« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl

« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- lundi 11.12.2023- 15/18

Monsieur Gauthier explique qu’Ibn Thufaïl « s’est manifestement inspiré d’El-Ghazāli : « j’entends par ‘‘cœur’’ l’essence de l’esprit de l’homme et non pas l’organe fait de chair et de sang commun au cadavre et à la bête. » Ici Ibn Thufaïl s’adresse plusieurs fois à ce correspondant fictif (cf. supra), ce frère généreux, sincère, affectionné, qui lui a demandé de l’aider dans la connaissance. Il utilise (en une quinzaine de lignes) de nombreux équivalents pronoms personnels, adjectifs possessifs et l’impératif présent : « tu », « te », « t’ »  « ton », « attache », « écoute », « regarde ». Ibn Thufaïl met en garde son correspondant, car « l’entreprise est périlleuse ». Comment expliquer l’inexplicable par des mots ? Alors, dit Ibn Thufaïl à son correspondant, après lui avoir donné des détails sur l’état d’esprit de Hayy après son retour de son état « qui ressemblait à l’ivresse », « ne me demande pas d’explication plus ample ». 

Dans la foulée de cette séquence, Ibn Thufaïl introduit un « basculement du roman » avant la dernière ligne droite.  Il s’établit dans l’esprit de Hayy une confusion qui l’orientait sur une voie « périlleuse ». Non, il n’y a pas « d’unification complète de l’intellect humain et divin ». Un célèbre prédécesseur, fils de cardeur de laine, a payé de sa vie cette conviction erronée pour l’avoir énoncée haut et fort. Hayy comprit qu’il s’était égaré. Parvenu à un pur effacement de soi, il a vu que les sphères possèdent chacune une essence séparée, sans matière, que cette essence a une perfection, une beauté, immenses, « ce qu’aucun œil n’a vu, qu’aucune oreille n’a entendu ». Cela renvoie à un autre hadith qodsi. Il vit plusieurs sphères d’étoiles, d’autres sphères comme Saturne et fit de nombreuses observations sur leurs essences, puis « enfin il arriva au monde de la génération et de la corruption, le bas monde » (selon Quatremère), il vit que l’essence est exempte de matière comme les autres, mais qui n’est aucune de celles qu’il avait déjà constatées. Cette essence du « bas monde » possède des dizaines de milliers de visages, dont chacune possède autant de bouches, et les bouches autant de langues « pour louer l’essence de l’Être unique. » Puis il vit qu’il possédait lui-même une essence séparée, dont on peut dire qu’elle est une partie de l’essence des dizaines de milliers de visages si seulement leur essence pouvait être divisée. « Si seulement ».  Il vit des essences semblables à la sienne ayant appartenu à des corps qui n’existaient plus et d’autres qui existaient encore, d’autres semblables à des miroirs polis, « plongées dans des douleurs sans fin ». Sorti de cet état d’effacement de soi, un état « semblable à la pâmoison », le monde sensible lui apparut.

À une remarque que lui aurait fait son correspondant en faisant un parallèle entre les essences séparées et les miroirs à réflexion, Ibn Thufaïl ne serait pas allé plus avant et aurait répondu que « le champ de l’expression est étroit et que les mots prêtent à imaginer des choses fausses. » Il lui aurait ajouté qu’il a fait l’erreur en mettant sur un même plan « l’objet auquel on compare et l’objet qu’on lui compare ». Puis il lui aurait donné ces raisons que voici : « Le soleil et sa lumière et son image et les miroirs…sont inséparables des corps qui ne subsistent que par eux et en eux… tandis que les essences divines sont libres des corps et de ce qui en dépend. » À la suite de ce développement, Ibn Thufaïl cite en appui plusieurs extraits du Coran. À ce propos, notons que dans sa rissala Ibn Thufaïl cite directement trente-neuf fois des versets du Coran ( et y fait allusion à quatre reprises). Puis il poursuit en lui « racontant la fin de l’histoire. » Il s’agit en fait de la dernière partie.

(à suivre)

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