Trois poèmes pour l’absente

La rôdeuse

Elle claudiquait. 

Résistait cahin-caha. 

Tenace.

Nous avertissait, « j’arrive ! » 

Naturellement crasse, indépassable. 

Elle sévit là comme ici.

Sans distinction au grès de son humeur. 

Les mots pour l’entraver, la juguler, 

Baignaient dans un abîme d’insignifiance. 

Elle est arrivée lourde habillée de fatalité. 

« Par ici » somma-t-elle, pointant du doigt sa cible de l’heure,

La treizième lettre recouvrait son crâne cendré. 

Elle en exhibait trois autres. 

Le mur d’effroi gesticulait, hurlait. 

Dépouillé.

Mma flotte dans son blanc lit.

Comment ne pas craindre le vertige. 

Puis elles s’envolèrent. 

Mais la rôdeuse reviendra.

C’est dans l’ordre de notre condition.

Deux ans plus tard, vendredi 25 décembre 2020

* * * * * * * * * * * *

Sur le rebord du monde

Je n’aime plus Istanbul, le Bosphore

Plus ses eaux turquoise

Ni ses bateaux vapur

Le Café Loti

Ou les îles des Princes

Ma mère est ma douleur

Je n’aime pas les bazars 

Pas les zelliges, formes et couleurs

Ni l’amabilité des Stambouliotes

Leur empathie

Pas les Temples pas les musées pas les mosquées

Le turban blanc d’Abraham

M’indiffère

Et l’empreinte du Prophète

L’épée

La barbe

Le ridicule Derviche me donne le tournis

La mélodie qu’écoulent le daf et le ney 

M’exaspère autant que les applaudissements nourris

Ma mère est ma fêlure

Elle me regarde

Persévère

Longuement

Et encore

Creuse dans mon visage

Dans mon chagrin

Ma mère est mon impasse

Que faire alors de tous les trésors 

Du reflet de la lune le soir

Seul au monde devant le plan d’eau 

Du jardin de Sultanahmet

Ou au cœur de la Küçük Ayasofya camii

Quand ma mère chemine à deux pouces 

du rebord du monde

Istanbul, vendredi 22 juin 2018, 8h30

* * *

Fêlure

Ta joue droite repose sur la paume de ta main

qui la soutient ou réchauffe.

Ou rassure.

Ton regard

si lointain jusque-là

paraît suspendu à tes pensées atrophiées.

Tu semblais méditer au néant,

absente,

te voilà confrontée à un flux de conscience

que tu vibres de tant vouloir transformer en actes de paroles

en réponse à mes interrogations.

Il me semble.

Car je ne suis pas sûr que mes questions te parviennent.

Tes lèvres rétives,

étrangères depuis longtemps à toute parole

demeurent impassibles à mes ridicules gesticulations :

Amma, kiraki, ghaya ?

Tu ne réagiras pas.

« Irrémédiable ».

Je le sais pourtant,

mais je persiste à espérer l’impossible.

Un miracle.

Tu me regardes.

Tu persévères.

Longuement.

Et encore.

Tu creuses dans mon visage,

dans mon chagrin,

pour que surgissent d’improbables souvenirs

et y arrimer la justification de ta présence, l’automne de ta vie.

La lumière qui progressivement, timidement,

jaillit du centre de l’iris, atténue ma tristesse.

Me console un temps.

Je comprends, je saisis le message de cette flamme éphémère.

Tu sembles vouloir me couvrir de 

« combien je t’aime mon fils, combien je te comprends,

combien toutefois je suis captive de la maladie d’Alois ».

La forte pression de ton autre main agrippée à mon bras me réconforte.

Un moment.

La lumière qui jaillissait de tes yeux a un instant transformé tes lèvres demeurées closes.

Tu as souri

et sous mon masque d’homme

coule mon bonheur

ou mon incessible douleur.

In : Débâcles. 2016

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