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Ghania MOUFFOK

7 juin

A monsieur Lahouari Addi 

Suite à ma publication sur ma page Facebook des analyses Mr Said Ait Ali Slimane dont vous reconnaissez l’intérêt : “ C’est une analyse intéressante qui devrait servir de base à un débat large sur le Hirak. Je ne comprends pas cependant pourquoi l’auteur, Saïd, parle de deux termes de l’alternative, la contestation et la participation. Le Hirak est une contestation pour permettre la participation. Or le pouvoir n’a permis aucune participation”, écrivez-vous dans un texte que vous publiez sur ma page et dont je vous remercie vivement et depuis lequel je vous propose à mon tour de réagir puisque le débat qui nous mobilise toute et tous est inépuisable : 

– Le régime se moque de « la légitimité », il y a longtemps qu’il l’a perdue (guerre civile, octobre 88, printemps noir et autres effroyables expériences collectives et traumatisantes) et ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre. 

En revanche, il fabrique de la « légalité formelle » depuis un système totalitaire qu’il nourrit d’une idéologie, le nationalisme autoritaire, l’Unité du monde qui lui permet d’entretenir la fabrique des “ ennemis de la Nation”, du dedans et du dehors, autour desquels ils légitime son autorité de protecteur de l’état algérien, « le terroriste », « le berbériste », « le suppôt de la France coloniale » pour ne citer que les plus célèbres d’entre eux. 

Une idéologie qui lui permet de défendre les intérêts matériels, les privilèges de ce que l’on a appelé tantôt “la bourgeoisie d’état” ou “la classe état” solidaire contre toutes les forces contestatrices qui interrogent la redistribution des richesses, la rente, et l’utilisation de la force policière, militaire, aux fins de se reproduire. “Une classe état” qui ne se confond pas avec “l’état-major de l’armée”, mais en une multitude de couches d’intérêts qui se partagent par la défense du système, d’en haut jusqu’en bas de l’édifice qui fait “système”. 

Penser qu’il y aurait là dedans « des méchants » et « des gentils » sur lesquels auraient pu s’appuyer de l’alternative a été une erreur stratégique des forces sociales qui ont prétendu diriger le Hirak, d’autant plus que cette “classe état” a peur, comme vous le notez également, d’ouvrir le livre des comptes de son bilan en termes de violence sur sa société et de pillage des richesses. 

– Quant au Hirak. 

Avoir pensé que sa mission était « de faire pression », comme si il était UN, « une masse » dans la prétention d’ une “transition” sans représentation a été une autre erreur politique, participant du même mépris de la société algérienne qui s’est refusée peu à peu à cette instrumentalisation en se retirant objectivement et subjectivement des marches. 

Ne voyant pas l’intérêt de remplacer Boumediène par Staline organisant “les masses” par une avant-garde éclairée. 

La revendication principale autour de laquelle nous aurions pu faire UNION et pas UNITé, était celle de la citoyenneté, parce que nous avons toutes et tous conscience qu’elle nous est interdite. Si nous avons des devoirs envers l’état, la collectivité, quels sont nos droits individuels, qu’est-ce qui peut nous donner des libertés collectives contre la violence des institutions et le partage des richesses qu’elle induit? C’est en ce sens que j’entend et que je partage l’idée que c’était une erreur d’opposer « la contestation » à la « participation »( « makache intikhabet ») car cette opposition faussement radicale et surtout inopérante a privé la société mobilisée de l’expérience de s’investir dans des formes d’auto-organisation dans la Cité, en choisissant librement et en conscience ses représentants en dehors de la foule, de la Rue. 

– L’enjeu politique n’était pas de gagner des élections ou de les perdre. 

L’enjeu pour la société n’était pas le pouvoir de l’élu mais la responsabilité des aspirants électeurs et électrices à se confronter aux chemins qui arrachent le statut de citoyens et de citoyennes dans une situation exceptionnelle de mobilisation, engager de la responsabilité organisée, visible, impliquant des individus et fabricante de collectifs citoyens se demandant librement et en débat : mais qui peut « me » et « nous » représenter en même temps ? 

Au lieu de proposer des formes de représentation du Hirak, totalement folkloriques et inopérantes, autour du concept “de société civile” emprunté à une histoire qui n’est pas la nôtre. Comment peut-il y avoir “une société civile” sans partis, sans syndicat, sans médias, ni médiateurs, sans aucune forme d’organisation d’intérêts divergents, politiquement, économiquement, sans identités politiques visibles et interdites par la redistribution de la rente ? Face à ce vide, les propositions de représentativité ont dépassé l’entendement. 

Vous même, Mr Lahouari Addi, vous nous avez proposé à mon grand étonnement, “la représentation par le martyre” en désignant “les détenus du hirak” comme possibilité. Rachid Nekkaz nous a proposé la représentation par “les experts de la loi” que seraient ses propres avocats. Et Nida 22, l’une des rares formes d’auto-organisation du hirak, nous a proposé de les laisser s’auto-désigner par le consensus de l’entre-soi autour d’une “feuille de route” sans aucune matérialité mais “scellée et non négociable”.

Pour se convaincre de cet entre-soi, il suffit de questionner l’identité sociale des signataires de cette feuille de route qui se partagent majoritairement entre “universitaires”,”journalistes” et “avocats”, “les leaders” pendant que le “commun des mortels” devait se contenter de pousser le camion vers une destination inconnue. 

Madjid Bencheikh, doyen des facultés, a quant à lui proposé dans un entretien à El Watan (disponible sur le Web) et ce au tout début du Hirak, que ce soit en définitive à la Sécurité militaire ou autre DRS d’aller choisir nos représentants depuis ses fiches de police, ils les connaissent et ils n’ont plus qu’à aller frapper à leur porte. Deux ans plus tard, je vous laisse en tant que politologue le soin de juger de ces propositions. 

– Pour ma part, je pense que ce n’est pas le Hirak qui avait besoin d’être représenté mais la société qui l’a porté, fait, fabriqué pour se faire entendre dans son historique richesse et diversité d’intérêts, d’idéologies, de genre, d’éthos et de deuils, des disparus, aux victimes du terrorisme et dans la figure malheureuse et contemporaine du Hirak qu’est le Harag. 

Le Hirak, en tant que Mouvement social s’est auto-organisé de manière remarquable, armé de cette arme nouvelle “la silmiya” pour s’entendre et faire entendre que la société algérienne n’était pas un objet mais une formation vivante constituée de millions d’individualités qui aspirent à la citoyenneté pour changer un monde qui oppresse et en plus, appauvrit matériellement la majorité, (chômage jetant des millions dans l’informel et inflation) pendant que les nouveaux milliardaires se pavanent en frères de la réussite en faisant porter au peuple, ce ghachi, l’échec et la disqualification par la pauvreté qui écrase. 

Le Hirak n’avait pas vocation à être représenté, ni même à durer. Comment prétendre représenter des millions de personnes sans les réduire à s’effacer ? 

– Aussi les questions que me posent le Hirak sont d’une autre espèce: 

Comment une société différenciée par des intérêts divergents, « le patron et le travailleur », « le riche et le pauvre », « la femme et l’homme », » le militaire et le civil », des idéologies différentes, (et la liste est longue du nationalisme facho aux libertaires, du marché au socialisme, de la féministe au patriarcat), peut-elle s’auto- organiser dans le temps et en dehors de la Rue, massive et indifférenciée, sans reproduire cette maudite Unité. 

Cette matrice idéologique et mortifère fondatrice d’un système tyrannique qui, en dépit des contestations massives et régulières, continue à se reproduire? 

Un système qui s’adapte et qui, contrairement à ce qui s’écrit -et au risque de me faire insulter- n’a jamais autant contrôlé sa violence physique face à un mouvement de contestation aussi puissant, sans doute dans la conscience de sa fragilité et sa reconnaissance, prudente et tactique, de son impuissance à contenir cette société. 

Cette violence matériellement contrôlée, (nous ne ramassons pas des cadavres comme en 88, en décennie rouge, en printemps noir), même si elle continue à s’exercer de manière destructrice par la reproduction de l’offense – « les détenus du hirak” ou “d’opinion” participent de cette insulte – est aussi une victoire de la société en Hirak, un résultat historique, ne pas le voir et ne pas l’intégrer dans l’analyse est une autre erreur et prend, peut-être, le risque (comme moi je prends le risque de me tromper), d’alimenter la violence qui ne servira que ce que nous nommons « le pouvoir ». 

Un “pouvoir” qui instrumentalise cette crainte du chaos qui habite, avec justesse, notre société. 

– Une société consciente de la fragilité de l’Algérie- à l’heure d’un nouveau repartage du monde en voisine de la Libye et du Sahel et de cette impensable reconnaissance d’Israël par le Maroc- ruinée par ceux qui nous gouvernent encore, une société qui dans ce contexte mondial ne souhaite pas décrocher ce qui reste de l’Etat à travers ce qui reste des services publics. La poste, l’école, le dispensaire du coin, et même le commissariat du quartier qui n’est pas encore une milice privée, les subventions aux produits affreusement nommés « les produits de première nécessité », ce genre de choses qui permettent de continuer à vivre ensemble sans nous entretuer. Et, c’est “ce reste de service public”, ce que le président, A.Tebboune, appelle « l’état social » et autour duquel il se propose de faire débat qui occupera sans doute la nouvelle Assemblée- faite de bric et de broc, illégitime, certes, mais légale- pour décider ou pas de détricoter la base matérielle des derniers acquis de l’indépendance. Il y a là peut-être des lignes de démarcations autres que “les pro-marche” et “les anti-marche” qui traversent la société algérienne. Des lignes qui interrogent le rôle du marché ce grand organisateur du monde, maître de la distribution des richesse et de la pauvreté dans un pays totalement dominé et dépendant, le rôle de l’état et la question centrale de la citoyenneté dont le Hirak a projeté dans la Rue les contours à la manière d’une utopie du possible : par sa civilité, son civisme, son souci de l’interêt général et le respect de la liberté de chacun et chacune de porter sa petite pancarte, sa couleur (du rouge au noir présents dans les marches) et ses drapeaux fraternels. Ne s’interrogeant plus sur « le pouvoir »condamné, « klitou lebled ya serakine, khlitou le bled ya kedabine », mais sur l’art et la manière des contre-pouvoirs. 

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