« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl

Nous voilà arrivés au terme de la Rissala d’Ibn Thufaïl. La recension n’a pas été de tout repos, compte-tenu de l’objet traité. Il va sans dire que l’auteur a eu maille à partir avec nombre de ses contemporains érudits notamment. Dans ce récit, Ibn Thufaïl interroge la capacité de la raison humaine, la complémentarité entre l’intuition et la pensée. Et puis, est-ce que tous les hommes peuvent atteindre l’état de perfection, la Vérité ?

Il va sans dire que l’auteur a eu maille à partir avec nombre de ses contemporains érudits notamment, et de nombreux suivants jusqu’à nos jours. Il suffit de lever les yeux, il suffit de prêter l’oreille. Un gouffre d’ignorance, y compris de la part de certains (dans les mosquées, dans les médias – hautement affligeants – prétendant à la connaissance). Dieu nous en garde.

Voici donc le dernier volet du long compte-rendu de Hayy

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DERNIÈRES LIGNES DE « Hayy ben Yaqhdân »

« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- jeudi 14.12.2023- 18/18

Hayy fit le constat que la plupart des gens « sont au rang des animaux dépourvus de raison. »

Il perdit tout espoir et comprit alors la prudence des paroles du Prophète (S), il comprit que « il y a des hommes pour chaque fonction, que chacun est plus apte à ce en vue de quoi il a été créé. » Découragé, il se rendit auprès de Salāmān et de son entourage pour « leur présenter ses excuses pour les discours qu’il leur avait tenus et s’en rétracta. Il leur déclara qu’il pensait comme eux et leur recommanda de suivre les rites extérieurs (el a’māl edhāhira) » et de poursuivre dans leur voie et leur conseilla de s’éloigner de la grande masse. Hayy et Açāl avaient reconnu qu’il n’y avait pas d’autre voie de salut pour ces gens, la masse, « catégorie moutonnière et impuissante ». « On ne pouvait les élever sur les hauteurs de la spéculation sans qu’ils subissent un trouble profond, sans qu’ils finissent mal. Par contre, s’ils demeuraient dans leur état actuel jusqu’à leur mort, ils obtiendraient le salut. » L’enseignement ésotérique (el-bātin) de Hayy est rejeté. La « masse » n’est sensible qu’au discours exotérique (edhāhir). Il y a une divergence notable entre Ibn Thufaïl et Ibn Rochd quant à cette question. Autant pour Ibn Thufaïl, il faut protéger les théologiens que leur littéralisme sauvera et abandonner à elle-même « la masse dévoyée qui croit mal », autant pour Ibn Rochd, c’est la masse des croyants « simples et sincères » qu’il s’agit de protéger contre les « théologiens, dialecticiens et dangereux » (cf. J.B. Brunet, in : « Hayy ibn Yaqdhân », Conférence Conscience soufie (Paris) 30 mai 2021. Dépités, Hayy et Açāl retournèrent dans « leur île ». « Ils adorèrent Dieu jusqu’à leur mort. » 

Telle est « l’histoire de Hayy ben Yaqdhân, d’Açāl et de Salāmān. » Elle relève de la science cachée. « En publiant ce récit nous nous sommes éloignés de la ligne de conduite suivie par nos vertueux ancêtres ». Ibn Thufaïl règle ses comptes à ces « philosophes de ce siècle ». Il s’agit notamment d’Abu bekr ben es-Saïgh (Ibn Bajja/ Avempace) dont il dit qu’ « un voyage à Oran a perturbé » (supra), Avempace qui l’a pourtant influencé et qu’il apostrophe : « Ne déclare pas douce la saveur d’une chose (que) tu n’as pas goûtée, et ne foule pas aux pieds les nuques des hommes véridiques. » Ibn Thufail qui sait parfaitement combien il est dans ce domaine « difficile de s’exprimer par des paroles » sinon par – aussi – des imprécisions, conclut avec élégance cet épitre « Hay ben Yaqdhân dans les secrets de la philosophie illuminative », ce « chef-d’œuvre de la philosophie arabo-andalouse » par ces mots : « Je prie mes frères qui liront ce traité de recevoir mes excuses pour ma liberté dans l’exposition et mon manque de rigueur dans la démonstration. Je ne suis tombé dans ces défauts que parce que je m’élevais à des hauteurs (que) le regard ne saurait atteindre, et voulais en donner, par le langage, des notions approximatives, afin d’inspirer un ardent désir d’entrer dans la voie… À Dieu je demande indulgence et pardon. » 

Tel est le roman qui, avec d’autres livres de falācifa arabes (précisément d’expression arabe), influença le développement de la scolastique européenne et de la Pensée globale. Jusqu’à nos jours, malgré des réticences qui relèvent de la confusion idéologique, les lumières andalouses continuent d’irriguer les grands Instituts et universités du monde. Le sont-elles et le seront-elles un jour dans le monde « arabo-musulman » ? 

Ahmed Hanifi,

Écrivain, voyageur etc.

Marseille, le 15 octobre 2023

Fin de la recension. Merci d’avoir été patients.

Nb : cet article a été adressé à un Quotidien algérien qui n’a jugé utile ni d’y donner suite, ni (le minimum), d’en accuser réception… un Quotidien qui ne m’avait jusque-là jamais claqué la porte au nez. Il est vrai que sa pagination a été drastiquement réduite. M’enfin bref…. 

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