu comme à l’exercice sur des civils palestiniens ou tue d’une balle de sniper en plein visage la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh, pourtant identifiée par l’inscription « Press » sur son gilet pare-balles ? Le tout en tentant de prétendre qu’elle a été victime d’un tir… palestinien ?

Le temps est peut-être venu pour la France et l’Europe de faire comprendre au régime israélien que tout en respectant son histoire et son peuple, ses amis ne peuvent plus accepter son refus obstiné de négocier, la poursuite de son occupation militaire, l’intensification de sa colonisation et son recours systématique à la violence des armes pour préserver le statu quo dans lequel il s’est installé.

La crise ukrainienne démontre que les outils ne manquent pas pour exercer des pressions sur un pays qui viole le droit international. Mais qui osera faire observer qu’Israël le fait tous les jours ?

* Une légende veut que la Déclaration d’indépendance signée le 14 mai 1948 et lue le 15 mai par David Ben Gourion définisse l’État d’Israël comme « juif et démocratique ». En réalité l’adjectif « démocratique » ne figure pas dans le texte de la Déclaration. Il est indiqué que l’État « développera le pays au bénéfice de tous ses habitants » et « sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d’Israël ». Il est indiqué aussi qu’il « respectera les principes de la Charte des Nations unies ».

René Backmann

https://www.mediapart.fr-  07.08.2022

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DÉSHONNEUR

Le terme « Déshonneur » n’est évidemment pas du Quotidien d’Oran.

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Journée nationale de l’ANP: Toufik, Nezzar et plusieurs généraux à l’honneur 

par Abdelkrim Zerzouri 

De nombreux hauts gradés de l’armée en activité et en retraite, ainsi que les familles de Chouhada du devoir national et les invalides et grands blessés de l’ANP, dans le cadre de la lutte antiterroriste, ont été honorés, lors de la première célébration de la Journée nationale de l’Armée, qui a été décrétée par le président de la République Abdelmadjid Tebboune, le 19 janvier 2022, en vue de se remémorer le processus d’évolution de l’ANP dont l’ALN est la quintessence. 

Ainsi, des attestations d’honneur et de reconnaissance ont été décernées lors de la cérémonie de distinction, supervisée, jeudi dernier, au Cercle national de l’Armée, à Beni Messous (Alger), par le président de la République, au commandant de la Garde république, le général d’armée Ben Ali Ben Ali, aux généraux majors à la retraite Ahmed Djenouhat, Abdelhamid Djouadi, Tayeb Derradji, Zoubir Ghedaidia, Chabane Ghadbane, Brahim Belkerdouh, Zine Al Abidine Hachichi, Mustapha Belaid, Ramdane Djemai, Abdelhamid Metatla et Mahmoud Moula. D’autres hauts gradés, qui n’étaient pas présents lors de la cérémonie pour des « raisons de santé », ont été également honorés, dont l’ancien président Liamine Zeroual, le général de Corps d’armée à la retraite Mohamed Mediene dit Toufik, l’ancien ministre de la Défense nationale Khaled Nezzar, le général major Hocine Benhadid, le général-major Mohamed Betchine, le général Abdelmadjid Cherif et Salim Sadi, membre de l’ALN et ancien commandant de Région militaire. Aussi, aux côtés des éléments des forces spéciales algériennes (commandos) qui ont participé à la lutte antiterroriste et des familles de Chouhada du devoir national, le Président Tebboune a honoré le commandant Hamza Chabane, chef de la section des commandos qui sont intervenus lors de la prise d’otages géante dans le Complexe gazier de Tiguentourine en janvier 2013. Notons que le président du Conseil de la Nation, le président de l’Assemblée populaire nationale, le président de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre, ont marqué de leur présence cette cérémonie, ainsi que des Conseillers du président de la République, et des membres du gouvernement, ainsi que du Général d’Armée, Commandant de la Garde républicaine, le Secrétaire général du ministère de la Défense nationale, des Commandants des Forces armées, du Commandant de la Gendarmerie nationale, des Chefs de Départements, des Directeurs et Chefs de services centraux du MDN et de l’État-Major de l’ANP. 

A cette occasion, le Général d’Armée, Saïd Chanegriha a affirmé, dans une allocution, que l’institution par le président de la République de la date de reconversion de l’Armée de Libération Nationale en Armée Nationale Populaire, le 4 août, Journée Nationale de l’Armée Nationale Populaire est inspirée par les valeurs d’abnégation et de sacrifices pour la Patrie, et aspire à l’enracinement de leurs nobles principes dans les esprits des générations successives du peuple algérien. « Notre mémoire nationale était et restera la lanterne qui éclaire le présent et l’avenir de notre Nation, avec tout ce qu’elle porte en hauts-faits, en gloires et en sacrifices au nom de la liberté, de la dignité et de la souveraineté », a-t-il souligné. En s’adressant au président de la République, le Général d’Armée dira: « Votre décision d’instituer cette Journée, une date nationale des plus illustres, sera gravée dans l’histoire et remémorée par les générations successives, en tant que témoin de reconnaissance et de gratitude pour les efforts colossaux et les grands sacrifices, consentis par les enfants de l’ANP, digne héritière de l’ALN, durant les multiples batailles qu’elle a livrées depuis l’indépendance ». 

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Le Matin d’Algérie 4 août 2022

Tebboune honore les généraux Nezzar, Zeroual, Betchine, Mediene,…

Abdelmadjid Tebboune a supervisé, jeudi au Cercle national de l’Armée à Beni Messous (Alger), une cérémonie de distinction à l’occasion de la Journée nationale de l’Armée nationale populaire (ANP). D’anciens puissants généraux ont été honorés.

A cette occasion des distinctions ont été remises à l’ancien chef de l’Etat, Liamine Zeroual, à Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, Mohamed Mediene, ancien chef du DRS, Mohamed Betchine, ancien patron de la Sécurité militaire ainsi qu’aux généraux Salim Saadi et Benhadid.

Anciens moudjahidine, ces officiers supérieurs n’étaient néanmoins pas présents à la cérémonie pour des raisons de santé, comme rapporté par le média Dz news Tv (voir le lien ci-dessous).

De nombreux officiers et sous-officiers de l’ANP ont également reçu des distinctions.

Des distinctions après les tribunaux

Le général-major Toufik Mediene a été arrêté le 4 mai 2019 et condamné à 15 ans de prison par le tribunal militaire de Blida en septembre de la même année avant d’être acquitté le 2 janvier 2021.

Le général-major Khaled Nezzar a été lui aussi condamné à 20 ans de prison par le tribunal militaire de Blida. Auparavant, le 6 août 2019, le même tribunal a émis des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de Nezzar, de son fils Lotfi et de Farid Benhamdine. Ils étaient accusés de complot et d’atteinte à l’ordre public.

Néanmoins l’ancien ministre de la Défense rentre en Algérie le 11 décembre 2022et vide le mandat d’arrêt lancé contre lui. Les autorités n’avaient fourni aucune explication sur ce retournement de situation.

Ces généraux qui étaient à couteaux tirés en 2019 contre Ahmed Gaïd Salah et son protégé Abdelmadjid Tebboune se retrouvent désormais dans le même camp. Et se réconcilient pendant que des centaines d’activistes du Hirak/Tanekra sont en détention. Peut-être que le bon peuple a-t-il le droit de savoir ou sans doute, comme d’habitude, il vaut mieux laisser le puits avec son couvercle…

L. M.

Kamel Daoud: Algérie: « Le désert des tartares » versus « La bataille d’Alger »

« Naître en Algérie, c’est mourir dans la gloire de la décolonisation. La seule naissance permise et rejouée sans cesse ». Bravo Kamel Daoud, c’est pertinent. Dommage que – encore une fois – tu ne pipes mot des véritables responsables locaux pour qui cette dramatique situation est bénie, les tenants du régime autoritaire. Tu les évites trop souvent. AH

_______ Voici l’article de KD _________________

Algérie: «Le désert des tartares» versus «La bataille d’Alger» 

OPINION. L’écrivain Kamel Daoud estime que le FLN, qui a libéré l’Algérie des colons français dans les années 1960, a «congelé» le pays et confisqué son histoire à force d’imposer son mouvement de libération comme seul récit national

Kamel Daoud, écrivain

Publié lundi 25 juillet 2022 

«Nous ne voulons pas de la naturalisation, nous refusons l’intégration et nous ne voulons pas être des Français.» Le 8 janvier 1961, le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie ouvre la voie à l’indépendance triomphale du pays. A cette époque, des déclarations passionnées comme celle-ci avaient un sens immédiat, pour les générations qui sortaient de la longue «nuit coloniale» et devaient se battre et se décider pour la liberté, pour leur identité.

Sauf que ce tag date d’à peine trois ans, tracé sur les murs d’un village limitrophe d’Oran, capitale de l’Ouest algérien, là où aucun Français ne vit plus depuis des décennies. Et il n’est pas la seule manifestation de cet anachronisme permanent et nourri que vivent les générations algériennes nées longtemps après 1962. Cette année, en 2022, alors que le pays fête ses 60 ans d’indépendance, les Jeux méditerranéens organisés à Oran justement ont vu ce phénomène prendre une ampleur radicale qui était souvent limitée aux réseaux sociaux ou aux partis populistes. La Marseillaise, l’hymne français, fut systématiquement huée, ainsi que les équipes d’athlètes français venues participer aux épreuves. Partout dans le pays, le sentiment anti-français est exprimé d’ailleurs avec violence. Il sert à définir une inquiétante identité algérienne de substitution et aboutit à une monstrueuse guerre fantasmée (complètement invisible ailleurs) contre l’ancien colonisateur, absent depuis des décennies et donc investi de toutes les projections «à vide».

«Ouled frança»

Les procès en traîtrise, l’expression Ouled frança(littéralement «les fils de la France») qui affabule toute expression de différence, les tribunaux de «purge» en identité érigés par les nationalistes, les campagnes médiatiques haineuses contre les francophones, la langue française ou les écrivains en langue française, ou les femmes non voilées, ainsi que les discours islamiste ou nationaliste font le feuilleton, en huis clos, de cette permanente et ravivée haine de la France. Avec l’expression de la solidarité pro-palestinienne et la détestation du Maroc, l’Algérie populiste y consacre bien le tiers de son temps réel. La guerre à la France se rejoue sans cesse, pour les vétérans qui en transforment le souvenir en féodalité de «décolonisateurs en chefs», mais aussi pour les jeunes Algériens confinés dans un pays fermé, face à un Occident fermé, et cela fige le temps à la hauteur de cette épopée permanente et solitaire.

Lire aussi: Kamel Daoud se coule dans le regard algérien de Raymond Depardon

Ce phénomène de temps figé qui frappe cette ancienne colonie est peu «étudié» en soi, sinon refusé comme réalité, à peine vu comme effet secondaire sans importance face à la saga voulue «indépassable» des aînés. Les élites politiques au pouvoir sont souvent accusées de jouer sur cette légitimité dite «historique» de la guerre de libération en Algérie en rappelant sans cesse qu’ils avaient été les libérateurs du pays, que l’on veut éternelle pour rester au pouvoir, mais elles n’ont pas le monopole de cette cryogénisation. Cette rente de confort piège aussi les élites académiques, figées dans le décolonial permanent, le discours sur la colonisation et la décolonisation qui exclut l’analyse de ce phénomène de «congélation» du temps et qui, avec les jeunes générations perdues et missionnées par les aînées, s’est autonomisé pour devenir une dangereuse dérive et une perte de temps pour construire le pays et se construire dans la souveraineté de l’identité ouverte et de l’affect apaisé.

Légende dorée

Autant le «régime» que les élites universitaires, les classes de vétérans que les islamistes qui travaillent à un révisionnisme de la guerre de libération comme une guerre religieuse anti-chrétienne, chacun fige le temps algérien à cette épopée en mode légende dorée, condamnée à une logique des castes et à une vision infanticide qui croit que l’histoire algérienne est définie, en exclusivité générationnelle, par l’épopée décoloniale anti-française. Ceux qui sont nés plus tard se retrouvent sommés de rejouer sans fin cette épopée, de se définir selon la success-story des vétérans de guerre et de ses morts ou de se soumettre à un procès en loyauté qui les mène à la vie absurde du temps figé d’avant leur naissance et à haïr par procuration une France qu’ils ne connaissent pas. Que faire sinon refaire la guerre pour ceux nés trop tard pour croire donner du sens à la vie?

«La réalité est toujours anachronique», résumait Jorge Luis Borges dans Enquêtes. Elle l’est encore plus pour les pays qui bâtissent leur présent sur le remake du passé et son récit monologique. En Algérie, tout tourne autour de cette épopée (les noms des rues, les billets de banque, les manuels scolaires, l’Histoire, la légitimité politique et même l’opposition, les médias, la concurrence politique). Ceux qui osent plaider la cause du présent ou du futur sont vite jugés pour trahison. Phénomène étrange, «ces ‘traitres’ le sont encore davantage aux yeux de nombre d’Algériens exilés qui, pris dans l’étau des populismes et des exclusions et auto-exclusions communautaires dans le pays d’accueil, démultiplient à l’infini ce passé de compensation.

Hyper-algérien

Ce discours hypernationaliste est encore plus radical en France quand on est Algérien, au nom d’un procès en loyauté qui impose une logique perverse: le seul moyen de résister à la francité «menaçante», ou d’affirmer une valeur académique pour une partie des élites exilées, c’est de se proclamer hyper-algérien, encore plus Algérien que les autochtones, convertis en procureurs permanents de la «réparation».

Le résultat, en France, en Occident comme en Algérie, est que toute critique de cette rente mémorielle est impossible. Tout plaidoyer pour le présent ou la responsabilité est refusé, toute prise de conscience est refoulée par un déni organisé politiquement, académiquement et médiatiquement. Toute politique de «petits pas» de la France, tentative de rapprochement, même insuffisante et trop calculée, se heurte à ce mur du refus net érigé autour du confort victimaire et du souvenir. Et toute déclaration nostalgique de l’extrême droite en France se retrouve amplifiée en Algérie comme étant la voix de la France entière, relançant les batailles vacantes de la guerre fantasmée.

Ce devoir de loyauté pour les petits-enfants des indépendances est repris alors, en mode de fidélité généalogique, autant par les jeunes dans les gradins de stade qu’en France par les élites universitaires et académiques: refaire la guerre à la France définit l’Algérie et rassure sur un récit d’identité que se disputent les islamistes, les hypernationalistes et les berbéristes radicaux qui ont isolé une juste revendication identitaire. Etrange culte de l’indépendance fondée sur la dépendance affective. La France unit l’Algérie autour d’un projet au coût faramineux, à la définition absurde mais à l’effet d’appel puissant: la guerre imaginaire à un ex-colonisateur qui n’existe plus. Le 22 février 2019, à la naissance du Hirak, un vaste mouvement de contestation contre le régime de Bouteflika, les plus jeunes ont vite basculé, aux premiers rangs des manifestants, dans une concurrence inédite: qui ressemblera le plus aux «héros fondateurs» du FLN. On a qualifié le régime de «colonisateur», on exigea une «seconde indépendance», on se bouscula pour prendre des selfies, visages en sang ou mains menottées, lors des arrestations par la police. Le régime accusa la France, des traîtres, la colonisation. Tout fut bon pour rejouer cette épopée unique. La seule qui donne de la noblesse, du sens et conjure le vide.

En noir et blanc

Ici donc, le temps ne passe pas ou, dans un mouvement mythologisé, il remonte vers le passé, en Styx invraisemblable. Il inverse les naissances et les chronologies et instaure le passé comme but ultime d’un futur interverti. Une réalité algérienne qui impose un coût de souffrances et de déni que l’Occident et les pays étrangers à cette mythologie ne distinguent pas. Car la «congélation» du temps en Algérie n’est pas seulement la conséquence d’un regard sur soi que l’on a mythologisé, mais aussi le fait des élites médiatiques et universitaires occidentales. Un intellectuel algérien, autochtone, n’est presque jamais convoqué à la parole que sur ce temps figé, n’est perçu qu’à travers un casting de décolonisé/colonisé qui a droit de voix légitime sur le victimaire, le woke de la décolonisation et le procès de l’Occident et son «empire». Même né des années après l’Indépendance, un intellectuel algérien n’est jamais appelé à prendre la parole que sur ce présent permanent qu’est le passé de son pays. L’Algérie, dans le casting médiatique international, reste un produit dérivé de La Bataille d’Alger, le film algéro-italien de Gillo Pentecorvo, sorti en 1966. Un pays en noir et blanc, couleur d’archives et un cas éternel pour les études postcoloniales utiles au procès de l’Occident et de sa culpabilité.

Cette «congélation» interne et internationale n’assure pas l’éternité de la victime sans un prix à payer: celui de la vie immédiate sacrifiée sur l’autel de l’anachronie. Le déni du présent servira autant à habiller le désarroi des générations nouvelles, à refuser le lien au temps ainsi qu’à se dérober à une réflexion sur le lien au monde, à l’universel et à l’altérité, la responsabilité. La France est l’autre absolu, ignorée dans ce soliloque. Elle est le champ de ce malaise face à l’autre et à soi. La France, c’est le pays où l’on souhaite vivre, en direction duquel rament les chaloupes des migrants «clandestins», auprès des guichets duquel on se bouscule pour un visa, mais c’est aussi le pays de la haine, de la guerre imaginaire et du refus de naître au présent et au reste du monde. La cryogénisation n’est pas sans tourment, sans amputation et sans facture. Aujourd’hui, l’Algérie qui reste à construire ne l’est pas, au nom d’un passé dont personne ne veut quitter la niche et que presque tous cherchent à revivre dans l’éternité mauvaise du décolonisé/décolonisateur permanent. «La France est l’ennemi du passé, du présent et du futur», répète le slogan en vogue depuis des années sur les réseaux sociaux et dans les discours officiels. Curieuse radicalité de change, que ne réclamaient pas les générations qui ont vécu la guerre et les premières années de l’indépendance et qui est à distinguer du devoir de mémoire qui s’impose.

Dette génétique

On rétorquera à chaque occasion, pour justifier cette mission monstrueuse imposée aux plus jeunes, que le trauma colonial est une dette aussi génétique, mémorielle que politique, et cela est vrai et impose la réflexion et la reconnaissance, le travail de deuil et de prise de parole. Entre l’amnésie en France et l’hypermnésie en Algérie, le récit «sain» n’est pas encore commencé.

Mais l’argument presque clinicien absout justement un curieux effet de théâtralisation coûteuse de la dette de mémoire et une installation de confort dans cette rente de la désolation qui fige le temps et le «congèle» avec ses nouveau-nés: naître en Algérie, c’est mourir dans la gloire de la décolonisation. La seule naissance permise et rejouée sans cesse. Une guerre d’attrition avec des armes, factices aujourd’hui, mortelles pour le futur. Mettre fin à cette guerre imaginaire, aux rentes de ses clercs et élites, à ses nostalgiques et à des défenseurs, par le travail sur soi, par la lucidité et la responsabilité, c’est imposer un douloureux et pénible éveil au présent, ce temps responsable sans déni, cette vie sans oubli mais sans momification. Le film La Bataille d’Alger raconte avec génie et grand art l’éveil d’une nation, son accouchement et son effort vers la liberté. Mais ce qui raconte le mieux l’Algérie d’aujourd’hui, c’est un roman écrit et paru lui aussi en Italie, en 1940. Il relate l’histoire d’un homme qui, dans un désert vide, attend la gloire improbable d’une guerre contre des ennemis qui ne viendront jamais: Le Désert des Tartares de Dino Buzzati.

KD.

« UNE NOUVELLE HISTOIRE DE LA GAUCHE COMMENCE » J-L Mélenchon

PAR MICHEL SOUDAIS ET ANTONIN AMADO

POLITIS _

Publié le 13 juillet 2022

À l’issue d’une séquence électorale atypique, Jean-Luc Mélenchon tire le bilan de la recomposition des forces et trace des perspectives pour les combats à venir.

Jean-Luc Mélenchon : « Une nouvelle histoire de la gauche commence »

Alors que les quelque 150 députés de la Nupes mènent bataille au Palais-Bourbon, le leader des insoumis estime que la relève est assurée. S’il souhaite désormais mener le combat politique dans le champ des idées, il envisage l’avenir politique de la gauche avec enthousiasme. Un optimisme assombri par la convergence de la droite et de l’extrême droite ainsi que par la radicalisation de la société résultant des urgences écologiques et sociales.

Après une élection présidentielle et des législatives atypiques, en quoi le paysage politique du pays a-t-il profondément changé ?

Jean-Luc Mélenchon : C’est une saison entièrement nouvelle de l’histoire de la gauche qui commence. Du point de vue des idées, nous inversons la donne du cycle commencé en 2005. Le peuple français refusait alors de constitutionnaliser un régime économique dont les principales règles sont la concurrence libre et non faussée, le libre-échange, le refus de l’harmonisation sociale et fiscale. Mais la sphère institutionnelle répond par un viol de la souveraineté du peuple : l’ordolibéralisme est devenu la loi suprême.

Jusqu’au 10 avril, la question était de savoir si la gauche pouvait continuer à promettre des avantages tirés du système néolibéral, ou si la prolongation du grand projet humain de la Libération – une société de mieux-être et d’égalité – passe par une rupture. Ce qui se jouait, c’était l’existence même d’une gauche politique.

Il y avait beaucoup plus de ruptures en 1981 que ce que proposait votre programme…

Je l’ai dit moi-même plusieurs fois sans qu’on m’entende. Nos ennemis avaient besoin de nous diaboliser pour nous contenir. Ce qui a été le facteur déclenchant de la décomposition de la gauche traditionnelle, c’est son incapacité absolue à comprendre pourquoi la crise écologique mettait la civilisation humaine au pied du mur du capitalisme : comment est-elle organisée, qu’est-ce qu’elle produit, dans quelle finalité et avec quels objectifs ? Si bien que, le 10 avril, cette période se solde par l’effondrement de la gauche traditionnelle et l’option préférentielle pour la gauche de rupture.

Cette gauche de rupture dont vous parlez est-elle une gauche de transformation écologique et sociale ou son projet est-il plus radical ?

Son contenu et son analyse sont plus radicaux. Car le capitalisme est devenu un système qui ne fait plus de compromis. Le capitalisme financier de notre temps va au bout de cela : il pille sans limite et se nourrit aussi des dégâts qu’il provoque. Et il doit détruire la démocratie parce qu’il ne veut d’aucune régulation, or la source de celle-ci, c’est la loi et donc le citoyen qui la fait voter. Face à une forme extrêmement radicalisée du capitalisme, nous avons besoin d’une stratégie claire de rupture avec le système qui épuise et détruit l’homme et la nature. Il a fallu aussi construire une force indépendante pour lutter contre l’hégémonie d’une gauche qui n’était même plus de transformation sociale, mais juste un accompagnement enthousiaste du système. Le paroxysme a été atteint sous François Hollande. En déclarant, dans une conférence de presse, que c’est l’offre qui crée la demande, il a rayé d’un trait de plume un siècle et demi de combats de gauche qui partaient des besoins humains.

Ce qui se jouait, c’était l’existence même d’une gauche politique.

Le 10 avril, le choix pour la gauche de rupture que j’incarnais avec le programme L’Avenir en commun répétait celui de 2017. Mais, il y a cinq ans, la gauche traditionnelle a pensé que c’était un accident de l’histoire, lié soit à mon habileté à faire campagne, soit au fait que Benoît Hamon n’aurait pas fait une campagne assez centriste. Il aura fallu le deuxième coup, moi à 22 % et tous les autres à moins de 5 %, pour clarifier les choses.

Quand j’ai proposé en 2018 de constituer une fédération populaire, à deux reprises il m’a été répondu qu’on ne pouvait réaliser l’union qu’autour du centre gauche, que toute autre formule était vouée à l’échec. Encore aujourd’hui, on continue à me demander si j’ai l’intention de rester radical alors qu’il faudrait s’élargir. Comme si la radicalité venait d’ailleurs que du contexte !

Dans la campagne, j’avais dit que, si j’arrivais au second tour, je proposerais à tout le monde de se rassembler. Nous étions intellectuellement prêts à l’idée que, si on passait en tête, la signification serait que la gauche se réorganiserait tout entière autour de l’axe de la rupture. La plus grosse incertitude était de savoir s’il y avait intérêt à discuter avec les socialistes qui nous avaient si grossièrement éconduits les deux autres fois et toujours rejetés par le peuple.

Vous avez hésité…

Tout à fait. Des messages sont passés. Le risque n’était pas pour eux, ils étaient déjà à 1,75 %. Pour nous, il était énorme parce que nous incarnons deux courants politiques : celui très revendicatif des milieux populaires déshérités que nous surreprésentons et celui des classes moyennes en voie de déclassement. Le risque était que nos électeurs pensent que nous étions en train de faire de la tambouille avec le PS. L’autre risque était que le PS nous enferme dans une discussion sans fin qui nous ridiculise. Pour en avoir le cœur net – la discussion avait commencé avec les Verts sans aucune difficulté –, j’ai rencontré Olivier Faure. Il m’a convaincu qu’il avait compris le moment nouveau. À partir de là, les choses deviennent simples. L’accord électoral est forcément un accord de premier tour, sinon le Front national submergerait la scène. C’est la raison des candidatures communes, ce qu’on n’avait jamais fait dans toute l’histoire de la gauche.

Pour appliquer la ligne de rupture, nous avons mordicus refusé que l’on se contente d’une plateforme en 15 points. Notre programme de plus de 600 points marque où en est la gauche. Notre méthode a été celle de la déconstruction des désaccords pour en vérifier le contenu et de la reconstruction sur une radicalité concrète et faisable. C’est ainsi que nous avons réglé avec une extrême facilité la question de l’Europe alors que tout le monde nous disait que ce serait le piège dont personne ne ressortirait uni.

Après des années de discussion stérile, l’union de la gauche s’est constituée de manière incroyablement rapide. Pourquoi maintenant et pas en 2017 ?

En douze jours ! La raison centrale, c’est qu’ils ont pu mesurer cette fois-ci que la disparition pure et simple les attendait s’ils continuaient sur le refus d’une ligne de rupture.

C’est une question de survie pour eux ?

Oui, sans doute, mais il ne faut pas non plus mépriser les socialistes. Quand vous adhérez au PS, même si vous êtes très modéré, c’est quand même pour changer la société. Les bases socialistes sont très largement acquises à l’idée de combattre la racine des injustices sociales et du saccage environnemental. À présent, leurs dirigeants savent que la ligne d’accompagnement ne mène nulle part.

Il n’y a qu’en France que l’on voit un gouvernement défait aux législatives se maintenir.

Aux législatives, nous avions le choix entre une stratégie pour nous renforcer seuls et minoritaires, ou une stratégie capable de victoire. Le contexte était bon à la sortie de l’élection présidentielle, avec trois blocs à peu près de taille égale, mais nous entrons dans une autre élection que celle uninominale à un tour… la présidentielle.

C’est intéressant que vous le disiez comme ça.

Parce que c’est la vérité, celui qui arrive au deuxième tour bat Le Pen, et voilà… Là, nous partions du constat qu’il y avait un quatrième bloc en enjeu : les abstentionnistes. Notre raisonnement est assez classique : le plus uni et le plus fort entraîne ceux qui hésitent. Or, les blocs conservateur et d’extrême droite sont divisés, l’un entre Macron et LR, l’autre entre Le Pen et Zemmour. En nous unissant, nous pensions passer en tête dans un nombre extrêmement important de circonscriptions.

À la sortie du premier tour, le 12 juin, nous étions carrément en tête dans le pays ! La stratégie était donc juste. Depuis, beaucoup ont oublié que Macron a été battu. Il n’y a qu’en France que l’on voit un gouvernement défait aux législatives se maintenir. La culture démocratique y est tellement érodée que, le jour du discours de politique générale, une majorité de chaînes d’info discutait le style, le comportement, et passait à côté de l’événement historique en train de se produire : un gouvernement qui ne demande même pas la confiance et nous annonce qu’il veut bricoler avec l’Assemblée. N’importe quel analyste politique sait que cette situation appelle la censure. Pourtant c’est elle qui fut considérée par les commentateurs comme un facteur de désordre.

La Nupes est-elle durable ? À quelles conditions ? À l’Assemblée, un intergroupe s’est constitué mais, en dehors de cette institution, quel mode de liaison entre les partis qui la composent ?

Commençons par saluer le résultat : on nous a dit : « le lendemain du vote, ce sera fini ». Eh bien, cela continue ! Quand nous arrivons à l’Assemblée, j’ai proposé que l’on forme un seul groupe pour marquer le paysage. Ce n’était pas prévu, mais ce qui n’était pas prévu non plus, ce sont les 89 députés du Front national. Je me disais qu’en s’affichant à 150 contre 89, on réglait la question. C’était trop pour beaucoup.

Si vous aviez fait cette annonce il y a encore quelques mois, ça aurait été l’hallali. Là, on a vu des refus polis formulés de manière extrêmement calme…

J’ai même trouvé que c’était amical. Si ça s’est passé comme cela, c’est que tous avaient l’intention de continuer à travailler ensemble sans envie qu’un incident l’empêche. La preuve : nous sommes vite arrivés à un accord général pour présenter des candidats communs aux postes de l’Assemblée. Il faut voir ce que représente un tel accord entre des groupes qui s’étaient ignorés dans la mandature précédente. Deuxième chose totalement inattendue, mais bien travaillée par Mathilde Panot et Manuel Bompard, c’est la proposition d’appeler tous nos groupes Nupes. On l’a fait, donc les Verts aussi, le PS pareil et, par effet de domino, le groupe GDR [communiste, NDLR] également, à l’issue d’un vote interne où Fabien Roussel a été battu.

Le sort des élections se joue dans la conjonction des classes populaires et des classes moyennes.

Ensuite tous étaient d’accord pour la censure et l’on a pu mesurer, après le discours de politique générale d’Élisabeth Borne, combien les orateurs étaient convergents et manifestaient une même radicalité sous des formes évidemment différentes. C’est un début.

À chaque étape se poseront des questions. Au sein de l’intergroupe, Olivier Faure est extrêmement actif dans l’effort de liant. C’est un peu lui qui a poussé tout le monde à se réunir toutes les semaines.

Il existe aussi une structure moins connue de coordination des organisations de la Nupes qui se tient le lundi. J’y participe désormais. Il y a une grande différence dans les rythmes de fonctionnement de chacun. Il faut qu’on arrive à s’accorder pour ne pas gripper le système.

Quel va être le rôle de cette structure ?

Elle est essentielle et va devenir l’un des lieux centraux de la vie politique du pays. Pourquoi ? Premièrement parce que nous avons repris pied dans les cités populaires. Nous sommes le premier parti des pauvres, des chômeurs et des précaires : dans les 10 % des villes les plus démunies, 80 % des députés sont Nupes. Dans les quartiers populaires, où l’abstention est très forte, nous sommes hégémoniques avec des scores de 70 à 80 %. Bien sûr, nous rencontrons des limites, mais les zones qui avaient largement déserté le vote de gauche se reconstruisent autour de la Nupes. Y compris dans des zones périurbaines et rurales. La vallée de la mécanique dans l’Aveyron, terre perdue par la gauche traditionnelle, a élu un ouvrier LFI cégétiste. En Haute-Vienne, où la gauche avait perdu Limoges, les trois députés sont Nupes, dont un insoumis.

Deuxièmement, il existe un phénomène psychologico-politique essentiel : la classe moyenne et moyenne supérieure change de camp. Après avoir été longtemps majoritairement socialiste ou centriste, puis idéologiquement persuadée qu’elle trouverait son compte dans le système, elle bascule. C’est décisif parce que le sort des élections se joue dans la conjonction des classes populaires et des classes moyennes. La Nupes va devenir le seul lieu uni pour l’action populaire. La marche contre la vie chère à la rentrée va le montrer.

À quoi attribuez-vous ce reflux des classes moyennes ?

À l’impasse sociale et à la situation écologique. Cette dernière travaille les classes moyennes par les enfants. Beaucoup de parents trient déjà les déchets à la maison, font très attention à ce qu’ils mangent… Ce n’est donc pas une classe sociale acculturée sur le sujet. Mais sa jeune génération, celle pour laquelle elle a fait le plus de sacrifices, jette l’éponge. Ce sont les étudiants d’AgroParisTech qui disent « votre agriculture ne nous intéresse pas » ; les élèves ingénieurs de l’aéronautique qui disent « faire des avions, ça ne nous intéresse plus ». On parle de la « fin de l’ambition » et de la « grande démission ». Ces deux phénomènes vont de pair. Ils ont connu un effet d’accélérateur avec le covid. En renvoyant les gens à la maison, il les a fait s’interroger sur le sens de leur existence. Des centaines de milliers de personnes ne s’étaient jamais posé la question de savoir pourquoi elles se tapaient des heures de transport tous les jours, pourquoi elles ramenaient tous les samedis à la maison leur ordinateur sous le bras pour continuer à travailler. Tout cela a brisé l’hégémonie de l’imaginaire néolibéral. Nous voilà confrontés à des problèmes qui frappent de plein fouet l’élémentaire de l’espèce humaine : la santé, l’éducation, l’accès à l’eau. Et donc, qu’est-ce qu’on fait ? Comment on s’en sort ?

Par ces cheminements intellectuels, la radicalisation de la société va se poursuivre. Et puis l’espace spécifique de la gauche unie facilite le regroupement du milieu social qu’elle veut représenter. Avec la Nupes, il est beaucoup plus facile pour les syndicats d’opérer la jonction avec la gauche politique. La violence des confrontations entre gauche de rupture et gauche d’accompagnement pouvait menacer la vie même des sections syndicales. Le fait qu’il y ait un état-major politique uni est tout à fait essentiel, même s’il n’a pas encore pleinement conscience du rôle qu’il peut jouer.

Lire la suite de cet entretien > « Je lutterai jusqu’à mon dernier souffle. »

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Jean-Luc Mélenchon : « Je lutterai jusqu’à mon dernier souffle. »

S’il se met en retrait, le leader de la France insoumise n’est pas en retraite. Il le dit lui-même dans cette deuxième partie du long entretien qu’il nous a accordé.

Après être revenu sur la séquence électorale atypique qui a conduit à l’union de la gauche sous la forme de la Nupes, le leader de la France insoumise a répondu sans détours à nos questions : sur la place faite aux représentants des quartiers populaires, la réception du discours de l’Union populaire dans les zones rurales et péri-urbaines – une « discussion ouverte » par François Ruffin et non une divergence, assure-t-il –, la fin du front républicain face au RN, ses propos sur la police, la crise économique qui s’annonce et la bataille contre le réchauffement climatique. Nous l’aurions bien encore interrogé sur quelques autres sujets, mais le temps manquait alors que nous avions déjà échangé près de deux heures.

Plusieurs collectifs de quartiers populaires comme « On s’en mêle » ont pris publiquement position pour vous avant le premier tour. Mais ils sont nombreux à déclarer avoir été déçus de la place qui leur a été réservée aux législatives. Que leur répondez-vous ?

Jean-Luc Mélenchon : Je comprends parfaitement que, d’un balcon ou d’un autre, le paysage ne soit pas le même. Dans le cas des quartiers populaires, pour ce qui concerne La France insoumise, nous avons mené le travail comme jamais. Ce n’est pas juste de nous jeter la pierre quand dans l’ensemble de nos circonscriptions, une trentaine de candidats, dont nombre de figures symboliques, avaient une adresse dans une cité populaire. S’il y a un mouvement populaire, c’est bien le nôtre.

La politique dans les quartiers est divers aussi ; il y a différentes orientations et, comme dans le reste de la société, elles sont en compétition les unes avec les autres. Certains qui ne sont pas forcément d’accord avec ceux qui ont intégré les bancs de l’Assemblée nationale auraient préféré que ce soient eux.

Il n’y a pas que l’adresse. Des personnes issues de la diversité ne sont pas représentées à l’Assemblée nationale…

Je laisse aux observateurs le soin de voir qui était candidat, dans quelles conditions, et combien il y a de députés insoumis – je ne peux pas parler pour les autres – qui sont l’émanation directe des cités et de ce que vous appelez la « diversité de la France ». Je ne vais pas dresser la liste. Je ne fais pas de tri, moi. Et je demande aux gens de regarder si ça leur paraît représenter ou non la France. C’est ausi une bonne chose qu’il y ait une ouvrière agricole dans le groupe insoumis – elle n’habite pas dans une cité mais dans une ferme –, qu’un ouvrier de la vallée de la mine habite dans une cité en train de s’enfoncer dans le sol.

Mais quoi que l’on fasse, ce n’est pas bien. C’est presque décourageant. Est-ce que quelqu’un a l’intention de fixer une proportion ethnique dans les groupes ? Bien sûr que non. Donc la question est mal posée. Les cités populaires ont été représentées dans toute la France. Dans certaines, on a gagné ; dans d’autres, on a perdu.

Je suis fatigué de la jérémiade permanente et d’une forme d’ethnicisation de l’arrivisme. On pourrait dire : « waouh, vous avez fait le plus beau groupe socialement divers depuis quarante ans. » Même en 1981, il n’y avait pas une telle diversité sociale. Quel autre groupe est à ce point représentatif des plus pauvres ? C’était déjà le cas en 2017 quand Jean-Hugues Ratenon, le président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté – il vivait avec le RSA – a été élu. Personne au RSA n’avait été élu avant lui. C’était aussi le cas pour Caroline Fiat, aide-soignante, Adrien Quatennens, qui travaillait pour une plateforme téléphonique. Ces deux-là ont fait des émules : des tas de gens se sont dit « moi aussi je peux ».

Y compris dans des échelons plus locaux de la démocratie…

La preuve est faite que tout le monde peut être élu. Quand on a présenté, à Marseille, en face d’un cacique du FN un dirigeant incontesté des luttes populaires des cités, Mohamed Bensaada, il perd parce que les LREM n’ont pas voté pour lui. On voit que le sujet était politique, pas ethnique. Bien sûr, les discriminations existent et se superposent, mais l’entrée en scène politique de la France créolisée est faite. C’est fini, vous ne pouvez plus revenir là-dessus. Idir Boumertit était adjoint de la maire de Vénissieux, il est maintenant député du Rhône.

François Ruffin affirme que vous avez ranimé la gauche, et il estime que le discours de l’Union populaire a permis de séduire le cœur des grandes villes et les quartiers populaires. Mais qu’il reste clivant dans les zones rurales et périurbaines, où le RN réalise ses meilleurs scores. Partagez-vous son constat ?

Je n’ai pas de divergence avec François Ruffin lorsqu’il ouvre des discussions. Et c’est ce qu’il fait. Sur le fond, il n’est pas vrai que les territoires périphériques et ruraux aient massivement voté RN. Je ne dis pas cela pour contredire François, car il existe une part de vérité dans son discours, et particulièrement dans la Somme, où il a été seul élu Nupes. On peut aussi ajouter l’Aisne et de l’Oise, dans lesquels la situation est semblable. Mais l’être humain n’est réductible ni à son socle géographique ni à son origine sociale. Il n’est pas vrai de dire que l’ouvrier, le jour où on lui aura révélé la condition réelle de son exploitation par le capitalisme, verra surgir en lui comme par illumination la conscience révolutionnaire. Les êtres humains sont composés de réalités sociales, géographiques, politiques et culturelles.

La droite commet l’erreur de croire qu’elle finira par gagner les voix du RN.

Exemple, mon copain ouvrier à la « Peuj » du côté de Montbéliard. Il affirmait qu’il ne voterait jamais le programme commun de la gauche. Il était pourtant d’accord avec. Mais, me disait-il, « je suis catholique, je ne vote pas pour des athées qui veulent nous empêcher de croire ». Cet homme était surdéterminé par ce qui lui paraissait important, sa foi religieuse. Ça compte et nous n’avons pas le droit de l’ignorer. Ensuite, quand vous regardez les implantations culturelles les plus anciennes de la réaction, vous mettez au jour des schémas très anciens. Partout en Vendée la gauche est minoritaire, sauf dans les villes créées par Napoléon. La carte électorale, là comme ailleurs, n’a pas évolué depuis deux siècles. Ailleurs aussi, des terres de révolte sont de gauche, depuis un ou deux siècles parfois. Mais sur l’ensemble des terrains, nous reprenons pied. Nous devons toujours analyser les conditions politiques de la formation des consciences. Et la meilleure preuve de cela, c’est justement la Somme. Là où François a mené campagne très intensément, il y a remporté une brillante victoire alors que nous ne sommes qu’à la troisième place dans sa circonscription à la présidentielle. Nous ne butons pas sur la géographie. Mais bien sur l’état différent des consciences face aux problèmes sociaux communs. L’explosion sociale et la destruction de la civilisation précédente ont provoqué un tel désarroi qu’à la fin, dans des zones entières et faute de combattants, les gens finissent par se tourner vers l’extrême droite.

Lorsque vous utilisez le terme « faute de combattants », qui critiquez-vous ?

D’abord les organisations de gauche traditionnelle et leurs élus locaux qui n’ont pas mené efficacement leur mission. Il fallait aller au-devant des gens, les aider à porter leurs revendications, les éduquer politiquement. Les gens, n’ayant plus face à eux des personnes capables de les éclairer sur les luttes à mener, ne pouvant s’informer que devant les chaînes d’information en continu, se tournent naturellement vers ceux vers qui les orientent le système.

Les électeurs du RN sont sensibles aux questions régaliennes, et particulièrement à celles touchant à la sécurité. Avez-vous prévu de travailler davantage ce type de sujets en vue des prochaines élections ?

Mais nous avons un discours très complet sur le sujet de la sécurité. Nous avons le meilleur spécialiste des questions de police avec le député Ugo Bernalicis. Nous avons organisé un colloque, publié une brochure, nous nous sommes expliqués cent fois sur ce sujet… Mais comment résister à un discours martelé un million de fois et qui se résume à dire que nous n’aimons pas la police ? Quand je dis « la police tue », ça choque. Et une môme de 21 ans qui se prend une balle dans la tête, ça choque qui dans ce pays, à part nous ? Je n’en peux plus de la brutalisation du matin au soir, de la mort des gens de couleur, des jeunes qui subissent sans cesse les contrôles au faciès. Que réclamons-nous ? Simplement que les policiers soient formés correctement, car ils sont ignorants de bien des situations qu’ils ont pourtant à gérer. Et leurs syndicats tiennent des discours factieux. Alors, non ! Nous n’avons pas à amender notre discours. La seule chose à dire est la suivante : nous voulons une police républicaine composée de gardiens de la paix. Nous ne sommes pas d’accord pour qu’ils soient armés en manif, ni qu’ils mutilent des gens ou leur tirent dessus pour refus d’obtempérer. Si nous mettons le doigt dans l’engrenage, alors nous finirons par manifester avec des organisations de policiers d’extrême droite pour dire que le problème de la sécurité, ce sont les juges.

Dans les colonnes de Politis, le sociologue Bruno Amable avait été visionnaire puisqu’il avait prévu une alliance du bloc bourgeois allant de LREM au RN. La vitesse de l’effondrement du front républicain vous surprend-elle ?

Le front républicain a toujours été frappé du sceau de l’hypocrisie. Car si le FN est un danger pour la République et la stabilité de ses institutions, il faut l’interdire. Pour mémoire, j’avais signé la pétition lancée par Charlie Hebdo en 1996 réclamant cette interdiction. Mais il est très vite apparu que le RN est l’assurance-vie du système. La colère étant captée par l’extrême droite au premier tour, il ne reste au second que le candidat du système pour empêcher la peste brune. Cette posture est désormais intenable. Et c’est moi qui ai contribué à y mettre fin en 2017 dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Si j’avais appelé à voter Macron, ce que nous avions accompli aurait volé en éclats. Et puis le temps des consignes de vote était révolu. Nous avions demandé que pas une voix ne se porte sur Marine Le Pen. Et l’on s’est aperçu que si des votes insoumis se sont reportés sur elle, c’est de manière très marginale.

L’ordre géopolitique va basculer en même temps que l’ordre climatique.

Cinq ans plus tard, nos adversaires politiques ne se sont pas astreints à la même règle à notre égard. Cela ne m’a pas surpris, car depuis cinq ans nous avons vu se construire une tentative de créer un ample « centre » opposé aux « extrêmes ». Et dans une certaine mesure, cette stratégie a fonctionné. Nous avons perdu 40 duels avec le RN parce que les LREM se sont abstenus ou sont allés voter blanc. Mais le centre de gravité de la droite se déplace vers l’extrême droite. La porosité existe désormais dans les urnes sous la forme de l’abstention, du bulletin nul ou du report. La première étape, c’est « plutôt Hitler que le Front populaire ». La seconde, à laquelle nous sommes en train d’assister, c’est la jonction des droites.

La droite commet l’erreur de croire que, parce qu’elle serait attentive aux névroses des électeurs du RN, elle finira par gagner leurs voix. Et cela passe par des clins d’œil insupportables, telle cette interview du président de la République dans L’Express en décembre 2020, dans laquelle il affirme que Pétain était tout de même un grand stratège militaire et que Charles Maurras demeurait un grand écrivain. Non. Maurras comme Pétain sont des traîtres à la patrie, deux antisémites meurtriers, par ailleurs dépourvus de talents stratégiques et littéraires. Et un Président ne peut s’exprimer ainsi.

Le destin de LREM, de LR et du RN est de se regrouper sous la houlette de Le Pen. Cela se passera de la manière suivante : l’Assemblée nationale va devenir la casserole dans laquelle ils vont mettre à cuire leur soupe. Lorsque le gouvernement affirme qu’il travaillera à des majorités de projets, il sait parfaitement que cela ne fonctionnera pas avec nous. Ils présenteront donc des textes sur lesquels LR fera de la surenchère pour tenter de grignoter des parts à l’extrême droite. Ce qui fait du RN le maître du jeu de la recomposition de la droite. Mme Le Pen n’a jamais eu un autre projet que celui de M. Zemmour, qui n’a cessé d’appeler à la jonction de la droite et de l’extrême droite. Ce n’est pas une surprise pour moi. Dès 2012, j’avais affirmé sur France 2 que, face à la crise, cela se finirait entre le RN et nous.

Une crise économique de très grande ampleur est en train de se former sous nos yeux. Ses racines nous ramènent évidemment en 2007 et à la crise des dettes souveraines, elle-même issue de celle des crédits hypothécaires…

La situation s’est-elle améliorée depuis 2007 ? Le rapport entre la production de la masse d’objets marchandables et la masse monétaire en circulation s’est-il ajusté ? Non. Pire à présent, depuis 2008, tous les banquiers centraux émettent de la monnaie et rachètent à tour de bras de la dette publique mais aussi de la dette privée. Mais il n’y a ni hausse ni de la production ni des salaires. Le décrochage entre les bulles que je viens de décrire et l’économie réelle reste entier. Ce hiatus n’est plus tenable et explosera nécessairement. Mais d’autres facteurs aggravent encore la situation.

Le covid-19 a disloqué les chaînes longues d’approvisionnement et de production. Elles ne se sont depuis jamais complètement rétablies, ce qui explique des pénuries sur des matières premières comme le bois et le fer. Les hausses de prix liées à ces pénuries sont par ailleurs aggravées par des mécanismes spéculatifs qui anticipent des hausses, sur le blé par exemple. Ce système économique ne peut qu’imploser. La guerre froide engagée sous la direction des Etats-Unis d’Amérique contre la Chine, atelier du monde, ne peut pas être gagnée autrement que par la force. Mais tout recours à la force est un facteur aggravant des déséquilibres du système globalisé. Et la guerre, qui est redevenue une possibilité, est l’un des moyens traditionnels de règlement des crises du capitalisme.

Le sujet de la dette avait été relégué depuis mars 2020 et l’apparition de la pandémie. Il fait son grand retour dans le discours des responsables politiques…

Il y a plusieurs manières de régler le problème de la masse de la dette. D’abord, la payer. C’est impensable aujourd’hui. Il y a ensuite celle de l’inflation qui la dévore. Puis la banqueroute et enfin la guerre. Alors que je réclamais que notre dette publique devienne perpétuelle, Bruno Le Maire m’a un jour répondu avec beaucoup de franchise : « Mais, Monsieur Mélenchon, c’est déjà le cas. Nous ne remboursons jamais. Nous ne faisons qu’emprunter pour rembourser nos créances plus anciennes. » La dette est donc devenue un système de rente, autour duquel toute la société est organisée pour le seul profit de quelques-uns.

Après Hollande et Macron, la cause environnementale a particulièrement souffert. Cette bataille est-elle déjà perdue ?

J’appartiens à l’école des pessimistes. J’entends le discours des optimistes quand ils disent qu’il est encore temps de réparer et qui insistent pour que d’autres seuils de dégradation ne soient pas franchis. Mais je doute que ce soit possible, compte tenu de la force d’inertie de phénomènes irréversibles, et en premier lieu le réchauffement climatique. Une toute nouvelle organisation du climat et la dévastation du vivant vont créer des conditions entièrement nouvelles d’existence, y compris pour des sociétés qui ont dominé le monde au cours du siècle passé. L’ordre géopolitique va basculer en même temps que l’ordre climatique. Cette mise au pied du mur va nous confronter à la question de l’ordre social et écologique. Cette nouvelle forme d’organisation de la société et le discours qui va avec restent à construire.

Vous n’êtes plus député, mais vous conservez une forte influence sur votre mouvement et plus largement sur la gauche. Quel rôle comptez-vous jouer dans les mois à venir ?

Une certaine mise en retrait sans retraite. Je vais agir dans la bataille culturelle. Sans doute avec la fondation « La Boétie », qui est missionnée par la France Insoumise. J’aimerai ancrer le mouvement insoumis dans sa racine philosophique fondamentale, l’humanisme politique radical. De toute façon, au niveau du Mouvement la relève est là. Il y a nombre de femmes et hommes bons stratèges, orateurs très puissants, militants sans peur. L’intervention de Mathilde Panot à l’Assemblée nationale après le discours de politique générale de la Première ministre le prouve. Je n’aurais pas fait aussi bien. Je n’ai plus à me soucier de savoir si la continuité du combat est assurée. Mais si je suis en retrait de l’Assemblée, je ne suis pas en retraite. Je vais participer pleinement à ce que j’ai appelé le quatrième tour écologique et social. Ce qui est certain, c’est que je lutterai jusqu’à mon dernier souffle.

13.07.2022

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Schizophrénie

Schizophrénie. 

Un caprice juvénile devient le firmament d’une nation entière exaltée par les officiels calculateurs. Misère de misère. Le degré de cette misère, morale, se mesure à la force de préhension – très vigoureuse en l’occurrence – de tout ce qui émane de l’Autre. On s’arrime à son regard, sa pensée, son verbe. Tout ce qu’on entreprend est lié à ce regard, cette pensée, ce verbe que l’Autre nous renvoie. Cet Autre qu’on envie, qu’on craint, qu’on invite sur un piédestal et que, très paradoxalement, on hait par médiocre rivalité. Et auquel in fine et malgré soi, on se soumet. Comment construire notre Je si nous honorons et à la fois rejetons l’Autre ? Quelle misère inapaisée ! Inapaisée car nous n’avons pas apuré nos passés, tous, avec sérénité. Aux perturbations objectives on a régulièrement – pour des calendriers pernicieux – fomenté des perturbations subjectives, misérables, outrancièrement nationalistes. L’universalisme n’est pas l’horizon de l’Algérien nouveau. Nous en sommes hélas là. La servitude n’étant pas toujours contrainte, demain il fera nuit encore et encore. Allez, je vous quitte.

J’ai posté ce texte sur Facebook hier lundi 27 juin 2022 – 16 H

Ce qu’ont fait les Algériens (à commencer par la présidence de la République) d’un simple caprice d’un gamin américain (de vouloir se rendre en Algérie et le dire en arabe) ainsi que les multiples réactions concernant des jeunes filles en tenue (officielle) de gymnastique m’ont rendu perplexe et d’autres encore. J’ai écrit ce texte spontanément à la suite de la lecture des pages Facebook du jour. Un pays (et beaucoup de ses gens) malade. Très.

J’ai clôturé mon compte (provisoirement?)

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Précédemment (mi juin) j’avais posté ceci, dégoûté:

« … On ne saurait s’imaginer jusqu’à quel point un peuple ainsi assujetti par la fourberie d’une traître, tombe dans l’avilissement, et même dans un tel profond oubli de tous ses droits, qu’il est presque impossible de le réveiller de sa torpeur pour les reconquérir, servant si bien et si volontiers qu’on dirait, à la voir, qu’il n’a pas perdu seulement sa liberté́, mais encore sa propre servitude, pour s’engourdir dans le plus abrutissant esclavage… »

Étienne de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire (1549) 

et encore en juin, en avril…

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CE QU’ETAIT MON PAYS (1960 – 1980)

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CE QU ILS EN ONT FAIT (« ILS »: LE POUVOIR ET SES ALLIES, LES INTEGRISTES)

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Coupure ajoutée dim 3 juillet 2022

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À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF

À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF ASSASSINÉ LE LUNDI 29 JUIN 1992 À ANNABA

INSPIREZ un bon coup, car vous allez embarquer dans plus de 8000 mots dont les destinations auxquelles ils invitent nécessitent parfois des détours. Elles n’abritent pas les mêmes intérêts, ni les mêmes mémoires. Il y a néanmoins un point commun et je vous laisse le soin de le trouver.

Ce, samedi 25 juin 2022, seront inaugurés à Oran les 19° Jeux Méditerranéens. J’ai lu des centaines de lignes sur ces jeux, tout est dit ou presque. Pourquoi « presque » ? Parce qu’il m’a été impossible de lire où exactement se déroulera la cérémonie d’ouverture. Je prends au hasard cet article de presse (Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 juin 2022, page 13, non signé. 

« Le président de la Commission des cérémonies d’ouverture et de clôture des JM, monsieur Salim Dada a donné, lors d’une conférence de presse un aperçu complet de l’agenda culturel… » mais rien sur le lieu de la cérémonie. Nous savons que « la cérémonie d’ouverture des JM sera une grande cérémonie » mais on ne sait rien du lieu. Nous savons « qu’elle sera une œuvre artistique complète avec tous les éléments expressifs», mais on ne nous dit rien sur le lieu. Nous savons qu’elle « sera exécutée par un orchestre symphonique composé d’une centaine de musiciens » mais où ? on n’en sait rien. Nous apprenons « qu’elle comprendra des mouvements artistiques d’ensemble sur une superficie de 9.000 mètres carrés et 500 drones seront utilisés à cette fin, en plus d’un spectacle son et lumière et des jeux pyrotechniques. Mais où ? débrouillez-vous. Nous savons que « La présentation artistique de la cérémonie d’ouverture comprend 20 tableaux », que « le scenario mettra en exergue les multiples facettes de la culture algérienne en général, celle de la région Ouest et de la ville d’Oran ». Rien dans cet article n’est dit sur le lieu de la cérémonie. Ne cherchez pas sur l’Internet vous ne trouveriez rien. C’est tout simplement dingue. J’ai pensé au stade Zabana, mais n’en suis pas sûr du tout. Pourquoi Zabana ? parce qu’il en est beaucoup question dans mon article ainsi que de Ben Bella (il y a 57 ans exactement) et de Boudiaf (il y a 30 ans exactement).

Au début il n’y avait peut-être pas le verbe, mais la danse des Ombres qui se profilaient. Cela s’est passé il y a longtemps. Certains parmi vous étaient adolescents ou jeunes adultes, d’autres même pas nés. Vous avez été confrontés à un « roman national officiel » mensonger, mais vous n’êtes pas dupes. Vous savez que la vérité vient rarement du discours officiel élaboré par le pouvoir qui s’en tient mordicus à la vérité de ses laboratoires, celle du « roman national officiel » qu’il a lui-même préparé en maison ou vase clos. Voici un morceau de cette histoire, il est ma propre vérité qui se nourrit de mon vécu. Il lui manque toutes les autres vérités vécues. En attendant, voici ma part de vérité et de fiction, entremêlées.

Le témoignage que je vous livre ci-après a été mis en ligne une première fois en juin 2015. Je l’ai repris, retravaillé et étoffé. Il embrasse notamment la folle, très folle journée du 25 juin 1992, avec la visite du président Boudiaf chez nous, dans notre village, le lugubre 29 juin 1992 avec l’assassinat du président Boudiaf quatre jours après sa visite chez nous, ainsi que la finale de la coupe d’Algérie au stade « ex Municipal », avec le match Algérie – Brésil du 17 juin 1965, deux jours avant le coup d’État du colonel Boumediène. Tout cela dans un sympathique et apparent désordre qui n’en est pas un.

Nous étions le dernier lundi de juin de l’an 1992 et notre pays et ses hommes allaient incessamment sombrer bien malgré l’écrasante majorité d’entre nous dans un gouffre de déraison qui saignerait la terre, attristerait le temps et ferait pleurer le ciel. Toutes les étoiles du Nord n’avaient pas suffi pour maintenir intact notre espoir cardinal et nos résolutions pacifiques qui allaient être contrariés, gravement blessés, pis encore qu’ils ne l’eussent été quelques mois plus tôt, à l’aube de la nouvelle année. Oui, nous allions sombrer dans un gouffre de déraison, un monde d’affres et d’épouvantes, une longue nuit, un cauchemar interminable, dont les premiers signes annonciateurs nous avaient été livrés disais-je six mois plus tôt, et pour certains depuis plusieurs années en amont. Nous allions voir ce que nous allions voir. L’horloge de mon bureau indiquait 13h30. Sur mes fiches d’identification de poste de travail que j’appelais FIP, j’ajoutais, rayais, surchargeais, rectifiais, revenais à l’indication initiale. Pour chaque poste de travail (plusieurs centaines à reconsidérer) il me fallait proposer une évolution possible. Je croyais fermement que les grands patrons m’avaient proposé ce job de « chef de gestion de carrières » parce qu’ils me prenaient au sérieux, croyaient en mes compétences. Plaisanterie. « Le gaz est naturel. Il coule dans des tuyaux depuis le Sahara jusqu’ici. On ouvre les vannes et on remplit les méthaniers. Gaz cryogénique à liquéfier puis à regazéifier, voilà une question banale depuis 1910, époque des ballons dirigeables, alors bon… Les dollars arrivent, coulant à flots, dans l’autre sens et dans d’autres tuyaux, opaques. Et on les distribue, avec ou sans le syndicat. Tout le reste est du festi » me répétait un vieux collègue qui en avait vu des vertes et des pas mûres depuis les premiers temps de la Camel. « Tous ces services de Personnel, de Carrières, de Moyens généraux, de Social et de et de… ça sert à rien, qu’à nous faire passer le temps ». Je ne le croyais pas. À tort.

vue de GOOGLE – ana khatini ! (je ne suis pour rien dans cette prise !)

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Il était 13h30 ce lundi 29 juin. Max-Si-Ali (appelons-le Max-Si-Ali), notre syndicaliste-chef maison est entré comme une furie dans mon bureau, j’ai cru que dans son élan il allait déglinguer les paumelles de la porte de mon bureau.

– Tu as entendu la dernière ?

– Quoi ? 

– Boudiaf, Boudiaf… a-t-il bégayé le souffle et les yeux aux abois. Il s’étranglait. 

– Euh ?

– Il a été liquidé ! en direct à la télévision !… 

Et il a fait demi-tour vers l’extérieur aussi rapidement qu’il était entré en claquant la porte, pour aller porter la mauvaise nouvelle à tous les bureaux. Un brouhaha s’en est suivi, car d’autres collègues venaient d’apprendre la nouvelle et eux aussi ont décidé de s’en faire porteurs. J’ai abandonné mes FIP et mes courbes et mes stats, et suis sorti précipitamment, emporté par la folle et incroyable nouvelle et c’est tout le complexe de liquéfaction qui se transformerait en souk d’échange d’informations et de rumeurs.

La journée commençait, jusqu’à ce moment-là, ordinaire dans une usine ordinaire de la Sonatrach à Bethioua (Arzew). Max-Si-Ali (il avait la barbe et les tics de son idole allemande et jamais Le Manifeste ne le quittait) passait son temps à récolter des informations et des rumeurs qu’il distillait après les avoir triées, alimentées. Max-Si-Ali a passé une grande partie de sa vie syndicale (il était technicien supérieur affecté à un poste fictif) à combattre contre vents et marées pour que « goffat el aïd » (1), un panier (au féminin en arabe « goffa ») de produits de première nécessité soit attribuée aux travailleurs, et reconduite chaque année. C’était sa traduction intime du Manifeste.

Le couffin qui nous avait été offert (merci le syndicat, merci patron) le mardi 9 et mercredi 10 juin était bien conséquent. C’était pour chacun ou le 9 ou le 10, le matin ou l’après-midi, à 9h15 ou 30 ou plus tard à 14h00, 15, 45 etc, selon le poste qu’on occupait, le service, le département, la sous-structure, tout était calculé et précisé au quart d’heure, à l’encre noire dans un grand tableau blanc Excel (42X30) démultiplié en autant d’exemplaires qu’il y avait de lieux d’affichage. Tout le monde était concerné, de la femme de ménage au cadre le plus gradé. Tout le monde. Le tableau était scotché, punaisé ou agrafé à l’entrée des départements, des services, des sections, sur la porte du local syndical, et bien sûr sur la porte et les murs de la Coopérative syndicale). C’était la Grande Révolution prolétarienne de notre secrétaire maison, en branle. Deux gros tampons l’accompagnant : celui du Syndicat – encre bleue – et celui de la Direction – encre rouge –, main dans la main et drôles de couleurs. L’aïd du mouton est tombé le week-end suivant. Max-Si-Ali était comme le père Noël, et rouge comme lui et comme son ancêtre idéologique. Un grand syndicaliste, très apprécié – malgré tout – par tous les directeurs sous-directeurs, cadres divers successifs. Les travailleurs aussi, mais ceux-ci n’avaient pas d’autres choix. Max-Si-Ali avait du mordant, du bagou, de la répartie, mais il ne fallait jamais évoquer devant lui ou le directeur les conditions de travail des chaudronniers, des manœuvres ou des saisonniers par exemple. Jamais évoquer les relations qu’entretenaient avec eux les petits-chefs, jamais évoquer les décisions unilatérales. Cela risquait de le rendre plus rouge encore.  

Max-Si-Ali a couru donc comme une flèche pour être le premier à donner la mauvaise nouvelle comme un augure écrasé par les événements. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas seul dans le couloir, il a pris la direction de la Direction. Notre planète est sortie de ses gonds immémoriaux puis s’est arrêtée de tourner le temps d’une rotation. « Ils l’ont eu » me suis-je entendu chuchoter. Toutes les télés du monde se sont brusquement tournées vers nous. Nous étions de nouveau le cœur d’un monde malsain et incertain. L’Amérique latine en mauvaise copie, très mauvaise. Les télés ne parlaient que de ce terrible drame et le film de l’événement repassait en boucle. « Le chef de l’État algérien, Mohamed Boudiaf a été assassiné ce matin à Annaba, à 600 km d’Alger. Le président algérien était en train d’inaugurer une maison de la Culture… » a annoncé Paul Amar en ouverture du journal 19/20 de FR3. Des lots d’images, par dizaines, se bousculaient dans mon esprit. 

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA TÉLÉ _ F3 SUR L’ASSASSINAT DE MOHAMED BOUDIAF_ 29 JUIN 1992

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À propos de « Le pays qui ne s’aime pas » – de K. Daoud

À propos de « Le pays qui ne s’aime pas » de Kamel Daoud (in Le Point du 14 juin 2022)
Il y a eu « Valeurs actuelles » avec ce titre abject : « La mafia Mélenchon » (16 juin), et simultanément ce contenu inacceptable de Daoud dans Le Point : « Jean-Luc Mélenchon laissera derrière lui un pays clivé, qu’il a voulu divisé et remonté contre les siens. »  (Le Point 14 juin) L’invective et l’indécence sont communes aux deux titres. « Le Point », comme « Valeurs actuelles » et d’autres, paniquent à l’idée qu’une force conséquente de gauche de rupture prenne d’assaut l’Assemblée nationale. Alors avec fébrilité on cogne sans règles, on dévoile ses fantasmes et convoque le vil en suggérant que Mélenchon est à la lisière de la démocratie et cette allusion au « juste possible » de Kamel Daoud est juste honteuse. « L’Élysée est envahi… un homme grimé en Viking y pose dans le salon doré… » Les patrons de Le Point paniquent et instruisent un libelle contre le représentant de ce bloc qui fait trembler dans les hauts salons, contre « le Maghrébin-Européen » (on est habitués). Et qui mieux qu’un frais Franco-Maghrébin bien arrivé et bien arrimé découvrant tous les bienfaits des grands salons (Allah issahhel) pour encorner cet empêcheur de tourner en rond ? On peut ne pas partager le programme de la Nupès et de Mélenchon, mais avec décence, avec des chiffres et dire clairement pour qui et pour quoi et de quelle position on roule n’est-ce pas ? (relire Bourdieu) L’insoumis n’est pas fabriqué par un « sentiment » monsieur Kamel Daoud (auriez-vous oublié ce que misère signifie dès lors que désormais vous avez franchi le portillon des jets et des Ritz ? (les lieux pardi !)
Vous écrivez que « la colère semble parfois juste ». « Semble », « parfois ». C’est indécent. Vous, par contre, vous ne semblez pas connaître les sous-sols et les caves de ce pays. Ou plutôt si, vous les connaissez, vous en avez entendu parler, mais vous ne voulez pas les voir. Je vous l’accorde, on ne peut comparer à d’autres situations, lointaines, plus graves comme au Bangladesh ou dans certaines contrées d’Afrique noire évidemment. Mais lorsque vous écrivez que la colère est disproportionnée au vu de la qualité de vie » (qualité !) vous vous mettez le gros doigt dans l’œil ce qui vous empêche de voir l’indécence des riches qui empochent l’équivalent d’un pavillon de Rambouillet, de Neuilly ou de la Celle Saint-Cloud tous les trimestres par la grâce d’une politique que vous défendez puisque vous avez appelé clairement à voter Macron celui-là même qui participe au plus fort à la destruction des acquis sociaux (ne vous en déplaise). Et je suis loin de toute caricature vous le savez. Je comprends que vous défendiez votre nouvelle classe et que les classes moyennes-inférieures et basses qui souhaitent un changement radical et pacifique vous irritent. Je le comprends. Mais ne dites pas qu’elles ou leurs représentants sont haineux. Non monsieur, ils ne sont pas haineux. Monsieur Daoud, soyez élégant, ne perdez pas vous non plus votre sang-froid. Et puis il ne suffit pas de crier « populiste, populiste ! » pour que la péjoration et le discrédit fonctionnent et ainsi clore l’affaire. Interrogez cette notion dans ses profondeurs historiques sans omettre le mépris de classe s’il vous plaît !
Vous aurez tout le temps de vous installer dans la durée en France, et tout le temps pour éclabousser de gadoue vos (futurs ?) Berluti. Je n’ai rien contre vous, monsieur Daoud, j’apprécie nombre de vos écrits et même beaucoup pour être franc (je vous l’ai dit lors du dernier Sila chez Barzakh). Mais lorsque vous défendez ce qui de mon point de vue ne peut l’être, alors je vous le dis aussi. Et puis, choisissez les bons termes pour accompagner votre arrogance (ce n’en est pas ?) ou la honte cachée. N’écrivez pas « les lèvres retroussées de Mélenchon et de ses jumeaux » écrivez au Point où vous en êtes, écrivez « leurs babines » ce serait plus clair. Ce serait moins honteux. Et cela dirait plus de vous. C’est d’ailleurs ainsi que vos coqueluches parlent des classes populaires et de leurs représentants (« les babines des sans dents »). Et puis, interrogez-vous sur les raisons qui font que leurs visages sont « ravagés », qu’ils ne sont ni « calmes », ni sereins. Leur haine est « formidable et sans mesure » écrivez-vous sans rougir (j’en suis persuadé) alors qu’il s’agit du b et a ba du politique, qu’il s’agit de la « haine formidable et sans mesure » (expliquées dans des programmes clairs et chiffrés que vous pouvez vous procurer, lire et analyser à l’ombre d’un yacht de Gernelle ou FOG à Saint-trop en ces temps de canicule) des politiques néolibérales qui entraînent toutes ces marginalisations faites à des millions de Français. Je vous conseille de vous approprier les constats de l’Observatoire des inégalités en France élaborés par des gens qui ne sont ni des extrêmises, ni des gauchos d’Amérique latine. Ces réalités bien françaises ne semblent pas vous alerter, puis que vous ne leur postillonnez jamais dessus comme vous le faites à la hussarde sur les dirigeants de la NUPÈS (sans que, à deux jours de l’élection, ils puissent vous répondre ) et puisque vous n’en soufflez jamais mot (ou si rarement), mais bien au contraire. Prenons un des exemples les plus frappants de « réussite » grâce au libéralisme, le Qatar. Vous en êtes un admirateur, « un pays où l’on peut dire les choses, où les droits de la femme sont les plus respectés dans cette région du monde » (Le Quotidien d’Oran, 4.12.2010) ( vous avez bien lu « les plus respectés », pas les moins violentés, nuance). 
Allons, allons cher ami, ressaisissez-vous.
Ahmed Hanifi, 
Marseille, le 18 juin 2022

La revue « A » (ex « Algérie Littérature/Action)

Je suis descendu à Marseille vendredi 10 pour assister à une soirée NUPÈS en vue des élections législatives. Comme il m’arrive souvent lorsque je descends à Marseille, j’ai été pris ce vendredi par une irrésistible envie, celle de faire un tour à l’Alcazar, LA grande bibliothèque, au deuxième étage, « Littérature », en attendant la soirée NUPÈS.

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Je suis donc dans l’Alcazar, je m’installe avec « L’anomalie » de Hervé Le Tellier entre les mains. À mes côtés, le roucoulement continu de deux tourtereaux, probablement étudiants, me dérange. Je change de place et m’installe sur un siège devant une petite table ronde, seul près d’un espace silencieux. Je continue ma lecture de L’Anomalie, mais lorsque je lève les yeux, sur ma droite, en direction des rayons, une affiche attire mon attention, une feuille rose 21X27, sur laquelle il est écrit en caractères majuscules : « Espace magazines et littératures à emprunter ou à feuilleter sur place. » Juste en dessous, il y a plusieurs casiers remplis de revues sur le fronton desquels il est écrit : « NRF » pour le premier casier, « L’indice dei libri (italien) » pour le deuxième, « Nuit Blanche (revue québécoise) » et « A-Littérature-Action » sur d’autres. Immédiatement ce dernier titre me renvoie à une revue que j’avais beaucoup appréciée en son temps « Algérie Littérature/Action » dont le directeur de publication était Aïssa Khelladi et la responsable de la rédaction Marie Virolle. Une revue éditée en France par Marsa Éditions.

Je range Le Tellier dans mon sac-à-dos (j’ai toujours un sac à dos, je peux y fourrer tout et n’importe quoi) et retourne à l’espace « Magazines et littératures ». Il y a en tout et pour tout dix numéros de cette revue (du N° 4, janvier- avril 2019 au N° 13 janvier-avril 2022). Les trois premiers numéros soit ont été empruntés, soit n’ont jamais figuré dans les rayons de l’Alcazar. 

Ce qui frappe en premier c’est d’abord le format. Il était plutôt classique, 15 cm X 21, passant à un format carré de 20,50 X 20,50, puis ce qui attire l’attention également c’est l’évacuation d’un des responsables initiaux de la revue. Peut-être a-t-il de lui-même refusé cette nouvelle aventure ? Exit donc de la nouvelle revue Aïssa Khelladi qui a complètement disparu des médias depuis le retrait et la disparition de l’ancien président algérien dont il avait écrit un panégyrique « Bouteflika, un homme et… ses rivaux » (Ed Marsa/Alger, 2004). Un livre débordant de haine, notamment à l’encontre de Hocine Aït-Ahmed. Je demeure convaincu qu’il s’agissait là d’un brûlot, un libelle de « commande ». J’appréciais les écrits de Aïssa Khelladi (ou d’Amine Touati), mais là je suis tombé de haut et à la renverse (je savais qu’il avait été officier des Services, un frère parmi les frères, mais je ne pensais pas qu’il avait encore un fil à la patte. Aussitôt après la lecture du brûlot j’ai adressé un courrier de désabonnement à la revue « A.L/A » dont j’appréciais beaucoup les contenus et le travail des collaborateurs. Je me dois d’ajouter que Marsa a été la première maison d’édition à me publier avec « Le temps d’un aller simple » (en 2001 en France et l’année suivante en Algérie). Je ne pouvais pas continuer après ce que j’avais lu dans le livre de Khelladi. J’avais écrit une lettre (cf photo) très sévère. Je la récrirais identiquement aujourd’hui. Mais il me faut être clair, le talent d’écrivain, certain, de Khelladi, n’a rien à voir ici.  

Je reviens à mon mouton pour dire que je suis très content de ce « retour ». Ce type de revue fait cruellement défaut en Algérie (même si, a priori, elle ne traite pas exclusivement de l’Algérie), et puis, c’est une revue française, pas algérienne. Je suis surpris qu’on ne trouve nulle trace de « A littérature-action » dans la presse algérienne qui bizounourse (du verbe bizounourser) en rond. Toujours les mêmes encore et encore. À moins que je sois un mauvais lecteur de cette presse. C’est vrai aussi, mais si tel aurait été le cas je pense qu’on en aurait eu vent via Facebook non ? Là encore je n’ai peut-être pas les « bons amis » qu’il faut ? Je commence à tourner moi-même en rond. Je me reprends et continue sur « A ».

La direction de cette nouvelle revue « A littérature-action » « Appelons-la ‘‘A’’ », est assurée par Marie Virolle et Laurent Doucet (« poète et professeur de lettres, d’histoire et de géographie dans un lycée professionnel de la banlieue de Limoges »). La revue est éditée par « Mars-A Publications Animations » (Marsa était le nom de l’ancienne revue). Le A « Algérie » de la précédente revue s’est transformé en « A comme le A de Ailleurs, le A de Autre, A des continents, des rives et des dérives, Afrique, Asie, Amérique… » Mais pas Algérie ? il y a là quelque malentendu ou méprise (ou impasse).

Si Algérie Littérature/Action était bimestrielle, la revue « A » est plutôt irrégulière. Elle couvre tantôt une période de trois mois (N° 9 et 12), tantôt quatre (N° 4, 5, 6, 8, 11, 13) ou même cinq (N°10). « ‘‘A’’ s’inscrit dans la continuité de l’action de ‘‘Marsa Éditions’’ et reprend à son actif le bilan de vingt années de publications et d’animations de cette structure » est-il précisé sur son site Internet ( https://revue-a.fr). Si tracasseries il y eut, elles sont d’ordre administratif (tout refaire : Urssaf, impôts, Afnil, Bnf…) et ce n’est pas rien ! 

J’ai emprunté les quatre derniers numéros, à savoir 10 à 13 couvrant la période de janvier 2021 à avril 2022. Ce sont ces quatre numéros que je vais exposer, détailler.

Des trente-quatre anciens collaborateurs et parrains (plusieurs y figuraient alors que décédés) de la revue Algérie Littérature /Action, seuls deux poursuivent l’aventure avec « A » la nouvelle revue : Denise Brahimi et Christiane Chaulet-Achour plus Marie Virolle (sans cette dernière la revue disparaîtrait sur le champ ou illico). Si le nombre total des collaborateurs (ne pas confondre avec contributeurs ou coordinateurs) indiqués sur le site Internet est de quarante-neuf noms, celui mentionné sur la revue papier diffère selon le numéro. Ils sont 23 collaborateurs aux numéros 10 et 11, 18 au 12 (dont une modification de nom) et 19 pour le dernier. Sept personnes sont en charge de la Rédaction de l’actuelle revue (dont Marie Virolle et Christiane Chaulet-Achour). La direction est assurée par Marie Virolle et Laurent Doucet. La revue « A » est domiciliée en France et publiée « avec le concours du CNL et de l’ANCT (CNL et FAS pour la revue disparue).

La lettre A occupe systématiquement une importante partie de la Une de la revue (voir photos). Quant au contenu de « A », les unes des numéros 4 au 13 mentionnent, dans l’ordre, jusqu’à la plus récente : Armand Gatti, Frantz Fanon, Marcelle Delpastre, Peter Diener, Kateb Yacine, échanges avec le Japon, Hôtel La Louisiane, Isabelle Eberhardt, Engagement et création, Jean Sénac. Il y a quatre grandes rubriques (elles n’apparaissent pas toutes systématiquement). Prenons-les dans l’ordre des numéros, du 10 au 13 :

1- En Une (82 pages au numéro 10, 73 pour le n° 11, 44 p pour le n° 12, et 120 pour le 13)

2- Études, lectures, regards (22 pages, 48, 50, 115)

3-Création-monde (89 pages, 60, 48, 28)

4- Arts plastiques (néant pour le n°10, 26 pages, 34 pages, et néant)

De quoi de qui traitent-elles ces rubriques ? Je les propose (très grossièrement) dans l’ordre de parution.

1- Rubrique « En Une »

N° 10 de la revue : 82 pages sont consacrées à l’hôtel littéraire La Louisiane (60 rue de Seine à Paris) où ont été accueillis de nombreux écrivains, artistes dont Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Boris Vian, Oscar Peterson, Gene Vincent, Étienne Daho… magnifiques textes accompagnés de photos, dessins… la rubrique est scindée en deux : a- Gens de La Louisiane, b- Femmes de La Louisiane.

N° 11 : Isabelle Eberhardt (Mahmoud Saadi), un dossier de 73 pages coordonné par Marie Odile Delacour (notre MOD de Libé d’antan, pas Libération non, Libé des belles années) et Jean-René Huleu (même parcours !) Je me demande si ce n’est pas elle qui a mis (la première) en lumière notre Alla du Foundou de Bechar. MOD et Huleu sont des spécialistes de la belle « perturbatrice ». On trouve parmi les contributeurs ces mêmes auteurs ainsi que… Leïla Sebbar, Christiane Chaulet Achour, Karima Berger (bonjour !), Patti Smith (une de ses chansons) : « … il me faut un radeau/ pour m’emporter sur/ la rivière jaune/ un harem de cloches à pierres/ carillonnant Isabelle/ la ballade d’une fille/ violon ivre/ qui s’est noyée dans le désert… »

N°12 : Sa « Une » porte sur des questions-réponses, précisément « 10 questions ; 10 réponses pour aujourd’hui et pour demain », sur 44 pages. J’ai trouvé certaines des questions (pardonnez-moi) un peu naïves, plutôt lisses que rugueuses. Sont conviés à y répondre onze (pourquoi pas 10 ?) artistes, philosophes, une cantatrice, des auteurs… dont Sapho, Boualem Sansal, Cécile Oumhani, Sophie Bessis… Les questions : Quels sont les événements qui vous ont le plus marqué…, quel est le plus grand enjeu actuel, quels sont les plus grands dangers pour les sociétés humaines, le mot ‘‘engagement’’ a-t-il un sens, l’art et le politique peuvent-ils encore transformer le monde ? etc.

N° 13 : Sur les pas de Jean Sénac. Un dossier de 120 pages avec des contributions de feu Hamid Nacer-Khodja, de Marie Virolle, Jean Bénisti ainsi que des textes de Jean Sénac. Il est question bien sûr des portraits de Denis Martinez, de son Talisman dédié à Sénac… Il est important de noter que l’ancienne revue Algérie Littérature-Action a produit un numéro (410 pages, publié au 1° trimestre 1999) entièrement dédié à Jean Sénac, « un volume réalisé sous la direction de Jacques Miel et de Jean de Maisonseul ».

2- Rubrique « Études, lectures, regards » 

(je commence à fatiguer)

N° 10 de la revue : critiques de textes (François Augiéras, poésie de Lahiri, ) commémoration (La Commune de Paris), dialogue autour d’un auteur, notes de lectures (Idir Tas,  Pierrette Epsztein)

N°11 : lecture de « 2 siècles de solidarités en Limousin », le verlan dans la BD, hommage à Bruno Krebs, un beau texte de Kamal Guerroua sur « l’exil linguistique » ou les écrivains algériens « placés par l’Histoire en position de rupture avec leurs racines », des fiches de lectures (Un Afghan à Paris,  Une embuscade dans les Aurès…)

N°12 : Un entretien avec Catherine Simon (« Un baiser sans moustache » notamment) par Kinda F.Z. Benyahia (auteur d’une thèse sur « poétique du roman policier, cas de trois autrices… », une note de lecture de « Le doigt » de Dalie Farah (par Denise Brahimi), d’autres notes par Françoise Bezombes… Mais aussi un texte de Christiane Chaulet Achour sur l’intertextualité en prenant pour exemple deux romans, celui de Mohamed Mbougar Sarr « La plus secrète mémoire des hommes » et celui de Yambo Youologuem « Le devoir de violence ». La recension (c’en est pas à proprement parlé d’une recension) commence ainsi : « Il y a souvent une certaine perplexité quand la critique journalistique en France s’entend pour encenser dans un concert de louanges un roman d’un auteur francophone. Pourquoi, alors que tant d’autres publient en même temps et qu’on les ignore ?… » L’interrogation de Christiane Ch.A. me fait sourire. Car on peut la compléter en la transposant à l’environnement algérien. « Pourquoi ‘‘les critiques’’ de la presse algérienne (par flegme ou dépourvus d’instruments ?) tournent-ils en rond ? Pourquoi 40, voire 50 ans plus tard ils en sont encore à encenser plus que tous les autres, des écrivains qui n’en ont pas besoin, des hommes comme K. Yacine, M. Haddad, R. Boudjedra (qui ne produit plus), Mimouni, Jean Sénac… matin et soir (j’exagère à peine), alors qu’il y a des talents à la pelle (jeunes) à peine trentenaires (ou quadra) formidables ! (il suffit de tendre l’oreille et d’ouvrir l’œil, notamment lors du SILA). La réponse (indirecte) a été donné mille fois par Bourdieu. Et c’est dommage (dommage que Bourdieu ait mille fois raison). 

N°13 : 115 pages sont dédiées à cette rubrique (y compris les Arts plastiques) dans ce numéro. On y trouve pêle-mêle Nawal El Saadawi, Assia Djebar, Al Hallaj, Leïla Sebbar et un long entretien avec Abdellatif Chaouite (par Bruno Guichard)

Deux autres rubriques, Création-monde et Arts plastiques complètent la revue, ainsi que des critiques de films, documentaires… (Je suis fatigué). Je m’arrête là car l’heure tourne. La combinaison fatigue et temps agissent comme un boa constricteur. 

Je reprendrai et retravaillerai entièrement cet article lorsque j’aurai lu l’ensemble des 13 (ou plus) numéros de la revue et si le courage m’accompagne. Je souhaite à « A » bonne route (elle a quand-même quatre ans ! –  elle est née en 2018 alors même que j’étais sur le point me concernant, de mettre un terme à ma maison d’édition « Incipit en W » hélas.)

Allez, il me faut quitter la bibliothèque et filer droit à la soirée NUPÈS.

Quant à l’ « A », je m’y abonnerai pour sûr, promis, juré, craché, croix de bois, croix de fer, si j’mens…

Asie centrale, Mai 2022

Samedi 7 mai 2022

Nous y sommes donc depuis hier matin samedi 7 mai. ‘Y’ renvoie à la belle orientale, Tachkent. Capitale de l’Ouzbékistan. J’ai cherché Youssef Z. mais pas la moindre ombre. Je lui avais promis pourtant promis que je passerai. Dix heures d’avion c’est éprouvant. Je vous donne en aperçu ces quelques images. La suite viendra au fur et à mesure de notre (V et moi) enfoncement dans le pays. Car nous avons l’intention de nous y égarer. Lundi est jour férié (libération des nazis par l’armée soviétique, à l’époque, armée de l’URSS et donc de l’Ouzbekistan). Un petit tour au nord-est de la capitale, visite de mosquées puis en son cœur avec Timur. On voit à l’image Timur (Grand conquérant (et massacreur)) ou Tamerlan sur son cheval de guerre.

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Jerusalema, La chanson tube de 2020

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA COMPILATION DE « JERUSALEMA »

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« Jerusalema ikhaya lami/ Ngilondoloze/ Uhambe nami/ Zungangishiyi lana… »

(c’est juste une prière… Protège-moi, ne me laisse pas ici, marche avec moi…)
Un phénomène mondial. « Jerusalema » est une chanson de Kgaogelo Moagi, plus connu sous le nom de Master KG (musicien et producteur de disques Afrique du Sud) – « En octobre 2019, Master KG sort de son album Jerusalema, ainsi qu’un titre éponyme au nom de l’opus, soit Jerusalema. Il met en vedette la chanteuse Nomcebo Zikode sur cette chanson groovy. (Wikipedia)

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Jerusalema ikhaya lami
Jerusalem est ma maison
Ngilondoloze
Protège-moi
Uhambe nami
marche avec moi
Zungangishiyi lana
Ne me laisse pas ici
Jerusalema ikhaya lami
Jerusalem est ma maison
Ngilondoloze
Protège-moi
Uhambe nami
Marche avec moi
Zungangishiyi lana
Ne me laisse pas ici
Ndawo yami ayikho lana
je n’ai pas ma place ici
Mbuso wami awukho lana
Mon royaume n’est pas ici
Ngilondoloze
Protège-moi
Uhambe nami
marche avec moi
Zungangishiyi lana
ne me laisse pas ici
Ndawo yami ayikho lana
je n’ai pas ma place ici
Mbuso wami awukho lana
Mon royaume n’est pas ici
Ngilondoloze
Protège-moi
Uhambe nami
Marche avec moi
Ngilondoloze (x3)
Protège-moi (x3)
Zungangishiyi lana
Ne me laisse pas ici
Ngilondoloze (x3)
Protège-moi (x3)
Zungangishiyi lana
ne me laisse pas ici
Ndawo yami ayikho lana
je n’ai pas ma place ici
Mbuso wami awukho lana
Mon royaume n’est pas ici
Ngilondoloze
Protège-moi
Uhambe nami
Marche avec moi
Ngilondoloze (x3)
Protège-moi (x3)
Zungangishiyi lana
Ne me laisse pas ici
Ngilondoloze (x3)
Protège-moi (x3)
Zungangishiyi lana
Ne me laisse pas ici

www.lacoccinelle.net/

L’Émir ABDELKADER au MUCEM

Je me suis rendu hier lundi, tôt le matin, au « Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée » de Marseille ou MUCEM. Il faisait bon, peut-être un peu frais encore à cette-là, 10 heures, heure de l’ouverture. Par cette exposition, qui a été inaugurée le 5 avril dernier et qui se tient jusqu’au 22 août, on entend « remettre en lumière la figure d’Abd el-Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle » (web du Mucem).

C’est lui-même, l’Émir Abdelkader, qui m’accueille à l’entrée du musée, avec sa djellaba blanche. Il porte dans sa main gauche un grand chapelet. Je le salut, son regard est serein, sa posture est quand-même un peu figée. Ce retour en France et toute cette lumière portées sur lui, le perturbent peut-être un peu. Je me dirige à la billetterie « c’est pour l’ L’exposition sur l’Émir Abd el-Kader » (11€, au 2° étage).

Dès l’entrée, la première salle (il y en a plusieurs) je suis emporté. On est mis en situation. La campagne d’Égypte et la défaite française face aux Anglais. En Méditerranée, Napoléon 1° observe la côte algérienne grâce à son espion, le capitaine Boutin, en 1808, l’année de naissance à El Guettana (Mascara) de Abdel-Kader ben Mohi Eddine qui sera (ainsi est-il présenté sur la page du Mucem : « Émir de la résistance, saint combattant, fondateur de l’État algérien, précurseur de la codification du droit humanitaire moderne, guerrier, homme d’État, apôtre… » En 1832, à 22 ans, il succède à son père dans la résistance à l’armée coloniale. J’admire le beau sabre qu’il a porté pour défendre les siens et la selle d’apparat. Et ses chéchias dans un style qui n’a plus cours aujourd’hui en Algérie. La sacoche de selle, ‘‘dejbida’’, est magnifique, « brodée de fleurs et d’arabesques sur son rabat extérieur ». L’Émir cherche des appuis internationaux, comme par ce courrier de 1840 adressé au consul des États-Unis. Les chapelets et le Coran ne le quittent pas. Dans la salle suivante un grand tableau montre la Smalah (zmala) de l’Émir : mille à deux mille tentes organisées en cercles d’une quinzaine de tente chacun (des zmala) avec les familles, les guerriers.

La défaite devant l’occupant oblige Abdelkader au retrait. Ce qu’il fait en se rendant au Maroc qui lui offre son aide. Le sultan est lui aussi défait lors de la bataille d’Isly (1844). Les luttes de l’Émir se poursuivent autrement. En 1847, l’Émir se rend contre la promesse que les autorités françaises le laisser se rendre en Orient arabe.

D’autres résistants à l’invasion françaises se mobilisent à l’instar de Cherif Boubaghla (ses restes furent rapatriés de France en juillet 2020) et Fatma N’Soumer tous deux en Kabylie. N’Soumer sera capturée. Elle mourra en prison six années plus tard, en 1863. L’Émir sera d’abord emprisonné dans le château d’Amboise durant cinq années. Il y écrit beaucoup. Des courriers à des hommes politiques, mais aussi de la poésie.

Pour sa propre image, « pour sa gloire » Napoléon III fera de l’Émir un grand ami de la France, alors que l’Émir ne pense qu’à une seule chose, quitter la France. Il s’installe en Turquie, dans la ville de Borsa « Bourse, la ville sainte » qu’il quitte l’année du terrible tremblement de terre en 1855 pour s’installer à Damas, « sur les traces d’Ibn Arabi ». L’Émir Abdelkader meurt en 1883 à Damas où il sera inhumé. Le 6 juillet 1966 ses cendres sont rapatriées en Algérie, au cimetière des Martyrs.

Tombeau de l’Emir à Damas
Rapatriement des restes de l’Emir Abdelkader vers le carré des Martyrs _Alger 1966

Je n’ai pas vu passer les deux heures dans cette exposition. La 24° journée de ramadan glissa entre mes pensées et mon corps, mais on peut passer quatre heures dans l’exposition, à l’aise, tant il y a à voir, à lire, à apprécier. J’aurais souhaité mille expositions comme celle-ci sur 1001 sujets…. En Algérie même. Ah oui, mais y a le foot l’arrogance et le j’m’en-foutisme, c’est vrai. Hélas.

À Marseille, le 26 avril 2022

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CLIQUER ICI POUR LIRE LA CONFÉRENCE DE KATEB YACINE (il a 17 ans) SUR L’ÉMIR ABDELKADER

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https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/abd-el-kader

mais aussi : https://www.youtube.com/watch?v=lwQhFyQk0lk

Le terrible programme de Marine Le Pen

Derrière sa dédiabolisation : le terrible programme de Marine Le Pen – La menace est réelle, aux porte de notre quotidien. Le Pen est un danger pour la France et les Français. Plus encore pour les minorités, notamment les immigrés ainsi que les Français à double nationalité (« des centaines de milliers d’étrangers et de binationaux seraient interdits d’emploi »).

Le Pen est pire, pire que le président ultralibéral qu’est Macron. « Son projet, qui rompt avec le principe d’égalité, viole les conventions européennes, les principes élémentaires de notre justice et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1789. » 

Regardez la vidéo. C’est terrifiant.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO

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« Ni Macron, ni Le Pen ». Marseille 16.04.2022

« Dégageons Le Pen, combattons Macron. »

À 13 h 45, je descends la rue Vacon, Paradis, Pytheus, place Charle de Gaulle, rue Beauvau. Les restaurants et les bars sont assez remplis. Les tables des restaurants débordent sur les trottoirs.  

Sur la place du Vieux-Port, Quai des Belges, sous et autour de l’imposante ombrière au plafond-miroir (sculpture de l’Anglais Norman Foster), des groupes commencent à se former. Un appel, notamment, de « Solidaires » a été lancé ces jours-ci « Dégageons Le Pen, combattons Macron. Manifestation ! samedi 16/04, à 14 h, au Vieux Port »

photo: est-ce Marseille?

Il fait très chaud (autour de 25°). Il y a aussi des musiciens, des danseurs. Au bord du quai, certains sont assis, les pieds ballants. Ça sent la mer (l’iode) et le poisson. Ici-même, les autres jours, est déployé le marché aux poissons du Vieux port. Les pigeons côtoient les mouettes, lorsqu’elles daignent se poser. Des bateaux embarquent des touristes vers les îles. Des enfants courent entre les gens suivis de leurs mamans. D’autres dansent au son d’un amplificateur assassin. 

Quelques personnes distribuent des tracts. D’autres tiennent des pancartes sur lesquelles on lit « Le Pen ça sert Aryen », « Le Pen c’est pas la peine »…

Il y a de plus en plus de monde qui arrive, mais ce n’est pas la foule des grands jours. Des banderoles et des drapeaux indiquent la présence du FSU, du Parti de Gauche, la France Insoumise, le PCF, la LDH… On s’agite juste devant moi. On a reconnu Azeddine Ahmed-Chaouch, le journaliste de l’émission TV de Bartez « Quotidien » que j’apprécie (l’un et l’autre). Je lui tape dans le dos et lui lance un encouragement, mais il est obnubilé par ce qu’il a à faire. Il questionne à gauche à droite. Sa collègue filme. (diffusion je pense ce lundi 18, sur TMC, 20h30+) Peut-être se rendra-t-il au Pharo où se trouve Macron. Un gilet jaune s’acharne à expliquer qu’il votera contre Macron, par défi certainement compte-tenu de l’argumentaire qu’il déploie.

Non loin une élue communiste discute avec ses camarades. Tiens, il y a aussi le NPA, un drapeau palestinien. 

Un militant s’active devant ses tréteaux. Il propose des ouvrages de Pierre Boué, de Marx, les classiques de ce dernier,  « La révolution allemande 1918-1923 », « La Révolution française »,  un périodique, « Révolution tendance marxiste internationale », c’est son titre, numéro 60- 04/2022 sur lequel il est précisé « 2€, solidarité : 3€ »

Il est 15 heures, des échauffourées entre des militants de la gauche (jeunes tout en noir, des black-bloc ?), « des antifa » (anti fascistes) et des manifestants venus au même endroit crier leur détestation de la politique menée sur le plan sanitaire. Ce sont des « antivaccins » plutôt d’extrême droite (plusieurs personnes âgées). Ils ont dare-dare quitté les lieux. Tiens, Kamar le photographe animateur radio (Galère), « ça va ? » « ça va »…

avec son grand micro emmitouflé sous une épaisse fourrure que j’avais un jour – au temps de La Révolution avortée (avortée ??) – du sourire, le prenant pour un chaton, caressé. J’en ris encore. 

Un groupe -dont les black blocs ( ?)-  « Ni Macron, ni Le Pen » s’est détaché pour remonter vers les locaux de La Marseillaise, Le Cours Jean Ballard. Au niveau du croisement en direction des quais de la Fraternité ( !) et Rive Neuve un nombre impressionnant de fourgons de police (15 ? 20 ?). Devant le premier d’entre ces camions, un cordon d’une vingtaine de policiers, barrant toute la chaussée, empêche tout passage piéton vers ces quais ou exceptionnellement après avoir fouillé (des journalistes) les valises, sacs… Il est vrai qu’à quelques centaines de mètres, au Palais du Pharo, Macron est venu défendre l’indéfendable. Mais bon, il a ses soutiens.

Je discute avec une dame « ni Manu ni Marine », qui ne votera pas dimanche 24. J’insiste sur le danger fasciste que représente Le Pen. Mais la dame s’obstine à vilipender la politique, économique et plus encore sanitaire de Macron. Je ne la contrarie pas mais insiste sur le danger de l’introduction officielle du racisme dans les institutions si la fille de son père (défenseur de Pétain et collabo de la funeste OAS). Mais la dame revient sur Macron, « notre souveraineté sanitaire nous échappe ». On tournait en rond. Je reviens vers l’ombrière d’où l’autre groupe entame une marche.

Je me fends dans la foule sur la Canebière… avant d’aller à la rencontre de mon ami B. rue d’Aubagne.

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Guerre en Ukraine

In: https://www.investigaction.net/fr

L’approche très objective de l’article qui suit concernant la guerre en Ukraine, est complètement évacuée par les médias français, qui ruent dans les brancards et hurlent au loup. Bêtement, à ânonner des vérités à sens unique. (On est habitué).

Entendons-nous bien, personnellement, – avant toute chose – je tiens les Russes pour responsables des massacres en Ukraine. Ils ont envahi un pays indépendant qu’ils sont entrain de détruire et tuer ses habitants.

Ensuite, je reprends à mon compte ce qui suit et d’abord ceci : « Il ne laisse aucun doute sur le fait que Poutine a commencé la guerre et qu’il est également responsable de la manière dont elle est menée. Quant à savoir pourquoi il a décidé d’envahir l’Ukraine, c’est une autre question… »

Je vous propose cet article repris par   INVESTIG’ACTION. Il a été initialement écrit dans The Economist, puis repris dans un média belge : De Wereld Morgen.

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Oui, c’est mon dernier jour au SILA.

Mais avant de prendre la route, je prépare une courte vidéo de remerciements aux participants à l’atelier d’écriture créative que j’ai animé le 5 courant à Oran ainsi qu’aux responsables de l’Institut français à Oran.

Je file au SILA vers 13 heures. Je me rends au stand de Livrescq. Échanges avec Nadia S. Puis je me rends au stand de Frantz Fanon. Rabeh Sebaa dédicace ses ouvrages. Je lui dédicace mon recueil, il m’offre Fahla dédicacé.

Un dernier tour à la brasserie. On se prépare au match retour comptant pour les éliminatoires de la coupe du monde au Qatar. L’Algérie reçoit le Caméroun. Le match ne commence qu’à 20h30 et non à 17 heures comme je le croyais moi qui commençais à m’installer.

Je m’arrête là. Exténué. Je dois préparer mes affaires pour demain.

Je vous dis à bientôt et merci pour votre suivi.

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

J’achève d’écrire et de mettre au propre le texte concernant la journée d’hier dimanche au SILA et le poste sur Facebook, sur mon site web et sur mon blog (du boulot !) Si le Si la fa mi ré do… Je recommence : si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et de ses intervenants en proposant un programme détaillé, global, c’est-à-dire informer sur les intervenants (avec trois lignes de présentation), préciser les dates et heures d’intervention, les stands concernés, (ce qui est le minimum syndical de la moindre organisation de quartier proposant des intervenants), quitte à payer une pub quotidienne dans les journaux (le SILA – ou sa hiérarchie – peut se le permettre non ?). Et si le SILA (ou sa hiérarchie ne peux pas) je leur propose de vendre un dépliant simple avec les éléments dont j’ai parlé d’une, de deux ou de trois feuilles 21X27 ou feuillets de 10X17, aux visiteurs intéressés bon sang. Et s’ils n’ont pas d’employés à même de faire ce travail, je me propose d’y plonger bénévolement ! (qu’ils me paient le voyage seulement et je fais le reste) Tant qu’à faire…

Je disais donc que si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et des intervenants en proposant un programme détaillé, je le feuilletterais d’abord et préparerais ma journée en conséquence, avant de sortir de l’hôtel. Mais tel n’est pas le cas. Nous sommes à 25 années de SILA (quelle importante expérience !) et nous avançons comme des pieds nickelés, comme des débutants. Les gens errent au gré du vent (il y a un vent étrange à l’intérieur) dans les allées de « la foire ». Moi aussi, du coup, j’y vais plus ou moins au pif en passant et repassant devant les mêmes stands. « Tel auteur est programmée ? » les réponses entendues : « euh, je sais pas » « c’est pas ici » « c’était hier » « allez voir là-bas », « attendez, je demande à mon collègue » et j’en passe.

C’est le trafic et le hasard qui règnent. Je n’ai rien écrit à ce propos le premier jour en me disant que le lendemain, peut-être que. Je n’ai rien écrit le deuxième jour en me disant que le lendemain, peut-être. Je n’ai rien écrit le troisième jour en me disant que le lendemain… nous voilà bientôt à la fin du salon et c’est kifkif, du premier au dernier jour. Alors oui, peut-être que « le SILA est le plus important (en quantité) salon du livre du monde », mais c’est surtout le plus b… (en 6 consonnes et 4 voyelles). Ils doivent bien se marrer tous ces étrangers qui en ont fait l’expérience ! Ah je sais. D’accord, d’accord certains me diront « oui mais nous sommes les meilleurs, Wane tou tri… » je leur dirais gentiment « allez, passez, s’il vous plaît, passez. J’en ai ras la casquette de votre ‘Nous’ exacerbé », idiot, insensé.

C’était un coup de gueule pour un espoir d’amélioration. On peut toujours rêver. Quant à l’hôtel qui m’héberge bon sang (pour 3500 da il est vrai), je pourrais écrire trois pages sur les économies de bout de chandelle : PQ, serviette, eau, pas de beurre, le même petit récipient de confiture qui circule de client à client sans qu’il (le client) le sache…et sur cette télé qui ne diffuse que très médiocrement trois ou quatre chaînes à vomir sauf une (TV5 Monde). Les images à l’écran sautillent sans arrêt au point que cela donne envie de sautiller comme un malade avec elle. Comme je ne le suis pas, j’ éteins. « T’as qu’à aller au Sofitel ou au Soltane hôtel » diraient d’aucuns. Oui mais.

Excusez-moi, je sors du sujet, qui est le SILA. Je finis juste pour dire que tous les employés de l’hôtel sans exception aucune sont formidables. Le trafic ne vient pas d’eux évidemment. Mais Allah ghaleb. Venons-en à nos agneaux si vous le voulez bien, (jusque-là je parlais des moutons). Les journaux présentent des programmes incomplets, favorisant ceux de telle maison d’édition… négligeant les autres.

J’achète Liberté. « El Watan khlass ». Je me trouve au SILA vers 13 heures. Bouche de métro « Boumendjel ». Vous vous souvenez de la petite musique « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » (lire mon texte du 25 mars), vous vous en souvenez ? Eh bé elle est là encore ce matin. Purée, comment m’en défaire ? Vous me diriez « n’y pense plus ! » Sauf que c’est elle qui pense à moi.

J’ai oublié de vous dire qu’il on ne court pas comme les malades de Paris. Ni derrière un bus, ni vers une bouche de métro, ni pour rattraper un tram sur le point de déguerpir. On attend le suivant. Dans le métro, une dame (vieille) qui voulait s’assoir entre moi et une femme sur ma droite, me dit « pousse-toi » avec un geste de sa main droite significativement désagréable. Je ne lui ai pourtant rien dit, rien fait. Je ne la connais pas. Ma casquette a dû la perturber. Meskina.

Peu avant de prendre le tram, à Ruisseau, j’achète El Watan. Mais avant de prendre le tram il me faut trouver un café… cela devient urgent. Je n’entrerai pas dans les détails, mais lorsque vous aurez mon âge vous comprendrez tout le drame (n’exagérons rien) lié à la question de la prostate, de l’urètre, de la vessie… Alors vite un café. Ce sera le joli « Café little Alger » à deux cents mètres de la station. Une café, une bouteille d’eau (150 ? je ne sais plus). Très joli et très propre, au rez de chaussée, à l’étage, aux wc (avec douche je vous promets !). Retenez son nom (photo).

J’ouvre Liberté. Les pages centrales, « Culture », sont consacrées à la littérature.

a- un article sur Lynda Chouiten : « De retour aujourd’hui au SILA »

b- un autre sur « la restitution des œuvres d’art à l’Afrique »

c- un texte sur « L’intertextualité et la question migratoire »

d- un article sur la rencontre avec Kamel Daoud et son dernier ouvrage avec Depardon : « Notre livre est un regard dans l’histoire » (je me suis demandé en lisant cet article, si sa signataire était bien présente à l’intervention de K. Daoud. « Ya comme un décalage » comme qui dirait.

e- un entretien avec Jamila Rahal « L’Histoire est le fil conducteur de ce récit romanesque. »

Noter pour la suite (El Watan) que Kamel Daoud et Jamila Rahal furent (ou sont) journalistes.

El Watan consacre trois pages à la littérature (pages « Culture » 17, 18, 19).

La page 17 est réservée à des journalistes du même journal ! (on n’est jamais mieux servi que par soi-même mon frère ! pas de retenue. Aucune. Bla hachma, bla… 

D’abord un trois quart de page est consacré au journaliste maison (j’apprécie l’écriture de ses reportages) Benfodil « Homme de lettres, de planches et de médias notre confrère et ami… » (c’est en tout cas sincère et lacrymal). Vive nous, vive l’Algérie.

Un quart serré est réservé à « Le Hic » : « notre collègue d’El Watan, le dessinateur, le caricaturiste, le bédéiste, celui qui croque l’actualité quotidiennement… » N’en jetez pas s’il vous plaît ! Merci pour lui.

Je vous promets que Bourdieu (Allah yerhmou) aurait complété ses thèses sur les médias français avec l’expérience algérienne ! (âynani quoi !) …

Dans le SILA j’ai l’impression de tourner en rond. Qui est où, quand ? (voir début de ce texte). Je tourne et retourne. Chez Frantz Fanon il y a l’inénarrable Laâlam (Le Soir). Un cas spécial çui-là tiens… passons. Il y a aussi le cinéaste Ifticène qui a écrit je ne sais quoi.

Mon ami FB, Lamine Benallou m’a demandé de passer le bonjour au gérant. Il est absent, alors j’ai écrit ce mot (photo) devant son livre « Les vies (multiples) d’Adam » : « Cette nuit-là je rêvai que je visitais le cimetière de la vieille ville où était enterré mon père » (incipit). 

Aux éditions Casbah, je vais à la rencontre de Lynda Chouiten qui dédicace son dernier ouvrage « Des rêves à leur portée », un recueil de nouvelles que j’achète et qu’elle me dédicace. Discussion…

Au stand officiel du ministère on vous accueille avec ce titre « Ministry Of Culture and Arts ». Le français est out. C’est pitoyable, risible et ridicule. Il y a une ancienne ministre de la culture, foulard bleu et joli sac de courses, fille de son père, chaudement applaudie et criblée de flash (pas de flash non) lorsqu’elle arrive en pleine séance.

Je rentre la tête pleine d’espoir et d’incertitude. Dans le tram, je ne sais si on rigole sincèrement ou si on se moque condescendamment (pardon !) de cette jeune fillette, a peine âgée de 8 ou 10 ans et qui porte sa sœur ou frère de deux ans sur le dos en faisant la manche. Elle parle avec un accent du sud, du grand sud. Coquine et maligne, elle s’adresse parfois à des jeunes filles en leur disant « Rabbi I zewjek, yerham jeddek twelli papicha mengoucha. Allah yaâtiq emmouh, emmouh alik, Barboussa » toute la rame est aux éclats, mais rares sont ceux qui mettent la main à la poche. Je lui donne une pièce. Elle est déjà descendue du tram à « Tripoli Taâlibi » où l’attendent cinq ou six mamas africaines assises à même le sol avec et leurs enfants demi-nus. La fillette leur remet le contenu de la boite. Cette fille est étrangère. Elle est noire. Elle mendie pour manger. Riez si vous voulez.

La Brasserie est un havre de repos. TV, brouhaha… Un match de tennis encore. Be In fait sa loi. 

Un gars (un colosse) est venu s’assoir à la table à côté (50 cmX50) de sorte qu’il me fait presque face. Il a le regard vide. Pensif. Je ne saurais dire de quel pays il vient. « Un Égyptien ? ». Ce silence est gênant. Sur ma gauche, un jeune gars chante en pianotant sur son téléphone (il porte des oreillettes). Il semble être en direct sur je ne sais quelle plateforme. Il chante sans gêne à son ami ou amie. À l’aise. On parle derrière mon dos. J’entends « Front de mer, Oran… » Je me retourne. Mais c’est bien lui ! Salamalecs… Sbaâ me donne rendez-vous pour le lendemain (mardi 29) au stand Frantz Fanon « je t’offrirai ma Fahla ». Celle qu’il a là en sa compagnie « lui pose quelques questions… »

(Encore une fois mes textes sont écrits à la volée. Je ne les relis quasiment pas. Pas le temps.)

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Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

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Espace L’ivrEscQ –

Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

Je me suis réveillé ce matin de dimanche « avec une heure de sommeil en plus » ai-je pensé. « 9h ? », mais il est tard. Ça ne peut être que ce satané changement d’heure pratiqué en France qui a déboussolé mon ordinateur. J’ai oublié de lui dire que nous n’étions plus en France depuis bientôt un mois. Non, il ne doit être que huit heures. « Et si je posais la question aux facebookers ? » Et ça marche. « 9h10 répond illico Khaled B. Oui mais « de quelle capitale ? » demande Kheir-eddine O., « Trop tard ! C’est déjà passé ! » me répond avec un brin d’ironie mon amie Catherine P. Ratiba B. est sans appel « 9h23 à Oran ». Oui, mais je ne suis pas à Oran. Certaines réponses sont étranges. Tenez, Farid B écrit « 9h18 mb » mb ? Ou ces deux qui se paient gentiment ma tête : Bachir M. qui se réjouit : « T’as vu ? une question que tout le monde se pose ces derniers temps » et son amie Lila M. qui lui répond : « tout le monde est devenu très bizarre ». Bizarre, bizarre, elle me trouve bizarre… Toutes ces réponses (elles sont nombreuses) m’embrouillent. Alors je le dis. Je l’écris :  « Finalement vous m’avez plus embrouillé. Vous m’avez donné l’heure qu’il était (selon que vous êtes ici ou là) au moment où je vous posais la question. Mais cette heure n’est plus la bonne à cette heure-ci. Je vous remercie mais j’abandonne… » Puis ce fut le silence. Non mais ! Finalement, mon ordinateur n’est pas si sot ou niais que ça. « 10h17 » maintenant. En France où les gens courent derrière le métro, le train, et le temps tout le temps il est 11h17, peut-être même 11h 20, ou….

Allez, rebelote ici à Alger : métro, tram, Sila. Au ‘pré carré’ Sédia j’y retrouve N. Salamalecs sincères. Une jeune femme dévouée, alerte et fort sympathique. Je lui offre mon dernier roman (2017 quand-même) « Le Choc des ombres » édité en France. Chez L’ivrEscQ je rencontre de nouvelles personnes qui poétisent amicalement ; Je me joins à leurs échanges. Nadia S. diffuse les interventions sur FB en direct. Il y a Zahra Benmeziane, membre de l’atelier d’écriture Femmes Oran,Fayza Stambouli Acitani (roman « Les murailles de l’interdit »), Ouarda Baziz Cherifi (roman « Comme un coup de massue ») Nadia Sebkhi, écrivaine et responsable du stand et d’autres. 

À Casbah éditions j’achète le dernier Anouar Benmalek « L’amour au temps des scélérats ». « Une histoire d’amour dans un des lieux les plus outragés de la planète par l’intolérance religieuse, la guerre perpétuelle, la tyrannie meurtrière : le Proche-Orient. » lit-on en 4° de couv. Je vais à sa rencontre pour une dédicace. À condition dit-il en plaisantant que je lui dédicace mon recueil de poésie. C’est fait. Il y a longtemps nous avions passé de bons moments à Paris lors d’un Salon du livre de Paris notamment… C’était en février 2011, cela me revient… une belle soirée. Il y avait Senouci (Allah yerhmeh), BHS, H (disparu) Nous nous sommes attablés à « L’Étincelle » (angle rue du Bourg Tibourg et Rivoli) à deux pas de la mairie centrale. Il y avait aussi une troublante Yas avec de grandes boucles gitanes pendues aux oreilles qui accompagnait (me semble-t-il, me semble-t-il) Anouar Benmalek. Belle soirée quoique gâchée par les interventions intempestives de notre ami (tout de même) le regretté « La Snousse »… J’écrirais des pages sur mon ami décédé (avec lequel j’ai usé mon froc sur les bancs sales d’Oran durant les exécrables années Boum – nous étions tout un groupe et j’étais (considéré) la dernière roue du carrosse)… Benmalek me donne la sensation que son esprit s’embrouille (lui aussi). Je ne le retiens pas, des personnes attendent leur dédicace.

Je ne m’attarde pas au Salon. Trop de monde, comme hier. On y étouffe. Retour au centre d’Alger. Dépose mon sac chargé. La brasserie est bondée, enfumée… S’installer près de la grande fenêtre. L’ouvrir. Regarder bouche bée le grand écran qui diffuse (Be In) une partie de tennis internationale, en direct de Miami. Et dehors c’est l’enfer des klaxons. Plus tard je prendrais une « couisse jaj » (aile de poulet 300 DA).

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Hier soir sur Facebook, un gars (un journaliste) écrivait que l’écrivain algéro-français Anouar Abdelmalek était le Faulkner algérien. Dans ce pays on franchit les limites comme on traverse à pied une autoroute nonchalamment, sans crainte de mourir de ridicule ou de mourir tout court. Je sursaute. Il me répond « ce sont des spécialistes qui le disent ». Ce monde est décidément surpeuplé de spécialistes de tout et de rien. Faut pas prendre les enfants du Bon dieu pour des canards sauvages !

Ce matin l’employé de l’hôtel chargé du petit déj me pose cette question alors que je suis plongé dans mes pensées complexes. Il m’apostrophe « le bateau c’est aujourd’hui ? » Je suis surpris. J’ai dû mettre trois minutes sans lui répondre. Dans mes yeux il devait y avoir une lueur telle, qu’il s’est cru obligé de répéter. J’ai bien entendu lui dis-je, mais je n’ai pas compris « wallah ma fhemt ». Que vient faire un bateau ici à cette-heure-ci ? ai-je pensé.

Je lui réponds un peu au petit bonheur la chance « je ne prends pas le bateau, je suis encore à l’hôtel pour quelques jours ». Cette fois je me persuade, au vu de la tête qu’il fait, que c’est lui qui n’a pas compris où je voulais en venir. À question hasardeuse ou farfelue, réponse aléatoire ou bizarre.

Métro, tram, SILA_ Liberté titre en Une « Les verts battent les camerounais à Japoma – À un pas du mondial » La première partie en noir, la seconde en rouge. Une foule considérable dans le tram, et à l’entrée du Salon. La fouille est d’autant méticuleuse au portillon, que la densité de la foule croît. Foule et fouille rimerait. Le « trombone » de mon téléphone portable, accroché au trousseau de clé et dont la pointe a troué mon sac à dos intrigue le vigile « wechnou hadi li tchouk ? »

Ouvrir le sac à dos, extraire le trombone, sourire satisfait de l’agent de la sécurité.

Au Stand Frantz Fanon le patron, Ingrachène les bras croisés sur le ventre, semble repus. Grands sourires à la dame qui lui fait face,  ravie elle aussi. La foule dans les allées est impressionnante. On se croirait au Hammam, bain turc, sauna ou au sudatoire. Au stand de La Délégation de l’Union Européenne, deux personnes dont un conteur répondent au public : Mata Barrio Garcia-Agullo et Seddik Mahi Meslem très convaincu et convainquant. Un rapide coup d’œil au stand du Ministère de la Culture et des Arts. Un professeur d’université (Mostapha Bey ?) est en intervention. Je ne choisis pas les stands. J’avance au gré du mouvement de la foule et des espaces de respiration.

Allez, je sors m’aérer. Sandwich au fromage et eau de source (350 da) à l’un des nombreux kiosques. 

14H : au stand des éditions Sédia, la table est installée avec au-dessus trois belles piles de mon recueil. Et le calme est plat. Où sont-ils tous passés ? Le calme est trompeur, car revoilà la foule. On se bouscule de nouveau y compris dans le stand, pourtant assez grand. C’est maintenant le rush. Je signe à tour de bras. Comment se sont-ils donné le mot ? d’où me connaissent-ils ? Une ruche et photos avec. Vingt à trente minutes étourdissantes. Le summum est atteint lorsqu’un groupe d’élèves, orientés par leur enseignant se ruent sur la table. On me parle en kabyle, je réponds comme je peux, souvent en français qu’ils ont l’air de mieux comprendre que mon arabe oranais. Ils sont heureux, gesticulent, répètent à l’envie mon nom de famille…. 

Je me suis dis : « c’est pas possible, ils connaissent mes écrits ! ils les ont étudiés à l’école ! » et d’autres sornettes. Mais non, mais non, pas du tout ! Il a fallu l’intervention de leur enseignant pour que je saisisse le sens de tout ce chmilblik. Le professeur me donne la clé de ce chahut de gamins fort sympathiques. Il s’avère que mon nom de famille est porté par quelques-uns parmi eux (ou parmi leurs amis et voisins je n’ai pas saisi). Ils ont quitté le stand et celui-ci s’est apaisé. Nous avec. Je remercie N. et Z. pour ce formidable moment. Merci, merci.

15h30. Au stand Barzakh, il y a d’abord Alice Kaplan qui dédicace sont dernier écrit, un roman dont la source sont des faits réels : « La maison Atlas ». Un peu plus tard c’est Kamel Daoud qui entre. Il présente son dernier ouvrage écrit avec la collaboration de Raymond Depardon (pour les photos). Beau livre mais un peu cher quand-même : 3500 da. Je filme la séance.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDEO KAMEL DAOUD ET SOFIANE HADJADJ

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Je m’arrête là. À demain

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Le temps est gris ce matin (l’auxiliaire être – et les autres verbes – seront au présent. J’adore le présent. J’abandonne le passé utilisé hier et avant-hier. Aujourd’hui c’est donc le présent. Le temps est gris et tristounet. Mais bon, ça va quoi. Les rues sont désertes. Il est huit heures du matin. Nous sommes vendredi, jour du seigneur chez nous. Il a le vendredi ici, le dimanche ailleurs. Le vendredi est un jour de repos pour beaucoup. Jour de repos et de respiration non stressée, cool.

Dans la rame de métro, (je l’ai pris à Boumendjel) nous sommes à peine une vingtaine. Direction El Harrach ou Aïn Naadja, arrêt à la station Les Fusillés, puis le tram. Prix du billet, un combiné des deux moyens de transport, 70 dinars (32 centimes d’€ environ). Il me semble avoir précisé les noms de mes arrêts dans le billet d’hier : Les Fusillés, puis La foire. Les moteurs du métro et autres portes qui s’ouvrent, se ferment, haut-parleurs, rappel des noms des stations, « prochaine station Hamma… El Hamma, Hamma, descente à droite… prochaine station Jardin d’Essai » etc. Dans la rame les gens sont silencieux. Vendredi oblige. Je descends à l’arrêt Les Fusillés, une grand esplanade bien calme. Là aussi c’est vendredi. Voilà le tram. Nonchalant. C’est vendredi. Ici Ruisseau est le terminus du tram et point de départ pour Dergana. Il est 8h35 et patientons de longues minutes avant la mise en branle du Tram. Derrière moi des collégiennes, comme nous sommes vendredi disons des jeunes filles, rigolent. J’aurais écrit « collégiennes » si nous étions un jour ouvré. Mais nous sommes un vendredi. À l’extérieur une vieille dame habillée d’une longue robe rouge tire une sorte de Caddy, rouge lui aussi. Environ 75% des voyageurs (dans le tram comme dans le métro) portent le masque de protection anti-Covid (une partie des personnes le portent sous le nez ou sous le menton). 8h42, claquement des portes. « Prochaine station Les Fusillés ». Deux fois la même station Les Fusillés ? Non, et je m’explique. La station « Les Fusillés » du métro n’est pas la station « Les Fusillés » du tram. Il y a entre les deux stations qui portent le même nom, environ deux ou trois kilomètres de distance. Le tram démarre, puis on entend « Veuillez vous éloigner des portes ». Erreur ou non ? 

9h10 : « la foire d’Alger, Qasr el maârid ». En arabe il est dit « Palais des expositions » et en français « La foire ». Beaucoup de personnes descendent. L’entrée se situe aujourd’hui, juste là à peine deux cents mètres de l’arrêt du tram (ou quatre cents). 

9h 20. Les portes du Salon sont closes. L’heure H est peut-être fixée à 10 heures, ou midi ? Il n’y a nulle information, nulle part. les gens sont courageux. « On y va âla Allah ». En attendant je prends un café bien noir (capsule) et une grande bouteille d’eau « 13 mille » (deux tickets de transport combinés). Dans ma tête un refrain patriotique trotte depuis hier matin. Dès que j’y pense je m’entends (façon de parler) proclamer « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa !  Mes amis n’oubliez pas les martyrs ! » (extrait du « Chant des martyrs »). Cela a commencé hier disais-je. J’étais dans un café à siroter un thé (non loin de l’hôtel, derrière la rue de Tanger) et à lire mon journal. À mes côtés deux amis blaguaient. L’un des deux, pour probablement détendre l’atmosphère entre lui et son camarade, ou pour interrompre son discours ou pour je ne sais quoi , fredonnait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! ». Pas une fois pas deux et il recommençait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » M’empêchant de me concentrer sur le journal. Je lisais Liberté (qui a consacré un article sympa sur moi en page 12). Ce refrain ne me quitte plus depuis ce moment-là.

Il est 10h 17 lorsque brusquement, un mouvement de foule se manifeste devant la grande entrée. En deux temps, trois mouvements, nous voilà à l’intérieur. On circule dans les allées idéalement. Je suis persuadé que cet après-midi ce sera autre chose. Je galère au pif, à gauche à droite, derrière, devant, en haut… tout en prenant des photos et en filmant (sinon comment enjoliver cet article ?)

Me voilà devant Barzakh éditions (les plus chics, les plus réputées, les plus snobs aussi ?) À deux pas de cette maison, une autre, aussi connue, celle qui m’a fait confiance, la maison d’édition Sédia. « Tiens, bonjour madame ZG » « bonjour monsieur H » (c’est moi). Échanges polis. Je suis étonné de ne pas voir de romans, pis encore, nulle trace de mon recueil « Poèmes inédits ». What’s that ? Finalement ZG m’explique qu’ils ont trois stands au SILA et derechef m’emmène vers celui – plus grand, plus aéré – où figure en bonne place (centrale) mon recueil de poésie posé (une pile) sur une table et cerné par trois chaises en prévision du moment de dédicaces (prévu pour demain samedi 26 à 14 heures). Je salue NK qui s’y trouve. Très avenante. Échanges. Demain j’achèterai le beau livre de Ali Benmakhlouf sur les philosophes arabes que j’ai vu chez Sedia. J’aime beaucoup ce que fait Ali Benmakhlouf (j’ai lu nombre de ses ouvrages lorsque je préparais un article, long article sur Ibn Rochd (publié par Le Quotidien d’Oran).

Je reviens sur la précédente allée. Chez Barzakh. J’achète deux romans. Le premier a bénéficié d’un grand tapage médiatique. Il s’agit de Nihed El-Alia « Minuit à Alger (une femme dans les nuits, certainement bourgeoises, d’Alger « brûlant sa vie par les deux bouts » (800 da) et l’autre, de par son auteur, se suffit à lui-même, « Maison Atlas » de Alice Kaplan (1000 da). Le boss, Sofiane Hadjadj, range, répond aux interviews, donne des ordres, s’agite… Je le salue, lui tends une main qu’il hésite à prendre. J’enlève mon masque un moment « c’est Hanifi… combien de fois n’avions- nous pas échangé à Aix, à Marseille, à Paris… » (dans les années 90 et 2000, je l’avais même soutenu dans les débats, encouragé… sa maison n’existait même pas alors). Il fait « Ah oui » pas très convaincant. J’ajoute « Vous allez bien ? » Il poursuit son rangement la tête baissée. Pas une minute à perdre. Pas le temps. Il répond toutefois, mais montre un soupçon d’agacement. Je lui montre « Minuit à Alger » et lui demande ce qu’il en pense, lui demande si sur le plan littéraire il pèse un chouia. Sa réponse « il faut l’essayer, moi je vends des livres c’est tout ». Monsieur a pris du poil de la bête et du poids. Me déçoit. Le stand est envahi de caméras. Aussitôt se rend disponible. Je règle et fiche le camp.

Voilà un stand plus sympa ! Le hasard fait bien les choses. C’est celui de LivrEscq, celui de la charmante Nadia Sebkhi. On échange longuement, on se rappelle du Forum International du Roman décembre 2015  (ici :http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2015/12/526-forum-international-du-roman.html ), un Forum qu’elle a organisé en collaboration avec le Ministère de la culture et auquel elle m’avait convié. Je la remercie encore. À ses côtés une charmante dame également qui représente le Prix littéraire Fetkann Maryse Condé (fetkann.fr)… longue discussion. Il y a aussi deux autres auteurs dont « le doyen des caricaturistes algériens ».

Je quitte le Pavillon central. Il y a deux autres ailes que je m’emploierai à visiter plus tard.

Tram, métro, hôtel… Comme c’est vendredi, la respiration et la cadence sont cool. Avant de manger il faut se serrer la ceinture. Tout est fermé (photos). Patienter jusqu’à la sortie des mosquées. Ce sera vers 14h30 et plus.

À demain pour la suite.

(et pardonnez mon écriture un peu sèche. Le travail de mise au propre, textes, vidéos, photos est exténuant).

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Image stations de métro = Google

Image stations = Google (Tram = en rouge)

Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

LES PHOTOS SE TROUVENT À LA SUITE DU TEXTE

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Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

Nous sommes jeudi 24 mars 2022. Aujourd’hui est le Jour J, ou D Day si vous préférez.

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On peut dire ici que le jour se lève non du fait de la luminosité qui pointe, de la terre qui tourne etc, ou du chant du coq (ah, « le chant du coq » ! qui se souvient de Leïla Boutaleb hein ? elle nous baratinait elle aussi, peut-être forcée), le jour se lève du fait des premiers bruits humains directs ou indirects : cris, klaxons… 7 heures. Tiens, pas d’eau chaude au cœur d’Alger à 7 heures. Trente minutes plus tard, je me suis rendu au salon de l’hôtel pour le petit déj.

Sur la route de la station de métro « Boumendjel » j’ai acheté El Watan et Liberté. Depuis que je viens à Alger (des années), je n’ai jamais pu acheter Le Quotidien d’Oran. Il n’y est pas distribué. C’est dingue ça pour le plus grand (ou l’un des plus grands) tirage de la presse francophone du pays. J’ai donc acheté la presse avant de prendre le métro, direction le Salon du livre (descendre à la station Les fusillés/ El maâdoumine, puis prendre le tram direction Dergana et descendre à la station « Palais des expositions »). 

J’ai parcouru les deux journaux. En page 2 de Liberté j’ai lu et relu un excellent article intitulé « Zemmour n’est pas une exclusivité française ». Le titre est quelque peu racoleur. Le texte traite essentiellement de l’attitude (j’allais écrire « la nature ») d’une grosse, très grosse majorité des Algériens à l’intolérance. L’article est argumenté et j’y adhère totalement (hormis quelques erreurs telles pour « se marier avec une non musulmane ? il faut se convertir », ou « nous sommes souvent racistes… même entre deux frères ou sœurs », et lorsque l’auteur (au fait il s’agit de Kamel Daoud, un nom qui bouscule, qui irrite, qui fait hérisser les cheveux, mais qui souvent dit vrai) et lorsque l’auteur disais-je dénonce avec des pincettes « le procès juste » néanmoins fait à l’Occident. Il aurait pu enfoncer le clou. Bref le reste est un régal. Écoutez ou plutôt lisez cet extrait composé de deux phrases, deux : « Peu à peu, à cause d’une école sinistrée, du manque de voyages et de rencontres, de la faillite de l’altérité, de la mainmise des féodalités sur les mentalités, d’un retour au Moyen-Âge au nom de la religion, de l’enfermement sur soi et de l’obsession des frontières, de la Religion du dé-colonial permanent, quelque chose de maladif a pris le dessus sur l’Algérie d’autrefois. Pour certains, aujourd’hui, l’Algérie, c’est pour les Algériens dans la pureté religieuse, révolutionnaire, familiale, de vertu ou d’ascendance : le reste de l’humanité est constitué de gens trop pauvres pour être intéressants, ou de colonisateurs prédateurs même s’ils sont Danois ou Sibériens, et il faut les incriminer même pour nos poubelles qui débordent dans nos rues. » C’est chaud et remuant. Mais telle est la réalité des Algériens. Il suffit d’un miroir que la majorité refuse de regarder. Le regard porté sur les noirs, condescendant et raciste, je l’ai observé plusieurs fois à Oran. Des comportements qui perturbent notre humanité (« nous sommes musulmans ! »). Et après on crie au racisme des Européens (bien réel cependant), mais regardons-nous bon sang, regardons-nous dans un lisse miroir ! !

J’ai continué de feuilleter le journal lorsque je suis tombé sur les pages centrales, consacrées au SILA. Un encart est réservé à la quatrième de couverture de mon recueil « Poèmes inédits » y compris le texte de cette même quatrième. Une belle surprise.  

Je descends à la station « Palais des expositions » du tram. On entre par le parking. 300 mètres de marche ai-je entendu. Légère brise et soleil bien timide en cette heure, 8h50. Quelques dizaines de personnes avancent, accrochées pour la plupart à leurs téléphones. Des employés semblent quelque peu perdus, « c’est par ici », un autre  « c’est par là ». Et nous, nous suivons les consignes. En fait de 300 mètres se furent deux kilomètres. Une centaine de personnes se bousculent poliment aux guichets. « Je suis auteur, s’il vous plaît, est-ce que… » Inutile de poursuivre m’a répondu l’agent en faction. « Changez de chaîne, allez là-bas chercher un badge ». On lit sur les vitres des guichets « Accord », « Casbah », « Ahaggar »… Des noms improbables. Impossible d’avoir quelque laissez-passer. Le flux des véhicules était incessant, orienté par les intempestifs coups de sifflets d’agents de la sécurité ou de police.

Les gens qui n’ont pas accès au Salon, qui ne sont ni exposants, ni gestionnaires, ni grosses légumes, ni « employés du manège » ( ?) étaient contraints d’attendre. Ils observaient le remue-ménage ou bien s’asseyaient sur les rebords des trottoirs.

Un agent de police s’est approché du petit groupe de jeunes filles assises à mes côtés. Il était 10 heures 05. Il leur a demandé si elles étaient « employées ici », puis il a ajouté qu’il était « inutile d’attendre si vous n’êtes pas invitées ou employées ici. Vous attendez pour rien. L’ouverture au public c’est demain. » L’agent ne m’a rien demandé alors qu’il a vu que je le lorgnais du coin de l’œil et de l’oreille. Sur ce, j’ai quitté les lieux par le bas. Nous étions alors devant l’entrée officielle du Palais des expositions. Au bout de la route, un véhicule de police avec quatre policiers. L’un d’eux m’a renseigné. « Non, il n’y a pas de station de transport par ce côté-ci à moins de marcher une demie heure ». En face nous avons vue sur la grande mosquée d’Alger qu’on n’hésite pas avec fierté de qualifier « la plus grande mosquée d’Afrique et la troisième plus grande mosquée du monde. » D’autres n’hésiteraient pas à protester « on aurait pu construire une dizaine d’hôpitaux avec l’argent englouti là-dedans ! » J’ai entendu les deux expressions, justes toutes les deux.

Je reviens vers « la foire » (beaucoup disent « la foire » au lieu de Salon du livre ou Palais des expositions). Le K-Way bleu que je porte introduit de la confusion chez certains qui le prennent pour un costume officiel d’un agent non moins officiel, de sorte que plusieurs automobilistes ont ralenti à mon niveau, ouvrant leur vitre et demandant « le parking kho ? » et moi je jouais le jeu « au fond à droite », avec tout le sérieux nécessaire. Ou bien « C’est la foire de quoi cheikh ? « la foire des livres ». « Que des livres ? » « oui c’est la foire que des livres ». Et le gars d’accélérer en faisant la moue. Les personnes âgées me disaient « kho » (frère), les plus jeunes « cheikh », une seule personne m’a interpellé « si el hadj » (un jour peut-être). Il y a quelques années, (1998-2000 ?), j’habitais encore à Paris, j’avais subi la même expérience devant le Centre culturel Georges Pompidou (les grands tuyaux). J’attendais un ami, debout plus ou moins en faisant du surplace. De nombreuses personnes (une demie douzaine ?) sont venues me demander divers renseignements, me prenant pour un agent de garde de la grande Bibliothèque du Centre. Là aussi je portais une sorte de K. Way bleu, comme celui que je porte aujourd’hui (mais pas le même je vous rassure et il était plus épais).

L’heure avançait et l’affluence se développait. Les gens étaient de plus en plus nombreux assis sur les trottoirs. Rien n’a changé et j’en avais assez à cette heure-là, la onzième. J’en avais assez de tourner en rond. Je suis revenu à l’entrée principale. L’agent en faction a été catégorique « pas de badge pas d’entrée ». « Et le public qui attend ? » Il attend pour rien, l’entrée c’est demain » Il a ajouté « ou en fin de journée, vers 17 heures ». Il était 11h10 et j’en avais assez. Je suis rentré comme je suis venu. Après déjeuner, j’ai fait un tour à l’Institut français… puis suis rentré raconter ma journée aux Facebookers et à ceux qui me suive sur ahmedhanifi.com.

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Mon SILA au jour le jour : moins 1

LE TEXTE suit es photos

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LE REPERE

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

Le MAMA

L’ex librairie Charlot

Il pleut

VUE DE LA BAIE D’ALGER à partir de LA CASBAH

CENTRE DE FORMATION

LE MAMA

LE REPERE

UN SEUL HEROS…

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

METRO PLACE DES MARTYRS

LA BRASSERIE DES FACULTÉS

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Comme je l’ai fait par le passé (2014, 2015, 2016 etc.) je vous raconterai, en agrémentant mes textes de beaucoup de photos, « mon Salon du livre » au gré des jours, c’est-à-dire ce que j’ai vu, entendu, mes appréciations diverses etc. Il y aura donc pas mal de subjectivité. Je vous propose d’accepter cette vision des choses qui n’est pas (ne sera) peut-être pas la réalité objective telle que d’aucuns ou vous-mêmes le souhaiteriez. Elle est (sera) la mienne.

Nous sommes au soir du mercredi 23 mars 2022. Le temps est frais, mais il ne pleut plus sur Alger. La journée a pris des rides puis s’est évanouie. Les lumières fades de la ville (et d’ailleurs) ont remplacé la naturelle. La nuit est tombée et avec elle les couleurs se sont transformées, se sont éteintes ici, se sont faites discrètes là. Les bruits (infernaux) font les 2X8+8. La soirée est en mode troisième 8, c’est-à-dire repos, mais des passants braillent toutefois de temps en temps. Là (21h10) j’entends quelqu’un hurler et hurler encore « ya zizou !! ya zizou !! » Et il recommence. Son camarade (très certainement) se met à siffler. Je ferme les persiennes et la fenêtre de la chambre d’hôtel.

Dans la journée, les hauteurs d’Alger offraient de très belles vues sur la Méditerranée, mais le beau et célèbre café- restaurant de la haute Casbah, « Le Repère » est fermé ainsi que la mosquée Sidi Abdellah à côté.  Le peuple rêve d’être un jour « le seul héros » et nous le fait savoir en ‘graffitant’ le mur. J’ai dévalé les rues du quartier (plus vite que je ne les ai grimpées). Je suis descendu jusqu’au marché Randon, place des Martyrs en passant par l’Office d’enseignement et de formation à distance (ONEFD) . Il pleuvait beaucoup alors, comme je n’avais pas de parapluie, je me suis engouffré dans le métro.

À l’entrée de la Librairie du Tiers Monde des affiches publicitaires sur « Fehla » de Rabeh Sbaa que je salue (lundi dernier à Oran, nous avions pris un verre ensemble ainsi que notre ami commun Lakhdar A. qui lui, a écrit « Formation de formateurs, manuel opératoire d’un formateur ») et sur « Chroniques littéraires » de C. Chaulet-Achour… J’apprécie beaucoup Madame C.C.A. Un jour (il y a longtemps, à Paris) elle m’avait affirmé que l’une de ses étudiantes en lettres de Cergy Pontoise, une suédo-algérienne, « qui possède des bribes de trajectoires de votre personnage » avait choisi mon roman « Le Temps d’un aller simple » pour y travailler. Je n’ai jamais lu/vu trace nulle part de cette thèse. 

Je suis passé devant le MAMA (loin, très très loin du MoMA de New York, cela va sans dire) qui fait pitié. J’ai traîné du côté de l’ex rue Charras. La librairie de Monsieur Charlot, l’ami et premier éditeur d’Albert Camus, est à l’image du MAMA, puis je suis allé du côté de la faculté et de la Grande Brasserie qui porte son nom, belle mais empestée de fumée de cigarettes que j’ai, n’ayant pas trop le choix, supportée malgré tout. Des jeunes hommes et des jeunes femmes (4 pour les premiers, 3 pour les secondes) discutaient serrés autour de chopes (pour les uns) et de rien (pour les autres). Leurs voix se faisaient volontairement hautes. Ils faisaient « journalistes » ou sont-ils étudiants (la fac est à six mètres, de l’autre côté du trottoir de Didouche Mourad). Ils discutaient du monde comme il va, les guerres, ceci, cela. L’un d’eux était volubile et parlait plus haut que les autres ; stylo, feuille et gestes larges faisant vaciller son verre. Un futur leader ? Ces jeunes m’ont plongé dans mon propre passé à Oran. Nous aussi (à leur âge) – mes amis d’alors que je ne nommerai pas ici et moi – nous discutions sans fin et faisions et défaisions le monde au mythique Majestic (place des Victoires) dans les années 70 (avant l’appel du grand Nord) en fumant, buvant, gesticulant à voix haute (je le disais il y a deux secondes). À voix haute pour que nos messages soient bien entendus n’est-ce pas ? Ou nos ego (nos différents moi). Nous étions désignés par les uns et les autres comme « les anars » (versus les « cocos », les Stals quoi, que nous exécrions, apôtres de Boum). Mais cette histoire est lointaine, laissons-la au repos qu’elle mérite.

J’ai omis les journaux. Ils ont titré à la veille du très attendu Salon comme s’il s’agissait de films du grand West : « Sila post-Covid : le défi du papier » (El Watan), « Après deux ans d’absence le Sila revient cette semaine ; À lire libre » (Liberté), « Retour après deux ans d’absence du Sila » (Le Quotidien d’Oran). Ils consacrent tous à l’événement plusieurs colonnes en pages intérieures.  Demain en effet, tel ou tel ponte inaugurera en grandes pompes le 25° Salon International du Livre d’Alger. J’en dirai un mot chaque jour jusqu’à mon départ, l’avant-veille de sa fermeture hélas.

Mars à Alger

(Reportage…. de bout en bout)

Marseille – vu du navire, la Cathédrale de la Major

Alger, jeudi 3 mars 2022- 16 h 00 : Je l’ai attendu ce voyage, pas très à l’aise, ni trop chaud entre la situation sanitaire, les élucubrations occidentales boiteuses face à l’agression russe de l’Ukraine (pays souverain jusqu’à preuve du contraire avec ou sans l’Otan, la gesticulation politique en Algérie… Mais, les billets ayant été réservés, et les rendez-vous pris en Algérie, j’ai fini par sauter d’une rive à l’autre en bateau.Le Corsica Linea largua les amarres avec une heure de retard le mardi matin. L’accueil et le traitement infligés aux passagers frise l’incorrection. Il n’y a pas de passerelle, ni d’escaliers mécaniques, ni d’aide notamment à l’égard de personnes fragiles qui durent se payer des escaliers jusqu’au haut du navire avec des chargements pas possibles (et on connaît les Algériens amoureux des valises et baluchons, lorsqu’ils voyagent ils voyagent !)

À bord il y a plus de sept cents véhicules et des centaines de passagers. Je suis un « piéton », pas de véhicule. On ne se connait pas, mais on discute volontiers avec le voisin. Nous sommes installés autour de l’espace bar, fermé. Il y a huit ponts et des couloirs à tous les niveaux et dans tous les sens. Peu à peu les carapaces s’effilochent, les langues se délient, avec prudence néanmoins. Un vieux monsieur de Chlef, octogénaire, il l’a dit, défile sa vie d’ouvrier, chauffeur devant nous dans la bonne humeur. Son accent et les expressions utilisées sourcés au cœur de la vallée de Chlef orientés Ténès sont à couper au couteau. Je reconnais très bien. En fermant un instant les yeux j’entends ma mère, mes grands-parents. C’est cela le retour aux sources. Celle de mes aïeux. Je n’ose pas lui dire, lancé qu’il est dans son propre miroir. Il n’a plus 85 ans mais 30 ou 40. Nous avons passé de bons moments avec lui, jusqu’à ce que, convaincu qu’il n’était plus assidûment écouté comme au début, il s’en est allé chercher un autre groupe derrière le bar ou le snack. Et recommencer probablement. Il y a dans notre jmaâ (groupe), des petits beznassis, un tenancier de bar à Lille, deux commerçants, l’un à la frontière suisse, l’autre en Suisse etc. Certains font la traversée avec leurs véhicules. La plupart sont comme moi, sans. Les sujets abordés portent sur tout ce qu’on veut sauf sur l’Algérie. J’ai fait une tentative, mais cela ne les intéresse pas. Autocensure manifeste, les regards se font fuyants. Ah, oui, ça oui, leur racisme anti-noirs « les kahlouches » disent-ils… est sans ambages, et musulmans pieux bien évidemment. Au moment de la prière ils ont presque tous interrompu leurs bavardages pour courir à la mosquée improvisée. Revenus, je constate qu’aucune grille de lecture de leur discours ne saurait les rapporter avec finesse si elle ne place en pas en son cœur l’Islam (tels qu’ils en parlent). Rien ne résiste. Dès que l’on intervient sur un sujet, hop, on étale le filtre religieux. La démocratie, les Droits des personnes, la liberté… Je prends mon appareil photos et m’en vais faire un tour à gauche à droite,

les espaces de nourriture, du vide, intérieurs, extérieurs sur les ponts. Je dois dire que, encore une fois, (c’est le même constat que je fais à chaque fois que je voyage en bateau) j’ai honte de l’attitude sanitaire des voyageurs : absolument (et pardonnez-moi ce terme, je vous promets qu’il n’est pas exagéré) dégueulasses. Les porcs feraient moins pire dans les WC. Sans parler des détritus un peu partout. Certains endroits du navire se sont transformés en immenses poubelles. Moi aussi je sais dire « ennadafatou min el iman » (la propreté fait partie de la foi), à la différence de beaucoup d’autres, je me l’applique et sans la crier dans toutes les mosquées du monde. Lorsque je reviens, la discussion est toujours effervescente. Leur ennemi juré s’appelle La France (où certains vivent). Je me dois de préciser qu’ils n’ont jamais parlé des Français, mais de França, La France. Tous (sauf le tenancier) sont ce que les binationaux appellent « des blédards ». En tête de leurs ressentiments, le président français. Certains disent qu’ils voteront Le Pen. Je ne comprends pas leur raisonnement. Mais le sujet qui les rassemble tous est la guerre que mène Poutine à l’Ukraine. Tous pour le Russe « E-Tchitchène sont avec lui, c’est des hommes ». L’agression ? « les vrais agresseurs ce sont les Occidentaux, et « le président ukrainien est un juif ». Le grand mal sous-entendu du « dernier héros européen » (dixit un facebooker), Volodymir Zelensky, c’est d’être juif. J’ai vraiment honte. La dictature ? « la dictature c’est l’Occident ». L’impasse à venir ? « Poutine est un grand stratège, il les balaiera tous ». Racisme encore et aveuglement. Je précise là aussi que nous nous sommes rencontrés sur plusieurs points concernant la responsabilité des Occidentaux dans le malheur du monde. Le manque de nuances de mes compagnons de traversée complètement noyés dans cette citation « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », et cela me sidère. Pas de pitié pour les populations ukrainiennes. Fascinés par le tsar Poutine, ils évitent de parler des souffrance du peuple ukrainien.Je suis arrivé à Alger, passage au test antigénique payant. Je suis complètement épuisé et désespéré, pas à cause de cette précaution évidemment. Je repense à la formule de Hassane Ouali de Liberté écrivant récemment (le 26 février sur twitter) : « Comment se battre pour la liberté en Algérie et avoir Poutine comme modèle !!!! Aspiration à la démocratie et Fascination pour l’autoritarisme ! »

Alger

Alger

Ce matin, j’ai pris le métro puis le tram en direction de Mohammadia… Rencontres agréables avec N. et Z…. Bientôt des ateliers à l’I.F. et le SILA (où je suis programmé – si tout baigne)J’ai parcouru El Watan (qui sombre paraît-il) et Liberté. L’article de KD in Liberté est formidable. J’en parlerai dans un post après celui-ci.

Les barbares

Les barbares

Tu as fui ton pays mon frère, ta ville, ta maison bombardés.

Tremblant, les deux bras en avant.

L’humanité de l’Ouest t’assouvit, dépasse tes espérances les plus folles.

Et tu pleures d’émotion mon frère.

Les murs, les barbelés, les frises, 

Les treillis, les armes ont par magie disparu.

L’Ouest te chérit 

Pleure de compassion, 

S’agenouille devant ton malheur.

Tu as les yeux bleus mon frère

Tu as le nez aquilin mon frère

Ton visage carotte

Porte le charme de ta race mon frère. 

Tu es slave mon frère.

Ton regard n’est pas charbonneux

Tes enfants ne sont pas morveux,

Ne pataugent pas dans la fange.

Sur sa tête ta compagne ne porte pas de fichu

Mais une sainte couronne d’épis.

Et si elle en porte, il est diaphane.

Tes génuflexions sont belles mon frère,

Tu ne lèves pas les mains 

Et si tu t’inclines c’est vers l’Occident.

Je m’interroge mon frère,

Car tu ne le sais peut-être pas,

Cette même humanité qui t’offre 

Son merveilleux, fabuleux, prodigieux accueil

Est celle-là même qui crie, hurle, vocifère ne pouvoir 

Accueillir toute la misère du monde, 

Du monde pillé de tout temps par l’Ouest.

Je m’interroge mon frère

Sur cette humanité qui t’enlace 

Et pleure de miséricorde,

Qui t’ouvre ses portes

Et qui simultanément chasse les autres afflictions 

Parce qu’elles sont hâlées, noires, brûlées.

Comme les comptables mon frère et les hommes de bon sens

Je m’interroge sur ces deux mesures pour un même poids

Un même fardeau.

Un même désespoir.

Je m’interroge mon frère,

Quelle est cette humanité qui t’ouvre ses portes

Qui privilégie ta souffrance, 

Ignore celle des gueux 

Ces barbares fuyant leur étrange monde,

Pourtant par l’Ouest bombardé, détruit, anéanti 

Par l’Ouest, cette contrée des Droits de l’Homme, 

De certains hommes.

Mais quelle supercherie envers le reste de l’Humanité !

Je m’interroge mon frère,

Quelle est cette humanité qui 

Se plie en quatre pour t’accueillir

Et dresse toutes ses rancunes, contre le blond d’Égypte

Cet Autre venu des Suds, mon miroir.

Et je n’ai trouvé hélas 

Qu’une réponse mon frère et la voici.

Ta souffrance est blanche mon frère.

Ta langue slave et suave

N’est pas crainte, au pire inconnue.

Tu n’es pas miséreux

Et dans ton regard mon frère

On ne décèle nul effroi de la faim.

Tu as droit aux petits fours, 

Tu as droit aux larges sourires, 

Tu as droit à un fleuve de générosité

Tu as droit à Noël chaque soir.

Tu n’es pas Syrien mon frère

Tu n’es pas Libyen mon frère

Tu n’es pas Maghrébin mon frère

Tu n’es pas Africain mon frère.

Tu n’es pas musulman mon frère.

Tu n’es pas confronté aux barbelés, aux murs, aux requins.

Tes enfants ne s’appellent pas Aylan mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

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Ahmed Hanifi

Poème spontané devant la télé, hier soir samedi 26 février 2022

(à retravailler donc)

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CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION D’ARTE SUR LE DOUBLE DISCOURS QUE JE SOULÈVE DANS MON POÈME

Une émission diffusée le 20 mai 2022, rediffusée le 31 JUILLET 2022

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CLIQUER ICI POUR VOIR AUTRE EMISSION SUR ARTE À CE PROPOS…. La couleur de peau…

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Kamel Daoud et Raymond Depardon

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  • Ce vendredi 11 février 2022, France Inter accueillait dans sa matinale le photographe Raymond Depardon et l’écrivain Kamel Daoud pour parler d’un ouvrage qu’ils viennent de faire publier chez Barzakh (Algérie) et Images plurielles (France) : « Son œil dans ma main, Algérie 1961-2019 » 
  • L’Institut du Monde Arabe organise une exposition du 8 février au 17 juillet 2022 sur « Son œil dans ma main, Algérie 1961-2019 » 

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CLIQUER ICI POUR VOIR/ENTENDRE VIDÉO FRANCE INTER

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C’est si rare !

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James Joyce, Ulysse

Ulysse : un siècle, le monde entier

par Tiphaine Samoyault

2 février 2022

Le 2/2/1922 paraissait Ulysses en anglais, à Paris, grâce à Sylvia Beach, à l’enseigne de Shakespeare and Company (12, rue de l’Odéon). C’était l’anniversaire de James Joyce, qui a eu quarante ans ce jour-là. Il était né le 2/2/1882. Le 2/2/2022, on fête ainsi le centenaire du roman et les cent quarante ans de Joyce. Tiphaine Samoyault, qui a participé à la retraduction collective d’Ulysse en 2004, prépare actuellement un livre sur sa relation à James Joyce intitulé Joyce, langue maternelle, à paraître dans le cours de l’année 2022.  Elle présente ici, en relation avec le centenaire, les raisons d’un succès mondial et signale la republication d’un essai de Philippe Forest ainsi qu’un passionnant numéro de la revue Europe.


Philippe Forest, Beaucoup de jours. D’après Ulysse de James Joyce. Gallimard, 442 p., 22 €

Joyce/Ulysse/1922. Europe, n° 1113-1114, janvier-février 2022, 380 p., 20 €


Il y a plusieurs façons de penser l’émancipation littéraire. Elle peut être un arrachement au contexte et aux normes qui régissent à la fois la langue et un champ, qui prend alors le nom de l’avant-garde ou de l’autonomie. Mais l’émancipation peut être aussi plus radicale, en faisant exploser en même temps le concept d’autonomie par la mise en œuvre d’une lutte qui entraîne avec elle l’idée de littérature et tout le dispositif institutionnel qui la protège.

En devenant mondial, Ulysse s’est arraché à son ancrage national, mais aussi à sa position excentrée. En revanche, en créant autour de lui une nouvelle socialité, il a profondément transformé l’idée d’autorité littéraire.

Je propose de penser que l’œuvre de Joyce renverse par sa langue et sa politique l’idée même d’absolu littéraire alors même qu’en France elle a été placée sous la bannière de ce combat. Si, en situation postcoloniale, Joyce émancipe la langue et la nation, en France il affranchit du message. Pour Tel Quel, qui a le plus contribué à cet éclat français de l’écrivain, un roman de Joyce ne « dit » rien, il s’écrit. Même chose pour Robbe-Grillet. La récente publication de la correspondance croisée du groupe a permis de voir que c’est la lecture d’Ulysse qui conduit Alain Robbe-Grillet à vouloir écrire (il le dit clairement et en détail dans une lettre à Claude Ollier). Dans un entretien radiophonique avec Alain Veinstein en 1988, Claude Simon confie : « j’ai appris à lire dans Joyce et dans Faulkner ». Ce que l’on reconnaît alors à Joyce, c’est que l’équivocité du langage est première, et peu importe si, pour se faire entendre, il faut tendre vers une certaine univocité, que reconnaissent celles et ceux qui, finalement, s’attachent aux personnages.

Sylvia Beach et James Joyce à la librairie Shakespeare & Company au moment de la sortie d’ « Ulysse » (1922) © Courtesy of Princeton University Library

Pourtant, dans une tout autre lecture, l’œuvre de Joyce permet aussi de penser l’autonomie de certaines littératures dominées en offrant une œuvre en perpétuel mouvement, infixable et donc appropriable par tous. Ce livre démystifie, au moins autant qu’il en représente l’idéal, les valeurs de la littérature (les idées de style, d’œuvre achevée, d’original…). Ainsi, il peut instaurer un événement qui a des répercussions infinies et qui, à tout le moins, définit une idée de la littérature qui nous importe aujourd’hui, même si on ne peut pas dire qu’elle prévale tout à fait, et qui renoue avec des formes prémodernes de conceptions du littéraire.

Cet événement, c’est celui de l’œuvre collective ou de ce qu’on peut appeler le collectivisme littéraire. Le texte – je parle essentiellement d’Ulysse mais c’est peut-être plus vrai encore de Finnegans Wake – induit l’action et la participation de plusieurs instances : les lecteurs bien sûr, mais aussi les éditeurs, les traducteurs, les autres écrivains, les institutions, sont invités à participer à la genèse interminable de l’œuvre, à son work in progress.

Cela commence du vivant de Joyce, dès la première publication d’Ulysses, en anglais, à Paris. Cette publication d’un texte hors de son lieu, hors de sa langue, si elle n’est pas un cas unique, a déjà plusieurs conséquences. D’abord, le mouvement de sa traduction commence en même temps que sa publication. Ensuite, il doit être conduit dans les pays anglophones par de nombreux intermédiaires. Enfin, sa rapide interdiction dans les pays de langue anglaise (Grande-Bretagne, États-Unis) oblige à des opérations de diffusion clandestine dans lesquelles de nombreux écrivains sont impliqués jusqu’à la levée de la censure aux États-Unis en 1934 et en Grande-Bretagne en 1936. Il faudrait faire le recensement d’une scène topique, que l’on trouve dans de nombreux récits modernistes américains, de ces jeunes gens rapportant Ulysses dans une valise à double fond. De Henry Roth, qui dans À la merci d’un courant violent(traduit de l’anglais (États-Unis) par Michel Lederer, L’Olivier, 1994) décrit en détail la façon dont il trafique soigneusement sa valise et la sueur dont il se couvre au moment du passage de la douane, à Anthony Burgess, qui dans Little Wilson and Big God (1986), affirme qu’un de ses professeurs l’avait rapporté, caché en morceaux sous ses vêtements, de l’Allemagne pourtant déjà nazie.

La publication partielle aux États-Unis, dans la Little Review, des débuts de la rédaction du roman, avait entraîné un procès pour indécence en 1919, en pleine écriture du roman, puis une interdiction pure et simple, rendant aléatoire une quelconque publication. Cette absence de perspectives d’édition a sans doute eu pour Joyce un effet libérateur qui l’a conduit à radicaliser son projet esthétique, ce qu’ont montré les spécialistes. Tous ces obstacles ont été des aiguillons plutôt que des empêchements. Cela met en évidence une première interaction, au moment même de la genèse de l’œuvre, entre la réception et la production, « à travers un jeu complexe d’anticipations et de faits accomplis, de transgressions et de soumissions », comme l’expliquait Daniel Ferrer en 2001.

Cette censure spectaculaire a entraîné toute une socialité autour du livre qui implique en particulier des femmes courageuses, les éditrices (Margaret Anderson and Jane Heap, rédactrice de la Little Review, Sylvia Beach qui publie le livre en France), des postiers (qui saisissent les numéros de la Little Review après sa première condamnation), des juges, des éditorialistes qui défendent malgré tout le livre ou qui contribuent à le dénoncer de façon virulente alors même qu’il est interdit, les douaniers qui saisissent cinq cents exemplaires de la première publication du livre à Folkestone en 1922 et qui le brûlent immédiatement, les éditeurs qui cherchent à lever la censure sur le livre (aux États-Unis, Random House, en 1932, avec le procès « United States of America vs. One Book Entitled Ulysses by James Joyce »). La puissance de transformation du texte est d’ailleurs soulignée à ce propos : « Avoir été interdit a joué un rôle important dans le caractère transformateur du roman de Joyce. Ulysse n’a pas seulement changé le cours de la littérature du siècle qui a suivi, mais la définition de la littérature aux yeux de la loi [1]. » En particulier, la définition que l’on donne de l’obscène ou du pornographique qui n’en sont plus aux yeux de la loi lorsque les scènes ne sont pas intentionnellement « aphrodisiaques ».

Ulysse, de James Joyce : un siècle, le monde entier

James Joyce (vers 1920) © D.R.

On voit ici comment un vide (l’absence du livre) appelle un plein, cette socialité nombreuse qui se forme autour d’un livre qui, dans ce cas, produit le phénomène suivant qu’Ulysse est probablement le livre non lu le plus connu à travers le monde. Je veux dire que la proportion de gens qui le connaissent sans l’avoir lu du tout est plus importante que pour les autres classiques mondiaux.

Cette socialité nombreuse qui collectivise l’œuvre, on la retrouve aujourd’hui dans les fameux Bloomsday. Je dis « les » car le 16 juin n’est pas célébré seulement à Dublin, mais à Philadelphie, Melbourne, Montréal, New York et dans bien d’autres endroits du monde pour des événements plus restreints ou plus ciblés. Sur le site touristique « ireland.com », on avance même de façon décomplexée l’argument de la non-lecture : « Même si vous n’avez jamais feuilleté le roman emblématique de James Joyce, Ulysse, vous pouvez toujours profiter du Bloomsday. » Est-ce de la littérature « hors du livre », comme on l’appelle aujourd’hui ? On peut en douter, mais c’est en tout cas une formidable extension du domaine d’action d’un livre qui est, me semble-t-il, une des formes de sa collectivisation, et qui touche l’idée même de littérature.

Philippe Forest en est bien conscient, lui qui rejette entièrement l’idée qu’Ulysse serait un livre illisible et en fait au contraire un livre qui parle à la fois de la vie de celui qui l’écrit et de celui qui le lit, selon le programme donné par le roman lui-même, dans l’épisode « Charybde et Scylla » : « Nous marchions à travers nous-mêmes, rencontrant des valeurs, des spectres, des géants, des vieillards, des jeunes gens, des épouses, des veuves, et de vilains beaux-frères. Mais toujours nous rencontrant nous-mêmes. » Dans Beaucoup de jours, publié pour la première fois aux éditions Cécile Defaut en 2011 et réédité par Gallimard à l’occasion de ce centenaire, Philippe Forest avance au fil des différents chapitres d’Ulysse, les expliquant, les commentant, mais surtout les croisant à la première personne avec ses propres livres, sa propre vie. Il offre ainsi un double guide, à Ulysse et à son œuvre, à la fois lumineux et émouvant, où le voyage d’un seul jour se double de celui de beaucoup de jours. En attendant Nadeau reviendra sur cet ouvrage à l’occasion d’un prochain article sur son dernier roman, Pi Ying Xi. Théâtre d’ombres.

Le numéro de la revue Europe « Joyce/Ulysse/1922 » est passionnant. Outre un entretien avec Philippe Forest qui complète la préface inédite donnée par celui-ci à Beaucoup de jours, il contient une remarquable chronologie d’Ulysse, proposée par Mathieu Jung, coordinateur de l’ensemble du numéro. Dédié à la mémoire de Jacques Aubert, maître d’œuvre de l’édition de Joyce dans la Pléiade et de la traduction de 2004, il contient des textes inédits en français de Mario Praz, d’Evgueni Zamiatine, de Serguei Eisenstein et de Giorgio Manganelli, ainsi que des études éclairantes et subtiles, en particulier de Valérie Bénéjam sur la relation de Joyce à l’antisémitisme, de Pierre Vinclair sur « Les bœufs du soleil » ou encore de Danielle Constantin sur l’imaginaire joycien de Jack Kerouac. Au centre du numéro, deux textes sont consacrés aux enfants de Leopold et Molly Bloom, Rudy (mort à 11 jours) et Milly, et ils résonnent avec les multiples effets générationnels que répercute un centenaire.


1.      Kevin Birmingham, The Most Dangerous Book : The Battle for James Joyce’s Ulysses, Random House, 2014.

in: www.en-attendant-nadeau.fr/2022/02/02/

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La langue française et la langue arabe

Voilà une langue, la langue française, qui revendique ses nombreux emprunts aux autres langues et notamment à la langue arabe, avec fierté. Ces emprunts l’enrichissent, la dynamisent. Voilà aussi pourquoi j’aime cette langue qui se revendique de toutes les langues. « Les mots voyagent et réinventent la langue, la vie ».Que deviendrait la langue française si on chassait tous ces immigrés ? tous ces mots immigrés ? Elle s’assècherait, se viderait, mourrait…

FRANCE5 _ LA GRANDE LIBRAIRIE_ 26 janvier 2022, avec Érik Orsenna, Bernard Cerquiglin, Aurore Vincenti et Tonino Benacquista

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Je joins à cet article sur F5, la réaction outrée de Salah Guemriche, postée sur son mur Facebook ce 01 février 2022