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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl

Chers amis, à partir de lundi 27 novembre, après-demain, j’entamerai la publication d’un long article (par séquence de deux pages word par jour, jusqu’à son épuisement). Il s’agit de la recension d’un des plus importants romans ou romans philosophiques, qui a bouleversé la littérature. C’est « un chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… un chef d’œuvre de la pensée » dit de lui Jean-Baptiste Brenet, le grand spécialiste de la philosophie arabe et latine et professeur à l’université Panthéon-Sorbonne.

Le livre que je vous présenterai dès ce lundi s’intitule « Hayy ben Yaqdhân ». Il a été écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl un philosophe andalou astronome, également médecin, mathématicien…Les photos montrent la documentation qui m’a aidé à préparer (trois mois) la recension. Soyez prêt dès lundi, sur mon mur FB, mais également ici.

Lundi 27 novembre 2023

Bonjour à tous,

Ainsi que je l’écrivais précédemment, voici le premier post d’un long article consacré à l’un des plus importants romans, de ceux qui ont bouleversé la littérature universelle. C’est « un chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… un chef d’œuvre de la pensée tout court » a écrit Jean-Baptiste Brenet, le grand spécialiste de la philosophie arabe et latine et professeur à l’université Panthéon-Sorbonne. « Hayy ben Yaqdhân » est le titre du livre dont il est question. Il a été écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl Abou Bakr Mohammed, un philosophe andalou de Guadix qui fut par ailleurs secrétaire de gouverneur, astronome, médecin, professeur (de médecine), mathématicien… voici donc la première des dix-huit parties de ma recension.

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« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 27.11.2023- 1/18

« Hayy ben Yaqdhân » (ou Ibn Yaqdhân) est un « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse… c’est-à-dire de la pensée tout court », « le premier roman philosophique dans l’histoire de la littérature ». C’est un texte écrit durant le dernier quart du 12° siècle en Espagne musulmane par Ibn Thufaïl, un philosophe andalou. Il est aussi connu sous ces variantes « Vivant fils de l’éveillé »« L’éveillé fils du vigilant »« Le philosophe autodidacte »« Le philosophe sans maître. » Avant d’analyser son œuvre, intéressons-nous à l’auteur.

Ibn Thufaïl, Abou Bakr Mohammed ben Âbd el-Malik ben Mohammed ben Tofaïl el-Qāïci, est né en 1110 à Wadi Âïch/Guadix à l’est de Grenade sous le premier empire berbère, el-Mourabitoun (les almoravides), en crise « qui s’est disloqué aussi vite qu’il a été formé ». L’auteur est connu sous le nom d’Abi Bakr Ben Tofaïl, Abou Djâfar, Abou Bakr el-Andaloussi,  Aboubacer ( ne pas confondre avec Avempace, Ibn Bajja, dit Aboubacer dont il fut « en un certain sens » un disciple)… On écrit son nom indifféremment ben Thofeil, Ibn Thofaïl, ou Ibn (ou Ben) Tofaïl, Tufayl, Thufaïl… Ibn Thufaïl a été influencé par Al Fârâbi et plus par Ibn Sina (Avicenne). Il a été contemporain de Ibn Bajja, Hafsa, Abdelmoumen, Ibn Arabi, Ibn Toumert, Ibn Rochd (Averroès) Omar Khayam, Ibn Zuhr (Avenzoar) et également d’Alain de L’Isle, Moshe ben Maïmon, Jean de Salisbury…

Sur le plan du pouvoir politique, Ibn Tufayl vécut la première partie de sa vie sous le règne des Almoravides : Ali Ben Youssef,  Ben Ali et Ibrahim, fils, petit-fils et arrière-petit-fils de Youssef Ibn Tachfin. Ibrahim sera tué à Oran. Ibn Thufaïl passera la seconde partie de sa vie, sous le règne des Almohades, Abdelmoumen ben Ali Agoumi, premier calife berbère de 1130 à 1163 et son fils Abu Yacoub Youssef calife de 1163 à sa mort en 1184. Il est connu comme philosophe, mais aussi pour ses travaux sur la médecine, l’astronomie, les mathématiques… 

Ibn Thufaïl a été probablement vizir et certainement premier médecin personnel du deuxième calife de la dynastie almohade, Abou Yacoub Youcef héritier de Abdelmoumen ben Ali Agoumi. Il exerça comme secrétaire du gouverneur de Ceuta à Tanger. C’est lui qui a introduit Ibn Rochd (Averroès) auprès de Abou Yacoub ce « roi philosophe » pour qu’il lui interprète les philosophes grecs, notamment Aristote, et pour qu’il « clarifie » ses écrits. Abou Yacoub se plaignait en effet de « l’obscurité du style » d’Aristote (~384-~322). Ibn Rochd fera beaucoup plus que clarifier, notamment avec ses divers Commentaires grands et moyens, et avec son ouvrage « L’Accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. »(lire notre article « Ibn Rochd al-Qortobi, in Le Quotidien d’Oran, 8 avril 2021). C’est sur les conseils avisés d’Ibn Thufaïl que le calife Abou Yacoub Youcef fera d’Ibn Rochd son médecin personnel après le retrait en 1182 d’Ibn Thufaïl. « Ibn Rochd et Ibn Thufaïl, écrit Charles-André Julien, exercèrent sur la philosophie médiévale une influence qui gagna même la chrétienté. » Ibn Thufaïl meurt en 1185 à Marrakech. C’est le calife Abu Youssef Yacoub (fils de Youssef) qui préside à ses funérailles. Cet État berbère almohade est alors « le plus civilisé de l’époque ».

Venons maintenant à l’ouvrage « Hayy Ibn Yaqdhân », le vivant fils de l’éveillé. 

 (à suivre)

De Marseille au Royaume Uni et Irlande….

De Marseille au Royaume Uni et Irlande…. mai, juin, juillet (en passant par Paris évidemment !)

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15 mai

7h30- JJ_ Le jour se lève et la mer azur nous nargue. C’est jour de grand départ…

17 mai

Bel après-midi sur France5 (enregistrement), puis un verre à « L’ Aulnay » à la mémoire de mon ami Mahmoud Bessaih.

19mai

La ministre de la Culture Rima Abdul Malak vient de l’annoncer: le Centre Beaubourg, l’un des plus importants musées d’Art moderne et contemporain dans le monde, où je me trouve actuellement et où je me trouvais _ déjà _ lors de son inauguration au tout début de l’année 1977 (nous y avons suivi un cours avec Madeleine Rebéirioux devant le parvis en présence de non étudiants et de curieux très curieux), eh bien, ce magnifique Centre de la vraie grande Culture populaire, qu’on a appelé (par erreur ou incompréhension,) « L’Usine », fermera ses portes pour rénovation durant 5 ans à compter de décembre 2025

24mai

Je suis passé hier mardi 23 mai 2023 le long des quais du Nord-est parisien, venant de la gare du Nord ma station « d’entrée » dans la capitale. Quelques jours auparavant, j’avais rendez-vous au quartier très huppé des « Champs » sur la traverse entre Matignon et Marigny. Un autre monde. Il n’est pas le mien et ne l’a jamais été. Qu’à Dieu ne plaise. Des gens qui regardent les autres de haut, qui pas même vous toisent, qui passent le pas pressé sans jamais en faire un de côté, la tête mauvaise et la culotte souillée. C’est qu’ils (et qu’elles) font dans la dentelle, messieurs-dames. « Mais qu’y faisais-tu alors ? » pourriez-vous à raison objecter. « Obligations » vous répondrais-je alors, obligations. Revenons maintenant aux belles choses du nord-est. 

Je me promenais hier mardi dans les rues de Paris. Je suis passé devant les quais du Nord-est parisien. Celui de Jemmapes a bien changé, pas la façade du mythique « Hôtel du nord », albâtre, fatiguée. Qui l’accepterait ? Le temps n’invitait pas vraiment à la promenade, vent et grisaille, et cela tombait bien. Je me suis engouffré dans le café qui fait l’angle de la rue de la Grange aux Belles, le « Caoua ». Ne croyez pas que j’y suis entré par hasard. Non. Ce lieu qui a changé d’enseigne a marqué une partie de notre longue vie parisienne. Et le constat est amer. Le Pont Tournant n’est plus ni sa patronne « canal historique ». Son temps a passé et celui de Jeniya aussi. Ainsi que le nôtre, celui de tous nos amis oranais. Cela avait duré plusieurs années des 70-80. 

Les jeunes patrons m’ont dit du bien de « la vieille dame », Jeniya, qui leur a vendu le bar. Ce n’est d’ailleurs plus un bar mais une sorte de faux bistrot où l’on peut déguster un café, un laid chaud, une tartine, luncher et déjeuner sur le pouce. Au premier étage on peut même travailler (ou jouer) sur son ordinateur.

En ce temps-là, celui des années raï balbutiantes (merci Libé, merci Europe 1 !), la veille de l’inauguration du Salon du livre, au mois de mars de chaque année (ou presque), notre ami Razi prenait le train pour se rendre à Paris qu’il avait quittée pour le soleil du Sud. Il y demeurait généralement une semaine. La journée, durant le Salon, il arpentait ses allées à la recherche de nouveautés, à guetter l’arrivée des écrivains qu’il appréciait pour des interviews. Durant des heures. Sur un coin de table, entre un verre de peu importe quoi et un enregistreur, dans un brouhaha digne du bourdonnement du grand souk de Marrakech ou celui de Marseille, il préparait ses articles. La visite et le travail terminés, il errait dans la ville une ou deux heures durant, volontairement seul, à la recherche d’une respiration, d’un souffle, d’une inspiration. Le soir venu, elle le retrouvait ici même au Pont tournant. C’est ici, dans ce bar, que Razi aimait la rencontrer – lorsqu’elle ne faisait pas son cinéma – ainsi que quelques amis de jeunesse. Le Pont tournant avait longtemps été leur Mecque. Les amis s’y retrouvaient et ensemble refaisaient le tour du monde. Aujourd’hui tous les mars sont passés et les amis aussi. 

Si je suis revenu à ce qui fut Le Pont tournant, c’est pour y sentir l’arôme, les traces de mes amis, retrouver les souvenirs qu’ils y ont répandus. Nous sommes tous éparpillés. Le Pont tournant se trouve sur le quai de Jemmapes à Paris, et ce jour-là, j’y étais, Razi se demandait si sa Lolita arriverait à le situer ? Le bar-restaurant était à l’époque tenu comme un commandant tient son vaisseau ou un brigadier sa brigade. La tenancière était une fille du Bled, Jeniya la diablesse, la vraie, bent Saïda. Elle connaissait chaque client qu’elle désignait par son prénom et son origine. « Hé toi Razi fils d’Oran » ou bien « Viens que je t’embrasse Kader fils de Mascara. À tel ou tel, elle lançait parfois « Rak h’na weld el hlal ? » Toujours avec bienveillance, toujours avec cet accent qui oscille entre le parler fanfaron des parvenus de la côte ouest et le parler vernaculaire des hauts plateaux, à la frontière du feu. Jeniya était pour tous tout à la fois la sœur, l’amie, et pour d’aucuns, la mère. C’est dans ce bar que Razi retrouvait chaque année ses amis d’enfance et d’adolescence, au moment du Salon du livre. Elle, elle était jeune, trop jeune, et ses amis l’apercevaient comme cette la Lolita de Vladimirovith, maligne et luisante comme un ciel pur de mai plus que de mars au crépuscule ou à l’aube, qu’on ne quitte pas des yeux. En réalité elle était sucre perlé sa Lolita. Il l’aimait ainsi. 

Ils ont, ses amis et lui, subi les mêmes enseignants et suivi les mêmes cours durant de nombreuses années. Depuis la première année de collège à Oran jusqu’à Hammou Boutélis et lycée Lotfi. Ils ont fait les quatre cents coups ensemble, jusqu’à ce que le destin de chacun prenne son envol pour le Nord, pour telle ou telle raison, indépendamment des autres. Ils se sont perdus de vue durant de nombreuses années. Puis chacun d’entre eux – hasard encore de la vie – s’est retrouvé à 20 ou 24 ans dans la capitale française. La renommée du troquet de Jeniya les a aspirés, puis les a entraînés à un moment ou à un autre, vers lui, vers elle. 

Le Pont tournant était un lieu que le Tout-Paris des Oranais affectionnait (et ceux de province aussi). C’est-à-dire le Tout-Paris des Oranais qui n’ont rien contre les bars ni contre les soirées embrumées. Jeniya est une des premières femmes maghrébines que Razi a connues en arrivant à Paris. C’était à la fin des années soixante-dix, bien avant qu’elle ne surgisse elle, Lolita. Quant à Jeniya, elle était incontournable. Aujourd’hui il ne s’avancerait certainement pas, il n’a plus l’âge de l’observation. Ni celui du courage. D’ailleurs, où peut-elle bien se nicher ? Aucun Oranais sérieux ne pouvait imaginer visiter Paris sans faire une halte chez Jeniya. Le Pont tournant était pour le groupe d’amis plus qu’un bistrot. C’était souk el-had, la gare Centrale d’Antwerpen, le port d’Amsterdam. Le Narvik définitif. Le Pont tournant était un havre de rencontres, d’échanges de nouvelles, un monument. Il l’est demeuré peut-être, pour d’autres gens. Pourtant le Pont tournant est un lieu ridicule dans son espace. Sa surface est si réduite au rez-de-chaussée, qu’au-delà de douze pèlerins de Paris ou quinze manchots d’Adélie, il affiche complet. Souvent, le samedi soir, certains clients se tenaient devant le rideau blanc à lanières en plastique de la porte ouverte, une semelle dedans, l’autre sur le trottoir. Le premier étage était réservé à la restauration. Couscous fin de Saïda midi et soir, six jours sur sept (avec en face la passerelle Arletty, nous n’avions qu’à imaginer la légendaire scène « est-ce- que j’ai une tête… » etc). Parfois, à l’occasion d’une fête ou sur un coup de tête – une humeur – elle l’offrait à tous les consommateurs présents. Une dizaine de tables. Sur les murs du rez-de-chaussée, une série de photos en noir et blanc d’acteurs et d’actrices des années cinquante rappelaient la proximité de l’Hôtel du nord (aux façades partiellement décrépies désormais) et le pont sur lequel Arletty s’époumonait gouailleuse jusqu’à perdre le souffle un jour du tournage « atmosphère, atmosphère… », jusqu’à la bonne prise. On connaît la suite.

Lolita avait le regard intense. Elle se positionnait face à Arletty toute en noir et blanc et l’observait sans discontinuer. Ce jour-là elle avait réussi à trouver seule Le Pont Tournant. Elle aimait bien s’approcher d’elle, de la légende. Elle aimait ses yeux charbonnés, la finesse de son visage, elle disait qu’elle était zouina. Elle enviait peut-être sa renommée, elle regrettait peut-être sa disparition. Que savait-elle de sa vie ? Elle dévorait les photos incrustées dans les cadres (0.60m X 0.80m) et parfois l’oubliait, lui, Razi, dont les amis lui demandaient si elle n’était pas lunatique. Il ne leur répondait pas, mais elle l’était en effet. Tout cela a disparu. La belle Garance, à demi-nue épinglée sans amour ni respect, dans une pose suggestive, émoustillait les yeux pourpres et l’air vaseux des clients. Il faut dire aussi que ce ridicule boui-boui (21 m2 au rez-de-chaussée, un peu plus à l’étage) était – l’air de rien – affectionné par Simenon, mais si, celui-là même avec son manteau, sa pipe et son canotier, comme Maigret. Simenon s’installait toujours au même endroit, à la dernière table, dit-on, et se mettait à griffonner des histoires à trembler debout. D’autres hommes du milieu artistique y prenaient un verre, parfois plus. Marcel Cerdan et Mouloudji figuraient en bonne place sur le mur, punaisés comme Arletty, sans pitié. Pas d’amour ni de respect pour eux non plus. Ils accueillaient de leur sourire éternel chaque client attentionné. L’un était accroché à gauche en entrant, près du juke-box (qui sature l’espace), l’autre au-dessus du comptoir, près de la guêpe. Celle-ci, Cerdan et Mouloudji « Quai d’Jemmapes, quai d’Jemmapes, pour respirer un peu d’air frais de ce bon vieux quartier. Passez la monnaie, passez la monnaie… », étaient souvent le point de départ de discussions infinies et agitées – because le houblon, la mousse, bien sûr – pour impressionner ou peut-être juste un prétexte pour inviter d’autres clients pas encore éméchés, locaux ou étrangers, venus à la découverte de l’Hôtel du nord mitoyen, prêts à festoyer avec Jeniya, qui finissait toujours par offrir sa tournée. « Tu sens bon Lolita », révélaient à l’autre, certains qui l’avaient à l’œil. Ceux-là, maladifs qu’ils étaient, aimaient souvent jauger du niveau de connaissances des uns et des autres. La Lolita répondait naïvement « Ci Mirac ». Miracle, son parfum préféré, parbleu ! C’était chez Jeniya. Dans ce trou où, au mois de mars lorsque se tenait le Salon du livre, durant de nombreuses années, Razi retrouvait quelques amis de jeunesse pour des moments de fête. Et elle, au centre, rayonnante. Puis, les années passant, ses amis sont devenus louches et insupportables. Le Salon du livre et les articles de presse, il les a abandonnés. Et elle, qu’est-elle devenue ? j’aimerais tant le savoir. Lui, Razi, habite à Stockholm avec Katarina sa compagne (qu’il a connue à Paris sur les quais de Jemmapes je ne plaisante pas) et leur jeune-fille, Éva-Housia. Il ne vient plus, à ma connaissance, au Salon du livre de Paris. Il ne donne presque plus de nouvelles.

Quant à moi, si, comme aujourd’hui alors que mars est passé, je reviens malgré tout en ce lieu qui n’est manifestement plus le nôtre malgré son nom, c’est pour y retrouver les traces de mes amis. Le quai de Jemmapes a bien changé, pas la façade du mythique « Hôtel du nord ». Le temps n’invitait pas à la promenade et cela tombait bien. Je me suis engouffré dans le « Caoua », mais Le Pont Tournant n’est plus. Son temps a passé et celui de Jeniya ainsi que le nôtre, celui de tous nos amis oranais. Cela avait duré plusieurs années, les plus belles à ce jour. La mémoire, Dieu merci est plus forte que tout. Pour l’heure. Et le présent offre à qui veut une nouvelle Jeniya, une nouvelle offre faite de caoua, de laid chaud, de tartine. À propos, je vous dis bonne journée, je me dirige derechef chez Tartine (ex Trartine). N’avez-vous jamais entendu parler de Tartine ? Non ? Vous ne savez rien de Paris alors ni de la rue de Rivoli. Bonne journée.

AH. 24.05.2023, retravaillé.

24 mai

Me voilà à la BNF F. Mitterrand. On me dit ça et là « arrête avec les souvenirs ! » Mais comment faire l’impasse sur ce qui nous a façonné ? Dans ce lieu j’ai passé des journées entières, entre 600 et 900 jours ! (Plus de deux années cumulées) durant 1995-2000. Ces photos pour remercier en quelque sorte…

1_ Dimanche 28 mai 2023_ 

Hier, samedi, j’ai parcouru les boulevards Magenta, Rochechouart, Clichy. Jusqu’à la Place et la colonne Moncey. Plusieurs tréteaux remplis de livres de toutes sortes. J’achète « Serguei Eisenstein » dans la série « Cinéma d’aujourd’hui (celui des années 60) pour un euro. Des jeunes du « Mouvement fédéraliste panafricain » se préparent à une marche de ce lieu jusqu’à la Place Stalingrad. Pour l’heure ils ne sont qu’une petite douzaine à distribuer des tracts.

Au Pathé Wepler on projette plusieurs films dont, en salle 2, Omar le fraise. J’ai rendez-vous vers 17h avec mon ami H. J’ai le temps de voir le film (15 € et pas de pitié pour tous ceux qui ont passé les plus hauts caps). Que dire du film ? Une comédie sympathique dans laquelle Réda Kateb, Benoît Magimel, Meriem Amiar sont magnifiques. Un film (franco-algérien) plutôt drôle. J’ai aimé les images du désert, de la mer, d’Alger et tous ses apprentis bandits abandonnés…

À la sortie, j’ai longé l’avenue de Clichy et de Saint-Ouen, jusqu’à la poste où plonge (si on veut) la rue Lamarck. Je la remonte jusqu’à la place Froment face à la caserne des pompiers et pénètre dans le bar Le Sap’heur, dont le nom est vraiment tiré par le bout des cheveux. Un 51 s’il vous plaît. Le serveur (patron certainement, Farid) est fort sympathique. Le clientèle m’a l’air aisée, intello à l’ouïe des discussions. C’est un petit bar, mais presque toutes les tables sont prises. J’ai pensé à Kamel Daoud. Il avait été interviewé ici-même par France Culture, il y a quelques semaines. Je l’ai perdu de vue (de lecture aussi) depuis le dernier SILA et son roman photo avec Depardon.

Il a écrit ce jeudi un article sur le point (son Postillon) qui ne peut laisser indifférent. Comme très souvent : « (dans les pays dits « arabes), On y préfère Bachar el-Assad au nom de l’appartenance et de l’identité invaincue, à Zelensky au nom de la liberté universelle. » Ce qui est formidable c’est que (en vrai intellectuel) Kamel Daoud ne laisse pas indifférent. Il est rugueux, pas lisse donc et « double-face ». S’il vous plaît. Un mot à son propos. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’il écrit. J’apprécie nombre de ses idées. Pas toutes. Mais j’aime beaucoup ses articles car ils secoue le vieux cocotier. D’ailleurs aussitôt le lendemain (jour saint vous rendez-vous compte !) les gardiens du Grand temple, les nationalistes-radicaux (« Le harki », « la France, la France, la France », insultes et compagnie… lui sont tombés sur la tronche (vous savez ceux qui, par exemple, tiennent à leur poste…) Ils insultent, mais n’écrivent pas des textes argumentés.

– Hé monsieur, tu t’égares…

– Désolé, oui, merci. Je reviens à ma journée.

J’ai pris le métro et me suis rendu directement à l’Opéra Garnier. Un magnifique soleil surplombe la ville. Et un chanteur fait le bonheur de la foule agglutinée sur le parvis. (Au passage, la vidéo d’hier a été vue par plus de 300 personnes) 

Mon amie M. n’est pas disponible à cette heure, mais mon ami H. est arrivé à l’heure. Salamalecs…. 

Salut Paris…

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2_ Lundi, je découvre Calais, Sangatte et se sont des images insupportables qui me viennent à l’esprit. Celles de l’intolérance, de la xénophobie, de la haine… J’y suis, au bord de la plage. Le patron du café Alexandria et ses clients semblent pourtant fort agréables reprenant les refrains des plus beaux hits des années 70. C’est vrai que c’est dimanche de Pentecôte et les esprits sont à la joie.

La traversée vers Folkestone, ce matin de mardi est plus rapide que je ne la prévoyais. 35 minutes dans le Shuttle. Pour le reste…embouteillages à l’arrivée de Londres. Situation aussi infernale que celle de Paris. Un pot, deux autour de la City…

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3_ Jeudi 1° juin 2023

Nous nous sommes (C et A) égarés dans les méandres du métro labyrinthique de Londres. C’est pourquoi nous ne sommes allés ni à Piccadilly, ni à Soho visiter le magasin « Algérian

Coffee Store ». 

Bristol se réveille sous un ciel maussade et un vent vif, piquant. L’Avon qui la traverse attend que les clients se pressent sur ses embarcations ou sur ses rives et les centaines de parcs qui l’entourent. Le soleil est agréable. Les touristes ne se précipitent pas encore dans ses marchés colorés. C’est la ville de Carry Grant et de Hannah Murray.

Visites des quais, des marchés, boats…

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4_ Dimanche 4 juin

Ah, Bristol. Ah Bristol disais-je… Si la nouvelle (bonne) reçu à Bristol se confirmait, je serais très heureux. J’y reviendrai (éventuellement). Bristol est (aussi) le pays du papier-cartonné dit « bristol » où il est né. Cette belle ville est aussi celle de Edmund Burke, un homme d’État, et philosophe du 18°, profondément conservateur. Passons donc.Nous voilà à Cardiff, la ville du rugby par excellence (Le Cardiff Rugby FC), mais comme je n’y connais rien… Déambulations dans le cœur de la ville très dynamique et jeune… Un petit tour en péniche, visite du château.

Swansea est plus petite, mais très touristique. On a retenu la superbe marina où est statufié pour toujours Dylan Thomas. Le théâtre, le musée, des places, des rues… portent le nom du grand poète, un des plus grands du siècle dernier. Après la visite du Centre qui lui est dédié, nous avons pris un verre au « No Sign Bar » où il était un client régulier (dit-on), avant de détruire son corps à New York. Il eut le temps d’écrire une épitaphe : « After 39 years, this is all I’ve done »

Loin de la confusion, telle est la voie 

Tel est le prodige que l’homme sait 

Loin du chaos parviendrait la joie. 

Cela est la beauté, disions-nous, 

Enfants émerveillés par les étoiles, 

Cela est le but, cela est le terme. 

N’étant que des hommes, nous marchions dans les arbres, 

Traduction d’Alain Suied. (in www. Esprits Nomades)

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Vendredi 9 juin 2023

Un saut de la poésie de Swansea à son faux passé de Far West et ses vallons et ses fermes et ses herbes verdoyantes presque artificielles. Puis au mythe de Liverpool. Double mythe : Foot et Musique : Moi évidemment, je suis plutôt Musique : It’s been a hard day’s night, and I been working like a dog/ It’s been a hard day’s night, I should be sleeping like a log/ But when I get home to you I’ll find the things that you do/ Will make me feel alright…

Lundi 12 juin 2023

Après que la fureur du quartier des Beatles à Liverpool et celui des clubs de foot fut tombée, on a poursuivi notre route, l’esprit de nouveau revigoré, plein de chants de supporters et de Révolver, Yellow Submarine, Imagine, Hey Jo, Michelle… Nous voilà Édimbourg (Edinburgh ou en gaélique Dùn Èidin… tiens tiens… on dirait que cela vient de chez moi…) célèbre ville universitaire (notamment dans le domaine de l’informatique, médecine…) Ne pas oublier le Scott Monument édifié en l’honneur du grand écrivain né à Édimbourg, Sir Walter Scott. (1771-1832)

Célèbre aussi pas son château du 10° siècle, par son Parlement… On y trouve également l’une des plus importantes bibliothèques du Royaume-Uni. Magnifique ville, très animée ces jours chauds de juin (malgré un vent irrégulier, frais : vous vous recouvrez et découvrez sans arrêt. Il fait chaud, il vente. Il fait chaud, il ne vente plus… Mais la fête est partout surtout sur les hauteurs, dans la vieille ville. Un dernier mot, n’oublions pas les maîtres à penser Adam Smith ! et David Hume Philosophe des Lumières écossaises… Mettons-nous à leur (partielle évidemment, partielle) lecture (ou relecture)… Bon courage !

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LIVERPOOL

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Jeudi 15 juin 2023

Il y a tant de choses à dire à propos du voyage en cours. Il y a tant et tant, mais les mots ne se bousculent pas, comme pour ne pas rajouter à la charge combien lourde. L’épuisement n’est jamais loin, et se manifeste même, après une mobilisation quasi non-stop de plus de 45 mois (hors vacances). Un lecteur me demande de « voyager en silence , nous on a mal de ne point voir, dit-il, ce monde », mais je trouve qu’il a tort, que partager est une belle façon d’atténuer les frustrations. Je pense que le « service minimum » à l’égard de ceux qui lisent (même sans réagir) est une nécessité. Alors voici la suite (légère donc) de ce safari sans animaux (ou presque !)

Nous avons poursuivi sur Perth. Nous y sommes entrés par le long pont qui enjambe la Firth of Forth qui ouvre sur la Mer du Nord. Un lieu important concernant la conservation de la nature.

Nous y avons traîné quelques heures dans cette ancienne capitale (pendant trois siècles) de l’Écosse (l’état d’Australie Occidentale porte ce même nom). Trois photos par ci, trois autres par-là : La Fergusson Gallery, Église méthodiste, Cathédrale Minian’s, Cinemax Playhouse, , La rivière Tay…, Canal Street, South Street, Hight Street.

Nous avons grimpé le Grampian Mountains jusqu’à Braemar et intégré le Cairngorms National Park et Tomintoul qui entame « la route du Whisky et ses distilleries à l’exemple de Dofftown et Cairgellachie…. Nous en avons visité deux (distillerie de Glenfiddish Whisy et The GlenGrant dont la production est expédiée (à 85%) en Italie, ainsi qu’une tonnellerie Speyside Copperage. Les visites sont, selon les propriétaires, gratuites ou payantes. La route est magnifique et le soleil omniprésent s’est égaré du grand sud, jusqu’ à la grande ville du nord, Inviness  (ou : Inbhir Nis) où nous arrivons.

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Samedi 17 juin 2023

De Inviness nous retenons le joli grand pont Le North Kessoc en face duquel nous nous sommes installés (South Kessoc). Puis un grand tour dans Inverness City Centre et ses nombreux pubs, restos… Le Loch Ness évidemment plus tard et son fantomatique monstre que nous avons déniché, bien sûr (voir photo) dans la ville de Fort Augustus célèbre pour ses écluses « calédoniennes ». Ne pas oublier que le terme de « Calédonie » désigne initialement le pays de l’Écosse. Plusieurs petits villages longent le Loch, chacun avec ses particularités. Beaucoup de touristes et de circulation.

Le plus beau des villages s’appelle Mallaig, à la pointe de la mer des Ibrides ; En face se trouve l’île de Skye qui, elle-même donne sur les « Na H-Eileanan Siar » (western Isles). Le tableau de l’ensemble est merveilleux. Il a plu quelques gouttes en fin de journée… Nous rencontrons ici et là des gens super sympathiques, notamment Patrick le Corse immigré à Dufftown qui nous a raconté ses succès et déboires dans le pays de madame Nicola Strugeon récemment arrêtée pour détournement de fonds…, Le Marseillais de la Ciotat enchanté avec sa compagne de l’Irlande plus que de l’Écosse, des alsaciennes rencontrées dans un café et celles (Alsaciennes) qui nous ont pris pour des touristes anglais… Et voilà Oban qui se prendrait pour elle-même, n’était ce « b » qui se prendrait volontiers pour un « r » et la ville pour Oran. Belle ville cette Oban avec ses mouvements portuaires, sa belle crique telle une peinture de Justyna Kopania.

Le monstre …

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Jeudi 22 juin 2023

Nous avons quitté la sage, pour ne pas dire quelconque, ville de Oban à une lettre d’Oran. Sur notre route tout le long, des moutons moutonnent. Il y en a partout, bien sur pattes, bien dodus. Aucun n’est porteur d’angoisse et vit sa vie tranquille… Nous également.
À Lochgilphead au moins un horodateur ne fonctionne pas, « Machine out of order ». Et c’est lui qui nous intéresse. Si j’ai un conseil amical à donner aux voyageurs qui viseraient cette contrée : « ne ratez surtout pas Crinan, à la pointe du Knapdale face à l’île plate nommée (oui, oui) « Jura ». À peine quelques dizaines de présents (résidents et autres), pour ceux qui aiment une comparaison, je dirais idem que Franine (bien avant Kristel/est d’Oran) et aussi jolie, autrement jolie, sans la montagne mais le vert beaucoup plus éclatant.
Plus bas, la ville plutôt morte de Lochgilphead. Nous étions il est vrai dimanche. Et dimanche c’est leur vendredi (après-midi) ici. Plus sympa est Invenaray avec ses longs murs blancs, à l’espagnole, et son église (ce jour-là ouverte aux pauvres auxquels on livrait pour pas cher ou même rien, des sacs de nourriture).
Stireling est une ville populaire, avec des monuments très connus comme l’hôtel, ancien collège, ses vendeurs de cornemuses et pubs sympathiques plus feutrés, moins bruyants, que les bars.
Nous sommes arrivés à Glasgow, à la gare Queen Street par le train. Nous y resterons quelques jours. Nous avons visité quelques quartiers le long de la River Clyde avec sa « Court » pas belle, ses beaux ponts suspendus, sa mosquée (turco-asiatique) sur Gorbals street, le Merchant City et City centre évidemment. 

L’exposition Bansky (la 1° exposition officielle depuis 10 ans) à la Galerie d’Art Moderne de Glasgow (photo) vient d’être annulée. Et vous savez quoi ? Nous n’en avons absolument rien à cirer. Autrement dit: « And you know what ? We have absolutely nothing to wax about » (cela se dit-il ainsi?). Tout ce qui tourne autour de cela est gonflant (gonflant pour son compte à lui le p’tit malin et ceux de ses ouailles)… allez, oust ! (et France Inter devrait elle aussi, aller se coucher avec ce type d’informations merdiques (pardonnez-moi). Oui, car grâce au wifi nous réceptionnons 24/24 depuis le premier jour nous sommes assez au courant des choses et même des pôv moutons du Sud, toujours crédules et naturellement naïfs devant des millions de couteaux plus ou moins aiguisés. Encore quelques villes et villages du sud-ouest écossais et puis, bye bye Scotland…
(Vous comprendrez pourquoi ces comptes-rendus sont brefs, ramassés et directs). 

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Mardi 27 juin 2023

En arrivant à Belfast, j’ai eu une pensée forte pour Bobby Sand et les siens « Je me tiens sur le seuil d’un autre monde tremblant. » Il est mort en mai 1981, cinq jour avant l’arrivée de Mitterrand. Nous habitions alors dans le désert. Nous avions quitté « définitivement » Paris un an auparavant. La lutte des indépendantistes Irlandais (ah Vincennes et ses faux Irlandais !!) nous touchait particulièrement… je pense à un texte. Le temps de le préparer…

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Merc 28 juin 2023

Alors que je m’apprêtais, hier mardi 27 juin à pénétrer dans Belfast (Larne), je me remémorais ces paroles du nationaliste irlandais Bobby Sands, prononcées à 27 ans, au début de sa longue et tragique grève de la faim (66 jours) : « Je me tiens sur le seuil d’un autre monde tremblant. » Ces paroles je les lis de nouveau aujourd’hui à travers un beau livre de Sorj Chalandon, « Mon traître ». Je vous les donne telles quelles et vous laisse avec l’aïd, que je vous souhaite bon. Nous disions « îd el-kbir ». Extraits :

« J’ai vraiment cru à la paix pour la première fois le lundi 22 août 1994. J’étais à Paris. La ville avait déjà son voile de septembre. Il pleuvait fin et frais. Après être allé à Belfast, au début du mois, j’avais pris quelques jours chez des parents en Mayenne. J’étais aussi allé visiter un ami à Mirecourt, un vieux luthier qui se contente aujourd’hui de trembler. J’étais heureux de retrouver mon atelier. Je rangeais l’établi en sifflotant. Lorsque le téléphone a sonné, je l’ai regardé sans un geste. C’est comme si je savais. Depuis des semaines, l’Irlande bruissait de l’incroyable nouvelle. L’IRA, l’armée républicaine, avait décidé de déposer les armes. Pas de les rendre, comme l’écrivaient les journaux. À qui l’IRA pouvait-elle donc rendre les armes ? Elle n’était ni vaincue ni exsangue. Il n’était pas question ici de reddition militaire mais de courage politique. Déposer les armes, les détruire, accepter de neutraliser son arsenal sous le contrôle d’une commission internationale indépendante, voilà ce que l’IRA proposait. En échange, Sinn Féin – son aile politique – serait associé au processus de paix. En échange, les protestants, unionistes, loyalistes, orangistes, tous devraient accepter de partager le pouvoir avec les minoritaires catholiques. Le temps des concessions grimaçait au fond des armes.

_ Tony ? C’est Tyrone. C’est fait, Tony. C’est pour mercredi minuit. Tu viens ?

J’ai éclaté en larmes. Je serrais mon téléphone à deux mains et je pleurais. C’était fait. La trêve, le cessez-le-feu, peu importe les mots qui seraient mis dessus par d’autres. C’était fait. Je viens ? Mais bien sûr, je viens. Quelques chemises dans un sac, ma casquette de pluie, le premier avion pour Dublin. J’ai tremblé jusqu’à ce que j’arrive à Belfast. J’ai tremblé vraiment, comme un jeune homme avant le bonheur. Tyrone et Sheila étaient à la gare. J’ai couru vers eux. Jamais, je n’avais couru comme cela vers personne. Je courais le long du quai vers Sheila et Tyrone, mon sac à l’épaule. Je courais vers les portes de la gare, vers la ville, vers son odeur de tourbe et de mouillé. Je courais en riant. Sheila, et Tyrone, puis Sheila encore, puis tous trois soudés, passant de bras en bras et de lèvres en peau au milieu de la gare, des regards amusés. Et puis j’ai reculé, j’ai pris Tyrone par les bras, je l’ai regardé, mon front presque à toucher le sien.

_ C’est fait ? C’est sûr ? 

_ Demain minuit, a répondu Tyrone. La cessation complète des opérations militaires. 

_ C’est ça, le communiqué ? Cessation complète ?

_ Tyrone a hoché la tête en souriant. Il m’a pris par l’épaule, lui à ma gauche, Sheila à ma droite, et nous sommes rentrés à la maison.

Juste avant minuit, le mercredi 31 août 1994, nous sommes allés dans la rue. Tyrone avait mis une chemise blanche et une cravate de laine verte. Sheila avait passé la soirée à rouler ses bigoudis. C’était comme si nous sortions. La rue était pleine de familles silencieuses. Des gamins étaient juchés sur les murs. De vieilles femmes conversaient à voix tranquilles. Un blindé, un deuxième, encore un. Pas une pierre, pas un cri. Même les hélicoptères nous semblaient de trop. 

_ Minuit ! a crié Tyrone en levant le poing.

_ IRA ! IRA ! IRA, a scandé la foule. 

Les voitures klaxonnaient. Des jeunes frappaient dans leurs mains en chantant. Une dame s’est signée au passage d’un prêtre qui observait cette humanité comme s’il venait enfin de retrouver sa trace.

J’ai regardé Tyrone. Il avait dans les yeux comme un sourire inquiet. Il m’a dit que ce serait encore long, mais que nous venions de faire le plus dur. En remontant, nous avons croisé des visages d’hommes. Certains étaient fermés. La trêve avait été décidée par le Conseil de l’Armée républicaine irlandaise. Et par lui seul. Contrairement aux règles militaires aucune convention n’avait été réunie par la direction pour voter la cessation du combat. Les hommes du rang ont appris la nouvelle à l’extérieur de leurs unités. Les politiciens du Siin Féin était persuadé que le temps était venu de renoncer aux armes. L’IRA avait décidé de faire vite. Tant pis pour les procédures. Ces visages fermés disaient le scepticisme. Pendant des jours, Tyrone a rencontré beaucoup de ces combattants. Certains étaient tentés par la dissidence. Il les a ramenés les uns après les autres, rappelant que la trêve était un ordre et qu’ils étaient soldats.

Le lendemain, Belfast républicain s’est drapé des couleurs nationales. Nous avions pris place dans une cavalcade de voitures qui descendaient Falls Road en klaxonnant. Sheila conduisait. Tyrone avait le corps passé par la portière ouverte. Il appelait les uns, les autres, saluait les trottoirs sa casquette à la main. J’étais derrière, mon drapeau à la fenêtre. Je chantais la Marseillaise en riant. Devant nous, il y avait un camion de charbonnier. Tyrone est sorti de la voiture en me demandant de la suivre. Il a rejoint le camion. Il a sauté sur la plate-forme en bois, aidé par les gamins qui s’y trouvaient. Je suis monté à mon tour, agrippant les mains qui se tendaient. Tyrone était debout, poings sur les hanches. Il semblait contempler sa ville, son peuple, son combat de simples gens. J’étais à côté de lui. J’agitais mon grand drapeau à la manière d’un ouvreur de parade. Les voitures se suivaient lentement. Chaque trottoir, chaque porte ouverte, chaque fenêtre s’agitait en main de joie. À côté de moi, un jeune homme regardait mon ami. Il m’a demandé si c’était Tyrone Meehan, le grand, le fameux, le vieux prisonnier. J’ai dit que oui. Que c’était bien lui. Le jeune républicain m’a tendu la main. Je l’ai prise. Nous nous sommes félicités d’être là, avec lui, en ce jour du début de tout. » 

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Jeudi 29 juin 2023

Hier, jour d’aïd, tout à fait ordinaire ici à Belfast. Nous prenons une Baklaoua à défaut d’une brochette de Melfouf chez un restaurateur palestinien au cœur de Belfast, dont le nom de la boutique se nomme, comme il se doit, Eddirah. J’ai peut-être forcé un peu, mais j’ai associé son nom à ce jeune palestinien, Mohamed al-durah, tué par la horde de l’armée israélienne le 30 septembre 2000. Le patron ne m’a rien dit de contrariant. Belfast est divisée en plusieurs quartiers dont Shankill, Gaeltacht, Queen’s, Cathedral Eastside, Titanic, Divis… Nous n’avons pas pu tous les visiter, mais ceux de City Hall, de Titanic, de Cathedral et de Divis (ouest), nous les avons bien arpentés de long en large. En deux mots, le Titanic, dont il est beaucoup question ces jours-ci (et qui a coulé en 1912) a été construit ici. Vous comprendrez que toute une industrie du commerce de ce paquebot soit mise en place dans cette ville voir cette construction, en 3000 toiles métalliques, qui symbolise la proue du paquebot et la compagnie, ainsi que la sirène du paquebot reproduite à l’identique juste devant.

Un égaré vendeur de frites, admirateur (est-ce sûr ?) de Poutine s’est mis sur notre chemin…. Alors, va pour une photo souvenir. Des photos il y en eut beaucoup, mais nous ne pouvons toutes les afficher.

Nous nous sommes rendus dans les quartiers de lutte des années IRA. Nous avons traversé Castel street, Devis street et Falls road. De longues façades proposent des fresques du combat des républicains, qui n’était pas quoi que l’on dise, un combat religieux. Je n’y crois pas. Les traces sont très nombreuses, l’atmosphère complètement pacifiée. Dieu merci. Les héros le demeurent quoi que l’on fasse. Les identiques combats ailleurs dans le monde pour la liberté, notamment palestiniens, sont très fortement présents ici.

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Lundi 03 juillet 2023

Vendredi nous sommes arrivés à Derry. Une très belle ville d’une centaine de mille d’habitants. Longtemps elle a été appelée « Londonderry » au grand dam des locaux. Elle est traversée par la « River Foyle ». Le temps est pourri (pluie abondante, par intermittence avec le soleil…) et les gens sont en T shirt, en short, en chemise courte, en sandales, alors que nous sommes en manteau, pull, parapluie…et tout le barda… Il fait quand même moins de 18 degrés ! (ah Marseille, Marseille, tu nous manques !)

Un grand pont piétonnier (et pour les deux roues) construit pour réconcilier les deux populations Protestante et catholique, enjambe la rivière Foyle. Il forme un immense « V ». Comme à Belfast, tout un quartier garde les traces des années noires. De grandes fresques ornent les boulevards et les immeubles alentour. Mais il y a également des quartiers qui ont soutenu l’armée britannique, ce sont les « loyalistes » (photo « Londonderry West Bank Loyalists)…Nous avons visité le « Muséum Free Derry » ainsi que les monuments dédiés à la structure dite « H » de la prison de Long Kesh où furent emprisonnés les dix combattants de l’IRA durant de nombreux mois, morts des suites d’une longue grève de la faim en 1981. L’amitié entre l’Irlande et la Palestine est, ici aussi, hautement revendiquée, ainsi que la réunification avec l’Irlande « européenne ». La pratique religieuse est (me semble-t-il) assez répandue, les églises sont remplies (MAIS LA DISCRÉTION EST LA RÈGLE). Et même dans la rue on peut assister à des prières (photo), sans besoin de tintamarre… Aucune récupération idéologique, politique… n’est possible. Les Irlandais ont un haut niveau de culture générale. Nous avons assisté à un festival de musique à l’occasion de l’ouverture du mois de juillet… Une autre fois (peut-être) je vous parlerai du comportement (incroyablement civique) des conducteurs automobiles alors que nous n’avons à ce jour pas vu la tête d’un seul policier, gendarme… Une autre fois (peut-être).

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Mardi 4 juillet 2023

Nous sommes en Irlande dans le Connemara (au sud de Leenaun à l’extrême ouest de Dublin). Irlande, pays des géants Joyce, Wilde, Service, Shaw et Beckett notamment et évidemment. Et, comment dire, comme demain c’est un grand jour pour les Algériens – 5 juillet, rendez-vous compte ! (61 ans d’ indépendance !)– j’ai pensé à ce poème de Beckett (écrit directement en français) que je reprends autrement, dans la bouche de Fadia la narratrice, dans un de mes livres, parus en 2012, « La folle d’Alger ».

Je vous donne à lire un extrait de Comment dire de Beckett, puis à lire, voir, supposer un extrait de mon roman, celui de l’expression de la folie de Fadia…

« Comment dire : folie — folie que de — que de — comment dire — folie que de ce — depuis — folie depuis ce — donné — folie donné ce que de — vu — folie vu ce — ce — comment dire — ceci — ce ceci — ceci-ci — tout ce ceci-ci — folie donné tout ce — vu — folie vu tout ce ceci-ci que de — que de — comment dire — voir — entrevoir — croire entrevoir — vouloir croire entrevoir — folie que de vouloir croire entrevoir quoi — quoi — comment dire —… » (S.B.)

« On entend un bruit sec. Peut-être celui de la chute du micro ou du magnétophone qui continue toutefois d’enregistrer. Une voix dans l’appareil s’excite. Les paroles sont peu audibles. Sur fond de commentaires de la télévision on devine ces mots: « tu es au courant… tu sais… est-ce que tu sais ? » Fadia rit à gorge déployée et crie « j’ai entendu, oui j’ai entendu, louange à Dieu, Seigneur de l’Univers ! » On discerne difficilement « ta fille… ta fille… naissance… garçon appelé Amine… Qu’est-ce que c’est, qu’est-ce qu’on entend ?… Allô, je viens te chercher !… » On entend des bruits de pas, rapides, lourds. Ils sont ceux de Fadia. Puis un autre bruit sec, lourd, accompagné d’un gémissement et d’une prière. Elle a dû glisser.

Fadia pleure, gémit, répète plusieurs fois: « el- hamdou lillahi rabbi el-alamine, » Louange à Dieu Seigneur des mondes, Louange à Dieu Seigneur des mondes. La prière est suivie d’un youyou étrange qui déchire pauvrement l’air. On entend des va-et-vient, comme des portes qui s’ouvrent et se ferment. Elle dit: « Mon fils, mon petit-fils, Amine! » Et toujours les commentaires identiques de la télévision: « akadet wassaïlou eldjazaïria qtiyel el-aqid Ali Cheklal el-moussemma Samir… » Et Fadia qui fredonne étrangement : « kifech n’qol, la vigne a perdu ses feuilles. Kifech n’qol, comment dire que, demain, dire que demain, Houda, demain, toi, demain toi Houda, ton frère Amine, 3023 jours, où est ton frère, toi demain, Houda. Mon petit-fils Amine. La vigne a perdu ses feuilles, elle les retrouvera bientôt. » Elle semble lire, peut-être improviser, joyeuse. Elle répète « demain, comment dire que, comment dire, ton frère Houda, 3023, tu es la vigne, ton frère la feuille. Je n’ai pas de haine, non, je suis heureuse, je suis heureuse.

Non je n’ai pas de haine. »

Et de nouveau des portes qui s’ouvrent et qui claquent. Et de nouveaux youyous étranges, de nouveau étranges. Les pas s’éloignent puis reviennent. Fadia semble danser maintenant. On entend « allô, allô ? » Et la cadence des pas, le claquement des doigts, des mains, qui marquent le rythme de la chanson. On entend Idir et Fadia qui l’accompagne :

Ayefk agimners isqaâdas afus a lalla

Yebwid asalas sakham ella j’duda

Aya Azwaw sou mendil awragh

La la la lalla la la

Aya Azwaw sou mendil awragh

La la la lalla la la … »

Mercredi 5 juillet 2023

Autour du Connemara (Clifden), Irlande- 05.07.2023

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11 juillet 2023

Nous sommes à Portlaoise ET IL PLEUT, IL PLEUT !

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Chères langues !

Chères langues !

Parlons langues. Nous sommes au Royaume Uni et en Irlande (précisément aujourd’hui à Portlaoise dans le Comté de Laoise. En gaélique on dit « Port Laoighise » (bonjour Lahouari !) Le gaélique est parlé en Écosse et en Irlande du Nord (une variante, le scot d’Ulster). Le Gallois en Pays de Galles. Dans toutes les régions l’anglais et certaines de ces langues (selon les régions) sont officielles. En Irlande la langue anglaise est « auxiliaire » du gaélique (irish) qui est LA première langue officielle et obligatoire à l’école primaire. Ces langues du peuple sont partout (chacune dans sa région, parfois elles traversent plusieurs d’entre elles). Ces langues, partout reconnues, sont utilisées non pas CONTRE, contre l’anglais qui lui est presque partout officiel, pas même contre leurs gros méchants colonisateurs anglais (1800- 1921)ou contre je ne sais quoi ou qui, mais de fait. Elles sont une réalité vernaculaire, de fait. Le celte et le gaélique existent depuis plusieurs milliers d’années avant JC, cinq à sept ou 8000 ans. Personne n’oserait y mettre le moindre grain de sel, ou de division. Ces langues, officielles ou non, sont partagées dans la vie quotidienne, que ce soit dans les médias (Télé, journaux, radios…) sur le fronton des offices publics, mais aussi dans les marchés, les commerces, dans les stades, les écoles, les cafés… partout à côté de l’anglais. On utilise même tantôt l’anglais, tantôt sa langue (ou son autre langue) maternelle. Et nulle part le gaélique ou une autre langue maternelle ne constitue un obstacle pour quiconque, pas même au niveau des panneaux de signalisation ! (photos)

Toutefois, la pratique de ces langues, même si elle résiste comme elle peut, est de plus en plus (passivement) concurrencée par l’anglais qui s’impose presque « naturellement » dans toutes les strates de la société du fait des techniques et du monde tel qu’il va. Comme dans le monde entier. Mais ces langues premières résistent disais-je grâce à des hommes comme Mairtin O Cadhain dans le Connemara, grand défenseur de la langue des Gael ses ancêtres (photo).

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9 juillet

Un extrait de Oscar Wilde sur l’Art et 2 photos de barques…

« Un artiste est un créateur de belles choses. Révéler l’Art en cachant l’artiste, tel est le but de l’Art. Le critique est celui qui peut traduire dans une autre manière ou avec de nouveaux procédés l’impression que lui laissèrent de belles choses. L’autobiographie est à la fois la plus haute et la plus basse des formes de la critique. Ceux qui trouvent de laides intentions en de belles choses sont corrompus sans être séduisants. Et c’est une faute. Ceux qui trouvent de belles intentions dans les belles choses sont les cultivés. Il reste à ceux-ci l’espérance. » 

Oscar Wilde- Le portrait de DORIAN GRAY

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Vendredi 14 juillet 2023

Fêt-nat ? alors, à nous deux (trois) Dublin !, à nous Baile Átha Cliath ! Trois ou cinq jours n’y suffisent pas. Pas plus sept ou dix. Une grande ville plutôt calme pour une capitale. Un million et demi d’habitants quand-même. La pollution est toute relative et les embouteillages idem. Le soir, disons vers 17-18 heures, les cafés et les bars/restaurants se remplissent. Le cœur palpitant de la ville est sans doute le très jeune et remuant quartier de Temple-bar (rénové, anciennement dit-on « malfamé ») et ses chanteurs de rue et ses bars remplis de Guinness brassée dans la ville-même (photo).

Nous avons hâte, comme le Bloom de Joyce, de parcourir les quartiers presque sans but (inexact) en marchant. Le max. Nous avons l’habitude. De O’Connell Street à Custom House quarter. De Saint Stephen’s Green à Old City, pour finir – évidemment – à Temple-Bar, les pieds en compote. Mais je ne peux non plus faire l’impasse du célèbre Dalymount Park le poumon (en cours de modernisation et d’agrandissement, pendant deux ans encore) du non moins fameux club très engagé des Bohemians FC de Dublin. On a commencé dans le centre de la ville par la mairie et le château qui la jouxte. Sur la O’Connell Street, de très nombreux bus à impériale vont et viennent sans discontinuer entre le monument du dit personnage historique au Musée des écrivains et la tour Parnell (dédiée au nationaliste Charles Stewart Parnell). Nous sommes passés devant la statue de James (Jim) Larkin (1874- 1947) un des fondateurs du parti Labour irlandais (avec James Connolly et William O’ Brian). J. Larkin et sa célèbre reprise de la Boétie (1530- 1563) : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : Levons-nous ! » (en remplaçant « tyrans » par « grands » (erreur ?) La Boetie (1530- 1563) a précisément déclaré : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ».

Sur la Liffey River qui traverse Dublin d’est en ouest, à hauteur du quai Custom House, une scène poignante de familles à l’époque de la « Grande Famine » (1845 à 1852), les visages émaciés, les regards vides comme hallucinés fixant l’infini et désespérant Ciel. Plus loin une réplique du célèbre bateau « Jeanie Johnston Famine Ship ». Nous avons pris le pont Samuel Beckett qui a la forme d’une harpe, situé à quelques centaines de mètres de là. Magnifique.

Entre le mémorial de la Famine et le pont, on a gravé cette déclaration de Joseph Wresinski, un des fondateurs de ATD quart Monde et initiateur de la lutte contre l’illettrisme (photo) ô combien actuelle :

« Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré… »  Au Saint Stephan’s Green des animateurs (ou guides ?) transmettent à des jeunes cette mémoire de la Famine irlandaise (et ses conséquences migratoires etc.)

Bien évidemment nous ne pouvions rater le Centre Joyce et le Musée de la littérature irlandaise. (de nombreuses de photos) et dans la foulée ne pas remercier les guides qui nous ont accompagnés étage après étage. Comme nous ne pouvions passer à côté du Merrion Square (il y avait – coincidence- une belle fête avec stands « kebbabs », « falafels »…) et le mémorial dédié au frasque Oscar Wilde.

Sur notre chemin, nous sommes passés devant le Palais du gouvernement au moment ou un fonctionnaire quittait son emploi sur son vélo.

Nous sommes rentrés sur les genoux après un verre au « Busquers » dans le quartier… Temple-bar, évidemment. On ne quittera pas Dublin (ou l’Irlande) sans mettre en avant la sympathie des Irlandais, toujours disponibles et leur conduite automobile extrêmement zen (ils ralentissent au passage des piétons en ralentissant à plus de trois mètres du dit-passage !) Au Musée littéraire les employées se sont pliées en quatre pour nous donner le maximum d’informations sur les auteurs Irlandais, sur leur vie, leurs œuvres…  Mais on quittera ce pays avec soulagement, s’il n’était question ici que du temps : exécrable. Pluie, sur pluie tout le temps 25 heures sur 24. Sans oublier le vent parfois.

Nous n’avons pas compris leur insistance à s’habiller léger avec des temps pareils !

Pour finir je voudrais vous offrir cet extrait de Ulysse de Joyce, c’est un monologue de Mrs Bloom, Pénélope… Unmonologue de 40.000 mots sans ponctuation (qui commence et finit par « Oui » un « Oui femelle » ) qui restituent le flux de conscience de Mrs Bloom, étendue sur son lit, cherchant le sommeil qui ne vient pas. Le monologue commence en page 1057(Gallimard/Folio) pour s’achever en page 1135, soit 79 pages sans une seule ponctuation. Un flux.

PENELOPE

Oui puisque avant il n’a jamais fait une chose pareille de demander son petit déjeuner au lit avec deux œufs depuis l’hôtel des Armes de la Cité quand ça lui arrivait de faire semblant d’être souffrant au lit avec sa voix geignarde jouant le grand jeu pour se rendre intéressant près de cette vieille tourte de Mme Riordan qu’il pensait être dans ses petits papiers et qu’elle ne nous a pas laissé un sou tout en messes pour elle et son âme ce qu’elle pouvait être pingre embêtée d’allonger huit sous pour son alcool à brûler me racontant toutes ses maladies elle en faisait des discours sur la politique et les tremblements de terre et la fin du monde payons-nous un peu de bon temps d’abord et quel Enfer serait le monde si toutes les femmes étaient de cette espèce-là à déblatérer contre les maillots de bain et les décolletés que bien sûr personne n’aurait voulu la voir avec je suppose qu’elle était pieuse parce que aucun homme n’aurait voulu la regarder deux fois j’espère bien que je ne serai jamais comme ça c’est étonnant qu’elle ne nous ait pas demandé de nous couvrir la figure mais tout de même c’était une femme bien élevée et ses radotages sur M. Riordan par ci et M. Riordan par là je pense qu’il a été content d’en être débarrassé et son chien qui sentait ma fourrure et se faufilait pour se fourrer sous mes jupes surtout quand d’ailleurs j’aime assez ça chez lui malgré tout qu’il soit poli avec les vieilles dames comme ça et les domestiques et les mendiants aussi il n’est pas fier parti de rien mais quelquefois si jamais il attrapait quelque chose de grave c’est bien avons manqué le bateau à Algésiras le veilleur qui faisait sa ronde serein avec sa lanterne et O cet effrayant torrent tout au fond O et la mer écarlate quelque fois comme du feu et les glorieux couchers de soleil et les figuiers dans les jardins de l’Alameda et toutes les ruelles bizarres et les maisons roses et bleues et jaunes et les roseraies et les jasmins et les géraniums et les cactus de Gibraltar quand j’étais jeune fille et une Fleur de la montagne oui quand j’ai mis la rose dans mes cheveux comme les filles Andalouses ou en mettrai-je une rouge oui et comme il m’a embrassée sous le mur mauresque je me suis dit après tout aussi bien lui qu’un autre et alors je lui ai demandé avec les yeux de demander encore oui et alors il m’a demandé si je voulais oui encore oui dire oui ma fleur de la montagne et d’abord je lui ai mis mes bras autour de lui oui et je l’ai attiré sur moi pour qu’il sente mes seins tout parfumés oui et son cœur battait comme fou et oui j’ai dit oui je veux bien Oui

ahmedhanifi@gmail.com

Dublin, 14.07.2023

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19 juillet 2023

Les danses de la Mer…

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Sarah Rivens la star

Mon article

des photos

des vidéos

des extraits de « CAPTIVE »

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1° VIDÉO

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA RADIO SUR SARAH RIVENS

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Voilà un nom et un prénom qui, très certainement, vont s’inscrire dans la durée sur les tablettes et rayons de la littérature algérienne : Sarah Rivens. Derrière cet anthroponyme, s’abrite une jeune femme algérienne de vingt-quatre ans à peine, dont toute la Facebookie DZ et pas que, parle depuis quelques semaines. Et plus encore pour ce qui est des groupies qui la suivent depuis ses premiers pas, il y a quelques années. Elle a écrit sous ce pseudo et sous The blurred girl (la fille floue) sur la plateforme wattpad (un réseau social où n’importe qui peut écrire sous réserve d’inscription) et aujourd’hui chez un éditeur papier (BMR – Beau Mec Rebelle – puis HLAB/ Hachette)

On ne sait pas grand-chose d’elle sinon qu’elle est née en 1999 à Alger, qu’elle est actuellement « responsable administrative d’une salle de sport à Alger » (France Inter). Son roman « Captive » (plusieurs tomes) a été traduit du français en neuf langues. Cette jeune femme sortie de nulle part (faut pas exagérer) est devenue en quelques mois l’écrivaine algérienne, toutes langues et genres confondus (sexes et typologies d’écriture) la plus lue (et vendue) depuis le 5 juillet 1962. Elle est en ces premiers mois de l’année 23, en tête du box-office des ventes en France où ses romans sont édités sur papier. « Le succès de Captive est tel que quand Sarah Rivens, l’autrice algérienne de 24 ans, dédicace à la Fnac du Forum des Halles à Paris, des vigiles supplémentaires sont embauchés pour gérer les incroyables files d’attente. La maison d’édition Hachette, qui a lancé il y a quatre ans le nouveau label BMR, savait que Sarah Rivens avait une communauté de fans prosélytes sur TikTok et sur Wattpad » (lemonde.fr- 25.02.2023)

Les vaniteux et hâbleurs algériens (qui écrivent) à la petite semaine à la peine et qui se prennent pour le nombril du monde n’ont qu’à aller se faire refroidir les neurones. Juste avait vu Michel de Montaigne : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul » (pardonnez-moi), mais quand on dit (flène kateb) : « il n’y a pas un seul écrivain qui peut mieux expliquer que moi le problème musulman. » (Canada) c’est qu’on a de sérieux troubles psychiques ou qu’on ne se sent plus !

Je reviens à Sarah Rivens. J’ai découvert cette jeune écrivaine par le biais de commentaires sur Facebook, à la mi-mars. On en parlait à longueur de posts et j’avais l’air d’un zombie, d’un égaré sur terre. « Quoi ? Qui ? comment ? Où ? depuis quand ? » Je n’avais pas l’air fin. Nombre de ces commentaires sont écrits en arabe. Aucun de leurs auteurs n’a pensé à donner à lire ce dont il est question et comment dans le livre. L’avaient-ils lue ? J’ai cherché et ai fini par me procurer le texte à lire avec une liseuse (« Livre »). Je vous livre un extrait : « ‘‘Captive’’, voilà comment on me surnommait. On me considérait comme une monnaie d’échange lors des négociations à des fins illégales. Une rentrée d’argent pour mon ‘‘possesseur’’. On m’utilisait. Me souillait. Et ce, depuis des années. Des années que je me noyais dans ce cauchemar sans en voir le bout. Sans pouvoir me réveiller. J’avais commencé à travailler pour ‘‘elle’’, pour ‘‘la’’ sauver. Pour ‘‘nous’’ sauver.  » Tel est l’incipit. Le reste est dans la même veine. Ne comptez pas sur moi pour vous faire une recension de « la Captive », vous serez déçus. Sa majesté littérature importe peu ici (et pour elle, Sarah, et pour moi en cet article). C’est l’événement qui prime. Les faits sont têtus, il s’en vend comme des baguettes de pain (à 20 €), à des centaines de milliers d’exemplaires. Je m’arrête de lire la dark romance à : « J’avais maintenant 22 ans. Je crois. J’étais la ‘‘captive’’ d’un certain John. Ce gars était une véritable merde. » Et ne nous emballons pas. Oui, je sais, ce n’est ni du Timothée de Fombelle, ni du Agnès de Lestrade. Non,  Sarah plonge dans le dark et le hard. Il est écrit que c’est un livre violent, une « dark romance » avertit son éditeur (HLAB, Hachette numérique), une « romance explicite » qui n’entre pas dans les codes de la romance classique. Certaines scènes peuvent surprendre les lectrices non averties. » Pas les lecteurs ? Vaste, très vaste sujet donc.

J’ai feuilleté « Captive ». Au-delà de ce que j’ai lu attentivement, le reste est manifestement de même facture. Mais les faits disais-je sont têtus. Il y a un engouement certain à lire cette « captive ». Le marketing est aux premières loges : « La reine des ventes en librairies. Sarah Rivens est un précipité de l’époque » (F. Inter) Un condensé très captif dit-on malgré son propos et style effarants. « Quand des millions de lectures en ligne se transposent en achats de livres physiques, cela donne instantanément un nouveau leader pour le Top 20 GFK/Livres Hebdo » (Livreshebdo.fr – 2 février/ net). « La jeune autrice algérienne qui a détrôné le prince Harry (Le Parisien.fr 8 février 2023). 

Souhaitons que les jeunes algériens qui se sont manifestés en grand nombre sur Facebook se mettront à la lire malgré tout. La lecture est très importante. La sienne est très accessible. On peut l’appréhender avec aisance. Voici quelques extraits des posts FB-DZ : 

« Fiers de toi l’Algérienne » (Omar), 

« Félicitation et bonne continuation » (Malika S. B. ), 

« Ma Cha Allah » (Amine Z.), 

« Impressionnant ! tu as le Pdf ? » (Hana M.), 

« Crache-t-elle sur ses origines, sur l’islam ou sur le voile ? » (Thouraya. A), 

« Bravo pour cette prouesse bien de chez nous » (Ch. A.H),

« La magie de l’Internet. D’Alger elle s’est fait un nom en France », (Ashe M.)

« C’est l’histoire de J.Rowling et son Harry Potter, bravo ! » (Ambre B.), 

« Il faut qu’on s’y fasse rapidement » (Omar K.)

« Une lecture pas trop conseillée pour nos jeunes » (Hamida B.)

« Bravo, ceci me donne espoir » (Selma S.), 

« Trash ! » (Myriam K.), 

« Je me méfie de ces romans aux ventes si faciles » (Monique S.C.), 

« Pourquoi un pseudo anglo-saxon ? » (Mounia Z.), 

« Pourquoi pas ? » (Trevor D.), 

« Où peut-on acheter son livre sur Alger ? » (Arezki I.), 

« Captive tome 1 est un régal (Imad I.), 

« Une fierté pour nous et pour l’Algérie (avec un drapeau DZ) » (Soraya H.Y.) ….. 

Un florilège de fleurs domine. Nous pouvons objecter des formulations, un style, un phrasé qui ne convient pas, et dans une société conservatrice presque schizophrénique, ultra prude, crier sur tous les toits que le roman borderline est inacceptable (sans l’interdire !) Mais nous n’avons aucun droit de la juger du haut de je ne sais quel ridicule piédestal mental en convoquant Proust ou Faulkner ou… D’autres auteurs algériens, célèbres ou moyennement connus « écrivent comme un pied » (dixit Leïla Sebbar). Ils sont pourtant lus, se portent bien et vous regardent de haut (oui, oui), le doigt pointé sur votre front comme une arme. Ils racontent des histoires honorables, lisibles et qui peuvent faire passer à beaucoup de lecteurs de bons moments. N’est-ce pas là le plus important ? Alors, souhaitons deux choses, d’abord bon vent dans les hit-parades y compris ceux du cœur à Sarah Rivens et d’autre part que les jeunes algériens se mettent dare-dare à la lecture s’ils veulent tout connaître des darks aventures de Ella (la captive), de John et Asha (les possesseurs), du réseau scott… et faire le grand bon, aller voir ailleurs, autrement. Le tout étant de se jeter à l’eau. DE LIRE.

Qui peut rappeler la place des Algériens dans le classement mondial des lecteurs ? Je n’ai plus les données, par contre je peux dire que le pays se situe aux derniers rangs quant à l’indice mondial du savoir : « 103e place (sur 138 pays) pour l’année 2020 selon Global Knowledge Index. Un classement établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) » (TSA Algérie, 23 décembre 2020). 37 pays derrière l’Algérie, 102 pays devant. 102. Une véritable catastrophe dont les répercussions traîneront durant des décennies. Quelle tristesse ! Et vive Sarah !

De Marseille à Tuktoyaktuk

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(POUR UNE LECTURE ORDONNÉE DE L’HISTOIRE, commencer par la page X – la dernière – et remonter jusqu’à la page 1)

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 2_ Suite et fin de l’histoire. 

De Marseille à Tuktoyaktuk- [29/30 et 30/30] : 

Omar active le démarreur et enclenche la vitesse automatique. La Ford Fiesta fait quelques dizaines de mètres, s’engage dans la Dempster. Elle semble prise de soubresauts. Omar recommence la manœuvre. L’engin a des ratés. Il avance encore de quelques mètres et les convulsions reprennent. Il finit par s’immobiliser. Il ne peut plus avancer. Le moteur ne démarre plus. Le voyant « moteur » reste allumé de manière permanente. Véro descend du véhicule, se met à l’arrière et pousse de toutes ses forces. Omar s’irrite, s’énerve. Il commence à pester, « il faut revenir à la station ! »

Arrive un 4X4 sorti lui aussi du motel. Il s’arrête à leur niveau. Trois des occupants en descendent. Ils se mettent à l’arrière de la Ford et poussent à leur tour autant qu’ils peuvent jusqu’à la station. Omar se précipite vers la boutique, oubliant de remercier les trois hommes. Il demande au patron de lui porter secours. Peu après arrive un mécanicien. Il commence par essayer de faire redémarrer la voiture, mais n’y parvient pas. Il s’informe sur ce qui s’est passé. Omar dit qu’il n’en sait rien. Le mécanicien s’acharne à trouver l’origine de la panne. Au bout de longues minutes, il demande à Omar s’il a bien mis du carburant. Omar répond par l’affirmative, « oui, ici-même, j’ai rempli pour 60 $ ». Le mécanicien vérifie la jauge, puis demande à voir le certificat d’immatriculation du véhicule. M. Beauséjour, le patron, arrive à son tour. Le mécanicien demande à Omar le type de carburant qu’il a pris. « Diesel » dit Omar. L’intuition du mécanicien se révèle exacte. La tête qu’il fait est à la hauteur de la gravité de la situation : « You didn’t put the correct fuel ! » Puis il s’adresse à son patron en lui montrant le certificat d’immatriculation. M. Beauséjour est bilingue. Il écoute son employé avant de traduire aux Marseillais. Omar avait globalement compris le mécanicien. Il sursaute et répond que sur la carte grise il est bien indiqué « gazoline ». « Précisément, dit le patron, gazoline, mais vous vous êtes servi en diesel. » « Hé bien oui, j’ai mis du diesel, ou gazoline comme vous dites ». Omar était jusque-là persuadé que l’on disait ‘gazoline’ au Canada, comme on dit ‘diesel’ ou même ‘gasoil’ en France ou en Algérie ou en Belgique. « No » fait M. Beauséjour, « Oh no ! » Omar ne sait plus. Tout se confond maintenant dans son esprit. Le patron voit l’effroi plaqué sur le visage des Marseillais. Il tente de les rassurer, de dédramatiser autant qu’il peut, en demandant à son employé de vider le réservoir du véhicule. Le mécanicien ouvre la trappe puis le bouchon et essaie d’introduire dans le bec de remplissage un tuyau qu’il est allé chercher dans un hangar afin d’aspirer le carburant, mais en vain. Impossible d’ouvrir l’obturateur. Omar et Véro se regardent. Ils sont complètement abattus. Ils prennent de plus en plus clairement conscience que le rêve de voir Inuvik et sa mosquée est en train de s’évanouir. Ou de s’effriter. De s’évaporer. En ce moment précis leur esprit est confus. Énervement et tristesse se mélangent. Omar pose la paume de sa main sur son front. Il s’éloigne, revient, la main immobile sur sa tête. Il ne sait plus quoi faire, quoi dire. Véro est dans le même état. Sa main, placée sur sa bouche, est figée. Ses yeux sont absents, vides maintenant de toute expression. M. Beauséjour rejoint son bureau où il entreprend par téléphone les démarches nécessaires. Il revient au bout de quinze minutes. Il lève les bras comme pour invoquer une fatalité. Omar demande à téléphoner à l’agence. La communication qu’il a avec l’employé de Budget est houleuse. « Les frais de remise en état du véhicule reviennent à la charge des clients. » dit l’agent. « Et l’assurance, et l’assurance ! » crie Omar, mais c’est en vain. Il est là au bord de la crise de nerfs, d’une attaque. M. Beauséjour demande à son chauffeur-mécanicien de se préparer à transporter la Ford jusqu’à Whitehorse sur le camion de dépannage et l’autorise à emmener dans sa cabine les deux Marseillais, si toutefois ils acceptent cette offre qui est aussi celle de l’agence de location. Les gestes qu’effectue Omar suffisent pour expliquer qu’ils n’ont de choix que celui d’abandonner aux portes de la station-service leur rêve de fouler les espaces d’Inuvik, les tapis de la mosquée des Inuits et les sous-sols gelés de Tuk, Tuktoyaktuk.

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Lors du retour vers Whitehorse, les premiers kilomètres se font dans un silence de désolation. Le chauffeur, embarrassé, tente de temps à autre de détendre l’atmosphère, notamment lorsqu’il s’approche d’une aire de repos ou d’un Tim Horton. Il parle du temps qu’il fait, propose un café à emporter, mais manifestement, le cœur de ses passagers n’y est pas. 

Au fil des kilomètres, il réussit à détendre l’atmosphère. Il leur parle des problèmes des régions du Nord, de la vie quotidienne. Véro et Omar lui expliquent combien ce voyage leur tenait à cœur. Ils en parlent encore, lui essaie de les réconforter. Il leur demande s’ils tiennent à s’y rendre, à Inuvik, à Tuk. L’atmosphère est détendue. Il s’appelle Boogie Anaviak. Il leur parle de sa famille, du territoire du grand Nord, l’isolement, l’irruption malsaine des compagnies pétrolières. Il leur dit les difficultés de la Dempster. « L’avion s’est beaucoup mieux ». C’est cher mais pas trop. Et d’autres choses encore. Véro et Omar lui donnent quelques informations sur la vie quotidienne en France, en Europe, les distances tellement petites entre les villes, innombrables, la pollution. Les kilomètres défilent et la discussion roule aussi vite que le camion-dépanneur. Boogie leur offre un café chez Tatchun Centre, près de la station-service de Carmacks, là-même où ils ont fait le complément de carburant, celui qu’il ne fallait pas. Ils continuent d’échanger. Les Marseillais sont-ils sur le point d’oublier leur mésaventure ? Boogie dit qu’un de ses proches travaille chez Alkan Air, une agence de voyage à Whitehorse spécialisée dans les vols charters en monomoteur vers Inuvik. Il nous aidera avec plaisir. Le vol c’est plus cher, mais très agréable. À Inuvik, vous irez dans ma famille, « no problem ». Boogie habite à Inuvik « à cause du travail », le reste de sa famille réside à Tuk.

La discussion se poursuit jusqu’à Whitehorse. À cette heure-là, l’agence Budget est fermée ainsi que le parking où ils ont stationné le Westfalia. Ils prennent une chambre dans le même hôtel que le conducteur, le Yukon Inn, dans le centre-ville. Leur discussion se poursuit avec Boogie au restaurant de l’hôtel et une bonne partie de la soirée avec photos et vidéos de son ordinateur. Il leur parle de la « Tundra mosque » avec grand sourire. Il y était le jour du grand repas, « itw as a great party, o yah ! »  « I’m here, look ! » Il est assis avec des amis, il porte la même casquette qu’aujourd’hui, ce que fait remarquer Omar en riant.

Le lendemain matin, devant l’agence de location, juste avant de restituer le véhicule endommagé, Omar propose à l’homme, désormais leur ami, les jerrycans de carburant dont ils n’ont plus besoin, non sans préciser « diesel », sans rire et sans faire de l’esprit, ce serait malvenu. Le chauffeur-mécanicien accepte et les remercie chaleureusement. Bien sûr, ils échangent leurs coordonnées téléphoniques.

  • On te rappellera demain, promis. Nous avons besoin de réfléchir un peu plus.
  • N’hésitez pas surtout.

À l’agence de location de voitures, l’employé leur rappelle ce qu’il leur avait signifié la veille au téléphone, à savoir que « les frais de remise en état du véhicule ne sont pas pris en charge par l’assureur, car manifestement l’incident vous incombe à vous, pas à notre agence. » Carte bleue : 1600 dollars canadiens. Ils ont transféré leurs effets dans le Westfalia stationné dans le parking de la société.

Le temps ne permet pas à Omar et Véro d’envisager un nouveau départ en direction d’Inuvik ou de Tuktoyaktuk, à tout le moins par route. Ils sont fatigués. Ils ont besoin d’un temps de repos, de remise en état. Et puis leurs jours sont comptés. Ils en discutent entre eux. Ils n’excluent pas du tout la proposition de Boogie. Dans l’esprit de Omar, deux visions complémentaires se côtoient. La première est celle d’une barge transportant une petite mosquée sur le Mackenzie, de Hay River à Inuvik. La seconde est celle d’un petit avion l’emportant lui et Véro encore plus haut dans les Grand territoires. Fouler le plancher tapissé de la mosquée d’Inuvik et les sous-sols gelés de Tuktoyaktuk ne peut demeurer un rêve inassouvi. C’ est une promesse dont il est impossible de faire l’impasse. Ils se décideront le lendemain.

* * *

Quant à moi, je vous remercie d’avoir partagé ce carnet de voyage, du premier au dernier jour de ramadan. Il n’est pas le premier. Il ne sera pas le dernier. Merci encore. Je vous dis joyeux aïd.

Ahmed HANIFI. 

PHOTOS

ET BELLES VIDÉOS À LA SUITE

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BOUDJEDRA, KHADRA

Cela a commencé par la lecture de ce texte outrancière ment violent de Yasmina Khadra qui répond semble-t-il à un autre de Rachid Boudjedra.

Voici le texte de Khadra sur sa page FB, puis repris par « Chroniques algériennes » récemment.

J’ai volontairement ajouté les commentaires de utilisateurs de Facebook.

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Dans l’ordre…

C’est dire l’envergure ! Mais…. je n’ai pas lu le livre à l’origine de tout cela, le livre de Rachid Boudjadra, « Les contrebandiers de l’Histoire » (ed Frantz Fanon, 2017)


Voici mon mot du 20 mars et les commentaires qui ont suivi

Et les commentaires

Ce matin, mardi 21 mars, j’ajoute un mot et ces pages des deux romans dont j’ai extrait hier les phrases.

Mon mot:

L’écriture de Rachid Boudjedra (81 ans),« Faulknérienne », une écriture qui se mord la queue (en spirale, circulaire), traverse toute son œuvre. Il use aussi du monologue intérieur, malmène en quelque sorte les schémas classiques d’écriture. Ses textes sont parfois fragmentaires. Il scrute de l’intérieur, les profonds mouvements sociétaux, il dénonce l’ordre sociétal établi, la violence qui traverse la société. Boudjedra use de l’inter et de l’intratextualité. Boudjedra se définit comme un artiste. Elle est loin, très loin de l’écriture de Khadra. Un mot pour dire que depuis quelques décennies, Boudjedra écrit en arabe, puis il adapte (différent de traduire) en français ses propres textes. Est-ce le cas pour tous ses écrits ? à vérifier. Il demeure, dans la durée, l’un des plus importants (sinon le plus important après Kateb Yacine) auteurs algériens. L’écriture mise à part, il est insupportable (trop long à détailler).

Je joins ici (à la suite de ces pages des romans) une vidéo concernant l’autre auteur. Il s’agit d’une émission très célèbre de France Inter (et très ancienne, créée en 1955 !). Écoutez-la. Ces critiques littéraires de l’incontournable « Masque et la plume » sont « sans pitié » comme on dit.(CLIQUER SUR LE LIEN, EN BAS DE CETTE PAGE, EN ROUGE)

Les pages…

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION « LE MASQUE ET LA PLUME » à propos de Yasmina Khadra

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VOIR AUSSI:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2021/02/739-yasmina-khadra-est-un-ecrivain.html

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Je lui avais pourtant envoyé du papier WC à LABTER

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC

Les principes du Droit doivent s’appliquer à tout citoyen. Lazhari Labter est un citoyen algérien arrêté pour on ne sait quelles raisons. Nous ne savons pas si celles-ci lui ont été notifiées. Le Droit doit lui être appliqué. Si son Droit a été offensé par la force, au détriment du Droit, il faut dénoncer ce recours à la force. Lui-même ne dit rien à ce propos. Aujourd’hui monsieur Labter a été libéré après avoir purgé sa garde à vue. Et c’est tant mieux, même s’il demeure sous contrôle judiciaire (nous ne sommes pas dans la transparence, tant s’en faut). 

Puisqu’il ne dit rien, osons ces questions. Soit Lazhari Labter a été arrêté pour ses opinions et auquel cas nous dénonçons, car on ne demande pas ses papiers à un poète ! On ne le met pas en prison. Ça ne sert à rien de mettre en tôle un ami des mots (s’il s’agit de cela évidemment) et Nazim Hikmet connaît la chanson « Ce n’est pas pour me vanter,/, mais j’ai traversé d’un trait, comme une balle, / les dix années de ma captivité./ Et si on laisse de côté les douleurs que j’ai au foie,/ le cœur est toujours le même, la tête celle d’autrefois… » Il avait raison bien sûr. 

Soit Lazhari Labter n’a pas été arrêté pour ses opinions. Mais alors pourquoi l’a-t-il été ? Aussitôt libéré, il a remercié et rassuré ses lecteurs. Il les a remerciés « vous tous, nombreux, très nombreux, de toutes les régions de notre pays et de l’étranger qui m’ont ( !) exprimé, sous une forme ou une autre, leur ( !) solidarité… » L’émotion peut-être (« vous tous qui m’ont exprimé leur solidarité »), l’émotion disais-je . Puis il les a rassurés : « votre place dans mon cœur est spéciale, je continuerai mon combat pour ma patrie, dans le respect des principes de justice et de liberté » (ces mots de Justice et Liberté sont très puissants !) puis autocongratulation « Je suis fier de ma carrière propre (il écrit « propre ») en tant que journaliste de 1976 à 1990… » Il rassure ses lecteurs et ses proches donc, met en avant ses principes « de justice et de liberté », puis il se vante d’avoir contribué dit-il – accrochez-vous s’il vous plaît –  « à changer l’image de l’Algérie détériorée à cause… de la propagande ‘‘qui tu qui ?’’ ». Oui, oui : « tu » (l’altérité mon frère au pilori ! qui tue ? tu. Serait-ce encore l’émotion ?)  Et là ça ne va pas du tout ya Si Mohammed Wech eddek ? Mais alors pas du tout. Il escamote l’essentiel pour se vendre ou offrir ses services. Allez savoir, il noie le poisson : « Ya si Mohammed, que t’a-t-on reproché ? » Lazhari Labter sort de garde à vue et vers quoi vont ses premières pensées ? vont-elles vers le questionnement ou la clarification des causes et des raisons qui lui ont valu le mitard ?  Ne veut-il pas en parler ? Non, il ne parlera pas de ce qui fait problème, de ce qui fait os, de ce qui a inquiété tous ses proches et moins proches « pourquoi a-t-il été arrêté ? » Non, pas du tout. 

Personnellement je m’attendais à un partage de questionnements de sa part sur son arrestation, sur une erreur de personne, sur sa saine gestion de ses entreprises (gestion des subventions par exemple…), ou je ne sais quoi d’autre, se poser des questions « qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? ». Non. Les 5WH ça ne se ramasse pas à la pelle chez lui, ils ne l’intéressent pas. Il sort de prison, l’équilibre et l’air frais du matin pas tout à fait retrouvés et la première chose à laquelle il s’attaque, la première, vingt ou trente ans après, la première, sa seule préoccupation c’est, en substance, « pourquoi user du Droit au profit de qui n’en a pas le droit ? » Il dénonce « Le qui tue qui » et ses défenseurs durant les années de terreur (1990-2000), les années grises où les loups et autres affidés marchaient sur toutes les ombres à s’y amalgamer, leurs ombres, mais pas que (lire ses deux uniques messages d’hier mardi 29 novembre). 

Chers amis, j’ai décidé d’écrire ce texte uniquement parce qu’il a fait un bond en arrière de 30 à 20 ans pour accabler des hommes des causes justes, en faisant l’impasse totale sur son arrestation et sa garde à vue de la veille et de l’avant-veille. Une sorte de mauvais dribble croisé quoi, comme disent les footeux fous de Messi.

Chers amis, je n’ai pas l’espace suffisant ici pour écrire tout ce qui se bouscule à cet instant même dans mon cerveau aux capacités incertaines malgré tout avec le temps qui fuit. 1001 pages n’y suffiraient pas. Donc, j’irai à l’essentiel. Et si je suis dur ou crash avec monsieur Labter, c’est parce que ses mots contre mon camp (moi cet homme obscur, hchicha qui ne se laisse toutefois pas marcher sur les pieds, puis quoi encore ? !) m’ont été insupportables au plus haut point. Qu’il me pardonne, mais les faits sont têtus (je suis sociologue et les faits qui m’intéressent je les emprisonne, les fais mijoter jusqu’à leur faire rendre gorge). Tiens, je vais lui parler directement à ce « poète, journaliste, éditeur, manageur, éveilleur de conscience » (138 lignes plus, plus, plus, chez madame Wikipédia s’il vous plaît) qui insulte les défenseurs des Droits humains en faisant quelques petits détours (c’est lui qui a commencé ! – les années noires…) et en deux points :

1_ Monsieur Labter, vous vous honorez de « défendre les principes de justice et de liberté », de défendre la veuve et l’orphelin donc. Mais cher monsieur, votre métier (de justicier) c’est aussi de défendre le principe de présomption d’innocence. En dénigrant les défenseurs du DROIT (maître Ali Yahia, Bouchachi, Tahri…) ah la belle époque n’est-ce pas ? un coup de fil et c’était réglé et vous applaudissiez… Souvenirs, souvenirs : en insultant les mères des disparus forcés « mères de terroristes » et tous ceux qui les soutenaient et les soutiennent encore, vous et certains de vos compères vous avez déshonoré votre métier durant les années de terreur. Ces mères, ces Locas de La Place de Mai, sont notre honneur, notre fierté. Elles ont été, sont et seront (y compris après leur mort physique) la tâche éternelle sur le front de tous les staliniens et assimilés.

À faire justice à la place de la Justice vous vous êtes sali plus encore les mains et la cervelle, déjà salis par ailleurs, et hélas, le journalisme avec vous. Comment peut-on par exemple applaudir à la disparition d’un grand journal comme La Nation dont la petite musique ne vous seyait pas (à vous comme à vos donneurs d’ordre) ? Il a été interdit et vous vous êtes réjouis en y mettant les formes évidemment « problème économique » ! Nos archives sont hautes comme ça vous savez. Des centaines de journaux, quotidiens, hebdomadaires, revues diverses disponibles à l’exploration.  

J’ai pensé un temps que vous vous étiez repenti (vous et vos semblables). Pas du tout. Vous êtes fier. Vous êtes bien plus fier qu’Artaban, d’avoir contribué avec vos livres dites-vous à changer l’image de l’Algérie détériorée aussi bien en Orient qu’en Occident. À l’Est et à l’Ouest. Un Messie. Rien que cela. Vous devriez postuler pour le prix Nobel de la Paix monsieur Labter ou celui de l’entourloupe. Songez-y, cela vous refroidirait les pattes.

2_ Mettons s’il vous plaît maintenant les pieds dans le couscoussier. Rappelez-vous, c’était la période « post 88 ». Les langues se déliaient. Un vent de folle folie embaumait le pays. Depuis des années de nombreux démocrates algériens sont morts ou furent torturés, emprisonnés pour avoir défendu les Droits fondamentaux des Algériens (y compris les vôtres), il y eut Tasfut en avril 1980, la LADH (1985, MCB) et bien sûr il y eut Front uni à trois faces dénaturées contre les ‘‘opposants au régime’’, les ‘‘anti-nationalistes’’, ah, la presse algérienne ! Il y eut également les lycéens en 1986, la jeunesse en octobre 1988, puis certains partis politiques et ONG diverses. Vous devez vous demander où je veux en venir ? Patientez. C’est comme au foot, il faut élaborer une tactique, préparer des combinaisons avant d’aller droit au but, ça ressemble à la guerre, mais ce n’est que ludique. Patientez.

Voyez-vous monsieur, ce sont des gens comme vous qui nous désespèrent d’une Algérie libre et démocratique, plus que d’autres, car les gens comme vous, bousculent, alimentent, gesticulent et crient fort, voyagent de salons en manifestations jusqu’à Mouans-Sartoux et Salon, Paris…, actionnant et réactionnant les éléments de leurs réseaux sectaires (piston)… les amis des amis des amis… pour réécrire l’histoire. Bousculer pour être au centre de la photo de famille pour se faire un nom qui remplacerait d’autres noms. Un nom qui lave plus blanc. Les uns se battent toute l’année dans la discrétion et la conviction, les autres arrivent vers la mi- mars avec troupes et trompettes, billes en poche « poussez-vous c’est moi ! » Ils crient plus fort en comité de quartier pour se métamorphoser en héros. Il faut savoir que Kafka lui-même a dû attendre sa propre mort pour se métamorphoser en Kafka, pas en faisant feu de tout bois et de tout écran. 

Mais, Hamdoullah, grâce aux archives des archivistes (le plus beau métier concernant certaines contrées), les gesticulations ne sont que vaines, la vérité est sauve, même si elle ne se dévoile pas aussi vite qu’on le souhaiterait. La vérité prend son temps. Tenez, celle qui suit est demeurée longtemps sous le boisseau. Son moment est enfin venu. Ouvrez le grand rideau.

Vous étiez journaliste, monsieur Labter. Vous devez alors vous souvenir de ce morceau de rouleau de papier hygiénique que je vous avais envoyé à la rédaction de Révolution Africaine en décembre 1989 à vous et à votre compère A.L ou l’inverse, peu importe (je ne donne pas le nom de votre comparse, car il a disparu lui de la circulation et je lui en sais gré, je serais même tenté de lui rendre hommage. On faute lourdement, on se tait longtemps. On ne fait pas de harage dans un bocal vide). Je vous avais envoyé ces feuilles de rouleau de PQ pour que vous vous essuyiez la bouche avant de parler, car c’est comme cela que faisaient les opposants roumains (les vrais, pas les copies prestidigitatrices) aux journalistes roumains qui défendaient le régime communiste agonisant du sanguinaire Ceausescu. Aujourd’hui j’ai pris du poids et de l’âge, je ne procèderais pas de la même manière et puis le PQ est passé de mode. Jouer avec les mots et les partager me suffit amplement. Mais la jeunesse, ah la jeunesse !

Monsieur Labter, alors que des camarades croupissaient en prison pour avoir défendu « le droit d’avoir des droits » Révolution Africaine vous commande des articles élogieux sur Ceausescu (que vous signez avec AL. Révaf du 7 juillet 1989, du 21 juillet 1989, du 5 janvier 1990… ) Il y eut certainement d’autres flagorneries du même genre concernant Ceausescu ou d’autres tyrans. Et quel article ma mère celui du 7 juillet ! Un panégyrique sur – c’est vous et votre collègue qui repreniez ainsi, comme la propagande roumaine : « le génie des Carpates » !, LE « défenseur des libertés ». Dans votre article du 7 juillet vous consacrez cinq pages au régime sanguinaire « la Roumanie n’est pas l’enfer tant décrié par une certaine presse. » Ah ce magnifique langage, orwellien jusqu’à l’os.

Le Régime National Communiste stalinien de Ceausescu que vous défendiez serait renversé par des communistes réformateurs (le Front de Salut National). Des millions de Roumains sortaient tous les soirs dans les rues, éblouis par l’espoir levant que – le nez dans le guidon du Danube de la Pensée – vous ne voyiez pas, vous et vos semblables. Un peu d’humilité cher monsieur Lazhari Labter, un peu de décence ! Hchem chwiya âla rouhek. Les héros ne se fabriquent pas dans des comités sectaires (appuyés par « LA presse »), non, ils sont le fruit de leurs actes généreux, leurs actes de convictions, leurs actes répétés. Ils ne sont pas nés dans le gris du noir, dans ce « clair-obscur ». Méfions-nous de ceux-là agonisait Gramsci ! 

Ceci étant dit, je ne suis pas rancunier vous savez, j’ai porté (et même anticipé, faut pas être Saint-cyrien), j’ai porté vos Commandements de mars 2019 (avec un brin de méfiance, je l’avoue et vous le comprendriez), j’ai applaudi certains de vos écrits, téméraires, mais justes. Je vous demande simplement de ne pas trop user de l’omission. Méfiez-vous des procédés staliniens qui consistent en la falsification des textes (images…) en éliminant les hommes (idées) tombés en disgrâce pour les leaders du moment. En donnant toutes ces informations sur Révaf, je diminue le risque de falsification en marche. Il y en a d’autres en attente. Les archives sont immenses.

Cher monsieur, je vous suggère de faire vos ablutions et de réciter (à haute voix s’il vous plaît) un mea culpa en bonne et due forme. Vous seriez alors un homme digne du grand club d’humanistes (et peu loquaces- ils n’ont pas de toits, eux, sur lesquels crier), le club des défenseurs des DROITS HUMAINS FONDAMENTAUX.

Des Droits pour tous, les mêmes droits pour tous. TOUS. Pour conclure, je paraphraserais cher monsieur, un célèbre poète victorien « l’humilité est la mère de toutes les vertus ». Et puis, disons-le ouvertement comme ce grand Yankee (je n’aime pas les Yankees, mais là, ‘‘chapô’’ ! « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Last but not least, votre panier sera complet si vous le remplissiez des sept pièces jointes (dans l’œil de Satan).

Ahmed Hanifi, 

Marseille le mercredi 30 novembre 2022

(J’ai failli préciser « auteur, écrivain, sociologue, poète, ex-gestionnaire, humanitaire, grand voyageur sympathique et tout le chkoupi » à la suite de mon nom, mais vous nous avez tout raflé)

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Lu ce jour 02.12.2022 sur la page >FB de « SOS Disparu »

Adieu Mahmoud

Les Quais de Seine près de St-Michel

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Voilà. L’inéluctable est tombé. Mahmoud s’en est allé. Mon ami de plus de trente ans est parti dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 novembre 2022. Nous venions de l’abandonner aux siens dans la chambre 309 de l’hôpital Avicenne de Bobigny, cette ville qu’il a aimée et où il a habité des décennies jusqu’au dernier jour de sa vie. Il y a une quinzaine de jours, nous échangions au téléphone avec légèreté, peut-être un peu feinte. Si-Mahmoud avait ses croyances et ses convictions. J’ai les miennes. Parfois les unes et les autres engendraient de la friture sur nos lignes, mais rien de bien grave. Mais il ne plaisantait jamais avec ses principes. Nous avions tant de choses essentielles en commun que nous partagions. Les monuments, les amis, les voyages en faisaient partie. Les sujets tels que la découverte de nouveaux pays, de leur Histoire, de leur population, de leur culture nous rapprochaient, tandis que nous en évitions d’autres. 

Mahmoud Bessaih, dans le ferry vers Puttgarden en Allemagne _ 2009

Ces dernières années, après Guernica en Pays basque espagnol, Mahmoud avait concrétisé un autre rêve de jeunesse, visiter Cuba, découvrir les Cubains, les vrais. Il parlait avec générosité de l’accueil très fraternel des Havanais de Lavibora, de Puentes grande, des plantations, des récoltes (la zafra) et de la transformation de la canne à sucre, de leurs boutiques à bière au bord de l’effondrement, d’autres très réputées ouvertes aux touristes en mal de nostalgie ou de spleen : le bar-restaurant El Floridita que fréquentait Hemingway, les pêcheurs à la ligne et les sublimes cubaines – répétait-il. Évidemment, le grand adversaire, el gran imperialista, les États-Unis d’Amérique avec leurs gringos qui s’étaient métamorphosés. Mahmoud racontait les routes mythiques et le Bagdad Café sur « la 66 » complètement déclassé où il s’est rendu, en Newberry Springs (Californie), le désert du Mojave. Las Végas qu’il a détestée, mais qu’il lui fallait découvrir et la folie autour, Los Angeles et San Francisco… Il n’avait qu’une envie : retourner en Californie et traverser le pays d’ouest en est jusqu’à New-York, à l’image de Jack Kerouac avec la folie en moins. Il racontait avec moult détails, les rencontres, les monuments, si bien que j’avais l’impression de l’avoir accompagné.

Il est vrai que nous avons visité le pays des Cow-boys, chacun de notre côté, lui l’ouest, moi l’est. Mais il est vrai aussi que nous avons traversé ensemble une partie de l’Europe du Nord pendant des semaines en passant par Bruxelles, Copenhague, Malmö, Hambourg, presque comme des jeunes routards en ébullition. 

Lorsque, comme lui, j’habitais Paris (ou sa banlieue), nous parcourions la plus belle ville du monde de la Porte de Clignancourt à La Porte d’Orléans, de la Porte de Bagnolet à la Porte d’Auteuil. À la recherche de rien, juste pour marcher et observer, voir, écouter, échanger. Cela pouvait aller des quais de la Seine avec ses bouquinistes, de la rue de la Huchette et le Cabaret El Djazaïr, aujourd’hui disparu, à Saint-Denis, entre la basilique et la Place du 8 mai 1945 (leur 8 mai) dans un bar où nous avions appris presque instantanément son assassinat, l’horrible nouvelle de l’exécution de Matoub Lounès. Le bar se ferait soudain silencieux. La rumeur enflerait sur le trottoir à n’en plus pouvoir.

Des anciennes halles de la Villette où Cheikha Rimitti régalait la galerie avec à sa tête le dandy Jack Lang, venu en soutien à la culture algérienne, à la MJC de Bobigny avec les toutes premières interventions des frères Naoui et Khaled (j’avais écrit pour Libé un papier sur la soirée qu’ils ont intitulé « Du rail, du raï, oh yeah ! »  

Lorsque nous avions emmagasiné tant et tant de kilomètres dans les mollets (entrecoupés de quelques transports en métro), il ne nous restait qu’à rejoindre feu Larry et tous les Oranais de Barbès dans son ridicule bistrot à Simplon, Aïcha dans son boui-boui face au Pont tournant et au regard de Garance ou Kader rue de Lappe, rue de Lappe/Passez la monnaie /Passez la monnaie / Et ça tournait /Et plus ça tournait / Et plus ça tournait…  Je n’oublie pas notre ami commun Hadj évidemment qui était le troisième larron de toutes nos péripéties. Nous connaissions tous les recoins de la ville-Monde. Il nous arrivait de nous retrouver sur la Place de la République pour une marche ou une manifestation pour les libertés en Algérie, un colloque à l’EHESS une soirée politique à Paris 8, au Salon du Maghreb du livre, à une rencontre autour de l’Algérie avec Mohammed Harbi ou Pierre Bourdieu. Nous étions (je suis toujours) en recherche naïve d’une potion magique (puisque tout le légal devint interdit) pour chasser du pays les requins, mais les requins sont comme les loups. Et nous avons fait chou blanc. À ce jour. Les mêmes requins et leurs progénitures sont toujours là, comme par magie après le grand coup de semonce, à saigner les Algériens toujours plus que la veille, à leurs profits et à ceux de leurs premiers et seconds cercles. Et aux opportunistes évidemment qui ont acheté de nouvelles vestes à retourner chez les premières friperies. En dernier adieu j’ai fait la tournée de quelques lieux de Paris que nous fréquentions et aimions. Puis nous nous sommes, cas de force majeure, séparés. 

Mahmoud, tu es resté à Paris, alors que je suis descendu sous le soleil provençal. Je t’ai eu au téléphone il y a une vingtaine de jours. J’ai compris qu’il me fallait te rendre vite visite. Le temps au mauvais a refroidi le soleil. Il est implacable avec ou sans cache-nez et bonnet. La visite s’est transformée en à Dieu à la porte 15 du funérarium d’Avicenne.

Pour toi, je suis allé faire un dernier grand tour à la bibliothèque Mohammed Arkoun (Paris 5°), à la bibliothèque Assia Djebar (20°), au jardin Kateb Yacine (13°), la rue Frantz Fanon (20°), la place Rimitti (18°), la place Maurice Audin (5°)

Aujourd’hui,  autour de toi, au cimetière de La Senia, se sont réunis tous ses amis pour une dernière accolade. C’est le seul faux bond cher ami Mahmoud de ne pas y être, pardonne-moi. Je voudrais, pour conclure cher ami, reprendre ton cri de joie préféré que tu me lançais lors de nos retrouvailles : « Aïwa ! »

Ahmed Hanifi, 

Paris le 29 novembre 2022

Copenhague- 08.2009

Kolding (DK) dans le Jutland _ 08.2009

SOS Méditerranée, « Ocean Viking »…

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO SOIRÉE AU THÉÂTRE DE LA CRIÉE _ MARSEILLE

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Pendant que la France nauséeuse hurlait « Retourne en Afrique ! » (au sein même de l’Assemblée Nationale) à l’endroit de Carlos Martens Bilongo, député noir de La France Insoumise, ce 3 novembre 2022, l’autre France, généreuse et porteuse d’honneur, secourait en mer des centaines d’Africains en détresse, au plus près de la mort, ou applaudissait ce secours de SOS Méditerranée avec le navire affrété Ocean Viking. Cette France généreuse est majoritaire. Elle fait honneur à la dignité humaine, à la fraternité des hommes.

Dans le cadre des Rencontres d’Averroès ((17-20 nov 2022) à Marseille, une soirée intitulée « Musique, chansons et lectures de textes » été dédiée à cette association. Des dizaines d’artistes et d’écrivains se sont mobilisés auprès de SOS Méditerranée : Abd Al Malik, Marie Darrieusecq, Laurent gaudé, Marie Ndiaye…et un texte intéressant de Kamel Daoud sur le mur érigé par les autorités à Aïn el Turk (Oran). J’y reviendrai. Nous étions plus de deux cents personnes environ à y assister.

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Le lait était noir

Un récit biographique de Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar. Traduit de l’arabe par Ouahib Mortada

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Ci-après mon compte-rendu de lecture de ce livre

« Le lait était noir » est un récit biographique de l’homme de théâtre marocain Mohammed Benjeddi écrit par Amira Leziar et traduit de l’arabe par Ouahib Mortada. Il est présenté par l’Agence de L’Oriental. Le livre est paru en arabe aux éditions Yotoubia (Maroc). L’ouvrage en français, édité à compte d’auteur, comporte 147 pages. Il s’ouvre par une dédicace et une introduction et s’achève par un mot de l’auteur sur sa rencontre avec Mohammed Benjeddi, ainsi que par des témoignages d’une douzaine d’hommes et de femmes de la sphère culturelle marocaine et française. Le livre est écrit de sorte à ce que le rendu reflète au plus près la parole de l’homme de théâtre qui se veut directe, sans fioriture. Le cœur du récit se distribue en 25 très courts chapitres, y compris « Les premières années du 21° siècle » placé en fin de livre. Parmi eux ces titres « À l’école », « Les premiers pas », « Le premier grand voyage », « Rester ou partir », « La fermeture des frontières »…

L’introduction présente la cité minière de Jerada (60 kms au sud d’Oujda) et la famille de Mohammed Benjeddi dont le père, Abdelkader, qui est mineur. Dès sa première enfance Mohammed fait face à des problèmes de santé qui l’ont éloigné de ses parents. Tout petit il souffre des jambes et des bras qu’il ne peut bouger. Il n’est pas le seul dans Jerada. Plusieurs enfants de la ville sont hospitalisés. Autre mal, Mohammed boite et souffre d’une protubérance dorsale. Ses camarades de classe se moquent de son handicap, mais ne peuvent faire mieux que lui dans l’apprentissage scolaire. Il est le meilleur de la classe. Le hasard a voulu que Mohammed connaisse les premières planches à l’école grâce à son maître d’école qui lui propose d’interpréter le rôle d’un personnage d’une pièce de Maxime Gorki où il est question d’un boiteux. Mohammed découvre un nouvel univers, encouragé par ses parents et ses enseignants. À la fin d’un spectacle de fin d’année qui se déroule au sein de la mine, Mohammed reçoit les encouragements du directeur. 

Il poursuit ses études dans un lycée d’Oujda, en interne. C’est par le journal local où son nom est écrit en toutes lettres qu’il apprend qu’il est admis au bac. Sa mère fête l’événement par une zerda où sont invités famille et voisins, et offre à son fils des vêtements neufs. La suite des études se déroulera à Oujda. Mohammed suit également les cours de la faculté de lettres de l’université de Fès, à distance. Il a un rêve, celui de voyager à l’étranger. Il se rend donc en Espagne où il se fait voler les documents de voyage, échappe à une tentative d’attentat à la bombe qui s’est révélée fausse. Il poursuit son voyage en France. Il se rend chez sa sœur, en attendant une convocation pour travailler, puis à Paris « la ville envoûtante ». Sa rencontre avec une voisine de sa sœur causera des problèmes familiaux. Il revient à Oujda où il commence à enseigner, précisément dans sa ville natale, Jerada. Mais pas pour longtemps. Il sera « disqualifié » pour cause de mauvaise santé, alors qu’un médecin le déclare apte. Il constitue un dossier prouvant qu’il est à même physiquement et mentalement d’assumer sa mission d’enseignant. Il apprendra que c’est à la suite d’une plaisanterie (la sienne) visant un médecin, que Mohammed s’est retrouvé « disqualifié de la fonction d’enseignant pour raison de santé ». Il passa des mois entre Oujda, Fès, Rabat, de ministère en ministère. Au ministère de la Fonction public on le décourage « cela prendra beaucoup de temps » lui dit-on. Et ce temps, Mohammed veut le mettre à profit.

Il se rend de nouveau en France (St Quentin) où il rencontre plusieurs artistes, participe à des projets culturels, mais le climat familial ne l’incite guère à rester en France. Ses va-et-vient reprennent entre les différents ministères. Au lycée Jerada où il enseigne, il réalise avec ses élèves une pièce de théâtre. Plus tard il participe à la mise en place du premier festival de théâtre scolaire. Il mettra en scène Al Maghout, réalise des émissions de radio, rencontre des artistes algériens, coordonne les activités de l’Alliance française à Oujda. Après la mort de son père en 2005, il quitte l’Éducation nationale après 37 années de service. Il se détache de l’Alliance française et s’installe dans un petit village, à Tafoughalt.

Mohammed Benjeddi poursuit néanmoins ses activités artistiques. Il participe avec sa troupe Comédrama au Festival d’été de Bruxelles alors que sa santé est très fragile. Le diagnostic des médecins est sans appel. Il rentre alors en urgence au Maroc puis repart en France sur insistance de son fils pour intégrer le CHU de Montpellier. La solidarité entre les artistes va formidablement jouer par l’intermédiaire d’une de ses amies, Danielle Pugnale, qui ouvre une cagnotte sur les réseaux sociaux pour aider Mohammed. Et c’est un grand succès. Les dons affluent de nombreuses régions, de nombreux pays. L’opération médicale est couronnée de succès. À son arrivée à l’aéroport d’Oujda l’artiste est accueilli par une foule importante. On organise une soirée spéciale à son honneur.

Mohammed Benjeddi, dans son entretien avec Amira Leziar l’auteure de son récit biographique, se souvient d’une belle rencontre alors qu’il était en France pour une nouvelle hospitalisation et un contrôle. Une rencontre en Normandie d’une vieille dame. C’était à la suite d’un « week-end théâtral » à Rouen. Une de ses amies qui l’accompagnait lui présenta sa tante qui avait vécu au Maroc. Et à Jerada où elle était infirmière à l’hôpital de la compagnie des mines jusqu’en 1960 et son départ pour la France. Elle a connu « Kader » le père de Mohammed et surtout la vérité sur la composition du lait qu’on distribuait aux familles. « Il y avait du lait mélangé avec des particules de goudron qui tombaient des grandes chaudières où se faisaient le remplissage des bouteilles de lait… » qui causera tant de ravages chez les enfants de Jerada. 

Sur deux pages, l’auteure, explique les conditions de cette rencontre avec Mohammed Benjeddi, notamment à Montpellier où il lui conta son histoire. Une douzaine d’acteurs de la scène artistique marocaine et française lui rendent un hommage appuyé. Le dernier chapitre du livre s’intitule « Parcours de l’artiste » qui en énumère les grands axes. Ses débuts avec « Aïcha Kandicha », son parcours professionnel à Oujda, la troupe qu’il a fondée, « Comédrama », ses représentations, ses participations à différents festivals, ses beaux échanges avec les artistes algériens. Mohammed Benjeddi a reçu la médaille d’or de la Fédération internationale du théâtre en France. Il continue aujourd’hui de suivre de très près le monde du théâtre qui ne l’a jamais abandonné.

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Facebook, Twitter…

Bonjour à tous,

Six mois ont passé depuis que j’ai suspendu mes interventions sur Facebook. Je ne pouvais pas demeurer sur le réseau social. Le ronron était devenu intenable. 

Certains se souviennent de ce spectacle de fête foraine où des motards tournent à l’intérieur d’une boule de métal qu’on appelait La boule de la mort. Ils montent et descendent comme des fous, sans aucune issue que celle de tourner et tourner encore jusqu’au sifflet de l’ordonnateur tapis de l’autre côté du danger, hors de la boule, lui. Facebook m’a donné ce vertige inutile. Et puis l’on se rend compte que les Trolls sont plus nombreux que les gens de bonnes intentions. La plupart de ces Trolls (vous vous rappelez des « doubabs » ?) qui subsistent je suppose, sont malveillants. Ils ne construisent pas, ils cassent le débat, les échangent. Seules comptent pour eux les polémiques, les diversions. Beaucoup sont rémunérés, remerciés (d’une façon ou d’une autre). Mais Facebook c’est aussi des rencontres, des retrouvailles, de la joie, parfois pas. 

Il est important parfois de faire des pas de côté, des pauses, mettre à distance, pour faire le point, répondre à ses propres interrogations. Et surtout relativiser. Dans beaucoup de pays (notamment du Sud), les utilisateurs des réseaux sociaux sont une très petite minorité. Ces gens ne révolutionneront pas le monde. L’autre danger dans ces pays est la télévision qui propage le mensonge à longueur de journée. Et lorsqu’il y a 8 ou 15 chaînes c’est 8 ou 15 fois autant de mêmes mensonges répétés. De ces mensonges il en reste forcément quelque chose. Les Algériens en savent un bout.

Je reviens à la parenthèse. Ces pas de côté permettent de relativiser, de mettre en perspective, de se rendre compte combien l’homme, quel qu’il soit ne changera pas seul le monde, et combien il est petit, lui l’homme. Et combien ce réseau social et les autres débordent de vanité, de haine, parfois avec l’assentiment directs ou non de leurs propriétaires. L’exemple récent montre combien le patron de Twitter compte faire émerger tous les discours quels qu’ils soient y compris les plus nauséeux, au nom de la sacro-sainte « liberté d’expression » sans borne. C’est pourquoi j’ai définitivement clos mon compte après treize années de présence. Facebook suivra-t-il ?

J’ai mis à profit cette longue parenthèse pour voir du monde, voyager, écrire. Le monde est entrain de renforcer les aspects les moins heureux, de mettre en spectacle les côtés sombres de notre humanité. Les Droits fondamentaux de l’homme partout reculent. Depuis quelques décennies un renversement progressif des valeurs qui ont fait la fierté des hommes s’est produit.

Aujourd’hui le complotisme, les idéologies que l’on croyait définitivement balayées refont surface, avec des nuances, avec des acteurs et des victimes différentes. Le nationalisme est de retour un peu partout et les cloisonnements dangereux qui vont avec. En Europe, particulièrement en France (où nous vivons) le rejet de l’immigré, de l’immigré musulman, du musulman, de l’Arabe, du Maghrébin, de l’Africain est fortement médiatisé par des chaînes d’information comme C News ou BFM… profondément réactionnaires, sans déontologie, sans éthique, avec des objectifs toujours dictés par la seule cupidité. D’autres chaînes, publiques, sauvent souvent cet honneur perdu, heureusement.

L’accueil des réfugiés ukrainiens en Europe est une nécessité pour son honneur. Le rejet simultané et clairement assumé des nouveaux boat people africains et arabes est révoltant. Le choc est monstrueux. De nombreux Européens (et Français) se sont dit révoltés par cette différenciation de l’humanité selon qu’elle est blanche ou non.  

Quant à l’Algérie, c’est avec tristesse que je l’observe. Beaucoup de tristesse. Mais aussi, hélas, avec de plus en plus de détachement. 

Le racisme qui touche les Africains en Algérie est la pire de toutes les saloperies. On ne peut jeter la pierre à l’occident d’un côté et discourir comme une fripouille, un faquin, concernant nos frères Africains dénudés qu’on ne regarde même pas dans la rue, qu’on évite, qu’on blesse. 

J’observe l’Algérie qui m’a vu naître, grandir avec beaucoup de tristesse. Je suis devenu totalement allergique aux chaînes de télévision algériennes. Je continue de lire la presse papier que je trouve routinière et aseptisée. Il ne se passe (quasiment) presque rien, hormis les chiens écrasés et le bon dos du néocolonialisme, rien sur les responsabilités internes inhérentes à l’autoritarisme. Le régime s’enfonce dans l’aveuglement et la brutalité et on ne peut rien dire. Des jeunes filles et hommes sont jetés en prison pour un oui ou pour un non, les ONG et les partis politiques vivent sous la menace constante et les entrepreneurs honnêtes sur la défensive. Les maquignons qui s’étaient repliés quelque temps sont revenus pour agrandir leurs tanières. Les petites cupidités sournoises au raz du gazon qui virevoltent derrière eux reprennent elles aussi du poil de la bête et leurs trains-trains. Les pénuries d’huile, de pain et autres produits de nécessité première ne les concernent pas. Après avoir crié plus fort que nous tous « Jazair horra démocratia » en tête des cortèges, les voilà ces frappes héraults de l’Algérie neuve. La dine, la rassa, la mella. C’est très triste et très révoltant. 

Mais l’honneur et la dignité ont la vie dure. Un arrêt, une respiration, une pause, ne sont jamais des défaites.


Je quitte Twitter

JE QUITTE TWITTER. 

Pourquoi, après 13 ans de présence, je quitte Twitter ? La raison principale est simple. La digue de la modération est en passe d’être réduite à peau de chagrin sur Twitter. Les discours ouvertement haineux, xénophobes, racistes vont se déverser plus encore sans aucune crainte à commencer par ceux du complotiste ex président des USA, grand ami du milliardaire, désormais patron de Twitter, Elon Musk. L’objectif principal du nouveau patron autoritaire de Twitter est la rentabilité et seulement cela, tout le reste en dépend. Parmi les toutes premières de ses actions figure le licenciement (par mail !) de 50% des employés de twitter. 

Il y a des limites, des « digues » que justement le nouveau propriétaire de ce réseau social semble vouloir détruire. Nous avons en France l’exemple de chaînes TV d’information notamment où le Trash, le racisme, le voyeurisme sont érigés en modèle. Les nombreuses réactions abjectes sur Twitter à la suite de l’intervention ce 3 novembre du député noir Carlos Martens Bilongo de la France Insoumise n’ont pas été supprimées de Twitter. À tous mes amis, je vous conseille une bonne lecture. Personnellement je reprendrai La société du spectacle de Guy Debord « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image », mais avant tout j’émigre dès cette semaine vers Mastodon, beaucoup plus horizontal, où l’éthique semble avoir un sens (me dit-on).

Au revoir, beslama, adiós, Wiedersehen, arrivederci, Hejdå…إلى اللقاء

Ahmed HANIFI, 7 novembre 2022

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12 septembre 2022

L’hypothèse du rachat par Elon Musk du réseau social Twitter a fait grand bruit, avant d’évoluer en saga médiatique après le changement d’avis du milliardaire libertarien. Réputé pour ses positions « radicales » en faveur de la liberté d’expression, le patron de Tesla et Space X a fait craindre, d’après nombre de médias, la fin de la modération agissant comme une sorte de digue démocratique. Une digue qui a notamment permis le bannissement de Donald Trump après l’invasion du capitole par ses partisans en 2020. 
Mais le problème se situe-il réellement à ce niveau ? Est-ce que Twitter, à ce jour, soit avant d’éventuels changements dans la politique de modération, contribue positivement au débat démocratique ? Ou alors, pourrait-il jouer ce rôle si ses dirigeants étaient empreints d’une véritable « éthique » ? Il est permis d’en douter.  

Yves Marry

Cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux, dédiée aux enjeux des écrans et d’économie de l’attention

Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux, qui permettent la transmission d’information en continu et l’échange direct entre émetteur et récepteur, se sont imposés comme les principaux lieux du débat public à l’échelle mondiale. Twitter, premier d’entre eux dans le champ de l’information, est ainsi devenue une sorte d’Agora planétaire, et il apparaît incongru de ne pas y participer lorsque l’on souhaite y prendre part. C’est pourtant la position défendue par ce billet, à l’adresse de celles et ceux qui s’engagent dans la grande « transition écologique et sociale »1 à venir, et donc dans le plaidoyer visant à la promouvoir. Citoyens, responsables politiques, mais aussi, et peut-être surtout, ONG fers de lance du mouvement social : je vais tenter d’expliquer pourquoi, d’après moi, vous devez quitter Twitter.

  1. Se reconnaîtront ici celles et ceux qui sont engagés pour agir réellement, à la racine, contre les catastrophes écologiques et sociales déjà bien commencées.

Twitter ne sera jamais ni démocratique…

Les objectifs de rentabilité sont fondamentalement antinomiques avec ceux du débat démocratique. Ce dernier nécessite une liberté d’expression s’exerçant au sein de limites collectivement définies, la possibilité d’une écoute réciproque, une ouverture aux arguments contraires. Autant de conditions ruinées par l’émergence des grandes plateformes qui ont basé leur modèle économique sur la captation de l’attention humaine, et pour qui l’impératif de profit l’emporte sur toute autre considération.

On pourrait rétorquer à ce stade qu’une version « libre » ou « éthique » – comme Mastodon – de la même application permettrait de conserver les avantages d’Internet, « horizontal », « outil d’accès à la connaissance », etc. Mais la forme capitalistique de Twitter n’est pas le seul problème. C’est même, oserais-je avancer, secondaire. Comme nous l’ont appris les précurseurs de l’écologie : la « technique n’est pas neutre »2. L’infrastructure d’Internet et des réseaux sociaux empêche, par nature, la possibilité d’un débat réellement démocratique.

Neil Postman le démontrait dès 1992 dans Technopoly3 : plus la transmission de l’information s’accélère grâce aux innovations technologiques, plus les contenus « saillants », chargés émotionnellement, sont favorisés par rapport à ceux mobilisant la raison et l’esprit critique.

Journal papier, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux : l’histoire des médias est l’histoire d’une accélération, et ainsi d’une course effrénée vers le trash et le clash. En atteste ce qui capte le plus l’attention aujourd’hui en matière d’information : des émissions de politique spectacle comme TPMP en France, les comptes Twitter de personnalités comme Donald Trump, ou l’enchaînement de vidéos « chocs » sur Youtube et Tik Tok.

Par surcroit, loin d’une prétendue « horizontalité » liée à Internet, on communique dans ces réseaux en silo, à travers des « bulles de filtre », avec des personnes partageant nos opinions – à moins que l’on souhaite troller pour mieux gagner desfollowers, ce qui n’arrange en rien la qualité de la pratique démocratique. Cette fuite en avant se fait au détriment du journalisme professionnel et indépendant et, plus généralement, de la « vérité de fait », pour reprendre les termes d’Hanna Arendt dans sa description du risque totalitaire. 

Consacrant l’ère du clash et du bullshit4, faut-il voir en Twitter un « progrès », ou au contraire un fossoyeur de nos démocraties ?

2. Neil Postman, Technopoly, comment la technologie détruit la culture, traduit collective de l’anglais, L’Échappée, 2019.

3. Pour reprendre les termes de Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau, qu’il est urgent de (re ?) découvrir.

4. Termes de Christian Salmon, auteur de « L’ère du clash » (Fayard, 2019) et d’Elodie Laye Mieczareck, sémiologue, dans le podcast Sismiques : « L’ère du bullshit », épisode 81, janvier 2022.

…ni écologique ou social

La pensée réactionnaire et xénophobe n’a jamais eu besoin d’Internet pour germer dans les esprits. Toutefois, la technologie numérique agit sur elle comme le meilleur des fertilisants. Pointer du doigt des boucs émissaires, attiser la peur et la haine, quoi de plus facile quand c’est l’émotion qui guide la visibilité, et donc la rentabilité ?

S’ajoute à ce biais la faculté de manipulation permise par les algorithmes. Plus il y a de données personnelles, plus des entreprises de marketing politique peuvent cibler les électeurs et influencer les opinions. Cas d’école, l’affaire Cambridge Analytica a révélé l’immense capacité d’influence des agences de communication sur les élections, et donc de l’argent permettant de s’offrir leurs services. Il aura ainsi suffi de cibler quelques électeurs stratégiques via les données récoltées sur Facebook pour faire bifurquer l’histoire : vote du Brexit en 2015 et élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016.

Rappelons aussi, brièvement, l’immense coût écologique de la technologie numérique, longtemps vantée comme un « cloud », et toujours accolée à l’adjectif « smart ». Cette énième duperie de l’industrie numérique a été parfaitement dévoilée par P. Bihouix, G. Pitron, ou le Shift Project, entre autres5. Green IT a même calculé que Twitter émettait chaque jour autant de CO² que 20 aller retours Paris Londres en avion6

Enfin, outil de contrôle par excellence, l’Internet contemporain est-il réellement une arme des « combattants de la liberté » ou plutôt un moyen de surveillance, et donc d’oppression ? Russie, Chine, Birmanie, pour ne citer que quelques exemples récents : tous les mouvements de protestation y sont repérés, puis réprimés. Les « printemps » se sont glacés, et les oppositions meurent en silence. Ou s’organisent « en vrai ». Car quel mouvement de contestation sociale a connu plus de succès, en France ces dix dernières années, que la ZAD de Notre Dame des Landes ? Loin des hashtags et des indignations éphémères, les zadistes se sont réunis physiquement, ont éprouvé l’opposition dans leur chair, se sont liés, et ont obtenu la fin d’un projet industriel absurde.

5. Lire : Philippe Bihouix, L’Âge des low tech ;Vers une civilisation technologiquement soutenable, Seuil, 2014 ; Guillaume Pitron, L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Les liens qui libèrent, 2021 ; Shift Project, Rapport « Pour une sobriété numérique », octobre 2020. 

6. Lire « Combien d’énergie pour un tweet », sur le site de Green IT : w-geenit-fr/2010/06/28 

Le devoir d’exemplarité

Mais si Twitter est devenue l’agora principale, ne faut-il pas y participer, afin de ne pas « laisser la place aux adversaires » ? C’est le même argument qui incite certaines voix du progrès écologique et social à ferrailler sur CNews. Sauf que, précisément, une majorité de ce camp s’y refuse, et à raison : y aller, c’est leur permettre de ne pas parler tout seul, d’avoir quelques balles à smasher. Tout le cadre, l’armature du débat, les temps de parole, les thèmes abordés, les prises de vue, les montages post production : tout favorise la pensée réactionnaire et conservatrice défendue par le milliardaire Vincent Bolloré, dont on sait qu’il mène une croisade idéologique. Dans une moindre mesure, certes, c’est la même logique qui s’applique à Twitter. La bataille culturelle y est perdue d’avance pour le camp de la transition.

Il y a, à contrario, des avantages à quitter Twitter, au premier rang desquels le gain de temps et de disponibilité d’esprit pour communiquer autrement. Car, réjouissons-nous, les autres médias n’ont pas encore totalement disparu. La société civile peut investir pleinement les médias traditionnels, leur réserver les informations exclusives. Elle peut s’exprimer dans les amphithéâtres et les écoles, organiser des cafés débats, distribuer des textes imprimés qui circulent de mains en mains. S’impliquer physiquement, « réellement », dans la construction du monde d’après, plutôt que derrière un écran de fumée.

Pour que la planète soit préservée de la voracité des multinationales, pour que la démocratie s’impose face à l’autoritarisme, pour, comme l’a annoncé la maire de Barcelone Ada Colau l’an dernier au moment de clôturer son compte, que « l’amour l’emporte sur la haine » : quittez Twitter.

Article paru in: w.communication-democratie.org/fr/publications/2022/09/12/pourquoi-il-faut-quitter-twitter

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Schizophrénie

Schizophrénie. 

Un caprice juvénile devient le firmament d’une nation entière exaltée par les officiels calculateurs. Misère de misère. Le degré de cette misère, morale, se mesure à la force de préhension – très vigoureuse en l’occurrence – de tout ce qui émane de l’Autre. On s’arrime à son regard, sa pensée, son verbe. Tout ce qu’on entreprend est lié à ce regard, cette pensée, ce verbe que l’Autre nous renvoie. Cet Autre qu’on envie, qu’on craint, qu’on invite sur un piédestal et que, très paradoxalement, on hait par médiocre rivalité. Et auquel in fine et malgré soi, on se soumet. Comment construire notre Je si nous honorons et à la fois rejetons l’Autre ? Quelle misère inapaisée ! Inapaisée car nous n’avons pas apuré nos passés, tous, avec sérénité. Aux perturbations objectives on a régulièrement – pour des calendriers pernicieux – fomenté des perturbations subjectives, misérables, outrancièrement nationalistes. L’universalisme n’est pas l’horizon de l’Algérien nouveau. Nous en sommes hélas là. La servitude n’étant pas toujours contrainte, demain il fera nuit encore et encore. Allez, je vous quitte.

J’ai posté ce texte sur Facebook hier lundi 27 juin 2022 – 16 H

Ce qu’ont fait les Algériens (à commencer par la présidence de la République) d’un simple caprice d’un gamin américain (de vouloir se rendre en Algérie et le dire en arabe) ainsi que les multiples réactions concernant des jeunes filles en tenue (officielle) de gymnastique m’ont rendu perplexe et d’autres encore. J’ai écrit ce texte spontanément à la suite de la lecture des pages Facebook du jour. Un pays (et beaucoup de ses gens) malade. Très.

J’ai clôturé mon compte (provisoirement?)

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Précédemment (mi juin) j’avais posté ceci, dégoûté:

« … On ne saurait s’imaginer jusqu’à quel point un peuple ainsi assujetti par la fourberie d’une traître, tombe dans l’avilissement, et même dans un tel profond oubli de tous ses droits, qu’il est presque impossible de le réveiller de sa torpeur pour les reconquérir, servant si bien et si volontiers qu’on dirait, à la voir, qu’il n’a pas perdu seulement sa liberté́, mais encore sa propre servitude, pour s’engourdir dans le plus abrutissant esclavage… »

Étienne de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire (1549) 

et encore en juin, en avril…

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CE QU’ETAIT MON PAYS (1960 – 1980)

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CE QU ILS EN ONT FAIT (« ILS »: LE POUVOIR ET SES ALLIES, LES INTEGRISTES)

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LE GAMIN

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Coupure ajoutée dim 3 juillet 2022

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À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF

À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF ASSASSINÉ LE LUNDI 29 JUIN 1992 À ANNABA

INSPIREZ un bon coup, car vous allez embarquer dans plus de 8000 mots dont les destinations auxquelles ils invitent nécessitent parfois des détours. Elles n’abritent pas les mêmes intérêts, ni les mêmes mémoires. Il y a néanmoins un point commun et je vous laisse le soin de le trouver.

Ce, samedi 25 juin 2022, seront inaugurés à Oran les 19° Jeux Méditerranéens. J’ai lu des centaines de lignes sur ces jeux, tout est dit ou presque. Pourquoi « presque » ? Parce qu’il m’a été impossible de lire où exactement se déroulera la cérémonie d’ouverture. Je prends au hasard cet article de presse (Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 juin 2022, page 13, non signé. 

« Le président de la Commission des cérémonies d’ouverture et de clôture des JM, monsieur Salim Dada a donné, lors d’une conférence de presse un aperçu complet de l’agenda culturel… » mais rien sur le lieu de la cérémonie. Nous savons que « la cérémonie d’ouverture des JM sera une grande cérémonie » mais on ne sait rien du lieu. Nous savons « qu’elle sera une œuvre artistique complète avec tous les éléments expressifs», mais on ne nous dit rien sur le lieu. Nous savons qu’elle « sera exécutée par un orchestre symphonique composé d’une centaine de musiciens » mais où ? on n’en sait rien. Nous apprenons « qu’elle comprendra des mouvements artistiques d’ensemble sur une superficie de 9.000 mètres carrés et 500 drones seront utilisés à cette fin, en plus d’un spectacle son et lumière et des jeux pyrotechniques. Mais où ? débrouillez-vous. Nous savons que « La présentation artistique de la cérémonie d’ouverture comprend 20 tableaux », que « le scenario mettra en exergue les multiples facettes de la culture algérienne en général, celle de la région Ouest et de la ville d’Oran ». Rien dans cet article n’est dit sur le lieu de la cérémonie. Ne cherchez pas sur l’Internet vous ne trouveriez rien. C’est tout simplement dingue. J’ai pensé au stade Zabana, mais n’en suis pas sûr du tout. Pourquoi Zabana ? parce qu’il en est beaucoup question dans mon article ainsi que de Ben Bella (il y a 57 ans exactement) et de Boudiaf (il y a 30 ans exactement).

Au début il n’y avait peut-être pas le verbe, mais la danse des Ombres qui se profilaient. Cela s’est passé il y a longtemps. Certains parmi vous étaient adolescents ou jeunes adultes, d’autres même pas nés. Vous avez été confrontés à un « roman national officiel » mensonger, mais vous n’êtes pas dupes. Vous savez que la vérité vient rarement du discours officiel élaboré par le pouvoir qui s’en tient mordicus à la vérité de ses laboratoires, celle du « roman national officiel » qu’il a lui-même préparé en maison ou vase clos. Voici un morceau de cette histoire, il est ma propre vérité qui se nourrit de mon vécu. Il lui manque toutes les autres vérités vécues. En attendant, voici ma part de vérité et de fiction, entremêlées.

Le témoignage que je vous livre ci-après a été mis en ligne une première fois en juin 2015. Je l’ai repris, retravaillé et étoffé. Il embrasse notamment la folle, très folle journée du 25 juin 1992, avec la visite du président Boudiaf chez nous, dans notre village, le lugubre 29 juin 1992 avec l’assassinat du président Boudiaf quatre jours après sa visite chez nous, ainsi que la finale de la coupe d’Algérie au stade « ex Municipal », avec le match Algérie – Brésil du 17 juin 1965, deux jours avant le coup d’État du colonel Boumediène. Tout cela dans un sympathique et apparent désordre qui n’en est pas un.

Nous étions le dernier lundi de juin de l’an 1992 et notre pays et ses hommes allaient incessamment sombrer bien malgré l’écrasante majorité d’entre nous dans un gouffre de déraison qui saignerait la terre, attristerait le temps et ferait pleurer le ciel. Toutes les étoiles du Nord n’avaient pas suffi pour maintenir intact notre espoir cardinal et nos résolutions pacifiques qui allaient être contrariés, gravement blessés, pis encore qu’ils ne l’eussent été quelques mois plus tôt, à l’aube de la nouvelle année. Oui, nous allions sombrer dans un gouffre de déraison, un monde d’affres et d’épouvantes, une longue nuit, un cauchemar interminable, dont les premiers signes annonciateurs nous avaient été livrés disais-je six mois plus tôt, et pour certains depuis plusieurs années en amont. Nous allions voir ce que nous allions voir. L’horloge de mon bureau indiquait 13h30. Sur mes fiches d’identification de poste de travail que j’appelais FIP, j’ajoutais, rayais, surchargeais, rectifiais, revenais à l’indication initiale. Pour chaque poste de travail (plusieurs centaines à reconsidérer) il me fallait proposer une évolution possible. Je croyais fermement que les grands patrons m’avaient proposé ce job de « chef de gestion de carrières » parce qu’ils me prenaient au sérieux, croyaient en mes compétences. Plaisanterie. « Le gaz est naturel. Il coule dans des tuyaux depuis le Sahara jusqu’ici. On ouvre les vannes et on remplit les méthaniers. Gaz cryogénique à liquéfier puis à regazéifier, voilà une question banale depuis 1910, époque des ballons dirigeables, alors bon… Les dollars arrivent, coulant à flots, dans l’autre sens et dans d’autres tuyaux, opaques. Et on les distribue, avec ou sans le syndicat. Tout le reste est du festi » me répétait un vieux collègue qui en avait vu des vertes et des pas mûres depuis les premiers temps de la Camel. « Tous ces services de Personnel, de Carrières, de Moyens généraux, de Social et de et de… ça sert à rien, qu’à nous faire passer le temps ». Je ne le croyais pas. À tort.

vue de GOOGLE – ana khatini ! (je ne suis pour rien dans cette prise !)

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Il était 13h30 ce lundi 29 juin. Max-Si-Ali (appelons-le Max-Si-Ali), notre syndicaliste-chef maison est entré comme une furie dans mon bureau, j’ai cru que dans son élan il allait déglinguer les paumelles de la porte de mon bureau.

– Tu as entendu la dernière ?

– Quoi ? 

– Boudiaf, Boudiaf… a-t-il bégayé le souffle et les yeux aux abois. Il s’étranglait. 

– Euh ?

– Il a été liquidé ! en direct à la télévision !… 

Et il a fait demi-tour vers l’extérieur aussi rapidement qu’il était entré en claquant la porte, pour aller porter la mauvaise nouvelle à tous les bureaux. Un brouhaha s’en est suivi, car d’autres collègues venaient d’apprendre la nouvelle et eux aussi ont décidé de s’en faire porteurs. J’ai abandonné mes FIP et mes courbes et mes stats, et suis sorti précipitamment, emporté par la folle et incroyable nouvelle et c’est tout le complexe de liquéfaction qui se transformerait en souk d’échange d’informations et de rumeurs.

La journée commençait, jusqu’à ce moment-là, ordinaire dans une usine ordinaire de la Sonatrach à Bethioua (Arzew). Max-Si-Ali (il avait la barbe et les tics de son idole allemande et jamais Le Manifeste ne le quittait) passait son temps à récolter des informations et des rumeurs qu’il distillait après les avoir triées, alimentées. Max-Si-Ali a passé une grande partie de sa vie syndicale (il était technicien supérieur affecté à un poste fictif) à combattre contre vents et marées pour que « goffat el aïd » (1), un panier (au féminin en arabe « goffa ») de produits de première nécessité soit attribuée aux travailleurs, et reconduite chaque année. C’était sa traduction intime du Manifeste.

Le couffin qui nous avait été offert (merci le syndicat, merci patron) le mardi 9 et mercredi 10 juin était bien conséquent. C’était pour chacun ou le 9 ou le 10, le matin ou l’après-midi, à 9h15 ou 30 ou plus tard à 14h00, 15, 45 etc, selon le poste qu’on occupait, le service, le département, la sous-structure, tout était calculé et précisé au quart d’heure, à l’encre noire dans un grand tableau blanc Excel (42X30) démultiplié en autant d’exemplaires qu’il y avait de lieux d’affichage. Tout le monde était concerné, de la femme de ménage au cadre le plus gradé. Tout le monde. Le tableau était scotché, punaisé ou agrafé à l’entrée des départements, des services, des sections, sur la porte du local syndical, et bien sûr sur la porte et les murs de la Coopérative syndicale). C’était la Grande Révolution prolétarienne de notre secrétaire maison, en branle. Deux gros tampons l’accompagnant : celui du Syndicat – encre bleue – et celui de la Direction – encre rouge –, main dans la main et drôles de couleurs. L’aïd du mouton est tombé le week-end suivant. Max-Si-Ali était comme le père Noël, et rouge comme lui et comme son ancêtre idéologique. Un grand syndicaliste, très apprécié – malgré tout – par tous les directeurs sous-directeurs, cadres divers successifs. Les travailleurs aussi, mais ceux-ci n’avaient pas d’autres choix. Max-Si-Ali avait du mordant, du bagou, de la répartie, mais il ne fallait jamais évoquer devant lui ou le directeur les conditions de travail des chaudronniers, des manœuvres ou des saisonniers par exemple. Jamais évoquer les relations qu’entretenaient avec eux les petits-chefs, jamais évoquer les décisions unilatérales. Cela risquait de le rendre plus rouge encore.  

Max-Si-Ali a couru donc comme une flèche pour être le premier à donner la mauvaise nouvelle comme un augure écrasé par les événements. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas seul dans le couloir, il a pris la direction de la Direction. Notre planète est sortie de ses gonds immémoriaux puis s’est arrêtée de tourner le temps d’une rotation. « Ils l’ont eu » me suis-je entendu chuchoter. Toutes les télés du monde se sont brusquement tournées vers nous. Nous étions de nouveau le cœur d’un monde malsain et incertain. L’Amérique latine en mauvaise copie, très mauvaise. Les télés ne parlaient que de ce terrible drame et le film de l’événement repassait en boucle. « Le chef de l’État algérien, Mohamed Boudiaf a été assassiné ce matin à Annaba, à 600 km d’Alger. Le président algérien était en train d’inaugurer une maison de la Culture… » a annoncé Paul Amar en ouverture du journal 19/20 de FR3. Des lots d’images, par dizaines, se bousculaient dans mon esprit. 

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA TÉLÉ _ F3 SUR L’ASSASSINAT DE MOHAMED BOUDIAF_ 29 JUIN 1992

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Asie centrale, Mai 2022

Samedi 7 mai 2022

Nous y sommes donc depuis hier matin samedi 7 mai. ‘Y’ renvoie à la belle orientale, Tachkent. Capitale de l’Ouzbékistan. J’ai cherché Youssef Z. mais pas la moindre ombre. Je lui avais promis pourtant promis que je passerai. Dix heures d’avion c’est éprouvant. Je vous donne en aperçu ces quelques images. La suite viendra au fur et à mesure de notre (V et moi) enfoncement dans le pays. Car nous avons l’intention de nous y égarer. Lundi est jour férié (libération des nazis par l’armée soviétique, à l’époque, armée de l’URSS et donc de l’Ouzbekistan). Un petit tour au nord-est de la capitale, visite de mosquées puis en son cœur avec Timur. On voit à l’image Timur (Grand conquérant (et massacreur)) ou Tamerlan sur son cheval de guerre.

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L’Émir ABDELKADER au MUCEM

Je me suis rendu hier lundi, tôt le matin, au « Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée » de Marseille ou MUCEM. Il faisait bon, peut-être un peu frais encore à cette-là, 10 heures, heure de l’ouverture. Par cette exposition, qui a été inaugurée le 5 avril dernier et qui se tient jusqu’au 22 août, on entend « remettre en lumière la figure d’Abd el-Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle » (web du Mucem).

C’est lui-même, l’Émir Abdelkader, qui m’accueille à l’entrée du musée, avec sa djellaba blanche. Il porte dans sa main gauche un grand chapelet. Je le salut, son regard est serein, sa posture est quand-même un peu figée. Ce retour en France et toute cette lumière portées sur lui, le perturbent peut-être un peu. Je me dirige à la billetterie « c’est pour l’ L’exposition sur l’Émir Abd el-Kader » (11€, au 2° étage).

Dès l’entrée, la première salle (il y en a plusieurs) je suis emporté. On est mis en situation. La campagne d’Égypte et la défaite française face aux Anglais. En Méditerranée, Napoléon 1° observe la côte algérienne grâce à son espion, le capitaine Boutin, en 1808, l’année de naissance à El Guettana (Mascara) de Abdel-Kader ben Mohi Eddine qui sera (ainsi est-il présenté sur la page du Mucem : « Émir de la résistance, saint combattant, fondateur de l’État algérien, précurseur de la codification du droit humanitaire moderne, guerrier, homme d’État, apôtre… » En 1832, à 22 ans, il succède à son père dans la résistance à l’armée coloniale. J’admire le beau sabre qu’il a porté pour défendre les siens et la selle d’apparat. Et ses chéchias dans un style qui n’a plus cours aujourd’hui en Algérie. La sacoche de selle, ‘‘dejbida’’, est magnifique, « brodée de fleurs et d’arabesques sur son rabat extérieur ». L’Émir cherche des appuis internationaux, comme par ce courrier de 1840 adressé au consul des États-Unis. Les chapelets et le Coran ne le quittent pas. Dans la salle suivante un grand tableau montre la Smalah (zmala) de l’Émir : mille à deux mille tentes organisées en cercles d’une quinzaine de tente chacun (des zmala) avec les familles, les guerriers.

La défaite devant l’occupant oblige Abdelkader au retrait. Ce qu’il fait en se rendant au Maroc qui lui offre son aide. Le sultan est lui aussi défait lors de la bataille d’Isly (1844). Les luttes de l’Émir se poursuivent autrement. En 1847, l’Émir se rend contre la promesse que les autorités françaises le laisser se rendre en Orient arabe.

D’autres résistants à l’invasion françaises se mobilisent à l’instar de Cherif Boubaghla (ses restes furent rapatriés de France en juillet 2020) et Fatma N’Soumer tous deux en Kabylie. N’Soumer sera capturée. Elle mourra en prison six années plus tard, en 1863. L’Émir sera d’abord emprisonné dans le château d’Amboise durant cinq années. Il y écrit beaucoup. Des courriers à des hommes politiques, mais aussi de la poésie.

Pour sa propre image, « pour sa gloire » Napoléon III fera de l’Émir un grand ami de la France, alors que l’Émir ne pense qu’à une seule chose, quitter la France. Il s’installe en Turquie, dans la ville de Borsa « Bourse, la ville sainte » qu’il quitte l’année du terrible tremblement de terre en 1855 pour s’installer à Damas, « sur les traces d’Ibn Arabi ». L’Émir Abdelkader meurt en 1883 à Damas où il sera inhumé. Le 6 juillet 1966 ses cendres sont rapatriées en Algérie, au cimetière des Martyrs.

Tombeau de l’Emir à Damas
Rapatriement des restes de l’Emir Abdelkader vers le carré des Martyrs _Alger 1966

Je n’ai pas vu passer les deux heures dans cette exposition. La 24° journée de ramadan glissa entre mes pensées et mon corps, mais on peut passer quatre heures dans l’exposition, à l’aise, tant il y a à voir, à lire, à apprécier. J’aurais souhaité mille expositions comme celle-ci sur 1001 sujets…. En Algérie même. Ah oui, mais y a le foot l’arrogance et le j’m’en-foutisme, c’est vrai. Hélas.

À Marseille, le 26 avril 2022

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CLIQUER ICI POUR LIRE LA CONFÉRENCE DE KATEB YACINE (il a 17 ans) SUR L’ÉMIR ABDELKADER

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https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/abd-el-kader

mais aussi : https://www.youtube.com/watch?v=lwQhFyQk0lk

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Oui, c’est mon dernier jour au SILA.

Mais avant de prendre la route, je prépare une courte vidéo de remerciements aux participants à l’atelier d’écriture créative que j’ai animé le 5 courant à Oran ainsi qu’aux responsables de l’Institut français à Oran.

Je file au SILA vers 13 heures. Je me rends au stand de Livrescq. Échanges avec Nadia S. Puis je me rends au stand de Frantz Fanon. Rabeh Sebaa dédicace ses ouvrages. Je lui dédicace mon recueil, il m’offre Fahla dédicacé.

Un dernier tour à la brasserie. On se prépare au match retour comptant pour les éliminatoires de la coupe du monde au Qatar. L’Algérie reçoit le Caméroun. Le match ne commence qu’à 20h30 et non à 17 heures comme je le croyais moi qui commençais à m’installer.

Je m’arrête là. Exténué. Je dois préparer mes affaires pour demain.

Je vous dis à bientôt et merci pour votre suivi.

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

J’achève d’écrire et de mettre au propre le texte concernant la journée d’hier dimanche au SILA et le poste sur Facebook, sur mon site web et sur mon blog (du boulot !) Si le Si la fa mi ré do… Je recommence : si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et de ses intervenants en proposant un programme détaillé, global, c’est-à-dire informer sur les intervenants (avec trois lignes de présentation), préciser les dates et heures d’intervention, les stands concernés, (ce qui est le minimum syndical de la moindre organisation de quartier proposant des intervenants), quitte à payer une pub quotidienne dans les journaux (le SILA – ou sa hiérarchie – peut se le permettre non ?). Et si le SILA (ou sa hiérarchie ne peux pas) je leur propose de vendre un dépliant simple avec les éléments dont j’ai parlé d’une, de deux ou de trois feuilles 21X27 ou feuillets de 10X17, aux visiteurs intéressés bon sang. Et s’ils n’ont pas d’employés à même de faire ce travail, je me propose d’y plonger bénévolement ! (qu’ils me paient le voyage seulement et je fais le reste) Tant qu’à faire…

Je disais donc que si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et des intervenants en proposant un programme détaillé, je le feuilletterais d’abord et préparerais ma journée en conséquence, avant de sortir de l’hôtel. Mais tel n’est pas le cas. Nous sommes à 25 années de SILA (quelle importante expérience !) et nous avançons comme des pieds nickelés, comme des débutants. Les gens errent au gré du vent (il y a un vent étrange à l’intérieur) dans les allées de « la foire ». Moi aussi, du coup, j’y vais plus ou moins au pif en passant et repassant devant les mêmes stands. « Tel auteur est programmée ? » les réponses entendues : « euh, je sais pas » « c’est pas ici » « c’était hier » « allez voir là-bas », « attendez, je demande à mon collègue » et j’en passe.

C’est le trafic et le hasard qui règnent. Je n’ai rien écrit à ce propos le premier jour en me disant que le lendemain, peut-être que. Je n’ai rien écrit le deuxième jour en me disant que le lendemain, peut-être. Je n’ai rien écrit le troisième jour en me disant que le lendemain… nous voilà bientôt à la fin du salon et c’est kifkif, du premier au dernier jour. Alors oui, peut-être que « le SILA est le plus important (en quantité) salon du livre du monde », mais c’est surtout le plus b… (en 6 consonnes et 4 voyelles). Ils doivent bien se marrer tous ces étrangers qui en ont fait l’expérience ! Ah je sais. D’accord, d’accord certains me diront « oui mais nous sommes les meilleurs, Wane tou tri… » je leur dirais gentiment « allez, passez, s’il vous plaît, passez. J’en ai ras la casquette de votre ‘Nous’ exacerbé », idiot, insensé.

C’était un coup de gueule pour un espoir d’amélioration. On peut toujours rêver. Quant à l’hôtel qui m’héberge bon sang (pour 3500 da il est vrai), je pourrais écrire trois pages sur les économies de bout de chandelle : PQ, serviette, eau, pas de beurre, le même petit récipient de confiture qui circule de client à client sans qu’il (le client) le sache…et sur cette télé qui ne diffuse que très médiocrement trois ou quatre chaînes à vomir sauf une (TV5 Monde). Les images à l’écran sautillent sans arrêt au point que cela donne envie de sautiller comme un malade avec elle. Comme je ne le suis pas, j’ éteins. « T’as qu’à aller au Sofitel ou au Soltane hôtel » diraient d’aucuns. Oui mais.

Excusez-moi, je sors du sujet, qui est le SILA. Je finis juste pour dire que tous les employés de l’hôtel sans exception aucune sont formidables. Le trafic ne vient pas d’eux évidemment. Mais Allah ghaleb. Venons-en à nos agneaux si vous le voulez bien, (jusque-là je parlais des moutons). Les journaux présentent des programmes incomplets, favorisant ceux de telle maison d’édition… négligeant les autres.

J’achète Liberté. « El Watan khlass ». Je me trouve au SILA vers 13 heures. Bouche de métro « Boumendjel ». Vous vous souvenez de la petite musique « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » (lire mon texte du 25 mars), vous vous en souvenez ? Eh bé elle est là encore ce matin. Purée, comment m’en défaire ? Vous me diriez « n’y pense plus ! » Sauf que c’est elle qui pense à moi.

J’ai oublié de vous dire qu’il on ne court pas comme les malades de Paris. Ni derrière un bus, ni vers une bouche de métro, ni pour rattraper un tram sur le point de déguerpir. On attend le suivant. Dans le métro, une dame (vieille) qui voulait s’assoir entre moi et une femme sur ma droite, me dit « pousse-toi » avec un geste de sa main droite significativement désagréable. Je ne lui ai pourtant rien dit, rien fait. Je ne la connais pas. Ma casquette a dû la perturber. Meskina.

Peu avant de prendre le tram, à Ruisseau, j’achète El Watan. Mais avant de prendre le tram il me faut trouver un café… cela devient urgent. Je n’entrerai pas dans les détails, mais lorsque vous aurez mon âge vous comprendrez tout le drame (n’exagérons rien) lié à la question de la prostate, de l’urètre, de la vessie… Alors vite un café. Ce sera le joli « Café little Alger » à deux cents mètres de la station. Une café, une bouteille d’eau (150 ? je ne sais plus). Très joli et très propre, au rez de chaussée, à l’étage, aux wc (avec douche je vous promets !). Retenez son nom (photo).

J’ouvre Liberté. Les pages centrales, « Culture », sont consacrées à la littérature.

a- un article sur Lynda Chouiten : « De retour aujourd’hui au SILA »

b- un autre sur « la restitution des œuvres d’art à l’Afrique »

c- un texte sur « L’intertextualité et la question migratoire »

d- un article sur la rencontre avec Kamel Daoud et son dernier ouvrage avec Depardon : « Notre livre est un regard dans l’histoire » (je me suis demandé en lisant cet article, si sa signataire était bien présente à l’intervention de K. Daoud. « Ya comme un décalage » comme qui dirait.

e- un entretien avec Jamila Rahal « L’Histoire est le fil conducteur de ce récit romanesque. »

Noter pour la suite (El Watan) que Kamel Daoud et Jamila Rahal furent (ou sont) journalistes.

El Watan consacre trois pages à la littérature (pages « Culture » 17, 18, 19).

La page 17 est réservée à des journalistes du même journal ! (on n’est jamais mieux servi que par soi-même mon frère ! pas de retenue. Aucune. Bla hachma, bla… 

D’abord un trois quart de page est consacré au journaliste maison (j’apprécie l’écriture de ses reportages) Benfodil « Homme de lettres, de planches et de médias notre confrère et ami… » (c’est en tout cas sincère et lacrymal). Vive nous, vive l’Algérie.

Un quart serré est réservé à « Le Hic » : « notre collègue d’El Watan, le dessinateur, le caricaturiste, le bédéiste, celui qui croque l’actualité quotidiennement… » N’en jetez pas s’il vous plaît ! Merci pour lui.

Je vous promets que Bourdieu (Allah yerhmou) aurait complété ses thèses sur les médias français avec l’expérience algérienne ! (âynani quoi !) …

Dans le SILA j’ai l’impression de tourner en rond. Qui est où, quand ? (voir début de ce texte). Je tourne et retourne. Chez Frantz Fanon il y a l’inénarrable Laâlam (Le Soir). Un cas spécial çui-là tiens… passons. Il y a aussi le cinéaste Ifticène qui a écrit je ne sais quoi.

Mon ami FB, Lamine Benallou m’a demandé de passer le bonjour au gérant. Il est absent, alors j’ai écrit ce mot (photo) devant son livre « Les vies (multiples) d’Adam » : « Cette nuit-là je rêvai que je visitais le cimetière de la vieille ville où était enterré mon père » (incipit). 

Aux éditions Casbah, je vais à la rencontre de Lynda Chouiten qui dédicace son dernier ouvrage « Des rêves à leur portée », un recueil de nouvelles que j’achète et qu’elle me dédicace. Discussion…

Au stand officiel du ministère on vous accueille avec ce titre « Ministry Of Culture and Arts ». Le français est out. C’est pitoyable, risible et ridicule. Il y a une ancienne ministre de la culture, foulard bleu et joli sac de courses, fille de son père, chaudement applaudie et criblée de flash (pas de flash non) lorsqu’elle arrive en pleine séance.

Je rentre la tête pleine d’espoir et d’incertitude. Dans le tram, je ne sais si on rigole sincèrement ou si on se moque condescendamment (pardon !) de cette jeune fillette, a peine âgée de 8 ou 10 ans et qui porte sa sœur ou frère de deux ans sur le dos en faisant la manche. Elle parle avec un accent du sud, du grand sud. Coquine et maligne, elle s’adresse parfois à des jeunes filles en leur disant « Rabbi I zewjek, yerham jeddek twelli papicha mengoucha. Allah yaâtiq emmouh, emmouh alik, Barboussa » toute la rame est aux éclats, mais rares sont ceux qui mettent la main à la poche. Je lui donne une pièce. Elle est déjà descendue du tram à « Tripoli Taâlibi » où l’attendent cinq ou six mamas africaines assises à même le sol avec et leurs enfants demi-nus. La fillette leur remet le contenu de la boite. Cette fille est étrangère. Elle est noire. Elle mendie pour manger. Riez si vous voulez.

La Brasserie est un havre de repos. TV, brouhaha… Un match de tennis encore. Be In fait sa loi. 

Un gars (un colosse) est venu s’assoir à la table à côté (50 cmX50) de sorte qu’il me fait presque face. Il a le regard vide. Pensif. Je ne saurais dire de quel pays il vient. « Un Égyptien ? ». Ce silence est gênant. Sur ma gauche, un jeune gars chante en pianotant sur son téléphone (il porte des oreillettes). Il semble être en direct sur je ne sais quelle plateforme. Il chante sans gêne à son ami ou amie. À l’aise. On parle derrière mon dos. J’entends « Front de mer, Oran… » Je me retourne. Mais c’est bien lui ! Salamalecs… Sbaâ me donne rendez-vous pour le lendemain (mardi 29) au stand Frantz Fanon « je t’offrirai ma Fahla ». Celle qu’il a là en sa compagnie « lui pose quelques questions… »

(Encore une fois mes textes sont écrits à la volée. Je ne les relis quasiment pas. Pas le temps.)

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Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

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Espace L’ivrEscQ –

Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

Je me suis réveillé ce matin de dimanche « avec une heure de sommeil en plus » ai-je pensé. « 9h ? », mais il est tard. Ça ne peut être que ce satané changement d’heure pratiqué en France qui a déboussolé mon ordinateur. J’ai oublié de lui dire que nous n’étions plus en France depuis bientôt un mois. Non, il ne doit être que huit heures. « Et si je posais la question aux facebookers ? » Et ça marche. « 9h10 répond illico Khaled B. Oui mais « de quelle capitale ? » demande Kheir-eddine O., « Trop tard ! C’est déjà passé ! » me répond avec un brin d’ironie mon amie Catherine P. Ratiba B. est sans appel « 9h23 à Oran ». Oui, mais je ne suis pas à Oran. Certaines réponses sont étranges. Tenez, Farid B écrit « 9h18 mb » mb ? Ou ces deux qui se paient gentiment ma tête : Bachir M. qui se réjouit : « T’as vu ? une question que tout le monde se pose ces derniers temps » et son amie Lila M. qui lui répond : « tout le monde est devenu très bizarre ». Bizarre, bizarre, elle me trouve bizarre… Toutes ces réponses (elles sont nombreuses) m’embrouillent. Alors je le dis. Je l’écris :  « Finalement vous m’avez plus embrouillé. Vous m’avez donné l’heure qu’il était (selon que vous êtes ici ou là) au moment où je vous posais la question. Mais cette heure n’est plus la bonne à cette heure-ci. Je vous remercie mais j’abandonne… » Puis ce fut le silence. Non mais ! Finalement, mon ordinateur n’est pas si sot ou niais que ça. « 10h17 » maintenant. En France où les gens courent derrière le métro, le train, et le temps tout le temps il est 11h17, peut-être même 11h 20, ou….

Allez, rebelote ici à Alger : métro, tram, Sila. Au ‘pré carré’ Sédia j’y retrouve N. Salamalecs sincères. Une jeune femme dévouée, alerte et fort sympathique. Je lui offre mon dernier roman (2017 quand-même) « Le Choc des ombres » édité en France. Chez L’ivrEscQ je rencontre de nouvelles personnes qui poétisent amicalement ; Je me joins à leurs échanges. Nadia S. diffuse les interventions sur FB en direct. Il y a Zahra Benmeziane, membre de l’atelier d’écriture Femmes Oran,Fayza Stambouli Acitani (roman « Les murailles de l’interdit »), Ouarda Baziz Cherifi (roman « Comme un coup de massue ») Nadia Sebkhi, écrivaine et responsable du stand et d’autres. 

À Casbah éditions j’achète le dernier Anouar Benmalek « L’amour au temps des scélérats ». « Une histoire d’amour dans un des lieux les plus outragés de la planète par l’intolérance religieuse, la guerre perpétuelle, la tyrannie meurtrière : le Proche-Orient. » lit-on en 4° de couv. Je vais à sa rencontre pour une dédicace. À condition dit-il en plaisantant que je lui dédicace mon recueil de poésie. C’est fait. Il y a longtemps nous avions passé de bons moments à Paris lors d’un Salon du livre de Paris notamment… C’était en février 2011, cela me revient… une belle soirée. Il y avait Senouci (Allah yerhmeh), BHS, H (disparu) Nous nous sommes attablés à « L’Étincelle » (angle rue du Bourg Tibourg et Rivoli) à deux pas de la mairie centrale. Il y avait aussi une troublante Yas avec de grandes boucles gitanes pendues aux oreilles qui accompagnait (me semble-t-il, me semble-t-il) Anouar Benmalek. Belle soirée quoique gâchée par les interventions intempestives de notre ami (tout de même) le regretté « La Snousse »… J’écrirais des pages sur mon ami décédé (avec lequel j’ai usé mon froc sur les bancs sales d’Oran durant les exécrables années Boum – nous étions tout un groupe et j’étais (considéré) la dernière roue du carrosse)… Benmalek me donne la sensation que son esprit s’embrouille (lui aussi). Je ne le retiens pas, des personnes attendent leur dédicace.

Je ne m’attarde pas au Salon. Trop de monde, comme hier. On y étouffe. Retour au centre d’Alger. Dépose mon sac chargé. La brasserie est bondée, enfumée… S’installer près de la grande fenêtre. L’ouvrir. Regarder bouche bée le grand écran qui diffuse (Be In) une partie de tennis internationale, en direct de Miami. Et dehors c’est l’enfer des klaxons. Plus tard je prendrais une « couisse jaj » (aile de poulet 300 DA).

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Hier soir sur Facebook, un gars (un journaliste) écrivait que l’écrivain algéro-français Anouar Abdelmalek était le Faulkner algérien. Dans ce pays on franchit les limites comme on traverse à pied une autoroute nonchalamment, sans crainte de mourir de ridicule ou de mourir tout court. Je sursaute. Il me répond « ce sont des spécialistes qui le disent ». Ce monde est décidément surpeuplé de spécialistes de tout et de rien. Faut pas prendre les enfants du Bon dieu pour des canards sauvages !

Ce matin l’employé de l’hôtel chargé du petit déj me pose cette question alors que je suis plongé dans mes pensées complexes. Il m’apostrophe « le bateau c’est aujourd’hui ? » Je suis surpris. J’ai dû mettre trois minutes sans lui répondre. Dans mes yeux il devait y avoir une lueur telle, qu’il s’est cru obligé de répéter. J’ai bien entendu lui dis-je, mais je n’ai pas compris « wallah ma fhemt ». Que vient faire un bateau ici à cette-heure-ci ? ai-je pensé.

Je lui réponds un peu au petit bonheur la chance « je ne prends pas le bateau, je suis encore à l’hôtel pour quelques jours ». Cette fois je me persuade, au vu de la tête qu’il fait, que c’est lui qui n’a pas compris où je voulais en venir. À question hasardeuse ou farfelue, réponse aléatoire ou bizarre.

Métro, tram, SILA_ Liberté titre en Une « Les verts battent les camerounais à Japoma – À un pas du mondial » La première partie en noir, la seconde en rouge. Une foule considérable dans le tram, et à l’entrée du Salon. La fouille est d’autant méticuleuse au portillon, que la densité de la foule croît. Foule et fouille rimerait. Le « trombone » de mon téléphone portable, accroché au trousseau de clé et dont la pointe a troué mon sac à dos intrigue le vigile « wechnou hadi li tchouk ? »

Ouvrir le sac à dos, extraire le trombone, sourire satisfait de l’agent de la sécurité.

Au Stand Frantz Fanon le patron, Ingrachène les bras croisés sur le ventre, semble repus. Grands sourires à la dame qui lui fait face,  ravie elle aussi. La foule dans les allées est impressionnante. On se croirait au Hammam, bain turc, sauna ou au sudatoire. Au stand de La Délégation de l’Union Européenne, deux personnes dont un conteur répondent au public : Mata Barrio Garcia-Agullo et Seddik Mahi Meslem très convaincu et convainquant. Un rapide coup d’œil au stand du Ministère de la Culture et des Arts. Un professeur d’université (Mostapha Bey ?) est en intervention. Je ne choisis pas les stands. J’avance au gré du mouvement de la foule et des espaces de respiration.

Allez, je sors m’aérer. Sandwich au fromage et eau de source (350 da) à l’un des nombreux kiosques. 

14H : au stand des éditions Sédia, la table est installée avec au-dessus trois belles piles de mon recueil. Et le calme est plat. Où sont-ils tous passés ? Le calme est trompeur, car revoilà la foule. On se bouscule de nouveau y compris dans le stand, pourtant assez grand. C’est maintenant le rush. Je signe à tour de bras. Comment se sont-ils donné le mot ? d’où me connaissent-ils ? Une ruche et photos avec. Vingt à trente minutes étourdissantes. Le summum est atteint lorsqu’un groupe d’élèves, orientés par leur enseignant se ruent sur la table. On me parle en kabyle, je réponds comme je peux, souvent en français qu’ils ont l’air de mieux comprendre que mon arabe oranais. Ils sont heureux, gesticulent, répètent à l’envie mon nom de famille…. 

Je me suis dis : « c’est pas possible, ils connaissent mes écrits ! ils les ont étudiés à l’école ! » et d’autres sornettes. Mais non, mais non, pas du tout ! Il a fallu l’intervention de leur enseignant pour que je saisisse le sens de tout ce chmilblik. Le professeur me donne la clé de ce chahut de gamins fort sympathiques. Il s’avère que mon nom de famille est porté par quelques-uns parmi eux (ou parmi leurs amis et voisins je n’ai pas saisi). Ils ont quitté le stand et celui-ci s’est apaisé. Nous avec. Je remercie N. et Z. pour ce formidable moment. Merci, merci.

15h30. Au stand Barzakh, il y a d’abord Alice Kaplan qui dédicace sont dernier écrit, un roman dont la source sont des faits réels : « La maison Atlas ». Un peu plus tard c’est Kamel Daoud qui entre. Il présente son dernier ouvrage écrit avec la collaboration de Raymond Depardon (pour les photos). Beau livre mais un peu cher quand-même : 3500 da. Je filme la séance.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDEO KAMEL DAOUD ET SOFIANE HADJADJ

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Je m’arrête là. À demain

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Le temps est gris ce matin (l’auxiliaire être – et les autres verbes – seront au présent. J’adore le présent. J’abandonne le passé utilisé hier et avant-hier. Aujourd’hui c’est donc le présent. Le temps est gris et tristounet. Mais bon, ça va quoi. Les rues sont désertes. Il est huit heures du matin. Nous sommes vendredi, jour du seigneur chez nous. Il a le vendredi ici, le dimanche ailleurs. Le vendredi est un jour de repos pour beaucoup. Jour de repos et de respiration non stressée, cool.

Dans la rame de métro, (je l’ai pris à Boumendjel) nous sommes à peine une vingtaine. Direction El Harrach ou Aïn Naadja, arrêt à la station Les Fusillés, puis le tram. Prix du billet, un combiné des deux moyens de transport, 70 dinars (32 centimes d’€ environ). Il me semble avoir précisé les noms de mes arrêts dans le billet d’hier : Les Fusillés, puis La foire. Les moteurs du métro et autres portes qui s’ouvrent, se ferment, haut-parleurs, rappel des noms des stations, « prochaine station Hamma… El Hamma, Hamma, descente à droite… prochaine station Jardin d’Essai » etc. Dans la rame les gens sont silencieux. Vendredi oblige. Je descends à l’arrêt Les Fusillés, une grand esplanade bien calme. Là aussi c’est vendredi. Voilà le tram. Nonchalant. C’est vendredi. Ici Ruisseau est le terminus du tram et point de départ pour Dergana. Il est 8h35 et patientons de longues minutes avant la mise en branle du Tram. Derrière moi des collégiennes, comme nous sommes vendredi disons des jeunes filles, rigolent. J’aurais écrit « collégiennes » si nous étions un jour ouvré. Mais nous sommes un vendredi. À l’extérieur une vieille dame habillée d’une longue robe rouge tire une sorte de Caddy, rouge lui aussi. Environ 75% des voyageurs (dans le tram comme dans le métro) portent le masque de protection anti-Covid (une partie des personnes le portent sous le nez ou sous le menton). 8h42, claquement des portes. « Prochaine station Les Fusillés ». Deux fois la même station Les Fusillés ? Non, et je m’explique. La station « Les Fusillés » du métro n’est pas la station « Les Fusillés » du tram. Il y a entre les deux stations qui portent le même nom, environ deux ou trois kilomètres de distance. Le tram démarre, puis on entend « Veuillez vous éloigner des portes ». Erreur ou non ? 

9h10 : « la foire d’Alger, Qasr el maârid ». En arabe il est dit « Palais des expositions » et en français « La foire ». Beaucoup de personnes descendent. L’entrée se situe aujourd’hui, juste là à peine deux cents mètres de l’arrêt du tram (ou quatre cents). 

9h 20. Les portes du Salon sont closes. L’heure H est peut-être fixée à 10 heures, ou midi ? Il n’y a nulle information, nulle part. les gens sont courageux. « On y va âla Allah ». En attendant je prends un café bien noir (capsule) et une grande bouteille d’eau « 13 mille » (deux tickets de transport combinés). Dans ma tête un refrain patriotique trotte depuis hier matin. Dès que j’y pense je m’entends (façon de parler) proclamer « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa !  Mes amis n’oubliez pas les martyrs ! » (extrait du « Chant des martyrs »). Cela a commencé hier disais-je. J’étais dans un café à siroter un thé (non loin de l’hôtel, derrière la rue de Tanger) et à lire mon journal. À mes côtés deux amis blaguaient. L’un des deux, pour probablement détendre l’atmosphère entre lui et son camarade, ou pour interrompre son discours ou pour je ne sais quoi , fredonnait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! ». Pas une fois pas deux et il recommençait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » M’empêchant de me concentrer sur le journal. Je lisais Liberté (qui a consacré un article sympa sur moi en page 12). Ce refrain ne me quitte plus depuis ce moment-là.

Il est 10h 17 lorsque brusquement, un mouvement de foule se manifeste devant la grande entrée. En deux temps, trois mouvements, nous voilà à l’intérieur. On circule dans les allées idéalement. Je suis persuadé que cet après-midi ce sera autre chose. Je galère au pif, à gauche à droite, derrière, devant, en haut… tout en prenant des photos et en filmant (sinon comment enjoliver cet article ?)

Me voilà devant Barzakh éditions (les plus chics, les plus réputées, les plus snobs aussi ?) À deux pas de cette maison, une autre, aussi connue, celle qui m’a fait confiance, la maison d’édition Sédia. « Tiens, bonjour madame ZG » « bonjour monsieur H » (c’est moi). Échanges polis. Je suis étonné de ne pas voir de romans, pis encore, nulle trace de mon recueil « Poèmes inédits ». What’s that ? Finalement ZG m’explique qu’ils ont trois stands au SILA et derechef m’emmène vers celui – plus grand, plus aéré – où figure en bonne place (centrale) mon recueil de poésie posé (une pile) sur une table et cerné par trois chaises en prévision du moment de dédicaces (prévu pour demain samedi 26 à 14 heures). Je salue NK qui s’y trouve. Très avenante. Échanges. Demain j’achèterai le beau livre de Ali Benmakhlouf sur les philosophes arabes que j’ai vu chez Sedia. J’aime beaucoup ce que fait Ali Benmakhlouf (j’ai lu nombre de ses ouvrages lorsque je préparais un article, long article sur Ibn Rochd (publié par Le Quotidien d’Oran).

Je reviens sur la précédente allée. Chez Barzakh. J’achète deux romans. Le premier a bénéficié d’un grand tapage médiatique. Il s’agit de Nihed El-Alia « Minuit à Alger (une femme dans les nuits, certainement bourgeoises, d’Alger « brûlant sa vie par les deux bouts » (800 da) et l’autre, de par son auteur, se suffit à lui-même, « Maison Atlas » de Alice Kaplan (1000 da). Le boss, Sofiane Hadjadj, range, répond aux interviews, donne des ordres, s’agite… Je le salue, lui tends une main qu’il hésite à prendre. J’enlève mon masque un moment « c’est Hanifi… combien de fois n’avions- nous pas échangé à Aix, à Marseille, à Paris… » (dans les années 90 et 2000, je l’avais même soutenu dans les débats, encouragé… sa maison n’existait même pas alors). Il fait « Ah oui » pas très convaincant. J’ajoute « Vous allez bien ? » Il poursuit son rangement la tête baissée. Pas une minute à perdre. Pas le temps. Il répond toutefois, mais montre un soupçon d’agacement. Je lui montre « Minuit à Alger » et lui demande ce qu’il en pense, lui demande si sur le plan littéraire il pèse un chouia. Sa réponse « il faut l’essayer, moi je vends des livres c’est tout ». Monsieur a pris du poil de la bête et du poids. Me déçoit. Le stand est envahi de caméras. Aussitôt se rend disponible. Je règle et fiche le camp.

Voilà un stand plus sympa ! Le hasard fait bien les choses. C’est celui de LivrEscq, celui de la charmante Nadia Sebkhi. On échange longuement, on se rappelle du Forum International du Roman décembre 2015  (ici :http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2015/12/526-forum-international-du-roman.html ), un Forum qu’elle a organisé en collaboration avec le Ministère de la culture et auquel elle m’avait convié. Je la remercie encore. À ses côtés une charmante dame également qui représente le Prix littéraire Fetkann Maryse Condé (fetkann.fr)… longue discussion. Il y a aussi deux autres auteurs dont « le doyen des caricaturistes algériens ».

Je quitte le Pavillon central. Il y a deux autres ailes que je m’emploierai à visiter plus tard.

Tram, métro, hôtel… Comme c’est vendredi, la respiration et la cadence sont cool. Avant de manger il faut se serrer la ceinture. Tout est fermé (photos). Patienter jusqu’à la sortie des mosquées. Ce sera vers 14h30 et plus.

À demain pour la suite.

(et pardonnez mon écriture un peu sèche. Le travail de mise au propre, textes, vidéos, photos est exténuant).

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Image stations de métro = Google

Image stations = Google (Tram = en rouge)

Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

LES PHOTOS SE TROUVENT À LA SUITE DU TEXTE

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Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

Nous sommes jeudi 24 mars 2022. Aujourd’hui est le Jour J, ou D Day si vous préférez.

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On peut dire ici que le jour se lève non du fait de la luminosité qui pointe, de la terre qui tourne etc, ou du chant du coq (ah, « le chant du coq » ! qui se souvient de Leïla Boutaleb hein ? elle nous baratinait elle aussi, peut-être forcée), le jour se lève du fait des premiers bruits humains directs ou indirects : cris, klaxons… 7 heures. Tiens, pas d’eau chaude au cœur d’Alger à 7 heures. Trente minutes plus tard, je me suis rendu au salon de l’hôtel pour le petit déj.

Sur la route de la station de métro « Boumendjel » j’ai acheté El Watan et Liberté. Depuis que je viens à Alger (des années), je n’ai jamais pu acheter Le Quotidien d’Oran. Il n’y est pas distribué. C’est dingue ça pour le plus grand (ou l’un des plus grands) tirage de la presse francophone du pays. J’ai donc acheté la presse avant de prendre le métro, direction le Salon du livre (descendre à la station Les fusillés/ El maâdoumine, puis prendre le tram direction Dergana et descendre à la station « Palais des expositions »). 

J’ai parcouru les deux journaux. En page 2 de Liberté j’ai lu et relu un excellent article intitulé « Zemmour n’est pas une exclusivité française ». Le titre est quelque peu racoleur. Le texte traite essentiellement de l’attitude (j’allais écrire « la nature ») d’une grosse, très grosse majorité des Algériens à l’intolérance. L’article est argumenté et j’y adhère totalement (hormis quelques erreurs telles pour « se marier avec une non musulmane ? il faut se convertir », ou « nous sommes souvent racistes… même entre deux frères ou sœurs », et lorsque l’auteur (au fait il s’agit de Kamel Daoud, un nom qui bouscule, qui irrite, qui fait hérisser les cheveux, mais qui souvent dit vrai) et lorsque l’auteur disais-je dénonce avec des pincettes « le procès juste » néanmoins fait à l’Occident. Il aurait pu enfoncer le clou. Bref le reste est un régal. Écoutez ou plutôt lisez cet extrait composé de deux phrases, deux : « Peu à peu, à cause d’une école sinistrée, du manque de voyages et de rencontres, de la faillite de l’altérité, de la mainmise des féodalités sur les mentalités, d’un retour au Moyen-Âge au nom de la religion, de l’enfermement sur soi et de l’obsession des frontières, de la Religion du dé-colonial permanent, quelque chose de maladif a pris le dessus sur l’Algérie d’autrefois. Pour certains, aujourd’hui, l’Algérie, c’est pour les Algériens dans la pureté religieuse, révolutionnaire, familiale, de vertu ou d’ascendance : le reste de l’humanité est constitué de gens trop pauvres pour être intéressants, ou de colonisateurs prédateurs même s’ils sont Danois ou Sibériens, et il faut les incriminer même pour nos poubelles qui débordent dans nos rues. » C’est chaud et remuant. Mais telle est la réalité des Algériens. Il suffit d’un miroir que la majorité refuse de regarder. Le regard porté sur les noirs, condescendant et raciste, je l’ai observé plusieurs fois à Oran. Des comportements qui perturbent notre humanité (« nous sommes musulmans ! »). Et après on crie au racisme des Européens (bien réel cependant), mais regardons-nous bon sang, regardons-nous dans un lisse miroir ! !

J’ai continué de feuilleter le journal lorsque je suis tombé sur les pages centrales, consacrées au SILA. Un encart est réservé à la quatrième de couverture de mon recueil « Poèmes inédits » y compris le texte de cette même quatrième. Une belle surprise.  

Je descends à la station « Palais des expositions » du tram. On entre par le parking. 300 mètres de marche ai-je entendu. Légère brise et soleil bien timide en cette heure, 8h50. Quelques dizaines de personnes avancent, accrochées pour la plupart à leurs téléphones. Des employés semblent quelque peu perdus, « c’est par ici », un autre  « c’est par là ». Et nous, nous suivons les consignes. En fait de 300 mètres se furent deux kilomètres. Une centaine de personnes se bousculent poliment aux guichets. « Je suis auteur, s’il vous plaît, est-ce que… » Inutile de poursuivre m’a répondu l’agent en faction. « Changez de chaîne, allez là-bas chercher un badge ». On lit sur les vitres des guichets « Accord », « Casbah », « Ahaggar »… Des noms improbables. Impossible d’avoir quelque laissez-passer. Le flux des véhicules était incessant, orienté par les intempestifs coups de sifflets d’agents de la sécurité ou de police.

Les gens qui n’ont pas accès au Salon, qui ne sont ni exposants, ni gestionnaires, ni grosses légumes, ni « employés du manège » ( ?) étaient contraints d’attendre. Ils observaient le remue-ménage ou bien s’asseyaient sur les rebords des trottoirs.

Un agent de police s’est approché du petit groupe de jeunes filles assises à mes côtés. Il était 10 heures 05. Il leur a demandé si elles étaient « employées ici », puis il a ajouté qu’il était « inutile d’attendre si vous n’êtes pas invitées ou employées ici. Vous attendez pour rien. L’ouverture au public c’est demain. » L’agent ne m’a rien demandé alors qu’il a vu que je le lorgnais du coin de l’œil et de l’oreille. Sur ce, j’ai quitté les lieux par le bas. Nous étions alors devant l’entrée officielle du Palais des expositions. Au bout de la route, un véhicule de police avec quatre policiers. L’un d’eux m’a renseigné. « Non, il n’y a pas de station de transport par ce côté-ci à moins de marcher une demie heure ». En face nous avons vue sur la grande mosquée d’Alger qu’on n’hésite pas avec fierté de qualifier « la plus grande mosquée d’Afrique et la troisième plus grande mosquée du monde. » D’autres n’hésiteraient pas à protester « on aurait pu construire une dizaine d’hôpitaux avec l’argent englouti là-dedans ! » J’ai entendu les deux expressions, justes toutes les deux.

Je reviens vers « la foire » (beaucoup disent « la foire » au lieu de Salon du livre ou Palais des expositions). Le K-Way bleu que je porte introduit de la confusion chez certains qui le prennent pour un costume officiel d’un agent non moins officiel, de sorte que plusieurs automobilistes ont ralenti à mon niveau, ouvrant leur vitre et demandant « le parking kho ? » et moi je jouais le jeu « au fond à droite », avec tout le sérieux nécessaire. Ou bien « C’est la foire de quoi cheikh ? « la foire des livres ». « Que des livres ? » « oui c’est la foire que des livres ». Et le gars d’accélérer en faisant la moue. Les personnes âgées me disaient « kho » (frère), les plus jeunes « cheikh », une seule personne m’a interpellé « si el hadj » (un jour peut-être). Il y a quelques années, (1998-2000 ?), j’habitais encore à Paris, j’avais subi la même expérience devant le Centre culturel Georges Pompidou (les grands tuyaux). J’attendais un ami, debout plus ou moins en faisant du surplace. De nombreuses personnes (une demie douzaine ?) sont venues me demander divers renseignements, me prenant pour un agent de garde de la grande Bibliothèque du Centre. Là aussi je portais une sorte de K. Way bleu, comme celui que je porte aujourd’hui (mais pas le même je vous rassure et il était plus épais).

L’heure avançait et l’affluence se développait. Les gens étaient de plus en plus nombreux assis sur les trottoirs. Rien n’a changé et j’en avais assez à cette heure-là, la onzième. J’en avais assez de tourner en rond. Je suis revenu à l’entrée principale. L’agent en faction a été catégorique « pas de badge pas d’entrée ». « Et le public qui attend ? » Il attend pour rien, l’entrée c’est demain » Il a ajouté « ou en fin de journée, vers 17 heures ». Il était 11h10 et j’en avais assez. Je suis rentré comme je suis venu. Après déjeuner, j’ai fait un tour à l’Institut français… puis suis rentré raconter ma journée aux Facebookers et à ceux qui me suive sur ahmedhanifi.com.

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Mon SILA au jour le jour : moins 1

LE TEXTE suit es photos

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LE REPERE

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

Le MAMA

L’ex librairie Charlot

Il pleut

VUE DE LA BAIE D’ALGER à partir de LA CASBAH

CENTRE DE FORMATION

LE MAMA

LE REPERE

UN SEUL HEROS…

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

METRO PLACE DES MARTYRS

LA BRASSERIE DES FACULTÉS

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Comme je l’ai fait par le passé (2014, 2015, 2016 etc.) je vous raconterai, en agrémentant mes textes de beaucoup de photos, « mon Salon du livre » au gré des jours, c’est-à-dire ce que j’ai vu, entendu, mes appréciations diverses etc. Il y aura donc pas mal de subjectivité. Je vous propose d’accepter cette vision des choses qui n’est pas (ne sera) peut-être pas la réalité objective telle que d’aucuns ou vous-mêmes le souhaiteriez. Elle est (sera) la mienne.

Nous sommes au soir du mercredi 23 mars 2022. Le temps est frais, mais il ne pleut plus sur Alger. La journée a pris des rides puis s’est évanouie. Les lumières fades de la ville (et d’ailleurs) ont remplacé la naturelle. La nuit est tombée et avec elle les couleurs se sont transformées, se sont éteintes ici, se sont faites discrètes là. Les bruits (infernaux) font les 2X8+8. La soirée est en mode troisième 8, c’est-à-dire repos, mais des passants braillent toutefois de temps en temps. Là (21h10) j’entends quelqu’un hurler et hurler encore « ya zizou !! ya zizou !! » Et il recommence. Son camarade (très certainement) se met à siffler. Je ferme les persiennes et la fenêtre de la chambre d’hôtel.

Dans la journée, les hauteurs d’Alger offraient de très belles vues sur la Méditerranée, mais le beau et célèbre café- restaurant de la haute Casbah, « Le Repère » est fermé ainsi que la mosquée Sidi Abdellah à côté.  Le peuple rêve d’être un jour « le seul héros » et nous le fait savoir en ‘graffitant’ le mur. J’ai dévalé les rues du quartier (plus vite que je ne les ai grimpées). Je suis descendu jusqu’au marché Randon, place des Martyrs en passant par l’Office d’enseignement et de formation à distance (ONEFD) . Il pleuvait beaucoup alors, comme je n’avais pas de parapluie, je me suis engouffré dans le métro.

À l’entrée de la Librairie du Tiers Monde des affiches publicitaires sur « Fehla » de Rabeh Sbaa que je salue (lundi dernier à Oran, nous avions pris un verre ensemble ainsi que notre ami commun Lakhdar A. qui lui, a écrit « Formation de formateurs, manuel opératoire d’un formateur ») et sur « Chroniques littéraires » de C. Chaulet-Achour… J’apprécie beaucoup Madame C.C.A. Un jour (il y a longtemps, à Paris) elle m’avait affirmé que l’une de ses étudiantes en lettres de Cergy Pontoise, une suédo-algérienne, « qui possède des bribes de trajectoires de votre personnage » avait choisi mon roman « Le Temps d’un aller simple » pour y travailler. Je n’ai jamais lu/vu trace nulle part de cette thèse. 

Je suis passé devant le MAMA (loin, très très loin du MoMA de New York, cela va sans dire) qui fait pitié. J’ai traîné du côté de l’ex rue Charras. La librairie de Monsieur Charlot, l’ami et premier éditeur d’Albert Camus, est à l’image du MAMA, puis je suis allé du côté de la faculté et de la Grande Brasserie qui porte son nom, belle mais empestée de fumée de cigarettes que j’ai, n’ayant pas trop le choix, supportée malgré tout. Des jeunes hommes et des jeunes femmes (4 pour les premiers, 3 pour les secondes) discutaient serrés autour de chopes (pour les uns) et de rien (pour les autres). Leurs voix se faisaient volontairement hautes. Ils faisaient « journalistes » ou sont-ils étudiants (la fac est à six mètres, de l’autre côté du trottoir de Didouche Mourad). Ils discutaient du monde comme il va, les guerres, ceci, cela. L’un d’eux était volubile et parlait plus haut que les autres ; stylo, feuille et gestes larges faisant vaciller son verre. Un futur leader ? Ces jeunes m’ont plongé dans mon propre passé à Oran. Nous aussi (à leur âge) – mes amis d’alors que je ne nommerai pas ici et moi – nous discutions sans fin et faisions et défaisions le monde au mythique Majestic (place des Victoires) dans les années 70 (avant l’appel du grand Nord) en fumant, buvant, gesticulant à voix haute (je le disais il y a deux secondes). À voix haute pour que nos messages soient bien entendus n’est-ce pas ? Ou nos ego (nos différents moi). Nous étions désignés par les uns et les autres comme « les anars » (versus les « cocos », les Stals quoi, que nous exécrions, apôtres de Boum). Mais cette histoire est lointaine, laissons-la au repos qu’elle mérite.

J’ai omis les journaux. Ils ont titré à la veille du très attendu Salon comme s’il s’agissait de films du grand West : « Sila post-Covid : le défi du papier » (El Watan), « Après deux ans d’absence le Sila revient cette semaine ; À lire libre » (Liberté), « Retour après deux ans d’absence du Sila » (Le Quotidien d’Oran). Ils consacrent tous à l’événement plusieurs colonnes en pages intérieures.  Demain en effet, tel ou tel ponte inaugurera en grandes pompes le 25° Salon International du Livre d’Alger. J’en dirai un mot chaque jour jusqu’à mon départ, l’avant-veille de sa fermeture hélas.

Mars à Alger

(Reportage…. de bout en bout)

Marseille – vu du navire, la Cathédrale de la Major

Alger, jeudi 3 mars 2022- 16 h 00 : Je l’ai attendu ce voyage, pas très à l’aise, ni trop chaud entre la situation sanitaire, les élucubrations occidentales boiteuses face à l’agression russe de l’Ukraine (pays souverain jusqu’à preuve du contraire avec ou sans l’Otan, la gesticulation politique en Algérie… Mais, les billets ayant été réservés, et les rendez-vous pris en Algérie, j’ai fini par sauter d’une rive à l’autre en bateau.Le Corsica Linea largua les amarres avec une heure de retard le mardi matin. L’accueil et le traitement infligés aux passagers frise l’incorrection. Il n’y a pas de passerelle, ni d’escaliers mécaniques, ni d’aide notamment à l’égard de personnes fragiles qui durent se payer des escaliers jusqu’au haut du navire avec des chargements pas possibles (et on connaît les Algériens amoureux des valises et baluchons, lorsqu’ils voyagent ils voyagent !)

À bord il y a plus de sept cents véhicules et des centaines de passagers. Je suis un « piéton », pas de véhicule. On ne se connait pas, mais on discute volontiers avec le voisin. Nous sommes installés autour de l’espace bar, fermé. Il y a huit ponts et des couloirs à tous les niveaux et dans tous les sens. Peu à peu les carapaces s’effilochent, les langues se délient, avec prudence néanmoins. Un vieux monsieur de Chlef, octogénaire, il l’a dit, défile sa vie d’ouvrier, chauffeur devant nous dans la bonne humeur. Son accent et les expressions utilisées sourcés au cœur de la vallée de Chlef orientés Ténès sont à couper au couteau. Je reconnais très bien. En fermant un instant les yeux j’entends ma mère, mes grands-parents. C’est cela le retour aux sources. Celle de mes aïeux. Je n’ose pas lui dire, lancé qu’il est dans son propre miroir. Il n’a plus 85 ans mais 30 ou 40. Nous avons passé de bons moments avec lui, jusqu’à ce que, convaincu qu’il n’était plus assidûment écouté comme au début, il s’en est allé chercher un autre groupe derrière le bar ou le snack. Et recommencer probablement. Il y a dans notre jmaâ (groupe), des petits beznassis, un tenancier de bar à Lille, deux commerçants, l’un à la frontière suisse, l’autre en Suisse etc. Certains font la traversée avec leurs véhicules. La plupart sont comme moi, sans. Les sujets abordés portent sur tout ce qu’on veut sauf sur l’Algérie. J’ai fait une tentative, mais cela ne les intéresse pas. Autocensure manifeste, les regards se font fuyants. Ah, oui, ça oui, leur racisme anti-noirs « les kahlouches » disent-ils… est sans ambages, et musulmans pieux bien évidemment. Au moment de la prière ils ont presque tous interrompu leurs bavardages pour courir à la mosquée improvisée. Revenus, je constate qu’aucune grille de lecture de leur discours ne saurait les rapporter avec finesse si elle ne place en pas en son cœur l’Islam (tels qu’ils en parlent). Rien ne résiste. Dès que l’on intervient sur un sujet, hop, on étale le filtre religieux. La démocratie, les Droits des personnes, la liberté… Je prends mon appareil photos et m’en vais faire un tour à gauche à droite,

les espaces de nourriture, du vide, intérieurs, extérieurs sur les ponts. Je dois dire que, encore une fois, (c’est le même constat que je fais à chaque fois que je voyage en bateau) j’ai honte de l’attitude sanitaire des voyageurs : absolument (et pardonnez-moi ce terme, je vous promets qu’il n’est pas exagéré) dégueulasses. Les porcs feraient moins pire dans les WC. Sans parler des détritus un peu partout. Certains endroits du navire se sont transformés en immenses poubelles. Moi aussi je sais dire « ennadafatou min el iman » (la propreté fait partie de la foi), à la différence de beaucoup d’autres, je me l’applique et sans la crier dans toutes les mosquées du monde. Lorsque je reviens, la discussion est toujours effervescente. Leur ennemi juré s’appelle La France (où certains vivent). Je me dois de préciser qu’ils n’ont jamais parlé des Français, mais de França, La France. Tous (sauf le tenancier) sont ce que les binationaux appellent « des blédards ». En tête de leurs ressentiments, le président français. Certains disent qu’ils voteront Le Pen. Je ne comprends pas leur raisonnement. Mais le sujet qui les rassemble tous est la guerre que mène Poutine à l’Ukraine. Tous pour le Russe « E-Tchitchène sont avec lui, c’est des hommes ». L’agression ? « les vrais agresseurs ce sont les Occidentaux, et « le président ukrainien est un juif ». Le grand mal sous-entendu du « dernier héros européen » (dixit un facebooker), Volodymir Zelensky, c’est d’être juif. J’ai vraiment honte. La dictature ? « la dictature c’est l’Occident ». L’impasse à venir ? « Poutine est un grand stratège, il les balaiera tous ». Racisme encore et aveuglement. Je précise là aussi que nous nous sommes rencontrés sur plusieurs points concernant la responsabilité des Occidentaux dans le malheur du monde. Le manque de nuances de mes compagnons de traversée complètement noyés dans cette citation « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », et cela me sidère. Pas de pitié pour les populations ukrainiennes. Fascinés par le tsar Poutine, ils évitent de parler des souffrance du peuple ukrainien.Je suis arrivé à Alger, passage au test antigénique payant. Je suis complètement épuisé et désespéré, pas à cause de cette précaution évidemment. Je repense à la formule de Hassane Ouali de Liberté écrivant récemment (le 26 février sur twitter) : « Comment se battre pour la liberté en Algérie et avoir Poutine comme modèle !!!! Aspiration à la démocratie et Fascination pour l’autoritarisme ! »

Alger

Alger

Ce matin, j’ai pris le métro puis le tram en direction de Mohammadia… Rencontres agréables avec N. et Z…. Bientôt des ateliers à l’I.F. et le SILA (où je suis programmé – si tout baigne)J’ai parcouru El Watan (qui sombre paraît-il) et Liberté. L’article de KD in Liberté est formidable. J’en parlerai dans un post après celui-ci.

Les barbares

Les barbares

Tu as fui ton pays mon frère, ta ville, ta maison bombardés.

Tremblant, les deux bras en avant.

L’humanité de l’Ouest t’assouvit, dépasse tes espérances les plus folles.

Et tu pleures d’émotion mon frère.

Les murs, les barbelés, les frises, 

Les treillis, les armes ont par magie disparu.

L’Ouest te chérit 

Pleure de compassion, 

S’agenouille devant ton malheur.

Tu as les yeux bleus mon frère

Tu as le nez aquilin mon frère

Ton visage carotte

Porte le charme de ta race mon frère. 

Tu es slave mon frère.

Ton regard n’est pas charbonneux

Tes enfants ne sont pas morveux,

Ne pataugent pas dans la fange.

Sur sa tête ta compagne ne porte pas de fichu

Mais une sainte couronne d’épis.

Et si elle en porte, il est diaphane.

Tes génuflexions sont belles mon frère,

Tu ne lèves pas les mains 

Et si tu t’inclines c’est vers l’Occident.

Je m’interroge mon frère,

Car tu ne le sais peut-être pas,

Cette même humanité qui t’offre 

Son merveilleux, fabuleux, prodigieux accueil

Est celle-là même qui crie, hurle, vocifère ne pouvoir 

Accueillir toute la misère du monde, 

Du monde pillé de tout temps par l’Ouest.

Je m’interroge mon frère

Sur cette humanité qui t’enlace 

Et pleure de miséricorde,

Qui t’ouvre ses portes

Et qui simultanément chasse les autres afflictions 

Parce qu’elles sont hâlées, noires, brûlées.

Comme les comptables mon frère et les hommes de bon sens

Je m’interroge sur ces deux mesures pour un même poids

Un même fardeau.

Un même désespoir.

Je m’interroge mon frère,

Quelle est cette humanité qui t’ouvre ses portes

Qui privilégie ta souffrance, 

Ignore celle des gueux 

Ces barbares fuyant leur étrange monde,

Pourtant par l’Ouest bombardé, détruit, anéanti 

Par l’Ouest, cette contrée des Droits de l’Homme, 

De certains hommes.

Mais quelle supercherie envers le reste de l’Humanité !

Je m’interroge mon frère,

Quelle est cette humanité qui 

Se plie en quatre pour t’accueillir

Et dresse toutes ses rancunes, contre le blond d’Égypte

Cet Autre venu des Suds, mon miroir.

Et je n’ai trouvé hélas 

Qu’une réponse mon frère et la voici.

Ta souffrance est blanche mon frère.

Ta langue slave et suave

N’est pas crainte, au pire inconnue.

Tu n’es pas miséreux

Et dans ton regard mon frère

On ne décèle nul effroi de la faim.

Tu as droit aux petits fours, 

Tu as droit aux larges sourires, 

Tu as droit à un fleuve de générosité

Tu as droit à Noël chaque soir.

Tu n’es pas Syrien mon frère

Tu n’es pas Libyen mon frère

Tu n’es pas Maghrébin mon frère

Tu n’es pas Africain mon frère.

Tu n’es pas musulman mon frère.

Tu n’es pas confronté aux barbelés, aux murs, aux requins.

Tes enfants ne s’appellent pas Aylan mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

Tu ne viens pas de la mauvaise rive mon frère.

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Ahmed Hanifi

Poème spontané devant la télé, hier soir samedi 26 février 2022

(à retravailler donc)

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CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION D’ARTE SUR LE DOUBLE DISCOURS QUE JE SOULÈVE DANS MON POÈME

Une émission diffusée le 20 mai 2022, rediffusée le 31 JUILLET 2022

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CLIQUER ICI POUR VOIR AUTRE EMISSION SUR ARTE À CE PROPOS…. La couleur de peau…

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Le vélo vert de mon père

Le vélo vert de mon père

J’attachai mon VTT à un poteau d’une plaque de signalisation à la sortie de mon village en direction d’E., à hauteur du rond-point situé sur la départementale D 10 à quelques centaines de mètres de l’autoroute du Sud qui relie Marseille à Barcelone. 

C’est de là, devant la caserne militaire, que plus de cent cinquante cyclistes s’apprêtent à prendre le départ de la treizième étape du tour de France. Ils doivent être nombreux ceux qui, parmi les deux mille spectateurs présents, ont des histoires de vélo à raconter. Des histoires de vélo où se conjuguent amitié, vacances, familles… Celle qui suit est la mienne. Une histoire que la volonté combinée du temps qui passe et de ma mémoire qu’il importune force à malmener quelques-uns des pans de la vérité vraie. Peut-être ou certainement.

J’avais dix ans, les youyous de l’indépendance résonnaient encore, accompagnant de vierges étendards. Je remontais à pas lents la rue principale de notre quartier, Gambetta, traînant la bicyclette que j’avais dérobée à ma sœur aînée qui somnolait sous l’imposant mimosa de la grande cour commune de l’immeuble, pour me venger de ses caprices. J’avançais à mon rythme sur la longue rue Nobel, la tête congestionnée de pensées plus ou moins heureuses, jusqu’au jardin de la Place Fontanel. Je pensais à ma sœur, à sa réaction lorsqu’elle s’apercevrait de la disparition de sa bicyclette, mais je pensais plus profondément et plus longtemps encore à notre père qui venait de nous quitter lui qui, le plus souvent, prenait mon parti parce que, probablement, j’étais le plus jeune de toute la fratrie : cinq frères et sœurs. Je me demandais s’il m’aurait défendu ce jour-là ? L’image de son vélo, celui de mon père, me revenait, comme je la revois aujourd’hui, des décennies plus tard. 

La place Fontanel

Mon père avait un grand vélo vert. Il ne l’abandonnait pas et moi j’aimais sa taille imposante, ses grandes roues et les sacoches en cuir noir dans lesquelles je plongeais souvent la main par curiosité, parfois le nez pour l’odeur qui s’en dégageait : pompe, clés, burette à huile, rustines « siamoises à tirette »… Lorsqu’il en avait le temps, la force et l’envie, nous allions nous promener. Il me soulevait, puis me posait devant lui sur le cadre, rarement sur le porte-bagages à l’arrière à cause des sacoches, les pieds ballants. Un dimanche sur quatre, il m’emmenait dans l’un ou l’autre des quartiers chics de la ville blanche : Saint-Eugène, Place d’Armes, Place des Victoires… Nous ne nous attardions guère devant leurs manèges pour enfants gâtés, leurs pêches miraculeuses, les ballons de baudruche multicolores… Nous nous contentions d’une sucrerie, un ruban de réglisse ou une pomme caramélisée à deux sous achetée au vendeur ambulant, un indigène comme nous, enguenillé. Il m’emmenait parfois voir les animaux du jardin municipal d’Oran, ou au cinéma Le Rex,

qu’il aimait tant pour ses films hindous. C’est avec lui que j’ai découvert Mangala fille des Indes, et la sublime Aje mere man men. Sur le retour, lorsque la route s’assombrissait, j’aimais entendre le ronron de la dynamo sur le pneu, qui me berçait. « Attatio ! » lançait-il parfois. Il suffisait de peu en effet pour que le bout de ma chaussure se coince entre la fourche et les rayons, ce qui était déjà arrivé. Nous nous étions étalés sur la chaussée, heureusement sans gravité, même si, paniqué et prostré contre un mur, j’avais pleuré une heure entière, se souviendrait ma mère. À mes camarades de classe et de jeux, je disais que mon père avait été « attaqué ». C’était la guerre, la vraie.

emplacement DUBONNET à BEL-AIR

Je revois encore sa blouse bleue qu’il portait tous les jours comme on porte un chapelet. Je n’ai pas le souvenir d’un autre vêtement que celui de cette blouse fatiguée d’ouvrier rigoureux. Il était frigoriste chez Dubonnet à Bel-Air, à l’angle de la rue Froment Coste et la rue des Alpes, toutes deux mises à genoux par Mossedegh et Benzrida. Lorsqu’il se décidait parfois d’enlever sa blouse, le temps du repas, une impitoyable usure pointait le haut des poches, les poches elles-mêmes, les genoux. Le bas de son pantalon de Shanghai, bleu aussi, mais d’un autre ton, plus marqué. Je me souviens que chacun des ourlets de jambe était saisi par un pince-linge en bois pour ne pas être sali, pour que le cambouis de la chaîne du vélo ne les encrasse pas. J’en voulais alors à la terre entière, indifférente à la condition qui nous était imposée, plus encore à nos voisins blancs, toujours sur leur 31. Leurs enfants portaient des cravates pour aller à l’église ou au collège. Lorsqu’il en avait le temps – il prenait alors un café – mon père extrayait de la poche latérale de sa blouse bleue aux contours râpés depuis des lustres, L’Écho d’Oran (grand format : 578 X 410 mm) dont il parcourait toutes les pages en s’attardant sur sa préférée ‘‘L’écho du département’’ et ses petites annonces. Quand il l’a eu fini et plié en huit, il l’enfouissait de nouveau dans la même poche.  Mon père aimait les annonces classées qu’il s’efforçait de lire. Je le vois et l’entends encore bredouiller des lignes entières d’annonces : une demande de dépannage d’un réfrigérateur Géo, Frigidaire, une offre ou une recherche d’outils, de produits : condensateurs, compresseurs, vannes, clapets, gaz réfrigérant… Lorsqu’il avait fini, il me demandait si je pouvais les lire à mon tour et cela me réjouissait de lui prouver que j’en étais capable et que par conséquent je travaillais bien à l’école. Ma récompense prenait la forme d’un large sourire qu’il m’adressait en posant sa main affectueuse sur ma tête. Il m’arrive parfois de me demander ce qu’est devenu ce grand vélo vert de mon père qui le rendait si fier et relativement libre.

Je remontais la rue Nobel, heureux à la pensée de pouvoir la redescendre à grande vitesse, aussitôt arrivé à la place Fontanel. Dès que je l’atteignais, j’enfourchais la bicyclette de ma sœur et recommençais, sans crainte, heureux même. Je me laissais aspirer par l’attraction de la pente de plus en plus importante jusqu’au point de départ, la rue Beauchamp, trois cents mètres plus bas. Parfois, en un autre lieu ou en celui-là même, la combinaison de la forte inclinaison, de la vitesse et du guidon devenu incontrôlable me projetait durement sur l’asphalte. Et de nouveau je repensais à mon père. J’avais dix ans et les youyous de l’indépendance résonnaient encore. Je traînais la bicyclette que j’avais dérobée à ma sœur aînée pour me venger de ses caprices et me demandai si mon père m’aurait défendu. Je devais sourire. Certainement.

Lorsqu’aujourd’hui me reviennent en souvenir ces temps de mon enfance oranaise, il me semble qu’une part importante de mon être ou de mon âme m’a définitivement abandonné. Cette part de naïveté, de bonheur brut et d’innocence contrariés parfois par la peine et la douleur. Mon père est parti à 44 ans, un 19 janvier. Il gît sous terre au cœur du domaine de Kaïda H’lima, au cœur de La Source blanche. Les huit vers qui suivent tout comme ce texte lui sont dédiés :

Ton silence,

Sous les pierres

De la Source blanche

À l’ombre des cyprès

Posées contre la chair de ma mémoire

Endolorie

De tant de sollicitude,

Me pèse.

Quant à moi je suis aujourd’hui beaucoup plus âgé que lui. Je pratique le vélo pour m’oxygéner et pour ne pas l’oublier. À la sortie du village, à hauteur du rond-point situé sur la départementale D 10, lorsque je revins à moi, il n’y avait plus de coureurs. Les derniers camping-cars et véhicules du Tour de France plient bagage pour rejoindre M., la prochaine étape du treizième tour. Il ne me reste qu’à enfourcher mon VTT vert pour poursuivre tranquillement ma promenade d’entretien à travers la forêt de G. et l’étang B. pendant quelques heures. 

Juillet 2005 – retravaillé en janvier 2022

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Deux semaines à Paris

JE 16.12.2021

Gare aux gares égarées de nos granges gorgées de gros gras grains d’orge. Ainsi commencions-nous avant de réciter nos classiques au théâtre de notre adolescence du Centre culturel français d’Oran. Gare aux gares… Celle-ci ne l’est pas (photo). Albert Camus ne résidait pas loin d’ici, de chez moi. Il est inhumé dans sa ville d’accueil, Lourmarin, à 57 km d’ici en passant par la D973 et la D 139. Quels mots avait-il pour les gares et pour Lourmarin ? 

Les gares : « À la gare, tout un peuple pressé absorbe sans rechigner une nourriture infâme et puis sort dans la ville obscure, se coudoie sans se mêler et regagne hôtel, chambre, etc. Vie désespérante et silencieuse que la France tout entière supporte dans l’attente… Il n’était jamais sorti de sa ville sauf un jour où, obligé de partir pour Oran, il s’arrêta à la gare la plus proche de Tlemcen, effrayé par l’aventure… L’exilé passe des heures dans des gares. Faire revivre la gare morte. » (Carnet 2)

Et à propos de Lourmarin : « Lourmarin. Premier soir après tant d’années. La première étoile au-dessus du Luberon, l’énorme silence, le cyprès dont l’extrémité frissonne au fond de ma fatigue. Pays solennel et austère – malgré sa beauté bouleversante… Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d’eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu. » (Carnets 2 et 3) 

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Je 16.12.2021

Gare Saint-Charles de Marseille (1848) et son impressionnant escalier (1927) qui n’a rien à envier au Cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein), enfin, si, un peu quand même. Une ville qui tend les bras comme son escalier, ouverte sur la Méditerranée et le monde tant qu’à faire… près d’une vingtaine de millions de voyageurs l’empruntent chaque année. Marseille est le pays d’Antonin Artaud « Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère, et moi ; niveleur du périple imbécile où s’enferre l’engendrement, le périple papa-maman et l’enfant. » Marseille est aussi le pays de J.C. Izzo : « Les quartiers nord, avec leurs milliers de fenêtres éclairées, ressemblaient à des bateaux. Des navires perdus. Des vaisseaux fantômes. C’était l’heure la pire. Celle où l’on rentre. Celle où, dans les blocs de béton, on sait que l’on est vraiment loin de tout. Et oubliés. » (Chourmo

« Marseille est le centre du monde », entendu plusieurs fois à Marseille. Et si c’était la vérité ?

Suis dans le train. Direction…

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Ve 17.12.2021 –

Et voilà le Nord, précisément la gare Sncf Charles de Gaulle Roissy. On ne dit plus aux passagers « Terminus, terminus, tout le monde descend ». On prend des gants. Mais le résultat est le même, tout le monde descend. Il fait moins froid qu’à Marseille, mais humide. 

Le jour a atteint ses limites. On se précipite vers les proches qui attendent sur les quais ou plus haut, à l’extérieur, près des stations de taxis et du parking PCD. Beaucoup de monde, c’est la cohue. Nous quittons par l’ascenseur les quais et l’architecture métallique par certains aspects de type montagnes russes. 

« Gardez le masque s’il vous plaît ». À quelques centaines de mètres, les pistes de l’aéroport. Des avions s’apprêtent à décoller. Roissy en France (dept 95) est un village ordinaire, brusquement devenu mondialement connu avec l’ouverture de l’aéroport au début des années 70 construit sur ses terres. C’est le 9° plus important aéroport au monde avec plus de 70 millions de voyageurs. Tient v’la…

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Ma 21.12.2021 –

Quelques minutes dégagées pour ce post. Samedi fut un jour de repos total hormis une déambulation dans le village et un tour en calèche avec LN. Ce matin je me suis rendu à Paris, directement chez mon ami A. dans le 19°arrondissement, du côté de la rue de Lorraine. Cet ami ne veut pas ou ne peut pas me voir. Ce quartier particulièrement la rue de Lorraine me renvoient à une époque aujourd’hui révolue. Un temps où l’on venait au 27 (photo) de cette rue, siège de « Libé ». On sonnait, on entrait, on passait au deuxième étage filer un coup de main aux « petites annonces gratuites » souvent débordées. Puis on allait à Félix Potin en face sur l’avenue Jaurès faire des courses pour le casse-croute. Et on recommençait lorsqu’on le souhaitait.  

Au croisement de Jaurès, Stalingrad et Secrétan, j’ai choisi les quais, côté Jemmapes. Tout un flot de souvenirs émerge, notamment devant « l’Hôtel du Nord », la passerelle de la rue de Lancy où « atmosphère, atmosphère » d’Arletty prit son envol à la veille de la seconde guerre mondiale. Le minuscule café de Aïcha, « Le Pont tournant » qui était notre « siège » avec couscous garanti les samedis, et Khaled en continu grâce à nos cassettes d’Oran, est devenu « tchitchi » comme on dit au Bled, autrement « bobo ». Il a perdu son authenticité. Un peu plus bas, toujours sur le quai, « L’espace Jemmapes » qui hébergeait dans les années 70 une auberge de jeunesse que nous n’avons que trop utilisée… La Place de la République est très animée. J’ai emprunté la rue de Turbigo avec un brin de nostalgie devant le lycée Turgot où j’ai travaillé… Église St Eustache… À Beaubourg nous y avions fait cours (tous assis en rond au rez-de-chaussée) le premier mois de son inauguration (c’était en 1977/78 ) avec notre enseignante d’Histoire, Madeleine Rébérioux (future présidente de la LDH)… Chatelet Les Halles, Gare du Nord… 

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Ve 24.12.2021 _

J’ai consacré une bonne partie de la journée du mercredi à la bibliothèque de France (dénommée François Mitterrand depuis 1995). Tout ce qui se publie en France y est archivé. C’est une des plus importantes bibliothèques dans le monde. Le site de Tolbiac (photos) est le plus important parmi les sept qu’elle comporte. Son catalogue sur internet, « Gallica » (7 à 8 millions de documents consultables). Il est composé d’une grande surface en rez de chaussée avec de nombreuses salles de lecture (une dizaine ?) et par 4 tours de plus de 20 étages chacune : Lettres, Nombre, Temps, Lois. Tous mes écrits sont bien référencés dans leur « data.bnf.fr »… D’importantes expositions et manifestations sont prévues ou en cours, à nous donner le tournis : Giuseppe Penone, Beaudelaire et la mélancolie, Robert Badinter, May Angeli -cf. photos-  Amos Gitai, René Maran, précurseur de la négritude, Albert Londres, Julien Green, Sarah Hassid, Champollion…

J’ai tourné entre les salles (payer ou disposer d’un abonnement), dans les halls les salles d’expositions… et partout il y a du monde. On se croirait dans un supermarché. Cela est très réconfortant. J’y serais resté toute la soirée, mais mon ami M. m’attend au « Ville d’Aulnay », une brasserie sur la rue La Fayette, devant la Gare du Nord. Nous avons fait le tour du monde.

Jeudi, fut un jour de repos. Enfin presque. Quelques exercices physiques au manège « Royal… » pour les enfants. Et c’est casse-cou et têtes. Eh oui…

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Lundi 27.12.2021 _

Noël a franchi les limites du bonheur enfantin et il passa. « Y rvient quand papanouel ? » Dimanche matin nous avons couru au 4 bd de Strasbourg. Au théâtre libre, anciennement Eldorado, « c’était l’ancien théâtre de Bouvard, après moi je n’en sais rien » nous dit le contrôleur d’entrée du pass sanitaire… ». Je lui réponds que quant à moi, il me semble bien que dans les années de notre trafic insouciant cette salle de spectacle était un dancing, « le Kiss-Club ». Nous y avons fait les fous (limite de la légalité car parmi nos amis, certains se shootait à la … et au… La boite fut fermée plusieurs fois. Et le panier à salade qui passait par-là, repartait bien rempli. Tout est dit. Mais là, ce matin, c’est une belle salle de spectacles pour enfants où il est question de Petits ours brun… Très sympathique. Les enfants étaient pliés, les uns braillaient, d’autres parcouraient les allées, descendaient et montaient les marches, suivis par leurs parents… Plus tard, un rendez-vous nous attendait au sud de la Porte d’Orléans, au cœur du cimetière de Bagneux. Lignes perpendiculaires et croisements aussi raides qu’imperturbables, éternels.

Le clou de la virée se niche incontestablement au Bois de Boulogne, à proximité du Jardin d’acclimatation : La Fondation Louis Vuitton. Une merveille et d’architecture et d’exposition avec une série de tableaux ayant appartenu aux frères Morozov et mis en salles pour la première fois. La publicité est beaucoup plus précise : « l’une des plus importantes collections au monde d’art impressionniste et moderne. L’exposition événement réunit plus de 200 chefs-d’œuvre d’art moderne français et russe des frères moscovites Mikhaïl Abramovitch Morozov (1870-1903) et Ivan Abramovitch Morozov (1871-1921). C’est la première fois depuis sa création, au début du XX ème siècle, que la Collection Morozov voyage hors de Russie. » Je vous laisse admirer.

En soirée nous avons rejoint le Café « l’Impondérable » et Youcef Zirem qui y animait la rencontre programmée, comme chaque dimanche, ce soir il accueillait le chanteur Malik Kezoui. 

Jeudi 30.12.2021 _

Sortir dans le noir alors que le jour ne l’a pas encore vaincu. Les ombres avancent masquées vers les quais. « Nous vous rappelons que les masques sont obligatoires, sur la bouche et sur le nez ». Et elles avancent les ombres sans haussement d’épaules, ni un mot. L’habitude désormais. Le virus s’installé et est décidé à ne rien lâcher. De certains voyageurs on ne voit que les trous des yeux. Leurs oreilles sont obstruées par des fils de smartphone, blancs, noirs. Des zombies les jeunes (jeunes ?) Ils ne voient presque rien, ni personne. Voilà les wagons à la queue leu leu. Un cri strident de ferraille (évidemment). On ne se bouscule pas. À quoi bon ? On a le choix : train, Transilien, RER, métro, bus, Uber, vélo, trottinette et les gambettes c’est moins cher mais plus exigeant. La Madeleine est d’une sobriété toute matinale. Personne n’a un regard pour elle à cette heure où tous les lampadaires sont encore allumés. Les guirlandes des grands magasins (des petits qui le peuvent aussi) clignotent toujours désespérément, plus lumineuses que jamais. Tout autour des consulats, ambassades… J’attends 9 heures. Je pénètre dans quelques-unes, l’été n’est pas loin et il va falloir se décider…

Quelques centaines de mètres à pied jusqu’à La Madeleine. Il pleut, il ne pleut pas. Donc ouvrir le parapluie. Puis le plier. L’ouvrir à nouveau et cetera. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Métro ligne 8 direction Créteil. Changement à la première station : Opéra. Ligne 7 direction Mairie d’Ivry ou Aragon. Sortie Jussieu. « Jussieu » est vide de ses étudiants. Quelques boutiques sont encore fermées, les tireurs de plans, photocopieurs… Pas les boulangeries-pâtisseries. Un automobiliste furieux, klaxonne à l’intention d’un vélo imprudent. Le feu vire au vert pour les piétons. Je traverse et longe l’autre facette – elle est au garde-à-vous – de la grande « Sorbonne université, Campus Pierre et Marie Curie » appuyée sur des dizaines de poteaux, on dirait des pilotis vietnamiens. Et voilà l’IMA. Je zappe l’exposition « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire » (trop cher à mon goût). Et puis, je suis bien à « l’IMA » non ? « Monde arabe » non ? Awweh, « y-a anguille sous roche » ai-je pensé une seconde. Je monte, descends, cafétéria, terrasse, librairie. Tiens, en passant je laisse deux de mes ouvrages au « chargé de », Alain Gu. Les mettra-t-il en exposition ? J’achète des livres pour enfants et d’autres de voyages lointains… Je prends des photos (réussies et belles j’espère) de la Seine, de Notre-Dame, des rives et quais à partir de la terrasse de l’Institut. Il pleut toujours où c’est mouillé dit l’adage. J’ai pu le vérifier. Et l’argent va toujours aux mêmes. Ne dites pas que cela n’a rien à voir. Si ça a à voir ! Je remonte les quais vers le nord, Notre-Dame, Saint-Michel, à droite le boulevard Sébastopol et Beaubourg avec les pieds bientôt en compote. Il y a foule par toutes les entrées. Va pour la BPI. Il m’a fallu une heure et même plus pour m’installer dans une salle. Il m’aurait fallu recommencer l’exercice pour entrer par la porte principale et la visite du côté ouest. Il y a une foule aussi importante que celle de la BPI. J’abandonne et me dirige vers le nord. Il pleuviote toujours. Une fois oui, une autre fois non. Boulevard Sébastopol de nouveau. Je traverse Étienne-Marcel. J’évite le Forum des Halles, plus le temps. Il commence à faire sombre. Boulevard de Strasbourg, Magenta à Gauche, puis La Fayette à droite, jusqu’à la Gare du Nord. En face, à l’angle La Fayette-Dunkerque, notre cher « Aulnay ». Mon ami M. m’y attend. Un verre. Et toujours le tour du monde, de plus en plus monde flou.

Demain est le dernier jour.

DES PHOTOS SUIVRONT

Oran-Tamanrasset

« Pour beaucoup ici la mesure du temps est une abstraction, une fantaisie étrangère dont on se moque éperdument comme on raille les instruments – la montre ou le sablier – chargés de cette énigmatique et impossible opération. Les éléments et les vicissitudes de la vie des hommes sont plus importants, parfois plus inquiétants, que l’horloge et le faux temps qu’elle dissèque. L’une et l’autre sont mis à distance par les hommes qui les observent avec le juste intérêt qu’ils leur doivent. Aucun sablier ne sied au temps éternel. » À Béni Abbès – El Ouata, 2014.Alors, installez-vous, prenez un thé, ce que vous voulez, respirez. Cool…

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Un thé à El-Ouata

Les derniers jours de janvier s’effilochent à leur tour, paisiblement, en lambeaux ou en débris, naturellement ou au gré du Zef ou du Chergui comme tous ceux qui les précédèrent. Je me trouve dans le désert algérien. À El-Ouata exactement. Latitude 29°51’50 nord, à cinquante kilomètres au sud de Béni-Abbès. Le thé rouge que je déguste sous la tonnelle qu’ombragent de respectables bougainvilliers fleuris à faire rougir de lointains congénères mieux lotis, a le goût suave de l’immuabilité.  Pour beaucoup ici la mesure du temps est une abstraction, une fantaisie étrangère dont on se moque éperdument comme on raille les instruments – la montre ou le sablier – chargés de cette énigmatique et impossible opération.  Les éléments et les vicissitudes de la vie des hommes sont plus importants, parfois plus inquiétants, que l’horloge et le faux temps qu’elle dissèque. L’une et l’autre sont mis à distance par les hommes qui les observent avec le juste intérêt qu’ils leur doivent. Aucun sablier ne sied au temps éternel.

J’arrivai à Béni-Abbès hier en fin de journée. Je passai la nuit dans l’hôtel du Grand Erg, chambre 187.  Cet hôtel est une sorte d’îlot, très peu nombreux ici, dont les responsables – ils viennent du Nord –, par souci de « bonne gestion », ont souvent les yeux rivés sur la trotteuse et la grande aiguille qui tournent sans fin, chacune à son rythme, sous un cadran impassible. « Le petit déjeuner est servi entre 7 h 30 et 9 h » m’avait-on averti. Parmi les autochtones, nombreux poufferaient de rire. Ce matin, aussitôt réveillé je pris une douche froide avant de me rendre dans la salle de restauration pour le petit déjeuner – ce fut café au lait, khobz*, mini plaquette de beurre et confiture d’orange –, que je pris bien après l’horaire indiqué. Je saluai le réceptionniste très attentionné et me rendis au cœur de la ville, à hauteur du carrefour, sous les arcades. Les boutiques étaient ouvertes. Un marchand de journaux, des vendeurs à même le sol d’amulettes, de sandales, de bracelets et autres bijoux et souvenirs. Et un café. À droite, à quelques centaines de mètres sur l’artère principale, face au café-restaurant El-Aurès, des minibus et taxis collectifs attendent les clients. Mon intention était de me rendre à El-Bayada pour découvrir ses réputés artisans qui reproduisent à l’identique des ustensiles de cuisine en terre cuite tels qu’on les fabriquait dans les temps les plus reculés. El-Bayada se trouve à quelques kilomètres au sud d’El-Ouata. Des chauffeurs de minibus accostent les passants : « Taghit, Bechar ! », d’autres « El-Ouata ! »

El-Ouata, où je me trouve devant un verre brûlant et des dunes tout autour délaissées par les ombres, est un village offert au silence et à la torpeur, posé à cinquante kilomètres au sud de Béni-Abbès. 

« À El-Ouata tu prendras un taxi » me répondit le propriétaire du minibus qui fit encaisser par son employé 80 dinars. Je m’assis au fond du véhicule, au cinquième et dernier rang, à gauche, prêt de la fenêtre. Sur ma droite un homme, vêtu d’un boubou de soie bleu et d’un chèche de même couleur mâchait une gomme. L’heure prévue pour le départ était depuis longtemps passée, mais personne ne se souciait de cette contrariété. Le véhicule démarra lorsqu’aucune place des cinq rangées de sièges n’était plus disponible, y compris les quatre strapontins du couloir. Au premier rang, deux hommes occupaient les deux sièges à côté du chauffeur. Les commentaires de l’un m’amenèrent à penser qu’il était fonctionnaire. Le deuxième, très jeune, avait en charge la vente des billets. Juste derrière le chauffeur, au deuxième rang, deux femmes discutaient. La plus jeune tenait dans ses bras un nouveau-né silencieux, emmitouflé dans une couverture en laine pourpre, complètement. Lorsqu’elle se retournait pour parler au jeune garçon assis derrière elle, je devinais les traits fins de son visage dissimulé par un âjar*. Les deux sièges de droite étaient pris par un vieux couple. Une jeune collégienne occupait le premier strapontin.

Nous abandonnâmes Béni-Abbès par l’est, par l’hôpital Mohamed Yagou. La température ne cessait de grimper. Le ciel était et demeure aussi pur que les eaux du lointain et pacifique lagon de Tetiaroa. Une traînée ridicule au loin, blanche, se lova quelque temps dans un creux de l’immensité, puis s’évapora. La route était libre. Peu de véhicules l’empruntent. Les portables ne cessaient de vibrer, de sonner, tout le long du voyage. Mélodies inconciliables. Les discussions étaient hautes et les intimités des jaseurs partagées avec les autres passagers qui ne rouspétaient pas, mais n’en pensaient pas moins : « et toi pourquoi tu es allée les voir ? Je t’ai déjà dit qu’il était inutile d’aller les voir ». Cherchaient-ils à dissimuler leur état émotionnel, leur angoisse ? Nous étions tous, j’en suis certain, tous, à des degrés divers, plus préoccupés par la conduite du chauffard qui s’imaginait à portée d’une victoire d’un rallye automobile quelconque que par le contenu imposé des échanges téléphoniques. Aucun d’entre nous n’osa rouspéter. Ceux qui téléphonaient, peut-être le faisaient-ils pour détourner leur esprit de l’inquiétude et de la peur qui l’auraient assiégé du fait de cette folle conduite ? J’eus moi-même grand-peine à prononcer ces mots à mon voisin « il roule trop vite ». Le voisin feignit l’indifférence : « Hum » fut sa seule réaction bien réfléchie. Ou complètement spontanée. Peu après le panneau qui indiquait « Béchir », le receveur descendit. Le chauffeur quitta la grande route pour se diriger vers ce village, à droite. À deux kilomètres, le hameau sorti de nulle part pointa ses premières façades ocre. Un passager descendit avec un impressionnant sac bariolé rempli d’une douzaine de baguettes de pain. Ou une vingtaine. Il ne regarda pas derrière lui, ne fit même pas un geste de bienveillance au chauffeur. Cet apparent désintérêt ne me parut pas s’inscrire dans les mœurs locales très chaleureuses, quel qu’ait pu être son sentiment d’inimitié à l’encontre du chauffeur, que néanmoins je comprenais et partageais. Le minibus revint sur sa route. À l’embranchement qu’il avait quitté, il ralentit. Le receveur reprit sa place. Dix minutes plus tard, une localité un peu plus étalée apparut. Je demandai à mon voisin si nous étions arrivés à El-Ouata. Il hocha la tête et dit : « Taansel », gêné, me sembla-t-il, par la mastication de sa gomme. Je le fis répéter. « Taamtel » fit-il en se levant, pressé sous son chèche bleu, mais je n’étais point satisfait. Il demanda de libérer le passage, pour descendre, soulagé. Lui non plus ne fit pas signe et cela me contraria. Un homme monta en articulant un « Tchalem alikum »* à l’assemblée. Il prit la place de l’homme au chèche, rota et remercia l’Invisible en faisant la main droite du front aux lèvres et en murmurant « Hamdjoullé* ». Au loin, des enfants jouaient au foot dans un mini-stade neuf de volley-ball sans gradins. L’avenue principale est bordée, de part et d’autre, de nombreux arbres. Un journal révèle : « Entamé il y a trois années, un projet permit à ce jour la plantation de 15.000 ha en brise-vent autour des périmètres de mise en valeur des terres sahariennes, à travers les daïras de Béchar, Béni Abbès, Tamtert… Ces opérations de lutte contre la désertification furent aussi marquées par la plantation de 150 ha d’oliviers et de près de 9000 ha d’espèces forestières adaptées aux conditions climatiques de la région… » Un oued sans eau traverse le village. Le pont qui l’enjambe est en travaux. A la sortie, son nom est barré d’une bande rouge. Je réussis à lire : Tamtert. Les téléphones chantaient toujours. Trois personnes dont une femme, racontaient dans leurs combinés des histoires qui nous encombraient certes, mais qui nous aidaient, car nous ne pouvions totalement les ignorer, totalement supporter la folie du chauffeur.

Le temps passa et de nouveau la fourgonnette ralentit, puis s’immobilisa. La belle jeune femme et son nourrisson – il fut silencieux ou pensif, peut-être dormit-il durant tout le transport – nous abandonnèrent à l’entrée du dernier village. Nous arrivions à El-Ouata. Le garçon qui était assis derrière elle, peut-être son jeune beau-frère, descendit aussi. Un homme les attendait. Il embrassa le jeune garçon et soulagea la femme de son sac sans la regarder. Il avançait, la main pressant celle du garçon. La jeune femme les suivait. Le terminus se trouve au centre de la daïra*, près du marché. « Tout le monde descend, Ham-waldjikum* ». Le chauffeur d’un autre minibus m’expliqua que je ne trouverai probablement pas de transport pour El-Bayada. L’objet de mon déplacement était la découverte de ce village et ses réputés artisans, à dix kilomètres d’ici. Mais « la route n’est pas bonne pour nos voitures ». Je n’irai donc pas plus au sud. 

Au café du marché, je commandai un thé rouge « dans un grand verre merci ». Puis un second. D’une fourgonnette grise, un homme extrait des plantes vertes et de jeunes arbres fruitiers qu’il dépose et déploie derrière, à même la chaussée. Quelques personnes s’avancent, interpellent le vendeur. La saveur de ce thé rouge que je savoure sur cette place cernée de dunes sans ombre « Vingt-cinq dinars le grand verre », sous la frondaison des bougainvilliers écarlates est, je l’affirme, aussi exquise que la douceur de l’éternité.  

*Khobz : pain

Âjar : une voilette. C’est un tissu triangulaire, symbole de pudeur, traditionnellement porté par les femmes voilées. Il est posé sur le bas du visage, et qu’on attache derrière la tête.

Tchalem alikum ou salam alikoum : que la paix soit sur vous

Hamdjoullé ou Hamdou Allah (lillah) :  Remerciement à Dieu

Daïra : sous-préfecture.

Ham-waldjikum ou rham weldikoum : que Dieu bénisse vos parents.

El-Ouata le 26 janvier 2014.

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Kateb Yacine

Kateb Yacine est mort le 28 octobre 1989

Voici un article que j’avais écrit en novembre 1990 in « Le Jeune Indépendant »

La presse libérée du FLN naissait.

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IL Y A 60 ANS, LE 17 OCTOBRE 1961, MASSACRE DE CENTAINES D’ALGÉRIENS À PARIS

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Photo: Ahmed TAZIR (FB le 17102021)

Monique Hervo, une héroïne méconnue hélas, au cœur du bidonville de Nanterre pendant plusieurs années. Écoutez-la, elle raconte le bidonville, la terreur du funeste mardi.

Il y a 3 vidéos en une (1_Monique Hervo, 2_le bidonville de Nanterre (photos), et 3_ à propos de la photo ‘‘ici on noie les Algériens »

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Ma rencontre avec Banisadr et Khomeiny

10 octobre, dimanche. Il fait presque beau. Peu de circulation sur la départementale à l’horizon. Pas de vent. Une semaine sans vent, ce n’est pas commun ici. J’exagère à peine. Le soleil se lève avec flegme. Je prends mon thé quotidien. Ouvre le journal d’Oran. Acte routinier. Quasiment tous les matins. J’aime la sobriété de ce quotidien. Ni chaud ni froid. Entre deux gris médians. Mouvement de recul lorsque je lis en page 5 : « Mort de Banisadr, premier président de la République islamique d’Iran. » La photo montre un vieil homme amoindri. C’est bien lui. C’est Abolhassan Banisadr. Comment ne pas le reconnaître. Les quatre décennies, marches temporelles du temps, ne l’ont en apparence qu’à peine effleuré. Je demeure pensif un long moment. Puis je lis l’article (non signé) dans sa totalité. « Abolhassan Banisadr est mort samedi dans un hôpital parisien à l’âge de 88 ans, après avoir passé une grande partie de sa vie en France où il s’était exilé après sa destitution en 1981. » Je précise « il était déjà en France avant 1981 ». Je l’atteste. Le temps a passé, mais je m’en souviens comme d’un fait d’aujourd’hui.

1978. Nous étions jeunes et la fleur au bout du fictif fusil ou entre les dents. Du moins nous nous voyions ainsi. Étudiant en fin de course était mon statut. « Vincennes « wa ma adraka Vincennes ». Plus gauchiste (tendresse) tu meurs. Elle était en sursis. Une communauté, un monde, un univers à raconter. Pas aujourd’hui. Nous brassions dans la sociologie, la philosophie, le cinéma, etc. Dans les salles, dans les amphis, dans les espaces publics (ainsi en mezzanine dans Beaubourg avec Madeleine Ribeiroux quelques mois après son inauguration).

Mais à côté de cela il y avait la lutte, le PRS, Krim, Rachid, Omar, Azzeddine, le Celda (que nous avions monté dans une AG) « Comité pour les libertés démocratiques en Algérie » autour du PRS, déjà ! Les réunions à la fac, mais aussi dans les cafés, ah le Zeyer ! (Paris 14°, métro Alésia), rue Raymond Losserand chez l’imprimeur (Azzeddine ?), etc.

Les jours de Boumediène étaient comptés et le 4° Congrès du désormais honni FLN pour bientôt. Mais aussi les luttes de soutien au peuple iranien qui s’était soulevé contre le plus grand ami de l’occident, Pahlavi, le diabolique Shah d’Iran. Nous étions tous contre lui et par conséquent pour son grand opposant, l’imam Khomeiny dont l’aura doublait chaque jour. Le « nous » renvoie à la gauche. Toute la gauche, des trotskystes de Krivine (mes proches, j’ai même habité trois ans plus tôt dans sa famille, dans la rue B. qui se déroule au pied du Moulin rouge !) au Parti socialiste (la droite de la gauche), à LO, au PSU et jusqu’au PCF sorti du stalinisme et de la dictature du prolétariat en 76, mais que nous ne supportions pas du tout (le PCF attaquerait au bulldozer un foyer d’immigrés à Vitry-sur-Seine !)…

Le journal Libération qui paraissait « quand il le pouvait » était notre phare. Merci à vous de ne faire aucun parallèle entre le journal de Sartre, le nôtre, avec le journal du milliardaire Rotschild puis Drahi d’aujourd’hui. Libération est devenu un journal pour petits bourgeois bohèmes. Sartre se retourne, à raison, dans sa tombe à chaque fois que le titre qu’il a créé est nommé et j’en aurais fait autant. Je dis « le nôtre » car Libé était bien celui de ses lecteurs (dès la première année, précisément le lundi 17 décembre le journal titrait « l’existence de Libé prise en main par ses lecteurs » !) Il m’arrivait fréquemment d’aller donner un coup de main aux pigistes et clavistes du 27 rue de Lorraine (derrière Félix Potin !) d’assister aux réunions du Comité de rédaction et même de faire passer quelques lignes dans le journal et surtout de le vendre (1 franc 60) lors de grandes manifestations à République, Bastille, Nation… Libération c’était notre famille. Il donnait le la, le ton. Alors, lorsqu’il fonçait contre le Shah on ne se privait pas. Tête baissée.

C’est ainsi que j’eus cette idée un peu folle de me rendre à Neauphle-le-Château (dans le 78) lorsque j’ai appris que Khomeiny, le plus grand opposant au tyran, s’y trouvait, hébergé par un Iranien qui possédait une maison dans le petit village (Marguerite Duras habitait depuis deux décennies à quelques centaines de mètres de là près du parc, mais Marguerite n’a rien à faire dans ce texte). L’imam Khomeiny était arrivé d’Irak 22 jours auparavant. Je ne peux pas passer ce qui suit sous silence. Lorsque le Shah d’Iran, Mohammad Reza Chah Pahlavi et sa compagne la Shahbanou, « l’impératrice Farah », fuiraient vers l’Égypte de Sadate le 16 janvier 1979, notre cher Libé titrerait : « Émigration : Mohamed Rêza prend sa valise »

Khomeiny a mis fin a 25 siècles de monarchie. Et un camarade de l’OCI me dirait (pas très à propos) « les dés sont pipés, c’est Chadli qui a été tiré du chapeau ».

Maintenant je reviens à ce fameux jour – c’était le jeudi 2 novembre 1978 – où j’avais décidé de « monter à Neauphle » à la rencontre de Khomeiny. Monter à Neauphle comme on monte le Damavand. Mon idée je l’avais bien préparée.

C’était un jour brumeux avec une pluie, fine. Il ne faisait pas trop froid (le 7 janvier prochain, il ferait moins 13 à Paris), mais nous étions en novembre. J’ai préparé mon sac en bandoulière et ma moto, une Yamaha FT1 rouge et blanche. Elle avait de l’allure malgré ses dix ans d’âge. Je n’irai pas à la fac. J’ai pris la route peu avant treize heures. J’habitais dans le 17° arrondissement de Paris, boulevard Malesherbes (oui, oui… une « chambre de bonne »). Malesherbes est souvent calme. Voici le trajet, dans l’ordre : ave de Wagram, Arc de Triomphe, Trocadéro, Parc des Princes, Boulogne B., Sèvres, Versailles, Saint-Cyr, Plaisir, Neauphle le Château. Une heure 45. C’était une 50 cm3.

J’arrive à 14h30. Sur une grande place, je vois un café animé (« café des sports » ? de mémoire, j’ai oublié de noter) je rentre, m’installe au comptoir sur un tabouret au cuir bien élimé. « Un noir s’il vous plaît ». J’ai l’air d’un plongeur en eaux troubles avec mon étrange tenue grise et mon casque avec visière. Deux types me saluent. On échange. Ils sont aguerris. L’un est envoyé spécial de Reuters, l’autre de l’Agence centrale de presse. « Et toi ? » Moi je fais ce que je peux. Je navigue à vue.

Les vieux routards m’indiquent les ruelles à éviter, celles à prendre. « Tu descends la Grande rue jusqu’au carrefour, puis tu prends deux fois à gauche, la rue de Chevreuse. Tu vas au 23. Tu reconnaîtras, il y a du monde. » La porte de la villa est largement ouverte. Je traverse une partie du jardin, celle qui mène directement à la maison. Au bas de l’escalier, des hommes sont assis sur des transats rouges. Autour d’eux d’autres hommes discutent. Je ne saisis aucun terme. Je demande à celui qui se tourne vers moi, « Khomeiny est là ? » Je traduis par les gestes qu’il fait, le doigt pointé ver la porte de la maison et le hochement de tête que oui il est là. Je monte la quinzaine de marches du perron jusqu’à la plateforme de la maison. La porte est fermée. Je toc. Une fois, deux. On ouvre. J’explique au jeune qui se présente. Je dis « journaliste ». Je reprends, avec l’accent que je suppose londonien, je dis « Journalist ». « Oh ya… » Le jeune se retourne, disparaît quelques minutes. 

Je pousse la porte et me voilà dans une très grande pièce aux murs partiellement enjolivés de papiers peints fleuris. Quatre douzaines d’hommes assis sur des chaises pour quelques-uns, agenouillés ou en tailleur sur un immense tapis à dominante rouge que seul un connaisseur certifierait iranien ou non. Ils sont habillés pour certain en costumes-cravates, d’autres, moins nombreux, portent des turbans noirs, sont couverts d’une sorte de bure, ou robe de Mollah.

À l’écart un tout petit groupe papote. Khomeiny est au centre, tout de noir vêtu. Si eux sont assis sur le grand tapis rouge, lui a les jambes croisées sur une sorte de matelas recouvert d’une couverture carrelée. J’ai pensé « peut-être est-ce là qu’il dort. »Il semble absent. Il écoute ses voisins, la main posée sur sa longue barbe blanche. J’apprendrais que ce sont ses plus proches fidèles, ses gardes du corps, son secrétaire. Je reconnais Banisadr à l’extrémité. Il est grand, plus âgé, la quarantaine bien engagée. J’en avais vingt de moins. Le jeune qui m’a accueilli murmure à l’oreille de Banisadr. Il se lève, s’approche vers la sortie où je me trouve. L’imam Khomeiny a levé un œil vers nous et posé sa main droite à hauteur du front. Puis il a repris sa pose initiale, les mains jointes sur le buste. Banisadr porte un costume gris à carreaux, deux boutons, sans cravate.

De grosses lunettes à écailles marron. Cheveux et fine moustache noirs. Le jeune homme est surpris de me voir à l’intérieur. Il me montre du doigt. Banisadr me tend la main. Il demande: « De la part de quel journal venez-vous ? et ajoute aussitôt « vous êtes latino ? »

J’y suis allé au bluff un peu. Je dis en souriant « je ne suis pas latino. Je suis ici pour PRS-info. » Ce n’est pas la première fois qu’on me prend pour un latino. Les cheveux probablement. Il est vrai que je vivotais autour du PRS et de quelque « Comité de base » estudiantin, mais je n’avais rien de l’envoyé spécial de PRS-information ou d’El Jarida.

Ils ne m’auraient pas laissé passer.  « C’est quoi ? » Je précise « Parti de la révolution socialiste ». J’ajoute « opposition algérienne. » Puis immédiatement « Je souhaite vous poser quelques questions », « oui ? » À ce moment-là, je sortis de mon sac le carnet à spirale sur lequel j’avais porté les questions. Il m’a semblé fébrile. Le jeune a disparu. « Quelles perspectives envisagez-vous pour les minorités politiques, religieuses, ethniques, culturelles… » Vaste programme ! Il a mis ses deux mains entre nous comme pour dire « doucement, doucement », puis il m’a coupé en posant sa main droite sur mon épaule. « Écoutez, là je suis très pris, je vous donne mon numéro de téléphone : 665.89.54, appelez-moi, nous fixerons ensemble un meilleur moment pour un entretien. Rappelez-moi votre nom ? » Je le lui ai donné et j’ai noté son numéro. « Je vous appelle ». J’étais déçu, mais content aussi. 

Je n’ai pas eu le temps de préparer notre entretien, peut-être pas le courage. À quel journal l’aurais-je envoyé ? Trois mois plus tard, le premier février 1979, il s’envolait pour l’Iran avec l’imam Khomeiny. Lorsqu’ils atterrirent à l’aéroport de Téhéran, ce sont des millions d’Iraniens qui les acclamaient. Voici le contenu d’une dépêche de l’AFP datée 1° février 1979 : « Des millions et des millions d’Iraniens, visages épanouis, massés sur trente-deux kilomètres, ont fait le 1er février un accueil triomphal à « l’Exilé », l’ayatollah Khomeiny, dont la voiture a été engloutie pendant des heures dans une marée humaine en délire. À peine sorti de l’aéroport de Téhéran, où son avion s’était posé à 09H00 locales, l’ayatollah Khomeiny, visiblement ému mais serein, a été emporté par des millions de fidèles. »

Banisadr sera le premier président de la République islamique. Élu le 25 janvier 1980. Destitué par le Parlement en juin 1981. Il revient en France qu’il connaît depuis le début des années 60 et où il a étudié. Il résidera à Versailles. Abolhassan Banisadr est mort ce samedi 9 octobre 2021, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13°) « à la suite d’une longue maladie ». Il avait 88 ans.

Ahmed Hanifi, 

Marseille le 10 octobre 2021

L’écriture pour neutraliser le monde réel

-LIBERTÉ _ jeudi 30 septembre 2021

Par :  Ahmed HANAFI
Écrivain

Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner.

Peut-on parler de littérature sans parler de l’acte d’écrire ? Non. Alors, qu’est-ce qu’“écrire” et pourquoi écrit-on ? “Il me faut écrire comme il me faut nager, parce que mon corps l’exige”, écrivait Albert Camus (Carnets I/Folio). Par nécessité en quelque sorte, pourquoi pas ? Mais aussi écrire pour le plaisir d’admirer en fin de course l’échafaudage de signes constitué, ou celui de le donner à lire. Ou pour transmettre. Les raisons sont nombreuses. Sartre s’interrogeait : “Pourquoi écrire ? Chacun a ses raisons. Pour celui-ci, l’art est une fuite ; pour celui-là, un moyen de conquérir.” (in Qu’est-ce que la littérature ?/Gallimard) Philip Roth a répondu à la question Pourquoi écrire en 635 pages (Folio). Écrire pour domestiquer la solitude peut-être. Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner. Écrire, c’est régler son compte au destin. Écrire, c’est donner une suite au premier cri d’horreur que l’on a éprouvé à l’origine en découvrant le monde à zéro heure. Mais comment tout “cela” commence ? Il y a bien une petite musique à la source, une émotion, quelque chose qui nous extrait de notre monotonie, qui nous happe.
Alors qu’assis à une terrasse de café nous observons les passants, les monuments…, alors que nous voyageons dans un autocar ou dans un train et qu’à travers la vitre nous admirons le paysage estival ou printanier, alors que nous nous promenons autour du lac de La Maix dans les Vosges, que nous progressons simplement sur la cime du mont de La Clusaz, avançons à la tombée du jour sur la plus haute des dunes de Béni-Abbès ou, qu’effrayés, nous observons un ours repu se dandiner sans grâce sur le bas-côté d’une route du Yukon du côté de Whitehorse…, une émotion fugace, une petite musique, l’ombre d’une bribe de vers, la fulgurance d’une idée de phrase ou de texte surgit, nous presse. Et “cela” émerge. “Des mouvements indéfinissables qui sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir.” (Nathalie Sarraute/ Tropismes)
Peu à peu l’indicible se transforme, mue. Aussitôt, au crayon à mine ou au stylo bille, nous alignons les mots sur un bout de feuille, prêt à les accueillir. À d’autres moments, dans d’autres circonstances, d’autres idées, d’autres lignes s’imposeront à nous. Dans nos calepins à spirales ou sur une feuille volante, les mots, les phrases, s’encrent. Et s’ancrent. Ils s’amoncellent. Les pages foisonnent de toutes sortes d’idées, de textes. Les marges se voilent puis disparaissent. Emportés par notre enthousiasme ou notre scepticisme, des nuits, des semaines, des mois durant, nous ne nous soucions pas des espaces blancs des pages qui se rétrécissent, pour céder plus de place à un univers que nous croyions disparu. Un univers disparu, renfloué, ranimé par la force des mots ou un monde délibérément inventé, mais – nécessairement – construit de bout en bout avec des matériaux épars de ce qui nous fait, de notre propre histoire. Nous continuons, nous ajoutons, nous rayons, nous modifions. Puis un jour nous marquons un arrêt pour nous interroger : “Le moment n’est-il pas venu de partager, de donner à lire nos respirations, nos émotions, nos rencontres, nos futilités, nos rythmes intérieurs ?”

« L’Ombre d’un doute » de Nadia Agsous. Lecture

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Ahmed Hanifi,

Jeudi 9 septembre 2021

« L’Ombre d’un doute » est un roman de Nadia Agsous. Édité par les Éditions Frantz Fanon, Boumerdès, 12. 2020. 147 pages. La photo de couverture a été prise devant le mausolée Sidi Abdelkader à Bejaïa, l’un des 99 saints de la région.  On peut lire en quatrième de couverture : « Bent’Joy est une ville-légende qui traîne son passé comme un boulet. Toute idée de renouveau y est vécue comme une menace à son identité. « L’Ombre d’un doute », est un véritable conte moderne, qui se lit comme un poème épique ». Il est composé de sept courts chapitres et 17 sous-chapitres. Il développe l’intrigue sur quatre temporalités : la première marque l’arrivée de Sidi Akadoum en 1602 et le règne du « bon prince », la 2° est celle de Sa Majesté Le Pouilleux qui « haïssait Sidi Akadoum et qu’il a démis de ses fonctions et exilé », la 3° couvre le règne du fils de Sa Majesté Le Pouilleux « qui ne pense qu’à faire la fête », jusqu’à la fuite de la famille royale. La dernière enveloppe notre réalité. Le discours n’est pas linéaire, et les périodes et événements s’entrecroisent tout le long du livre. Il y a donc une difficulté pour qui s’attend à une intrigue simple, tels les composants d’une quelconque pièce de métier à tisser. Non, les fils de chaîne et de trame sont nombreux. Et les patrons divers et parfois complexes.

Ces temporalités ne sont pas linéaires donc. Ce qui est mis en avant ce sont les personnages et les événements qui les articulent et stimulent sur une trajectoire, un spectre de quatre siècles. Il y a de nombreux personnages, les principaux étant le narrateur, sa mère qui ne comprend pas son fils : « ah cette génération, il faut que vous le sachiez, cet homme (Sidi Akadoum) est notre sauveur » ; une autre femme dont la « voix est rocailleuse, une femme habitée par la folie blanche ». Nous ne connaissons pas leur nom. Et Sidi Akadoum. Ils traversent tous le roman sans trop insister sur la diachronie. Ce qui importe est l’événement.

Le cœur territorial est la ville de Bent’Joy (Bejaïa ?), embellie par une Montagne sacrée… et la pluie. La ville est repliée sur elle-même et « sa mémoire est engourdie, enlisée dans les sables mouvants de son histoire. » Sans difficulté, derrière la métaphore nous reconnaissons l’Algérie et les sempiternelles interrogations qui jaillissent dès que son nom est prononcé. Sont posées les questions de l’appropriation des identités nationales, leur construction, leur falsification « à outrance »… Mais pourquoi ce nom de Bent’Joy qui sent plus le vieux far west américain que la bougie éponyme (parfumée à la rose d’Austin) fierté des bougiotes. 

Des créatures étranges apparaissent ici et là, à côté des autres personnages dans ce « conte moderne, de ce poème épique » (4° de couverture) dans des réalités fantasmées, dans une possibilité fardée d’ombres, sous le déluge : nous croisons des hommes « accoutrés de longues robes noires, arborant sur leurs fronts des bandeaux rouge-vermillon », ainsi que Athina et Amjah, deux êtres « à l’apparence fragile », toutes les inhumanités du monde,se concentraient dans leurs gros intestins… la pluie cinglait leurs visages… Ils burent goulûment leurs maux, en silence sans mot dire… Et ils avalèrent leurs mots, sans maudire… », mais aussi un « chat mort pourri, des crânes vomis, d’os se transformant en aigle noire », et enfin des anges de la Bienvenue à travers des spectacles de magie noire…

Des créatures étranges qui apparaissent également au travers les divagations du narrateur qui, pris de doute au milieu de la nuit, quitte sournoisement ou ‘‘ à bas bruit’’ (locution répétée) son lit pour s’installer dans la terrasse familiale où l’attendait « un petit être étrange ». Le narrateur vit une expérience fantastique. Le voilà errant « dans la nuit de mes rêves. Je traversais les âges. Je chevauchais les siècles… J’avançais lentement dans les dédales souterrains de mes errances existentielles lorsque surgit, devant mes yeux emplis de sommeil visqueux, le passé de Bent’Joy. » En son for intérieur il entendait la voix enjouée de sa mère qui « dissipait ma crainte, apaisait ma peur, distillait dans mon cœur l’envie d’affronter l’imprévisible et d’éclairer les zones d’ombres de l’histoire de Sidi Akadoum ». 

Car il s’agit bien d’une paisible ville, Bent’ Joy, qui d’une part a été bouleversée par l’arrivée « à dos de chameau » d’un homme, Alââ di Paya el Mandouli, alias Sidi Akadoum, et de sa philosophie « qui aliène en douceur » et d’autre part va refuser que son identité soit emportée par la tempête de ce « prophète sans barbe, À la vie ! À la mort ! » 

Sidi Akadoum arriva à dos de chameau, à l’aube du 20° jour de l’été de l’an 1602 (aucun lien à faire – ici – avec le 16.02 de l’an 19).  « Sur la Côte d’Argent. D’abord un Boum ! On aurait dit un tremblement de terre. Un homme… et un animal… s’affalèrent sur le rivage ». Le vacarme fut tel qu’il ébranla la Montagne sacrée et effraya les habitants.  Sidi Akadoum est  « un être absent, sans visage, profondément ancré dans les confins de la mémoire collective ». Nous sommes amenés par le choix de mots, de lieux… à faire un rapprochement avec « un ensorceleur qui possédait des pouvoirs divinatoires », un Marabout, un idéologue islamiste, peut-être même Le prophète (la grotte, l’araignée, le Livre Saint, certains versets détournés… : « de la fragilité nous naissons. Dans la fragilité nous vivons. À la fragilité nous retournerons. »

Au lever du jour, Sidi Akadoum, inconnu alors, « baragouina quelques mots dans une langue étrangère aux habitants », il cligna des yeux et aboya. Son cauchemar prit l’allure d’un ‘‘verre de terre’’ qu’un oiseau de mer emporta. Trois mois après son arrivée, un « orage diluvien s’abattit sur la ville ». Il a plu nuit et jour durant une semaine. « Le ciel noir porta le lourd fardeau de la colère divine ». Les oracles convoqués par le prince prièrent, le roi sacrifia « une tonne de poules et de moutons ». En vain. Jusqu’à l’apparition de Sidi Akadoum. « Soudain, tout redevint calme. La mer se reconstitua en présence des habitants qui assistèrent à la scène en s’exclamant d’étonnement et de joie. » Le roi saisit cette occasion pour faire connaissance de Sidi Akadoum. « Aux yeux de la population, cet homme, qui était de plus en plus apprécié, était un faiseur de miracles, un sauveur. »  « Cette intervention inaugura le début d’une amitié » qui mènera Sidi Akadoum jusqu’à la fonction de Vizir du « bon prince ». Sidi Akadoum « apprit la langue locale dans ses moindres détails et étudia minutieusement l’histoire, les mœurs des habitants. Partout il répandait la joie, il éblouissait, il séduisait ». Dans un livre il consignerait ses mémoires : « Le parchemin de mes années à Bent’Joy ».

Une des rares fausses notes sur le tableau d’accueil de Sidi Akadoum est une vieille femme, une folle, à la voix particulière. La « voix rocailleuse d’une femme habitée par la folie blanche irait dans les ruelles de Bant’Joy, mettant en garde contre « la prophétie de l602 », celle de Sidi Akadoum. « Ô gens de peu ! Maudissez le nid nuptial vide de Sidi Akadoum, Ô gens de rien ! Il étouffera votre parole !… » Elle le poursuivra longtemps. Cette femme habitée par la folie a-t-elle jamais côtoyé Léon-Gontran ? « Qu’attendons-nous/ les gueux/ les peu/ les rien…/ pour jouer aux fous/ pisser un coup/ tout à l’envi/ contre la vie/ stupide et bête/ qui nous est faite… » Peut-être. 

La voix de la folle traverse le livre en italique et avec conviction et des mots lourds, appelant les citoyens de la ville à réagir, à ouvrir les yeux, à sortir de leur léthargie, à dénoncer « cet homme voleur de lumière », « la supercherie des siècles, il vous engloutira dans les ténèbres envoûtantes. » Nous renouons ici avec les temporalités indiquées plus haut. Le prince est mort, vive le Prince. Sa Majesté Le Pouilleux, qui succéda à son père « le bon prince », était exécrable, autoritaire. Il haïssait Sidi Akadoum qu’il a démis aussitôt de ses fonctions et exilé. Pour accélérer son départ il lui offrit biens et bétail que le bénéficiaire donna à son tour à des pauvres préférant vivre dans la discrétion. Mais « Pendant que Sa Majesté Le Pouilleux était persuadée qu’il avait quitté la ville, alors que les descendants de la lignée royale se faisaient la guerre, lui, Sidi Akadoum, ralliait à sa cause la population de Bent’Joy. » En deux ans ils adoptèrent sa philosophie « qui aliénait en douceur ». Les habitants édifièrent sur le Rocher flou, là même où il vivait, un mausolée en son honneur. Et il fut proclamé « Saint de tous les Saints ». Le lieu devint un lieu de pèlerinage où on venait chercher un « soulagement aux désordres intérieurs » attribués aux djinns. 

Le Pouilleux, comme son père, mourut d’une chute. Il tomba du haut de la Montagne sacrée et mourut dans sa chute. Sa disparition fut accueillie « dans la joie et la liesse » par la population. « Les femmes investirent la rue annonçant la fin d’une ère et l’avènement d’une époque qu’elles embelliraient » Sidi Akadoum écrivit sur son cahier « Un Monde humanisé est désormais possible ! » Et les habitants y crurent. « La ville n’allait pas tarder à vivre des changements radicaux ».

La mère du narrateur (il y a là un saut temporel) se rend au mausolée de Sidi Akadoum avec d’autres femmes pour « offrir leurs corps et leurs âmes à l’absent vénéré ». Lui ne comprend pas qu’on puisse porter tant de dévotion à un être « Messie, Rassoul, Prophète » dont on ne sait « ce qu’il a fait pour Bent’Joy ? » « il y a fixé son existence », mais il n’en est pas originaire.  La mère et son fils ne se comprennent pas. Pour elle, « cet homme est notre sauveur, il est le symbole de notre unité, il nous a rendu notre dignité, va vite te recueillir sur sa tombe ». Le narrateur, comme la femme à la voix rocailleuse, s’opposait à l’idéologie de cet homme vénéré par sa mère. Un jour il lui dirait : « Je la regarderais droit dans les yeux et lui avouerais ce que je pensais de Sidi Akadoum, cet homme qui avait emprisonné tant d’âmes, bluffé les plus crédules… » 

« Une procession d’hommes et de femmes marchaient sous la pluie battante. Je les voyais avancer main dans la main, piétinant leurs traumatismes et conjurant le malheur des années passées sous le règne de la médiocrité obscure. » Vingt et unième siècle. « L’aube des jours heureux faisait son entrée dans la légende primitive. Je m’agrippai au sommeil qui m’emportait jusqu’aux confins de mes origines lointaines. » Bent’ Joy « toujours belle et désormais rebelle », se purifiait sous la pluie battante, de ses impuretés primitives. Son avenir radieux se dessinait. Dès que les premières lueurs du jour caresseraient son visage, la femme à la voix rocailleuse irait boire le lait de dattes pour célébrer l’ensevelissement de la Prophétie de l’Aube 1602 dans le terreau des ténèbres.

Il faut seulement être patient et ne jamais rien lâcher comme dit la chanson « Notre réalité est la même/ et partout la révolte gronde/ Dans ce monde on n’avait pas notre place/… On lâche rien, on lâche rien…walou !… (HK et les Saltimbanks). Ne dit-on pas que la patience est mère de toutes les vertus ? Voilà donc un beau livre, hommage aux luttes des femmes et des hommes pour la réappropriation de leur réelle histoire, pour la vérité, pour la dignité, pour le futur. L’écriture est fluide. Le roman est agréable à lire. 

Nadia Agsous utilise beaucoup l’énumération avec répétition de possessifs, de prépositions, de substantifs … pour appuyer une idée, mettre en relief une pratique, un déroulé d’action… exemple : « … après avoir erré pendant plus de deux années, de dune en dune, d’oasis en oasis, d’étendue de sable en étendue de sable, de bourgade en bourgade… », « il découvrait ses habits, leurs modes de vie, leurs mœurs, leurs atouts, leurs faiblesses… », « la ville perdit sa joie, ses couleurs, sa beauté, son allégresse, sa clémence », « chacun portait sur son dos un instrument de musique : un violon, une harpe, une mandoline, une derbouka, un tambourin », « ce jour-là j’avais osé, j’avais parlé, j’avais dit, j’avais usé du verbe, je n’avais pas mâché mes mots », « elle courait, elle allait et venait, elle portait, elle cuisinait, elle goûtait, elle donnait, elle comptait, elle sermonnait, elle félicitait, elle s’emportait, elle me lançait des regards chargés d’amour. »

Les personnages sont touchants, particulièrement La folle à la voix rocailleuse, même s’ils manquent d’épaisseur. Ici, nous basculons dans les réserves et il y en a d’autres. Nombre de fois il y a indistinction ou plutôt des va-et-vient délibérés entre le système du présent et celui du passé de sorte que la narration parfois nous échappe (je devrais relire le roman). Nous avons parfois cette sensation que la narration s’appuie sur une succession de faits froids au détriment de la description (portraits, états d’âme…) C’est peut-être un choix. Heureusement qu’il y a de nombreuses pages au discours direct (les paragraphes en italique). Par contre l’utilisation de mots généralement peu usités ou éruditsalourdit le texte. Je cite pour exemple : valétudinaires, animadversion, déhiscence, obombrer, à la venvole… Il y a aussi des expressions ou jeux de mots malheureux ou fautes d’inattention : de bouche en bouche, mâles en mal d’amour,  elles acceptèrent ‘‘sans mot dire’’ ou ‘‘sans maudire’’ (avec répétition), L’architecture de ces résidences ‘‘étaient’’…, leur ‘‘héro’’, « ils dormaient à ‘‘points’’ fermés », son allure et sa démarche ‘‘fascinait’’…

Mais, heureusement, les passages poétiques qui glissent dans le roman sont nombreux et nous font vite oublier les écarts ci-dessus :- « J’errais dans les nuits de mes rêves. Je traversais les âges, je chevauchais les siècles, je comptais les années, je déréglais les ressorts du temps… j’avançais lentement dans les dédales souterrains de mes errances existentielles lorsque surgit devant mes yeux le passé de Bent’Joy. » – « L’aube des jours heureux faisait son entrée dans la légende primitive. Je m’agrippai au sommeil qui m’emportait jusqu’aux confins de mes origines lointaines. »  – « Allez-vous-en ! votre vue nous est insupportable ! Allez cheminer…, Vos vies sont des tragédies…, Allez, disparaissez… » – « Une femme marchait à mes côtés. Le silence de ses pas apaisait. Il agissait sur mon âme comme une douce caresse aux senteurs de l’enfance heureuse et insouciante. Des effluves d’ambre se répandaient dans l’air. L’ambre de ma mère. L’ambre de ma jeunesse heureuse passée à courir après une promesse de magie ; cette senteur envoûtante qui dit l’ardeur de l’amour maternel résonnait dans mon corps avec une étonnante familiarité. L’ambre blanc avait le pouvoir de transformer la vanité du monde en promesse d’épanouissement. » 

– À la lecture de la page 116, sans pouvoir me l’expliquer (le rythme, les mots ?), notamment de la longue tirade d’un des Grands Frères de la P’tite Mort « le plus âgé, le plus puissant, le plus pernicieux », je fus transporté dans les années 70, avec les paroles de La solitude de Léo ferré (qui fut un de nos marqueurs) .

Tirade du grand Frère : « Nous portons nos vies comme un haillon ravaudé. Nous avons été témoins du ravissement du cœur battant de vos esprits vifs, et dans l’aurore de vos vies à peine rougeoyantes, nous avons assisté au dépouillement de vos entrailles bouillonnantes. Nous avons surpris des mains drapées dans un tissu vert oindre vos corps d’huile du pessimisme… »

La solitude de Léo Ferré : « Les flics du détersif, Vous indiqueront la case, Où il vous sera loisible de laver, Ce que vous croyez être votre conscience, Et qui n’est qu’une dépendance de l’ordinateur neurophile, Qui vous sert de cerveau, Et pourtant… »

Poésie pour poésie, une attention particulière est à porter aux mots de la femme à la voix rocailleuse. On peut comprendre le combat de ces femmes et de ces hommes (ou même adhérer à leurs convictions) pour atteindre la vérité, retrouver leur véritable histoire, écrire leur Roman national inclusif. Le nôtre. Reste le cheminement et là… 

Le lecteur algérien (mais pas seulement) a besoin de ce type de roman. C’est le premier de Nadia Agsous, une belle performance, sans l’ombre d’un doute.

Ahmed HANIFI

Marseille, jeudi 9 septembre 2021

ahmedhanifi@gmail.com

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VIDÉO

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ET AUSSI…

LE QUOTIDIEN D’ORAN

L’ombre d’un doute de Nadia Agsous: Une ville, un mythe destructeur 

par Faris Lounis

in Le Quotidien d’Oran, samedi 22 mai 2021

Quand les mythologies s’installent, lever le voile sur de telles occultations devient une gageure. La vérité est mensonge et l’histoire n’est qu’une berceuse qui veille gracieusement sur les aveugles qui ne veulent pas voir. 


Ecrire une nouvelle histoire, par-delà le mensonge et la mythologie, n’est possible qu’à travers la remise en question du passé, d’une manière totale et absolue. Un nouveau regard est un nouveau départ. Nietzsche disait qu’ «il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante» et le créateur doit faire danser, voire trembler, ceux qui voient l’avenir comme une répétition statique et religieuse du passé. 


Le récent roman de Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, aborde la trajectoire des étoiles dansantes, afin de démythifier certaines légendes enkystées. Ces légendes dont le poids est devenu insupportable ont fait régner, pendant un temps considérable, une léthargie innommable sur la ville et le peuple de Bent’joy. 


La ville de Bent’Joy 


Bent’Joy est une ville à la mémoire engourdie. Une ville amnésique repliée sur elle-même. Elle est paranoïaque et toute tentative de renouveau y est vécue comme une menace à son identité. Le mensonge ancestral ronge le ciment de ses murs. De quel mensonge s’agit-il ? De celui de Sidi Akadoum, érigé en élu de Dieu. Il est devenu un être omniprésent dans l’histoire et la mémoire collective de la ville. Il repose sous une tombe en pierre de taille sur une plateforme surplombant la mer : « Femmes et hommes, grands et petits, implorent sa bénédiction dans leurs moments de doute et de malheur. Les jours de semaine, ils se remémorent ses actes et ses paroles. Tous ensemble, d’une seule voix, main dans la main, ils l’adulent, louent ses vertus, célèbrent son courage et son sens d’abnégation et de sacrifice »1. 


Par la force du hasard, cet individu devient le personnage principal d’une histoire défigurée et combien de fois réécrite. Lors des préparations précédant la célébration du centième anniversaire de sa disparition, le narrateur, s’interrogeant sur le sens du faste commémoratif dédié à Sidi Akadoum, demande à sa mère quel rôle a-t-il joué réellement dans le développement et l’épanouissement de la ville de Bent’Joy. Remontée par les questionnements de son fils, la mère réplique : « Comment oses-tu, fils indigne ? Hein ? Aurais-tu oublié que cet homme s’est sacrifié pour nous ? Qu’il nous a débarrassés des tyrans ? Qu’il nous a libérés des chaînes de l’inféodation ? Qu’il a enchaîné nos démons ? Qu’il nous a rendu notre dignité ? Ah, nos ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes ! S’ils étaient encore de ce monde, ils châtieraient les incrédules de ta graine ! Va ! Va vite te recueillir sur sa tombe et implorer son pardon. Va, vite, fils de Satan ! »2. 


Sidi Akadoum avait tout pour plaire et persuader. Une chevelure longue et noire. Des yeux couleur miel luisant comme le sable du désert. Il est venu de loin, sur sa monture, portant un Livre Sacré: «Cet homme que le vent sec et brûlant du désert expulsa vers les contrées douces et clémentes du nord fut subjugué par Bent’Joy et ses paysages qui dégoulinaient de beauté sauvage. La mer et ses tremblements, qui exaltaient une plainte douce et capricieuse, l’intriguèrent. La quiétude des nuits éthérées l’éblouit; elle raviva son envie de vivre et alimenta son désir de graver son empreinte sur des sépultures sans noms »3. Son installation à Bent’Joy fut saluée par tous, y compris les anges qui gardent la ville. 

Le verbe de Sidi Akadoum 


Son discours était superstitieux. Il ne parlait que du monde invisible. Il voyait de petits êtres malins partout et nulle part. Il glosait absurdement sur la relation pathologique des djinns avec la lumière. Ce discours absurde et bien enchaîné séduisait une foule largement naïve et crédule : «Durant ces nuits, à l’aide du miroir qu’il cacha dans la grotte du Rocher flou, Sidi Akadoum s’improvisait exorciste. Il avait réussi à faire croire qu’il possédait des pouvoirs lui permettant d’expulser les esprits malins des corps des femmes, des hommes et des enfants frappés par le destin maléfique. Ses prétendus dons de guérisseur des désordres psychiques étaient appréciés par la population bent’joyienne qui venait nombreuse solliciter son aide, lui, le mage adulé et glorifié sans modération »4. La charlatanerie de Sidi Akadoum ne faisait pas l’unanimité mais, hélas ! ceux qui contestaient son endoctrinement obscurantiste ne purent guère pallier la crédulité de la majorité de la ville. 


Le jour où tout a basculé 


Vendredi, journée sainte. La mère du narrateur prépare, avec les femmes de la ville, la grande célébration de l’ancêtre qui a sauvé leur ville, Sidi Akadoum. Les festivités se déroulent à Tiguemmi N’Ouguellid el Kheir. Comme tout parent désireux de transmettre ses rites et legs ancestraux, la mère du narrateur a trouvé l’occasion d’exprimer son mécontentement à l’égard de son fils. Voyant la révolte de ce dernier à l’égard de la tradition ancestrale, elle l’admoneste, tout en rappelant que le Saint de la ville est sacré et que cette dernière doit sa conservation à sa prédication, son Livre Sacré et sa bénédiction dont la source est son tombeau, lieu de pèlerinage et point névralgique de Bent’Joy. 


Impassible, le fils ne cède rien à la tradition qui sacralise l’ignorance : « Je la regarderais droit dans les yeux et lui avouerais sans détour ce que je pensais de Sidi Akadoum, cet homme du hasard inopiné qui avait envoûté plusieurs générations, emprisonné tant d’âmes, bluffé les plus incrédules, trompé les plus malicieux, amadoué les plus tenaces et les avait enfermés dans un monde étriqué où la vie prenait l’allure d’un cercueil dans lequel chaque âme attend son départ ultime »5. Le constat du fils est le suivant : les Bent’Joyiens sont les prisonniers de la mémoire d’un fantôme, Sidi Akadoum. Et cet asservissement mémoriel et dogmatique ne pourra pas durer : « Le passé n’est pas une prison : il n’est pas une demeure éternelle. C’est un lieu mémoriel où chacun vient puiser des forces, méditer, se ressourcer, se reposer, trouver des réponses à des questions qui taraudent l’esprit, et prendre de la distance avec le présent pour mieux appréhender l’avenir. Aujourd’hui ne sera pas hier. Demain ne sera pas aujourd’hui. Lorsque le soleil se lèvera, la graine prendra. Une nouvelle génération naîtra »6. Mettre le passé au repos et dessiner les voies du renouveau, c’est ainsi que le narrateur décide de s’opposer à sa mère et aux obscurantistes de Bent’Joy. 


La ville de Bent’Joy avait non seulement des personnes éveillées, mais aussi une ombre blanche qui veillait, depuis un temps immémorial, sur sa prospérité. Le jour où le narrateur a décidé de rompre avec la coutume commémorative et cultuelle qui ronge sa ville, l’ombre blanche fait son apparition, comme si par miracle, elle avait entendu l’appel au renouveau. Durant la procession du vendredi, la foule des croyants dociles a rompu avec sa léthargie : «Le lendemain à l’aube, dès que les premières lueurs du jour caresseraient son visage, elle irait boire le lait de dattes qu’Ang’Ava, la messagère des jours bénis, lui offrirait pour célébrer l’ensevelissement de la Prophétie de l’Aube 1602 dans le terreau des ténèbres. Lorsqu’elle aurait étanché sa soif, elle lui confierait un sac de mots multicolores, et chaque jour, elle jouerait au troubadour sur la place centrale de la ville. Sa voix gutturale répandrait le lot de verbes, de noms, de conjonctions, d’adjectifs contenus dans le sac. Les araignées laborieuses s’empareraient de ces perles finement ciselées, et à l’aube de chaque jour nouveau, elles tisseraient l’histoire renouvelée de Bent’Joy, fontaines de nos joies. Oasis de nos passions heureuses »7. 


Vers l’avenir comme ouverture 


Le progrès est une imitation infidèle, transfigurée. Surpassement. L’imitation totale et rigide est une mort. Une mort dans la lassitude et la sclérose. C’est ainsi que les habitants de Bent’Joy ont décidé de réécrire leur Histoire, en regardant vers l’avenir. Leur créativité a cassé ses chaînes, regardant vers le ciel et mer, se tenant sur le tombeau du Saint-Corrupteur des générations, désormais dépassé et jeté dans les oubliettes de l’histoire.

Faris Lounis

 
Notes: 

1- Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, Boumerdès, Editions Frantz Fanon, 2020, p. 9. 

2- Ibid., p. 10-11. 

3- Ibid., p. 23. 

4- Ibid., p. 73. 

5- Ibid., p. 141. 

6- Ibid., p. 142. 

7- Ibid., p. 144. 

EL WATAN 02 MARS 2021

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LIBERTÉ, 9 mars 2021

Dans cet entretien, la journaliste et autrice revient sur l’écriture de son dernier ouvrage, dont l’action se déroule dans la ville Bent’Joy. Une ville fictive et néanmoins très similaire à l’Algérie,“comme la métaphore de son enfermement sur son passé”, dit-elle.

Liberté : Quel  était  le  point  de  départ de votre  roman  publié  le  mois dernier chez Frantz-Fanon ?
Nadia Agsous : À l’origine, L’ombre d’un doute était un mini-roman. C’est sur les conseils bienveillants de mon éditeur qu’il est devenu un roman. Les trois personnages principaux : le narrateur, sa mère et Sidi Akadoum existaient dans la première version. Bent’Joy, le cadre spatial du roman, était une ville sans grande envergure. 
Au fur et à mesure de l’élaboration du récit, elle est devenue une ville millénaire. Puis, des personnages secondaires sont venus se greffer autour du noyau qui constitue le socle du roman. J’ai gardé la dimension fantastique (rêves, ambiance crépusculaire, pluie diluvienne, vents…) du récit. 
Cet exercice d’écriture et de réécriture fut formateur. La similitude avec l’Algérie est apparue au fil des pages. “Bent’Joy a émergé comme la métaphore de l’Algérie et de son enfermement sur son passé. À la fin 
du récit, à l’instar de l’Algérie, Bent’Joy qui au début n’était jamais rebelle, est devenue rebelle, un écho criant à la Révolution du sourire (Hirak)”.

Qui sont les personnages de L’ombre d’un doute ?
Le roman oscille entre les genres réaliste et fantastique. Il est “habité” par deux types de personnages : le lieu-personnage représenté par Bent’Joy, et les personnages humains qui se divisent en deux catégories. 
D’une part, les personnages principaux qui sont au cœur de l’intrigue : le personnage-narrateur, sa mère et Sidi Akadoum. Et d’autre part, les personnages secondaires : Athina, Amjah, la foule, le Dieu des eaux ruisselantes… Les deux premiers, par exemple, ont un rôle de figurants. Leur fonction est de servir la quête de vérité relative à Sidi Akadoum menée par le protagoniste lors de son incursion nocturne et onirique dans le passé de Bent’Joy. 

Comment décririez-vous le personnage-narrateur ?
C’est lui qui dynamise le récit, il va endosser un double rôle. Il est un précieux témoin du présent de Bent’Joy, et il va œuvrer pour se renseigner sur son passé au point d’émerger comme un historien, voire un archéologue qui fouille dans le passé pour éclairer le présent. C’est un jeune homme au tempérament curieux. Il est lucide, il voit et entend tout. Il est un observateur actif des mœurs de Bent’Joyiens. Lorsqu’il parle du passé, il adopte un point de vue narratif raconté à la troisième personne. 

Puis, il va changer de point de vue narratif pour devenir un personnage actant qui emploie la première personne (je). Il va s’inscrire à contre-courant des valeurs dominantes et s’attribuer le rôle de “sauveur” de Bent’Joyen se  lançant dans une quête pour découvrir la véritable nature de Sidi Akadoum, le saint vénéré et adulé. 
L’emploi du “je” renforce le caractère intime du récit qui sera consolidé par une expérience mystique vécue dans un mausolée où il assiste à l’engloutissement de Sidi Akadoum dans les abysses de son inconscience. C’est lors de ce baptême du feu qu’il se débarrasse de ses peurs, purifie ses sentiments et affirme sa détermination d’œuvrer pour le renouveau de Bent’Joy, “ville de – ses – tourments”. 

Sidi Akadoum est omniprésent dans la mémoire collective. Qui est cet homme qui subjugue les Bent’Joyiens ? 
Ah, Seigneur Visage !  C’est un homme à part. Il est absent physiquement, mais il a une forte présence symbolique, car il est omniprésent dans la mémoire collective bent’joyienne. Il a une personnalité double et trouble. Lorsqu’il arrive à Bent’Joy, il ensorcelle les Bent’Joyiens et gagne leur confiance, y compris celle de son altesse, le prince qui, rapidement, le nomme son homme de confiance. 
Puis, un changement de personnalité s’opère, car, au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire, on découvre sa vraie nature. Il est fourbe et roublard. Il présente des caractéristiques similaires à celles d’un dictateur. Il a réussi à fabriquer des femmes et des hommes obéissants et incapables de réfléchir par eux-mêmes. 

L’ombre d’un doute,
éditions Frantz-Fanon, Alger, janvier 2021, 147 pages, 600 DA / 15 euros.
 

Entretien réalisé par : KAMAL OUHNIA

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EXTRAITS….

La folle…

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Les hypocrites

Les hypocrites

Ils nous regardent sans bienveillance

Ils ont kidnappé la vérité majuscule de l’Invisible, travestie, stérilisée.

Et nous la récitent par kilogrammes en veux-tu en voilà.

Chacun la sienne, main sur le cœur.

Ils nous sermonnent, nous alpaguent, nous maltraitent

Parce que chez nous, nous partageons les plaisirs de la table,

Parce que nous ne nous mêlons que de notre vie,

Parce qu’ils ne nous voient pas jouer du coude derrière l’imam, selfies à l’appui.

Ils sirotent les prêches qui leur promettent le Paradis éternel, c’est sûr

Et ne disent mot sur leurs comportements diaboliques ici et maintenant 

À l’égard de leur voisin, de leur frère, de leurs enfants

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

N’y a-t-il pas problème ?

Nous balbutions « éducation, citoyenneté » 

Nous voilà éjectés hors de la « nation des croyants » 

Le venin toujours et encore au nom de Dieu, le grand, le miséricordieux.

Leurs miroirs malsains déforment nos pensées

Ils construisent le plus grand nombre de mosquées par habitant au monde

Et les plus hautes.

Le Maroc et la France n’ont qu’à bien serrer les fesses.

Et el-ghachi de se prosterner devant l’écran plasma de la honte

Qui montre l’unique voie.

Ils reprennent « Corruption ? la France,

Incompétences ? la France,

Covid 22 ? la France,

Zawiyat kounta ? la France,

Les cousins se jettent par milliers dans les bras de la tour Eiffel ? la France

Trou dans le trou ? la France… »

Dans leur cœur brûle la flamme de la haine 

Parce que nous ne leur ressemblons pas,

Parce que l’humilité nous habite et avons horreur du vacarme.

Et gare si nous ne pointons pas devant les tourniquets de la foi publique 

Cinq fois par jour au bas mot.

Gare si nous ne réveillons pas les résidents du quartier, 

Leur signifier à trois heures du matin et à voix haute,

Que leur place est à nos côtés, sur la route de la mosquée

En groupes pour toujours plus de bruit

Réveiller les bébés, achever les malades

Cogner aux portes et aux fenêtres ah la bonne blague !

Désopiler la rate de l’imbécillité

Preuve de la sainte et heureuse bigoterie

Puis dormir jusqu’à midi

La société d’État guèdra (1), attendra.

Elle a toujours toléré et encouragé.

Sur ordre.

Ps : si vous ne vous reconnaissez pas dans cette bourrade, si vous ne vous sentez pas pointé du doigt, merci de partager et de passer votre chemin. Vous êtes des miens.

ahmedhanifi@gmail.com

dimanche 5 septembre 2021

1_ charika guèdra- « l’entreprise peut ». Expression populaire. Ne pas se préoccuper du « combien ça coûte » puisque l’entreprise (lÉtat) alimente sans règles.

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C

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La peau des nuits cubaines de Salim Bachi

____ LE QUOTIDIEN D’ORAN, samedi 19 juin 2021, page 18- « Culture »___

___ LE QUOTIDIEN D’ORAN, dimanche 20 juin 2021, page 18- « Culture »___

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Recension de « La peau des nuits cubaines » de Salim Bachi, édité par Gallimard en mai 2021.

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Salim Bachi aime les voyages et il aime nous les faire partager à travers ses livres. Le dernier nous emmène au cœur des Caraïbes, à Cuba. Il se présente en la forme d’un roman de 153 pages intitulé « La peau des nuits cubaines » édité par Gallimard. L’année de publication inscrite sur la deuxième de couverture est « 2020 », dépôt légal « avril 2021 ». La pandémie de la Covid-19 a retardé d’une année sa mise en librairie (le 7 mai 2021). 

Le roman est composé de trois parties. La première contient les chapitres 1 à 4, la deuxième les chapitres 5 à 7 et la troisième qui est intercalée entre les deux parties ne contient que deux phrases : « Le soir même, Chaytan reçoit un coup de téléphone d’Ely : nous devons rentrer au plus vite. Omid s’est pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro ». Chaque chapitre du roman est subdivisé en sous-parties ou séquences d’une à cinq pages (45 en tout, montées comme un film). Ainsi dans le chapitre 1 il y a 5 séquences, 4 dans le chapitre 2… Le 5° chapitre est celui qui compte le plus de séquences : 12 pour un total de 29 pages.

Voici un roman qui fait la fête à Cuba, à ses villes, qui exalte ses habitants (ses femmes), qui célèbre le cinéma. Sur le bandeau rouge d’accompagnement du livre, il est mentionné en majuscules « Il était une fois La Havane ». Cela pourrait être le titre d’un film réalisé autour de séquences qui s’entrecroiseraient avec les mêmes personnages, avec les mêmes lieux, avec ce qui donne sens à la vie, tout « ce qui disparaît, perte sans remède. »  C’est cette vie, cette perte, que cherche à fixer le narrateur sur pellicule et de fait, sur un autre support par l’auteur.

Nous sommes à Cuba donc, au mois de juin, en « saison humide », où le ciel est « strié d’éclairs et de folies », des éclairs qui « griffent le ciel noir » avec « un vent de fin du monde » et « une lune géante, mortifère, (qui) troue le ciel noir ». Mais parfois le soleil « cogne comme un boxeur ». Le narrateur est en vacances à La Havane, une ville qui « ne ressemble en rien à la carte postale vendue dans le monde entier », rues tracées au cordeau comme New York avec ses calle 1, calle 25, 19… qui se jette dans la mer, mais c’est la seule comparaison possible entre les deux villes.

Les événements se déroulent dans le cœur de La Havane, Cienfuegos, Puenta Gorda, ou dans l’historique Diez de Octubre, dans leurs artères… durant la coupe du monde de football (très probablement celle de juillet 2018 qui eut lieu en Russie). Les maisons de ces quartiers ont presque toutes été éventrées par les arbres tropicaux. Les touristes ne s’y aventurent pas. Le quartier Diez de Octubre porte la date d’un événement historique. Le 10 octobre 1868 est le point de départ de la première guerre d’indépendance de Cuba. Le narrateur est cinéaste. Il filme les quartiers de La Havane, « les décombres de cette Allemagne année zéro », mais il précise qu’il ne rend « sans doute pas justice à cette cité marine. « Je ne montre pas ses qualités, inhumaines, entêtantes comme un songe concocté dans la marmite de cet Atlantique redoutable où reposent des siècles de servitude, esclaves sombres, négrières sordides qui ont engrossé l’île de cette humanité violente. » 

Les principaux personnages du roman sont ce narrateur-cinéaste et Chaytan son hébergeur ou ami, une sorte de patron voyou. Le narrateur soupçonne son camarade de porter deux masques, ceux de la droiture et de l’amoralisme « qui se combinent pour donner cet homme fascinant à la Citizen Kane. »  Chaytan signifie « Satan » en iranien (et en arabe). Se sont-ils connus par le fait du hasard, par le biais d’une agence de tourisme ? Ils naviguent d’un endroit à un autre, arrivent à Cienfuegos « sous un soleil de plomb, dans une voiture chaude comme l’enfer. » Le narrateur écrit « je dérive entre le continent de ma naissance et ce nouveau monde qui s’offre à moi dans son étrangeté au point de m’abandonner, navire corsaire sans mâture, vaisseau fantôme voguant sur des souvenirs absents », ceux de son lointain passé dans l’africaine Cyrtha. 

Chaytan est Iranien. Il a grandi à Chiraz. Le narrateur dit à son propos « il faut prendre ses dires avec circonspection » et se demande s’il n’a pas exagéré son passé politique en Iran, pays qu’il a fui pour la France où il a passé plusieurs années et où il a été marié (et a divorcé) deux fois. Ses enfants lui en veulent « d’être parti vivre à Cuba, avec une femme autre que leur mère. « 15 jours après son divorce il arrivait à La Havane ». Il possède un restaurant, deux appartements. Chaytan loue au narrateur une Casa particular qui se situe à calle San Lazaro et lui avance des pesos convertibles pour ses dépenses. Lui prête un téléphone portable pour son séjour. Le narrateur lui règlera plus tard la location par virement, probablement lorsqu’il sera retourné en France. C’est ce que préfère Chaytan. Sa Casa particular est tenue par deux demandeurs d’asile, iraniens comme lui. Chaytan est un homme difficile, sévère avec ses employés, il se moque d’eux, il n’aime pas les Cubains « des voleurs et des malades mentaux ! » Il dit vivre « dans un hôpital psychiatrique à ciel ouvert. » « Il s’emporte contre le système cubain, sa politique, sa bureaucratie ». Se vante d’avoir « grandi avec les plus grands voyous de Chiraz. »

Laura est l’épouse cubaine de Chaytan. Elle a « 30 ans et des poussières » et possède un appartement à Calle Galiano, près de la Casa de la musica. À la moindre contrariété, elle s’y enferme. Laura ne lit jamais. Elle ne s’intéresse à rien, déteste le théâtre. Elle s’intéresse au Reggaeton et aux magasins qu’elle dévalise. 

Son mari a un visage diabolique, « il ressemble à un bouc. Ses dents du fond manquent à l’appel. » Laura, est dentiste, mais n’a rien pu faire pour les empêcher de tomber ». Lui l’accable de tous les maux ». Il la trouve « immature, malade et instable ». Mais il ne peut en divorcer au risque de tout perdre. Elle le tient. S’il divorce, il perd son restaurant, sa carte de séjour, son appartement, la casa particular de la calle San Lazaro. Chaytan dit avoir fait une erreur en l’épousant. Ils ne s’entendent pas du tout. Lors d’un repas elle confie au narrateur que Chaytan c’est le diable et confirme qu’il porte bien son nom. Lorsqu’elle le quitte après une dispute, elle emporte « un peu des économies de son mari cachées sous le lit conjugal ».  Chaytan aime la belle vie, les soirées, les sorties. Il a invité son ami, le narrateur à la pension de José. Elle se trouve à Puenta Gorda, une presqu’île. José veille sur son établissement et sur sa fille qui ne sort jamais le soir. Chaytan aimerait refaire sa vie avec une fille de la province comme la fille de José. Il est prêt à attendre qu’elle grandisse » « on regrette parfois d’avoir l’âge qui nous interdit de toucher aux jeunes filles en fleurs » dit le narrateur en pensant lui aussi à la fille de José qui le fait rêver « rien de sexuel dans ce désir de regarder danser, chatoyante, cette jeunesse qui bat des ailes comme un papillon. » Elle ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita, dit-il.

Le narrateur est l’autre personnage important. Son nom n’apparaît qu’en page 71. À une fille qui le lui demande, il répond « Durquès… » Ce sera la seule fois. Est-ce son vrai nom ? Nous savons qu’il a été marié et qu’il a un enfant de quatre ans et demi « qui l’appelle pour lui souhaiter bonne fête ». Nous savons également qu’il habite en France et qu’il a passé son adolescence ou enfance à Cyrtha (la ville référence de l’auteur qui le poursuit depuis son premier et célèbre roman Le Chien d’Ulysse). Lorsqu’il pense à son ex-femme et à l’amant de celle-ci, le narrateur dit qu’il regrette de ne pas les avoir frappés lui qui a du sang d’Othello qui coule dans ses veines : « J’aurais dû me venger ! frapper et tuer : elle et son Cassio ! » Cassio le ‘‘capitano moro’’, le fidèle capitaine d’Othello.

La Havane fascine le narrateur « au-delà du raisonnable ». Il restera au moins un mois « empêtré dans cette ville ». Il se rend souvent à Ispahan le restaurant de son ami. La Havane est une cité en ruine qui « accélère la décomposition des sentiments ». « L’eau manque, la misère fleurit sur le fumier, la ville pue. » La pauvreté est partout, mais les habitants s’improvisent restaurateurs pour arrondir leur fin de mois. Dans le quartier de Diez de Octubre, il n’y a que « des rues sordides où la misère suinte des murs, où un immeuble sur deux s’effondre… » Le narrateur/ Durquès aime les Cubains et regrette d’avoir perdu sa jeunesse « dans un pays froid qui ignore l’alchimie des corps ». Il regarde cette vieille ville « qui se déploie comme une tapisserie usée par les siècles » et qui déteint sur ses habitants. Liannis, une des serveuses de l’Ispahan « incarne cette ville étrange, violente, radicale ; hanches déliées des Orientales et des Africaines. Elle ressemble à une Arabe : ses cheveux bouclés flottent comme des palmes. » La Havane, sa chaleur, sa pauvreté attirent le narrateur, le poussent dans sa mémoire « où se sont abîmés avant moi tous les Ulysse du monde. » Elles le renvoient à ses jeunes années passées à Cyrtha. Il regarde les petites voitures des gamins pauvres de l’île et ce sont les ‘‘carricos’’ algériens qui surgissent dans sa mémoire. Alors il se revoit adolescent au collège à Cyrtha « par un matin semblable à celui-ci. » À quoi rêvait-il cet adolescent qu’il était ? Ce souvenir le fait « pleurer longuement, en silence. » 

Durquès restera plusieurs semaines à Cuba, jusqu’à juillet. Avec sa caméra il filme à longueur de journée et de nuit. Il filme « des maisons coloniales en ruine », les filles de la calle Humboldt, Freido le frère de Chaytan et sa femme « cette vierge s’apprêtant à donner vie ».  Il filme même lorsqu’on le lui interdit comme lors de cette fête des saints : « il laisse tourner la caméra pour filmer la fin de la cérémonie », malgré l’interdiction de la sœur de Liannis une des serveuses de l’Ispahan. Le narrateur est magnétisé. On danse, on chante, « c’est une mer déchaînée de corps gras en sueur, cheveux mêlés aux voix tumultueuses teintées d’hystéries. » Il filme au risque de se faire agresser ainsi, Miguel, un jeune étudiant entremetteur qui, non content d’être filmé, sort un couteau « qui brille dans la nuit épaisse ». Sans soleil méditerranéen, la lumière ne giclera pas sur l’acier. Heureusement pour le narrateur, Chaytan ­­— qui veut être « le personnage principal » du film en préparation — est intervenu. « Je lui ai arraché les dents pour lui apprendre son code civil ». Le narrateur, ce « métèque », aura la vie sauve. Il a pris goût à ces déambulations, à ces rencontres fortuites. « Elles sont devenues cet opium qui m’apaise et me permet de sortir de la bulle d’indifférence qui m’emprisonne d’habitude et m’empêche de saisir le monde sinon à travers l’objectif de ma caméra. » « Le cinéma a été pour moi cette connaissance intime de ce qui disparaît, perte sans remède donnant sens à ma vie et que je cherche pourtant à fixer sur une pellicule. Il montera son film ici même, « à La Casa ».

D’autres personnages animent le roman. Il y a Sohar et Omid un couple d’Iraniens demandeurs d’asile, arrivés à Cuba il y a six mois. Sohar est chrétienne et « au pays des mollahs ce n’est pas évident ». Omid manifestait contre le régime. Ils tiennent la Casa particular de Chaytan, s’occupent du ménage, reçoivent les clients étrangers, leur préparent le breakfast. En échange ils sont logés ‘‘gratuitement’’ entre guillemets. Ils « font lit à part », mais c’est elle, Sohar, qui se sent « supérieure dans la souffrance » qui est la « lider maximo » du couple. Tous deux rêvent d’un autre ailleurs. Omid du Canada, elle des États-Unis. En attendant cette issue, Sohar passe son temps à se promener près du Paseo et sur le Malecon avec ses amis. Chaytan se demande si elle ne se prostitue pas. Omid souffre de sa condition. Il est « plus mal loti que dans son pays d’origine ». Il est seul. Sa femme le délaisse. Il n’en peut plus. Il se pend. 

Omid s’est suicidé et le narrateur en a été perturbé. Il pense à ses perruches « qui va s’en occuper  ? » Le narrateur dira que depuis sa disparition il a le sentiment de nager dans l’irréalité. Il regardera Les Enfants du paradis sur son ordinateur. Chaytan a « passé la journée chez les flics puis à l’ambassade d’Iran. Il faut rapatrier le corps d’Omid et il lui faut de l’argent pour cela. Il compte sur une amie pour lui rendre ce qu’elle lui avait emprunté. Chaytan lui avait prêté cet argent pour ne pas le laisser chez lui de crainte que Laura le lui vole. 

Il y a un autre personnage qui apparaît ici et là. Freido le frère de Chaytan. Il dit à Durquès qu’en Iran il a été condamné à mort à cause de son frère, c’est lui qui l’a entraîné dans la politique en Iran. Il n’en revient pas que Chaytan côtoie à Cuba le consul iranien. Contrairement à lui Freido aime les Cubaines « ici les gens n’ont rien et te reçoivent chez eux sans te connaître. » Freido s’est fait plumer par son ex, mais il n’est pas rancunier. 

Chaytan et le narrateur se dévergondent dans les boites de nuits, discothèques, restaurants, bars où ils sont bien accueillis « comme si nous étions de grands amis. » La France vient de se qualifier pour la finale du Mondial, alors partout ils sont les bienvenus, bien reçus. On les prend pour des français, « même le flic qui inscrit nos noms sur son grand carnet nous félicite ». Cela paraît absurde au narrateur. Le match de la qualification à la finale qui s’est déroulé à St Petersbourg a vu la France battre la Belgique par un but à zéro. Ce qui rend heureux les deux amis ce sont les soirées dans les restaurants, les discothèques, avec les Cubaines, plus que le football dont ils n’ont rien à faire. Durquès trouve la situation plutôt drôle lorsque les vigiles les congratulent pour la victoire de l’équipe de France. « Deux étrangers devenus les ambassadeurs d’un pays qui les méprise et les renvoie à leurs différences. Deux métèques naturalisés grâce à une équipe de football dont ils se fichent ! »

 « Miguel leur propose d’aller voir « des copines muy bonitas », « des filles pour 60 pesos ». Elles sont belles, élégantes, l’une d’elles porte « une robe blanche virginale, une pierre brille sur sa narine, un piercing qui aimante le regard du narrateur. Une fille avec de longues jambes noires qui disparaissent sous un short minuscule. » Lorsqu’il en emmène chez lui, Durquès les « laisse traîner seules dans sa chambre ». Elles ne touchent à rien. Des filles à qui il donnait de l’argent pour prendre le taxi, acheter des vêtements. En échange elles le laissaient les filmer. Ces filles (souvent des ‘jineteras’) sont jeunes et belles. Elles font contraste avec les villes en ruine, prêtes à clamer cette discordance au narrateur-cinéaste (il se qualifie « cinéaste-voyeur) qui les filme comme on présenterait ses atouts lors d’un casting. On le devine les accompagner dans la nuit pour les en sortir dans un cadre qui les resserre. Certaines sont « aimantées par la caméra », d’autres ressemblent à des actrices de films cultes. « Tu veux pas me filmer ? Je ressemble à Marylin pourtant ! » dit l’une d’elles, et  « la fille de José ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita. » L’auteur fait de nombreux clins d’œil au cinéma, au théâtre, et à la littérature comme dans d’autres de ses romans… Du Sergent Garcia à Al Capone en passant dans le désordre par La Haine, Majnoun Leïla, Roméo et Juliette, Allemagne année zéro, Citizen Kane, Moby Dick », L’Odyssée (Ulysse, Ithaque, Elpenor), La Bataille d’Alger, Kubrick, Schnitzler, Les Enfants du paradis de Carné, « Dolce vita », Hemingway, etc.

Ce dernier jour, le narrateur arrive au restaurant de Chaytan à midi comme pour un clap de fin. Le restaurant est bondé. Le barman est affalé sur le zinc la tête enfouie entre ses bras. Il est abattu. « Quelque chose d’obscur, comme ce désir malsain de revenir sans cesse sur mon passé, me propulse machinalement vers le fond du restaurant. » À l’intérieur de son appartement, Chaytan était allongé sur l’un des canapés. Il semblait dormir. Torse nu. Visage recouvert par son bras droit. Le gauche traînait sur un tapis le poing serré. Une mouche se posa sur sa poitrine, se posa sur son bras livide. Elle s’attarda ensuite sur sa poitrine. « Doucement et tendrement, elle s’immisça dans une plaie ouverte comme une fleur carnassière où elle finit par disparaître. » À côté de Chaytan, Laura semblait sourire. Égorgée. 

Le roman s’achève sur cette scène échappée du présent comme d’un thriller. Chaytan et son épouse se sont-ils entre-tués, ont-ils été tués par des voyous, par des services secrets ? Car enfin, Omid, lui qui a été condamné à mort en Iran, a été retrouvé pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro.

Et puis Freido disait ne pas comprendre que son frère se rende en Iran chaque année alors que son meilleur ami a été assassiné en prison. Il ne reconnaissait plus Chaytan qui l’a entraîné dans la politique, ce frère qui était recherché par toutes les polices du Shah puis celle des mollahs. Et qui « maintenant fricote à La Havane avec le consul d’Iran ! »  qui rentre sans problème au pays, c’est sûr « qu’il a signé une lettre dans laquelle il a reconnu s’être trompé et qu’il regrettait », dit Freido. 

Le roman s’achève comme un film. Et les caractères, comme les pixels, se transforment en de « scintillantes étoiles ». La focalisation est double, Durquès raconte, exprime ses sentiments, sa subjectivité, mais il observe aussi les autres personnages. Le système narratif est celui du présent. Les phrases sont courtes. L’écriture est inscrite dans une réalité immédiate, forte, permanente, volontairement accessible, non soutenue qui nous donne à deviner, à l’identique d’une caméra discrète qui fouine et zoome, dézoome, plan général, d’ensemble, plan américain, les contours d’une scène, d’un moment poétique, d’une réalité tantôt noire décomposée, tantôt belle comme cette danseuse à l’image d’une « flamme qui tremble dans la nuit ». « Deux flammes vacillent dans la nuit brûlante à la peau veloutée et sombre. Je respire leur beauté qui vibre dans l’air moite de la ville après l’orage ». Et le lecteur se met à figurer ces flammes, cette nuit, et la peau veloutée. Nous sommes installés au cœur de la Havane, sur une banquette du célèbre bar-restaurant El Floridita à siroter comme papa Hemingway à son époque, un daiquiri en suivant au plafond les volutes rondes d’un Cohiba, « la Rolls-Royce du cigare ! » 

Dans la section 4 du chapitre 5 l’auteur écrit au présent : « Chaytan est locataire d’un appartement. Il possède un autre logement, derrière Ispahan, moderne, meublé avec art. » Puis il bascule au passé : « Chaytan aimait l’art et il tenait à le faire savoir »… Puis il revient au présent deux phrases plus loin : « Chaytan vit avec Laura, ils sont mariés depuis trois ans, dans le petit loft qu’il a décoré. Peut-être a-t-il aimé l’art dans le passé, pas (plus) au présent. Il y a des allers-retours entre l’un et l’autre, du présent au souvenir. Dans le dernier chapitre, nous sommes en juillet « le soleil assassine » : il arrive, la chemise colle,  les gens attendent, il cherche, il voit, il fait signe… puis en page suivante et dernière du roman : Chaytan était allongé, son bras traînait, il avait le poing serré, il ne voulait pas, Laura regardait, un trait rouge découpait son cou… 

 Durquès retrouve dans sa mémoire « le frêle adolescent qu’il a été, qui se rendait au collège, dans les rues de Cyrtha ». Il est apaisé. À ses côtés, Maria, la fille rencontrée dans une discothèque du Diez de Octubre « une flamme qui tremble dans la nuit ». « Je la serre fort dans mes bras et me laisse dériver, emporté par mon beau navire corsaire, ma mémoire africaine. » Nul besoin ici de s’encombrer de caméra.

Les subtilités du roman n’ont pu être entièrement rapportées ici, transposées dans ce compte-rendu. Elles sont nombreuses et les subjectivités propres à chacun privilégient telles ou telles strates.

Salim Bachi est l’auteur de dix romans, deux récits, un essai et un recueil de nouvelles. Dix de ses quatorze ouvrages ont été édités chez Gallimard. Salim Bachi publie depuis 2001 un livre tous les 18 mois en moyenne. Il a reçu plusieurs prix : dont le prix Goncourt du 1° roman pour Le chien d’Ulysse. Salim Bachi est l’un des plus doués auteurs algériens (il est franco-algérien) dont le nom mérite d’occuper le haut des plus belles affiches des pages culturelles. Il est regrettable que son œuvre ne soit quasiment ni éditée ni disponible en Algérie.

Ahmed Hanifi,

Auteur.

En Occitanie, le 17 juin 2021

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Pourquoi je ne voterai pas.

Pourquoi je ne voterai pas. 

Les Algériens sont convoqués pour élire la nouvelle Assemblée nationale. La date du vote a été arrêtée au samedi 12 juin prochain. Dans dix-huit jours.

Le vote est un droit constitutionnel. Il n’est pas une obligation. Voter ou ne pas voter est un choix personnel, individuel. Il n’est pas criminel ou délictueux de voter ni de s’abstenir, ni de boycotter.

Il est nécessaire avant de poursuivre de donner un sens à ce terme de « voter ». Le dictionnaire dit que voter c’est « exprimer son opinion, son choix par un vote ». Et celui-ci, « vote », que signifie-t-il ? Là encore le dictionnaire précise : « le vote est l’acte par lequel un citoyen participe, en se prononçant dans un sens déterminé, au choix de ses représentants… ». Nombre de citoyens algériens votent depuis la nuit des temps et jamais (quasiment jamais) les « élus » hameçonnés on ne sait comment n’ont reflété leur choix, pour la simple raison que des maillons qui forment la chaîne qui relie l’acte de voter à son résultat, manquent, et d’autres sont falsifiés, les urnes bourrées, voire remplacées. Il n’y a pas de transparence, les citoyens ne sont pas associés au contrôle de ladite chaîne ou de manière très secondaire, artificielle sur quelques maillons. Ces « élus » ne pouvaient ni ne désiraient apporter des réponses satisfaisantes aux attentes des citoyens.

Pour illustrer mon propos, je vous livre une expérience que j’ai personnellement expérimentée dans une autre vie, il y a trente ans. Je me souviens de cette longue nuit du jeudi 26 décembre 1991 que j’ai passée dans cette salle de la daïra à attendre avec d’autres qu’on daigne nous annoncer les résultats de l’élection législative. J’étais candidat aux premières élections législatives « libres et honnêtes » du pays. Nous y avons cru. Nous avons participé au comptage des bulletins, à l’élaboration du procès-verbal de notre bureau de vote, à suivre autant que possible tous ces gens sûrs d’eux qui allaient, venaient, entraient dans la salle, sortaient (avec pour certains des Talkies-Walkies), qui entraient de nouveau… Nous avons fait ce que nous pouvions. J’ai lutté contre l’insomnie jusqu’à 5 heures du vendredi levant. Nous n’étions plus qu’une poignée de personnes éreintées à attendre les résultats définitifs de la région, au sein même de la daïra d’Arzew. J’ai abandonné au petit matin, complètement épuisé. C’est (aussi) ce moment que choisirent les prestidigitateurs bonneteurs pour entrer en scène. On peut aisément imaginer la production à l’identique de ces machinations dans les autres circonscriptions du pays.

Les résultats annoncés étaient biaisés par l’immixtion renouvelée de l’administration malgré une très forte abstention. Près de la moitié des Algériens ne se sont pas déplacés, découragés par l’atmosphère électrique qui pesait sur le pays. Cette atmosphère arrangeait les affaires du pouvoir qui avait perdu sur toute la ligne. Quelques jours plus tard, dans le bureau-laboratoire du ministre de l’Intérieur était créé le Cnsa, un « Comité de sauvegarde de l’Algérie » sous la houlette de H’Mida et de quelques généraux (Nezzar…) affolés par le résultat des urnes. Il leur fallait briser le processus démocratique en cours, et revenir au statu quo ante. Cnsa auquel ont spontanément adhéré la direction de l’Ugta et deux petits partis sans véritable ancrage dans le pays réel, mais pas l’écrasante majorité des Algériens qui répondront (plusieurs centaines de milliers décidés) à l’appel lancé par Hocine Aït-Ahmed pour une marche nationale le 2 janvier contre un état policier et contre l’intégrisme islamiste. Le mal était fait, et le coup d’État qui suivrait le 12 janvier donnera le feu vert à toutes les terreurs. J’y reviendrai un jour…

Avant cette élection de décembre 1991, j’avais très peu voté, et je n’ai plus jamais revoté depuis. J’ai eu raison. Les résultats des consultations qui ont suivi furent tous à des degrés divers tronqués, falsifiés, grâce notamment à l’administration qui ne pouvait qu’appliquer les ordres émanant de hauts dignitaires, de hauts responsables civils ou non. H’Mida était partout. Je me suis promis alors que tant qu’il jouera (alors qu’il est aussi l’arbitre, le croupier, le débiteur, le créditeur, le bonneteur et le baron), je ne voterai pas. Je déteste les jeux malsains de H’Mida, son bonneteau. 

Le bonneteau continue aujourd’hui encore. Comment voter alors que les visages d’une partie importante des candidats sont « effacés » ? avec la bénédiction du Pouvoir et de l’ANIE évidemment (Agence de préparation des élections). Cette ANIE est un des Va-tout de la Nouvelle Algérie, elle n’est qu’un artifice parmi d’autres qui ne changera rien à rien. Une simple interrogation à propos de son président nous renseigne froidement sur sa non-neutralité : savez-vous qui est son président ? connaissez-vous son itinéraire, son combat pour (plutôt contre) les libertés ? connaissez-vous son CV, ses années bien remplies à satisfaire le Pouvoir d’avant le Hirak ? vous êtes-vous interrogés sur cette énigmatique petite mouche plantée sur son front, cette hyperkératose, cette verrue ? l’a-t-il déclarée halal comme pour sa Constitution ? Cette fâcheuse tâche n’est rien d’autre qu’un marqueur clair, noir en l’occurrence, ténébreux, à qui veut voir.

Aujourd’hui, des chaînes de télévision par dizaines diffusent un même et unique message au profit du pouvoir en place. Elles sont squattées par un discours univoque porté par des politiques et aussi par quelques responsables militaires. Ces médias, ces politiques peuvent demain nous épingler pour le simple fait d’écrire notre opinion.

Est-on en démocratie lorsque des médias privés sont jugulés par le chantage à la publicité… Est-ce cela la démocratie ou n’est-ce que le fait du prince ? 

La démocratie autorise-t-elle de surveiller l’Internet, d’en réduire le débit ou même le couper des heures durant, punissant délibérément et par la même tous les utilisateurs ? Cela relève-t-il de la démocratie ? 1984 a été écrit en 1948 et les maîtres censeurs algériens en sont encore à débattre de la taille des ciseaux et des caméras de surveillance. Nous constatons tristement que nous sommes bien en 1984. Les Grands Frères n’ont jamais manqué. Aujourd’hui, au-delà des banalités, l’on ne s’exprime presque plus sur les réseaux sociaux domiciliés en Algérie. Facebook est asséché, alors qu’il y a deux ans c’était un bouillon. LGF veillent.

Emprisonner à tour de bras de simples manifestants (parfois mineurs), museler des journalistes pour accomplissement de leur devoir d’informer, étouffer les rares médias libres (Radio M. tolérée jusque-là y compris par la précédente et exécrable Issaba), interdire de parole des chefs de partis politiques n’est-ce pas là le fait du prince ? Priver de liberté pour le simple fait d’expression d’opinion 168 citoyens algériens est-ce cela la démocratie ? (Comité national pour la libération des détenus, au 24 mai 2021), interdire toute expression opposée au discours officiel est-ce cela la démocratie ? Peut-on parler de démocratie lorsque la presse est soumise à pression et au chantage ? Lorsque la justice est actionnée par téléphone ? Lorsque la séparation réelle des pouvoirs est une fiction ?

Certainement pas, non certainement pas. C’est pourquoi je ne voterai pas. Les gens sont libres de boycotter ou voter. Les empêcher de voter est une erreur et un acte certes répréhensible et je le comprends. Mais les empêcher de boycotter (et utiliser leur nom sur les listings à des fins de falsifications de leur décision) est un délit tout autant sinon plus répréhensible. Criminaliser un appel au boycottage comme celui-ci (le mien) et interdire (par simples appels téléphoniques) aux médias publics et privés d’ouvrir leurs pages aux adversaires du pouvoir est un abus primaire qui ne résistera pas au temps. 

Les millions d’Algériens qui sont descendus dans les rues, boulevards, places d’Algérie pour crier des mois durant et de toutes leurs forces « Etnahaw Gaâ » à la face des dirigeants responsables comme leurs devanciers, à des degrés divers, de la grave crise multidimensionnelle dont les effets les enserrent depuis des décennies, même s’ils sont en retrait aujourd’hui (à cause des risques réels d’emprisonnement et d’atteintes multiples à leurs droits fondamentaux) ces millions d’Algériens ne se satisferont certainement pas de ce énième cirque, de cet énième ravalement de façade. Carnaval fi dechra. Les Algériens ne se contenteront pas du saupoudrage ou chirurgie plastique, renouvelés. Leur faire la morale, ou le chantage est puéril et vain. 

Les Algériens savent que les conditions ne sont pas réunies pour aller voter paisiblement, parce que les médias ne sont pas libres de proposer des débats dignes de ce nom, autour de réels programmes politiques divers. Comme c’est le cas hélas depuis de nombreuses années. C’est pourquoi, massivement, ils ont boycotté et l’élection présidentielle de décembre 2019 (taux officiel de participation : 39,88%) et le référendum constitutionnel de novembre 2020 (taux officiel de participation : 23,14%). Le pouvoir a-t-il entendu ces boycotts magistraux ? Non. Il n’en fait qu’à sa guise. Les Algériens savent que les législatures passées n’ont apporté que malheur aux plus démunis et aux classes moyennes, alors une de plus…

On nous rétorquera « oui, mais si vous ne votez pas, les islamistes et patati… les Kabyles, les laïcs-koffars et patata… ». Là encore cela ne marche pas, ne prendra pas, pour la simple raison que « les islamistes » et autres catégories fustigées sont mobilisés comme variante d’ajustement que les tenants du pouvoir réel règlent au gré de leurs besoins, des circonstances et des rapports de force.

Lorsqu’un ministre, un haut dignitaire du régime ou responsable de parti objectivement allié s’autorise à excommunier de la Communauté nationale des Algériens pour croyances non conformes, lorsqu’il stigmatise une catégorie d’Algériens parce qu’ils sont francophones, lorsqu’il propose de déchoir des Algériens de leur nationalité algérienne, car ils en ont une autre, lorsque d’aucuns appellent au lynchage d’un chercheur, d’un intellectuel ou de femmes isolées…Ils le font, car ils considèrent à juste titre disposer de l’aval ou de la complicité muette, tacite, froide, du Pouvoir. Les yeux des marcheurs de la Silmiya sont désormais grands ouverts.

Je n’irai pas voter parce que la transparence est absente, interdite. Parce que les urnes qui sont translucides avant 20 heures pour les caméras, sont strictement surveillées au-delà, les approcher est interdit après minuit jusqu’à l’aube. Parce que les jeux (d’une certaine manière) seront faits la nuit juste avant l’aube naissante sous le grincement de chauves-souris grisées et aveugles, en l’absence des journalistes libres, du peuple et d’organismes non gouvernementaux. 

Les subterfuges sont gras et gros. Ils ne tromperont que leurs propres auteurs. Ce régime agonisant a épuisé — presque — toutes ses potentialités. Internationalement il n’est plus crédible non plus. Ma petite-fille dirait « il est cuit ». Quant aux Assemblées à venir, ses propres Assemblées, elles creuseront les mêmes sillons sur des terres incultes, asséchées par les Assemblées qui les ont précédées (les slogans portés par les affiches électorales actuellement en circulation sont une preuve s’il en fallait du peu de crédit et du peu de sérieux à leur accorder). Les futures Assemblées, forcément illégitimes, n’auront plus les moyens de leurs fantasmes, elles donneront à ce régime à bout de souffle et bien malgré elles, par tiers interposés, le coup de grâce. On ne pourra creuser plus profond. Et puis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le Hirak reviendra toujours pacifique, silmiya, plus insoumis que jamais, plus aguerri, plus puissant, plus confiant et plus encouragé (oui, oui) par ceux-là mêmes qui le répriment et par leurs soutiens, majoritairement opportunistes. Instruit par son expérience — qui ne se résume pas à la marche d’un point à un autre —, le Hirak (forcé de marquer le pas à cause de la brutalité inouïe de la répression), reviendra. C’est un mouvement effervescent d’idées, de projets, de fraternité, dont le pays et le peuple confondus ne peuvent se passer. Exercer son droit de voter alors qu’autour de soi la répression, la persécution, l’oppression, les arrestations rythment le quotidien jusqu’aux portes des lieux de vote est absurde. Le boycottage est ma réponse à ce cirque.

Enfin et pour clore, je citerai nos deux célèbres, talentueux et lucides écrivains. 

Le premier : « Le Hirak est aujourd’hui admiré dans le monde entier. Mais je suis aussi très inquiet, le peuple n’a pas réalisé son but, l’indépendance, tant s’en faut et le voilà désemparé au milieu du gué, ne pouvant ni avancer ni reculer, sachant qu’il sera mitraillé s’il avance et qu’il sera écrasé s’il recule… J’espère que nous n’allons pas vivre une nouvelle décennie noire. » Boualem Sansal – (entretien in Liberté 23 mai 2021). 

Le second, qui ne croyait pas si bien anticiper : « La nature de l’État algérien reste donc la même : soumis à l’équation de l’occultation, à la théorie de la régence avec des centres de décision collégiaux, à la formule de démocratie contrôlée ou en sursis perpétuel. Le général est donc mis à la retraite, mais cela ne change pas beaucoup de choses pour le moment. Cela ne change pas une nature qui revient au galop. On reste sceptique, marqué, indifférent. » Chronique du 16.09.2015 de Kamel Daoud in Mes indépendances. Ed Barzakh. Ah, cette « satanée nature du pouvoir » qui pend à la gorge alors même qu’on l’avait remisée !  

Après notre perspicace auteur, je répète et précise « en 2021, la nature de l’État algérien reste la même ». Comme en 2015. La même. Ce qui était avant-hier et hier est aujourd’hui. Et H’Mida est toujours au cœur du jeu, cartes en main — même s’il a fichtrement vieilli — sans aucun signe de bonne volonté adressé au Hirak, bien au contraire. De « béni » le Hirak est à son goût devenu « ennemi ». Alors pourquoi voter ? Tant que ce bonneteur jouera, je ne voterai pas. Je suis prêt à parier (je déteste les jeux) que le 13 juin au matin, sans même jeter un œil à l’écran du ministère de l’intérieur, H’Mida et ses larrons crieront victoire, puis ils redistribueront cartes et strapontins pour sauver coûte que coûte le Système quelques temps encore. Dans ce clair-obscur gramscien finissant, les monstres n’ont qu’à bien se tenir, car le divorce entre le peuple — le Hirak — et le pouvoir tel qu’il est a été prononcé avec majesté, le 22 février 2019.

Décidément, je déteste le bonneteau. Voilà pourquoi je n’irai pas voter. Je déteste le bonneteau. 

Ahmed Hanifi,

Auteur

Mercredi 26 mai 2021


Que Diable les emporte !

Je suis en colère.

À l’origine de ce post, un certain nombre d’écrits insupportables parmi lesquels celui-ci : « Si Facebook — créé par un Juif — n’existait pas, comment feraient les Arabes pour défendre les Palestiniens ». Son auteur est un abruti, un ignorant, ai-je spontanément pensé. Il y en a eu d’autres de la même veine. Un ramassis de bêtises aveugles insultant les Palestiniens, dénonçant ou raillant le soutien des Algériens « encrassés dans l’arabité » ou « attardés dans leur islamité » ou d’autres insanités du même genre. « Les Juifs, eux se battent contre l’islamisme », « Hamas ce sont des terroristes, islamistes », etc. Et le jour de l’aïd ils évitent de se brancher sur les réseaux sociaux, pour n’avoir rien à souhaiter. Probablement victimes, mais sérieusement complexés, refoulés maladifs et schizophrènes. Je précise ici que je n’ai pas pour habitude ce type d’écrit rugueux, mais je suis en colère. Une colère maîtrisée néanmoins.

Comment ne pas l’être ?

Ma morale, mes principes et mes valeurs exigent de moi que j’agisse également quelles que soient les circonstances. Ils m’interdisent de moduler mes actions contre l’injustice selon la couleur de peau des Hommes (hommes et femmes), selon leurs croyances, leurs idéologies, leurs cultures etc. Lorsqu’un homme est volé ma conscience (ma morale et mes principes) m’ordonne de dénoncer (de condamner) le voleur. Lorsqu’un homme est spolié ma conscience m’interpelle, lorsqu’un homme est violenté, racisé, stigmatisé, pareillement. Sans autre circonvolution. Condamner un vol, une spoliation, un viol selon l’appréciation que j’ai de l’origine de l’homme spolié, volé, violenté (ses appartenances, son idéologie…) et non selon l’acte qu’il a subi, qui l’a dégradé, cela s’appelle ségréger. Ce comportement, ces attitudes révèleraient que notre morale est tâchée, sombre, que nos principes relèvent de l’opportunisme, de l’aveuglement, du calcul.

Si on approuve le combat pour la liberté et la dignité mené par Nelson Mandela, Larbi Ben M’Hidi, Ho Chi Minh, Salvador Allende…, le combat mené par les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique… pour se déchaîner, on ne peut faire l’impasse sur celui que mène depuis trois générations, depuis la Grande Naqba le peuple palestinien pour sa survie, le combat de Yasser Arafat, de Marwane Barghouti, ou Ahed Tamimi contre la colonisation israélienne, contre l’Apartheid de l’État Juif. Faire de ce combat de libération une guerre de religion ou « un conflit aux torts partagés » est bête, ridicule et pire encore, c’est s’approprier le discours des colons israéliens et des médias occidentaux très majoritairement sionistes ou pro-sionistes, et très profondément marqués au fer de la culpabilité depuis l’holocauste, leur propriété. Faire de ce combat une guerre de religion est intellectuellement malhonnête. Lire à longueur de pages le rejet de la résistance palestinienne parce qu’elle n’est pas kabyle, ou parce qu’elle n’est pas algérienne ou que sais-je, est navrant, triste. Triste particulièrement pour les auteurs de ces lignes imbéciles remplies de haine évoquées en début de mon texte. Écrits puérils, mais dangereux d’auteurs inconséquents. Je pleure l’école algérienne et ses ravages — et en veux à mort aux responsables (c’est une formule SVP). Ces gens déversent leur haine contre d’autres pour le simple fait qu’ils sont ou qu’ils se disent Arabes, parce qu’ils sont Kabyles, ou parce qu’ils soutiennent la cause palestinienne. 

Et pour notre malheur, les grands bénéficiaires de ce gâchis, de cette gadoue, ce sont justement tous ceux qui, aux commandes à divers niveaux de responsabilité du pays depuis l’indépendance n’ont eu de cesse d’attiser les brasiers, d’allumer le feu, de le maintenir, pourvu que leurs pouvoirs, leurs intérêts gras et primaires, directs ou indirects, demeurent intacts. Tous ces satrapes ou assimilés ont inoculé dans le cœur de nombre d’Algériens le venin de la discorde, de la haine, de l’ignorance, et acculé d’autres à la dérive, vers une identité immaculée niant l’altérité. À d’autres enfin ils ont enlevé tout espoir de vivre, ou de retourner vivre, dignement dans leur pays. 

Que vive et aboutisse le Hirak pour qu’émerge une Algérie libre et démocratique respectueuse de tous, pour sauver les futures générations d’Algériens. Quant aux responsables de cette situation, quel que soit le degré de leurs responsabilités, que Diable les emporte tous avec lui dans ses geôles éternelles ! (SVP, ce n’est là encore que procédé langagier)

Et Aïd mabrouk à tous.

Ahmed Hanifi, jeudi 13 mai 2021 

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www.lacimade.org/

Réactions à la suite d’un article (Ali-Yahia – Benchicou etc.)

Hier, vendredi 30 avril, j’ai posté sur mon fil d’actualité (ma page), sur Facebook, ce court texte (accompagné d’une image) en réaction à  la lecture d’un article de presse que j’ai trouvé « culotté ». Il n’a pas laissé indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. Je vous propose deux groupes de réactions. Le premier est celui qui se trouve sur ma propre page FB, le second sur celle de la page « Chroniques algériennes » qui a repris mon post. Je ne suis pas allé chercher les réactions à la suite des 120 partages et même plus que cela, c’eut été fastidieux !

Les Algériens ont soif d’écouter, mais aussi sinon plus encore de dire, de s’exprimer. Ils veulent comprendre les années 90, « les années noires », « les années rouges », « les années de l’intégrisme islamiste », « les années du DRS »…, Les années de l’impensable.

Je me dois de préciser (telle est ma très ancienne et actuelle conviction) que le régime qui n’a pas accepté la défaite en décembre 91, a tout mis en œuvre pour stopper « le processus démocratique » alors en cours. Les islamistes n’étaient pas des saints, certes pas. Des islamistes ont violenté, tué. Mais il serait malhonnête de taire les exactions commises au nom du Pouvoir, directement (police, Ninjas, DRS…) ou indirectement (les milices, les « patriotes » et autres groupes paramilitaires (OJAL, OSSRA)…)

Les jeunes ont besoin de savoir la vérité. Cela est difficile car les médias étaient tenus, menacés, fermés, encadrés. Des hommes de la sécurité militaire fonctionnaient dans certaines rédactions. C’est un secret, s’il y en a, de Polichinelle. Il y avait des journalistes honnêtes, mais bâillonnés. Il y avait une Histoire, celle des Fax et télétex officiels, sur la base desquels on se devait d’écrire des « articles d’investigations » ( la journaliste zélée dite « S.T » par exemple en est le modèle parfait, les Algériens ne s’y trompaient pas qui l’appelaient « la colonelle »).  Et qui, dans la profession, ne connaissait pas Fawzi ? qui ne connaissait pas Hadj Zoubir ?

Cette histoire construite notamment par des médias proches du Pouvoir (par choix ou forcés),devra nécessairement être déconstruite, objectivement, pour qu’enfin jaillisse une autre histoire construite elle sur le socle de la Vérité. Donnons au temps son temps.

Les jeunes d’aujourd’hui qui réagissent (parfois maladroitement, durement, faussement) à certains articles, le font de bonne foi. Ils ont été nourri à L’Unique, à El Moudjahid et aux médias qui se définissaient dans les années 90 (et aujourd’hui) « Libres et indépendants ». Ils ne le furent jamais, ou précisément, dans certains domaines comme celui de la sécurité ils n’avaient qu’une seule directive. Ceux qui ont essayé de passer outre, furent balayés, bâillonnés, sommés de se contenter de chiens écrasés.

Il ne faut jamais oublier. Enfin, si j’ai un ivre à vous conseiller, ce serait celui-ci: « Être journaliste en Algérie » de Ghania Mouffok- Ed RSF, Paris 1996. (lire tout en fin de cette page, quelques extraits du livre de GM)

Voici mon texte:

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Le journal « Le Matin » (électronique), de Benchicou vient de publier — sans rougir — un hommage à Maître Ali-Yahia Abdennour. Quel culot, quel toupet !

Pourquoi j’écris « sans rougir » ? Parce qu’il y a quelques années, durant les années noires de tous les dangers, « Le Matin » a été le journal parmi les plus virulents à l’égard de feu Maître Ali-Yahia Abdennour, lui reprochant de défendre l’indéfendable. Jusqu’à l’invectiver et l’insulter, le traitant de suppôt, de complice des terroristes.

Maître Ali-Yahia Abdennour qui était avant tout un homme de Droit, ne faisait que défendre dans le respect du DROIT, les droits de l’homme, de tous les hommes, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, ne regardant ni la couleur de leur peau, ni leur compte en banque ni leur idéologie. Il les défendait tous. C’était un grand homme.

Aujourd’hui, Le Matin se comporte exactement comme ce très officiel représentant, Bouzid Lazhari, le président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) qui vient lui aussi rendre hommage à Maître Ali-Yahi Abdenour, au cimetière. Peut-être a-t-il même versé une larme de crocodile.  Ces individus dénigrent les droits de l’homme et leurs défenseurs, les emprisonnent même, et puis ils les encensent une fois morts. Sans rougir. Il faut dénoncer leurs agissements. ahmedhanifi.com

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Réactions sur ma page FB:

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Voici l’article repris sur « Chroniques algériennes » et la cascade de réactions qu’il a suscitée.

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POUR INFORMATION, VOICI LES OBLIGATIONS FAITES AUX JOURNALISTES ALGERIENS DANS LES ANNEES 1990 _

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Table des matières

Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

Dimanche 25 avril, 14h. Je viens d’apprendre la disparition de maître Ali-Yahia Abdenour. Il était un phare, un monument de lumière, un pionnier. Il était un guide essentiel, un maître. Le monde des libertés est orphelin. Nous sommes orphelins.Maître Ali-Yahia Abdenour a été de tous les combats pour les libertés humaines, pour les libertés fondamentales, pour la démocratie. Il a dédié sa vie à ces combats, pour que vive une Algérie libre et démocratique. Des pas importants ont été réalisés grâce au combat pour les droits fondamentaux, mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire.Cette photo a été prise lors du meeting que nous avons organisé (FFS Immigration) le 29 Septembre 1996 à Drancy « Pour la paix civile et la démocratie en Algérie » à l’occasion du 33° anniversaire de la création du FFS et intitulé « Quelle Algérie demain ? » avec notamment les interventions de Hocine Aït-Ahmed, Mohammed Harbi, Salima Ghezali, Louisa Hanoune, Maître Henri Leclerc, El Hadi Chalabi, Farid Aïssani, feu Hamida Bensada et bien sûr Maître Ali-Yahia Abdenour qui nous a toujours accompagnés.Je m’incline devant sa mémoire. Allah yarhmah. Ahmed Hanifi.

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Signature par maître Ali-Yahia Abdenour du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

Signature du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

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Un intellectuel condamné pour « offense à l’Islam »

À propos de la condamnation ce jeudi 22 avril de Saïd Djabelkhir.

Avant d’en venir aux faits, voici quelques éléments utiles. On peut lire ceci dans le préambule de la Constitution algérienne de 2019 : « Le peuple algérien exprime son attachement aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. » Or, cette Déclaration universelle énonce en son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Il est à noter que la Constitution algérienne reconnait l’inviolabilité de la liberté d’opinion (art.51), mais la réalité la met à mal chaque jour.  Ce même article 51 poursuit : « L’État assure la protection des lieux de cultes de toute influence politique ou idéologique. » Des lieux de cultes, mais manifestement pas ceux de justice.  Par contre nulle part dans cette même Constitution algérienne il n’est question de liberté de conscience, laquelle était clairement admise dans la précédente Constitution (1996), en son article 36  : « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Notre éventuelle naïveté doit passer son chemin. Les textes sont une chose, la réalité en est une autre. Les textes sont un gage de bonne volonté destiné à la Communauté internationale, particulièrement aux ONG.

J’en viens aux faits. À la suite d’une plainte déposée par un enseignant de l’Université de Sidi Bel-Abbès qui a préféré la facilité de la justice au débat intellectuel qui (ou car) nécessite un haut degré de connaissance en le domaine (pouvait-il s’y confronter ?), l’islamologue Saïd Djabelkhir a été condamné hier par le Tribunal de Sidi M’hammed à trois ans de prison ferme et à 50.000 DA pour « offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans ». Cette condamnation est politique, elle est un gage destiné aux esprits les moins ouverts sur la lumière, ceux-là même dont les idées, depuis des années, ont pénétré les plus hautes sphère du pouvoir réel et sa devanture, mais aussi infusent des pans entiers de la société déboussolée qui s’abreuve de plus en plus d’us et de codes en tous genres d’un autre âge.

La Justice garantit ou devrait garantir la liberté, elle n’est pas ou ne devrait pas être un obstacle à son expression naturelle. La Justice devrait garantir les Droits de l’homme et les libertés fondamentales. Cette condamnation est en même temps une mise en garde à l’endroit des hommes épris de liberté et de justice. Plus généralement elle est une preuve d’une inféodation au pouvoir politique de « L’Algérie nouvelle ». Car enfin l’objet en question ne relève pas du Tribunal, c’est une entorse à la loi et au bon sens. Ce qui est condamné c’est le questionnement, l’argumentation, c’est la recherche, c’est El Ilm, c’est l’université (déjà hautement très mal en point). Cette condamnation ouvre vers une pente dangereuse. « Le combat pour la liberté de conscience est non négociable » a déclaré Saïd Djabelkhir qui est prêt pour ces raisons à aller jusqu’en cassation si nécessaire. Rappelons que dans la foulée la Ligue algérienne de défense des Droits de l’homme (LADDH) a dénoncé « la criminalisation des idées, du débat et de la recherche académique pourtant garanties par la Constitution… » La lumière a besoin de nos bougies. Plus que jamais, l’intellectuel a besoin de notre solidarité. Le Hirak réagira-t-il aujourd’hui devant cette mascarade ?

J’écrivais récemment (Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril) en introduction à un article sur Ibn Rochd : « le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Je me demande à mon tour si nous n’avons pas pris le train vers ce funeste futur de l’inquisition, celui du 12° siècle. Reste à brûler les livres et la pensée. Il est urgent de se ressaisir, pour éviter le grand saut vers l’inconnu.

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Ajouté le: Vendredi 30 avril 2021

Lu ce jour sur la page Facebook de Ahmed Tazir

La condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir marque la dérive rigoriste de la justice algérienne ( Le Monde ) 

« Le chercheur a été condamné à trois ans de prison pour « offense à l’islam ». Des opposants y voient un gage donné par le pouvoir au camp islamiste.Pour l’islamologue et ses soutiens, c’est le procès de la liberté de conscience et d’expression. La condamnation de Saïd Djabelkhir en première instance à trois ans de prison par un tribunal d’Alger, le 22 avril, pour « offense aux préceptes de l’islam » symbolise les dérives de la justice algérienne, qui prend le parti de la vision la plus rigoriste de la religion musulmane.

Islamologue reconnu, spécialiste du soufisme, Saïd Djabelkhir, 56 ans, était poursuivi par un enseignant et six avocats pour avoir, entre autres, expliqué que certains rituels existaient avant l’islam, à l’image des pèlerinages, qui se pratiquaient dans un cadre païen. « C’est une première. Jamais un spécialiste, un universitaire n’avait été condamné pour avoir exprimé des idées qui relèvent de son domaine de compétence académique. Je suis choqué, je ne m’attendais pas à un verdict aussi dur », avoue le chercheur. Saïd Djabelkhir, qui mène un combat contre les prédicateurs salafistes, jusqu’à les défier sur leur terrain – les textes –, paie sans doute là des années d’abnégation.

« C’est choquant car il n’y a rien de condamnable dans ces écrits, qui sont les avis d’un islamologue », réagit Me Moumen Chadi, l’un de ses défenseurs. L’avocat dénonce la nocivité de l’article 144 bis 2 du code pénal sur l’offense aux préceptes de l’islam, qui a servi de base à la sentence. Un article de loi que Saïd Djabelkheir, fondateur du Cercle des lumières pour la pensée libre en Algérie, appelle à abolir depuis des années.

« Je connais cet article pour avoir travaillé sur beaucoup d’affaires de ce type. Il faut l’annuler purement et simplement. D’abord parce qu’il contredit la Constitution, qui garantit la liberté de culte et de croyance, et ensuite parce que le code pénal se doit d’être précis : un vol est un vol ; un viol est un viol. Or, cet article, avec ses formulations générales, fait qu’un juge peut l’interpréter comme il l’entend », soutient Moumen Chadi.

Fond de l’air vicié

Et l’interprétation peut être large, si l’on se fie aux arguments parfois rocambolesques qui ont été avancés par le camp opposé lors des plaidoiries. L’accusé répandrait ainsi « le mensonge », comme l’aurait fait l’école avec ses manuels scolaires : « Ils nous ont appris que nos pères étaient au marché et nos mères au jardin et, aujourd’hui, la femme a déserté la maison et traîne dans les rues », a déploré un des accusateurs… « Le plaignant dit que les écrits de son adversaire ont provoqué chez lui des problèmes psychologiques. Il doit aller voir un psychologue, pas un juge », rétorque pour sa part l’avocat Salah Dabouz, qui soutient l’islamologue.

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition » des universitaires, ancien combattants et écrivains, signataires d’une lettre ouverte

« Le tribunal n’est pas le lieu où l’on débat des religions. Il y a des lieux pour cela : les universités, les médias, les espaces culturels. Je ne connais pas les raisons qui ont conduit le tribunal à me condamner, mais je constate que le but des plaignants est de museler l’expression libre, d’intimider et de faire un exemple, estime Saïd Djabelkhir, aujourd’hui ciblé par une campagne de menaces de mort. On me dit : “On vous attend en prison pour vous régler votre compte” et que je ne suis plus en sécurité dehors. On me menace même à visage découvert. » Le fond de l’air est vicié, ajoute-t-il : « Nous assistons à un retour en force du salafisme en Algérie, dont le discours se répand dans les médias, dans la rue, sur les réseaux sociaux… »

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition, d’autant que certains attribuent au procès un caractère idéologique manifeste », dénoncent dans une lettre ouverte des universitaires, anciens combattants et écrivains. « Ce procès a entraîné la justice sur un terrain qui n’est pas le sien, dans la mesure où un tribunal n’a pas vocation à juger les idées philosophiques, scientifiques ou artistiques. »

« Crédulité des croyants »

Dans un pays où la justice est accusée d’être aux ordres, ce jugement ne serait pas dénué d’arrière-pensées alors que le pouvoir aborde une séquence politique périlleuse avec l’organisation d’élections législatives en juin, contestées par un mouvement de protestation persistant et boycottées par l’opposition proche des manifestants et par le bloc démocrate.

Privé d’assise politique depuis la quasi-disparition des anciens partis dits « présidentiels » qui, à l’image du Front de libération nationale (FLN), sont en état de mort cérébrale, le président, Abdelmadjid Tebboune, devrait s’appuyer sur une constellation de formations islamistes et populistes, appelées à peupler les travées de la future assemblée.

« Ces procédures [judiciaires] apparaissent et disparaissent comme par enchantement. A moins que (…) ceci ne résulte en réalité des petits calculs sans vision pour obtenir des appuis de circonstance de la part de groupuscules baptisés “partis politiques”, en surfant sur la crédulité des croyants pour cacher leur absence de représentativité, écrit Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Alger. Comment, dès lors, ne pas se demander aujourd’hui si la condamnation de Djabelkhir ne rentre pas dans ce type de manœuvre politique à la veille des élections du 12 juin, décidées par le pouvoir ? »

( Madjid Zerrouky pour Le Monde )

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lire page suivante:

La pénurie, de Fernand Raynaud à « L’Algérie nouvelle ».

Photo Cap Ouest 12 03 2021

Les vidéos montrant des Algériens se bousculant, les uns sur les autres (en pleine pandémie) pour se procurer un ou deux bidons d’huile de table provoque une grande tristesse. Et de la colère. Qu’ont fait ces hommes et ces femmes pour mériter cette situation complètement déchirante et grave à la fois ? Quel misérabilisme que ce montage, cette incompétence renouvelée chaque année à pareille période ? « Oui mais, disent les indulgents, cette pénurie est organisée par des circuits véreux, des commerçants sans foi ni loi, la dine la mella » mais est-ce possible que ces circuits puissent ainsi durer et se renouveler chaque mois de ramadan sans le consentement ou à minima le silence complice de l’administration ? Quel miroir faudrait-il tendre ou planter devant les responsables les plus hauts pour les faire rougir à défaut de pouvoir les éjecter (pacifiquement) ou les faire démissionner ? Et c’est autrement plus triste et navrant, que ces vidéos ont fait le tour de la planète Net et jusqu’au Japon selon un journal électronique. Elles ont entraîné des commentaires sarcastiques, voire méchants et des rires sardoniques. Qu’elle honte pour les responsables à tous les niveaux qui, par leur incompétence ou leur cynisme, laissent se reproduire le même phénomène à chaque arrivée de ramadan. Hier les pâtes, l’eau, aujourd’hui l’huile, et demain pourquoi pas le pain. Et à chaque fois c’est tout un peuple qui paie l’impéritie de « ceux d’en haut », érigée en système de gouvernance. Cette ubuesque histoire de pénurie d’huile que vivent les Algériens au 21° siècle, dans une « Algérie nouvelle », un pays riche et indépendant depuis près de 60 ans, m’a renvoyé à une autre histoire de pénurie, très ancienne. La même. 

Il était une fois à Oran… Nous étions dans un immense espace, le Palais des sports, archicomble : « on était 5000 spectateurs » noterais-je sur mon calepin de jeune à peine sorti de l’adolescence. C’est là, un soir d’octobre lors d’un grand spectacle que nous a été racontée, par un étranger, notre propre histoire d’huile. Une blague. C’était la fin des années 60. Nous avons eu droit en première partie au groupe de rock oranais The New Clark’s and the King. Le King d’Oran serait tué quelques mois plus tard à Marseille pour une raison que nous ne connaîtrions jamais. Après le groupe de rock est arrivée Bellinda une chanteuse franco-algérienne installée en France (Maria, La chambre vide). L’année précédente nous avions correspondu un temps, entre un admirateur esseulé et une artiste sur une piste de lancement (elle serait une étoile filante).

Il y eut aussi un spectacle de mode de la boutique Scarlett (ma mémoire hésite sur son emplacement rue Ben M’hidi ou Émir Abdelkader), un spectacle présenté par Leïla de la RTA (à l’époque il y avait pas moins de quatre Leïla entre la radio et la noire télévision). La malheureuse Leïla et son défilé ont été hués pendant de longues minutes. On s’était cru au Stade Municipal. La présentatrice ne méritait vraiment pas cette hostilité. Mais c’est que le public était impatient de voir et d’écouter la star de la soirée, Fernand Raynaud (aujourd’hui il est oublié, mais à l’époque c’était un grand humoriste, parmi les meilleurs). Fernand Raynaud était le clou de la soirée. Il aimait beaucoup l’Algérie, où il se rendait fréquemment. Je crois même qu’il avait un appartement à Alger où il aimait passer ses vacances en famille. Fernand Raynaud était « un ami du peuple algérien ».

La salle du Palais des sports avait plongé dans l’hilarité avant même qu’il eut ouvert la bouche. Sa dégaine suffisait. On a eu droit à ses célèbres sketches : heureux, le plombier, le fromage de Hollande, le tailleur, le service militaire… Quant à l’histoire d’huile, c’est avec elle que Fernand Raynaud a commencé dès qu’il apparut sur scène, accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Il lui fallait créer une atmosphère, « chauffer la salle » avant de se lancer. 

Et quoi de mieux pour se lancer dans le bain qu’une histoire que nous vivions chacun d’entre nous chaque jour dans ce pays mal barré ? Quoi de mieux qu’une histoire de pénurie ? Nous, nous étions habitués. C’était l’époque de « makach » (nie ma, net nikakikh, disait-on dans les magasins des pays du bloc de l’Est que le dictateur et ses soutiens imitaient et nous donnaient en exemple). Nous disions « bled makach ». On rentrait dans un magasin, un souk el fellah, et le seul mot qu’on nous renvoyait souvent était « makach », sauf si l’on recherchait des boites de conserve OFLA. Il y avait des rayons entiers qui n’étaient remplis que par ces seules boites OFLA, rouillées. (C’est que j’écrirais des pages entières sur ce satané modèle kholkhozien et cette époque des « 3R », les trois « révolutions » affreusement mimétiques dont nous payons aujourd’hui encore le prix. Mais cela n’absout absolument pas les responsables actuels, ce serait trop facile !)

Fernand Raynaud a commencé à raconter : « Nous sommes arrivés avec beaucoup de retard, mais on m’a dit de ne pas être trop tatillon. Il faisait beau. Lorsque le commandant de bord fit ouvrir les portes de l’avion sur le tarmac, on s’est aperçu qu’à l’extérieur il y avait foule. On s’agitait, s’agglutinait au bas de la passerelle. De nombreux civils mélangés avec d’autres hommes en uniforme kaki et armés. Au loin, à l’intérieur de l’aérodrome, les gens ordinaires se bousculaient collés au vitrage. J’étais heureux. Je me suis dit voilà un accueil des plus chaleureux, des plus magnifiques qu’on me réservait. Je voyais les gens lever les bras, s’exclamer. J’entendais « c’est arrivé ! » et moi je levais les bras pour les saluer. J’ai dit à mon voisin « c’est sympa tout cet accueil, hein ? » C’est qu’il ne m’a pas répondu. Il a hoché la tête et il a souri. Il n’a pas voulu me vexer. Les gens se bousculait, pour saluer l’arrivée tant attendue de l’huile de table et du beurre ! » La salle entière était en larmes. Larmes de joie dans un environnement hautement hostile. Nous vivions sous un régime de constriction, de dictature, qui gérait tout jusqu’à l’aiguille à coudre, directement par le centre. Dire un mot de trop pouvait vous expédier en tôle (croyez-moi). Alors, vous comprenez bien que lorsque quelqu’un fait rire au larmes une population contrainte c’est le bonheur absolue, malgré le chaos.

C’était en octobre 1969. Le 3 du mois précédent Ho Chi Minh meurt « Ho, Ho, Ho ! » criait-on l’année précédente au cœur de Paris. Le 15, j’ai vu à la cinémathèque un film avec Yves Montand. Le 18 Cheikha Rimitti est sortie miraculeusement indemne d’un accident de voiture. Ses compagnons musiciens n’eurent pas sa chance. Plus d’un demi-siècle plus tard, les images et vidéos sur la dernière pénurie d’huile sur Facebook, Twitter, Instagram… ne me font vraiment pas rire du tout. Mais que peut la colère et que faire ? disait l’autre. 

Je suis persuadé que la solution à cette incurie, au marasme (au plus lourd du marasme) et pire encore, à l’impasse, se trouve en gestation au cœur du Hirak. « Tant que nous utiliserons des chevaux pour labourer et des ânes pour des courses, nous n’arriverons à rien de bon » écrivait le regretté Mohammed al-Maghout. L’intelligence salvatrice est en mouvement, dans la Silmiya, pour peu qu’on ne l’écrase pas par la force, par la violence.

NB : On fêtait la semaine dernière dans des villages d’Illizi (au cœur du cœur des champs gaziers) l’arrivée du gaz naturel dans les foyers. « Un réseau d’alimentation en gaz naturel de 1.464 foyers a été mis en service mercredi dans la commune de Bordj Omar Idriss (720 km au nord d’Illizi)… Ce projet, qui porte le taux de couverture en gaz naturel de la wilaya à 55%, soit plus de 9.000 branchements, vise l’amélioration du cadre de vie de la population locale » écrit le plus sérieusement du monde El Moudjahid (9 avril).  À en pleurer, à se cogner la tête contre le mur ou à tout renverser… Pacifiquement.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO DE FERNAND RAYNAUD

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L’exilé indexé

J’écris ces lignes en réaction à la lecture d’un article que j’ai lu ce matin, parce que je me sens visé. Pourquoi suis-je visé par cet article en question ? Je ne suis pourtant ni du Mak, ni de la mouvance islamiste qu’il pourfend. Je ne suis plus universitaire, pas même d’Aix-en-Provence, même si je suis provençal et que j’aime la Provence. 

Je me sens égratigné par cet article écrit par un cadet fort sympathique par ailleurs, mais la question n’est pas là.  Je me sens concerné par son article car je suis moi-même comme son « exilé algérien », cœur de l’article. Retenez qu’il écrit « exilé » (neutre, inodore) et non pas « émigré » très chargé et qui sied mieux. Généralement j’apprécie les écrits de cet auteur, ses interrogations et réponses, souvent cinglantes, justes. Parfois « dans l’air du temps » européen (froid, vif et limite intolérant, stigmatisant). M’enfin et bref. 

Dans le papier en question, l’auteur demande à ce que les exilés algériens cessent de faire de la politique pour l’Algérie alors qu’ils en sont si loin. Eux qui ont au cœur à la fois le pays d’accueil où ils vivent et le pays de naissance où ils se rendent souvent, pour beaucoup plus qu’une « semaine de bénévolat ». Il écrit de ces Algériens qu’ils sont  « autant que nous Algériens, mais pas plus », sans ajouter « pas moins », c’est dire l’inconscient ! Ces exilés donc ne devraient pas avoir le droit d’exercer leur citoyenneté au motif qu’ils sont à l’étranger ou alors avec « modestie » ! (suit une typologie de comportements : Algérien, hyper-Algérien)

Avec tout le respect que je dois à l’auteur de cet article, il ne peut m’empêcher d’écrire que ses mots ont un drôle de goût, âcre, qui sent le stal. Je m’arrête là. Je suis persuadé qu’il s’agit d’un dérapage et je veux bien passer, mais deux lignes plus loin il enfonce le clou en nous insultant : « les sentiments de nostalgie des exilés sont de même nature que ceux d’un colon ». C’est une insulte inqualifiable.  Honnêtement et personnellement j’aurais honte d’écrire quelque chose qui se rapproche de ces parallèles Algériens/colons) et de cette idée de déchoir « les exilés algériens » de leurs droit fondamental à l’expression.  En débattre, « malgré le caractère tabou » ajoute-t-il. Quelle honte ! Au point où on en est, pourquoi leur accorder le droit de vote ? Cela dévoile la suffisance, voire l’arrogance et l’ignorance de l’histoire des rôles des émigrations passées et présentes dans les luttes pacifiques de leurs pays, de l’étranger où ils vivaient et vivent. Beaucoup de ces Algériens qui ont « quitté l’Algérie durant les années 90 » ont vécu jusqu’au bout leurs idées, en Algérie même cher monsieur, en Algérie même avant de « fuir » (disait-on dans la périphérie de qui vous savez). Il y a vingt ans, cet auteur que par ailleurs j’apprécie écrivait : « Il est plus commode de vivre les paupières fermées ». Le temps a passé. 

Poursuivre le combat sans zèle (mais sans reddition) à l’étranger n’est pas une tare, mais le plein exercice d’un droit fondamental (merci la France, merci le Canada, l’Allemagne etc.) que ces « exilés » exercent avec fierté, par devoir et que l’auteur de l’article leur dénie en filigrane. Lorsque je lis ou entends pronostiquer que les « manifestations sont sans lendemain » je me revois devant ce professeur polonais (réfugié !) que j’ai eu à l’université dans les années 70 et qui ne comprenait pas ces manifestations des refuznik et de leurs camarades français : « ça sert à quoi ce cirque ? » Il a eu raison durant cinq ans, mais il a eu définitivement tord les années suivantes. Lourdement. Mais il était en droit de se poser là. Je ne lui ai pas jeté la pierre car l’homme est ainsi fait de courage, de tiédeur, de peur etc.

Je ne leur attribue pas (aux refuznik et à leurs soutiens) la chute du Mur, et toutes les conséquences qui suivirent, mais un jour je raconterai l’histoire (en lien avec l’impossible Mur) de ce colibri Topaze « fou » qui entreprit d’éteindre le feu qui décimait l’Amazonie. Un jour. 

Je considère par ailleurs regrettable de distinguer la validité d’un combat patriotique, d’un espoir, selon que l’on est de Suède ou de Aïn Sefra, c’est d’un dommage incompréhensible, et ajouter que « la démocratie (est) absolue ». C’est insensé. Elle ne l’est nulle part et ne pourrait jamais l’être. Elle ne peut qu’être améliorée. Notre ami agite (c’est d’une facilité déconcertante) l’épouvantail de l’islamisme à venir, alors qu’il est présent, partout, hic et nunc, par la grâce d’un pouvoir jusqu’au-boutiste qui nous a déjà prouvé qu’il pouvait faire feu de tout bois (et jusqu’à créer 20 chaînes de télévision au discours univoque louant les dirigeants au creux d’une palette d’artifices). Nier que quasiment toute la société algérienne a intégré les codes islamistes c’est, encore une fois, ne pas voir les trous dans la raquette.

Notre ami ne dit pas un mot sur la nature de ce pouvoir en Algérie, rien de sa capture par une gérontocratie à bout de souffle, toujours à la recherche de compromissions. Elle est vacillante, mais toujours debout par la grâce (aussi) de commentaires laudateurs (aussi) ou lénifiant (aussi) ou visant un horizon quelconque fait de moulins à vent espagnols (ou français). Est-il vrai que celui qui ne dit rien (ou regarde ailleurs, ou minimise…) consent ? Où se nichent les « myopies souveraines », où ?

Si le chroniqueur en question évoque le cœur du pouvoir c’est entre guillemets et par la bouche de notre exilé-enseignant d’Aix qui, dit-il, « harangue la foule avec passion », qui n’a même pas « le sens de la prudence ». Comment haranguer autrement s’il vous plaît une foule d’exilés. Un exilé (universitaire) « intoxiqué par les fakes sur le ‘‘Régime’’ ». Un exilé qui a perdu « le sens de la prudence, la mesure de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. » L’auteur en question a-t-il jamais réfléchi à ce qui — au temps de fakhamatouhou — relevait du possible et à ce qui n’en relevait pas ? 

Il y a plus de vingt ans, il s’interrogeait très justement en rouge et noir, probablement à l’intérieur de son propre dialogue comme il disait…  « Pourquoi faut-il naître dans ce pays (l’Algérie) rien que pour saluer un drapeau, écouter un discours, mâcher un crachat et rêver d’une catapulte vers le Canada et insulter les nouveaux colons ? »  Oui, il y a plus de vingt ans. Le temps a passé, et il n’a pas fini de passer.

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Lire en page 2 l’article de Kamel Daoud et autres réactions les pages suivantes

Ibn Rochd al-Qortobi (Averroès)

(ou AVERROÈS en Europe)

voici l’article. Paru ce matin in Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril 2021

Ibn Rochd al-Qortobi 

par Ahmed Hanifi 

« Que la Loi divine invite à une étude rationnelle et approfondie de l’univers, c’est ce qui apparaît clairement dans plus d’un verset du Livre de Dieu (le Béni, le Très-Haut !). Lorsqu’il dit par exemple : ‘‘Tirez enseignement de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence !’’ (Coran s59, v2), c’est là une énonciation formelle montrant qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel, ou rationnel et religieux à la fois. »1

« L’homme a naturellement la passion de connaître2. »  

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Jeudi 1er avril, le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Justement, en ce début du mois de ramadan, nous célébrons la naissance, il y a près de neuf siècles, de Abû-l-Walid Mohammed bnou Ahmed bnou Rochd, l’un des plus illustres penseurs andalous, dont le nom orne les portails de nombreux établissements scolaires en Algérie, mais qui disparaît aussitôt qu’on les a franchis. Qui est Ibn Rochd ? C’est l’objet de cette contribution. J’appréhenderai ce savant d’abord par son identité, puis par son parcours, sa pensée, son rapport au pouvoir, à la cité où il vécut, et finirai par évoquer quelques regards sur son œuvre/sa personne, par des hommes de son temps ou non.

Ibn Rochd et l’Andalousie 

Ibn Rochd « le fils de la rectitude » était juriste, physicien, astrologue, philosophe (hakim-sage), médecin, au temps d’al-Andalous. En Espagne où il naquit, et en Occident de manière générale, Ibn Rochd est connu sous son nom latinisé Averroès ou « Le commentateur ». Il y est admis comme « l’un des pères de la philosophie occidentale » ou encore « le précurseur de la pensée rationaliste occidentale ». Nous savons beaucoup de choses sur la pensée et les écrits (ses propres écrits en arabe ou retraduits) d’Ibn Rochd, mais peu sur lui, son identité, sa famille. Il est né le 14 avril 1126 (520 H) à Cordoue, mort le 10 décembre 1198 (595 H) à Marrakech. Ibn Rochd al Qortobi était Espagnol et ses aïeux probablement Berbères, très certainement pas de la périphérie du Nejd comme le suggère étrangement Luis Borges dans une de ses nouvelles3. « La lignée des Banû Rushd est connue à partir de l’arrière-grand-père de notre philosophe, Ahmad b. Ahmad b. Muhammad b. Ahmad b. ‘Abd Allah b. Rushd. Ce nasab (généalogie incluse dans la nomination) indique que la famille était déjà musulmane depuis au moins trois générations », écrit Urvoy4. Notons que tous les philosophes espagnols de cette époque sont dits « arabes » en référence à la langue qu’ils utilisaient et non à leur origine ethnique, ils avaient pour la plupart une ascendance berbère. De même, les dynasties berbères almoravides (almorabitoun), almohades (almowahhidoun), zirides (ezziriyoun)… sont parfois dites « arabes ». Au début du 12ème siècle, le sud de l’Espagne et du Portugal était sous domination des Almoravides (1086-1147), puis des Almohades (1147-1248), une autre dynastie berbère qui serait chassée par la Nasride, dernière dynastie musulmane en Espagne (milieu du 12ème à fin du 15èmesiècle). La période dite de « l’âge d’or de l’Islam »  (9ème au 13ème siècle) couvrait trois continents. Les savants n’étaient pas tous musulmans, mais Ibn Khaldoun écrivait : « Parmi les plus grands (philosophes) musulmans, on citera Abû-Nasr al-Fârâbî et Abû-‘alî Ibn Sînâ (Avicenne) en Orient, le cadi Abû-l-Walîd b. Rushd (Averroès) et le vizir Abû-Bakr b. as-Sâ’igh (ou Ibn Bajja, ou Avempace), en Espagne »5. Nous pouvons ajouter d’autres noms qui furent célèbres comme les orientaux Al-Razi (Iran), Al-Kindi (Irak), Al-Ghazali (Iran) et les Occidentaux-Andalous Ibn Tufayl, Ibn Arabi, Hafsa Rakumiyya, Wallada bint al mustakfi, Ibn Sab’în, ou Maïmonide qui n’était pas musulman. Et d’autres.

La péninsule ibérique était alors florissante, les pouvoirs favorisaient la connaissance, les salons littéraires se multipliaient. Cordoue comptait plus de 300.000 habitants. « Au ‘‘pays de bénédiction’’, Almeria tissait la soie sur 800 métiers, produisait des instruments de cuivre, Alicante possédait des chantiers de construction navales… À partir d’Abou-Ya’qoub, il est impossible de séparer le Maghreb de l’Espagne… » écrit Charles-André Julien6. Au Maghreb les Almohades régnèrent de Tanger à Tunis et au-delà (1147-1260).

Très jeune, Ibn Rochd avait appris tout le Coran. Il aimait la poésie, la musique. Son père et grand-père étaient juges à Cordoue, très proches de la dynastie almoravide. Afin de le distinguer de ses parents, on l’appelait « Ibn-Rochd al hafid ». Plus tard, il ferait des études de fiqh et des hadiths. Il s’intéresserait à la physique, à l’astrologie, à la philosophie par le biais des écrits du perse Al-Farabi (872-950), mais surtout de ceux d’Ibn Bajja de Saragosse, Avempace pour les Européens (1085-1138)… Il étudierait la médecine auprès de Abû Ja’far al-Trujjâli ( ?- 1180). 

Ibn Rochd a écrit une soixantaine d’ouvrages qui traitent de médecine, de théologie, de droit,  de philosophie… comme Fasl al-maqal fima bayn al-hikma wa as-shari’â min al-ittisal (L’accord entre la religion et la philosophie – Traité décisif), Le Commentaire du Traité de l’âme (De Anima) d’AristoteBidayat al-Mujtahid wa Nihayat al-Muqtasid (Le début pour qui s’efforce et la fin pour qui est partial, traité de droit), Tahafut at-tahafut, (l’Incohérence de l’incohérence), Al-Kulliyât, (Colliget ou Le livre des généralités, médecine), d’innombrables Commentaires (grands, moyens, petits)…Ibn Rochd avait 34 ans lorsque son ami et érudit Ibn Tufayl, son aîné de seize ans, le présenta à Abu Yacub Youssef qui succèderait bientôt à son père Abdelmoumen, mort en 1163. Ibn Tufayl (1110-1185),  était mathématicien, philosophe, astronome, médecin et romancier. Il a écrit en 1170 une œuvre majeure. « L’épître d’Ibn Tufayl Hayy ibn Aqzan est un chef d’œuvre de la pensée arabe classique, de la pensée tout court7. »

Un intellectuel organique ?

Abu Yacub Youssef, « le calife intellectuel » devenu amir al-mou’minin, fit savoir à Ibn Tufayl qu’il cherchait quelqu’un qui pût résumer Aristote (384 – 322 av JC) . Voici comment en parle Ibn Rochd à l’un de ses élèves : « Abû Bakr Ibn Tufayl me fit appeler un jour et me dit ‘‘ j’ai entendu aujourd’hui le prince des croyants se plaindre de l’incertitude de l’expression d’Aristote ou de celle de ses traducteurs. Il a évoqué l’obscurité de ses desseins et a dit : ‘Si ces livres pouvaient trouver quelqu’un qui les résumât et qui rendît accessibles ses visées après l’avoir compris convenablement, alors leur assimilation serait plus aisée pour les gens.’’ Si tu as en toi assez de force pour cela, fais-le4. »

Et Ibn Rochd le fit. Ainsi et dans la tradition des Miroirs des princes (Kalila et Dimna ou l’éducation des princes) Ibn Rochd fut engagé. Il entreprit de « traduire » tout Aristote « le plus sage des Grecs » pour lequel il avait une grande admiration, plus tard il deviendrait le médecin du sultan à la suite de Ibn Tufayl. « Nous adressons des louanges sans fin à celui qui a prédestiné cet homme, Aristote, à la perfection, et qui l’a placé au plus haut degré de l’excellence humaine8. » Ibn Rochd avait déjà composé l’Abrégé du ‘‘Mustasfa min ilm al-usul’’ d’Al-Ghazali, en 1157, et au cours des deux années qui suivraient il rédigerait un Abrégé de l’Almageste de Ptolémée, et un Traité des Météorologiques d’Aristote, puis des Commentaires moyens sur l’Organon, un ensemble de traités d’Aristote et beaucoup d’autres ouvrages plus tard. Parmi ses livres les plus retentissants figurent Discours décisif (1179) et L’incohérence de l’incohérence (1180-1181) dans lesquels Ibn Rochd défend l’importance de la philosophie.

Si le chercheur Makram Abbès ne pense pas qu’Averroès fut « un simple instrument aux mains du Pouvoir qu’il aurait servi durant un demi-siècle… non, Averroès n’a pas du tout été un intellectuel organique comme l’avancent certains9 »,  Alain de Libera nuance : « Un philosophe médiéval ne peut être qu’un intellectuel organique. Quand il est organique par son statut social et socialement critique par la réforme et le contenu de son activité, il vaut mieux se le représenter comme philosophe engagé9. » Peut-être qu’Ibn Rochd eût fléchi les genoux, mais certainement pas courbé sa raison comme écrirait plus tard Montaigne pour lui-même (De l’art de conférer).

Les importantes divergences qui opposaient Ibn Rochd au Calife Al-Mansour, le petit-fils de Abdelmoumen Ben Ali Agoumi ennedromi, poussèrent le philosophe à démissionner de ses charges (voir absolument le beau film de Youcef Chahine « Le Destin » — a-t-il été jamais projeté en Algérie ?) 

« Dans Commentaire de ‘‘La République’’ de Platon, Averroès exprime très nettement son attitude envers les trois souverains almoravides, respectant le premier, mais voyant dans les deux autres l’incarnation type de la dégradation des régimes politiques telle que la décrit Platon (428 – 348 av JC)… Averroès dénonce la résurgence du pouvoir de l’argent, qui ne laisse le plus souvent place qu’à des attitudes encore plus ‘‘abjectes’’10. _ 4 (4 , p 150 et non pas « 10 »). » Les trois souverains almoravides sous lesquels vécut Ibn Rochd, avant que ne les supplantent les Almohades, sont : Ali Ben Youssef fils de Youssef Ben Tachine, Tachfin Ben Ali et Ibrahim Ben Tachfin. Celui-ci fut tué à Oran par les Almohades en 1147, il ne régna que quelques mois.

Une seule vérité, plusieurs voies.

Dès les premières pages du Traité décisif Ibn Rochd écrit : « Notre but dans ce traité est d’examiner si l’étude de la philosophie et des sciences logiques est permise ou défendue par la religion ou prescrite » et il cite deux versets du Coran (s59/v2 et s12/v184). Il y a une obligation coranique pour les savants, les sages, « d’examiner le royaume des cieux et de la terre et toutes les choses que Dieu a créées » (s7/v185 et non s6/v75 comme mentionné par l’auteur)11

Sur l’ensemble du Traité décisif (ou Discours décisif) Ibn Rochd cite 23 versets du Coran. Il déduit qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel ou rationnel et religieux. « C’est pour nous une obligation de nous appliquer à la spéculation par le syllogisme rationnel (el qiyyas el ‘aqli) et par la forme la plus parfaite de celui-ci qui est la démonstration (al-borhan) ». La démonstration dit Ibn Rochd incombe aux philosophes, « gens de la démonstration ». La voie démonstrative dévoile le contenu de la voie révélée qui est caché derrière le « sens obvie » écrit Alain de Libera dans l’introduction au Discours décisif, dont il dit qu’il n’est pas une œuvre philosophique, mais une fetwa, un avis juridique.10Ce noble terme a subi par le fait d’un glissement sémantique médiatique un détournement, de sorte qu’aujourd’hui il signifie tout autre chose, une condamnation, une mise à mort, qui n’a plus rien à voir avec son sens initial.

Il y a une seule et même vérité, mais les chemins qui y mènent sont différents. « À la multitude appartient de s’en tenir au sens littéral ; l’interprétation relève du philosophe, qui découvre des vérités dont la connaissance est le culte même qu’il rend à Dieu. On comprend que cette philosophie syncrétiste, admettant qu’une même vérité peut se présenter sous des formes diverses, ait inquiété les théologiens professionnels et pu faire soupçonner son auteur d’hérésie6. »

En effet, la vérité révélée dans le Coran peut être atteinte par la voie de la démonstration ou par la voie non-démonstrative. Si la première est réservée aux philosophes, la voie non démonstrative, la voie de la rhétorique ou dialectique est destinée aux « théologiens (al-mutakallimoun) qui soulèvent des doutes sur le sens apparent du texte sacré sans disposer du moyen de les résorber »11 , mais également à la masse (al-joumhour) qui ne dispose pas non plus des outils pour décrypter le Livre, car tous les esprits ne sont pas à même de pouvoir philosopher. Telle était la perception d’Ibn Rochd. Jamais il ne parla de « double-vérité » comme on le lui a souvent reproché, il y a là un contresens. Il n’y a qu’une vérité accessible par des voies différentes. Selon nos capacités cognitives propres, nous avons accès à la sensation, à l’imagination et aux intelligibles. Ces derniers étant le domaine des philosophes. Il y a chez Ibn Rochd une démarche élitiste assumée. « Nous musulmans savons de science certaine que l’examen des étants par la démonstration, n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé́ : car la vérité́ ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur »10 Toute interprétation sans les armes du savoir et contre lui ne peut qu’engendrer de graves dérives. Nous conviendrons que l’actualité de ce 21° siècle en regorge. 

« L’entreprise philosophique c’est d’abord la saisie et la compréhension des intelligibles. La fonction première de l’intellect (la raison) c’est de saisir et comprendre les intelligibles, c’est l’aspect le plus important de la raison » souligne le professeur Souleymane Bachir Diagne12. Il n’est malheureusement pas possible ici d’aller plus avant sur les interrogations relatives aux différents intellects, à la puissance commune de penser (l’intellect-agent est-il éparé, pas séparé ?) et à celle de leur synergie et l’intellection, ces questions exigeraient plus d’espace et ouvriraient sur d’autres perspectives hautement exigeantes. L’essentiel des positions d’Ibn Rochd à travers Al Kashf ‘an manâhij al-adilla(Dévoilement des méthodes de démonstration des dogmes de la religion musulmane) et dans Tahafut al-Tahafut(L’Incohérence de l’incohérence) est clair, écrit Alain de Libera : « a) l’obligation de philosopher est prescrite par la Révélation, b) elle est adressée aux « hommes de démonstration », c) la théologie véritable a pour tâche de montrer par ses résultats mêmes que la philosophie est indispensable à la préservation du noyau littéral dur du Texte révélé contre les ‘‘innovations blâmables’’ de la théologie sectaire »9

La cité vertueuse

Comme le médecin soigne les corps, le philosophe, « le philosophe-roi » (ce dirigeant idéal de Platon) soigne les âmes des citoyens. « Il n’y aura de cesse aux maux de l’espèce humaine, avant que, soit l’espèce de ceux qui philosophent droitement et en vérité n’accède au pouvoir politique, soit ceux qui sont puissants dans les cités, par quelque grâce divine, ne se mettent réellement à philosopher » (Platon, la Lettre VII, 326 b). Le philosophe-roi ou le roi-philosophe doit être doté des quatre types de vertus (al-fada’îl) ou arété grec : le premier type englobe les vertus théoriques (al-fada’îl nadhariya), le deuxième est celui des vertus intellectuelles (al-fada’îl al-fikriya), le troisième est celui des vertus morales (al-fada’îl al-kholoqiya), le quatrième et dernier type regroupe les vertus pratiques (al-fada’îl al-‘amaliya). Le but du dirigeant vertueux est d’orienter sa gouvernance vers la perfection afin de parvenir à la cité juste, la cité parfaite, la « cité de beauté » où le citoyen peut atteindre sa fin suprême qui est le bonheur13. Et l’exemple premier du citoyen ordinaire est donné par les gouvernants. S’ils font fi des vertus attendues d’eux par le peuple, la corruption et l’immoralité s’installent aux différents niveaux de la société, de la cité. 

« Platon (écrit Al-Farabi) évoque le grand nombre des citoyens des cités et des nations. Il affirme que l’homme parfait, l’homme qui cherche, et l’homme vertueux y sont en grave danger ; on doit trouver un moyen de faire que le grand nombre des citoyens changent de mode de vie et d’opinion pour adopter la vérité et le mode de vie vertueux ou s’en approcher’’ » Al-Farabi « La philosophie de Platon, son ordre, ses parties », cité par Ali Benmakhlouf14.

Dans une cité qui vise la perfection, les citoyens sont égaux. Nous ne sommes plus tout à fait dans le mimétisme de « l’ordre harmonieux du cosmos… » où chacun se doit de demeurer à sa place dans cet ordre (La République de Platon). Ici, avec Ibn Rochd, les hommes et les femmes ont quasiment strictement les mêmes droits et devoirs. « Un dialogue imaginé en 1189 entre Ibn Rochd et la poétesse Hafsa bint al-Hajj, dite Al-Rakuniyya, est l’occasion de rappeler l’engagement précurseur du philosophe en faveur de l’égalité des sexes, mais aussi d’interroger la possibilité de côtoyer, voire de servir, le pouvoir tout en défendant une ‘‘éthique du dire-vrai’’ » note Khalid Lyamlahy. (« Zone critique », 24 octobre 2020). Quant à Urvoy, il écrit : « Sur la question féminine, Ibn Rochd s’avance seul. Il développe sans la moindre restriction, la thèse platonicienne de l’égalité des sexes : ‘‘ Dans ces États, la capacité des femmes n’est pas reconnue, car elles y sont prises seulement pour la procréation. Elles sont donc placées au service de leur mari et (reléguées) au travail de la procréation, de l’éducation et de l’allaitement. Mais cela annule leurs (autres) activités. Du fait que les femmes, dans ces États, sont des êtres faits pour aucune des vertus humaines, il arrive souvent qu’elles ressemblent aux plantes. Qu’elles soient un fardeau pour les hommes, dans ces États, est une des raisons de la pauvreté de ces (mêmes) États4. » À mille lieues de cette position, dans ‘‘Kitab at-tibr al-masbuk fi nasihat al-muluk’’ (Le Miroir du prince et le conseil aux rois), « Al-Ghazali reprend tous les préjugés sur la femme qui est un être foncièrement mauvais, soumis à la passion qui est parfois en deçà de l’humanité15 ».

La persécution

Ibn Rochd était réellement seul sur tant de sujets. « Nul philosophe n’aura été plus mal compris ni plus calomnié qu’Averroès… Philosophe impénitent, rationaliste intrépide ou cynique, homme d’une “double foi” ou inventeur du “double langage”, tous les qualificatifs lui ont été attribués16. »

Ernest Renan fut à la fois élogieux et très critique, très dur envers Ibn Rochd : « Il faut rendre cette justice à la philosophie arabe, qu’elle a su dégager avec hardiesse et pénétration les grands problèmes du péripatétisme et en poursuivre la solution avec vigueur. En cela, elle me semble supérieure à notre philosophie du Moyen-Âge, qui tendait toujours à rapetisser les problèmes et à les prendre par le côté dialectique et subtil.8 » Sur sa sévérité à l’égard du penseur il rectifierait « j’ai sous-évalué cette figure » (rapporté par Ali Benmakhlouf). « Sans Avicenne (Ibn Sina) d’abord et sans Averroès (Ibn Rochd) ensuite, l’Europe telle qu’elle est n’aurait pas existé, disait naguère un spécialiste d’Ibn Rochd17.

Stimulés par le sultan Al-Mansour qui a interdit la philosophie et qui voulait que l’on sache qu’il maudissait les égarés, les adversaires d’Ibn Rochd s’organisèrent contre lui. Sa pensée était dénoncée dans des réunions, une plainte fut déposée contre lui. Un jour alors qu’il se trouvait dans la mosquée de Cordoue avec son fils Abd Allah, il en fut expulsé « par une poignée de la lie du peuple ». « Ibn-Rochd ne fut pas persécuté́ seul; on nomme plusieurs personnages considérables, savants, médecins, faquihs, kadhis, poètes, qui partagèrent sa disgrâce. ‘‘La cause du déplaisir d’Al-Mansour, dit Ibn-Abi-Oceibia, était qu’on les avait accusés de donner leurs heures de loisir à la culture de la philosophie et à l’étude des anciens’’. La disgrâce des philosophes trouva même des poètes pour la chanter.8 »

Accusé d’hérésie, Ibn Rochd est banni et exilé dans la petite ville de Lucena au sud de Cordoue. Ses livres seraient brûlés. Près d’un siècle plus tôt, al-Ghazali (Tahafut al-falasifa) condamnait la philosophie « qu’il opposait » au Texte sacré et accusait les philosophes d’impiété alors que lui-même opta pour la démarche philosophique. Abdurrahmân Badawi note pourtant : « la légende d’un Ibn Rochd athée est à mettre définitivement dans le magasin des antiquités de fausses accusations. Il croyait fermement en Dieu, en Son Prophète Muhammad, en le caractère miraculeux du Coran, et aucun texte d’Ibn Rochd ne peut être interprété en un sens contraire18 ».

« La disgrâce d’lbn-Rochd ne fut pas, au reste, de longue durée : une nouvelle révolution fit rentrer les philosophes en faveur. Al-Mansour leva tous les édits qu’il avait portés contre la philosophie, s’y appliqua de nouveau avec ardeur, et, sur les instances de personnages savants et considérables, rappela auprès de lui Ibn-Rochd et ses compagnons d’infortune. Abou-Djafar el-Dhéhébi, l’un d’eux, reçut la charge de veiller sur les écrits des médecins et des philosophes de la cour8. » Ibn-Rochd mourut en décembre 1198, peu après avoir été gracié.

En mars de l’an 1199, trois mois après sa mort, le corps d’Ibn Rochd fut exhumé de sa tombe de Marrakech et transporté jusqu’à Cordoue pour y être enterré. Voici ce qu’écrit Ibn Arabi, le Cheikh el-akbar, dans son Futuhat : « Lorsque le cercueil qui contenait ses cendres eut été chargé au flanc d’une bête de somme, on plaça ses œuvres de l’autre côté pour faire contrepoids. J’étais là debout en arrêt: il y avait avec moi le juriste et lettré Abû l-Hosayn Mohammad ibn Jobayr, secrétaire du Sayyed Abû Sa’îd (prince almohade), ainsi que mon compagnon Abû l-Hakam ‘Amrû ibn as-Sarrâj, le copiste. Alors Abû l-Hakam se tourna vers nous et nous dit: ‘‘Vous n’observez pas ce qui sert de contrepoids au maître Averroës sur sa monture? D’un côté le maître (imam), de l’autre ses œuvres, les livres composés par lui.’’ Alors Ibn Jobayr de lui répondre : ‘‘Tu dis que je n’observe pas, ô mon enfant? Mais certainement que si. Que bénie soit ta langue !’’ Alors je recueillis en moi (cette phrase d’Abû l-Hakal), pour qu’elle me soit un thème de méditation et de remémoration. Je suis maintenant le seul survivant de ce petit groupe d’amis – que Dieu les ait en sa miséricorde – et je me dis alors à ce sujet : D’un côté le maître, de l’autre ses œuvres. Ah ! comme je voudrais savoir si ses espoirs ont été exaucés ! » (Cercamon.net/ibn-arabi) Les mots qui suivent sont extraits de la dernière page de Discours décisif qu’il publia l’année de ses 52 ans : « Dieu a par lui ouvert la voie à de nombreux bienfaits, surtout pour cette classe de personnes qui s’est engagée dans la voie de l’examen rationnel et aspire à connaître la vérité10. » Ibn Rochd a parlé et a écrit de l’intérieur de l’Islam et toujours a revendiqué la démonstration (al-borhan) pour la vérité, contre l’obscurité et l’ignorance.

Notes

1- Ibn Rochd (Averroès), « L’accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. Traduit de l’arabe par Léon Gauthier. Ed. Sindbad, Paris, 1988, 70 p. Page 12.

2- La Métaphysique, Aristote. Livre 1er – chapitre 1er. Traduction J.B. Saint-Hilaire.  Librairie G. Baillière. 1879.

3- La quête d’Averroës. (in L’aleph). Jorge Luis Borges. https://ahmedhanifi.com/la-quete-daverroes/

4- Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman. Dominique Urvoy. Ed. Flammarion/Champs biographie, Paris, 2008_  253 p. Pages 18, 150,152.

5- Discours sur l’Histoire universelle – Al Muqaddima, Ibn Khaldûn. Traduction nouvelle, préface et notes de Vincent Monteil. Éditions Sindbad, Paris, 1978, T3, 1440 p. Pages 1047-1048.

6- Histoire de l’Afrique du nord. Charles-André Julien. Ed Payot, Paris 1975, T2, 368 p. Pages 121,122.

7- Robinson de Guadix. Jean-Baptiste Brenet. Ed. Verdier, Lagrasse 2021, 115p. Page 97. (Lire le bel article de Faris Lounis « Le philosophe sans maître d’Ibn Tufayl » Le Quotidien d’Oran, 13 mars 2021).

8- Averroès et l’averroïsme. Ernest Renan. Ed. Ennoïa, Rennes 2003, 377 p. Pages 56, 31,100, 30.

9- Averroès. L’Islam et la raison. Anthologie. Traduction et notes par Marc Geoffroy. Présentation par Alain de Libera.  Ed. GF Flammarion. Paris,  2000. 226 p. Page 51.

10- Averroès : Discours décisif. Traduction de Marc Geoffroy, introduction de Alain de Libera. Ed GF Flammarion, Paris 1996, 254 p. Pages 119, 11, 115.

11- Averroès. Ali Benmakhlouf. Ed. Perrin/Les Belles Lettres- tempus Philo- Paris, 2009_ 242 p. Pages 36, 142.

12– Lire Comment philosopher en Islam ? Souleymane Bachir Diagne. Ed. Philippe Rey / Jimsaan, 2013.

13– Lire Islam et politique à l’âge classique. Makram Abbès – PUF, Paris, 2009 – 320 p.

14- Pourquoi lire les philosophes arabes. Ali Benmakhlouf. Ed. Albin Michel, Paris 2015, 203 p. Page 115.

15- Makram Abbès. École normale supérieure de Lyon, 2009.

16- La Philosophie médiévale, Alain de Libera. Paris, PUF, 1993. Page 161.

17– Jean-Baptiste Brenet lors de la 24ème édition des « Rencontres d’Averroès » (Marseille, 16 novembre 2017) 

18- Averroès (Ibn Rushd). Abdurrahmân Badawi. Ed J. Vrin, Paris 1998, 194 p. Page 143.

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TEL QUEL

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Les lectures nécessaires…

Yasmina Khadra est un « écrivain médiocre » déclare (à son tour) Salim Bachi

Photo « 28′ »

Khadra a plusieurs fois été qualifié d’imposteur. Des critiques littéraires le dénoncent plus ou moins régulièrement. La dernière fois « Le Masque et la plume » l’a descendu en flamme (cf nos articles antérieurs).

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Un écrivain algérien critique Yasmina Khadra et prend la défense de Ben Jelloun

Par: Rédaction 27 Févr. 2021 

Les écrivains algériens continuent de s’entredéchirer sur les réseaux sociaux. Rebondissant sur les déclarations polémiques de Yasmina Khadra sur l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, le romancier algérien Salim Bachi a clairement pris position.

L’auteur de « Chien d’Ulysse », qui a obtenu le prix Goncourt du premier roman, a sévèrement critiqué ce samedi son compatriote Yasmina Khadra, le qualifiant d’ « écrivain médiocre » et prenant la défense de l’écrivain Tahar Ben Jelloun.

«Yasmina Khadra est un écrivain médiocre, il n’a pas besoin de « nègre » (ghostwriter est un meilleur mot) pour l’être », estime M. Bachi dans une publication sur le réseau social Facebook.

« J’ai rencontré à de nombreuses reprises le personnage et il m’a toujours rebuté par ses vantardises jusqu’au point de se comparer à Tolstoï », fustige l’écrivain algérien.

Salim Bachi se moque de Yasmina Khadra

« J’ai aussi rencontré à de nombreuses reprises Tahar Ben Jelloun qui m’a toujours témoigné du respect et de l’amitié. Je ne peux pas en dire autant de Khadra ou de Boudjedra par exemple. Je préfère mille fois l’auteur de La nuit sacrée à celui de L’Imposture des mots », tranche Salim Bachi.

La prise de parole publique de M. Bachi intervient alors que Yasmina Khadra a provoqué la polémique en s’attaquant publiquement le 6 février dernier à l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun. « Après vingt ans de silence, ne voyant personne s’assagir et tenter de renoncer à la vilénie, j’ai été contraint de dénoncer les manœuvres inqualifiables d’un écrivain que j’ai toujours respecté et qui s’est avéré être indigne de considération. J’ai nommé Tahar Ben Jelloun », a affirmé Yasmina Khadra dans un entretien sur TV5 Monde.

« Quand vous avez un écrivain de renom, connu dans le monde entier, prix Goncourt, membre influent de l’Académie Goncourt, qui s’appelle Tahar Ben Jalloun, qui raconte partout depuis 20 ans, de janvier 2001 jusqu’à ce matin, que je suis un imposteur, que ce n’est pas moi qui écris mes livres, qu’il connait mon nègre », a dénoncé l’écrivain algérien, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul.

Yasmina Khadra a accusé l’écrivain marocain de lui avoir barré les portes des institutions littéraires françaises et des médias français. « Tahar Ben Jelloun est tellement bas, qu’il n’y a pas de débat », a fustigé Yasmina Khadra.

Ce n’est pas la première fois que des écrivains algériens se critiquent mutuellement. Dans son pamphlet « Les Contrebandiers de l’histoire » édité en 2017, Rachid Boidjedra n’a pas été tendre avec ses pairs. Il a classé dans la même case, celle des « contrebandiers de l’Histoire », Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Wassyla Tamzali, Feriel Furon et d’autres. À Khadra, il reproche « d’avoir déformé la réalité coloniale » dans son roman Ce que le jour doit à la nuit où « il se fait le défenseur fervent de la cohabitation heureuse et enchanteresse entre les Français et les Algériens durant la colonisation ».

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Cliquer ici pour voir vidéo TV5 Monde et Khadra s’emporter contre Tahar Ben Djelloun (absent)

Ben Djelloun ne peut pas lui répondre et le journaliste ne dit rien.

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Cliquer ici pour lire d’autres articles sur le sujet

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CLIQUER ICI POUR LIRE LE MÉMOIRE _ PDF _ (Merci Karim Sarroub)

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Merci à Jean-Jacques Reboux – Cliquer ici

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CLIQUER ICI POUR LIRE_ « Tout ce que Khadra m’a fait ne m’a rendu que plus fort », écrit Youced Dris à Jean-Jacques Reboux

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CLIQUER ICI POUR LIRE LETTRE DU PREMIER ÉDITEUR FRANÇAIS DE Y. KHADRA

« Comment je me suis fait entuber par Yasmina Khadra (pour solde de tout compte) »

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Extraits proposés par rkhettaoui- 22 décembre 2016

Les mots étaient semblables à de jolies hirondelles qui glissaient dans le ciel, puis montaient , montaient encore , et soudain , plongeaient jusqu’au ras du sol.Ou encore, quelques fois ces paroles ressemblaient à des papillons légers qui battaient des ailes , immobiles au -dessus d’une fleur.

Apres tout un petit garçon de trois ans n’est pas une lourde responsabilité pour nous deux ! On s’en occupera,et puis deux femmes seules ont besoin de compagnie.

La chanson passait dans l’ombre, douce comme une caresse .Et Dahmane , immobile , appréciait cet instant merveilleux qu’il souhaitait ne jamais se terminer.

Le cœur humain est pareil aux pendules , elles s’usent en servant ,mais se détraquent en ne servant pas.

Quelque fois ma chère sœur , il vaut mieux lâcher sa valise que de manquer la calèche.

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N’en jetez plus, la cour est pleine !

22 février 2019 – 22 février 2021, le Hirak

Jailli du fond de nos désespoirs il y a deux ans, le souffle a emporté une partie non négligeable de la nomenclature.

La Covid 19 a indirectement suspendu l’élan du Hirak, ce gigantesque mouvement pacifique algérien de protestation. Le moment venu, il reprendra, car le pouvoir n’a pas répondu à ses attentes démocratiques et joue la montre.

Je vous offre cette magnifique vidéo. Elle date de mars 2019. 

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632_ Révolution de velours

Les Algériennes et les Algériens aspirent à une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. Ils l’ont maintes fois prouvé. Cette Algérie libre et heureuse, authentiquement démocratique, ne peut se concevoir sans la liberté de parole. La libre parole, ce droit premier de l’Homme, doit être accessible dans la rue et dans tous les médias, publics et privés, sans entraves. Une libre parole respectueuse de toutes les autres paroles, exprimée dans la langue de son choix, sans complexe aucun, sans stigmatisation.
Il y a en Algérie des dizaines de chaînes de télévision, de radios, de journaux, publics et privés, mais la parole n’y est pas réellement libre. La censure et l’autocensure sont permanentes.
Les Algériens et les Algériennes, qui ont payé le prix fort, ont soif d’une « Révolution de velours », sans donc aucune violence ni casse, sans qu’aucune goutte de sang soit versée. Une Révolution pacifique, celle qu’appréhendent par-dessus tout les tenants du « Système » actuel, prêts à toutes les intrigues et violences. N’oublions jamais Octobre 1988, ni janvier 1992 et les années qui suivirent, n’oublions jamais non plus les manipulations de la religion à des fins politiques de certains partis et organisations islamistes dont les paroles ont semé la mort par milliers. 

Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants.

D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs,jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. 

Ahmed Hanifi, auteur

Samedi 23 février 2019

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634_ Le boulevard de l’Algérie libre et démocratique 

Moins d’un mois après mon retour du grand Sud, j’ai troqué les mots de mon imaginaire et de la romance contre ceux qui disent l’effervescence populaire, qui chantent la hargne contre les hommes à la source des maux de notre quotidien. Je reviendrai plus tard aux premiers, le moment venu, lorsque les sourires s’afficheront sur les lèvres et dans les esprits. Ce temps léger n’est pas trop loin, je le vois se profiler à l’horizon, porté par l’Algérie entière.

Depuis ce désormais historique 22 février (l’histoire n’oubliera pas ces milliers de fervents supporters de football qui alertent, qui chantent leurs gammes aux tenants du « Pouvoir » depuis des mois, voire des années…), depuis ce désormais historique 22 février disais-je, nous sommes tous absorbés corps et âmes par le train des massives manifestations arc-en-ciel, permanentes et pacifiques, Selmiya ! Il ne se passe pas un seul jour sans que des jeunes, des pas jeunes, des chômeurs, des étudiants, des avocats, des femmes au foyer, des artistes,  battent le pavé algérien. Pas un seul jour depuis le 22 février.

Nous sommes pris dans les entrailles de cette révolution de velours en cours qui ne dit pas son nom, enveloppés par les mots d’ordre de cette jeunesse, mais pas qu’elle, traversés par leur puissance et leur vigueur. Des mots d’ordre et de conviction  contre le régime algérien autocrate, cleptocrate et sénile. Depuis ce 22 nous marchons, crions, écrivons pour dénoncer ce Système corrompu, Ennidham el fassed qui tente depuis la nuit des temps, en usant de tous les subterfuges, de tous les mensonges, de toutes les trahisons, de phagocyter nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires.

La première grande trahison s’exprima par la confiscation de notre indépendance et de nos libertés, dès le mois de juillet avec la prise du pouvoir par la force de « l’Armée des frontières », une des dernières par un coup de Jarnac en janvier et juin 1992, mettant fin au premier véritable printemps « arabe » né d’Octobre 1988.

Aujourd’hui, trente années plus tard, ce sont les enfants d’Octobre – auxquels le Pouvoir, ce Système corrompu, ce Ennidham el fassed n’offre que les stades de football pour faire diversion – enfants d’Octobre qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures qui nous prennent par la main et par le verbe « venez, venez, c’est par là le boulevard de l’Algérie Horra, Dimocratiya ! »   

Ahmed Hanifi,auteur.Marseille, le 6 mars 2019

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635_ Il y a deux semaines j’écrivais :…

Il y a deux semaines j’écrivais : « … Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants. D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. »
Vinrent alors le 1° mars et ce fut une déferlante, et aujourd’hui, 3° vendredi de lutte, un autre flot tout autant imposant. Dans la joie et la fraternité. Tout cela me fait penser aux pays de l’Europe de l’Est, lorsque durant l’année 1989 et suivantes des centaines de milliers de citoyens, par leurs marches et manifestations pacifiques firent tomber les régimes totalitaires – notamment en Tchécoslovaquie – régimes qui sévissaient depuis plus de 70 ans. En Algérie, ce régime corrompu qui prend les Algériens en tenailles depuis les premières lueurs de l’Indépendance, ce Ennidham el fassed qui phagocyte nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires, est entrain de vaciller.

Les Algériens ne lâcheront pas, particulièrement les jeunes, ces enfants d’Octobre, qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures. Crions avec eux, haut et fort « Non au 5° mandat. Non au Système dans sa totalité ». L’Espoir d’une Algérie nouvelle pointe. À ce propos, celui de l’Espoir, Vaclav Havel, héros de la Révolution douce Tchèque disait : « L’Espoir est un état d’esprit… C’est une orientation de l’esprit et du cœur… Ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose à un sens, quoi qu’il advienne. » En Algérie une véritable Révolution de velours est en cours, là devant nous, aujourd’hui, demain. »
Ahmed Hanifi, auteurVendredi, 8 mars 2019

https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/080319/35-le-8-mars-en-algerie-une-revolution-de-velours

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636_ Colère froide ou les Ils en février

(débrouillez-vous avec la non ponctuation)

ils ont quitté le navire au gré de la houle des événements en mars puis en octobre et aujourd’hui en février au printemps en automne et en hiver la lumière d’août les aveugles ils donnent des leçons tapent du poing renversent les tables ils furent censeurs sous la lune laudateurs au premier vent tournant ils vénèrent les points cardinaux avec tel les honnissent avec tel autre ils ont le verbe haut et la presse qui en redemande à portée de main ils ont occupé de beaux postes imploré dieu et Khalifa et cetera perçu la patente pour leurs enfants sait-on jamais ils ont louangé sans réserve étoiles et montagnes des vareuses compassées locales du vieil Est jusqu’aux confins des Carpates et tout le reste ils ont ensemble bâillonné les folles d’Algérie et les bougres par milliers craché sur des héros martyrs depuis désormais ils n’ont que ce mot sur les lèvres qu’ils serinent à l’envi « démocratie démocratie » qu’ils conditionnent de mais mais mais retournez-vous vous en connaissez en ce printemps ils ont glissé parmi nous veulent animer notre démonstration notre révolution de velours la mener pourquoi pas « Djazaïr horra dimocratiya » ne les dégageons pas offrons leur un beau miroir et du pq
(1° jet) samedi 16 mars 2019

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637_ 22, c’est le Printemps

C’est le printemps, 
Sur le croissant de lune 
Et l’étoile rouges, 
Bourgeonne l’espoir. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Une clameur monte dans le ciel, 
Main dans la main, le cœur léger, 
Les torses se gonflent 
De fraternité, de sororité. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les larmes inondent la défaite. 
Sous nos semelles le Paradis. 
Tous ensemble ! 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Mille mesk ellil, Sakura et oiseaux de Paradis 
Pour nos mères, nos sœurs 
Et toutes les femmes de mon pays 
Pour qu’éclose en cette aube bleue 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les teintes chaudes et froides du peintre 
Se répandent sur les boulevards et les places. 
Des corps tournesols à perte de vue. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les martyrs de Novembre, d’Octobre, 
D’avril et de toutes les ombres, 
Sont revenus nous indiquer la voie. 
Ils dansent avec nous, chantent 
Djazaïr Horra, démocratiya.

Ahmed Hanifi21 mars 2019

638_ Révolution de velours en Algérie_ Images et chants

Comme en Octobre 88, la révolte de février a commencé à Bordj Bou Arreridj (c’est ce qu’on dit sur la base de vidéos qui circulaient à BBA bien avant le 22 février). Elle couvait depuis des années. D’autres révoltes se sont exprimées en divers endroits du pays avec plus ou moins de réussite, souvent réprimées. 

En réalité de nombreuses manifestations ont périodiquement lieu, un peu partout dans le pays, appelées par des enseignants, des retraités de l’armée, des policiers, du corps médical…

 https://www.youtube.com/embed/QKeUzc1uNtg?feature=player_embeddedLa dernière révolte, l’actuelle révolution de velours couvait, on l’entendait, surtout dans les stades depuis quelques mois, voire des années. Des milliers de supporters criaient leur rejet du Pouvoir, dénonçaient la Hogra, le mépris. Elle couvait ici et là, dans les stades, sur les réseaux sociaux. Certains Youtubers et Facebookers sont suivis par des milliers de followers. Et puis la rumeur se faisait de plus en plus pressente ces derniers mois, avec par exemple des vidéos, comme celle de ces deux jeunes de Bordj Bouareridj, qui appelaient à sortir dans la rue. Étaient-ils libres de leurs appels ou étaient-ils en commande ? D’autres posts anonymes (sous pseudos) appelaient à manifester au courant du mois de janvier et février. Jusqu’à ce 22 février qui vit des milliers de manifestants s’approprier l’espace et crier leur rage contre « Le Système » et leur soif de liberté.

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639_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 27 mars 2019

Mercredi 27 mars 2019

La gare ferroviaire de l’aéroport

Comme je l’ai écrit il y a quelques jours, je me devais d’être, au moins pour quelques jours, au cœur de la Révolution en cours, Révolution de velours, qui fait courber le monde de respect. Je suis arrivé à l’aéroport HB, par le flight ZI 707 d’un Boeing 320, bleu et blanc avec le lever du jour. En moins d’une heure j’étais à l’extérieur. Si vous voulez éviter les arnaques des taxis (comme dans de nombreux pays les prix des taxis ici sont excessifs. Du racket. Si vous voulez les éviter alors faites comme moi, utilisez Woo…, utilisez les transports en communs. À 400 mètres, sur votre droite après le parking et la nouvelle et belle gare ferroviaire (non encore fonctionnelle) il y a une esplanade avec des taxis clandestins qui vous apostrophent et des arrêts de cars plus ou moins indiqués. Ne prenez ni le 178, ni le 38, prenez le 100 Sahat Echouhada de l’Etusa.dz. Pour 50 DA il vous conduit jusqu’au cœur d’Alger en passant devant l’immense  
« mosquée Bouteflika » et par Tafoura. Tiens pourquoi pas descendre ici ? « Ici est la rue des Vandales. C’est une rue d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca » criait Mustapha dans le Cadavre encerclé (j’ai joué ce rôle de Mostapha au Centre culturel français d’Oran dans les années mortes, il y a une éternité…). Mon ici est le Square Port Saïd à deux pas de la place des Martyrs. Un hôtel près du fameux Tantonville et du TNA, dans la rue qui monte, la Casbah c’est derrière, encore plus haut. Accueil correct, autant que le prix. La chambre se trouve à hauteur de la 67° marche, au 2° étage sans ascenseur, à droite, « la 15 ». Correcte, mais l’odeur de renfermé et de moisi n’est pas agréable. Et pas de Wifi. Comment peut-on vivre sans le Wifi ? Trop tard, j’ai réglé la chambre. Demain j’irai voir ailleurs. Je me jette sur le lit. Respirer un bon coup. Sur Canal Algérie je suis le dernier quart d’heure de la rediffusion de l’émission d’hier soir, Expression livre. Mièvre, guindé et autosuffisant est l’animateur (fort sympa par ailleurs), médusé l’invité comme beaucoup avant lui. « Pas de vague, pas de vague » m’avait lancé un jour le premier. Le journal qui suit, en français, nous montre des familles recevant « les clefs » de leur appartement. Il n’y a ni discours redondants et ronflants, ni portraits géants du président, ni youyous et autres salamalecs et c’est mieux ainsi. Pas un mot sur la situation de crise nationale. Ni l’ANP, ni l’article 102. On regarde ailleurs le ciel qu’il fait en Europe, en Asie. « Chez nous il fait beau ».  Pourtant le DG de l’EPTV, Toufik Khelladi vient d’être démis de son poste hier, « appelé à d’autres fonctions ». Le problème est qu’il a été remplacé par Lotfi Cheriet, un proche du clan Boutef (cet ancien journaliste puis directeur de l’info à Canal Algérie avait intégré la direction d’une « chaîne de propagande, El Wiam, lancée par Ali Haddad pour faire la promotion du 4° mandat du chef de l’État » écrit El Watan de ce jour, page 9). Moussa Hadj nous dit adieu et Hadj Moussa nous dit Salam alikoum.
14heures 30. Devant la grande poste il y a un attroupement, on s’agite, les échanges sont hauts. J’ai voulu lancer aux uns et aux autres « Silmiya mes frères, silmiya ». « Bagarre ? » « non ils discutent » me répond l’homme que j’ai apostrophé. Je vous promets qu’il m’est apparu qu’on était à deux doigts d’en venir aux mains. Bien non. « C’est comme ça ici, le sang il tourne vite ».  Un jeune homme se fait fouiller les poches par un autre. Un flic en civil probablement. Des gamins s’amusent de toute cette agitation des adultes. Le soleil est éblouissant. Je m’assois sur une des longues marches de l’édifice de la Poste. Les principaux articles de El Watan sont plutôt favorables à la décision du chef de l’armée de convoquer l’article 102 de la Constitution – 3 articles sur 3 –« Il est heureux de constater que l’ANP s’est prononcé en faveur de l’expression populaire » dit un constitutionnaliste dans l’un des articles, « Gaïd Salah est venu secouer le président du Conseil constitutionnel » écrit Messaouadi dans le deuxième, le troisième « L’armée s’implique… » reprend de longs extraits de son chef. Les autres articles sont des commentaires ou des réponses des organisations, des responsables de partis etc. : Assoul, Bouchachi, Zenati, Ali Rachedi…  Sur ma gauche deux « écrivains publics », en fait deux vieux messieurs, arrondissent leur fins de mois en remplissant pour les clients perdus des chèques et des documents divers de la poste. Et entre deux clients ils se racontent des histoires de vieux messieurs que tout, la politique, la vie, le vide, étonne. Et le sourire ne les quitte pas. À la librairie Charras je feuillette quelques livres (et m’enquiers du destin des miens) « Repassez » me dit la charmante responsable. Je ne lui dis pas que c’est la réponse qu’on me donne à chacun de mes passages (Un par an environ).Le rez-de-chaussée des anciennes Galeries Le Bon Marché sur la rue Ben M’hidi a été transformé en un grand, très grand, café restaurant avec Wifi (le code s’il vous plaît… P@ssw0rd). Oasis Planète « le plus grand restaurant d’Algérie » (Les Échos d’Alger). Agréable et pas excessif. J’y prends un thé et consulte mon FB. À propos « à qui appartient-il » demande-je discrètement à un voisin de table » qui hausse les épaules en faisant la mou. Quelle question…Je me rends ensuite et sur le retour à l’immeuble qui abrite les locaux de SOS Disparus, rue Ben Boulaid. Malheureusement il n’y a personne. Au TNA Bachtarzi on commémore les vingt ans de la journée mondiale du théâtre. Le spectacle arrive à sa fin. Au Tantonville on sirote qui un café, qui un jus, qui je ne sais quoi d’autre… Sur les marches qui y donnent accès, un attroupement se forme. C’est le 3° depuis « les événements ». Le prochain rendez-vous aura lieu ici même mercredi prochain dit l’animatrice. À 17 heures une jeune animatrice prend la parole, explique l’objet de ces réunions « échanges d’expérience, points de vue, lectures, nous sommes devant un nouveau souffle… »  Le premier intervenant est une jeune intervenante, Alia qui lit un texte sur les femmes « elles ont toujours existé ! » répète-t-elle. D’autres intervenants lisent des poèmes ou autres textes. Hmida El Ayachi rend hommage à Kamel Amzal, ou Madjid, un militant de la démocratie, a été assassiné par des islamistes dans la cité universitaire de Ben Aknoun, le 2 novembre 1982. Déjà. Puis il improvise une poésie Chams ettoufal, un jeu interactif avec le public, Charlie Chaplin…, puis Le Mur et Kaddour Blendi… Un vrai acteur ce Hmida. Je n’ai pas pu lui dire un mot (la dernière fois que je l’ai rencontré c’était à l’aéroport d’Oran, il y a bien 3 ou 4 ans grâce à un ancien ami). Puis il y eut une autre jeune femme, puis Hakim qui lit en arabe un texte de 1998 de Habib Younès. Connais pas. J’interviens pour lire deux poèmes que j’ai écrit en hommage aux enfants d’Octobre 1988 pour le premier, à la Révolution de velours actuelle pour le second. « Octobre » et « C’est le Printemps ». D’autres personnes suivront. À la fin de la rencontre l’attroupement se scinde en plusieurs petits groupes. J’échange avec des jeunes, certains sont à l’initiative de ces sorties publiques. « Va dans ‘Balance ton mot’ sur Facebook me dit l’un d’eux, tu auras pleins d’informations, va aussi sur ma page FB ».

(https://www.facebook.com/adel.ricco.71?fref=search&__tn__=%2Cd%2CP-R&eid=ARBKUwgmJjGW8JS0VRV-gUukehUFmHz-7Zn7ycC7Ij5jZEMvc1ZWthywdiJWIOAyaVTOMPrNb9nn1FMI)
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640_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

 Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

Jeudi 28 mars 2019

Café à défaut de thé. Lecture de la presse. El Watan titre « Gaïd Salah face à la contestation populaire. » Un article de Salima Tlemçani (durant la décennie noire, elle était connue sous le sobriquet de « la colonelle » tant disait-on elle s’abreuvait – quasiment – à une unique source, celle des « services et de la muette » où elle avait ses entrées, solides comme du rock.) La journaliste préfèrerait voir le défunt Mohamed Lamari (celui qui en mai 92 déclarait : « je suis prêt à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut »), ou son clone officiant à la place de ce balourd de Gaïd Salah qu’elle ne ménage guère personnellement, ce chef d’État-major qui a réussi (pas seul) à liquider les liquidateurs de l’ex DRS (wa ma adraka, combien d’Algériens tremblent aujourd’hui encore rien qu’à l’énoncé de ces trois lettres :D,R,S. Mon Dieu), lesquels liquidateurs du DRS, dit-elle faussement naïve, avaient « ouvert des enquêtes sur les affaires de corruption impliquant les hommes du président ». Elle nous prend pour des imbéciles. Coquine va et démocrate jusqu’au bout des ongles des seuls cinq doigts de sa main droite.
À onze heures je plie bagages et change d’hôtel. J’en trouve un dans la rue Abane Ramdane, en face, un chouya plus cher, mais propret et le monde à portée de main. Écouter FIP en sourdine avec entre les mains une feuille blanche qui vous invite au délire ou bien encore un Kérouac ou un Roth. Vous m’en direz des nouvelles. Quand même. Je balance mon premier écrit.  Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « kidnappé ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ?
Je fais un tour du côté de la poste. J’entends au loin un gars crier. Je m’approche, d’autres gens aussi. On fait foule autour de lui. Il ne crie pas du tout le monsieur au super costume brillant comme neuf sur un pull-over rayé de lignes bleues, rouges et grises. Non il ne crie pas, il hurle son mixe de douleur et de joie. Ses yeux pétillent. « Nous vivons de l’oxygène, comment peut-on abandonner notre environnement ?… Oui, le peuple s’est libéré le 22 février… » Son discours est bien rodé « je fus candidat… »  Certains spectateurs ironisent, d’autres applaudissent. La rue Didouche Mourad fourmille de monde. Beaucoup de jeunes, filles et garçons, plaisantent, rient, chahutent. De peur qu’ils ne s’écroulent sur eux, et comme ils le feraient pour des murs d’immeubles, ils tiennent fermement les arbres à leur portée en posant la paume de la main contre leurs troncs. À l’angle de la rue Didouche Mourad (1955-1927) et Zabana Ahmed (1956-1926)… Oui, je sais, mais ici, il faut lire les dates de droite avant celles de gauche. L’ordre est inversé bien que les nombres soient écrits en arabe et les lettres en caractères latins… Les explications sont à demander à qui de droit, certes pas à moi. Je reviens à cet angle des deux artères, je disais que là, à cet angle, un groupe s’acharne sur un bendir et des karkabou (tambour et castagnettes essoudane/ soudanaises, en réalité malienne, pays qu’on disait bled essoudane, me semble-t-il) : karbaq, karabeq, karbaq…Autour de lui un demi cercle s’est formé. Il y a de l’électricité dans l’air et cela titille nos sens et nos espoirs. Une dizaine de jeunes passent en criant, avec un léger retard sur l’histoire en cours « Oh Bouteflika, la lil khamsa ! » Un peu plus haut un autre chant fuse d’un local, celui du RCD, c’est l’énorme « Win win win…rakoum rayhin’ win… » chargé d’émotion. Je rentre dans le local, saturé de photos et de centaines de bouteilles d’eau minérale de 50 cl qui seront probablement distribuées aux manifestants de demain qui auront la chance de passer par ici. « L’eau minérale Lalla Khedidja prend son origine dans les monts enneigés du Djurdjura. En s’infiltrant lentement au travers des roches, elle se charge naturellement en minéraux essentiels à  la vie, tout en restant d’une légèreté incomparable. Elle est pure par nature, car elle est directement captée à la source. » Ainsi va la pub. Je pense, et ne sais pourquoi, à ce proverbe détourné « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se case (caze) » Je discute avec un vieux militant et ancien syndicaliste qui me propose de faire le tour du propriétaire (une unique grande pièce de 32 m2). Et me revoilà devant les photos avec cette fois des explications lourdement orientées, « regarde ils ont dit qu’on est avec le pouvoir, c’est ça la vérité ? » m’interroge-t-il avec malice en me montrant une foule (supposée être composée de militants de son parti) entourée par des policiers certainement méchants.   Ils ont cela dans le sang les syndicalistes, ou nombre d’entre eux, c’est que lorsqu’ils vous tiennent ils ne vous lâchent plus. Il m’a fallu insister lourdement « je dois aller réserver un billet avant la fermeture… » pour que le gars (il n’avait peut-être pas parlé de la journée que sais-je) me libère. Il me serre fortement les pinces.  « À la prochaine » fait-il, mais là il s’aventure. Il n’y en aura pas. Je contourne le pâté d’immeubles et me retrouve en contrebas près du marché Clauzel. Pour la réservation chez Aigle Azur (le type, je ne lui ai pas vraiment menti), j’attendrai quelques jours.  Je me paie une belle calantica (50 DA), ce fameux plat oranais à base de farine de pois-chiches (franchement, elle ne vaut pas celle d’Oran). Chez un droguiste j’achète une longue tige en plastique. Je demande au vendeur de la couper en deux parts égales. Elles supporteront ma banderole « Révolution de velours » que je porterai (si tout va bien) demain, parmi les centaines de milliers d’autres manifestants. Car demain est présenté ici comme le jour le plus long et le plus haut  « rabbi yestorna ».  

Je reviens vers la Grande poste. Il fut un temps pas si lointain, où, arrivé dans ces parages, je m’interrogeais, hanté par eux, si tel ou tel bistro était toujours ouvert et si la cigarette empestait toujours autant. Avant d’entrer dans l’un d’eux, pour la protéger un tant soit peu ou si peu que cela soit, je camouflais ma veste dans un sac en plastique que j’avais prévu à cet effet. Je me demandais aussi s’il y avait encore, glissant entre les consommateurs, les tous jeunes ou tous vieux vendeurs de bebbouche (escargots) bien épicés ou de foule (fèves bouillies) au cumin ou d’œufs durs que je détestais et déteste toujours (les œufs durs). Aujourd’hui je ne le suis plus. Je ne suis plus hanté par les bistros que je ne fréquente plus. Presque plus, et plus du tout ici au Bled. Je passe devant leurs devantures (elles ne laissent entrevoir qu’un mince espace à travers la porte, entrebâillée pour permettre aux clients d’entrer)  et les mêmes questions me taraudent l’esprit. 

 Et c’est à peine si je leur adresse un regard indifférent, presque triste, comme à cet instant devant « la lune rouge » au 27 de Ben M’hidi.  
Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « libéré ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ? Sur FB on se délecte de cet énième épisode entre clans et sous-clans.

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641_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 29 mars 2019

https://www.youtube.com/embed/GdtHtH8xqS4?feature=player_embedded Alger, vendredi 29 mars 2019

Vendredi 29 mars 2019 

Café au lait, croissant et pain au chocolat. C’est une belle journée qui s’ouvre en perspective. « Nouveau jour de mobilisation en Algérie » disait-on en titre il y a quelques minutes sur France Inter : « l’Algérie de nouveau dans la rue aujourd’hui. 6° vendredi de mobilisation contre un président et un Système de moins en moins soutenu, mais toujours en place ». Un doux euphémisme. Les klaxons nous invitent à sortir. Je prépare ma banderole « Révolution de velours »  que j’enroule autour des baguettes en plastique que j’ai achetées hier au marché Clauzel. Me voilà sur la rue Asselah Hocine, devant le mythique Aletti, entièrement voilé, en cours de rénovation. Dans le ciel, un hélicoptère blanc tournoie. Le gilet est supportable. Par petits groupes, des jeunes passent, enveloppés dans le drapeau national. Il n’est pas encore dix heures. Près de l’Institut français, des policiers manifestement affolés ou en manque d’ordre courent devant eux, derrière. Sur le boulevard Ben Boulaid, à hauteur de l’hôtel Régina, un groupe dans lequel se trouvent nombre de handicapés moteurs scande « silmiya, silmiya », pacifique… Devant la Grande Poste il y a environ trois mille manifestants. On entend « Biyaîne el cocaïne kheyanine, kheyanine » vendeurs de cocaïne, voleurs… De l’autre côté, en allant vers Audin, sur l’avenue El Khettabi, à hauteur de la rue Ferhat Tayeb, un journaliste de la chaîne TV, Ennahar, est littéralement pourchassé, même bousculé.  C’est choquant. Je n’approuve absolument pas, mais ne peux m’adresser aux jeunes qui sont hors d’eux, très en colère. Il est vrai que c’est une chaîne honnie, qualifiée d’« islamiste ». Le pauvre journaliste est effrayé, ses yeux immenses regardent dans le vide, hagards. Je ne suis pas fier de cette scène digne d’un lynchage. Imbéciles, eux-mêmes remontés par d’autres médias ou groupes anti-islamistes intolérants et pourtant « démocrates ». 

12h15, angle de Hamani et Didouche, devant le fleuriste, une jeune femme devant la banderole, passe derrière, me tend un micro, « d’où venez-vous, qui êtes-vous, quelle appréciation portez-vous… » Je ne me souviens plus du nom de sa chaîne. Ma banderole se taille un succès raisonnable. Un gars d’âge mûr lit la banderole puis lève le poing et dit assez fortement le sourire grand « Prague ! » Je souris et lui rends un pouce au sien. Midi passé. La foule a maintenant tellement enflé. Combien sommes-nous, 30, 50 mille ? 
J’ai beau me dire il me faut être de tous les instants, de toutes les vigilances, je ne tiens pas. Il me faut m’asseoir, m’accroupir à défaut. Je m’abaisse et voilà que se tendent des mains. On me propose de m’aider. On m’offre une bouteille d’eau. Ai-je l’air en si mauvais état que cela ? « je n’ai rien, merci, j’ai juste mal au dos, merci, Yaâtik Saha ». Satanée cinquième vertèbre. Elle fait des siennes dès lors que je suis en position debout, immobile pendant un certain temps. M’enfin.

14heures. Je suis sur l’escalier de la Grande Poste. Un brusque mouvement important de foule. Impressionnant, on laisse passer, d’aucuns haussent le ton « khalli, khalli ». Sur la pointe des pieds j’aperçois Arzeki Aït-Larbi, heureux de son coup comme un diable rusé. À ses côtés l’idole de la Révolution et des Algériens, Djamila Bouhired, autour d’eux des drapeaux tunisiens.
Les artères, boulevards, avenues, rues et ruelles déversent des foules compactent et impressionnantes. Il en sort absolument de partout. Où que l’on plonge le regard on est saisi. Jamais vu cela, pas même aux premiers jours de l’Indépendance, et je m’en souviens mêmes si je n’avais pas plus de la dizaine : Audin, Didouche, Khemisti, Ben M’Hidi, Asselah, Ben Boulaïd, Cherif Saadane, Saliha Ouatiki, Hassiba Ben Bouali… mains dans la main. Ils sont tous là. Les femmes et hommes d’honneur et de dignité percutent le présent. Je les entends « Restez debout ! » Suis fatigué, le soleil cogne dru. Me rassois de nouveau. Sur le boulevard Khémisti, côté est, je me range un temps au milieu des mères et parents de « Disparus » Bonjour Ferhat, Nassera… 

Break (je ne vous raconte pas la perte d’une clé, le serrurier clandestin…)
La journée s’écoule et l’atmosphère est toujours époustouflante. Près du marché aux fleurs, on se croirait à la sortie d’un match international de foot qui a vu la victoire des Algériens. Folie est peu dire. Les pizzas, fast-foods, cafés, pâtisseries… ne désemplissent pas.  Les vendeurs d’écharpes, de drapeaux, de toutes dimensions sont heureux, doublement heureux, « ayya vingt mille, vingt mille ! »

Un jeune artiste propose des feutres « faites ce que bon vous semble sur le tableau » 
Je remonte vers l’ouest. 17h20 : derrière la Fédération des cheminots, il y a de l’agitation. Des gamins déferlent le grand escalier. « Va par là-bas âmmo, ici il y a des lacrymogènes. Nous sommes pas loin de la rue du lieutenant Boulhert Salah et le boulevard Mohamed V. Petites échauffourées. On imbibe des mouchoirs en papier de gouttes de vinaigres. Je me retrouve de nouveau à hauteur de El Khettabi-Audin. Je discute avec trois jeunes. Leur dis avoir constaté l’absence de toute revendication d’ordre religieux (à part le « inna li Allah iwa Inna ilayhi rajiôun » – nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournons, adressé malicieusement au Président grabataire). Les jeunes me répondent (ils ont la vingtaine) que le peuple a souffert après octobre 88 et la guerre qui a suivi et surtout la récupération politique du mouvement de protestation des Algériens alors ne doit pas se reproduire et ils ne pensent pas qu’il se reproduira. Ils ajoutent : aujourd’hui nous savons qui sont les voleurs du pays et nous leur demandons de partir. C’est tout. « On veut être bien, c’est tout ».
De toute la journée, je n’ai pas croisé plus de deux, va pour trois, barbus (islamistes à la posture ostentatoire). Mail il est vrai qu’ils ont cette capacité extraordinaire caméléonienne de se fondre en Ombres.
18h30, les hélicos tournent toujours dans le ciel serein.

 Yet Nahaw Gaâ

NB : J’ai été au plus pressé. J’aurais pu écrire trois plus, mais… (je ne me relis même pas).
 
https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/070319/33-algerie-revolution-de-velours ;

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LIRE ÉGALEMENT:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/02/632-revolution-de-velours.html

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/645-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/651-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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Joyeux Yennaïr

Pub Mobilis- Le Quotidien d’Oran- L 11.1.2021

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Joyeux Ennaïr (ou Ennayer ou Yennayer)

Ennaïr* de mon enfance à Oran

Je me souviens du jlid qui nous paralysait à l’intérieur de notre unique pièce,

Je me souviens des gerçures qui parcouraient les mains de nenna,

Je me souviens du kanoun qu’elle sollicitait plus encore ce jour-là,

Je me souviens des cheveux de jais de ma mère qu’à l’occasion elle parfumait au zit zitoun,

Je me souviens du kholkhal autour de sa cheville, 

Je me souviens de la couleur brune du meswek qui embellissait son sourire,

Je me souviens des sacoches noires de elbeciclita verte de mon père,

Je me souviens qu’elles étaient pleines de fruits secs,

Je me souviens que certains résistaient à nos assauts : amandes, noisettes, noix,

Je me souviens que d’autres s’y pliaient : dattes, raisins, figues, cacahuètes,

Je me souviens de la maïda qui, exceptionnellement, débordait de cherchem, de couscous, de lben 

Je me souviens aussi de l’inévitable la mouna qui se faufilait entre les mets,             

Je me souviens du mkhalet de halwa – bonbons, réglisse, coco, chewing-gum – étranglé par une cordelette, une ficelle, ce qu’on trouvait,

Je me souviens de la pièce de khamsa douros, parfois deux, que mon père nous tendait, retenues fermement entre ses pouce et index, 

Je me souviens de lawalimoun dont on abusait, et des mini bougies blanches, 

Je me souviens qu’on fixait les chmaâ dans des boites de conserve qu’on avait  préalablement 

trouées de sept ou neuf trous, du nombre je ne me souviens plus,

Je me souviens qu’on les faisait tourner près du corps comme la grande roue d’une fête foraine,

Je me souviens qu’on allait ainsi en courant jusqu’à Covalawa

Je me souviens – c’était bien plus tard – des souvenirs d’enfance de Pérec, de sa Disparition.

Je me souviens. 

ah – janvier 2018

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* Si d’aventure vous ne comprenez pas la Derja, ce qui suit est pour vous :


Derja : c’est une des langues vernaculaires des Algériens.

Ennaïr : ou Yennayer. Premier jour de l’an du calendrier agraire, le 12 janvier.

Jlid : vent glacé.

Nenna : ma grand-mère.

Kanoun : réchaud en terre cuite.

Maïda : table basse. 

Cherchem : plat épicé à base de pois-chiches, de fèves et de blé bouillis. 

Zit-zitoun : huile d’olive.

Kholkhal : bracelet en argent.

Meswek : écorce de noyer séché que les femmes mâchouillent. Il embellit les lèvres comme un rouge à lèvres naturel, et valorise par contraste les dents (précisions in internet).

Elbeciclita : ou biciclita, bicyclette, ici vélo.

Lben : lait fermenté.

La mouna : brioche pied-noir, d’origine espagnole (dit-on), qu’on consommait à Pâques.

Mkhalet : petite bourse emplie de toutes sortes de halwa.

Halwa : friandises, sucreries.

Chmaâ : pluriel de chemâa, bougie. 

Covalawa : ou Cueva d’el agua. C’est le nom d’une zone située près de la jetée, au bas du quartier Gambetta, à l’est d’Oran. Jusque dans les années 60, c’était un important bidonville.

Douro : le douro est une ancienne monnaie espagnole. A Oran, fortement peuplée d’Espagnols, on disait douro plutôt que francs. Un douro équivalait à une pièce de 5 francs, puis au printemps 1964 de 5 dinars.

Lawalimoun : ou agua limon. Eau sucrée au citron.

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Clin d’oeil de Dilem à l’actualité (américaine)

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Nous entrons ce jour dans un nouvel an berbère. Le Quotidien d’Oran lui réserve deux articles. Le premier en page intérieure régionale « est » (page 9)

le second en page « Culture » (p 16) que voici

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El Watan, 12 janvier 2021

Yennayer, le jour de l’An amazigh, un des éléments du patrimoine immatériel le plus fédérateur de la mémoire collective de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, a un goût particulier cette année dans la wilaya de Béjaïa.

On s’est vite rendu compte, après avoir tâté le terrain et pris le pouls des rares préparatifs, que cette fête s’annonce avec beaucoup moins de faste et de solennité que les années écoulées. Même son désormais statut officiel, suite à son intégration dans le calendrier national des fêtes légales, n’y change rien.

La pandémie de la Covid-19 est passée par-là. La crise sanitaire et la contrainte du confinement ont plombé les activités habituelles de célébration. Mais pas que. Le manque de subvention a refroidi les ardeurs des organisateurs de la société civile. «Les associations de notre commune sont à court d’argent. Elles ne peuvent pas organiser une quelconque activité», nous apprend Chafik Abaour, maire de Sidi Aich. «Nous n’avons encore reçu aucun sou dans la caisse. Nous n’avons rien prévu pour Yennayer.

Hormis le déplacement de la statue d’Axel vers le centre-ville d’Ighzer Amokrane et son installation sur un socle. Mais la date de l’opération n’est pas encore arrêtée», souligne Ali Tabet, un des animateurs de l’association Horizons activant dans la commune d’Ouzellaguen. A hauteur du chef-lieu de wilaya, un collectif d’associations a pris son courage à deux mains pour marquer l’événement. Une exposition d’objets traditionnels se tient du 9 au 15 janvier dans l’enceinte de La Casbah.

Il est en outre programmé des balades culturelles à travers les monuments et sites historiques de l’ex-ville des Hammadites, ponctuées par des agapes collectives autour de l’incontournable couscous. Des expositions, des conférences et des ateliers pour jeunes ont également lieu à la maison de la culture et à la bibliothèque communale.

Dans la vallée de la Soummam, Béni Maouche est l’une des rares communes à avoir concocté un programme d’activités consistant pour Yennayer. On annonce pour la matinée du mardi 12 janvier l’inauguration du stade de football du village Aguemoune. L’APC a contribué à hauteur de 110 millions de dinars au financement de cet équipement public.

Les villageois ont mis la main à la pâte et à la poche pour mener l’ouvrage à bon port. «Les citoyens d’Aguemoune ont réuni la somme de 3,5 millions de dinars, mobilisé des engins et réalisé quatre mois de volontariat pour achever ce stade, qui a englouti plus de 20 millions de dinars», nous confie Mokrane Labdouci, le P/APC.

Pour la circonstance, il est prévu un match de gala mettant aux prises l’équipe du village Aguemoune et des vétérans issus des équipes du MOB et de la JSMB. Un couscous est ensuite offert aux convives.

L’après-midi est consacrée à une conférence dans la salle de délibération de l’APC de Trouna (chef-lieu communal), suivie d’une pièce de théâtre et de chants traditionnels berbères.

Dans la commune de Tazmalt, nous informe Sofiane Achour, président de l’association Espoir, les citoyens de la cité Kasdi Merbah, au chef-lieu communal, organisent une exposition centrée sur la thématique de Yennayer et un sacrifice suivant le rite de Timechret. Le même rite sacrificiel est annoncé par l’association Main tendue du village Nord, l’association de la cité des Horloges, les résidants du village Sud, la population du village Ikhervane et l’association Tagmats du village Tiouririne. Une opportunité pour exalter les valeurs de convivialité et de solidarité et sceller la communion entre les villageois.

Dans les autres localités de la Soummam, d’Ighram à Seddouk, en passant par Akbou et Ouzellaguen, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est, bien sûr, le traditionnel dîner de Yennayer. Du couscous aux «sept ingrédients», agrémenté de la viande de volaille. Un plat qui convoque traditionnellement la fratrie et, au-delà, toute la lignée vivante de la famille. Le tout dans une ambiance empreinte de bonhomie et de sérénité.

Par Maouche

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El Watan, le 10 janvier 2021 

Par M’hamed H

Tipasa : La célébration de Yennayer 2971 «à huis clos»

En raison de la pandémie, la célébration du Nouvel An berbère cette année se déroulera à huis clos dans la wilaya de Tipasa. Abdelkader Bouchelaghem, enseignant universitaire à la retraite, animateur actif des émissions en tamazight au niveau de la radio régionale de Tipasa, nous accueille dans sa petite boutique.

Il commence à nous relater les premiers pas de la célébration de Yennayer à Tipasa. Il s’agit de l’organisation du festival du Daynan, des tentatives de la création du mouvement berbère chenoui (MCC) durant le passé. Les autorités de Tipasa, sous l’ère des walis Frikha Hacène et Laroussi Abdelwahab, avaient organisé des semaines des arts et culture chenouis à Gouraya, Cherchell et Tipasa. Ces festivals, organisés avec peu de moyens et des montagnes de volonté, attiraient beaucoup de monde pendant la décennie 90.

Cet événement est mis aux oubliettes hélas depuis le début des années 2000. L’adhésion des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, pour célébrer Yennayer, n’avaient pas suscité l’intérêt des décideurs locaux.

Cette manifestation culturelle, qui avait permis aux familles de la wilaya de Tipasa de découvrir la richesse des us et coutumes de leurs différentes régions, le génie de leurs aînés dans la fabrication des outils utilisés dans le passé lointain pour travailler la terre et surtout la création des copieux mets, afin d’afficher leurs appartenances, autant d’aspects instructifs, sont ignorés. Abdelkader Bouchelaghem se laisse aller involontairement dans le récit historique sur l’appellation d’origine berbère des trois pays du Maghreb, le Maroc, la Tunisie et l’Algérie.

«Je vous recommande de lire le livre de Mohamed Chibani, pour plus de détails, car c’est bien la France qui a fait les frontières au niveau de l’Afrique du Nord», nous dit-il. Notre interlocuteur ne s’arrête pas dans son récit. Il revient sur la définition d’origine berbère de «Tefsa», avant d’arriver au nom de Tipasa. L’année berbère a commencé en 950 AV JC. «Assegas Amegaz pour cette année», nous déclare-t-il. Yennayer, une date qui coïncide avec le 12 janvier est devenue une journée fériée.

Cela est insuffisant, car le combat doit continuer. Les dernières années, Abdelkader Bouchelaghem, le métronome infatigable invitait les associations, les poètes, les historiens, les artistes afin d’animer l’arrivée du nouvel an berbère, à travers les expositions des œuvres d’arts et les anciens outils de travail traditionnel dans l’agriculture, la poésie, les conférences suivies des débats, la présentation des arts culinaires de chaque région de la wilaya et les chants pour permettre aux jeunes de mieux connaître le sens et la philosopie de Yennayer. Abdelkader Bouchelaghem utilisait alors les ondes de la radio locale de Tipasa pour permettre aux familles de vivre l’événement.

Ces auditrices et auditeurs, pour diverses raisons, avaient été empêchés de rejoindre l’annexe de l’ONCI de Chenoua, lieu qui abritait la manifestation purement culturelle. «En ce 12 janvier 2021, pour respecter le protocole sanitaire, les familles vont utiliser les réseaux sociaux pour communiquer et perpétuer la célébration en attendant des jours meilleurs», indique-t-il.

Notre interlocuteur a le souffle long. Une pluie fine fait son apparition dans les rues, le ciel est bas, la nuit se lève à grands pas, nous demandons alors «l’autorisation» à notre interlocuteur de partir. Courtois, sympathique, un sourire timide, il est arrivé à transmettre son message à travers El Watan. «Assegass Amegaz depuis Tipasa à votre journal, ses employés et vos lecteurs», conclut Kader, le chenoui, avec son timide sourire, celui d’un grand-père.

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Liberté du mardi 12 janvier 2021

REPORTAGE

Dans l’atlas blidéen, sur les traces des traditions amazighes qui résistent au temps

La terre et l’histoire

Liberté, le 12-01-2021 par Mohamed Mouloudj

Tibboura, Tala Amrane, Tachwit, Tamaksawt, Taghzout, Tifarine, Timsirt, Danes, Gar Ougalmime, Baânsar… La toponymie de la région, à cheval entre Blida et Médéa, fait vivre une culture et des traditions millénaires.

“C’est ici que je suis né. J’y ai vécu et je ne peux être moi-même que sur ma terre.” Voilà une phrase qui résume le sentiment d’appartenance à une terre. Celle de Thourtathine sur les monts de Médéa, sur le versant est de l’Atlas blidéen. Dans ce territoire suspendu entre le ciel et les plaines de la Mitidja, la disparition de tamazight (le zénète) n’a pas pour autant rompu le lien qui unit ses enfants à leur terre. La voix de la terre natale finit toujours par résonner là où la surdité a pris place. 

La perception de l’appel de la terre est d’abord cet attachement atavique qui incite à réintégrer les siens. Le recul ou la quasi-disparition de la langue amazighe fait presque perdre son âme à cette région montagneuse. “La langue est le miroir et le portrait de l’âme”, dit un proverbe italien. John Le Carré écrivait dans La taupe : “Posséder une autre langue c’est posséder une autre âme (…)” Il semble, à première vue, que ces deux citations renvoient à la fidèle expression qu’une langue peut véhiculer.

Toutefois, l’âme, aussi éthérée qu’elle soit, garde en son tréfond la marque d’une vie antérieure qui s’est transmise de façon magique. Tout cela porte un nom. C’est cette appartenance à un groupe social, culturel et linguistique qui la distingue des autres. Lors d’une virée dans l’Atlas blidéen, dans les méandres de cette culture amazighe qui tend à laisser place à d’autres emprises, des indices persistent non seulement à marquer, mais aussi à rappeler cette appartenance à une culture qui se meurt, certes, mais qui revit à travers une toponymie qui tient lieu de garde-fous, de barrières qui protègent un héritage que nul ne veut voir disparaître. 

L’Atlas blidéen, un lieu où se meurt l’amazighité, domine des vallées, mais souffre, hélas, d’indigence. Un dénuement qui détruit une vie, celle d’un peuple. La capitale et Blida au Nord, Médéa au Sud et Bouira à l’Est, ce croisement n’est au final que ce continuum qui dissimule une richesse culturelle et linguistique ensorcelante. Région rurale par excellence, l’Atlas blidéen est un haut lieu d’Histoire. 

Une langue unique, une appartenance qui s’étend au fin fond des âges et aussi un imaginaire social qui se reconstruit peu à peu. Une prise de conscience pour briser les chaînes qui la ligotent à une sphère culturelle et linguistique disparate, conçue par des images sans lien sociologique ou historique à une région que toutes les violences ont écrasée pour mieux l’asservir.  

(…)

Yennayer, une fête, une mémoire 
Sur le chemin qui mène de Hammam Melouane à la montagne, Boualem, un jeune agriculteur aborde Mohamed et Dda Amar. Il ne parle pas le zénète. “Dommage”, répond-il, sauf que pour lui, Amar Djerroudi est là pour le leur apprendre. “J’ai quitté la région avec ma famille pour cause de terrorisme, donc nous avons perdu l’usage de la langue, car dans la plaine, les gens ne parlent pas zénète”, a-t-il expliqué. Sur sa moto, Boualem fait le va-et-vient entre la montagne et chez lui en ville. “Je suis éleveur, mais les conditions sont difficiles, d’ailleurs la route n’a été bitumée que récemment”, dit-il.

Interrogé sur Yennayer, Boualem a précisé que cette fête “Assegas”, a-t-il dit, est fêtée d’une manière désintéressée et magnanime chez lui. “Nous fêtons l’an amazigh chaque année”. Sans chercher à connaître la signification, Boualem considère que ce “rite” est un legs qu’il faut garder. Dda Amar, en revanche, ne cesse d’aborder le sujet. Il raconte dans les moindres détails la fête de Yennayer. Il commence d’abord par expliquer que le zénète qu’il parle “est pur”. “À Yennayer, nous préparons des plats traditionnels et nous le fêtons en famille”, a-t-il dit, expliquant que sa défunte mère “préparait Tassabount, du miel, du beurre, de la viande sèche, du couscous d’orge…, et la fête durait parfois deux à trois jours”.

Amar Djerroudi ne compte pas garder “son trésor” pour lui-même. “Je transmets aux jeunes tout ce que j’ai appris, ce dont je me souviens et tout ce que je connais de l’histoire de la région”, a-t-il dit. Sur cet autre versant de l’Atlas blidéen, la situation est tout autre. Les conditions de vie sont meilleures et l’activité agricole vivrière ne domine pas la vie économique locale. Cet “avantage” a fait en sorte que les gens s’intéressent depuis quelque temps à l’histoire. Sur les réseaux sociaux, des groupes de débats et de partages ont été créés. L’histoire, la civilisation, la langue…, y sont constamment abordées et débattues. 

Othmane Mohamed en fait partie. Féru d’agronomie et d’histoire, il s’y intéresse pour raviver une racine, une langue et une culture. Dda Amar, quant à lui, est la mémoire de la région. Un rôle capital dans la prise de conscience dans la région. Pour Mohamed “ceux qui ont initié le combat identitaire ne se doutaient pas que c’est à partir des patelins de Kabylie que l’espoir de toute une nation est né. Cet espoir de vie de toute l’Afrique du Nord viendra exhumer des pans entiers d’une histoire enfouie dans nos âmes”. 

Mohamed évoque le mouvement populaire, le terrorisme, la politique, tamazight… Sans complexe, il estime que tamazight n’est plus ce qu’elle était. “Elle est là. C’est une réalité qui s’impose à tous”, dit-il. Dda Amar Amellal a salué la prise de conscience des jeunes. “Ils veulent apprendre et se réapproprier l’histoire. Tout est à leur honneur. C’est encourageant et cela me donne de l’espoir”, a dit Dda Amar. 

Qu’en sera-t-il dans les années à venir ? Ces jeunes auront-ils toute latitude de réparer cette “entorse” à l’histoire ? Nos deux Zénètes sont convaincus. Ils font appel à l’organisation de colloques sur la région, son histoire, ses traditions et sa langue. Les spécialistes sont désormais interpellés.
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Les (anciens) bars d’Oran… ou ce qu’il en reste

Cette vidéo n’a pour objet que de nous rappeler qu’Oran fut une ville de grande tolérance. Qui ne veut voir en ces images que le rappel d’une mémoire de débauche se trompe lourdement. Les bars, (parfois hôtels-bars-restaurants) ont hélas, pour une part non négligeable disparu. Ils furent au même titre que les salons, les marchés et autres placettes de quartiers d’Oran, des lieux de rencontre et d’échange, où s’exprimaient sans retenue, ni tabou, les vérités et fantasmes des uns et des autres autour d’un verre au pluriel majoré, surtaxé, parfois sans nuances. Ils sont les témoins d’une époque aujourd’hui révolue que ne connaissent ni les moins de vingt ans ni ceux de trente.

Les chanteurs qui rehaussent la vidéo sont uniques par leur voix, leur capacité à faire renaître ou remonter en chacun de nous, à partir de mots enracinés en « nous » (ce nous global) depuis les temps immémoriaux, ce qu’il y a de plus profond, de plus émouvant. Ils prirent d’assaut (avec d’autres bien sûr) les bars d’Oran et de sa région dès les premières des années 1980 (durant l’abjecte censure) et plus tard… tous les lieux (ou presque). Ces chanteurs sont Cheikha el Djenia el kebira el haqaniya bent Saïda (1954-2004) (ne pas oublier son compagnon El berrah Zouaoui mort en 2003) et Cheb Mami (de Saïda lui aussi). 

ahmedhanifi@gmail.com

10 janvier 2021

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Hommage posthume à Cheikha Djenia

EL WATAN _ 30 avril 2015

Un événement qui verra la participation d’une vingtaine de chioukhs venant de l’Ouest de l’Algérie comme Boutaïba dit « Saïdi », Tahar, Fati, Smail, Chadli, Mohamed Saïd, Krimo de Saïda,  Okacha de Mascara, Miloud de Tissemssilt, Hatab et Kada de Tlemcen, El Ouahddani de Ch’lef, Dehane de Naâma ou encore Lechlech et Hamid Baroudi d’Oran.

La wilaya de Saïda-en collaboration avec la direction de la culture,  le comité de l’action culturelle et le mouvement associatif- lors de cette intéressante rencontre, rendra un  hommage posthume  à la diva du raï « rural », Cheikha Djenia. Cette grande dame, cette diablesse du raï, qui revendiquait haut et fort son titre de « cheikha Djenia el hakania el kebira bent Saïda (la vraie, la grande, l’authentique et fille de Saïda) ».  Et ce, pour se distinguer de Cheikha Djénia Sghira ayant usurpé le nom de scène.Advertisements

Elle est décédée, une certaine journée du 1er avril 2004, un jeudi, à l’issue d’un tragique accident de la circulation sur la route de Sidi Bel Abbès menant vers Tlemcen, et ce, prématurément, à l’âge de 50 ans.  Soit neuf mois après la disparition de son mari «El berrah» (aminateur et dédicassseur), le fameux Zouaoui, lui aussi mort tragiquement. Il a été abattu par méprise lors d’un barrage de nuit par les forces de sécurité. De son vrai nom Fatma Mebarki, Djenia est née en 1954, à Marhoun, dans les environs de Saïda.

Obnubilée par cheikha Rimitti, Farid El Attrache, Abdelhalim Hafez et Oum Kalsoum, elle quittera le giron familial et conjugal, à 17 ans, à la suite d’un mariage forcé.  Remarquée par cheikh Aïssa, elle se produira à ses côtés pour faire et parfaire  ses premières armes. Elle signera son premier album en 1970 sous l’impulsion de Hadj Mazou lequel la baptisera «La diablesse» (Djenia) pour son timbre de voix rock (rauque). Cependant Djenia se distinguera avec le raï synthétique en duo avec cheb Abdelhak avec Rah Egaber (Il drague).

Djenia s’est illustrée avec des hits comme Kayen Rabi, Trig Bidou, Dertou fina Djournan, Trab el Ghadar, Ha Nounou, et Kin Dir Ouan Dirleh repris par cheb Abdou et bien d’autres, sans percevoir les droits d’auteurs, bien sûr. Djenia était la digne héritière de cheikha Rimitti.


À toi qui me lis

À l’orée de cette année nouvelle 

à toi qui me lis

Je souhaite que se concrétisent les plus insensés de tes rêves ;

Que s’allument en toi les plus merveilleuses étoiles ;

Que te sourient la lune et les plus beaux astres ;

Que tu palpes chaudement tes désirs les plus ardents ;

Que s’expose ta créativité à la lumière et aux quatre vents verts ;


Je souhaite que se concrétisent les plus insensés de tes rêves ;

Que te réussissent si besoin les remèdes aussi bien aux temps pleins qu’aux vides ;

Que sur toi se déploient tous les bienfaits attendus ; 

Que tu restes toi-même ;

Que tu proposes ton cœur à la disponibilité bienveillante ;


Je souhaite que se concrétisent les plus insensés de tes rêves ;

Que tu ranges au fond de ton abîme tes vaines rancunes ;

Que tu hisses ton cœur sur les cimes du mont Tahat, Djurdjura, Blanc ou 

Kilimandjaro ;

Que tu uses jusqu’à sa dernière fibre ta mansuétude ;

Que tu soies en retour aimé par tes amis, tes proches et tous les autres ;


Je souhaite que se concrétisent les plus insensés de tes rêves ;

Faisons acte d’humilité quelles que soient notre croyance, nos certitudes ;

Regardons l’univers dans les yeux, puis posons un doigt sur un grain de poussière ;

Observons notre miroir, nous ne sommes que cette éphémère misère dont les feuilles 

                                                                              ne vivent qu’un jour ;

Oeuvrons ensemble pour que le nôtre soit le meilleur possible ; 

Marseille, le mardi 29 décembre 2020

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Le grand Nord ! les rennes…

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