De Marseille à Tuktoyaktuk

[04/30] : 

Le dimanche après-midi, une chaleur étouffante et désagréable enserre le quartier latin. Un orage couve. Montréal est très animée. En été, de nombreuses fêtes s’y déroulent, dont le festival international de jazz. Le ciel lourd et l’étrange sensation de fatigue et d’engourdissement liée à la longue traversée de l’Atlantique Nord ne les empêchent pas de s’y rendre. Aller au festival, mais surtout à la librairie du Musée des Beaux-Arts. Ils ont rendez-vous devant la boutique avec Jamila, une écrivaine maghrébine installée à Montréal.

Omar l’avait contactée au début du mois de juin. Ils échangèrent ensuite plusieurs courriels. Dans l’un d’eux, Omar informa Jamila de son arrivée au Canada sans évoquer le Grand Nord. Dans le dernier échange, ils convinrent du jour, du lieu et de l’heure du rendez-vous. Omar avait fait la connaissance de Jamila en France, il y a fort longtemps. C’était lors d’un débat au festival du livre de Mouans-Sartoux qui portait – il s’en souvient encore – sur le thème « Écriture et pouvoir. » Jamila accompagnait Maïssa Bey et Hélé Béji, une autre écrivaine maghrébine. Lui était présent pour couvrir l’événement en free lance. Plus tard, elle demanderait à Omar (sans lui donner ses raisons) de ne pas divulguer son identité dans ce récit. Son nom est donc Jamila pour les besoins de ce récit (et son visage dissimulé). 

Véro est enthousiasmée par les grandes avenues de la ville et leurs animations. Lorsqu’ils arrivent à hauteur du musée Omar reconnaît aussitôt Jamila. Elle regarde des livres installés dans la devanture de la librairie. « Alors comment va notre Québécoise Jamila ? » Elle se retourne surprise. Elle fait « ah, je… ? » et ils s’embrassent. Sur la vitrine de la librairie une affiche informe qu’une rencontre aura lieu ici même le mardi 5 juillet avec elle et Maïssa Bey « Belle coïncidence » fait Jamila Elle ajoute « Maïssa présentera son nouveau roman Puisque mon cœur est mort et nous traiterons ensemble de la condition des femmes en Algérie ». « Ah… nous n’y serons malheureusement pas, on sera loin le 5 » répond Omar. Il lui explique le Nord, la mosquée… Ils descendent le boulevard. Tout autour d’eux, une foule compacte avance sur la Sherbrooke Street. On entend les guitares de plus en plus puissantes. Jamila, un temps absorbée, regarde vers les grands arcs de l’église Erskine. Puis elle dit : « Tout me paraissait disproportionné ici, énorme, les routes, les appartements, la nature… et la libre parole ! » Elle évoque ensuite sa propre expérience lorsqu’elle découvrit cette partie du continent américain, ses gens, sa culture et la grande ouverture d’esprit qui la caractérise… Sur l’estrade du Rio Tinto Alcan la chanteuse Nina Attal, pantalon jaune moutarde et chemisier blanc, entame My soul won’t cry no moredevant quatre cents fans, trempés en quelques minutes. Elle traverse la scène en sautillant, fait valser la guitare en bandoulière, s’accroupit et se redresse, Won’t cry no more…  Le public apprécie. Il danse, chaloupe en reprenant avec elle My soul won’t cry no more sous une pluie intempestive. Il chavire. Omar, Véro et Jamila ne s’attardent pas. Ils préfèrent s’abriter. Après que Véro eut fixé l’artiste et ses musiciens dans son Sony, ils descendent prendre un verre au Piranha-bar qui se trouve sur la longue et très animée rue Sainte Catherine. Ils poursuivent la discussion, abordant les sujets comme ils se présentent, au gré des méandres de la conversation et chacun y va de son commentaire sur l’écriture, l’édition, la presse, le Bled, la vie quotidienne au pays du castor et de la feuille d’érable… Mais lorsque Omar demande à Jamila ce qu’elle sait de la mosquée d’Inuvik, elle ne réagit pas. Demeure silencieuse. L’entend-elle ? Le brouhaha dans la salle du Piranha qui se fait de plus en plus volumineux, couvre peut-être la question. C’est ce que veut croire Omar qui la lui repose : « tu as entendu parler de la mosquée d’Inuvik ? » Le temps de la réponse, il apprécie la veste Mina noire que porte l’écrivaine, mais ne le lui dit pas. Veste dont elle ne cesse de caresser avec ses doigts la base de la manche.

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(‘‘La suite au prochain numéro’’, le [05/30])

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