De Marseille à Tuktoyaktuk

De Marseille à Tuktoyaktuk- [17/30] : 

L’enfant grimace ou sourit, puis montre une maison. Omar craint que le petit ne l’ait pas compris. Il descend du VW Westfalia, se dirige vers la trappe à carburant. Il donne  quelques coups avec ses doigts sur le métal et répète « diesel, diesel », puis fait voltiger sa main. Il dit, peu convaincu, « here diesel ? » L’enfant secoue la tête et d’un bond rejoint ses camarades. Omar se dirige vers l’habitation indiquée par le jeune footballeur. Véro prend les gamins en photos puis les chiens, les maisons… La maison qu’a montré l’adolescent est un long pavillon entièrement bleu avec deux entrées. Au-dessus de la première porte il est écrit « B and B », rien sur la seconde qui est ouverte. C’est par celle-ci que Omar entre dans la maison. Une petite femme manifestement très âgée, le visage fort marqué, est assise près du comptoir de ce qui ressemble à une épicerie ou un bazar. Le châle rouge qu’elle porte sur la tête ne cache pas le bas de ses cheveux noirs tressés qui tombent sur sa forte poitrine. Elle est vêtue d’une longue robe, de même couleur que le foulard. Elle lui arrive aux mollets. À ses côtés une autre femme, plus jeune. A-t-elle passé la trentaine ou bien la quarantaine ? Elle est elle aussi corpulente et son visage buriné, légèrement voutée. Elle porte un pantacourt gris et un T-shirt bleu. Est-ce la fille de la précédente ? Omar est pris de vertige à la vue de l’enchevêtrement des mille et un objets disparates posés en vrac ou suspendus au plafond : casseroles, sacs de farine, téléviseurs, bouteilles, bocaux, enseignes, bonnets de rats musqués, des bottes en peau de caribou ou Muklik, des pièces non identifiables… un fouillis gigantesque. Sur un mur est placardé un avis de recherche avec photo et numéro de téléphone : « Nunavut crime stopper’s is seeking the public’s assistance in locating the following missing person… » Omar est décontenancé. Véro grimace. Il dit, hésitant « I’m looking for fuel. » « Ya » fait la petite femme qui poursuit durant une minute sans que ni Omar ni Véro ne puissent dire quoi que ce soit. Plus tard ils sauraient qu’elle s’exprimait dans sa langue natale, celle de toute la région de Deh Cho, c’est le slavey (Esclave) la langue la plus utilisée par les populations autochtones. D’ailleurs ils ne disent pas « Jean-Marie River » pour désigner leur village, mais « Tthek’éhdélį ». Elle répète « Ya » et c’est « sa fille » qui tend le bras pour lui signifier que c’est à l’extérieur. La vieille dame décroche un trousseau de clés qu’elle remet à celle qui est peut-être sa fille qui demande aux Marseillais de la suivre. Derrière, se trouve un enclos cadenassé. Sur le seuil, trois gros huskys sont attachés chacun à une longue corde. Couchés près de leur niche, à peine ouvrent-ils un œil sur la voiture. La femme crie quelques mots à l’un des garçons. Ce n’est ni de l’anglais ni du français, mais la même langue slavey.  Aucun joueur ne se détourne. Elle ouvre grand la porte grillagée pour laisser entrer le Westfalia. Elle fait signe à Omar pour qu’il gare le véhicule devant les immenses cuves cylindriques blanches protégées par une bâche. Elle ajuste son T-shirt, tire sur son pantalon et demande « diesel or regular ? » « diesel » répond Omar. Il ajoute « diesel thank you, yes diesel ». Avec une autre clé, elle ouvre une grande trappe, se saisit du tuyau qu’elle dirige vers la voiture. Lorsqu’elle finit, Véro lui dit qu’elle souhaite prendre une photo d’elle. La jeune femme se redresse en laissant tomber les bras le long du corps tout en rondeurs. Elle relève la tête et plisse les yeux. Son discret sourire, timide, sera définitif. 

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