Archives de catégorie : Mes confettis

Sarah Rivens la star

Mon article

des photos

des vidéos

des extraits de « CAPTIVE »

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1° VIDÉO

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA RADIO SUR SARAH RIVENS

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Voilà un nom et un prénom qui, très certainement, vont s’inscrire dans la durée sur les tablettes et rayons de la littérature algérienne : Sarah Rivens. Derrière cet anthroponyme, s’abrite une jeune femme algérienne de vingt-quatre ans à peine, dont toute la Facebookie DZ et pas que, parle depuis quelques semaines. Et plus encore pour ce qui est des groupies qui la suivent depuis ses premiers pas, il y a quelques années. Elle a écrit sous ce pseudo et sous The blurred girl (la fille floue) sur la plateforme wattpad (un réseau social où n’importe qui peut écrire sous réserve d’inscription) et aujourd’hui chez un éditeur papier (BMR – Beau Mec Rebelle – puis HLAB/ Hachette)

On ne sait pas grand-chose d’elle sinon qu’elle est née en 1999 à Alger, qu’elle est actuellement « responsable administrative d’une salle de sport à Alger » (France Inter). Son roman « Captive » (plusieurs tomes) a été traduit du français en neuf langues. Cette jeune femme sortie de nulle part (faut pas exagérer) est devenue en quelques mois l’écrivaine algérienne, toutes langues et genres confondus (sexes et typologies d’écriture) la plus lue (et vendue) depuis le 5 juillet 1962. Elle est en ces premiers mois de l’année 23, en tête du box-office des ventes en France où ses romans sont édités sur papier. « Le succès de Captive est tel que quand Sarah Rivens, l’autrice algérienne de 24 ans, dédicace à la Fnac du Forum des Halles à Paris, des vigiles supplémentaires sont embauchés pour gérer les incroyables files d’attente. La maison d’édition Hachette, qui a lancé il y a quatre ans le nouveau label BMR, savait que Sarah Rivens avait une communauté de fans prosélytes sur TikTok et sur Wattpad » (lemonde.fr- 25.02.2023)

Les vaniteux et hâbleurs algériens (qui écrivent) à la petite semaine à la peine et qui se prennent pour le nombril du monde n’ont qu’à aller se faire refroidir les neurones. Juste avait vu Michel de Montaigne : « Sur le plus beau trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul » (pardonnez-moi), mais quand on dit (flène kateb) : « il n’y a pas un seul écrivain qui peut mieux expliquer que moi le problème musulman. » (Canada) c’est qu’on a de sérieux troubles psychiques ou qu’on ne se sent plus !

Je reviens à Sarah Rivens. J’ai découvert cette jeune écrivaine par le biais de commentaires sur Facebook, à la mi-mars. On en parlait à longueur de posts et j’avais l’air d’un zombie, d’un égaré sur terre. « Quoi ? Qui ? comment ? Où ? depuis quand ? » Je n’avais pas l’air fin. Nombre de ces commentaires sont écrits en arabe. Aucun de leurs auteurs n’a pensé à donner à lire ce dont il est question et comment dans le livre. L’avaient-ils lue ? J’ai cherché et ai fini par me procurer le texte à lire avec une liseuse (« Livre »). Je vous livre un extrait : « ‘‘Captive’’, voilà comment on me surnommait. On me considérait comme une monnaie d’échange lors des négociations à des fins illégales. Une rentrée d’argent pour mon ‘‘possesseur’’. On m’utilisait. Me souillait. Et ce, depuis des années. Des années que je me noyais dans ce cauchemar sans en voir le bout. Sans pouvoir me réveiller. J’avais commencé à travailler pour ‘‘elle’’, pour ‘‘la’’ sauver. Pour ‘‘nous’’ sauver.  » Tel est l’incipit. Le reste est dans la même veine. Ne comptez pas sur moi pour vous faire une recension de « la Captive », vous serez déçus. Sa majesté littérature importe peu ici (et pour elle, Sarah, et pour moi en cet article). C’est l’événement qui prime. Les faits sont têtus, il s’en vend comme des baguettes de pain (à 20 €), à des centaines de milliers d’exemplaires. Je m’arrête de lire la dark romance à : « J’avais maintenant 22 ans. Je crois. J’étais la ‘‘captive’’ d’un certain John. Ce gars était une véritable merde. » Et ne nous emballons pas. Oui, je sais, ce n’est ni du Timothée de Fombelle, ni du Agnès de Lestrade. Non,  Sarah plonge dans le dark et le hard. Il est écrit que c’est un livre violent, une « dark romance » avertit son éditeur (HLAB, Hachette numérique), une « romance explicite » qui n’entre pas dans les codes de la romance classique. Certaines scènes peuvent surprendre les lectrices non averties. » Pas les lecteurs ? Vaste, très vaste sujet donc.

J’ai feuilleté « Captive ». Au-delà de ce que j’ai lu attentivement, le reste est manifestement de même facture. Mais les faits disais-je sont têtus. Il y a un engouement certain à lire cette « captive ». Le marketing est aux premières loges : « La reine des ventes en librairies. Sarah Rivens est un précipité de l’époque » (F. Inter) Un condensé très captif dit-on malgré son propos et style effarants. « Quand des millions de lectures en ligne se transposent en achats de livres physiques, cela donne instantanément un nouveau leader pour le Top 20 GFK/Livres Hebdo » (Livreshebdo.fr – 2 février/ net). « La jeune autrice algérienne qui a détrôné le prince Harry (Le Parisien.fr 8 février 2023). 

Souhaitons que les jeunes algériens qui se sont manifestés en grand nombre sur Facebook se mettront à la lire malgré tout. La lecture est très importante. La sienne est très accessible. On peut l’appréhender avec aisance. Voici quelques extraits des posts FB-DZ : 

« Fiers de toi l’Algérienne » (Omar), 

« Félicitation et bonne continuation » (Malika S. B. ), 

« Ma Cha Allah » (Amine Z.), 

« Impressionnant ! tu as le Pdf ? » (Hana M.), 

« Crache-t-elle sur ses origines, sur l’islam ou sur le voile ? » (Thouraya. A), 

« Bravo pour cette prouesse bien de chez nous » (Ch. A.H),

« La magie de l’Internet. D’Alger elle s’est fait un nom en France », (Ashe M.)

« C’est l’histoire de J.Rowling et son Harry Potter, bravo ! » (Ambre B.), 

« Il faut qu’on s’y fasse rapidement » (Omar K.)

« Une lecture pas trop conseillée pour nos jeunes » (Hamida B.)

« Bravo, ceci me donne espoir » (Selma S.), 

« Trash ! » (Myriam K.), 

« Je me méfie de ces romans aux ventes si faciles » (Monique S.C.), 

« Pourquoi un pseudo anglo-saxon ? » (Mounia Z.), 

« Pourquoi pas ? » (Trevor D.), 

« Où peut-on acheter son livre sur Alger ? » (Arezki I.), 

« Captive tome 1 est un régal (Imad I.), 

« Une fierté pour nous et pour l’Algérie (avec un drapeau DZ) » (Soraya H.Y.) ….. 

Un florilège de fleurs domine. Nous pouvons objecter des formulations, un style, un phrasé qui ne convient pas, et dans une société conservatrice presque schizophrénique, ultra prude, crier sur tous les toits que le roman borderline est inacceptable (sans l’interdire !) Mais nous n’avons aucun droit de la juger du haut de je ne sais quel ridicule piédestal mental en convoquant Proust ou Faulkner ou… D’autres auteurs algériens, célèbres ou moyennement connus « écrivent comme un pied » (dixit Leïla Sebbar). Ils sont pourtant lus, se portent bien et vous regardent de haut (oui, oui), le doigt pointé sur votre front comme une arme. Ils racontent des histoires honorables, lisibles et qui peuvent faire passer à beaucoup de lecteurs de bons moments. N’est-ce pas là le plus important ? Alors, souhaitons deux choses, d’abord bon vent dans les hit-parades y compris ceux du cœur à Sarah Rivens et d’autre part que les jeunes algériens se mettent dare-dare à la lecture s’ils veulent tout connaître des darks aventures de Ella (la captive), de John et Asha (les possesseurs), du réseau scott… et faire le grand bon, aller voir ailleurs, autrement. Le tout étant de se jeter à l’eau. DE LIRE.

Qui peut rappeler la place des Algériens dans le classement mondial des lecteurs ? Je n’ai plus les données, par contre je peux dire que le pays se situe aux derniers rangs quant à l’indice mondial du savoir : « 103e place (sur 138 pays) pour l’année 2020 selon Global Knowledge Index. Un classement établi par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) » (TSA Algérie, 23 décembre 2020). 37 pays derrière l’Algérie, 102 pays devant. 102. Une véritable catastrophe dont les répercussions traîneront durant des décennies. Quelle tristesse ! Et vive Sarah !

BOUDJEDRA, KHADRA

Cela a commencé par la lecture de ce texte outrancière ment violent de Yasmina Khadra qui répond semble-t-il à un autre de Rachid Boudjedra.

Voici le texte de Khadra sur sa page FB, puis repris par « Chroniques algériennes » récemment.

J’ai volontairement ajouté les commentaires de utilisateurs de Facebook.

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Dans l’ordre…

C’est dire l’envergure ! Mais…. je n’ai pas lu le livre à l’origine de tout cela, le livre de Rachid Boudjadra, « Les contrebandiers de l’Histoire » (ed Frantz Fanon, 2017)


Voici mon mot du 20 mars et les commentaires qui ont suivi

Et les commentaires

Ce matin, mardi 21 mars, j’ajoute un mot et ces pages des deux romans dont j’ai extrait hier les phrases.

Mon mot:

L’écriture de Rachid Boudjedra (81 ans),« Faulknérienne », une écriture qui se mord la queue (en spirale, circulaire), traverse toute son œuvre. Il use aussi du monologue intérieur, malmène en quelque sorte les schémas classiques d’écriture. Ses textes sont parfois fragmentaires. Il scrute de l’intérieur, les profonds mouvements sociétaux, il dénonce l’ordre sociétal établi, la violence qui traverse la société. Boudjedra use de l’inter et de l’intratextualité. Boudjedra se définit comme un artiste. Elle est loin, très loin de l’écriture de Khadra. Un mot pour dire que depuis quelques décennies, Boudjedra écrit en arabe, puis il adapte (différent de traduire) en français ses propres textes. Est-ce le cas pour tous ses écrits ? à vérifier. Il demeure, dans la durée, l’un des plus importants (sinon le plus important après Kateb Yacine) auteurs algériens. L’écriture mise à part, il est insupportable (trop long à détailler).

Je joins ici (à la suite de ces pages des romans) une vidéo concernant l’autre auteur. Il s’agit d’une émission très célèbre de France Inter (et très ancienne, créée en 1955 !). Écoutez-la. Ces critiques littéraires de l’incontournable « Masque et la plume » sont « sans pitié » comme on dit.(CLIQUER SUR LE LIEN, EN BAS DE CETTE PAGE, EN ROUGE)

Les pages…

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION « LE MASQUE ET LA PLUME » à propos de Yasmina Khadra

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VOIR AUSSI:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2021/02/739-yasmina-khadra-est-un-ecrivain.html

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Je lui avais pourtant envoyé du papier WC à LABTER

Je lui avais pourtant envoyé du papier WC

Les principes du Droit doivent s’appliquer à tout citoyen. Lazhari Labter est un citoyen algérien arrêté pour on ne sait quelles raisons. Nous ne savons pas si celles-ci lui ont été notifiées. Le Droit doit lui être appliqué. Si son Droit a été offensé par la force, au détriment du Droit, il faut dénoncer ce recours à la force. Lui-même ne dit rien à ce propos. Aujourd’hui monsieur Labter a été libéré après avoir purgé sa garde à vue. Et c’est tant mieux, même s’il demeure sous contrôle judiciaire (nous ne sommes pas dans la transparence, tant s’en faut). 

Puisqu’il ne dit rien, osons ces questions. Soit Lazhari Labter a été arrêté pour ses opinions et auquel cas nous dénonçons, car on ne demande pas ses papiers à un poète ! On ne le met pas en prison. Ça ne sert à rien de mettre en tôle un ami des mots (s’il s’agit de cela évidemment) et Nazim Hikmet connaît la chanson « Ce n’est pas pour me vanter,/, mais j’ai traversé d’un trait, comme une balle, / les dix années de ma captivité./ Et si on laisse de côté les douleurs que j’ai au foie,/ le cœur est toujours le même, la tête celle d’autrefois… » Il avait raison bien sûr. 

Soit Lazhari Labter n’a pas été arrêté pour ses opinions. Mais alors pourquoi l’a-t-il été ? Aussitôt libéré, il a remercié et rassuré ses lecteurs. Il les a remerciés « vous tous, nombreux, très nombreux, de toutes les régions de notre pays et de l’étranger qui m’ont ( !) exprimé, sous une forme ou une autre, leur ( !) solidarité… » L’émotion peut-être (« vous tous qui m’ont exprimé leur solidarité »), l’émotion disais-je . Puis il les a rassurés : « votre place dans mon cœur est spéciale, je continuerai mon combat pour ma patrie, dans le respect des principes de justice et de liberté » (ces mots de Justice et Liberté sont très puissants !) puis autocongratulation « Je suis fier de ma carrière propre (il écrit « propre ») en tant que journaliste de 1976 à 1990… » Il rassure ses lecteurs et ses proches donc, met en avant ses principes « de justice et de liberté », puis il se vante d’avoir contribué dit-il – accrochez-vous s’il vous plaît –  « à changer l’image de l’Algérie détériorée à cause… de la propagande ‘‘qui tu qui ?’’ ». Oui, oui : « tu » (l’altérité mon frère au pilori ! qui tue ? tu. Serait-ce encore l’émotion ?)  Et là ça ne va pas du tout ya Si Mohammed Wech eddek ? Mais alors pas du tout. Il escamote l’essentiel pour se vendre ou offrir ses services. Allez savoir, il noie le poisson : « Ya si Mohammed, que t’a-t-on reproché ? » Lazhari Labter sort de garde à vue et vers quoi vont ses premières pensées ? vont-elles vers le questionnement ou la clarification des causes et des raisons qui lui ont valu le mitard ?  Ne veut-il pas en parler ? Non, il ne parlera pas de ce qui fait problème, de ce qui fait os, de ce qui a inquiété tous ses proches et moins proches « pourquoi a-t-il été arrêté ? » Non, pas du tout. 

Personnellement je m’attendais à un partage de questionnements de sa part sur son arrestation, sur une erreur de personne, sur sa saine gestion de ses entreprises (gestion des subventions par exemple…), ou je ne sais quoi d’autre, se poser des questions « qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? ». Non. Les 5WH ça ne se ramasse pas à la pelle chez lui, ils ne l’intéressent pas. Il sort de prison, l’équilibre et l’air frais du matin pas tout à fait retrouvés et la première chose à laquelle il s’attaque, la première, vingt ou trente ans après, la première, sa seule préoccupation c’est, en substance, « pourquoi user du Droit au profit de qui n’en a pas le droit ? » Il dénonce « Le qui tue qui » et ses défenseurs durant les années de terreur (1990-2000), les années grises où les loups et autres affidés marchaient sur toutes les ombres à s’y amalgamer, leurs ombres, mais pas que (lire ses deux uniques messages d’hier mardi 29 novembre). 

Chers amis, j’ai décidé d’écrire ce texte uniquement parce qu’il a fait un bond en arrière de 30 à 20 ans pour accabler des hommes des causes justes, en faisant l’impasse totale sur son arrestation et sa garde à vue de la veille et de l’avant-veille. Une sorte de mauvais dribble croisé quoi, comme disent les footeux fous de Messi.

Chers amis, je n’ai pas l’espace suffisant ici pour écrire tout ce qui se bouscule à cet instant même dans mon cerveau aux capacités incertaines malgré tout avec le temps qui fuit. 1001 pages n’y suffiraient pas. Donc, j’irai à l’essentiel. Et si je suis dur ou crash avec monsieur Labter, c’est parce que ses mots contre mon camp (moi cet homme obscur, hchicha qui ne se laisse toutefois pas marcher sur les pieds, puis quoi encore ? !) m’ont été insupportables au plus haut point. Qu’il me pardonne, mais les faits sont têtus (je suis sociologue et les faits qui m’intéressent je les emprisonne, les fais mijoter jusqu’à leur faire rendre gorge). Tiens, je vais lui parler directement à ce « poète, journaliste, éditeur, manageur, éveilleur de conscience » (138 lignes plus, plus, plus, chez madame Wikipédia s’il vous plaît) qui insulte les défenseurs des Droits humains en faisant quelques petits détours (c’est lui qui a commencé ! – les années noires…) et en deux points :

1_ Monsieur Labter, vous vous honorez de « défendre les principes de justice et de liberté », de défendre la veuve et l’orphelin donc. Mais cher monsieur, votre métier (de justicier) c’est aussi de défendre le principe de présomption d’innocence. En dénigrant les défenseurs du DROIT (maître Ali Yahia, Bouchachi, Tahri…) ah la belle époque n’est-ce pas ? un coup de fil et c’était réglé et vous applaudissiez… Souvenirs, souvenirs : en insultant les mères des disparus forcés « mères de terroristes » et tous ceux qui les soutenaient et les soutiennent encore, vous et certains de vos compères vous avez déshonoré votre métier durant les années de terreur. Ces mères, ces Locas de La Place de Mai, sont notre honneur, notre fierté. Elles ont été, sont et seront (y compris après leur mort physique) la tâche éternelle sur le front de tous les staliniens et assimilés.

À faire justice à la place de la Justice vous vous êtes sali plus encore les mains et la cervelle, déjà salis par ailleurs, et hélas, le journalisme avec vous. Comment peut-on par exemple applaudir à la disparition d’un grand journal comme La Nation dont la petite musique ne vous seyait pas (à vous comme à vos donneurs d’ordre) ? Il a été interdit et vous vous êtes réjouis en y mettant les formes évidemment « problème économique » ! Nos archives sont hautes comme ça vous savez. Des centaines de journaux, quotidiens, hebdomadaires, revues diverses disponibles à l’exploration.  

J’ai pensé un temps que vous vous étiez repenti (vous et vos semblables). Pas du tout. Vous êtes fier. Vous êtes bien plus fier qu’Artaban, d’avoir contribué avec vos livres dites-vous à changer l’image de l’Algérie détériorée aussi bien en Orient qu’en Occident. À l’Est et à l’Ouest. Un Messie. Rien que cela. Vous devriez postuler pour le prix Nobel de la Paix monsieur Labter ou celui de l’entourloupe. Songez-y, cela vous refroidirait les pattes.

2_ Mettons s’il vous plaît maintenant les pieds dans le couscoussier. Rappelez-vous, c’était la période « post 88 ». Les langues se déliaient. Un vent de folle folie embaumait le pays. Depuis des années de nombreux démocrates algériens sont morts ou furent torturés, emprisonnés pour avoir défendu les Droits fondamentaux des Algériens (y compris les vôtres), il y eut Tasfut en avril 1980, la LADH (1985, MCB) et bien sûr il y eut Front uni à trois faces dénaturées contre les ‘‘opposants au régime’’, les ‘‘anti-nationalistes’’, ah, la presse algérienne ! Il y eut également les lycéens en 1986, la jeunesse en octobre 1988, puis certains partis politiques et ONG diverses. Vous devez vous demander où je veux en venir ? Patientez. C’est comme au foot, il faut élaborer une tactique, préparer des combinaisons avant d’aller droit au but, ça ressemble à la guerre, mais ce n’est que ludique. Patientez.

Voyez-vous monsieur, ce sont des gens comme vous qui nous désespèrent d’une Algérie libre et démocratique, plus que d’autres, car les gens comme vous, bousculent, alimentent, gesticulent et crient fort, voyagent de salons en manifestations jusqu’à Mouans-Sartoux et Salon, Paris…, actionnant et réactionnant les éléments de leurs réseaux sectaires (piston)… les amis des amis des amis… pour réécrire l’histoire. Bousculer pour être au centre de la photo de famille pour se faire un nom qui remplacerait d’autres noms. Un nom qui lave plus blanc. Les uns se battent toute l’année dans la discrétion et la conviction, les autres arrivent vers la mi- mars avec troupes et trompettes, billes en poche « poussez-vous c’est moi ! » Ils crient plus fort en comité de quartier pour se métamorphoser en héros. Il faut savoir que Kafka lui-même a dû attendre sa propre mort pour se métamorphoser en Kafka, pas en faisant feu de tout bois et de tout écran. 

Mais, Hamdoullah, grâce aux archives des archivistes (le plus beau métier concernant certaines contrées), les gesticulations ne sont que vaines, la vérité est sauve, même si elle ne se dévoile pas aussi vite qu’on le souhaiterait. La vérité prend son temps. Tenez, celle qui suit est demeurée longtemps sous le boisseau. Son moment est enfin venu. Ouvrez le grand rideau.

Vous étiez journaliste, monsieur Labter. Vous devez alors vous souvenir de ce morceau de rouleau de papier hygiénique que je vous avais envoyé à la rédaction de Révolution Africaine en décembre 1989 à vous et à votre compère A.L ou l’inverse, peu importe (je ne donne pas le nom de votre comparse, car il a disparu lui de la circulation et je lui en sais gré, je serais même tenté de lui rendre hommage. On faute lourdement, on se tait longtemps. On ne fait pas de harage dans un bocal vide). Je vous avais envoyé ces feuilles de rouleau de PQ pour que vous vous essuyiez la bouche avant de parler, car c’est comme cela que faisaient les opposants roumains (les vrais, pas les copies prestidigitatrices) aux journalistes roumains qui défendaient le régime communiste agonisant du sanguinaire Ceausescu. Aujourd’hui j’ai pris du poids et de l’âge, je ne procèderais pas de la même manière et puis le PQ est passé de mode. Jouer avec les mots et les partager me suffit amplement. Mais la jeunesse, ah la jeunesse !

Monsieur Labter, alors que des camarades croupissaient en prison pour avoir défendu « le droit d’avoir des droits » Révolution Africaine vous commande des articles élogieux sur Ceausescu (que vous signez avec AL. Révaf du 7 juillet 1989, du 21 juillet 1989, du 5 janvier 1990… ) Il y eut certainement d’autres flagorneries du même genre concernant Ceausescu ou d’autres tyrans. Et quel article ma mère celui du 7 juillet ! Un panégyrique sur – c’est vous et votre collègue qui repreniez ainsi, comme la propagande roumaine : « le génie des Carpates » !, LE « défenseur des libertés ». Dans votre article du 7 juillet vous consacrez cinq pages au régime sanguinaire « la Roumanie n’est pas l’enfer tant décrié par une certaine presse. » Ah ce magnifique langage, orwellien jusqu’à l’os.

Le Régime National Communiste stalinien de Ceausescu que vous défendiez serait renversé par des communistes réformateurs (le Front de Salut National). Des millions de Roumains sortaient tous les soirs dans les rues, éblouis par l’espoir levant que – le nez dans le guidon du Danube de la Pensée – vous ne voyiez pas, vous et vos semblables. Un peu d’humilité cher monsieur Lazhari Labter, un peu de décence ! Hchem chwiya âla rouhek. Les héros ne se fabriquent pas dans des comités sectaires (appuyés par « LA presse »), non, ils sont le fruit de leurs actes généreux, leurs actes de convictions, leurs actes répétés. Ils ne sont pas nés dans le gris du noir, dans ce « clair-obscur ». Méfions-nous de ceux-là agonisait Gramsci ! 

Ceci étant dit, je ne suis pas rancunier vous savez, j’ai porté (et même anticipé, faut pas être Saint-cyrien), j’ai porté vos Commandements de mars 2019 (avec un brin de méfiance, je l’avoue et vous le comprendriez), j’ai applaudi certains de vos écrits, téméraires, mais justes. Je vous demande simplement de ne pas trop user de l’omission. Méfiez-vous des procédés staliniens qui consistent en la falsification des textes (images…) en éliminant les hommes (idées) tombés en disgrâce pour les leaders du moment. En donnant toutes ces informations sur Révaf, je diminue le risque de falsification en marche. Il y en a d’autres en attente. Les archives sont immenses.

Cher monsieur, je vous suggère de faire vos ablutions et de réciter (à haute voix s’il vous plaît) un mea culpa en bonne et due forme. Vous seriez alors un homme digne du grand club d’humanistes (et peu loquaces- ils n’ont pas de toits, eux, sur lesquels crier), le club des défenseurs des DROITS HUMAINS FONDAMENTAUX.

Des Droits pour tous, les mêmes droits pour tous. TOUS. Pour conclure, je paraphraserais cher monsieur, un célèbre poète victorien « l’humilité est la mère de toutes les vertus ». Et puis, disons-le ouvertement comme ce grand Yankee (je n’aime pas les Yankees, mais là, ‘‘chapô’’ ! « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. »

Last but not least, votre panier sera complet si vous le remplissiez des sept pièces jointes (dans l’œil de Satan).

Ahmed Hanifi, 

Marseille le mercredi 30 novembre 2022

(J’ai failli préciser « auteur, écrivain, sociologue, poète, ex-gestionnaire, humanitaire, grand voyageur sympathique et tout le chkoupi » à la suite de mon nom, mais vous nous avez tout raflé)

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Lu ce jour 02.12.2022 sur la page >FB de « SOS Disparu »

Adieu Mahmoud

Les Quais de Seine près de St-Michel

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Voilà. L’inéluctable est tombé. Mahmoud s’en est allé. Mon ami de plus de trente ans est parti dans la nuit de mercredi 23 à jeudi 24 novembre 2022. Nous venions de l’abandonner aux siens dans la chambre 309 de l’hôpital Avicenne de Bobigny, cette ville qu’il a aimée et où il a habité des décennies jusqu’au dernier jour de sa vie. Il y a une quinzaine de jours, nous échangions au téléphone avec légèreté, peut-être un peu feinte. Si-Mahmoud avait ses croyances et ses convictions. J’ai les miennes. Parfois les unes et les autres engendraient de la friture sur nos lignes, mais rien de bien grave. Mais il ne plaisantait jamais avec ses principes. Nous avions tant de choses essentielles en commun que nous partagions. Les monuments, les amis, les voyages en faisaient partie. Les sujets tels que la découverte de nouveaux pays, de leur Histoire, de leur population, de leur culture nous rapprochaient, tandis que nous en évitions d’autres. 

Mahmoud Bessaih, dans le ferry vers Puttgarden en Allemagne _ 2009

Ces dernières années, après Guernica en Pays basque espagnol, Mahmoud avait concrétisé un autre rêve de jeunesse, visiter Cuba, découvrir les Cubains, les vrais. Il parlait avec générosité de l’accueil très fraternel des Havanais de Lavibora, de Puentes grande, des plantations, des récoltes (la zafra) et de la transformation de la canne à sucre, de leurs boutiques à bière au bord de l’effondrement, d’autres très réputées ouvertes aux touristes en mal de nostalgie ou de spleen : le bar-restaurant El Floridita que fréquentait Hemingway, les pêcheurs à la ligne et les sublimes cubaines – répétait-il. Évidemment, le grand adversaire, el gran imperialista, les États-Unis d’Amérique avec leurs gringos qui s’étaient métamorphosés. Mahmoud racontait les routes mythiques et le Bagdad Café sur « la 66 » complètement déclassé où il s’est rendu, en Newberry Springs (Californie), le désert du Mojave. Las Végas qu’il a détestée, mais qu’il lui fallait découvrir et la folie autour, Los Angeles et San Francisco… Il n’avait qu’une envie : retourner en Californie et traverser le pays d’ouest en est jusqu’à New-York, à l’image de Jack Kerouac avec la folie en moins. Il racontait avec moult détails, les rencontres, les monuments, si bien que j’avais l’impression de l’avoir accompagné.

Il est vrai que nous avons visité le pays des Cow-boys, chacun de notre côté, lui l’ouest, moi l’est. Mais il est vrai aussi que nous avons traversé ensemble une partie de l’Europe du Nord pendant des semaines en passant par Bruxelles, Copenhague, Malmö, Hambourg, presque comme des jeunes routards en ébullition. 

Lorsque, comme lui, j’habitais Paris (ou sa banlieue), nous parcourions la plus belle ville du monde de la Porte de Clignancourt à La Porte d’Orléans, de la Porte de Bagnolet à la Porte d’Auteuil. À la recherche de rien, juste pour marcher et observer, voir, écouter, échanger. Cela pouvait aller des quais de la Seine avec ses bouquinistes, de la rue de la Huchette et le Cabaret El Djazaïr, aujourd’hui disparu, à Saint-Denis, entre la basilique et la Place du 8 mai 1945 (leur 8 mai) dans un bar où nous avions appris presque instantanément son assassinat, l’horrible nouvelle de l’exécution de Matoub Lounès. Le bar se ferait soudain silencieux. La rumeur enflerait sur le trottoir à n’en plus pouvoir.

Des anciennes halles de la Villette où Cheikha Rimitti régalait la galerie avec à sa tête le dandy Jack Lang, venu en soutien à la culture algérienne, à la MJC de Bobigny avec les toutes premières interventions des frères Naoui et Khaled (j’avais écrit pour Libé un papier sur la soirée qu’ils ont intitulé « Du rail, du raï, oh yeah ! »  

Lorsque nous avions emmagasiné tant et tant de kilomètres dans les mollets (entrecoupés de quelques transports en métro), il ne nous restait qu’à rejoindre feu Larry et tous les Oranais de Barbès dans son ridicule bistrot à Simplon, Aïcha dans son boui-boui face au Pont tournant et au regard de Garance ou Kader rue de Lappe, rue de Lappe/Passez la monnaie /Passez la monnaie / Et ça tournait /Et plus ça tournait / Et plus ça tournait…  Je n’oublie pas notre ami commun Hadj évidemment qui était le troisième larron de toutes nos péripéties. Nous connaissions tous les recoins de la ville-Monde. Il nous arrivait de nous retrouver sur la Place de la République pour une marche ou une manifestation pour les libertés en Algérie, un colloque à l’EHESS une soirée politique à Paris 8, au Salon du Maghreb du livre, à une rencontre autour de l’Algérie avec Mohammed Harbi ou Pierre Bourdieu. Nous étions (je suis toujours) en recherche naïve d’une potion magique (puisque tout le légal devint interdit) pour chasser du pays les requins, mais les requins sont comme les loups. Et nous avons fait chou blanc. À ce jour. Les mêmes requins et leurs progénitures sont toujours là, comme par magie après le grand coup de semonce, à saigner les Algériens toujours plus que la veille, à leurs profits et à ceux de leurs premiers et seconds cercles. Et aux opportunistes évidemment qui ont acheté de nouvelles vestes à retourner chez les premières friperies. En dernier adieu j’ai fait la tournée de quelques lieux de Paris que nous fréquentions et aimions. Puis nous nous sommes, cas de force majeure, séparés. 

Mahmoud, tu es resté à Paris, alors que je suis descendu sous le soleil provençal. Je t’ai eu au téléphone il y a une vingtaine de jours. J’ai compris qu’il me fallait te rendre vite visite. Le temps au mauvais a refroidi le soleil. Il est implacable avec ou sans cache-nez et bonnet. La visite s’est transformée en à Dieu à la porte 15 du funérarium d’Avicenne.

Pour toi, je suis allé faire un dernier grand tour à la bibliothèque Mohammed Arkoun (Paris 5°), à la bibliothèque Assia Djebar (20°), au jardin Kateb Yacine (13°), la rue Frantz Fanon (20°), la place Rimitti (18°), la place Maurice Audin (5°)

Aujourd’hui,  autour de toi, au cimetière de La Senia, se sont réunis tous ses amis pour une dernière accolade. C’est le seul faux bond cher ami Mahmoud de ne pas y être, pardonne-moi. Je voudrais, pour conclure cher ami, reprendre ton cri de joie préféré que tu me lançais lors de nos retrouvailles : « Aïwa ! »

Ahmed Hanifi, 

Paris le 29 novembre 2022

Copenhague- 08.2009

Kolding (DK) dans le Jutland _ 08.2009

SOS Méditerranée, « Ocean Viking »…

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO SOIRÉE AU THÉÂTRE DE LA CRIÉE _ MARSEILLE

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Pendant que la France nauséeuse hurlait « Retourne en Afrique ! » (au sein même de l’Assemblée Nationale) à l’endroit de Carlos Martens Bilongo, député noir de La France Insoumise, ce 3 novembre 2022, l’autre France, généreuse et porteuse d’honneur, secourait en mer des centaines d’Africains en détresse, au plus près de la mort, ou applaudissait ce secours de SOS Méditerranée avec le navire affrété Ocean Viking. Cette France généreuse est majoritaire. Elle fait honneur à la dignité humaine, à la fraternité des hommes.

Dans le cadre des Rencontres d’Averroès ((17-20 nov 2022) à Marseille, une soirée intitulée « Musique, chansons et lectures de textes » été dédiée à cette association. Des dizaines d’artistes et d’écrivains se sont mobilisés auprès de SOS Méditerranée : Abd Al Malik, Marie Darrieusecq, Laurent gaudé, Marie Ndiaye…et un texte intéressant de Kamel Daoud sur le mur érigé par les autorités à Aïn el Turk (Oran). J’y reviendrai. Nous étions plus de deux cents personnes environ à y assister.

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Facebook, Twitter…

Bonjour à tous,

Six mois ont passé depuis que j’ai suspendu mes interventions sur Facebook. Je ne pouvais pas demeurer sur le réseau social. Le ronron était devenu intenable. 

Certains se souviennent de ce spectacle de fête foraine où des motards tournent à l’intérieur d’une boule de métal qu’on appelait La boule de la mort. Ils montent et descendent comme des fous, sans aucune issue que celle de tourner et tourner encore jusqu’au sifflet de l’ordonnateur tapis de l’autre côté du danger, hors de la boule, lui. Facebook m’a donné ce vertige inutile. Et puis l’on se rend compte que les Trolls sont plus nombreux que les gens de bonnes intentions. La plupart de ces Trolls (vous vous rappelez des « doubabs » ?) qui subsistent je suppose, sont malveillants. Ils ne construisent pas, ils cassent le débat, les échangent. Seules comptent pour eux les polémiques, les diversions. Beaucoup sont rémunérés, remerciés (d’une façon ou d’une autre). Mais Facebook c’est aussi des rencontres, des retrouvailles, de la joie, parfois pas. 

Il est important parfois de faire des pas de côté, des pauses, mettre à distance, pour faire le point, répondre à ses propres interrogations. Et surtout relativiser. Dans beaucoup de pays (notamment du Sud), les utilisateurs des réseaux sociaux sont une très petite minorité. Ces gens ne révolutionneront pas le monde. L’autre danger dans ces pays est la télévision qui propage le mensonge à longueur de journée. Et lorsqu’il y a 8 ou 15 chaînes c’est 8 ou 15 fois autant de mêmes mensonges répétés. De ces mensonges il en reste forcément quelque chose. Les Algériens en savent un bout.

Je reviens à la parenthèse. Ces pas de côté permettent de relativiser, de mettre en perspective, de se rendre compte combien l’homme, quel qu’il soit ne changera pas seul le monde, et combien il est petit, lui l’homme. Et combien ce réseau social et les autres débordent de vanité, de haine, parfois avec l’assentiment directs ou non de leurs propriétaires. L’exemple récent montre combien le patron de Twitter compte faire émerger tous les discours quels qu’ils soient y compris les plus nauséeux, au nom de la sacro-sainte « liberté d’expression » sans borne. C’est pourquoi j’ai définitivement clos mon compte après treize années de présence. Facebook suivra-t-il ?

J’ai mis à profit cette longue parenthèse pour voir du monde, voyager, écrire. Le monde est entrain de renforcer les aspects les moins heureux, de mettre en spectacle les côtés sombres de notre humanité. Les Droits fondamentaux de l’homme partout reculent. Depuis quelques décennies un renversement progressif des valeurs qui ont fait la fierté des hommes s’est produit.

Aujourd’hui le complotisme, les idéologies que l’on croyait définitivement balayées refont surface, avec des nuances, avec des acteurs et des victimes différentes. Le nationalisme est de retour un peu partout et les cloisonnements dangereux qui vont avec. En Europe, particulièrement en France (où nous vivons) le rejet de l’immigré, de l’immigré musulman, du musulman, de l’Arabe, du Maghrébin, de l’Africain est fortement médiatisé par des chaînes d’information comme C News ou BFM… profondément réactionnaires, sans déontologie, sans éthique, avec des objectifs toujours dictés par la seule cupidité. D’autres chaînes, publiques, sauvent souvent cet honneur perdu, heureusement.

L’accueil des réfugiés ukrainiens en Europe est une nécessité pour son honneur. Le rejet simultané et clairement assumé des nouveaux boat people africains et arabes est révoltant. Le choc est monstrueux. De nombreux Européens (et Français) se sont dit révoltés par cette différenciation de l’humanité selon qu’elle est blanche ou non.  

Quant à l’Algérie, c’est avec tristesse que je l’observe. Beaucoup de tristesse. Mais aussi, hélas, avec de plus en plus de détachement. 

Le racisme qui touche les Africains en Algérie est la pire de toutes les saloperies. On ne peut jeter la pierre à l’occident d’un côté et discourir comme une fripouille, un faquin, concernant nos frères Africains dénudés qu’on ne regarde même pas dans la rue, qu’on évite, qu’on blesse. 

J’observe l’Algérie qui m’a vu naître, grandir avec beaucoup de tristesse. Je suis devenu totalement allergique aux chaînes de télévision algériennes. Je continue de lire la presse papier que je trouve routinière et aseptisée. Il ne se passe (quasiment) presque rien, hormis les chiens écrasés et le bon dos du néocolonialisme, rien sur les responsabilités internes inhérentes à l’autoritarisme. Le régime s’enfonce dans l’aveuglement et la brutalité et on ne peut rien dire. Des jeunes filles et hommes sont jetés en prison pour un oui ou pour un non, les ONG et les partis politiques vivent sous la menace constante et les entrepreneurs honnêtes sur la défensive. Les maquignons qui s’étaient repliés quelque temps sont revenus pour agrandir leurs tanières. Les petites cupidités sournoises au raz du gazon qui virevoltent derrière eux reprennent elles aussi du poil de la bête et leurs trains-trains. Les pénuries d’huile, de pain et autres produits de nécessité première ne les concernent pas. Après avoir crié plus fort que nous tous « Jazair horra démocratia » en tête des cortèges, les voilà ces frappes héraults de l’Algérie neuve. La dine, la rassa, la mella. C’est très triste et très révoltant. 

Mais l’honneur et la dignité ont la vie dure. Un arrêt, une respiration, une pause, ne sont jamais des défaites.


Je quitte Twitter

JE QUITTE TWITTER. 

Pourquoi, après 13 ans de présence, je quitte Twitter ? La raison principale est simple. La digue de la modération est en passe d’être réduite à peau de chagrin sur Twitter. Les discours ouvertement haineux, xénophobes, racistes vont se déverser plus encore sans aucune crainte à commencer par ceux du complotiste ex président des USA, grand ami du milliardaire, désormais patron de Twitter, Elon Musk. L’objectif principal du nouveau patron autoritaire de Twitter est la rentabilité et seulement cela, tout le reste en dépend. Parmi les toutes premières de ses actions figure le licenciement (par mail !) de 50% des employés de twitter. 

Il y a des limites, des « digues » que justement le nouveau propriétaire de ce réseau social semble vouloir détruire. Nous avons en France l’exemple de chaînes TV d’information notamment où le Trash, le racisme, le voyeurisme sont érigés en modèle. Les nombreuses réactions abjectes sur Twitter à la suite de l’intervention ce 3 novembre du député noir Carlos Martens Bilongo de la France Insoumise n’ont pas été supprimées de Twitter. À tous mes amis, je vous conseille une bonne lecture. Personnellement je reprendrai La société du spectacle de Guy Debord « Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient image », mais avant tout j’émigre dès cette semaine vers Mastodon, beaucoup plus horizontal, où l’éthique semble avoir un sens (me dit-on).

Au revoir, beslama, adiós, Wiedersehen, arrivederci, Hejdå…إلى اللقاء

Ahmed HANIFI, 7 novembre 2022

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12 septembre 2022

L’hypothèse du rachat par Elon Musk du réseau social Twitter a fait grand bruit, avant d’évoluer en saga médiatique après le changement d’avis du milliardaire libertarien. Réputé pour ses positions « radicales » en faveur de la liberté d’expression, le patron de Tesla et Space X a fait craindre, d’après nombre de médias, la fin de la modération agissant comme une sorte de digue démocratique. Une digue qui a notamment permis le bannissement de Donald Trump après l’invasion du capitole par ses partisans en 2020. 
Mais le problème se situe-il réellement à ce niveau ? Est-ce que Twitter, à ce jour, soit avant d’éventuels changements dans la politique de modération, contribue positivement au débat démocratique ? Ou alors, pourrait-il jouer ce rôle si ses dirigeants étaient empreints d’une véritable « éthique » ? Il est permis d’en douter.  

Yves Marry

Cofondateur et délégué général de l’association Lève les yeux, dédiée aux enjeux des écrans et d’économie de l’attention

Depuis une dizaine d’années, les réseaux sociaux, qui permettent la transmission d’information en continu et l’échange direct entre émetteur et récepteur, se sont imposés comme les principaux lieux du débat public à l’échelle mondiale. Twitter, premier d’entre eux dans le champ de l’information, est ainsi devenue une sorte d’Agora planétaire, et il apparaît incongru de ne pas y participer lorsque l’on souhaite y prendre part. C’est pourtant la position défendue par ce billet, à l’adresse de celles et ceux qui s’engagent dans la grande « transition écologique et sociale »1 à venir, et donc dans le plaidoyer visant à la promouvoir. Citoyens, responsables politiques, mais aussi, et peut-être surtout, ONG fers de lance du mouvement social : je vais tenter d’expliquer pourquoi, d’après moi, vous devez quitter Twitter.

  1. Se reconnaîtront ici celles et ceux qui sont engagés pour agir réellement, à la racine, contre les catastrophes écologiques et sociales déjà bien commencées.

Twitter ne sera jamais ni démocratique…

Les objectifs de rentabilité sont fondamentalement antinomiques avec ceux du débat démocratique. Ce dernier nécessite une liberté d’expression s’exerçant au sein de limites collectivement définies, la possibilité d’une écoute réciproque, une ouverture aux arguments contraires. Autant de conditions ruinées par l’émergence des grandes plateformes qui ont basé leur modèle économique sur la captation de l’attention humaine, et pour qui l’impératif de profit l’emporte sur toute autre considération.

On pourrait rétorquer à ce stade qu’une version « libre » ou « éthique » – comme Mastodon – de la même application permettrait de conserver les avantages d’Internet, « horizontal », « outil d’accès à la connaissance », etc. Mais la forme capitalistique de Twitter n’est pas le seul problème. C’est même, oserais-je avancer, secondaire. Comme nous l’ont appris les précurseurs de l’écologie : la « technique n’est pas neutre »2. L’infrastructure d’Internet et des réseaux sociaux empêche, par nature, la possibilité d’un débat réellement démocratique.

Neil Postman le démontrait dès 1992 dans Technopoly3 : plus la transmission de l’information s’accélère grâce aux innovations technologiques, plus les contenus « saillants », chargés émotionnellement, sont favorisés par rapport à ceux mobilisant la raison et l’esprit critique.

Journal papier, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux : l’histoire des médias est l’histoire d’une accélération, et ainsi d’une course effrénée vers le trash et le clash. En atteste ce qui capte le plus l’attention aujourd’hui en matière d’information : des émissions de politique spectacle comme TPMP en France, les comptes Twitter de personnalités comme Donald Trump, ou l’enchaînement de vidéos « chocs » sur Youtube et Tik Tok.

Par surcroit, loin d’une prétendue « horizontalité » liée à Internet, on communique dans ces réseaux en silo, à travers des « bulles de filtre », avec des personnes partageant nos opinions – à moins que l’on souhaite troller pour mieux gagner desfollowers, ce qui n’arrange en rien la qualité de la pratique démocratique. Cette fuite en avant se fait au détriment du journalisme professionnel et indépendant et, plus généralement, de la « vérité de fait », pour reprendre les termes d’Hanna Arendt dans sa description du risque totalitaire. 

Consacrant l’ère du clash et du bullshit4, faut-il voir en Twitter un « progrès », ou au contraire un fossoyeur de nos démocraties ?

2. Neil Postman, Technopoly, comment la technologie détruit la culture, traduit collective de l’anglais, L’Échappée, 2019.

3. Pour reprendre les termes de Jacques Ellul, Ivan Illich ou Bernard Charbonneau, qu’il est urgent de (re ?) découvrir.

4. Termes de Christian Salmon, auteur de « L’ère du clash » (Fayard, 2019) et d’Elodie Laye Mieczareck, sémiologue, dans le podcast Sismiques : « L’ère du bullshit », épisode 81, janvier 2022.

…ni écologique ou social

La pensée réactionnaire et xénophobe n’a jamais eu besoin d’Internet pour germer dans les esprits. Toutefois, la technologie numérique agit sur elle comme le meilleur des fertilisants. Pointer du doigt des boucs émissaires, attiser la peur et la haine, quoi de plus facile quand c’est l’émotion qui guide la visibilité, et donc la rentabilité ?

S’ajoute à ce biais la faculté de manipulation permise par les algorithmes. Plus il y a de données personnelles, plus des entreprises de marketing politique peuvent cibler les électeurs et influencer les opinions. Cas d’école, l’affaire Cambridge Analytica a révélé l’immense capacité d’influence des agences de communication sur les élections, et donc de l’argent permettant de s’offrir leurs services. Il aura ainsi suffi de cibler quelques électeurs stratégiques via les données récoltées sur Facebook pour faire bifurquer l’histoire : vote du Brexit en 2015 et élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en 2016.

Rappelons aussi, brièvement, l’immense coût écologique de la technologie numérique, longtemps vantée comme un « cloud », et toujours accolée à l’adjectif « smart ». Cette énième duperie de l’industrie numérique a été parfaitement dévoilée par P. Bihouix, G. Pitron, ou le Shift Project, entre autres5. Green IT a même calculé que Twitter émettait chaque jour autant de CO² que 20 aller retours Paris Londres en avion6

Enfin, outil de contrôle par excellence, l’Internet contemporain est-il réellement une arme des « combattants de la liberté » ou plutôt un moyen de surveillance, et donc d’oppression ? Russie, Chine, Birmanie, pour ne citer que quelques exemples récents : tous les mouvements de protestation y sont repérés, puis réprimés. Les « printemps » se sont glacés, et les oppositions meurent en silence. Ou s’organisent « en vrai ». Car quel mouvement de contestation sociale a connu plus de succès, en France ces dix dernières années, que la ZAD de Notre Dame des Landes ? Loin des hashtags et des indignations éphémères, les zadistes se sont réunis physiquement, ont éprouvé l’opposition dans leur chair, se sont liés, et ont obtenu la fin d’un projet industriel absurde.

5. Lire : Philippe Bihouix, L’Âge des low tech ;Vers une civilisation technologiquement soutenable, Seuil, 2014 ; Guillaume Pitron, L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Les liens qui libèrent, 2021 ; Shift Project, Rapport « Pour une sobriété numérique », octobre 2020. 

6. Lire « Combien d’énergie pour un tweet », sur le site de Green IT : w-geenit-fr/2010/06/28 

Le devoir d’exemplarité

Mais si Twitter est devenue l’agora principale, ne faut-il pas y participer, afin de ne pas « laisser la place aux adversaires » ? C’est le même argument qui incite certaines voix du progrès écologique et social à ferrailler sur CNews. Sauf que, précisément, une majorité de ce camp s’y refuse, et à raison : y aller, c’est leur permettre de ne pas parler tout seul, d’avoir quelques balles à smasher. Tout le cadre, l’armature du débat, les temps de parole, les thèmes abordés, les prises de vue, les montages post production : tout favorise la pensée réactionnaire et conservatrice défendue par le milliardaire Vincent Bolloré, dont on sait qu’il mène une croisade idéologique. Dans une moindre mesure, certes, c’est la même logique qui s’applique à Twitter. La bataille culturelle y est perdue d’avance pour le camp de la transition.

Il y a, à contrario, des avantages à quitter Twitter, au premier rang desquels le gain de temps et de disponibilité d’esprit pour communiquer autrement. Car, réjouissons-nous, les autres médias n’ont pas encore totalement disparu. La société civile peut investir pleinement les médias traditionnels, leur réserver les informations exclusives. Elle peut s’exprimer dans les amphithéâtres et les écoles, organiser des cafés débats, distribuer des textes imprimés qui circulent de mains en mains. S’impliquer physiquement, « réellement », dans la construction du monde d’après, plutôt que derrière un écran de fumée.

Pour que la planète soit préservée de la voracité des multinationales, pour que la démocratie s’impose face à l’autoritarisme, pour, comme l’a annoncé la maire de Barcelone Ada Colau l’an dernier au moment de clôturer son compte, que « l’amour l’emporte sur la haine » : quittez Twitter.

Article paru in: w.communication-democratie.org/fr/publications/2022/09/12/pourquoi-il-faut-quitter-twitter

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Schizophrénie

Schizophrénie. 

Un caprice juvénile devient le firmament d’une nation entière exaltée par les officiels calculateurs. Misère de misère. Le degré de cette misère, morale, se mesure à la force de préhension – très vigoureuse en l’occurrence – de tout ce qui émane de l’Autre. On s’arrime à son regard, sa pensée, son verbe. Tout ce qu’on entreprend est lié à ce regard, cette pensée, ce verbe que l’Autre nous renvoie. Cet Autre qu’on envie, qu’on craint, qu’on invite sur un piédestal et que, très paradoxalement, on hait par médiocre rivalité. Et auquel in fine et malgré soi, on se soumet. Comment construire notre Je si nous honorons et à la fois rejetons l’Autre ? Quelle misère inapaisée ! Inapaisée car nous n’avons pas apuré nos passés, tous, avec sérénité. Aux perturbations objectives on a régulièrement – pour des calendriers pernicieux – fomenté des perturbations subjectives, misérables, outrancièrement nationalistes. L’universalisme n’est pas l’horizon de l’Algérien nouveau. Nous en sommes hélas là. La servitude n’étant pas toujours contrainte, demain il fera nuit encore et encore. Allez, je vous quitte.

J’ai posté ce texte sur Facebook hier lundi 27 juin 2022 – 16 H

Ce qu’ont fait les Algériens (à commencer par la présidence de la République) d’un simple caprice d’un gamin américain (de vouloir se rendre en Algérie et le dire en arabe) ainsi que les multiples réactions concernant des jeunes filles en tenue (officielle) de gymnastique m’ont rendu perplexe et d’autres encore. J’ai écrit ce texte spontanément à la suite de la lecture des pages Facebook du jour. Un pays (et beaucoup de ses gens) malade. Très.

J’ai clôturé mon compte (provisoirement?)

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Précédemment (mi juin) j’avais posté ceci, dégoûté:

« … On ne saurait s’imaginer jusqu’à quel point un peuple ainsi assujetti par la fourberie d’une traître, tombe dans l’avilissement, et même dans un tel profond oubli de tous ses droits, qu’il est presque impossible de le réveiller de sa torpeur pour les reconquérir, servant si bien et si volontiers qu’on dirait, à la voir, qu’il n’a pas perdu seulement sa liberté́, mais encore sa propre servitude, pour s’engourdir dans le plus abrutissant esclavage… »

Étienne de La Boétie, Le Discours de la servitude volontaire (1549) 

et encore en juin, en avril…

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CE QU’ETAIT MON PAYS (1960 – 1980)

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CE QU ILS EN ONT FAIT (« ILS »: LE POUVOIR ET SES ALLIES, LES INTEGRISTES)

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LE GAMIN

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Coupure ajoutée dim 3 juillet 2022

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À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF

À LA MÉMOIRE DE MOHAMED BOUDIAF ASSASSINÉ LE LUNDI 29 JUIN 1992 À ANNABA

INSPIREZ un bon coup, car vous allez embarquer dans plus de 8000 mots dont les destinations auxquelles ils invitent nécessitent parfois des détours. Elles n’abritent pas les mêmes intérêts, ni les mêmes mémoires. Il y a néanmoins un point commun et je vous laisse le soin de le trouver.

Ce, samedi 25 juin 2022, seront inaugurés à Oran les 19° Jeux Méditerranéens. J’ai lu des centaines de lignes sur ces jeux, tout est dit ou presque. Pourquoi « presque » ? Parce qu’il m’a été impossible de lire où exactement se déroulera la cérémonie d’ouverture. Je prends au hasard cet article de presse (Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 juin 2022, page 13, non signé. 

« Le président de la Commission des cérémonies d’ouverture et de clôture des JM, monsieur Salim Dada a donné, lors d’une conférence de presse un aperçu complet de l’agenda culturel… » mais rien sur le lieu de la cérémonie. Nous savons que « la cérémonie d’ouverture des JM sera une grande cérémonie » mais on ne sait rien du lieu. Nous savons « qu’elle sera une œuvre artistique complète avec tous les éléments expressifs», mais on ne nous dit rien sur le lieu. Nous savons qu’elle « sera exécutée par un orchestre symphonique composé d’une centaine de musiciens » mais où ? on n’en sait rien. Nous apprenons « qu’elle comprendra des mouvements artistiques d’ensemble sur une superficie de 9.000 mètres carrés et 500 drones seront utilisés à cette fin, en plus d’un spectacle son et lumière et des jeux pyrotechniques. Mais où ? débrouillez-vous. Nous savons que « La présentation artistique de la cérémonie d’ouverture comprend 20 tableaux », que « le scenario mettra en exergue les multiples facettes de la culture algérienne en général, celle de la région Ouest et de la ville d’Oran ». Rien dans cet article n’est dit sur le lieu de la cérémonie. Ne cherchez pas sur l’Internet vous ne trouveriez rien. C’est tout simplement dingue. J’ai pensé au stade Zabana, mais n’en suis pas sûr du tout. Pourquoi Zabana ? parce qu’il en est beaucoup question dans mon article ainsi que de Ben Bella (il y a 57 ans exactement) et de Boudiaf (il y a 30 ans exactement).

Au début il n’y avait peut-être pas le verbe, mais la danse des Ombres qui se profilaient. Cela s’est passé il y a longtemps. Certains parmi vous étaient adolescents ou jeunes adultes, d’autres même pas nés. Vous avez été confrontés à un « roman national officiel » mensonger, mais vous n’êtes pas dupes. Vous savez que la vérité vient rarement du discours officiel élaboré par le pouvoir qui s’en tient mordicus à la vérité de ses laboratoires, celle du « roman national officiel » qu’il a lui-même préparé en maison ou vase clos. Voici un morceau de cette histoire, il est ma propre vérité qui se nourrit de mon vécu. Il lui manque toutes les autres vérités vécues. En attendant, voici ma part de vérité et de fiction, entremêlées.

Le témoignage que je vous livre ci-après a été mis en ligne une première fois en juin 2015. Je l’ai repris, retravaillé et étoffé. Il embrasse notamment la folle, très folle journée du 25 juin 1992, avec la visite du président Boudiaf chez nous, dans notre village, le lugubre 29 juin 1992 avec l’assassinat du président Boudiaf quatre jours après sa visite chez nous, ainsi que la finale de la coupe d’Algérie au stade « ex Municipal », avec le match Algérie – Brésil du 17 juin 1965, deux jours avant le coup d’État du colonel Boumediène. Tout cela dans un sympathique et apparent désordre qui n’en est pas un.

Nous étions le dernier lundi de juin de l’an 1992 et notre pays et ses hommes allaient incessamment sombrer bien malgré l’écrasante majorité d’entre nous dans un gouffre de déraison qui saignerait la terre, attristerait le temps et ferait pleurer le ciel. Toutes les étoiles du Nord n’avaient pas suffi pour maintenir intact notre espoir cardinal et nos résolutions pacifiques qui allaient être contrariés, gravement blessés, pis encore qu’ils ne l’eussent été quelques mois plus tôt, à l’aube de la nouvelle année. Oui, nous allions sombrer dans un gouffre de déraison, un monde d’affres et d’épouvantes, une longue nuit, un cauchemar interminable, dont les premiers signes annonciateurs nous avaient été livrés disais-je six mois plus tôt, et pour certains depuis plusieurs années en amont. Nous allions voir ce que nous allions voir. L’horloge de mon bureau indiquait 13h30. Sur mes fiches d’identification de poste de travail que j’appelais FIP, j’ajoutais, rayais, surchargeais, rectifiais, revenais à l’indication initiale. Pour chaque poste de travail (plusieurs centaines à reconsidérer) il me fallait proposer une évolution possible. Je croyais fermement que les grands patrons m’avaient proposé ce job de « chef de gestion de carrières » parce qu’ils me prenaient au sérieux, croyaient en mes compétences. Plaisanterie. « Le gaz est naturel. Il coule dans des tuyaux depuis le Sahara jusqu’ici. On ouvre les vannes et on remplit les méthaniers. Gaz cryogénique à liquéfier puis à regazéifier, voilà une question banale depuis 1910, époque des ballons dirigeables, alors bon… Les dollars arrivent, coulant à flots, dans l’autre sens et dans d’autres tuyaux, opaques. Et on les distribue, avec ou sans le syndicat. Tout le reste est du festi » me répétait un vieux collègue qui en avait vu des vertes et des pas mûres depuis les premiers temps de la Camel. « Tous ces services de Personnel, de Carrières, de Moyens généraux, de Social et de et de… ça sert à rien, qu’à nous faire passer le temps ». Je ne le croyais pas. À tort.

vue de GOOGLE – ana khatini ! (je ne suis pour rien dans cette prise !)

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Il était 13h30 ce lundi 29 juin. Max-Si-Ali (appelons-le Max-Si-Ali), notre syndicaliste-chef maison est entré comme une furie dans mon bureau, j’ai cru que dans son élan il allait déglinguer les paumelles de la porte de mon bureau.

– Tu as entendu la dernière ?

– Quoi ? 

– Boudiaf, Boudiaf… a-t-il bégayé le souffle et les yeux aux abois. Il s’étranglait. 

– Euh ?

– Il a été liquidé ! en direct à la télévision !… 

Et il a fait demi-tour vers l’extérieur aussi rapidement qu’il était entré en claquant la porte, pour aller porter la mauvaise nouvelle à tous les bureaux. Un brouhaha s’en est suivi, car d’autres collègues venaient d’apprendre la nouvelle et eux aussi ont décidé de s’en faire porteurs. J’ai abandonné mes FIP et mes courbes et mes stats, et suis sorti précipitamment, emporté par la folle et incroyable nouvelle et c’est tout le complexe de liquéfaction qui se transformerait en souk d’échange d’informations et de rumeurs.

La journée commençait, jusqu’à ce moment-là, ordinaire dans une usine ordinaire de la Sonatrach à Bethioua (Arzew). Max-Si-Ali (il avait la barbe et les tics de son idole allemande et jamais Le Manifeste ne le quittait) passait son temps à récolter des informations et des rumeurs qu’il distillait après les avoir triées, alimentées. Max-Si-Ali a passé une grande partie de sa vie syndicale (il était technicien supérieur affecté à un poste fictif) à combattre contre vents et marées pour que « goffat el aïd » (1), un panier (au féminin en arabe « goffa ») de produits de première nécessité soit attribuée aux travailleurs, et reconduite chaque année. C’était sa traduction intime du Manifeste.

Le couffin qui nous avait été offert (merci le syndicat, merci patron) le mardi 9 et mercredi 10 juin était bien conséquent. C’était pour chacun ou le 9 ou le 10, le matin ou l’après-midi, à 9h15 ou 30 ou plus tard à 14h00, 15, 45 etc, selon le poste qu’on occupait, le service, le département, la sous-structure, tout était calculé et précisé au quart d’heure, à l’encre noire dans un grand tableau blanc Excel (42X30) démultiplié en autant d’exemplaires qu’il y avait de lieux d’affichage. Tout le monde était concerné, de la femme de ménage au cadre le plus gradé. Tout le monde. Le tableau était scotché, punaisé ou agrafé à l’entrée des départements, des services, des sections, sur la porte du local syndical, et bien sûr sur la porte et les murs de la Coopérative syndicale). C’était la Grande Révolution prolétarienne de notre secrétaire maison, en branle. Deux gros tampons l’accompagnant : celui du Syndicat – encre bleue – et celui de la Direction – encre rouge –, main dans la main et drôles de couleurs. L’aïd du mouton est tombé le week-end suivant. Max-Si-Ali était comme le père Noël, et rouge comme lui et comme son ancêtre idéologique. Un grand syndicaliste, très apprécié – malgré tout – par tous les directeurs sous-directeurs, cadres divers successifs. Les travailleurs aussi, mais ceux-ci n’avaient pas d’autres choix. Max-Si-Ali avait du mordant, du bagou, de la répartie, mais il ne fallait jamais évoquer devant lui ou le directeur les conditions de travail des chaudronniers, des manœuvres ou des saisonniers par exemple. Jamais évoquer les relations qu’entretenaient avec eux les petits-chefs, jamais évoquer les décisions unilatérales. Cela risquait de le rendre plus rouge encore.  

Max-Si-Ali a couru donc comme une flèche pour être le premier à donner la mauvaise nouvelle comme un augure écrasé par les événements. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas seul dans le couloir, il a pris la direction de la Direction. Notre planète est sortie de ses gonds immémoriaux puis s’est arrêtée de tourner le temps d’une rotation. « Ils l’ont eu » me suis-je entendu chuchoter. Toutes les télés du monde se sont brusquement tournées vers nous. Nous étions de nouveau le cœur d’un monde malsain et incertain. L’Amérique latine en mauvaise copie, très mauvaise. Les télés ne parlaient que de ce terrible drame et le film de l’événement repassait en boucle. « Le chef de l’État algérien, Mohamed Boudiaf a été assassiné ce matin à Annaba, à 600 km d’Alger. Le président algérien était en train d’inaugurer une maison de la Culture… » a annoncé Paul Amar en ouverture du journal 19/20 de FR3. Des lots d’images, par dizaines, se bousculaient dans mon esprit. 

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA TÉLÉ _ F3 SUR L’ASSASSINAT DE MOHAMED BOUDIAF_ 29 JUIN 1992

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L’Émir ABDELKADER au MUCEM

Je me suis rendu hier lundi, tôt le matin, au « Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée » de Marseille ou MUCEM. Il faisait bon, peut-être un peu frais encore à cette-là, 10 heures, heure de l’ouverture. Par cette exposition, qui a été inaugurée le 5 avril dernier et qui se tient jusqu’au 22 août, on entend « remettre en lumière la figure d’Abd el-Kader dans toute sa richesse et son importance historique et intellectuelle » (web du Mucem).

C’est lui-même, l’Émir Abdelkader, qui m’accueille à l’entrée du musée, avec sa djellaba blanche. Il porte dans sa main gauche un grand chapelet. Je le salut, son regard est serein, sa posture est quand-même un peu figée. Ce retour en France et toute cette lumière portées sur lui, le perturbent peut-être un peu. Je me dirige à la billetterie « c’est pour l’ L’exposition sur l’Émir Abd el-Kader » (11€, au 2° étage).

Dès l’entrée, la première salle (il y en a plusieurs) je suis emporté. On est mis en situation. La campagne d’Égypte et la défaite française face aux Anglais. En Méditerranée, Napoléon 1° observe la côte algérienne grâce à son espion, le capitaine Boutin, en 1808, l’année de naissance à El Guettana (Mascara) de Abdel-Kader ben Mohi Eddine qui sera (ainsi est-il présenté sur la page du Mucem : « Émir de la résistance, saint combattant, fondateur de l’État algérien, précurseur de la codification du droit humanitaire moderne, guerrier, homme d’État, apôtre… » En 1832, à 22 ans, il succède à son père dans la résistance à l’armée coloniale. J’admire le beau sabre qu’il a porté pour défendre les siens et la selle d’apparat. Et ses chéchias dans un style qui n’a plus cours aujourd’hui en Algérie. La sacoche de selle, ‘‘dejbida’’, est magnifique, « brodée de fleurs et d’arabesques sur son rabat extérieur ». L’Émir cherche des appuis internationaux, comme par ce courrier de 1840 adressé au consul des États-Unis. Les chapelets et le Coran ne le quittent pas. Dans la salle suivante un grand tableau montre la Smalah (zmala) de l’Émir : mille à deux mille tentes organisées en cercles d’une quinzaine de tente chacun (des zmala) avec les familles, les guerriers.

La défaite devant l’occupant oblige Abdelkader au retrait. Ce qu’il fait en se rendant au Maroc qui lui offre son aide. Le sultan est lui aussi défait lors de la bataille d’Isly (1844). Les luttes de l’Émir se poursuivent autrement. En 1847, l’Émir se rend contre la promesse que les autorités françaises le laisser se rendre en Orient arabe.

D’autres résistants à l’invasion françaises se mobilisent à l’instar de Cherif Boubaghla (ses restes furent rapatriés de France en juillet 2020) et Fatma N’Soumer tous deux en Kabylie. N’Soumer sera capturée. Elle mourra en prison six années plus tard, en 1863. L’Émir sera d’abord emprisonné dans le château d’Amboise durant cinq années. Il y écrit beaucoup. Des courriers à des hommes politiques, mais aussi de la poésie.

Pour sa propre image, « pour sa gloire » Napoléon III fera de l’Émir un grand ami de la France, alors que l’Émir ne pense qu’à une seule chose, quitter la France. Il s’installe en Turquie, dans la ville de Borsa « Bourse, la ville sainte » qu’il quitte l’année du terrible tremblement de terre en 1855 pour s’installer à Damas, « sur les traces d’Ibn Arabi ». L’Émir Abdelkader meurt en 1883 à Damas où il sera inhumé. Le 6 juillet 1966 ses cendres sont rapatriées en Algérie, au cimetière des Martyrs.

Tombeau de l’Emir à Damas
Rapatriement des restes de l’Emir Abdelkader vers le carré des Martyrs _Alger 1966

Je n’ai pas vu passer les deux heures dans cette exposition. La 24° journée de ramadan glissa entre mes pensées et mon corps, mais on peut passer quatre heures dans l’exposition, à l’aise, tant il y a à voir, à lire, à apprécier. J’aurais souhaité mille expositions comme celle-ci sur 1001 sujets…. En Algérie même. Ah oui, mais y a le foot l’arrogance et le j’m’en-foutisme, c’est vrai. Hélas.

À Marseille, le 26 avril 2022

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CLIQUER ICI POUR LIRE LA CONFÉRENCE DE KATEB YACINE (il a 17 ans) SUR L’ÉMIR ABDELKADER

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https://www.mucem.org/programme/exposition-et-temps-forts/abd-el-kader

mais aussi : https://www.youtube.com/watch?v=lwQhFyQk0lk

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Mon SILA au jour le jour : mardi 29 mars 2022 et fin

Oui, c’est mon dernier jour au SILA.

Mais avant de prendre la route, je prépare une courte vidéo de remerciements aux participants à l’atelier d’écriture créative que j’ai animé le 5 courant à Oran ainsi qu’aux responsables de l’Institut français à Oran.

Je file au SILA vers 13 heures. Je me rends au stand de Livrescq. Échanges avec Nadia S. Puis je me rends au stand de Frantz Fanon. Rabeh Sebaa dédicace ses ouvrages. Je lui dédicace mon recueil, il m’offre Fahla dédicacé.

Un dernier tour à la brasserie. On se prépare au match retour comptant pour les éliminatoires de la coupe du monde au Qatar. L’Algérie reçoit le Caméroun. Le match ne commence qu’à 20h30 et non à 17 heures comme je le croyais moi qui commençais à m’installer.

Je m’arrête là. Exténué. Je dois préparer mes affaires pour demain.

Je vous dis à bientôt et merci pour votre suivi.

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : lundi 28 mars 2022

J’achève d’écrire et de mettre au propre le texte concernant la journée d’hier dimanche au SILA et le poste sur Facebook, sur mon site web et sur mon blog (du boulot !) Si le Si la fa mi ré do… Je recommence : si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et de ses intervenants en proposant un programme détaillé, global, c’est-à-dire informer sur les intervenants (avec trois lignes de présentation), préciser les dates et heures d’intervention, les stands concernés, (ce qui est le minimum syndical de la moindre organisation de quartier proposant des intervenants), quitte à payer une pub quotidienne dans les journaux (le SILA – ou sa hiérarchie – peut se le permettre non ?). Et si le SILA (ou sa hiérarchie ne peux pas) je leur propose de vendre un dépliant simple avec les éléments dont j’ai parlé d’une, de deux ou de trois feuilles 21X27 ou feuillets de 10X17, aux visiteurs intéressés bon sang. Et s’ils n’ont pas d’employés à même de faire ce travail, je me propose d’y plonger bénévolement ! (qu’ils me paient le voyage seulement et je fais le reste) Tant qu’à faire…

Je disais donc que si le SILA fonctionnait comme une organisation respectueuse de ses visiteurs et des intervenants en proposant un programme détaillé, je le feuilletterais d’abord et préparerais ma journée en conséquence, avant de sortir de l’hôtel. Mais tel n’est pas le cas. Nous sommes à 25 années de SILA (quelle importante expérience !) et nous avançons comme des pieds nickelés, comme des débutants. Les gens errent au gré du vent (il y a un vent étrange à l’intérieur) dans les allées de « la foire ». Moi aussi, du coup, j’y vais plus ou moins au pif en passant et repassant devant les mêmes stands. « Tel auteur est programmée ? » les réponses entendues : « euh, je sais pas » « c’est pas ici » « c’était hier » « allez voir là-bas », « attendez, je demande à mon collègue » et j’en passe.

C’est le trafic et le hasard qui règnent. Je n’ai rien écrit à ce propos le premier jour en me disant que le lendemain, peut-être que. Je n’ai rien écrit le deuxième jour en me disant que le lendemain, peut-être. Je n’ai rien écrit le troisième jour en me disant que le lendemain… nous voilà bientôt à la fin du salon et c’est kifkif, du premier au dernier jour. Alors oui, peut-être que « le SILA est le plus important (en quantité) salon du livre du monde », mais c’est surtout le plus b… (en 6 consonnes et 4 voyelles). Ils doivent bien se marrer tous ces étrangers qui en ont fait l’expérience ! Ah je sais. D’accord, d’accord certains me diront « oui mais nous sommes les meilleurs, Wane tou tri… » je leur dirais gentiment « allez, passez, s’il vous plaît, passez. J’en ai ras la casquette de votre ‘Nous’ exacerbé », idiot, insensé.

C’était un coup de gueule pour un espoir d’amélioration. On peut toujours rêver. Quant à l’hôtel qui m’héberge bon sang (pour 3500 da il est vrai), je pourrais écrire trois pages sur les économies de bout de chandelle : PQ, serviette, eau, pas de beurre, le même petit récipient de confiture qui circule de client à client sans qu’il (le client) le sache…et sur cette télé qui ne diffuse que très médiocrement trois ou quatre chaînes à vomir sauf une (TV5 Monde). Les images à l’écran sautillent sans arrêt au point que cela donne envie de sautiller comme un malade avec elle. Comme je ne le suis pas, j’ éteins. « T’as qu’à aller au Sofitel ou au Soltane hôtel » diraient d’aucuns. Oui mais.

Excusez-moi, je sors du sujet, qui est le SILA. Je finis juste pour dire que tous les employés de l’hôtel sans exception aucune sont formidables. Le trafic ne vient pas d’eux évidemment. Mais Allah ghaleb. Venons-en à nos agneaux si vous le voulez bien, (jusque-là je parlais des moutons). Les journaux présentent des programmes incomplets, favorisant ceux de telle maison d’édition… négligeant les autres.

J’achète Liberté. « El Watan khlass ». Je me trouve au SILA vers 13 heures. Bouche de métro « Boumendjel ». Vous vous souvenez de la petite musique « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » (lire mon texte du 25 mars), vous vous en souvenez ? Eh bé elle est là encore ce matin. Purée, comment m’en défaire ? Vous me diriez « n’y pense plus ! » Sauf que c’est elle qui pense à moi.

J’ai oublié de vous dire qu’il on ne court pas comme les malades de Paris. Ni derrière un bus, ni vers une bouche de métro, ni pour rattraper un tram sur le point de déguerpir. On attend le suivant. Dans le métro, une dame (vieille) qui voulait s’assoir entre moi et une femme sur ma droite, me dit « pousse-toi » avec un geste de sa main droite significativement désagréable. Je ne lui ai pourtant rien dit, rien fait. Je ne la connais pas. Ma casquette a dû la perturber. Meskina.

Peu avant de prendre le tram, à Ruisseau, j’achète El Watan. Mais avant de prendre le tram il me faut trouver un café… cela devient urgent. Je n’entrerai pas dans les détails, mais lorsque vous aurez mon âge vous comprendrez tout le drame (n’exagérons rien) lié à la question de la prostate, de l’urètre, de la vessie… Alors vite un café. Ce sera le joli « Café little Alger » à deux cents mètres de la station. Une café, une bouteille d’eau (150 ? je ne sais plus). Très joli et très propre, au rez de chaussée, à l’étage, aux wc (avec douche je vous promets !). Retenez son nom (photo).

J’ouvre Liberté. Les pages centrales, « Culture », sont consacrées à la littérature.

a- un article sur Lynda Chouiten : « De retour aujourd’hui au SILA »

b- un autre sur « la restitution des œuvres d’art à l’Afrique »

c- un texte sur « L’intertextualité et la question migratoire »

d- un article sur la rencontre avec Kamel Daoud et son dernier ouvrage avec Depardon : « Notre livre est un regard dans l’histoire » (je me suis demandé en lisant cet article, si sa signataire était bien présente à l’intervention de K. Daoud. « Ya comme un décalage » comme qui dirait.

e- un entretien avec Jamila Rahal « L’Histoire est le fil conducteur de ce récit romanesque. »

Noter pour la suite (El Watan) que Kamel Daoud et Jamila Rahal furent (ou sont) journalistes.

El Watan consacre trois pages à la littérature (pages « Culture » 17, 18, 19).

La page 17 est réservée à des journalistes du même journal ! (on n’est jamais mieux servi que par soi-même mon frère ! pas de retenue. Aucune. Bla hachma, bla… 

D’abord un trois quart de page est consacré au journaliste maison (j’apprécie l’écriture de ses reportages) Benfodil « Homme de lettres, de planches et de médias notre confrère et ami… » (c’est en tout cas sincère et lacrymal). Vive nous, vive l’Algérie.

Un quart serré est réservé à « Le Hic » : « notre collègue d’El Watan, le dessinateur, le caricaturiste, le bédéiste, celui qui croque l’actualité quotidiennement… » N’en jetez pas s’il vous plaît ! Merci pour lui.

Je vous promets que Bourdieu (Allah yerhmou) aurait complété ses thèses sur les médias français avec l’expérience algérienne ! (âynani quoi !) …

Dans le SILA j’ai l’impression de tourner en rond. Qui est où, quand ? (voir début de ce texte). Je tourne et retourne. Chez Frantz Fanon il y a l’inénarrable Laâlam (Le Soir). Un cas spécial çui-là tiens… passons. Il y a aussi le cinéaste Ifticène qui a écrit je ne sais quoi.

Mon ami FB, Lamine Benallou m’a demandé de passer le bonjour au gérant. Il est absent, alors j’ai écrit ce mot (photo) devant son livre « Les vies (multiples) d’Adam » : « Cette nuit-là je rêvai que je visitais le cimetière de la vieille ville où était enterré mon père » (incipit). 

Aux éditions Casbah, je vais à la rencontre de Lynda Chouiten qui dédicace son dernier ouvrage « Des rêves à leur portée », un recueil de nouvelles que j’achète et qu’elle me dédicace. Discussion…

Au stand officiel du ministère on vous accueille avec ce titre « Ministry Of Culture and Arts ». Le français est out. C’est pitoyable, risible et ridicule. Il y a une ancienne ministre de la culture, foulard bleu et joli sac de courses, fille de son père, chaudement applaudie et criblée de flash (pas de flash non) lorsqu’elle arrive en pleine séance.

Je rentre la tête pleine d’espoir et d’incertitude. Dans le tram, je ne sais si on rigole sincèrement ou si on se moque condescendamment (pardon !) de cette jeune fillette, a peine âgée de 8 ou 10 ans et qui porte sa sœur ou frère de deux ans sur le dos en faisant la manche. Elle parle avec un accent du sud, du grand sud. Coquine et maligne, elle s’adresse parfois à des jeunes filles en leur disant « Rabbi I zewjek, yerham jeddek twelli papicha mengoucha. Allah yaâtiq emmouh, emmouh alik, Barboussa » toute la rame est aux éclats, mais rares sont ceux qui mettent la main à la poche. Je lui donne une pièce. Elle est déjà descendue du tram à « Tripoli Taâlibi » où l’attendent cinq ou six mamas africaines assises à même le sol avec et leurs enfants demi-nus. La fillette leur remet le contenu de la boite. Cette fille est étrangère. Elle est noire. Elle mendie pour manger. Riez si vous voulez.

La Brasserie est un havre de repos. TV, brouhaha… Un match de tennis encore. Be In fait sa loi. 

Un gars (un colosse) est venu s’assoir à la table à côté (50 cmX50) de sorte qu’il me fait presque face. Il a le regard vide. Pensif. Je ne saurais dire de quel pays il vient. « Un Égyptien ? ». Ce silence est gênant. Sur ma gauche, un jeune gars chante en pianotant sur son téléphone (il porte des oreillettes). Il semble être en direct sur je ne sais quelle plateforme. Il chante sans gêne à son ami ou amie. À l’aise. On parle derrière mon dos. J’entends « Front de mer, Oran… » Je me retourne. Mais c’est bien lui ! Salamalecs… Sbaâ me donne rendez-vous pour le lendemain (mardi 29) au stand Frantz Fanon « je t’offrirai ma Fahla ». Celle qu’il a là en sa compagnie « lui pose quelques questions… »

(Encore une fois mes textes sont écrits à la volée. Je ne les relis quasiment pas. Pas le temps.)

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Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

CLIQUER ICI POUR VOIR UNE VIDEO

Espace L’ivrEscQ –

Mon SILA au jour le jour : dimanche 27 mars 2022

Je me suis réveillé ce matin de dimanche « avec une heure de sommeil en plus » ai-je pensé. « 9h ? », mais il est tard. Ça ne peut être que ce satané changement d’heure pratiqué en France qui a déboussolé mon ordinateur. J’ai oublié de lui dire que nous n’étions plus en France depuis bientôt un mois. Non, il ne doit être que huit heures. « Et si je posais la question aux facebookers ? » Et ça marche. « 9h10 répond illico Khaled B. Oui mais « de quelle capitale ? » demande Kheir-eddine O., « Trop tard ! C’est déjà passé ! » me répond avec un brin d’ironie mon amie Catherine P. Ratiba B. est sans appel « 9h23 à Oran ». Oui, mais je ne suis pas à Oran. Certaines réponses sont étranges. Tenez, Farid B écrit « 9h18 mb » mb ? Ou ces deux qui se paient gentiment ma tête : Bachir M. qui se réjouit : « T’as vu ? une question que tout le monde se pose ces derniers temps » et son amie Lila M. qui lui répond : « tout le monde est devenu très bizarre ». Bizarre, bizarre, elle me trouve bizarre… Toutes ces réponses (elles sont nombreuses) m’embrouillent. Alors je le dis. Je l’écris :  « Finalement vous m’avez plus embrouillé. Vous m’avez donné l’heure qu’il était (selon que vous êtes ici ou là) au moment où je vous posais la question. Mais cette heure n’est plus la bonne à cette heure-ci. Je vous remercie mais j’abandonne… » Puis ce fut le silence. Non mais ! Finalement, mon ordinateur n’est pas si sot ou niais que ça. « 10h17 » maintenant. En France où les gens courent derrière le métro, le train, et le temps tout le temps il est 11h17, peut-être même 11h 20, ou….

Allez, rebelote ici à Alger : métro, tram, Sila. Au ‘pré carré’ Sédia j’y retrouve N. Salamalecs sincères. Une jeune femme dévouée, alerte et fort sympathique. Je lui offre mon dernier roman (2017 quand-même) « Le Choc des ombres » édité en France. Chez L’ivrEscQ je rencontre de nouvelles personnes qui poétisent amicalement ; Je me joins à leurs échanges. Nadia S. diffuse les interventions sur FB en direct. Il y a Zahra Benmeziane, membre de l’atelier d’écriture Femmes Oran,Fayza Stambouli Acitani (roman « Les murailles de l’interdit »), Ouarda Baziz Cherifi (roman « Comme un coup de massue ») Nadia Sebkhi, écrivaine et responsable du stand et d’autres. 

À Casbah éditions j’achète le dernier Anouar Benmalek « L’amour au temps des scélérats ». « Une histoire d’amour dans un des lieux les plus outragés de la planète par l’intolérance religieuse, la guerre perpétuelle, la tyrannie meurtrière : le Proche-Orient. » lit-on en 4° de couv. Je vais à sa rencontre pour une dédicace. À condition dit-il en plaisantant que je lui dédicace mon recueil de poésie. C’est fait. Il y a longtemps nous avions passé de bons moments à Paris lors d’un Salon du livre de Paris notamment… C’était en février 2011, cela me revient… une belle soirée. Il y avait Senouci (Allah yerhmeh), BHS, H (disparu) Nous nous sommes attablés à « L’Étincelle » (angle rue du Bourg Tibourg et Rivoli) à deux pas de la mairie centrale. Il y avait aussi une troublante Yas avec de grandes boucles gitanes pendues aux oreilles qui accompagnait (me semble-t-il, me semble-t-il) Anouar Benmalek. Belle soirée quoique gâchée par les interventions intempestives de notre ami (tout de même) le regretté « La Snousse »… J’écrirais des pages sur mon ami décédé (avec lequel j’ai usé mon froc sur les bancs sales d’Oran durant les exécrables années Boum – nous étions tout un groupe et j’étais (considéré) la dernière roue du carrosse)… Benmalek me donne la sensation que son esprit s’embrouille (lui aussi). Je ne le retiens pas, des personnes attendent leur dédicace.

Je ne m’attarde pas au Salon. Trop de monde, comme hier. On y étouffe. Retour au centre d’Alger. Dépose mon sac chargé. La brasserie est bondée, enfumée… S’installer près de la grande fenêtre. L’ouvrir. Regarder bouche bée le grand écran qui diffuse (Be In) une partie de tennis internationale, en direct de Miami. Et dehors c’est l’enfer des klaxons. Plus tard je prendrais une « couisse jaj » (aile de poulet 300 DA).

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : samedi 26 mars 2022

Hier soir sur Facebook, un gars (un journaliste) écrivait que l’écrivain algéro-français Anouar Abdelmalek était le Faulkner algérien. Dans ce pays on franchit les limites comme on traverse à pied une autoroute nonchalamment, sans crainte de mourir de ridicule ou de mourir tout court. Je sursaute. Il me répond « ce sont des spécialistes qui le disent ». Ce monde est décidément surpeuplé de spécialistes de tout et de rien. Faut pas prendre les enfants du Bon dieu pour des canards sauvages !

Ce matin l’employé de l’hôtel chargé du petit déj me pose cette question alors que je suis plongé dans mes pensées complexes. Il m’apostrophe « le bateau c’est aujourd’hui ? » Je suis surpris. J’ai dû mettre trois minutes sans lui répondre. Dans mes yeux il devait y avoir une lueur telle, qu’il s’est cru obligé de répéter. J’ai bien entendu lui dis-je, mais je n’ai pas compris « wallah ma fhemt ». Que vient faire un bateau ici à cette-heure-ci ? ai-je pensé.

Je lui réponds un peu au petit bonheur la chance « je ne prends pas le bateau, je suis encore à l’hôtel pour quelques jours ». Cette fois je me persuade, au vu de la tête qu’il fait, que c’est lui qui n’a pas compris où je voulais en venir. À question hasardeuse ou farfelue, réponse aléatoire ou bizarre.

Métro, tram, SILA_ Liberté titre en Une « Les verts battent les camerounais à Japoma – À un pas du mondial » La première partie en noir, la seconde en rouge. Une foule considérable dans le tram, et à l’entrée du Salon. La fouille est d’autant méticuleuse au portillon, que la densité de la foule croît. Foule et fouille rimerait. Le « trombone » de mon téléphone portable, accroché au trousseau de clé et dont la pointe a troué mon sac à dos intrigue le vigile « wechnou hadi li tchouk ? »

Ouvrir le sac à dos, extraire le trombone, sourire satisfait de l’agent de la sécurité.

Au Stand Frantz Fanon le patron, Ingrachène les bras croisés sur le ventre, semble repus. Grands sourires à la dame qui lui fait face,  ravie elle aussi. La foule dans les allées est impressionnante. On se croirait au Hammam, bain turc, sauna ou au sudatoire. Au stand de La Délégation de l’Union Européenne, deux personnes dont un conteur répondent au public : Mata Barrio Garcia-Agullo et Seddik Mahi Meslem très convaincu et convainquant. Un rapide coup d’œil au stand du Ministère de la Culture et des Arts. Un professeur d’université (Mostapha Bey ?) est en intervention. Je ne choisis pas les stands. J’avance au gré du mouvement de la foule et des espaces de respiration.

Allez, je sors m’aérer. Sandwich au fromage et eau de source (350 da) à l’un des nombreux kiosques. 

14H : au stand des éditions Sédia, la table est installée avec au-dessus trois belles piles de mon recueil. Et le calme est plat. Où sont-ils tous passés ? Le calme est trompeur, car revoilà la foule. On se bouscule de nouveau y compris dans le stand, pourtant assez grand. C’est maintenant le rush. Je signe à tour de bras. Comment se sont-ils donné le mot ? d’où me connaissent-ils ? Une ruche et photos avec. Vingt à trente minutes étourdissantes. Le summum est atteint lorsqu’un groupe d’élèves, orientés par leur enseignant se ruent sur la table. On me parle en kabyle, je réponds comme je peux, souvent en français qu’ils ont l’air de mieux comprendre que mon arabe oranais. Ils sont heureux, gesticulent, répètent à l’envie mon nom de famille…. 

Je me suis dis : « c’est pas possible, ils connaissent mes écrits ! ils les ont étudiés à l’école ! » et d’autres sornettes. Mais non, mais non, pas du tout ! Il a fallu l’intervention de leur enseignant pour que je saisisse le sens de tout ce chmilblik. Le professeur me donne la clé de ce chahut de gamins fort sympathiques. Il s’avère que mon nom de famille est porté par quelques-uns parmi eux (ou parmi leurs amis et voisins je n’ai pas saisi). Ils ont quitté le stand et celui-ci s’est apaisé. Nous avec. Je remercie N. et Z. pour ce formidable moment. Merci, merci.

15h30. Au stand Barzakh, il y a d’abord Alice Kaplan qui dédicace sont dernier écrit, un roman dont la source sont des faits réels : « La maison Atlas ». Un peu plus tard c’est Kamel Daoud qui entre. Il présente son dernier ouvrage écrit avec la collaboration de Raymond Depardon (pour les photos). Beau livre mais un peu cher quand-même : 3500 da. Je filme la séance.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDEO KAMEL DAOUD ET SOFIANE HADJADJ

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Je m’arrête là. À demain

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Mon SILA au jour le jour : vendredi 25 mars 2022

Le temps est gris ce matin (l’auxiliaire être – et les autres verbes – seront au présent. J’adore le présent. J’abandonne le passé utilisé hier et avant-hier. Aujourd’hui c’est donc le présent. Le temps est gris et tristounet. Mais bon, ça va quoi. Les rues sont désertes. Il est huit heures du matin. Nous sommes vendredi, jour du seigneur chez nous. Il a le vendredi ici, le dimanche ailleurs. Le vendredi est un jour de repos pour beaucoup. Jour de repos et de respiration non stressée, cool.

Dans la rame de métro, (je l’ai pris à Boumendjel) nous sommes à peine une vingtaine. Direction El Harrach ou Aïn Naadja, arrêt à la station Les Fusillés, puis le tram. Prix du billet, un combiné des deux moyens de transport, 70 dinars (32 centimes d’€ environ). Il me semble avoir précisé les noms de mes arrêts dans le billet d’hier : Les Fusillés, puis La foire. Les moteurs du métro et autres portes qui s’ouvrent, se ferment, haut-parleurs, rappel des noms des stations, « prochaine station Hamma… El Hamma, Hamma, descente à droite… prochaine station Jardin d’Essai » etc. Dans la rame les gens sont silencieux. Vendredi oblige. Je descends à l’arrêt Les Fusillés, une grand esplanade bien calme. Là aussi c’est vendredi. Voilà le tram. Nonchalant. C’est vendredi. Ici Ruisseau est le terminus du tram et point de départ pour Dergana. Il est 8h35 et patientons de longues minutes avant la mise en branle du Tram. Derrière moi des collégiennes, comme nous sommes vendredi disons des jeunes filles, rigolent. J’aurais écrit « collégiennes » si nous étions un jour ouvré. Mais nous sommes un vendredi. À l’extérieur une vieille dame habillée d’une longue robe rouge tire une sorte de Caddy, rouge lui aussi. Environ 75% des voyageurs (dans le tram comme dans le métro) portent le masque de protection anti-Covid (une partie des personnes le portent sous le nez ou sous le menton). 8h42, claquement des portes. « Prochaine station Les Fusillés ». Deux fois la même station Les Fusillés ? Non, et je m’explique. La station « Les Fusillés » du métro n’est pas la station « Les Fusillés » du tram. Il y a entre les deux stations qui portent le même nom, environ deux ou trois kilomètres de distance. Le tram démarre, puis on entend « Veuillez vous éloigner des portes ». Erreur ou non ? 

9h10 : « la foire d’Alger, Qasr el maârid ». En arabe il est dit « Palais des expositions » et en français « La foire ». Beaucoup de personnes descendent. L’entrée se situe aujourd’hui, juste là à peine deux cents mètres de l’arrêt du tram (ou quatre cents). 

9h 20. Les portes du Salon sont closes. L’heure H est peut-être fixée à 10 heures, ou midi ? Il n’y a nulle information, nulle part. les gens sont courageux. « On y va âla Allah ». En attendant je prends un café bien noir (capsule) et une grande bouteille d’eau « 13 mille » (deux tickets de transport combinés). Dans ma tête un refrain patriotique trotte depuis hier matin. Dès que j’y pense je m’entends (façon de parler) proclamer « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa !  Mes amis n’oubliez pas les martyrs ! » (extrait du « Chant des martyrs »). Cela a commencé hier disais-je. J’étais dans un café à siroter un thé (non loin de l’hôtel, derrière la rue de Tanger) et à lire mon journal. À mes côtés deux amis blaguaient. L’un des deux, pour probablement détendre l’atmosphère entre lui et son camarade, ou pour interrompre son discours ou pour je ne sais quoi , fredonnait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! ». Pas une fois pas deux et il recommençait « Ikhwani ma tensaouch echchouhada aa ! » M’empêchant de me concentrer sur le journal. Je lisais Liberté (qui a consacré un article sympa sur moi en page 12). Ce refrain ne me quitte plus depuis ce moment-là.

Il est 10h 17 lorsque brusquement, un mouvement de foule se manifeste devant la grande entrée. En deux temps, trois mouvements, nous voilà à l’intérieur. On circule dans les allées idéalement. Je suis persuadé que cet après-midi ce sera autre chose. Je galère au pif, à gauche à droite, derrière, devant, en haut… tout en prenant des photos et en filmant (sinon comment enjoliver cet article ?)

Me voilà devant Barzakh éditions (les plus chics, les plus réputées, les plus snobs aussi ?) À deux pas de cette maison, une autre, aussi connue, celle qui m’a fait confiance, la maison d’édition Sédia. « Tiens, bonjour madame ZG » « bonjour monsieur H » (c’est moi). Échanges polis. Je suis étonné de ne pas voir de romans, pis encore, nulle trace de mon recueil « Poèmes inédits ». What’s that ? Finalement ZG m’explique qu’ils ont trois stands au SILA et derechef m’emmène vers celui – plus grand, plus aéré – où figure en bonne place (centrale) mon recueil de poésie posé (une pile) sur une table et cerné par trois chaises en prévision du moment de dédicaces (prévu pour demain samedi 26 à 14 heures). Je salue NK qui s’y trouve. Très avenante. Échanges. Demain j’achèterai le beau livre de Ali Benmakhlouf sur les philosophes arabes que j’ai vu chez Sedia. J’aime beaucoup ce que fait Ali Benmakhlouf (j’ai lu nombre de ses ouvrages lorsque je préparais un article, long article sur Ibn Rochd (publié par Le Quotidien d’Oran).

Je reviens sur la précédente allée. Chez Barzakh. J’achète deux romans. Le premier a bénéficié d’un grand tapage médiatique. Il s’agit de Nihed El-Alia « Minuit à Alger (une femme dans les nuits, certainement bourgeoises, d’Alger « brûlant sa vie par les deux bouts » (800 da) et l’autre, de par son auteur, se suffit à lui-même, « Maison Atlas » de Alice Kaplan (1000 da). Le boss, Sofiane Hadjadj, range, répond aux interviews, donne des ordres, s’agite… Je le salue, lui tends une main qu’il hésite à prendre. J’enlève mon masque un moment « c’est Hanifi… combien de fois n’avions- nous pas échangé à Aix, à Marseille, à Paris… » (dans les années 90 et 2000, je l’avais même soutenu dans les débats, encouragé… sa maison n’existait même pas alors). Il fait « Ah oui » pas très convaincant. J’ajoute « Vous allez bien ? » Il poursuit son rangement la tête baissée. Pas une minute à perdre. Pas le temps. Il répond toutefois, mais montre un soupçon d’agacement. Je lui montre « Minuit à Alger » et lui demande ce qu’il en pense, lui demande si sur le plan littéraire il pèse un chouia. Sa réponse « il faut l’essayer, moi je vends des livres c’est tout ». Monsieur a pris du poil de la bête et du poids. Me déçoit. Le stand est envahi de caméras. Aussitôt se rend disponible. Je règle et fiche le camp.

Voilà un stand plus sympa ! Le hasard fait bien les choses. C’est celui de LivrEscq, celui de la charmante Nadia Sebkhi. On échange longuement, on se rappelle du Forum International du Roman décembre 2015  (ici :http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2015/12/526-forum-international-du-roman.html ), un Forum qu’elle a organisé en collaboration avec le Ministère de la culture et auquel elle m’avait convié. Je la remercie encore. À ses côtés une charmante dame également qui représente le Prix littéraire Fetkann Maryse Condé (fetkann.fr)… longue discussion. Il y a aussi deux autres auteurs dont « le doyen des caricaturistes algériens ».

Je quitte le Pavillon central. Il y a deux autres ailes que je m’emploierai à visiter plus tard.

Tram, métro, hôtel… Comme c’est vendredi, la respiration et la cadence sont cool. Avant de manger il faut se serrer la ceinture. Tout est fermé (photos). Patienter jusqu’à la sortie des mosquées. Ce sera vers 14h30 et plus.

À demain pour la suite.

(et pardonnez mon écriture un peu sèche. Le travail de mise au propre, textes, vidéos, photos est exténuant).

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Image stations de métro = Google

Image stations = Google (Tram = en rouge)

Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

LES PHOTOS SE TROUVENT À LA SUITE DU TEXTE

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Mon SILA au jour le jour : Jour de l’ouverture officielle

Nous sommes jeudi 24 mars 2022. Aujourd’hui est le Jour J, ou D Day si vous préférez.

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On peut dire ici que le jour se lève non du fait de la luminosité qui pointe, de la terre qui tourne etc, ou du chant du coq (ah, « le chant du coq » ! qui se souvient de Leïla Boutaleb hein ? elle nous baratinait elle aussi, peut-être forcée), le jour se lève du fait des premiers bruits humains directs ou indirects : cris, klaxons… 7 heures. Tiens, pas d’eau chaude au cœur d’Alger à 7 heures. Trente minutes plus tard, je me suis rendu au salon de l’hôtel pour le petit déj.

Sur la route de la station de métro « Boumendjel » j’ai acheté El Watan et Liberté. Depuis que je viens à Alger (des années), je n’ai jamais pu acheter Le Quotidien d’Oran. Il n’y est pas distribué. C’est dingue ça pour le plus grand (ou l’un des plus grands) tirage de la presse francophone du pays. J’ai donc acheté la presse avant de prendre le métro, direction le Salon du livre (descendre à la station Les fusillés/ El maâdoumine, puis prendre le tram direction Dergana et descendre à la station « Palais des expositions »). 

J’ai parcouru les deux journaux. En page 2 de Liberté j’ai lu et relu un excellent article intitulé « Zemmour n’est pas une exclusivité française ». Le titre est quelque peu racoleur. Le texte traite essentiellement de l’attitude (j’allais écrire « la nature ») d’une grosse, très grosse majorité des Algériens à l’intolérance. L’article est argumenté et j’y adhère totalement (hormis quelques erreurs telles pour « se marier avec une non musulmane ? il faut se convertir », ou « nous sommes souvent racistes… même entre deux frères ou sœurs », et lorsque l’auteur (au fait il s’agit de Kamel Daoud, un nom qui bouscule, qui irrite, qui fait hérisser les cheveux, mais qui souvent dit vrai) et lorsque l’auteur disais-je dénonce avec des pincettes « le procès juste » néanmoins fait à l’Occident. Il aurait pu enfoncer le clou. Bref le reste est un régal. Écoutez ou plutôt lisez cet extrait composé de deux phrases, deux : « Peu à peu, à cause d’une école sinistrée, du manque de voyages et de rencontres, de la faillite de l’altérité, de la mainmise des féodalités sur les mentalités, d’un retour au Moyen-Âge au nom de la religion, de l’enfermement sur soi et de l’obsession des frontières, de la Religion du dé-colonial permanent, quelque chose de maladif a pris le dessus sur l’Algérie d’autrefois. Pour certains, aujourd’hui, l’Algérie, c’est pour les Algériens dans la pureté religieuse, révolutionnaire, familiale, de vertu ou d’ascendance : le reste de l’humanité est constitué de gens trop pauvres pour être intéressants, ou de colonisateurs prédateurs même s’ils sont Danois ou Sibériens, et il faut les incriminer même pour nos poubelles qui débordent dans nos rues. » C’est chaud et remuant. Mais telle est la réalité des Algériens. Il suffit d’un miroir que la majorité refuse de regarder. Le regard porté sur les noirs, condescendant et raciste, je l’ai observé plusieurs fois à Oran. Des comportements qui perturbent notre humanité (« nous sommes musulmans ! »). Et après on crie au racisme des Européens (bien réel cependant), mais regardons-nous bon sang, regardons-nous dans un lisse miroir ! !

J’ai continué de feuilleter le journal lorsque je suis tombé sur les pages centrales, consacrées au SILA. Un encart est réservé à la quatrième de couverture de mon recueil « Poèmes inédits » y compris le texte de cette même quatrième. Une belle surprise.  

Je descends à la station « Palais des expositions » du tram. On entre par le parking. 300 mètres de marche ai-je entendu. Légère brise et soleil bien timide en cette heure, 8h50. Quelques dizaines de personnes avancent, accrochées pour la plupart à leurs téléphones. Des employés semblent quelque peu perdus, « c’est par ici », un autre  « c’est par là ». Et nous, nous suivons les consignes. En fait de 300 mètres se furent deux kilomètres. Une centaine de personnes se bousculent poliment aux guichets. « Je suis auteur, s’il vous plaît, est-ce que… » Inutile de poursuivre m’a répondu l’agent en faction. « Changez de chaîne, allez là-bas chercher un badge ». On lit sur les vitres des guichets « Accord », « Casbah », « Ahaggar »… Des noms improbables. Impossible d’avoir quelque laissez-passer. Le flux des véhicules était incessant, orienté par les intempestifs coups de sifflets d’agents de la sécurité ou de police.

Les gens qui n’ont pas accès au Salon, qui ne sont ni exposants, ni gestionnaires, ni grosses légumes, ni « employés du manège » ( ?) étaient contraints d’attendre. Ils observaient le remue-ménage ou bien s’asseyaient sur les rebords des trottoirs.

Un agent de police s’est approché du petit groupe de jeunes filles assises à mes côtés. Il était 10 heures 05. Il leur a demandé si elles étaient « employées ici », puis il a ajouté qu’il était « inutile d’attendre si vous n’êtes pas invitées ou employées ici. Vous attendez pour rien. L’ouverture au public c’est demain. » L’agent ne m’a rien demandé alors qu’il a vu que je le lorgnais du coin de l’œil et de l’oreille. Sur ce, j’ai quitté les lieux par le bas. Nous étions alors devant l’entrée officielle du Palais des expositions. Au bout de la route, un véhicule de police avec quatre policiers. L’un d’eux m’a renseigné. « Non, il n’y a pas de station de transport par ce côté-ci à moins de marcher une demie heure ». En face nous avons vue sur la grande mosquée d’Alger qu’on n’hésite pas avec fierté de qualifier « la plus grande mosquée d’Afrique et la troisième plus grande mosquée du monde. » D’autres n’hésiteraient pas à protester « on aurait pu construire une dizaine d’hôpitaux avec l’argent englouti là-dedans ! » J’ai entendu les deux expressions, justes toutes les deux.

Je reviens vers « la foire » (beaucoup disent « la foire » au lieu de Salon du livre ou Palais des expositions). Le K-Way bleu que je porte introduit de la confusion chez certains qui le prennent pour un costume officiel d’un agent non moins officiel, de sorte que plusieurs automobilistes ont ralenti à mon niveau, ouvrant leur vitre et demandant « le parking kho ? » et moi je jouais le jeu « au fond à droite », avec tout le sérieux nécessaire. Ou bien « C’est la foire de quoi cheikh ? « la foire des livres ». « Que des livres ? » « oui c’est la foire que des livres ». Et le gars d’accélérer en faisant la moue. Les personnes âgées me disaient « kho » (frère), les plus jeunes « cheikh », une seule personne m’a interpellé « si el hadj » (un jour peut-être). Il y a quelques années, (1998-2000 ?), j’habitais encore à Paris, j’avais subi la même expérience devant le Centre culturel Georges Pompidou (les grands tuyaux). J’attendais un ami, debout plus ou moins en faisant du surplace. De nombreuses personnes (une demie douzaine ?) sont venues me demander divers renseignements, me prenant pour un agent de garde de la grande Bibliothèque du Centre. Là aussi je portais une sorte de K. Way bleu, comme celui que je porte aujourd’hui (mais pas le même je vous rassure et il était plus épais).

L’heure avançait et l’affluence se développait. Les gens étaient de plus en plus nombreux assis sur les trottoirs. Rien n’a changé et j’en avais assez à cette heure-là, la onzième. J’en avais assez de tourner en rond. Je suis revenu à l’entrée principale. L’agent en faction a été catégorique « pas de badge pas d’entrée ». « Et le public qui attend ? » Il attend pour rien, l’entrée c’est demain » Il a ajouté « ou en fin de journée, vers 17 heures ». Il était 11h10 et j’en avais assez. Je suis rentré comme je suis venu. Après déjeuner, j’ai fait un tour à l’Institut français… puis suis rentré raconter ma journée aux Facebookers et à ceux qui me suive sur ahmedhanifi.com.

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Mon SILA au jour le jour : moins 1

LE TEXTE suit es photos

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LE REPERE

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

Le MAMA

L’ex librairie Charlot

Il pleut

VUE DE LA BAIE D’ALGER à partir de LA CASBAH

CENTRE DE FORMATION

LE MAMA

LE REPERE

UN SEUL HEROS…

LIBRAIRIE DU TIERS MONDE

METRO PLACE DES MARTYRS

LA BRASSERIE DES FACULTÉS

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Comme je l’ai fait par le passé (2014, 2015, 2016 etc.) je vous raconterai, en agrémentant mes textes de beaucoup de photos, « mon Salon du livre » au gré des jours, c’est-à-dire ce que j’ai vu, entendu, mes appréciations diverses etc. Il y aura donc pas mal de subjectivité. Je vous propose d’accepter cette vision des choses qui n’est pas (ne sera) peut-être pas la réalité objective telle que d’aucuns ou vous-mêmes le souhaiteriez. Elle est (sera) la mienne.

Nous sommes au soir du mercredi 23 mars 2022. Le temps est frais, mais il ne pleut plus sur Alger. La journée a pris des rides puis s’est évanouie. Les lumières fades de la ville (et d’ailleurs) ont remplacé la naturelle. La nuit est tombée et avec elle les couleurs se sont transformées, se sont éteintes ici, se sont faites discrètes là. Les bruits (infernaux) font les 2X8+8. La soirée est en mode troisième 8, c’est-à-dire repos, mais des passants braillent toutefois de temps en temps. Là (21h10) j’entends quelqu’un hurler et hurler encore « ya zizou !! ya zizou !! » Et il recommence. Son camarade (très certainement) se met à siffler. Je ferme les persiennes et la fenêtre de la chambre d’hôtel.

Dans la journée, les hauteurs d’Alger offraient de très belles vues sur la Méditerranée, mais le beau et célèbre café- restaurant de la haute Casbah, « Le Repère » est fermé ainsi que la mosquée Sidi Abdellah à côté.  Le peuple rêve d’être un jour « le seul héros » et nous le fait savoir en ‘graffitant’ le mur. J’ai dévalé les rues du quartier (plus vite que je ne les ai grimpées). Je suis descendu jusqu’au marché Randon, place des Martyrs en passant par l’Office d’enseignement et de formation à distance (ONEFD) . Il pleuvait beaucoup alors, comme je n’avais pas de parapluie, je me suis engouffré dans le métro.

À l’entrée de la Librairie du Tiers Monde des affiches publicitaires sur « Fehla » de Rabeh Sbaa que je salue (lundi dernier à Oran, nous avions pris un verre ensemble ainsi que notre ami commun Lakhdar A. qui lui, a écrit « Formation de formateurs, manuel opératoire d’un formateur ») et sur « Chroniques littéraires » de C. Chaulet-Achour… J’apprécie beaucoup Madame C.C.A. Un jour (il y a longtemps, à Paris) elle m’avait affirmé que l’une de ses étudiantes en lettres de Cergy Pontoise, une suédo-algérienne, « qui possède des bribes de trajectoires de votre personnage » avait choisi mon roman « Le Temps d’un aller simple » pour y travailler. Je n’ai jamais lu/vu trace nulle part de cette thèse. 

Je suis passé devant le MAMA (loin, très très loin du MoMA de New York, cela va sans dire) qui fait pitié. J’ai traîné du côté de l’ex rue Charras. La librairie de Monsieur Charlot, l’ami et premier éditeur d’Albert Camus, est à l’image du MAMA, puis je suis allé du côté de la faculté et de la Grande Brasserie qui porte son nom, belle mais empestée de fumée de cigarettes que j’ai, n’ayant pas trop le choix, supportée malgré tout. Des jeunes hommes et des jeunes femmes (4 pour les premiers, 3 pour les secondes) discutaient serrés autour de chopes (pour les uns) et de rien (pour les autres). Leurs voix se faisaient volontairement hautes. Ils faisaient « journalistes » ou sont-ils étudiants (la fac est à six mètres, de l’autre côté du trottoir de Didouche Mourad). Ils discutaient du monde comme il va, les guerres, ceci, cela. L’un d’eux était volubile et parlait plus haut que les autres ; stylo, feuille et gestes larges faisant vaciller son verre. Un futur leader ? Ces jeunes m’ont plongé dans mon propre passé à Oran. Nous aussi (à leur âge) – mes amis d’alors que je ne nommerai pas ici et moi – nous discutions sans fin et faisions et défaisions le monde au mythique Majestic (place des Victoires) dans les années 70 (avant l’appel du grand Nord) en fumant, buvant, gesticulant à voix haute (je le disais il y a deux secondes). À voix haute pour que nos messages soient bien entendus n’est-ce pas ? Ou nos ego (nos différents moi). Nous étions désignés par les uns et les autres comme « les anars » (versus les « cocos », les Stals quoi, que nous exécrions, apôtres de Boum). Mais cette histoire est lointaine, laissons-la au repos qu’elle mérite.

J’ai omis les journaux. Ils ont titré à la veille du très attendu Salon comme s’il s’agissait de films du grand West : « Sila post-Covid : le défi du papier » (El Watan), « Après deux ans d’absence le Sila revient cette semaine ; À lire libre » (Liberté), « Retour après deux ans d’absence du Sila » (Le Quotidien d’Oran). Ils consacrent tous à l’événement plusieurs colonnes en pages intérieures.  Demain en effet, tel ou tel ponte inaugurera en grandes pompes le 25° Salon International du Livre d’Alger. J’en dirai un mot chaque jour jusqu’à mon départ, l’avant-veille de sa fermeture hélas.

Mars à Alger

(Reportage…. de bout en bout)

Marseille – vu du navire, la Cathédrale de la Major

Alger, jeudi 3 mars 2022- 16 h 00 : Je l’ai attendu ce voyage, pas très à l’aise, ni trop chaud entre la situation sanitaire, les élucubrations occidentales boiteuses face à l’agression russe de l’Ukraine (pays souverain jusqu’à preuve du contraire avec ou sans l’Otan, la gesticulation politique en Algérie… Mais, les billets ayant été réservés, et les rendez-vous pris en Algérie, j’ai fini par sauter d’une rive à l’autre en bateau.Le Corsica Linea largua les amarres avec une heure de retard le mardi matin. L’accueil et le traitement infligés aux passagers frise l’incorrection. Il n’y a pas de passerelle, ni d’escaliers mécaniques, ni d’aide notamment à l’égard de personnes fragiles qui durent se payer des escaliers jusqu’au haut du navire avec des chargements pas possibles (et on connaît les Algériens amoureux des valises et baluchons, lorsqu’ils voyagent ils voyagent !)

À bord il y a plus de sept cents véhicules et des centaines de passagers. Je suis un « piéton », pas de véhicule. On ne se connait pas, mais on discute volontiers avec le voisin. Nous sommes installés autour de l’espace bar, fermé. Il y a huit ponts et des couloirs à tous les niveaux et dans tous les sens. Peu à peu les carapaces s’effilochent, les langues se délient, avec prudence néanmoins. Un vieux monsieur de Chlef, octogénaire, il l’a dit, défile sa vie d’ouvrier, chauffeur devant nous dans la bonne humeur. Son accent et les expressions utilisées sourcés au cœur de la vallée de Chlef orientés Ténès sont à couper au couteau. Je reconnais très bien. En fermant un instant les yeux j’entends ma mère, mes grands-parents. C’est cela le retour aux sources. Celle de mes aïeux. Je n’ose pas lui dire, lancé qu’il est dans son propre miroir. Il n’a plus 85 ans mais 30 ou 40. Nous avons passé de bons moments avec lui, jusqu’à ce que, convaincu qu’il n’était plus assidûment écouté comme au début, il s’en est allé chercher un autre groupe derrière le bar ou le snack. Et recommencer probablement. Il y a dans notre jmaâ (groupe), des petits beznassis, un tenancier de bar à Lille, deux commerçants, l’un à la frontière suisse, l’autre en Suisse etc. Certains font la traversée avec leurs véhicules. La plupart sont comme moi, sans. Les sujets abordés portent sur tout ce qu’on veut sauf sur l’Algérie. J’ai fait une tentative, mais cela ne les intéresse pas. Autocensure manifeste, les regards se font fuyants. Ah, oui, ça oui, leur racisme anti-noirs « les kahlouches » disent-ils… est sans ambages, et musulmans pieux bien évidemment. Au moment de la prière ils ont presque tous interrompu leurs bavardages pour courir à la mosquée improvisée. Revenus, je constate qu’aucune grille de lecture de leur discours ne saurait les rapporter avec finesse si elle ne place en pas en son cœur l’Islam (tels qu’ils en parlent). Rien ne résiste. Dès que l’on intervient sur un sujet, hop, on étale le filtre religieux. La démocratie, les Droits des personnes, la liberté… Je prends mon appareil photos et m’en vais faire un tour à gauche à droite,

les espaces de nourriture, du vide, intérieurs, extérieurs sur les ponts. Je dois dire que, encore une fois, (c’est le même constat que je fais à chaque fois que je voyage en bateau) j’ai honte de l’attitude sanitaire des voyageurs : absolument (et pardonnez-moi ce terme, je vous promets qu’il n’est pas exagéré) dégueulasses. Les porcs feraient moins pire dans les WC. Sans parler des détritus un peu partout. Certains endroits du navire se sont transformés en immenses poubelles. Moi aussi je sais dire « ennadafatou min el iman » (la propreté fait partie de la foi), à la différence de beaucoup d’autres, je me l’applique et sans la crier dans toutes les mosquées du monde. Lorsque je reviens, la discussion est toujours effervescente. Leur ennemi juré s’appelle La France (où certains vivent). Je me dois de préciser qu’ils n’ont jamais parlé des Français, mais de França, La France. Tous (sauf le tenancier) sont ce que les binationaux appellent « des blédards ». En tête de leurs ressentiments, le président français. Certains disent qu’ils voteront Le Pen. Je ne comprends pas leur raisonnement. Mais le sujet qui les rassemble tous est la guerre que mène Poutine à l’Ukraine. Tous pour le Russe « E-Tchitchène sont avec lui, c’est des hommes ». L’agression ? « les vrais agresseurs ce sont les Occidentaux, et « le président ukrainien est un juif ». Le grand mal sous-entendu du « dernier héros européen » (dixit un facebooker), Volodymir Zelensky, c’est d’être juif. J’ai vraiment honte. La dictature ? « la dictature c’est l’Occident ». L’impasse à venir ? « Poutine est un grand stratège, il les balaiera tous ». Racisme encore et aveuglement. Je précise là aussi que nous nous sommes rencontrés sur plusieurs points concernant la responsabilité des Occidentaux dans le malheur du monde. Le manque de nuances de mes compagnons de traversée complètement noyés dans cette citation « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », et cela me sidère. Pas de pitié pour les populations ukrainiennes. Fascinés par le tsar Poutine, ils évitent de parler des souffrance du peuple ukrainien.Je suis arrivé à Alger, passage au test antigénique payant. Je suis complètement épuisé et désespéré, pas à cause de cette précaution évidemment. Je repense à la formule de Hassane Ouali de Liberté écrivant récemment (le 26 février sur twitter) : « Comment se battre pour la liberté en Algérie et avoir Poutine comme modèle !!!! Aspiration à la démocratie et Fascination pour l’autoritarisme ! »

Alger

Alger

Ce matin, j’ai pris le métro puis le tram en direction de Mohammadia… Rencontres agréables avec N. et Z…. Bientôt des ateliers à l’I.F. et le SILA (où je suis programmé – si tout baigne)J’ai parcouru El Watan (qui sombre paraît-il) et Liberté. L’article de KD in Liberté est formidable. J’en parlerai dans un post après celui-ci.

Le vélo vert de mon père

Le vélo vert de mon père

J’attachai mon VTT à un poteau d’une plaque de signalisation à la sortie de mon village en direction d’E., à hauteur du rond-point situé sur la départementale D 10 à quelques centaines de mètres de l’autoroute du Sud qui relie Marseille à Barcelone. 

C’est de là, devant la caserne militaire, que plus de cent cinquante cyclistes s’apprêtent à prendre le départ de la treizième étape du tour de France. Ils doivent être nombreux ceux qui, parmi les deux mille spectateurs présents, ont des histoires de vélo à raconter. Des histoires de vélo où se conjuguent amitié, vacances, familles… Celle qui suit est la mienne. Une histoire que la volonté combinée du temps qui passe et de ma mémoire qu’il importune force à malmener quelques-uns des pans de la vérité vraie. Peut-être ou certainement.

J’avais dix ans, les youyous de l’indépendance résonnaient encore, accompagnant de vierges étendards. Je remontais à pas lents la rue principale de notre quartier, Gambetta, traînant la bicyclette que j’avais dérobée à ma sœur aînée qui somnolait sous l’imposant mimosa de la grande cour commune de l’immeuble, pour me venger de ses caprices. J’avançais à mon rythme sur la longue rue Nobel, la tête congestionnée de pensées plus ou moins heureuses, jusqu’au jardin de la Place Fontanel. Je pensais à ma sœur, à sa réaction lorsqu’elle s’apercevrait de la disparition de sa bicyclette, mais je pensais plus profondément et plus longtemps encore à notre père qui venait de nous quitter lui qui, le plus souvent, prenait mon parti parce que, probablement, j’étais le plus jeune de toute la fratrie : cinq frères et sœurs. Je me demandais s’il m’aurait défendu ce jour-là ? L’image de son vélo, celui de mon père, me revenait, comme je la revois aujourd’hui, des décennies plus tard. 

La place Fontanel

Mon père avait un grand vélo vert. Il ne l’abandonnait pas et moi j’aimais sa taille imposante, ses grandes roues et les sacoches en cuir noir dans lesquelles je plongeais souvent la main par curiosité, parfois le nez pour l’odeur qui s’en dégageait : pompe, clés, burette à huile, rustines « siamoises à tirette »… Lorsqu’il en avait le temps, la force et l’envie, nous allions nous promener. Il me soulevait, puis me posait devant lui sur le cadre, rarement sur le porte-bagages à l’arrière à cause des sacoches, les pieds ballants. Un dimanche sur quatre, il m’emmenait dans l’un ou l’autre des quartiers chics de la ville blanche : Saint-Eugène, Place d’Armes, Place des Victoires… Nous ne nous attardions guère devant leurs manèges pour enfants gâtés, leurs pêches miraculeuses, les ballons de baudruche multicolores… Nous nous contentions d’une sucrerie, un ruban de réglisse ou une pomme caramélisée à deux sous achetée au vendeur ambulant, un indigène comme nous, enguenillé. Il m’emmenait parfois voir les animaux du jardin municipal d’Oran, ou au cinéma Le Rex,

qu’il aimait tant pour ses films hindous. C’est avec lui que j’ai découvert Mangala fille des Indes, et la sublime Aje mere man men. Sur le retour, lorsque la route s’assombrissait, j’aimais entendre le ronron de la dynamo sur le pneu, qui me berçait. « Attatio ! » lançait-il parfois. Il suffisait de peu en effet pour que le bout de ma chaussure se coince entre la fourche et les rayons, ce qui était déjà arrivé. Nous nous étions étalés sur la chaussée, heureusement sans gravité, même si, paniqué et prostré contre un mur, j’avais pleuré une heure entière, se souviendrait ma mère. À mes camarades de classe et de jeux, je disais que mon père avait été « attaqué ». C’était la guerre, la vraie.

emplacement DUBONNET à BEL-AIR

Je revois encore sa blouse bleue qu’il portait tous les jours comme on porte un chapelet. Je n’ai pas le souvenir d’un autre vêtement que celui de cette blouse fatiguée d’ouvrier rigoureux. Il était frigoriste chez Dubonnet à Bel-Air, à l’angle de la rue Froment Coste et la rue des Alpes, toutes deux mises à genoux par Mossedegh et Benzrida. Lorsqu’il se décidait parfois d’enlever sa blouse, le temps du repas, une impitoyable usure pointait le haut des poches, les poches elles-mêmes, les genoux. Le bas de son pantalon de Shanghai, bleu aussi, mais d’un autre ton, plus marqué. Je me souviens que chacun des ourlets de jambe était saisi par un pince-linge en bois pour ne pas être sali, pour que le cambouis de la chaîne du vélo ne les encrasse pas. J’en voulais alors à la terre entière, indifférente à la condition qui nous était imposée, plus encore à nos voisins blancs, toujours sur leur 31. Leurs enfants portaient des cravates pour aller à l’église ou au collège. Lorsqu’il en avait le temps – il prenait alors un café – mon père extrayait de la poche latérale de sa blouse bleue aux contours râpés depuis des lustres, L’Écho d’Oran (grand format : 578 X 410 mm) dont il parcourait toutes les pages en s’attardant sur sa préférée ‘‘L’écho du département’’ et ses petites annonces. Quand il l’a eu fini et plié en huit, il l’enfouissait de nouveau dans la même poche.  Mon père aimait les annonces classées qu’il s’efforçait de lire. Je le vois et l’entends encore bredouiller des lignes entières d’annonces : une demande de dépannage d’un réfrigérateur Géo, Frigidaire, une offre ou une recherche d’outils, de produits : condensateurs, compresseurs, vannes, clapets, gaz réfrigérant… Lorsqu’il avait fini, il me demandait si je pouvais les lire à mon tour et cela me réjouissait de lui prouver que j’en étais capable et que par conséquent je travaillais bien à l’école. Ma récompense prenait la forme d’un large sourire qu’il m’adressait en posant sa main affectueuse sur ma tête. Il m’arrive parfois de me demander ce qu’est devenu ce grand vélo vert de mon père qui le rendait si fier et relativement libre.

Je remontais la rue Nobel, heureux à la pensée de pouvoir la redescendre à grande vitesse, aussitôt arrivé à la place Fontanel. Dès que je l’atteignais, j’enfourchais la bicyclette de ma sœur et recommençais, sans crainte, heureux même. Je me laissais aspirer par l’attraction de la pente de plus en plus importante jusqu’au point de départ, la rue Beauchamp, trois cents mètres plus bas. Parfois, en un autre lieu ou en celui-là même, la combinaison de la forte inclinaison, de la vitesse et du guidon devenu incontrôlable me projetait durement sur l’asphalte. Et de nouveau je repensais à mon père. J’avais dix ans et les youyous de l’indépendance résonnaient encore. Je traînais la bicyclette que j’avais dérobée à ma sœur aînée pour me venger de ses caprices et me demandai si mon père m’aurait défendu. Je devais sourire. Certainement.

Lorsqu’aujourd’hui me reviennent en souvenir ces temps de mon enfance oranaise, il me semble qu’une part importante de mon être ou de mon âme m’a définitivement abandonné. Cette part de naïveté, de bonheur brut et d’innocence contrariés parfois par la peine et la douleur. Mon père est parti à 44 ans, un 19 janvier. Il gît sous terre au cœur du domaine de Kaïda H’lima, au cœur de La Source blanche. Les huit vers qui suivent tout comme ce texte lui sont dédiés :

Ton silence,

Sous les pierres

De la Source blanche

À l’ombre des cyprès

Posées contre la chair de ma mémoire

Endolorie

De tant de sollicitude,

Me pèse.

Quant à moi je suis aujourd’hui beaucoup plus âgé que lui. Je pratique le vélo pour m’oxygéner et pour ne pas l’oublier. À la sortie du village, à hauteur du rond-point situé sur la départementale D 10, lorsque je revins à moi, il n’y avait plus de coureurs. Les derniers camping-cars et véhicules du Tour de France plient bagage pour rejoindre M., la prochaine étape du treizième tour. Il ne me reste qu’à enfourcher mon VTT vert pour poursuivre tranquillement ma promenade d’entretien à travers la forêt de G. et l’étang B. pendant quelques heures. 

Juillet 2005 – retravaillé en janvier 2022

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Deux semaines à Paris

JE 16.12.2021

Gare aux gares égarées de nos granges gorgées de gros gras grains d’orge. Ainsi commencions-nous avant de réciter nos classiques au théâtre de notre adolescence du Centre culturel français d’Oran. Gare aux gares… Celle-ci ne l’est pas (photo). Albert Camus ne résidait pas loin d’ici, de chez moi. Il est inhumé dans sa ville d’accueil, Lourmarin, à 57 km d’ici en passant par la D973 et la D 139. Quels mots avait-il pour les gares et pour Lourmarin ? 

Les gares : « À la gare, tout un peuple pressé absorbe sans rechigner une nourriture infâme et puis sort dans la ville obscure, se coudoie sans se mêler et regagne hôtel, chambre, etc. Vie désespérante et silencieuse que la France tout entière supporte dans l’attente… Il n’était jamais sorti de sa ville sauf un jour où, obligé de partir pour Oran, il s’arrêta à la gare la plus proche de Tlemcen, effrayé par l’aventure… L’exilé passe des heures dans des gares. Faire revivre la gare morte. » (Carnet 2)

Et à propos de Lourmarin : « Lourmarin. Premier soir après tant d’années. La première étoile au-dessus du Luberon, l’énorme silence, le cyprès dont l’extrémité frissonne au fond de ma fatigue. Pays solennel et austère – malgré sa beauté bouleversante… Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d’eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu. » (Carnets 2 et 3) 

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Je 16.12.2021

Gare Saint-Charles de Marseille (1848) et son impressionnant escalier (1927) qui n’a rien à envier au Cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein), enfin, si, un peu quand même. Une ville qui tend les bras comme son escalier, ouverte sur la Méditerranée et le monde tant qu’à faire… près d’une vingtaine de millions de voyageurs l’empruntent chaque année. Marseille est le pays d’Antonin Artaud « Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère, et moi ; niveleur du périple imbécile où s’enferre l’engendrement, le périple papa-maman et l’enfant. » Marseille est aussi le pays de J.C. Izzo : « Les quartiers nord, avec leurs milliers de fenêtres éclairées, ressemblaient à des bateaux. Des navires perdus. Des vaisseaux fantômes. C’était l’heure la pire. Celle où l’on rentre. Celle où, dans les blocs de béton, on sait que l’on est vraiment loin de tout. Et oubliés. » (Chourmo

« Marseille est le centre du monde », entendu plusieurs fois à Marseille. Et si c’était la vérité ?

Suis dans le train. Direction…

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Ve 17.12.2021 –

Et voilà le Nord, précisément la gare Sncf Charles de Gaulle Roissy. On ne dit plus aux passagers « Terminus, terminus, tout le monde descend ». On prend des gants. Mais le résultat est le même, tout le monde descend. Il fait moins froid qu’à Marseille, mais humide. 

Le jour a atteint ses limites. On se précipite vers les proches qui attendent sur les quais ou plus haut, à l’extérieur, près des stations de taxis et du parking PCD. Beaucoup de monde, c’est la cohue. Nous quittons par l’ascenseur les quais et l’architecture métallique par certains aspects de type montagnes russes. 

« Gardez le masque s’il vous plaît ». À quelques centaines de mètres, les pistes de l’aéroport. Des avions s’apprêtent à décoller. Roissy en France (dept 95) est un village ordinaire, brusquement devenu mondialement connu avec l’ouverture de l’aéroport au début des années 70 construit sur ses terres. C’est le 9° plus important aéroport au monde avec plus de 70 millions de voyageurs. Tient v’la…

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Ma 21.12.2021 –

Quelques minutes dégagées pour ce post. Samedi fut un jour de repos total hormis une déambulation dans le village et un tour en calèche avec LN. Ce matin je me suis rendu à Paris, directement chez mon ami A. dans le 19°arrondissement, du côté de la rue de Lorraine. Cet ami ne veut pas ou ne peut pas me voir. Ce quartier particulièrement la rue de Lorraine me renvoient à une époque aujourd’hui révolue. Un temps où l’on venait au 27 (photo) de cette rue, siège de « Libé ». On sonnait, on entrait, on passait au deuxième étage filer un coup de main aux « petites annonces gratuites » souvent débordées. Puis on allait à Félix Potin en face sur l’avenue Jaurès faire des courses pour le casse-croute. Et on recommençait lorsqu’on le souhaitait.  

Au croisement de Jaurès, Stalingrad et Secrétan, j’ai choisi les quais, côté Jemmapes. Tout un flot de souvenirs émerge, notamment devant « l’Hôtel du Nord », la passerelle de la rue de Lancy où « atmosphère, atmosphère » d’Arletty prit son envol à la veille de la seconde guerre mondiale. Le minuscule café de Aïcha, « Le Pont tournant » qui était notre « siège » avec couscous garanti les samedis, et Khaled en continu grâce à nos cassettes d’Oran, est devenu « tchitchi » comme on dit au Bled, autrement « bobo ». Il a perdu son authenticité. Un peu plus bas, toujours sur le quai, « L’espace Jemmapes » qui hébergeait dans les années 70 une auberge de jeunesse que nous n’avons que trop utilisée… La Place de la République est très animée. J’ai emprunté la rue de Turbigo avec un brin de nostalgie devant le lycée Turgot où j’ai travaillé… Église St Eustache… À Beaubourg nous y avions fait cours (tous assis en rond au rez-de-chaussée) le premier mois de son inauguration (c’était en 1977/78 ) avec notre enseignante d’Histoire, Madeleine Rébérioux (future présidente de la LDH)… Chatelet Les Halles, Gare du Nord… 

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Ve 24.12.2021 _

J’ai consacré une bonne partie de la journée du mercredi à la bibliothèque de France (dénommée François Mitterrand depuis 1995). Tout ce qui se publie en France y est archivé. C’est une des plus importantes bibliothèques dans le monde. Le site de Tolbiac (photos) est le plus important parmi les sept qu’elle comporte. Son catalogue sur internet, « Gallica » (7 à 8 millions de documents consultables). Il est composé d’une grande surface en rez de chaussée avec de nombreuses salles de lecture (une dizaine ?) et par 4 tours de plus de 20 étages chacune : Lettres, Nombre, Temps, Lois. Tous mes écrits sont bien référencés dans leur « data.bnf.fr »… D’importantes expositions et manifestations sont prévues ou en cours, à nous donner le tournis : Giuseppe Penone, Beaudelaire et la mélancolie, Robert Badinter, May Angeli -cf. photos-  Amos Gitai, René Maran, précurseur de la négritude, Albert Londres, Julien Green, Sarah Hassid, Champollion…

J’ai tourné entre les salles (payer ou disposer d’un abonnement), dans les halls les salles d’expositions… et partout il y a du monde. On se croirait dans un supermarché. Cela est très réconfortant. J’y serais resté toute la soirée, mais mon ami M. m’attend au « Ville d’Aulnay », une brasserie sur la rue La Fayette, devant la Gare du Nord. Nous avons fait le tour du monde.

Jeudi, fut un jour de repos. Enfin presque. Quelques exercices physiques au manège « Royal… » pour les enfants. Et c’est casse-cou et têtes. Eh oui…

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Lundi 27.12.2021 _

Noël a franchi les limites du bonheur enfantin et il passa. « Y rvient quand papanouel ? » Dimanche matin nous avons couru au 4 bd de Strasbourg. Au théâtre libre, anciennement Eldorado, « c’était l’ancien théâtre de Bouvard, après moi je n’en sais rien » nous dit le contrôleur d’entrée du pass sanitaire… ». Je lui réponds que quant à moi, il me semble bien que dans les années de notre trafic insouciant cette salle de spectacle était un dancing, « le Kiss-Club ». Nous y avons fait les fous (limite de la légalité car parmi nos amis, certains se shootait à la … et au… La boite fut fermée plusieurs fois. Et le panier à salade qui passait par-là, repartait bien rempli. Tout est dit. Mais là, ce matin, c’est une belle salle de spectacles pour enfants où il est question de Petits ours brun… Très sympathique. Les enfants étaient pliés, les uns braillaient, d’autres parcouraient les allées, descendaient et montaient les marches, suivis par leurs parents… Plus tard, un rendez-vous nous attendait au sud de la Porte d’Orléans, au cœur du cimetière de Bagneux. Lignes perpendiculaires et croisements aussi raides qu’imperturbables, éternels.

Le clou de la virée se niche incontestablement au Bois de Boulogne, à proximité du Jardin d’acclimatation : La Fondation Louis Vuitton. Une merveille et d’architecture et d’exposition avec une série de tableaux ayant appartenu aux frères Morozov et mis en salles pour la première fois. La publicité est beaucoup plus précise : « l’une des plus importantes collections au monde d’art impressionniste et moderne. L’exposition événement réunit plus de 200 chefs-d’œuvre d’art moderne français et russe des frères moscovites Mikhaïl Abramovitch Morozov (1870-1903) et Ivan Abramovitch Morozov (1871-1921). C’est la première fois depuis sa création, au début du XX ème siècle, que la Collection Morozov voyage hors de Russie. » Je vous laisse admirer.

En soirée nous avons rejoint le Café « l’Impondérable » et Youcef Zirem qui y animait la rencontre programmée, comme chaque dimanche, ce soir il accueillait le chanteur Malik Kezoui. 

Jeudi 30.12.2021 _

Sortir dans le noir alors que le jour ne l’a pas encore vaincu. Les ombres avancent masquées vers les quais. « Nous vous rappelons que les masques sont obligatoires, sur la bouche et sur le nez ». Et elles avancent les ombres sans haussement d’épaules, ni un mot. L’habitude désormais. Le virus s’installé et est décidé à ne rien lâcher. De certains voyageurs on ne voit que les trous des yeux. Leurs oreilles sont obstruées par des fils de smartphone, blancs, noirs. Des zombies les jeunes (jeunes ?) Ils ne voient presque rien, ni personne. Voilà les wagons à la queue leu leu. Un cri strident de ferraille (évidemment). On ne se bouscule pas. À quoi bon ? On a le choix : train, Transilien, RER, métro, bus, Uber, vélo, trottinette et les gambettes c’est moins cher mais plus exigeant. La Madeleine est d’une sobriété toute matinale. Personne n’a un regard pour elle à cette heure où tous les lampadaires sont encore allumés. Les guirlandes des grands magasins (des petits qui le peuvent aussi) clignotent toujours désespérément, plus lumineuses que jamais. Tout autour des consulats, ambassades… J’attends 9 heures. Je pénètre dans quelques-unes, l’été n’est pas loin et il va falloir se décider…

Quelques centaines de mètres à pied jusqu’à La Madeleine. Il pleut, il ne pleut pas. Donc ouvrir le parapluie. Puis le plier. L’ouvrir à nouveau et cetera. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Métro ligne 8 direction Créteil. Changement à la première station : Opéra. Ligne 7 direction Mairie d’Ivry ou Aragon. Sortie Jussieu. « Jussieu » est vide de ses étudiants. Quelques boutiques sont encore fermées, les tireurs de plans, photocopieurs… Pas les boulangeries-pâtisseries. Un automobiliste furieux, klaxonne à l’intention d’un vélo imprudent. Le feu vire au vert pour les piétons. Je traverse et longe l’autre facette – elle est au garde-à-vous – de la grande « Sorbonne université, Campus Pierre et Marie Curie » appuyée sur des dizaines de poteaux, on dirait des pilotis vietnamiens. Et voilà l’IMA. Je zappe l’exposition « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire » (trop cher à mon goût). Et puis, je suis bien à « l’IMA » non ? « Monde arabe » non ? Awweh, « y-a anguille sous roche » ai-je pensé une seconde. Je monte, descends, cafétéria, terrasse, librairie. Tiens, en passant je laisse deux de mes ouvrages au « chargé de », Alain Gu. Les mettra-t-il en exposition ? J’achète des livres pour enfants et d’autres de voyages lointains… Je prends des photos (réussies et belles j’espère) de la Seine, de Notre-Dame, des rives et quais à partir de la terrasse de l’Institut. Il pleut toujours où c’est mouillé dit l’adage. J’ai pu le vérifier. Et l’argent va toujours aux mêmes. Ne dites pas que cela n’a rien à voir. Si ça a à voir ! Je remonte les quais vers le nord, Notre-Dame, Saint-Michel, à droite le boulevard Sébastopol et Beaubourg avec les pieds bientôt en compote. Il y a foule par toutes les entrées. Va pour la BPI. Il m’a fallu une heure et même plus pour m’installer dans une salle. Il m’aurait fallu recommencer l’exercice pour entrer par la porte principale et la visite du côté ouest. Il y a une foule aussi importante que celle de la BPI. J’abandonne et me dirige vers le nord. Il pleuviote toujours. Une fois oui, une autre fois non. Boulevard Sébastopol de nouveau. Je traverse Étienne-Marcel. J’évite le Forum des Halles, plus le temps. Il commence à faire sombre. Boulevard de Strasbourg, Magenta à Gauche, puis La Fayette à droite, jusqu’à la Gare du Nord. En face, à l’angle La Fayette-Dunkerque, notre cher « Aulnay ». Mon ami M. m’y attend. Un verre. Et toujours le tour du monde, de plus en plus monde flou.

Demain est le dernier jour.

DES PHOTOS SUIVRONT

Ma rencontre avec Banisadr et Khomeiny

10 octobre, dimanche. Il fait presque beau. Peu de circulation sur la départementale à l’horizon. Pas de vent. Une semaine sans vent, ce n’est pas commun ici. J’exagère à peine. Le soleil se lève avec flegme. Je prends mon thé quotidien. Ouvre le journal d’Oran. Acte routinier. Quasiment tous les matins. J’aime la sobriété de ce quotidien. Ni chaud ni froid. Entre deux gris médians. Mouvement de recul lorsque je lis en page 5 : « Mort de Banisadr, premier président de la République islamique d’Iran. » La photo montre un vieil homme amoindri. C’est bien lui. C’est Abolhassan Banisadr. Comment ne pas le reconnaître. Les quatre décennies, marches temporelles du temps, ne l’ont en apparence qu’à peine effleuré. Je demeure pensif un long moment. Puis je lis l’article (non signé) dans sa totalité. « Abolhassan Banisadr est mort samedi dans un hôpital parisien à l’âge de 88 ans, après avoir passé une grande partie de sa vie en France où il s’était exilé après sa destitution en 1981. » Je précise « il était déjà en France avant 1981 ». Je l’atteste. Le temps a passé, mais je m’en souviens comme d’un fait d’aujourd’hui.

1978. Nous étions jeunes et la fleur au bout du fictif fusil ou entre les dents. Du moins nous nous voyions ainsi. Étudiant en fin de course était mon statut. « Vincennes « wa ma adraka Vincennes ». Plus gauchiste (tendresse) tu meurs. Elle était en sursis. Une communauté, un monde, un univers à raconter. Pas aujourd’hui. Nous brassions dans la sociologie, la philosophie, le cinéma, etc. Dans les salles, dans les amphis, dans les espaces publics (ainsi en mezzanine dans Beaubourg avec Madeleine Ribeiroux quelques mois après son inauguration).

Mais à côté de cela il y avait la lutte, le PRS, Krim, Rachid, Omar, Azzeddine, le Celda (que nous avions monté dans une AG) « Comité pour les libertés démocratiques en Algérie » autour du PRS, déjà ! Les réunions à la fac, mais aussi dans les cafés, ah le Zeyer ! (Paris 14°, métro Alésia), rue Raymond Losserand chez l’imprimeur (Azzeddine ?), etc.

Les jours de Boumediène étaient comptés et le 4° Congrès du désormais honni FLN pour bientôt. Mais aussi les luttes de soutien au peuple iranien qui s’était soulevé contre le plus grand ami de l’occident, Pahlavi, le diabolique Shah d’Iran. Nous étions tous contre lui et par conséquent pour son grand opposant, l’imam Khomeiny dont l’aura doublait chaque jour. Le « nous » renvoie à la gauche. Toute la gauche, des trotskystes de Krivine (mes proches, j’ai même habité trois ans plus tôt dans sa famille, dans la rue B. qui se déroule au pied du Moulin rouge !) au Parti socialiste (la droite de la gauche), à LO, au PSU et jusqu’au PCF sorti du stalinisme et de la dictature du prolétariat en 76, mais que nous ne supportions pas du tout (le PCF attaquerait au bulldozer un foyer d’immigrés à Vitry-sur-Seine !)…

Le journal Libération qui paraissait « quand il le pouvait » était notre phare. Merci à vous de ne faire aucun parallèle entre le journal de Sartre, le nôtre, avec le journal du milliardaire Rotschild puis Drahi d’aujourd’hui. Libération est devenu un journal pour petits bourgeois bohèmes. Sartre se retourne, à raison, dans sa tombe à chaque fois que le titre qu’il a créé est nommé et j’en aurais fait autant. Je dis « le nôtre » car Libé était bien celui de ses lecteurs (dès la première année, précisément le lundi 17 décembre le journal titrait « l’existence de Libé prise en main par ses lecteurs » !) Il m’arrivait fréquemment d’aller donner un coup de main aux pigistes et clavistes du 27 rue de Lorraine (derrière Félix Potin !) d’assister aux réunions du Comité de rédaction et même de faire passer quelques lignes dans le journal et surtout de le vendre (1 franc 60) lors de grandes manifestations à République, Bastille, Nation… Libération c’était notre famille. Il donnait le la, le ton. Alors, lorsqu’il fonçait contre le Shah on ne se privait pas. Tête baissée.

C’est ainsi que j’eus cette idée un peu folle de me rendre à Neauphle-le-Château (dans le 78) lorsque j’ai appris que Khomeiny, le plus grand opposant au tyran, s’y trouvait, hébergé par un Iranien qui possédait une maison dans le petit village (Marguerite Duras habitait depuis deux décennies à quelques centaines de mètres de là près du parc, mais Marguerite n’a rien à faire dans ce texte). L’imam Khomeiny était arrivé d’Irak 22 jours auparavant. Je ne peux pas passer ce qui suit sous silence. Lorsque le Shah d’Iran, Mohammad Reza Chah Pahlavi et sa compagne la Shahbanou, « l’impératrice Farah », fuiraient vers l’Égypte de Sadate le 16 janvier 1979, notre cher Libé titrerait : « Émigration : Mohamed Rêza prend sa valise »

Khomeiny a mis fin a 25 siècles de monarchie. Et un camarade de l’OCI me dirait (pas très à propos) « les dés sont pipés, c’est Chadli qui a été tiré du chapeau ».

Maintenant je reviens à ce fameux jour – c’était le jeudi 2 novembre 1978 – où j’avais décidé de « monter à Neauphle » à la rencontre de Khomeiny. Monter à Neauphle comme on monte le Damavand. Mon idée je l’avais bien préparée.

C’était un jour brumeux avec une pluie, fine. Il ne faisait pas trop froid (le 7 janvier prochain, il ferait moins 13 à Paris), mais nous étions en novembre. J’ai préparé mon sac en bandoulière et ma moto, une Yamaha FT1 rouge et blanche. Elle avait de l’allure malgré ses dix ans d’âge. Je n’irai pas à la fac. J’ai pris la route peu avant treize heures. J’habitais dans le 17° arrondissement de Paris, boulevard Malesherbes (oui, oui… une « chambre de bonne »). Malesherbes est souvent calme. Voici le trajet, dans l’ordre : ave de Wagram, Arc de Triomphe, Trocadéro, Parc des Princes, Boulogne B., Sèvres, Versailles, Saint-Cyr, Plaisir, Neauphle le Château. Une heure 45. C’était une 50 cm3.

J’arrive à 14h30. Sur une grande place, je vois un café animé (« café des sports » ? de mémoire, j’ai oublié de noter) je rentre, m’installe au comptoir sur un tabouret au cuir bien élimé. « Un noir s’il vous plaît ». J’ai l’air d’un plongeur en eaux troubles avec mon étrange tenue grise et mon casque avec visière. Deux types me saluent. On échange. Ils sont aguerris. L’un est envoyé spécial de Reuters, l’autre de l’Agence centrale de presse. « Et toi ? » Moi je fais ce que je peux. Je navigue à vue.

Les vieux routards m’indiquent les ruelles à éviter, celles à prendre. « Tu descends la Grande rue jusqu’au carrefour, puis tu prends deux fois à gauche, la rue de Chevreuse. Tu vas au 23. Tu reconnaîtras, il y a du monde. » La porte de la villa est largement ouverte. Je traverse une partie du jardin, celle qui mène directement à la maison. Au bas de l’escalier, des hommes sont assis sur des transats rouges. Autour d’eux d’autres hommes discutent. Je ne saisis aucun terme. Je demande à celui qui se tourne vers moi, « Khomeiny est là ? » Je traduis par les gestes qu’il fait, le doigt pointé ver la porte de la maison et le hochement de tête que oui il est là. Je monte la quinzaine de marches du perron jusqu’à la plateforme de la maison. La porte est fermée. Je toc. Une fois, deux. On ouvre. J’explique au jeune qui se présente. Je dis « journaliste ». Je reprends, avec l’accent que je suppose londonien, je dis « Journalist ». « Oh ya… » Le jeune se retourne, disparaît quelques minutes. 

Je pousse la porte et me voilà dans une très grande pièce aux murs partiellement enjolivés de papiers peints fleuris. Quatre douzaines d’hommes assis sur des chaises pour quelques-uns, agenouillés ou en tailleur sur un immense tapis à dominante rouge que seul un connaisseur certifierait iranien ou non. Ils sont habillés pour certain en costumes-cravates, d’autres, moins nombreux, portent des turbans noirs, sont couverts d’une sorte de bure, ou robe de Mollah.

À l’écart un tout petit groupe papote. Khomeiny est au centre, tout de noir vêtu. Si eux sont assis sur le grand tapis rouge, lui a les jambes croisées sur une sorte de matelas recouvert d’une couverture carrelée. J’ai pensé « peut-être est-ce là qu’il dort. »Il semble absent. Il écoute ses voisins, la main posée sur sa longue barbe blanche. J’apprendrais que ce sont ses plus proches fidèles, ses gardes du corps, son secrétaire. Je reconnais Banisadr à l’extrémité. Il est grand, plus âgé, la quarantaine bien engagée. J’en avais vingt de moins. Le jeune qui m’a accueilli murmure à l’oreille de Banisadr. Il se lève, s’approche vers la sortie où je me trouve. L’imam Khomeiny a levé un œil vers nous et posé sa main droite à hauteur du front. Puis il a repris sa pose initiale, les mains jointes sur le buste. Banisadr porte un costume gris à carreaux, deux boutons, sans cravate.

De grosses lunettes à écailles marron. Cheveux et fine moustache noirs. Le jeune homme est surpris de me voir à l’intérieur. Il me montre du doigt. Banisadr me tend la main. Il demande: « De la part de quel journal venez-vous ? et ajoute aussitôt « vous êtes latino ? »

J’y suis allé au bluff un peu. Je dis en souriant « je ne suis pas latino. Je suis ici pour PRS-info. » Ce n’est pas la première fois qu’on me prend pour un latino. Les cheveux probablement. Il est vrai que je vivotais autour du PRS et de quelque « Comité de base » estudiantin, mais je n’avais rien de l’envoyé spécial de PRS-information ou d’El Jarida.

Ils ne m’auraient pas laissé passer.  « C’est quoi ? » Je précise « Parti de la révolution socialiste ». J’ajoute « opposition algérienne. » Puis immédiatement « Je souhaite vous poser quelques questions », « oui ? » À ce moment-là, je sortis de mon sac le carnet à spirale sur lequel j’avais porté les questions. Il m’a semblé fébrile. Le jeune a disparu. « Quelles perspectives envisagez-vous pour les minorités politiques, religieuses, ethniques, culturelles… » Vaste programme ! Il a mis ses deux mains entre nous comme pour dire « doucement, doucement », puis il m’a coupé en posant sa main droite sur mon épaule. « Écoutez, là je suis très pris, je vous donne mon numéro de téléphone : 665.89.54, appelez-moi, nous fixerons ensemble un meilleur moment pour un entretien. Rappelez-moi votre nom ? » Je le lui ai donné et j’ai noté son numéro. « Je vous appelle ». J’étais déçu, mais content aussi. 

Je n’ai pas eu le temps de préparer notre entretien, peut-être pas le courage. À quel journal l’aurais-je envoyé ? Trois mois plus tard, le premier février 1979, il s’envolait pour l’Iran avec l’imam Khomeiny. Lorsqu’ils atterrirent à l’aéroport de Téhéran, ce sont des millions d’Iraniens qui les acclamaient. Voici le contenu d’une dépêche de l’AFP datée 1° février 1979 : « Des millions et des millions d’Iraniens, visages épanouis, massés sur trente-deux kilomètres, ont fait le 1er février un accueil triomphal à « l’Exilé », l’ayatollah Khomeiny, dont la voiture a été engloutie pendant des heures dans une marée humaine en délire. À peine sorti de l’aéroport de Téhéran, où son avion s’était posé à 09H00 locales, l’ayatollah Khomeiny, visiblement ému mais serein, a été emporté par des millions de fidèles. »

Banisadr sera le premier président de la République islamique. Élu le 25 janvier 1980. Destitué par le Parlement en juin 1981. Il revient en France qu’il connaît depuis le début des années 60 et où il a étudié. Il résidera à Versailles. Abolhassan Banisadr est mort ce samedi 9 octobre 2021, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13°) « à la suite d’une longue maladie ». Il avait 88 ans.

Ahmed Hanifi, 

Marseille le 10 octobre 2021

L’écriture pour neutraliser le monde réel

-LIBERTÉ _ jeudi 30 septembre 2021

Par :  Ahmed HANAFI
Écrivain

Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner.

Peut-on parler de littérature sans parler de l’acte d’écrire ? Non. Alors, qu’est-ce qu’“écrire” et pourquoi écrit-on ? “Il me faut écrire comme il me faut nager, parce que mon corps l’exige”, écrivait Albert Camus (Carnets I/Folio). Par nécessité en quelque sorte, pourquoi pas ? Mais aussi écrire pour le plaisir d’admirer en fin de course l’échafaudage de signes constitué, ou celui de le donner à lire. Ou pour transmettre. Les raisons sont nombreuses. Sartre s’interrogeait : “Pourquoi écrire ? Chacun a ses raisons. Pour celui-ci, l’art est une fuite ; pour celui-là, un moyen de conquérir.” (in Qu’est-ce que la littérature ?/Gallimard) Philip Roth a répondu à la question Pourquoi écrire en 635 pages (Folio). Écrire pour domestiquer la solitude peut-être. Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner. Écrire, c’est régler son compte au destin. Écrire, c’est donner une suite au premier cri d’horreur que l’on a éprouvé à l’origine en découvrant le monde à zéro heure. Mais comment tout “cela” commence ? Il y a bien une petite musique à la source, une émotion, quelque chose qui nous extrait de notre monotonie, qui nous happe.
Alors qu’assis à une terrasse de café nous observons les passants, les monuments…, alors que nous voyageons dans un autocar ou dans un train et qu’à travers la vitre nous admirons le paysage estival ou printanier, alors que nous nous promenons autour du lac de La Maix dans les Vosges, que nous progressons simplement sur la cime du mont de La Clusaz, avançons à la tombée du jour sur la plus haute des dunes de Béni-Abbès ou, qu’effrayés, nous observons un ours repu se dandiner sans grâce sur le bas-côté d’une route du Yukon du côté de Whitehorse…, une émotion fugace, une petite musique, l’ombre d’une bribe de vers, la fulgurance d’une idée de phrase ou de texte surgit, nous presse. Et “cela” émerge. “Des mouvements indéfinissables qui sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir.” (Nathalie Sarraute/ Tropismes)
Peu à peu l’indicible se transforme, mue. Aussitôt, au crayon à mine ou au stylo bille, nous alignons les mots sur un bout de feuille, prêt à les accueillir. À d’autres moments, dans d’autres circonstances, d’autres idées, d’autres lignes s’imposeront à nous. Dans nos calepins à spirales ou sur une feuille volante, les mots, les phrases, s’encrent. Et s’ancrent. Ils s’amoncellent. Les pages foisonnent de toutes sortes d’idées, de textes. Les marges se voilent puis disparaissent. Emportés par notre enthousiasme ou notre scepticisme, des nuits, des semaines, des mois durant, nous ne nous soucions pas des espaces blancs des pages qui se rétrécissent, pour céder plus de place à un univers que nous croyions disparu. Un univers disparu, renfloué, ranimé par la force des mots ou un monde délibérément inventé, mais – nécessairement – construit de bout en bout avec des matériaux épars de ce qui nous fait, de notre propre histoire. Nous continuons, nous ajoutons, nous rayons, nous modifions. Puis un jour nous marquons un arrêt pour nous interroger : “Le moment n’est-il pas venu de partager, de donner à lire nos respirations, nos émotions, nos rencontres, nos futilités, nos rythmes intérieurs ?”

Pourquoi je ne voterai pas.

Pourquoi je ne voterai pas. 

Les Algériens sont convoqués pour élire la nouvelle Assemblée nationale. La date du vote a été arrêtée au samedi 12 juin prochain. Dans dix-huit jours.

Le vote est un droit constitutionnel. Il n’est pas une obligation. Voter ou ne pas voter est un choix personnel, individuel. Il n’est pas criminel ou délictueux de voter ni de s’abstenir, ni de boycotter.

Il est nécessaire avant de poursuivre de donner un sens à ce terme de « voter ». Le dictionnaire dit que voter c’est « exprimer son opinion, son choix par un vote ». Et celui-ci, « vote », que signifie-t-il ? Là encore le dictionnaire précise : « le vote est l’acte par lequel un citoyen participe, en se prononçant dans un sens déterminé, au choix de ses représentants… ». Nombre de citoyens algériens votent depuis la nuit des temps et jamais (quasiment jamais) les « élus » hameçonnés on ne sait comment n’ont reflété leur choix, pour la simple raison que des maillons qui forment la chaîne qui relie l’acte de voter à son résultat, manquent, et d’autres sont falsifiés, les urnes bourrées, voire remplacées. Il n’y a pas de transparence, les citoyens ne sont pas associés au contrôle de ladite chaîne ou de manière très secondaire, artificielle sur quelques maillons. Ces « élus » ne pouvaient ni ne désiraient apporter des réponses satisfaisantes aux attentes des citoyens.

Pour illustrer mon propos, je vous livre une expérience que j’ai personnellement expérimentée dans une autre vie, il y a trente ans. Je me souviens de cette longue nuit du jeudi 26 décembre 1991 que j’ai passée dans cette salle de la daïra à attendre avec d’autres qu’on daigne nous annoncer les résultats de l’élection législative. J’étais candidat aux premières élections législatives « libres et honnêtes » du pays. Nous y avons cru. Nous avons participé au comptage des bulletins, à l’élaboration du procès-verbal de notre bureau de vote, à suivre autant que possible tous ces gens sûrs d’eux qui allaient, venaient, entraient dans la salle, sortaient (avec pour certains des Talkies-Walkies), qui entraient de nouveau… Nous avons fait ce que nous pouvions. J’ai lutté contre l’insomnie jusqu’à 5 heures du vendredi levant. Nous n’étions plus qu’une poignée de personnes éreintées à attendre les résultats définitifs de la région, au sein même de la daïra d’Arzew. J’ai abandonné au petit matin, complètement épuisé. C’est (aussi) ce moment que choisirent les prestidigitateurs bonneteurs pour entrer en scène. On peut aisément imaginer la production à l’identique de ces machinations dans les autres circonscriptions du pays.

Les résultats annoncés étaient biaisés par l’immixtion renouvelée de l’administration malgré une très forte abstention. Près de la moitié des Algériens ne se sont pas déplacés, découragés par l’atmosphère électrique qui pesait sur le pays. Cette atmosphère arrangeait les affaires du pouvoir qui avait perdu sur toute la ligne. Quelques jours plus tard, dans le bureau-laboratoire du ministre de l’Intérieur était créé le Cnsa, un « Comité de sauvegarde de l’Algérie » sous la houlette de H’Mida et de quelques généraux (Nezzar…) affolés par le résultat des urnes. Il leur fallait briser le processus démocratique en cours, et revenir au statu quo ante. Cnsa auquel ont spontanément adhéré la direction de l’Ugta et deux petits partis sans véritable ancrage dans le pays réel, mais pas l’écrasante majorité des Algériens qui répondront (plusieurs centaines de milliers décidés) à l’appel lancé par Hocine Aït-Ahmed pour une marche nationale le 2 janvier contre un état policier et contre l’intégrisme islamiste. Le mal était fait, et le coup d’État qui suivrait le 12 janvier donnera le feu vert à toutes les terreurs. J’y reviendrai un jour…

Avant cette élection de décembre 1991, j’avais très peu voté, et je n’ai plus jamais revoté depuis. J’ai eu raison. Les résultats des consultations qui ont suivi furent tous à des degrés divers tronqués, falsifiés, grâce notamment à l’administration qui ne pouvait qu’appliquer les ordres émanant de hauts dignitaires, de hauts responsables civils ou non. H’Mida était partout. Je me suis promis alors que tant qu’il jouera (alors qu’il est aussi l’arbitre, le croupier, le débiteur, le créditeur, le bonneteur et le baron), je ne voterai pas. Je déteste les jeux malsains de H’Mida, son bonneteau. 

Le bonneteau continue aujourd’hui encore. Comment voter alors que les visages d’une partie importante des candidats sont « effacés » ? avec la bénédiction du Pouvoir et de l’ANIE évidemment (Agence de préparation des élections). Cette ANIE est un des Va-tout de la Nouvelle Algérie, elle n’est qu’un artifice parmi d’autres qui ne changera rien à rien. Une simple interrogation à propos de son président nous renseigne froidement sur sa non-neutralité : savez-vous qui est son président ? connaissez-vous son itinéraire, son combat pour (plutôt contre) les libertés ? connaissez-vous son CV, ses années bien remplies à satisfaire le Pouvoir d’avant le Hirak ? vous êtes-vous interrogés sur cette énigmatique petite mouche plantée sur son front, cette hyperkératose, cette verrue ? l’a-t-il déclarée halal comme pour sa Constitution ? Cette fâcheuse tâche n’est rien d’autre qu’un marqueur clair, noir en l’occurrence, ténébreux, à qui veut voir.

Aujourd’hui, des chaînes de télévision par dizaines diffusent un même et unique message au profit du pouvoir en place. Elles sont squattées par un discours univoque porté par des politiques et aussi par quelques responsables militaires. Ces médias, ces politiques peuvent demain nous épingler pour le simple fait d’écrire notre opinion.

Est-on en démocratie lorsque des médias privés sont jugulés par le chantage à la publicité… Est-ce cela la démocratie ou n’est-ce que le fait du prince ? 

La démocratie autorise-t-elle de surveiller l’Internet, d’en réduire le débit ou même le couper des heures durant, punissant délibérément et par la même tous les utilisateurs ? Cela relève-t-il de la démocratie ? 1984 a été écrit en 1948 et les maîtres censeurs algériens en sont encore à débattre de la taille des ciseaux et des caméras de surveillance. Nous constatons tristement que nous sommes bien en 1984. Les Grands Frères n’ont jamais manqué. Aujourd’hui, au-delà des banalités, l’on ne s’exprime presque plus sur les réseaux sociaux domiciliés en Algérie. Facebook est asséché, alors qu’il y a deux ans c’était un bouillon. LGF veillent.

Emprisonner à tour de bras de simples manifestants (parfois mineurs), museler des journalistes pour accomplissement de leur devoir d’informer, étouffer les rares médias libres (Radio M. tolérée jusque-là y compris par la précédente et exécrable Issaba), interdire de parole des chefs de partis politiques n’est-ce pas là le fait du prince ? Priver de liberté pour le simple fait d’expression d’opinion 168 citoyens algériens est-ce cela la démocratie ? (Comité national pour la libération des détenus, au 24 mai 2021), interdire toute expression opposée au discours officiel est-ce cela la démocratie ? Peut-on parler de démocratie lorsque la presse est soumise à pression et au chantage ? Lorsque la justice est actionnée par téléphone ? Lorsque la séparation réelle des pouvoirs est une fiction ?

Certainement pas, non certainement pas. C’est pourquoi je ne voterai pas. Les gens sont libres de boycotter ou voter. Les empêcher de voter est une erreur et un acte certes répréhensible et je le comprends. Mais les empêcher de boycotter (et utiliser leur nom sur les listings à des fins de falsifications de leur décision) est un délit tout autant sinon plus répréhensible. Criminaliser un appel au boycottage comme celui-ci (le mien) et interdire (par simples appels téléphoniques) aux médias publics et privés d’ouvrir leurs pages aux adversaires du pouvoir est un abus primaire qui ne résistera pas au temps. 

Les millions d’Algériens qui sont descendus dans les rues, boulevards, places d’Algérie pour crier des mois durant et de toutes leurs forces « Etnahaw Gaâ » à la face des dirigeants responsables comme leurs devanciers, à des degrés divers, de la grave crise multidimensionnelle dont les effets les enserrent depuis des décennies, même s’ils sont en retrait aujourd’hui (à cause des risques réels d’emprisonnement et d’atteintes multiples à leurs droits fondamentaux) ces millions d’Algériens ne se satisferont certainement pas de ce énième cirque, de cet énième ravalement de façade. Carnaval fi dechra. Les Algériens ne se contenteront pas du saupoudrage ou chirurgie plastique, renouvelés. Leur faire la morale, ou le chantage est puéril et vain. 

Les Algériens savent que les conditions ne sont pas réunies pour aller voter paisiblement, parce que les médias ne sont pas libres de proposer des débats dignes de ce nom, autour de réels programmes politiques divers. Comme c’est le cas hélas depuis de nombreuses années. C’est pourquoi, massivement, ils ont boycotté et l’élection présidentielle de décembre 2019 (taux officiel de participation : 39,88%) et le référendum constitutionnel de novembre 2020 (taux officiel de participation : 23,14%). Le pouvoir a-t-il entendu ces boycotts magistraux ? Non. Il n’en fait qu’à sa guise. Les Algériens savent que les législatures passées n’ont apporté que malheur aux plus démunis et aux classes moyennes, alors une de plus…

On nous rétorquera « oui, mais si vous ne votez pas, les islamistes et patati… les Kabyles, les laïcs-koffars et patata… ». Là encore cela ne marche pas, ne prendra pas, pour la simple raison que « les islamistes » et autres catégories fustigées sont mobilisés comme variante d’ajustement que les tenants du pouvoir réel règlent au gré de leurs besoins, des circonstances et des rapports de force.

Lorsqu’un ministre, un haut dignitaire du régime ou responsable de parti objectivement allié s’autorise à excommunier de la Communauté nationale des Algériens pour croyances non conformes, lorsqu’il stigmatise une catégorie d’Algériens parce qu’ils sont francophones, lorsqu’il propose de déchoir des Algériens de leur nationalité algérienne, car ils en ont une autre, lorsque d’aucuns appellent au lynchage d’un chercheur, d’un intellectuel ou de femmes isolées…Ils le font, car ils considèrent à juste titre disposer de l’aval ou de la complicité muette, tacite, froide, du Pouvoir. Les yeux des marcheurs de la Silmiya sont désormais grands ouverts.

Je n’irai pas voter parce que la transparence est absente, interdite. Parce que les urnes qui sont translucides avant 20 heures pour les caméras, sont strictement surveillées au-delà, les approcher est interdit après minuit jusqu’à l’aube. Parce que les jeux (d’une certaine manière) seront faits la nuit juste avant l’aube naissante sous le grincement de chauves-souris grisées et aveugles, en l’absence des journalistes libres, du peuple et d’organismes non gouvernementaux. 

Les subterfuges sont gras et gros. Ils ne tromperont que leurs propres auteurs. Ce régime agonisant a épuisé — presque — toutes ses potentialités. Internationalement il n’est plus crédible non plus. Ma petite-fille dirait « il est cuit ». Quant aux Assemblées à venir, ses propres Assemblées, elles creuseront les mêmes sillons sur des terres incultes, asséchées par les Assemblées qui les ont précédées (les slogans portés par les affiches électorales actuellement en circulation sont une preuve s’il en fallait du peu de crédit et du peu de sérieux à leur accorder). Les futures Assemblées, forcément illégitimes, n’auront plus les moyens de leurs fantasmes, elles donneront à ce régime à bout de souffle et bien malgré elles, par tiers interposés, le coup de grâce. On ne pourra creuser plus profond. Et puis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le Hirak reviendra toujours pacifique, silmiya, plus insoumis que jamais, plus aguerri, plus puissant, plus confiant et plus encouragé (oui, oui) par ceux-là mêmes qui le répriment et par leurs soutiens, majoritairement opportunistes. Instruit par son expérience — qui ne se résume pas à la marche d’un point à un autre —, le Hirak (forcé de marquer le pas à cause de la brutalité inouïe de la répression), reviendra. C’est un mouvement effervescent d’idées, de projets, de fraternité, dont le pays et le peuple confondus ne peuvent se passer. Exercer son droit de voter alors qu’autour de soi la répression, la persécution, l’oppression, les arrestations rythment le quotidien jusqu’aux portes des lieux de vote est absurde. Le boycottage est ma réponse à ce cirque.

Enfin et pour clore, je citerai nos deux célèbres, talentueux et lucides écrivains. 

Le premier : « Le Hirak est aujourd’hui admiré dans le monde entier. Mais je suis aussi très inquiet, le peuple n’a pas réalisé son but, l’indépendance, tant s’en faut et le voilà désemparé au milieu du gué, ne pouvant ni avancer ni reculer, sachant qu’il sera mitraillé s’il avance et qu’il sera écrasé s’il recule… J’espère que nous n’allons pas vivre une nouvelle décennie noire. » Boualem Sansal – (entretien in Liberté 23 mai 2021). 

Le second, qui ne croyait pas si bien anticiper : « La nature de l’État algérien reste donc la même : soumis à l’équation de l’occultation, à la théorie de la régence avec des centres de décision collégiaux, à la formule de démocratie contrôlée ou en sursis perpétuel. Le général est donc mis à la retraite, mais cela ne change pas beaucoup de choses pour le moment. Cela ne change pas une nature qui revient au galop. On reste sceptique, marqué, indifférent. » Chronique du 16.09.2015 de Kamel Daoud in Mes indépendances. Ed Barzakh. Ah, cette « satanée nature du pouvoir » qui pend à la gorge alors même qu’on l’avait remisée !  

Après notre perspicace auteur, je répète et précise « en 2021, la nature de l’État algérien reste la même ». Comme en 2015. La même. Ce qui était avant-hier et hier est aujourd’hui. Et H’Mida est toujours au cœur du jeu, cartes en main — même s’il a fichtrement vieilli — sans aucun signe de bonne volonté adressé au Hirak, bien au contraire. De « béni » le Hirak est à son goût devenu « ennemi ». Alors pourquoi voter ? Tant que ce bonneteur jouera, je ne voterai pas. Je suis prêt à parier (je déteste les jeux) que le 13 juin au matin, sans même jeter un œil à l’écran du ministère de l’intérieur, H’Mida et ses larrons crieront victoire, puis ils redistribueront cartes et strapontins pour sauver coûte que coûte le Système quelques temps encore. Dans ce clair-obscur gramscien finissant, les monstres n’ont qu’à bien se tenir, car le divorce entre le peuple — le Hirak — et le pouvoir tel qu’il est a été prononcé avec majesté, le 22 février 2019.

Décidément, je déteste le bonneteau. Voilà pourquoi je n’irai pas voter. Je déteste le bonneteau. 

Ahmed Hanifi,

Auteur

Mercredi 26 mai 2021


Que Diable les emporte !

Je suis en colère.

À l’origine de ce post, un certain nombre d’écrits insupportables parmi lesquels celui-ci : « Si Facebook — créé par un Juif — n’existait pas, comment feraient les Arabes pour défendre les Palestiniens ». Son auteur est un abruti, un ignorant, ai-je spontanément pensé. Il y en a eu d’autres de la même veine. Un ramassis de bêtises aveugles insultant les Palestiniens, dénonçant ou raillant le soutien des Algériens « encrassés dans l’arabité » ou « attardés dans leur islamité » ou d’autres insanités du même genre. « Les Juifs, eux se battent contre l’islamisme », « Hamas ce sont des terroristes, islamistes », etc. Et le jour de l’aïd ils évitent de se brancher sur les réseaux sociaux, pour n’avoir rien à souhaiter. Probablement victimes, mais sérieusement complexés, refoulés maladifs et schizophrènes. Je précise ici que je n’ai pas pour habitude ce type d’écrit rugueux, mais je suis en colère. Une colère maîtrisée néanmoins.

Comment ne pas l’être ?

Ma morale, mes principes et mes valeurs exigent de moi que j’agisse également quelles que soient les circonstances. Ils m’interdisent de moduler mes actions contre l’injustice selon la couleur de peau des Hommes (hommes et femmes), selon leurs croyances, leurs idéologies, leurs cultures etc. Lorsqu’un homme est volé ma conscience (ma morale et mes principes) m’ordonne de dénoncer (de condamner) le voleur. Lorsqu’un homme est spolié ma conscience m’interpelle, lorsqu’un homme est violenté, racisé, stigmatisé, pareillement. Sans autre circonvolution. Condamner un vol, une spoliation, un viol selon l’appréciation que j’ai de l’origine de l’homme spolié, volé, violenté (ses appartenances, son idéologie…) et non selon l’acte qu’il a subi, qui l’a dégradé, cela s’appelle ségréger. Ce comportement, ces attitudes révèleraient que notre morale est tâchée, sombre, que nos principes relèvent de l’opportunisme, de l’aveuglement, du calcul.

Si on approuve le combat pour la liberté et la dignité mené par Nelson Mandela, Larbi Ben M’Hidi, Ho Chi Minh, Salvador Allende…, le combat mené par les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique… pour se déchaîner, on ne peut faire l’impasse sur celui que mène depuis trois générations, depuis la Grande Naqba le peuple palestinien pour sa survie, le combat de Yasser Arafat, de Marwane Barghouti, ou Ahed Tamimi contre la colonisation israélienne, contre l’Apartheid de l’État Juif. Faire de ce combat de libération une guerre de religion ou « un conflit aux torts partagés » est bête, ridicule et pire encore, c’est s’approprier le discours des colons israéliens et des médias occidentaux très majoritairement sionistes ou pro-sionistes, et très profondément marqués au fer de la culpabilité depuis l’holocauste, leur propriété. Faire de ce combat une guerre de religion est intellectuellement malhonnête. Lire à longueur de pages le rejet de la résistance palestinienne parce qu’elle n’est pas kabyle, ou parce qu’elle n’est pas algérienne ou que sais-je, est navrant, triste. Triste particulièrement pour les auteurs de ces lignes imbéciles remplies de haine évoquées en début de mon texte. Écrits puérils, mais dangereux d’auteurs inconséquents. Je pleure l’école algérienne et ses ravages — et en veux à mort aux responsables (c’est une formule SVP). Ces gens déversent leur haine contre d’autres pour le simple fait qu’ils sont ou qu’ils se disent Arabes, parce qu’ils sont Kabyles, ou parce qu’ils soutiennent la cause palestinienne. 

Et pour notre malheur, les grands bénéficiaires de ce gâchis, de cette gadoue, ce sont justement tous ceux qui, aux commandes à divers niveaux de responsabilité du pays depuis l’indépendance n’ont eu de cesse d’attiser les brasiers, d’allumer le feu, de le maintenir, pourvu que leurs pouvoirs, leurs intérêts gras et primaires, directs ou indirects, demeurent intacts. Tous ces satrapes ou assimilés ont inoculé dans le cœur de nombre d’Algériens le venin de la discorde, de la haine, de l’ignorance, et acculé d’autres à la dérive, vers une identité immaculée niant l’altérité. À d’autres enfin ils ont enlevé tout espoir de vivre, ou de retourner vivre, dignement dans leur pays. 

Que vive et aboutisse le Hirak pour qu’émerge une Algérie libre et démocratique respectueuse de tous, pour sauver les futures générations d’Algériens. Quant aux responsables de cette situation, quel que soit le degré de leurs responsabilités, que Diable les emporte tous avec lui dans ses geôles éternelles ! (SVP, ce n’est là encore que procédé langagier)

Et Aïd mabrouk à tous.

Ahmed Hanifi, jeudi 13 mai 2021 

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Réactions à la suite d’un article (Ali-Yahia – Benchicou etc.)

Hier, vendredi 30 avril, j’ai posté sur mon fil d’actualité (ma page), sur Facebook, ce court texte (accompagné d’une image) en réaction à  la lecture d’un article de presse que j’ai trouvé « culotté ». Il n’a pas laissé indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. Je vous propose deux groupes de réactions. Le premier est celui qui se trouve sur ma propre page FB, le second sur celle de la page « Chroniques algériennes » qui a repris mon post. Je ne suis pas allé chercher les réactions à la suite des 120 partages et même plus que cela, c’eut été fastidieux !

Les Algériens ont soif d’écouter, mais aussi sinon plus encore de dire, de s’exprimer. Ils veulent comprendre les années 90, « les années noires », « les années rouges », « les années de l’intégrisme islamiste », « les années du DRS »…, Les années de l’impensable.

Je me dois de préciser (telle est ma très ancienne et actuelle conviction) que le régime qui n’a pas accepté la défaite en décembre 91, a tout mis en œuvre pour stopper « le processus démocratique » alors en cours. Les islamistes n’étaient pas des saints, certes pas. Des islamistes ont violenté, tué. Mais il serait malhonnête de taire les exactions commises au nom du Pouvoir, directement (police, Ninjas, DRS…) ou indirectement (les milices, les « patriotes » et autres groupes paramilitaires (OJAL, OSSRA)…)

Les jeunes ont besoin de savoir la vérité. Cela est difficile car les médias étaient tenus, menacés, fermés, encadrés. Des hommes de la sécurité militaire fonctionnaient dans certaines rédactions. C’est un secret, s’il y en a, de Polichinelle. Il y avait des journalistes honnêtes, mais bâillonnés. Il y avait une Histoire, celle des Fax et télétex officiels, sur la base desquels on se devait d’écrire des « articles d’investigations » ( la journaliste zélée dite « S.T » par exemple en est le modèle parfait, les Algériens ne s’y trompaient pas qui l’appelaient « la colonelle »).  Et qui, dans la profession, ne connaissait pas Fawzi ? qui ne connaissait pas Hadj Zoubir ?

Cette histoire construite notamment par des médias proches du Pouvoir (par choix ou forcés),devra nécessairement être déconstruite, objectivement, pour qu’enfin jaillisse une autre histoire construite elle sur le socle de la Vérité. Donnons au temps son temps.

Les jeunes d’aujourd’hui qui réagissent (parfois maladroitement, durement, faussement) à certains articles, le font de bonne foi. Ils ont été nourri à L’Unique, à El Moudjahid et aux médias qui se définissaient dans les années 90 (et aujourd’hui) « Libres et indépendants ». Ils ne le furent jamais, ou précisément, dans certains domaines comme celui de la sécurité ils n’avaient qu’une seule directive. Ceux qui ont essayé de passer outre, furent balayés, bâillonnés, sommés de se contenter de chiens écrasés.

Il ne faut jamais oublier. Enfin, si j’ai un ivre à vous conseiller, ce serait celui-ci: « Être journaliste en Algérie » de Ghania Mouffok- Ed RSF, Paris 1996. (lire tout en fin de cette page, quelques extraits du livre de GM)

Voici mon texte:

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Le journal « Le Matin » (électronique), de Benchicou vient de publier — sans rougir — un hommage à Maître Ali-Yahia Abdennour. Quel culot, quel toupet !

Pourquoi j’écris « sans rougir » ? Parce qu’il y a quelques années, durant les années noires de tous les dangers, « Le Matin » a été le journal parmi les plus virulents à l’égard de feu Maître Ali-Yahia Abdennour, lui reprochant de défendre l’indéfendable. Jusqu’à l’invectiver et l’insulter, le traitant de suppôt, de complice des terroristes.

Maître Ali-Yahia Abdennour qui était avant tout un homme de Droit, ne faisait que défendre dans le respect du DROIT, les droits de l’homme, de tous les hommes, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, ne regardant ni la couleur de leur peau, ni leur compte en banque ni leur idéologie. Il les défendait tous. C’était un grand homme.

Aujourd’hui, Le Matin se comporte exactement comme ce très officiel représentant, Bouzid Lazhari, le président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) qui vient lui aussi rendre hommage à Maître Ali-Yahi Abdenour, au cimetière. Peut-être a-t-il même versé une larme de crocodile.  Ces individus dénigrent les droits de l’homme et leurs défenseurs, les emprisonnent même, et puis ils les encensent une fois morts. Sans rougir. Il faut dénoncer leurs agissements. ahmedhanifi.com

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Réactions sur ma page FB:

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Voici l’article repris sur « Chroniques algériennes » et la cascade de réactions qu’il a suscitée.

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POUR INFORMATION, VOICI LES OBLIGATIONS FAITES AUX JOURNALISTES ALGERIENS DANS LES ANNEES 1990 _

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Table des matières

Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

Dimanche 25 avril, 14h. Je viens d’apprendre la disparition de maître Ali-Yahia Abdenour. Il était un phare, un monument de lumière, un pionnier. Il était un guide essentiel, un maître. Le monde des libertés est orphelin. Nous sommes orphelins.Maître Ali-Yahia Abdenour a été de tous les combats pour les libertés humaines, pour les libertés fondamentales, pour la démocratie. Il a dédié sa vie à ces combats, pour que vive une Algérie libre et démocratique. Des pas importants ont été réalisés grâce au combat pour les droits fondamentaux, mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire.Cette photo a été prise lors du meeting que nous avons organisé (FFS Immigration) le 29 Septembre 1996 à Drancy « Pour la paix civile et la démocratie en Algérie » à l’occasion du 33° anniversaire de la création du FFS et intitulé « Quelle Algérie demain ? » avec notamment les interventions de Hocine Aït-Ahmed, Mohammed Harbi, Salima Ghezali, Louisa Hanoune, Maître Henri Leclerc, El Hadi Chalabi, Farid Aïssani, feu Hamida Bensada et bien sûr Maître Ali-Yahia Abdenour qui nous a toujours accompagnés.Je m’incline devant sa mémoire. Allah yarhmah. Ahmed Hanifi.

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Signature par maître Ali-Yahia Abdenour du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

Signature du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

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Un intellectuel condamné pour « offense à l’Islam »

À propos de la condamnation ce jeudi 22 avril de Saïd Djabelkhir.

Avant d’en venir aux faits, voici quelques éléments utiles. On peut lire ceci dans le préambule de la Constitution algérienne de 2019 : « Le peuple algérien exprime son attachement aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. » Or, cette Déclaration universelle énonce en son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Il est à noter que la Constitution algérienne reconnait l’inviolabilité de la liberté d’opinion (art.51), mais la réalité la met à mal chaque jour.  Ce même article 51 poursuit : « L’État assure la protection des lieux de cultes de toute influence politique ou idéologique. » Des lieux de cultes, mais manifestement pas ceux de justice.  Par contre nulle part dans cette même Constitution algérienne il n’est question de liberté de conscience, laquelle était clairement admise dans la précédente Constitution (1996), en son article 36  : « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Notre éventuelle naïveté doit passer son chemin. Les textes sont une chose, la réalité en est une autre. Les textes sont un gage de bonne volonté destiné à la Communauté internationale, particulièrement aux ONG.

J’en viens aux faits. À la suite d’une plainte déposée par un enseignant de l’Université de Sidi Bel-Abbès qui a préféré la facilité de la justice au débat intellectuel qui (ou car) nécessite un haut degré de connaissance en le domaine (pouvait-il s’y confronter ?), l’islamologue Saïd Djabelkhir a été condamné hier par le Tribunal de Sidi M’hammed à trois ans de prison ferme et à 50.000 DA pour « offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans ». Cette condamnation est politique, elle est un gage destiné aux esprits les moins ouverts sur la lumière, ceux-là même dont les idées, depuis des années, ont pénétré les plus hautes sphère du pouvoir réel et sa devanture, mais aussi infusent des pans entiers de la société déboussolée qui s’abreuve de plus en plus d’us et de codes en tous genres d’un autre âge.

La Justice garantit ou devrait garantir la liberté, elle n’est pas ou ne devrait pas être un obstacle à son expression naturelle. La Justice devrait garantir les Droits de l’homme et les libertés fondamentales. Cette condamnation est en même temps une mise en garde à l’endroit des hommes épris de liberté et de justice. Plus généralement elle est une preuve d’une inféodation au pouvoir politique de « L’Algérie nouvelle ». Car enfin l’objet en question ne relève pas du Tribunal, c’est une entorse à la loi et au bon sens. Ce qui est condamné c’est le questionnement, l’argumentation, c’est la recherche, c’est El Ilm, c’est l’université (déjà hautement très mal en point). Cette condamnation ouvre vers une pente dangereuse. « Le combat pour la liberté de conscience est non négociable » a déclaré Saïd Djabelkhir qui est prêt pour ces raisons à aller jusqu’en cassation si nécessaire. Rappelons que dans la foulée la Ligue algérienne de défense des Droits de l’homme (LADDH) a dénoncé « la criminalisation des idées, du débat et de la recherche académique pourtant garanties par la Constitution… » La lumière a besoin de nos bougies. Plus que jamais, l’intellectuel a besoin de notre solidarité. Le Hirak réagira-t-il aujourd’hui devant cette mascarade ?

J’écrivais récemment (Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril) en introduction à un article sur Ibn Rochd : « le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Je me demande à mon tour si nous n’avons pas pris le train vers ce funeste futur de l’inquisition, celui du 12° siècle. Reste à brûler les livres et la pensée. Il est urgent de se ressaisir, pour éviter le grand saut vers l’inconnu.

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Ajouté le: Vendredi 30 avril 2021

Lu ce jour sur la page Facebook de Ahmed Tazir

La condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir marque la dérive rigoriste de la justice algérienne ( Le Monde ) 

« Le chercheur a été condamné à trois ans de prison pour « offense à l’islam ». Des opposants y voient un gage donné par le pouvoir au camp islamiste.Pour l’islamologue et ses soutiens, c’est le procès de la liberté de conscience et d’expression. La condamnation de Saïd Djabelkhir en première instance à trois ans de prison par un tribunal d’Alger, le 22 avril, pour « offense aux préceptes de l’islam » symbolise les dérives de la justice algérienne, qui prend le parti de la vision la plus rigoriste de la religion musulmane.

Islamologue reconnu, spécialiste du soufisme, Saïd Djabelkhir, 56 ans, était poursuivi par un enseignant et six avocats pour avoir, entre autres, expliqué que certains rituels existaient avant l’islam, à l’image des pèlerinages, qui se pratiquaient dans un cadre païen. « C’est une première. Jamais un spécialiste, un universitaire n’avait été condamné pour avoir exprimé des idées qui relèvent de son domaine de compétence académique. Je suis choqué, je ne m’attendais pas à un verdict aussi dur », avoue le chercheur. Saïd Djabelkhir, qui mène un combat contre les prédicateurs salafistes, jusqu’à les défier sur leur terrain – les textes –, paie sans doute là des années d’abnégation.

« C’est choquant car il n’y a rien de condamnable dans ces écrits, qui sont les avis d’un islamologue », réagit Me Moumen Chadi, l’un de ses défenseurs. L’avocat dénonce la nocivité de l’article 144 bis 2 du code pénal sur l’offense aux préceptes de l’islam, qui a servi de base à la sentence. Un article de loi que Saïd Djabelkheir, fondateur du Cercle des lumières pour la pensée libre en Algérie, appelle à abolir depuis des années.

« Je connais cet article pour avoir travaillé sur beaucoup d’affaires de ce type. Il faut l’annuler purement et simplement. D’abord parce qu’il contredit la Constitution, qui garantit la liberté de culte et de croyance, et ensuite parce que le code pénal se doit d’être précis : un vol est un vol ; un viol est un viol. Or, cet article, avec ses formulations générales, fait qu’un juge peut l’interpréter comme il l’entend », soutient Moumen Chadi.

Fond de l’air vicié

Et l’interprétation peut être large, si l’on se fie aux arguments parfois rocambolesques qui ont été avancés par le camp opposé lors des plaidoiries. L’accusé répandrait ainsi « le mensonge », comme l’aurait fait l’école avec ses manuels scolaires : « Ils nous ont appris que nos pères étaient au marché et nos mères au jardin et, aujourd’hui, la femme a déserté la maison et traîne dans les rues », a déploré un des accusateurs… « Le plaignant dit que les écrits de son adversaire ont provoqué chez lui des problèmes psychologiques. Il doit aller voir un psychologue, pas un juge », rétorque pour sa part l’avocat Salah Dabouz, qui soutient l’islamologue.

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition » des universitaires, ancien combattants et écrivains, signataires d’une lettre ouverte

« Le tribunal n’est pas le lieu où l’on débat des religions. Il y a des lieux pour cela : les universités, les médias, les espaces culturels. Je ne connais pas les raisons qui ont conduit le tribunal à me condamner, mais je constate que le but des plaignants est de museler l’expression libre, d’intimider et de faire un exemple, estime Saïd Djabelkhir, aujourd’hui ciblé par une campagne de menaces de mort. On me dit : “On vous attend en prison pour vous régler votre compte” et que je ne suis plus en sécurité dehors. On me menace même à visage découvert. » Le fond de l’air est vicié, ajoute-t-il : « Nous assistons à un retour en force du salafisme en Algérie, dont le discours se répand dans les médias, dans la rue, sur les réseaux sociaux… »

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition, d’autant que certains attribuent au procès un caractère idéologique manifeste », dénoncent dans une lettre ouverte des universitaires, anciens combattants et écrivains. « Ce procès a entraîné la justice sur un terrain qui n’est pas le sien, dans la mesure où un tribunal n’a pas vocation à juger les idées philosophiques, scientifiques ou artistiques. »

« Crédulité des croyants »

Dans un pays où la justice est accusée d’être aux ordres, ce jugement ne serait pas dénué d’arrière-pensées alors que le pouvoir aborde une séquence politique périlleuse avec l’organisation d’élections législatives en juin, contestées par un mouvement de protestation persistant et boycottées par l’opposition proche des manifestants et par le bloc démocrate.

Privé d’assise politique depuis la quasi-disparition des anciens partis dits « présidentiels » qui, à l’image du Front de libération nationale (FLN), sont en état de mort cérébrale, le président, Abdelmadjid Tebboune, devrait s’appuyer sur une constellation de formations islamistes et populistes, appelées à peupler les travées de la future assemblée.

« Ces procédures [judiciaires] apparaissent et disparaissent comme par enchantement. A moins que (…) ceci ne résulte en réalité des petits calculs sans vision pour obtenir des appuis de circonstance de la part de groupuscules baptisés “partis politiques”, en surfant sur la crédulité des croyants pour cacher leur absence de représentativité, écrit Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Alger. Comment, dès lors, ne pas se demander aujourd’hui si la condamnation de Djabelkhir ne rentre pas dans ce type de manœuvre politique à la veille des élections du 12 juin, décidées par le pouvoir ? »

( Madjid Zerrouky pour Le Monde )

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La pénurie, de Fernand Raynaud à « L’Algérie nouvelle ».

Photo Cap Ouest 12 03 2021

Les vidéos montrant des Algériens se bousculant, les uns sur les autres (en pleine pandémie) pour se procurer un ou deux bidons d’huile de table provoque une grande tristesse. Et de la colère. Qu’ont fait ces hommes et ces femmes pour mériter cette situation complètement déchirante et grave à la fois ? Quel misérabilisme que ce montage, cette incompétence renouvelée chaque année à pareille période ? « Oui mais, disent les indulgents, cette pénurie est organisée par des circuits véreux, des commerçants sans foi ni loi, la dine la mella » mais est-ce possible que ces circuits puissent ainsi durer et se renouveler chaque mois de ramadan sans le consentement ou à minima le silence complice de l’administration ? Quel miroir faudrait-il tendre ou planter devant les responsables les plus hauts pour les faire rougir à défaut de pouvoir les éjecter (pacifiquement) ou les faire démissionner ? Et c’est autrement plus triste et navrant, que ces vidéos ont fait le tour de la planète Net et jusqu’au Japon selon un journal électronique. Elles ont entraîné des commentaires sarcastiques, voire méchants et des rires sardoniques. Qu’elle honte pour les responsables à tous les niveaux qui, par leur incompétence ou leur cynisme, laissent se reproduire le même phénomène à chaque arrivée de ramadan. Hier les pâtes, l’eau, aujourd’hui l’huile, et demain pourquoi pas le pain. Et à chaque fois c’est tout un peuple qui paie l’impéritie de « ceux d’en haut », érigée en système de gouvernance. Cette ubuesque histoire de pénurie d’huile que vivent les Algériens au 21° siècle, dans une « Algérie nouvelle », un pays riche et indépendant depuis près de 60 ans, m’a renvoyé à une autre histoire de pénurie, très ancienne. La même. 

Il était une fois à Oran… Nous étions dans un immense espace, le Palais des sports, archicomble : « on était 5000 spectateurs » noterais-je sur mon calepin de jeune à peine sorti de l’adolescence. C’est là, un soir d’octobre lors d’un grand spectacle que nous a été racontée, par un étranger, notre propre histoire d’huile. Une blague. C’était la fin des années 60. Nous avons eu droit en première partie au groupe de rock oranais The New Clark’s and the King. Le King d’Oran serait tué quelques mois plus tard à Marseille pour une raison que nous ne connaîtrions jamais. Après le groupe de rock est arrivée Bellinda une chanteuse franco-algérienne installée en France (Maria, La chambre vide). L’année précédente nous avions correspondu un temps, entre un admirateur esseulé et une artiste sur une piste de lancement (elle serait une étoile filante).

Il y eut aussi un spectacle de mode de la boutique Scarlett (ma mémoire hésite sur son emplacement rue Ben M’hidi ou Émir Abdelkader), un spectacle présenté par Leïla de la RTA (à l’époque il y avait pas moins de quatre Leïla entre la radio et la noire télévision). La malheureuse Leïla et son défilé ont été hués pendant de longues minutes. On s’était cru au Stade Municipal. La présentatrice ne méritait vraiment pas cette hostilité. Mais c’est que le public était impatient de voir et d’écouter la star de la soirée, Fernand Raynaud (aujourd’hui il est oublié, mais à l’époque c’était un grand humoriste, parmi les meilleurs). Fernand Raynaud était le clou de la soirée. Il aimait beaucoup l’Algérie, où il se rendait fréquemment. Je crois même qu’il avait un appartement à Alger où il aimait passer ses vacances en famille. Fernand Raynaud était « un ami du peuple algérien ».

La salle du Palais des sports avait plongé dans l’hilarité avant même qu’il eut ouvert la bouche. Sa dégaine suffisait. On a eu droit à ses célèbres sketches : heureux, le plombier, le fromage de Hollande, le tailleur, le service militaire… Quant à l’histoire d’huile, c’est avec elle que Fernand Raynaud a commencé dès qu’il apparut sur scène, accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Il lui fallait créer une atmosphère, « chauffer la salle » avant de se lancer. 

Et quoi de mieux pour se lancer dans le bain qu’une histoire que nous vivions chacun d’entre nous chaque jour dans ce pays mal barré ? Quoi de mieux qu’une histoire de pénurie ? Nous, nous étions habitués. C’était l’époque de « makach » (nie ma, net nikakikh, disait-on dans les magasins des pays du bloc de l’Est que le dictateur et ses soutiens imitaient et nous donnaient en exemple). Nous disions « bled makach ». On rentrait dans un magasin, un souk el fellah, et le seul mot qu’on nous renvoyait souvent était « makach », sauf si l’on recherchait des boites de conserve OFLA. Il y avait des rayons entiers qui n’étaient remplis que par ces seules boites OFLA, rouillées. (C’est que j’écrirais des pages entières sur ce satané modèle kholkhozien et cette époque des « 3R », les trois « révolutions » affreusement mimétiques dont nous payons aujourd’hui encore le prix. Mais cela n’absout absolument pas les responsables actuels, ce serait trop facile !)

Fernand Raynaud a commencé à raconter : « Nous sommes arrivés avec beaucoup de retard, mais on m’a dit de ne pas être trop tatillon. Il faisait beau. Lorsque le commandant de bord fit ouvrir les portes de l’avion sur le tarmac, on s’est aperçu qu’à l’extérieur il y avait foule. On s’agitait, s’agglutinait au bas de la passerelle. De nombreux civils mélangés avec d’autres hommes en uniforme kaki et armés. Au loin, à l’intérieur de l’aérodrome, les gens ordinaires se bousculaient collés au vitrage. J’étais heureux. Je me suis dit voilà un accueil des plus chaleureux, des plus magnifiques qu’on me réservait. Je voyais les gens lever les bras, s’exclamer. J’entendais « c’est arrivé ! » et moi je levais les bras pour les saluer. J’ai dit à mon voisin « c’est sympa tout cet accueil, hein ? » C’est qu’il ne m’a pas répondu. Il a hoché la tête et il a souri. Il n’a pas voulu me vexer. Les gens se bousculait, pour saluer l’arrivée tant attendue de l’huile de table et du beurre ! » La salle entière était en larmes. Larmes de joie dans un environnement hautement hostile. Nous vivions sous un régime de constriction, de dictature, qui gérait tout jusqu’à l’aiguille à coudre, directement par le centre. Dire un mot de trop pouvait vous expédier en tôle (croyez-moi). Alors, vous comprenez bien que lorsque quelqu’un fait rire au larmes une population contrainte c’est le bonheur absolue, malgré le chaos.

C’était en octobre 1969. Le 3 du mois précédent Ho Chi Minh meurt « Ho, Ho, Ho ! » criait-on l’année précédente au cœur de Paris. Le 15, j’ai vu à la cinémathèque un film avec Yves Montand. Le 18 Cheikha Rimitti est sortie miraculeusement indemne d’un accident de voiture. Ses compagnons musiciens n’eurent pas sa chance. Plus d’un demi-siècle plus tard, les images et vidéos sur la dernière pénurie d’huile sur Facebook, Twitter, Instagram… ne me font vraiment pas rire du tout. Mais que peut la colère et que faire ? disait l’autre. 

Je suis persuadé que la solution à cette incurie, au marasme (au plus lourd du marasme) et pire encore, à l’impasse, se trouve en gestation au cœur du Hirak. « Tant que nous utiliserons des chevaux pour labourer et des ânes pour des courses, nous n’arriverons à rien de bon » écrivait le regretté Mohammed al-Maghout. L’intelligence salvatrice est en mouvement, dans la Silmiya, pour peu qu’on ne l’écrase pas par la force, par la violence.

NB : On fêtait la semaine dernière dans des villages d’Illizi (au cœur du cœur des champs gaziers) l’arrivée du gaz naturel dans les foyers. « Un réseau d’alimentation en gaz naturel de 1.464 foyers a été mis en service mercredi dans la commune de Bordj Omar Idriss (720 km au nord d’Illizi)… Ce projet, qui porte le taux de couverture en gaz naturel de la wilaya à 55%, soit plus de 9.000 branchements, vise l’amélioration du cadre de vie de la population locale » écrit le plus sérieusement du monde El Moudjahid (9 avril).  À en pleurer, à se cogner la tête contre le mur ou à tout renverser… Pacifiquement.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO DE FERNAND RAYNAUD

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L’exilé indexé

J’écris ces lignes en réaction à la lecture d’un article que j’ai lu ce matin, parce que je me sens visé. Pourquoi suis-je visé par cet article en question ? Je ne suis pourtant ni du Mak, ni de la mouvance islamiste qu’il pourfend. Je ne suis plus universitaire, pas même d’Aix-en-Provence, même si je suis provençal et que j’aime la Provence. 

Je me sens égratigné par cet article écrit par un cadet fort sympathique par ailleurs, mais la question n’est pas là.  Je me sens concerné par son article car je suis moi-même comme son « exilé algérien », cœur de l’article. Retenez qu’il écrit « exilé » (neutre, inodore) et non pas « émigré » très chargé et qui sied mieux. Généralement j’apprécie les écrits de cet auteur, ses interrogations et réponses, souvent cinglantes, justes. Parfois « dans l’air du temps » européen (froid, vif et limite intolérant, stigmatisant). M’enfin et bref. 

Dans le papier en question, l’auteur demande à ce que les exilés algériens cessent de faire de la politique pour l’Algérie alors qu’ils en sont si loin. Eux qui ont au cœur à la fois le pays d’accueil où ils vivent et le pays de naissance où ils se rendent souvent, pour beaucoup plus qu’une « semaine de bénévolat ». Il écrit de ces Algériens qu’ils sont  « autant que nous Algériens, mais pas plus », sans ajouter « pas moins », c’est dire l’inconscient ! Ces exilés donc ne devraient pas avoir le droit d’exercer leur citoyenneté au motif qu’ils sont à l’étranger ou alors avec « modestie » ! (suit une typologie de comportements : Algérien, hyper-Algérien)

Avec tout le respect que je dois à l’auteur de cet article, il ne peut m’empêcher d’écrire que ses mots ont un drôle de goût, âcre, qui sent le stal. Je m’arrête là. Je suis persuadé qu’il s’agit d’un dérapage et je veux bien passer, mais deux lignes plus loin il enfonce le clou en nous insultant : « les sentiments de nostalgie des exilés sont de même nature que ceux d’un colon ». C’est une insulte inqualifiable.  Honnêtement et personnellement j’aurais honte d’écrire quelque chose qui se rapproche de ces parallèles Algériens/colons) et de cette idée de déchoir « les exilés algériens » de leurs droit fondamental à l’expression.  En débattre, « malgré le caractère tabou » ajoute-t-il. Quelle honte ! Au point où on en est, pourquoi leur accorder le droit de vote ? Cela dévoile la suffisance, voire l’arrogance et l’ignorance de l’histoire des rôles des émigrations passées et présentes dans les luttes pacifiques de leurs pays, de l’étranger où ils vivaient et vivent. Beaucoup de ces Algériens qui ont « quitté l’Algérie durant les années 90 » ont vécu jusqu’au bout leurs idées, en Algérie même cher monsieur, en Algérie même avant de « fuir » (disait-on dans la périphérie de qui vous savez). Il y a vingt ans, cet auteur que par ailleurs j’apprécie écrivait : « Il est plus commode de vivre les paupières fermées ». Le temps a passé. 

Poursuivre le combat sans zèle (mais sans reddition) à l’étranger n’est pas une tare, mais le plein exercice d’un droit fondamental (merci la France, merci le Canada, l’Allemagne etc.) que ces « exilés » exercent avec fierté, par devoir et que l’auteur de l’article leur dénie en filigrane. Lorsque je lis ou entends pronostiquer que les « manifestations sont sans lendemain » je me revois devant ce professeur polonais (réfugié !) que j’ai eu à l’université dans les années 70 et qui ne comprenait pas ces manifestations des refuznik et de leurs camarades français : « ça sert à quoi ce cirque ? » Il a eu raison durant cinq ans, mais il a eu définitivement tord les années suivantes. Lourdement. Mais il était en droit de se poser là. Je ne lui ai pas jeté la pierre car l’homme est ainsi fait de courage, de tiédeur, de peur etc.

Je ne leur attribue pas (aux refuznik et à leurs soutiens) la chute du Mur, et toutes les conséquences qui suivirent, mais un jour je raconterai l’histoire (en lien avec l’impossible Mur) de ce colibri Topaze « fou » qui entreprit d’éteindre le feu qui décimait l’Amazonie. Un jour. 

Je considère par ailleurs regrettable de distinguer la validité d’un combat patriotique, d’un espoir, selon que l’on est de Suède ou de Aïn Sefra, c’est d’un dommage incompréhensible, et ajouter que « la démocratie (est) absolue ». C’est insensé. Elle ne l’est nulle part et ne pourrait jamais l’être. Elle ne peut qu’être améliorée. Notre ami agite (c’est d’une facilité déconcertante) l’épouvantail de l’islamisme à venir, alors qu’il est présent, partout, hic et nunc, par la grâce d’un pouvoir jusqu’au-boutiste qui nous a déjà prouvé qu’il pouvait faire feu de tout bois (et jusqu’à créer 20 chaînes de télévision au discours univoque louant les dirigeants au creux d’une palette d’artifices). Nier que quasiment toute la société algérienne a intégré les codes islamistes c’est, encore une fois, ne pas voir les trous dans la raquette.

Notre ami ne dit pas un mot sur la nature de ce pouvoir en Algérie, rien de sa capture par une gérontocratie à bout de souffle, toujours à la recherche de compromissions. Elle est vacillante, mais toujours debout par la grâce (aussi) de commentaires laudateurs (aussi) ou lénifiant (aussi) ou visant un horizon quelconque fait de moulins à vent espagnols (ou français). Est-il vrai que celui qui ne dit rien (ou regarde ailleurs, ou minimise…) consent ? Où se nichent les « myopies souveraines », où ?

Si le chroniqueur en question évoque le cœur du pouvoir c’est entre guillemets et par la bouche de notre exilé-enseignant d’Aix qui, dit-il, « harangue la foule avec passion », qui n’a même pas « le sens de la prudence ». Comment haranguer autrement s’il vous plaît une foule d’exilés. Un exilé (universitaire) « intoxiqué par les fakes sur le ‘‘Régime’’ ». Un exilé qui a perdu « le sens de la prudence, la mesure de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. » L’auteur en question a-t-il jamais réfléchi à ce qui — au temps de fakhamatouhou — relevait du possible et à ce qui n’en relevait pas ? 

Il y a plus de vingt ans, il s’interrogeait très justement en rouge et noir, probablement à l’intérieur de son propre dialogue comme il disait…  « Pourquoi faut-il naître dans ce pays (l’Algérie) rien que pour saluer un drapeau, écouter un discours, mâcher un crachat et rêver d’une catapulte vers le Canada et insulter les nouveaux colons ? »  Oui, il y a plus de vingt ans. Le temps a passé, et il n’a pas fini de passer.

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Lire en page 2 l’article de Kamel Daoud et autres réactions les pages suivantes

Yasmina Khadra est un « écrivain médiocre » déclare (à son tour) Salim Bachi

Photo « 28′ »

Khadra a plusieurs fois été qualifié d’imposteur. Des critiques littéraires le dénoncent plus ou moins régulièrement. La dernière fois « Le Masque et la plume » l’a descendu en flamme (cf nos articles antérieurs).

TSA_

Un écrivain algérien critique Yasmina Khadra et prend la défense de Ben Jelloun

Par: Rédaction 27 Févr. 2021 

Les écrivains algériens continuent de s’entredéchirer sur les réseaux sociaux. Rebondissant sur les déclarations polémiques de Yasmina Khadra sur l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, le romancier algérien Salim Bachi a clairement pris position.

L’auteur de « Chien d’Ulysse », qui a obtenu le prix Goncourt du premier roman, a sévèrement critiqué ce samedi son compatriote Yasmina Khadra, le qualifiant d’ « écrivain médiocre » et prenant la défense de l’écrivain Tahar Ben Jelloun.

«Yasmina Khadra est un écrivain médiocre, il n’a pas besoin de « nègre » (ghostwriter est un meilleur mot) pour l’être », estime M. Bachi dans une publication sur le réseau social Facebook.

« J’ai rencontré à de nombreuses reprises le personnage et il m’a toujours rebuté par ses vantardises jusqu’au point de se comparer à Tolstoï », fustige l’écrivain algérien.

Salim Bachi se moque de Yasmina Khadra

« J’ai aussi rencontré à de nombreuses reprises Tahar Ben Jelloun qui m’a toujours témoigné du respect et de l’amitié. Je ne peux pas en dire autant de Khadra ou de Boudjedra par exemple. Je préfère mille fois l’auteur de La nuit sacrée à celui de L’Imposture des mots », tranche Salim Bachi.

La prise de parole publique de M. Bachi intervient alors que Yasmina Khadra a provoqué la polémique en s’attaquant publiquement le 6 février dernier à l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun. « Après vingt ans de silence, ne voyant personne s’assagir et tenter de renoncer à la vilénie, j’ai été contraint de dénoncer les manœuvres inqualifiables d’un écrivain que j’ai toujours respecté et qui s’est avéré être indigne de considération. J’ai nommé Tahar Ben Jelloun », a affirmé Yasmina Khadra dans un entretien sur TV5 Monde.

« Quand vous avez un écrivain de renom, connu dans le monde entier, prix Goncourt, membre influent de l’Académie Goncourt, qui s’appelle Tahar Ben Jalloun, qui raconte partout depuis 20 ans, de janvier 2001 jusqu’à ce matin, que je suis un imposteur, que ce n’est pas moi qui écris mes livres, qu’il connait mon nègre », a dénoncé l’écrivain algérien, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul.

Yasmina Khadra a accusé l’écrivain marocain de lui avoir barré les portes des institutions littéraires françaises et des médias français. « Tahar Ben Jelloun est tellement bas, qu’il n’y a pas de débat », a fustigé Yasmina Khadra.

Ce n’est pas la première fois que des écrivains algériens se critiquent mutuellement. Dans son pamphlet « Les Contrebandiers de l’histoire » édité en 2017, Rachid Boidjedra n’a pas été tendre avec ses pairs. Il a classé dans la même case, celle des « contrebandiers de l’Histoire », Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Wassyla Tamzali, Feriel Furon et d’autres. À Khadra, il reproche « d’avoir déformé la réalité coloniale » dans son roman Ce que le jour doit à la nuit où « il se fait le défenseur fervent de la cohabitation heureuse et enchanteresse entre les Français et les Algériens durant la colonisation ».

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Cliquer ici pour voir vidéo TV5 Monde et Khadra s’emporter contre Tahar Ben Djelloun (absent)

Ben Djelloun ne peut pas lui répondre et le journaliste ne dit rien.

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Cliquer ici pour lire d’autres articles sur le sujet

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CLIQUER ICI POUR LIRE LE MÉMOIRE _ PDF _ (Merci Karim Sarroub)

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Merci à Jean-Jacques Reboux – Cliquer ici

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CLIQUER ICI POUR LIRE_ « Tout ce que Khadra m’a fait ne m’a rendu que plus fort », écrit Youced Dris à Jean-Jacques Reboux

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CLIQUER ICI POUR LIRE LETTRE DU PREMIER ÉDITEUR FRANÇAIS DE Y. KHADRA

« Comment je me suis fait entuber par Yasmina Khadra (pour solde de tout compte) »

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Extraits proposés par rkhettaoui- 22 décembre 2016

Les mots étaient semblables à de jolies hirondelles qui glissaient dans le ciel, puis montaient , montaient encore , et soudain , plongeaient jusqu’au ras du sol.Ou encore, quelques fois ces paroles ressemblaient à des papillons légers qui battaient des ailes , immobiles au -dessus d’une fleur.

Apres tout un petit garçon de trois ans n’est pas une lourde responsabilité pour nous deux ! On s’en occupera,et puis deux femmes seules ont besoin de compagnie.

La chanson passait dans l’ombre, douce comme une caresse .Et Dahmane , immobile , appréciait cet instant merveilleux qu’il souhaitait ne jamais se terminer.

Le cœur humain est pareil aux pendules , elles s’usent en servant ,mais se détraquent en ne servant pas.

Quelque fois ma chère sœur , il vaut mieux lâcher sa valise que de manquer la calèche.

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N’en jetez plus, la cour est pleine !

22 février 2019 – 22 février 2021, le Hirak

Jailli du fond de nos désespoirs il y a deux ans, le souffle a emporté une partie non négligeable de la nomenclature.

La Covid 19 a indirectement suspendu l’élan du Hirak, ce gigantesque mouvement pacifique algérien de protestation. Le moment venu, il reprendra, car le pouvoir n’a pas répondu à ses attentes démocratiques et joue la montre.

Je vous offre cette magnifique vidéo. Elle date de mars 2019. 

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632_ Révolution de velours

Les Algériennes et les Algériens aspirent à une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. Ils l’ont maintes fois prouvé. Cette Algérie libre et heureuse, authentiquement démocratique, ne peut se concevoir sans la liberté de parole. La libre parole, ce droit premier de l’Homme, doit être accessible dans la rue et dans tous les médias, publics et privés, sans entraves. Une libre parole respectueuse de toutes les autres paroles, exprimée dans la langue de son choix, sans complexe aucun, sans stigmatisation.
Il y a en Algérie des dizaines de chaînes de télévision, de radios, de journaux, publics et privés, mais la parole n’y est pas réellement libre. La censure et l’autocensure sont permanentes.
Les Algériens et les Algériennes, qui ont payé le prix fort, ont soif d’une « Révolution de velours », sans donc aucune violence ni casse, sans qu’aucune goutte de sang soit versée. Une Révolution pacifique, celle qu’appréhendent par-dessus tout les tenants du « Système » actuel, prêts à toutes les intrigues et violences. N’oublions jamais Octobre 1988, ni janvier 1992 et les années qui suivirent, n’oublions jamais non plus les manipulations de la religion à des fins politiques de certains partis et organisations islamistes dont les paroles ont semé la mort par milliers. 

Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants.

D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs,jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. 

Ahmed Hanifi, auteur

Samedi 23 février 2019

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634_ Le boulevard de l’Algérie libre et démocratique 

Moins d’un mois après mon retour du grand Sud, j’ai troqué les mots de mon imaginaire et de la romance contre ceux qui disent l’effervescence populaire, qui chantent la hargne contre les hommes à la source des maux de notre quotidien. Je reviendrai plus tard aux premiers, le moment venu, lorsque les sourires s’afficheront sur les lèvres et dans les esprits. Ce temps léger n’est pas trop loin, je le vois se profiler à l’horizon, porté par l’Algérie entière.

Depuis ce désormais historique 22 février (l’histoire n’oubliera pas ces milliers de fervents supporters de football qui alertent, qui chantent leurs gammes aux tenants du « Pouvoir » depuis des mois, voire des années…), depuis ce désormais historique 22 février disais-je, nous sommes tous absorbés corps et âmes par le train des massives manifestations arc-en-ciel, permanentes et pacifiques, Selmiya ! Il ne se passe pas un seul jour sans que des jeunes, des pas jeunes, des chômeurs, des étudiants, des avocats, des femmes au foyer, des artistes,  battent le pavé algérien. Pas un seul jour depuis le 22 février.

Nous sommes pris dans les entrailles de cette révolution de velours en cours qui ne dit pas son nom, enveloppés par les mots d’ordre de cette jeunesse, mais pas qu’elle, traversés par leur puissance et leur vigueur. Des mots d’ordre et de conviction  contre le régime algérien autocrate, cleptocrate et sénile. Depuis ce 22 nous marchons, crions, écrivons pour dénoncer ce Système corrompu, Ennidham el fassed qui tente depuis la nuit des temps, en usant de tous les subterfuges, de tous les mensonges, de toutes les trahisons, de phagocyter nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires.

La première grande trahison s’exprima par la confiscation de notre indépendance et de nos libertés, dès le mois de juillet avec la prise du pouvoir par la force de « l’Armée des frontières », une des dernières par un coup de Jarnac en janvier et juin 1992, mettant fin au premier véritable printemps « arabe » né d’Octobre 1988.

Aujourd’hui, trente années plus tard, ce sont les enfants d’Octobre – auxquels le Pouvoir, ce Système corrompu, ce Ennidham el fassed n’offre que les stades de football pour faire diversion – enfants d’Octobre qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures qui nous prennent par la main et par le verbe « venez, venez, c’est par là le boulevard de l’Algérie Horra, Dimocratiya ! »   

Ahmed Hanifi,auteur.Marseille, le 6 mars 2019

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635_ Il y a deux semaines j’écrivais :…

Il y a deux semaines j’écrivais : « … Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants. D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. »
Vinrent alors le 1° mars et ce fut une déferlante, et aujourd’hui, 3° vendredi de lutte, un autre flot tout autant imposant. Dans la joie et la fraternité. Tout cela me fait penser aux pays de l’Europe de l’Est, lorsque durant l’année 1989 et suivantes des centaines de milliers de citoyens, par leurs marches et manifestations pacifiques firent tomber les régimes totalitaires – notamment en Tchécoslovaquie – régimes qui sévissaient depuis plus de 70 ans. En Algérie, ce régime corrompu qui prend les Algériens en tenailles depuis les premières lueurs de l’Indépendance, ce Ennidham el fassed qui phagocyte nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires, est entrain de vaciller.

Les Algériens ne lâcheront pas, particulièrement les jeunes, ces enfants d’Octobre, qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures. Crions avec eux, haut et fort « Non au 5° mandat. Non au Système dans sa totalité ». L’Espoir d’une Algérie nouvelle pointe. À ce propos, celui de l’Espoir, Vaclav Havel, héros de la Révolution douce Tchèque disait : « L’Espoir est un état d’esprit… C’est une orientation de l’esprit et du cœur… Ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose à un sens, quoi qu’il advienne. » En Algérie une véritable Révolution de velours est en cours, là devant nous, aujourd’hui, demain. »
Ahmed Hanifi, auteurVendredi, 8 mars 2019

https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/080319/35-le-8-mars-en-algerie-une-revolution-de-velours

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636_ Colère froide ou les Ils en février

(débrouillez-vous avec la non ponctuation)

ils ont quitté le navire au gré de la houle des événements en mars puis en octobre et aujourd’hui en février au printemps en automne et en hiver la lumière d’août les aveugles ils donnent des leçons tapent du poing renversent les tables ils furent censeurs sous la lune laudateurs au premier vent tournant ils vénèrent les points cardinaux avec tel les honnissent avec tel autre ils ont le verbe haut et la presse qui en redemande à portée de main ils ont occupé de beaux postes imploré dieu et Khalifa et cetera perçu la patente pour leurs enfants sait-on jamais ils ont louangé sans réserve étoiles et montagnes des vareuses compassées locales du vieil Est jusqu’aux confins des Carpates et tout le reste ils ont ensemble bâillonné les folles d’Algérie et les bougres par milliers craché sur des héros martyrs depuis désormais ils n’ont que ce mot sur les lèvres qu’ils serinent à l’envi « démocratie démocratie » qu’ils conditionnent de mais mais mais retournez-vous vous en connaissez en ce printemps ils ont glissé parmi nous veulent animer notre démonstration notre révolution de velours la mener pourquoi pas « Djazaïr horra dimocratiya » ne les dégageons pas offrons leur un beau miroir et du pq
(1° jet) samedi 16 mars 2019

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637_ 22, c’est le Printemps

C’est le printemps, 
Sur le croissant de lune 
Et l’étoile rouges, 
Bourgeonne l’espoir. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Une clameur monte dans le ciel, 
Main dans la main, le cœur léger, 
Les torses se gonflent 
De fraternité, de sororité. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les larmes inondent la défaite. 
Sous nos semelles le Paradis. 
Tous ensemble ! 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Mille mesk ellil, Sakura et oiseaux de Paradis 
Pour nos mères, nos sœurs 
Et toutes les femmes de mon pays 
Pour qu’éclose en cette aube bleue 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les teintes chaudes et froides du peintre 
Se répandent sur les boulevards et les places. 
Des corps tournesols à perte de vue. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les martyrs de Novembre, d’Octobre, 
D’avril et de toutes les ombres, 
Sont revenus nous indiquer la voie. 
Ils dansent avec nous, chantent 
Djazaïr Horra, démocratiya.

Ahmed Hanifi21 mars 2019

638_ Révolution de velours en Algérie_ Images et chants

Comme en Octobre 88, la révolte de février a commencé à Bordj Bou Arreridj (c’est ce qu’on dit sur la base de vidéos qui circulaient à BBA bien avant le 22 février). Elle couvait depuis des années. D’autres révoltes se sont exprimées en divers endroits du pays avec plus ou moins de réussite, souvent réprimées. 

En réalité de nombreuses manifestations ont périodiquement lieu, un peu partout dans le pays, appelées par des enseignants, des retraités de l’armée, des policiers, du corps médical…

 https://www.youtube.com/embed/QKeUzc1uNtg?feature=player_embeddedLa dernière révolte, l’actuelle révolution de velours couvait, on l’entendait, surtout dans les stades depuis quelques mois, voire des années. Des milliers de supporters criaient leur rejet du Pouvoir, dénonçaient la Hogra, le mépris. Elle couvait ici et là, dans les stades, sur les réseaux sociaux. Certains Youtubers et Facebookers sont suivis par des milliers de followers. Et puis la rumeur se faisait de plus en plus pressente ces derniers mois, avec par exemple des vidéos, comme celle de ces deux jeunes de Bordj Bouareridj, qui appelaient à sortir dans la rue. Étaient-ils libres de leurs appels ou étaient-ils en commande ? D’autres posts anonymes (sous pseudos) appelaient à manifester au courant du mois de janvier et février. Jusqu’à ce 22 février qui vit des milliers de manifestants s’approprier l’espace et crier leur rage contre « Le Système » et leur soif de liberté.

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639_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 27 mars 2019

Mercredi 27 mars 2019

La gare ferroviaire de l’aéroport

Comme je l’ai écrit il y a quelques jours, je me devais d’être, au moins pour quelques jours, au cœur de la Révolution en cours, Révolution de velours, qui fait courber le monde de respect. Je suis arrivé à l’aéroport HB, par le flight ZI 707 d’un Boeing 320, bleu et blanc avec le lever du jour. En moins d’une heure j’étais à l’extérieur. Si vous voulez éviter les arnaques des taxis (comme dans de nombreux pays les prix des taxis ici sont excessifs. Du racket. Si vous voulez les éviter alors faites comme moi, utilisez Woo…, utilisez les transports en communs. À 400 mètres, sur votre droite après le parking et la nouvelle et belle gare ferroviaire (non encore fonctionnelle) il y a une esplanade avec des taxis clandestins qui vous apostrophent et des arrêts de cars plus ou moins indiqués. Ne prenez ni le 178, ni le 38, prenez le 100 Sahat Echouhada de l’Etusa.dz. Pour 50 DA il vous conduit jusqu’au cœur d’Alger en passant devant l’immense  
« mosquée Bouteflika » et par Tafoura. Tiens pourquoi pas descendre ici ? « Ici est la rue des Vandales. C’est une rue d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca » criait Mustapha dans le Cadavre encerclé (j’ai joué ce rôle de Mostapha au Centre culturel français d’Oran dans les années mortes, il y a une éternité…). Mon ici est le Square Port Saïd à deux pas de la place des Martyrs. Un hôtel près du fameux Tantonville et du TNA, dans la rue qui monte, la Casbah c’est derrière, encore plus haut. Accueil correct, autant que le prix. La chambre se trouve à hauteur de la 67° marche, au 2° étage sans ascenseur, à droite, « la 15 ». Correcte, mais l’odeur de renfermé et de moisi n’est pas agréable. Et pas de Wifi. Comment peut-on vivre sans le Wifi ? Trop tard, j’ai réglé la chambre. Demain j’irai voir ailleurs. Je me jette sur le lit. Respirer un bon coup. Sur Canal Algérie je suis le dernier quart d’heure de la rediffusion de l’émission d’hier soir, Expression livre. Mièvre, guindé et autosuffisant est l’animateur (fort sympa par ailleurs), médusé l’invité comme beaucoup avant lui. « Pas de vague, pas de vague » m’avait lancé un jour le premier. Le journal qui suit, en français, nous montre des familles recevant « les clefs » de leur appartement. Il n’y a ni discours redondants et ronflants, ni portraits géants du président, ni youyous et autres salamalecs et c’est mieux ainsi. Pas un mot sur la situation de crise nationale. Ni l’ANP, ni l’article 102. On regarde ailleurs le ciel qu’il fait en Europe, en Asie. « Chez nous il fait beau ».  Pourtant le DG de l’EPTV, Toufik Khelladi vient d’être démis de son poste hier, « appelé à d’autres fonctions ». Le problème est qu’il a été remplacé par Lotfi Cheriet, un proche du clan Boutef (cet ancien journaliste puis directeur de l’info à Canal Algérie avait intégré la direction d’une « chaîne de propagande, El Wiam, lancée par Ali Haddad pour faire la promotion du 4° mandat du chef de l’État » écrit El Watan de ce jour, page 9). Moussa Hadj nous dit adieu et Hadj Moussa nous dit Salam alikoum.
14heures 30. Devant la grande poste il y a un attroupement, on s’agite, les échanges sont hauts. J’ai voulu lancer aux uns et aux autres « Silmiya mes frères, silmiya ». « Bagarre ? » « non ils discutent » me répond l’homme que j’ai apostrophé. Je vous promets qu’il m’est apparu qu’on était à deux doigts d’en venir aux mains. Bien non. « C’est comme ça ici, le sang il tourne vite ».  Un jeune homme se fait fouiller les poches par un autre. Un flic en civil probablement. Des gamins s’amusent de toute cette agitation des adultes. Le soleil est éblouissant. Je m’assois sur une des longues marches de l’édifice de la Poste. Les principaux articles de El Watan sont plutôt favorables à la décision du chef de l’armée de convoquer l’article 102 de la Constitution – 3 articles sur 3 –« Il est heureux de constater que l’ANP s’est prononcé en faveur de l’expression populaire » dit un constitutionnaliste dans l’un des articles, « Gaïd Salah est venu secouer le président du Conseil constitutionnel » écrit Messaouadi dans le deuxième, le troisième « L’armée s’implique… » reprend de longs extraits de son chef. Les autres articles sont des commentaires ou des réponses des organisations, des responsables de partis etc. : Assoul, Bouchachi, Zenati, Ali Rachedi…  Sur ma gauche deux « écrivains publics », en fait deux vieux messieurs, arrondissent leur fins de mois en remplissant pour les clients perdus des chèques et des documents divers de la poste. Et entre deux clients ils se racontent des histoires de vieux messieurs que tout, la politique, la vie, le vide, étonne. Et le sourire ne les quitte pas. À la librairie Charras je feuillette quelques livres (et m’enquiers du destin des miens) « Repassez » me dit la charmante responsable. Je ne lui dis pas que c’est la réponse qu’on me donne à chacun de mes passages (Un par an environ).Le rez-de-chaussée des anciennes Galeries Le Bon Marché sur la rue Ben M’hidi a été transformé en un grand, très grand, café restaurant avec Wifi (le code s’il vous plaît… P@ssw0rd). Oasis Planète « le plus grand restaurant d’Algérie » (Les Échos d’Alger). Agréable et pas excessif. J’y prends un thé et consulte mon FB. À propos « à qui appartient-il » demande-je discrètement à un voisin de table » qui hausse les épaules en faisant la mou. Quelle question…Je me rends ensuite et sur le retour à l’immeuble qui abrite les locaux de SOS Disparus, rue Ben Boulaid. Malheureusement il n’y a personne. Au TNA Bachtarzi on commémore les vingt ans de la journée mondiale du théâtre. Le spectacle arrive à sa fin. Au Tantonville on sirote qui un café, qui un jus, qui je ne sais quoi d’autre… Sur les marches qui y donnent accès, un attroupement se forme. C’est le 3° depuis « les événements ». Le prochain rendez-vous aura lieu ici même mercredi prochain dit l’animatrice. À 17 heures une jeune animatrice prend la parole, explique l’objet de ces réunions « échanges d’expérience, points de vue, lectures, nous sommes devant un nouveau souffle… »  Le premier intervenant est une jeune intervenante, Alia qui lit un texte sur les femmes « elles ont toujours existé ! » répète-t-elle. D’autres intervenants lisent des poèmes ou autres textes. Hmida El Ayachi rend hommage à Kamel Amzal, ou Madjid, un militant de la démocratie, a été assassiné par des islamistes dans la cité universitaire de Ben Aknoun, le 2 novembre 1982. Déjà. Puis il improvise une poésie Chams ettoufal, un jeu interactif avec le public, Charlie Chaplin…, puis Le Mur et Kaddour Blendi… Un vrai acteur ce Hmida. Je n’ai pas pu lui dire un mot (la dernière fois que je l’ai rencontré c’était à l’aéroport d’Oran, il y a bien 3 ou 4 ans grâce à un ancien ami). Puis il y eut une autre jeune femme, puis Hakim qui lit en arabe un texte de 1998 de Habib Younès. Connais pas. J’interviens pour lire deux poèmes que j’ai écrit en hommage aux enfants d’Octobre 1988 pour le premier, à la Révolution de velours actuelle pour le second. « Octobre » et « C’est le Printemps ». D’autres personnes suivront. À la fin de la rencontre l’attroupement se scinde en plusieurs petits groupes. J’échange avec des jeunes, certains sont à l’initiative de ces sorties publiques. « Va dans ‘Balance ton mot’ sur Facebook me dit l’un d’eux, tu auras pleins d’informations, va aussi sur ma page FB ».

(https://www.facebook.com/adel.ricco.71?fref=search&__tn__=%2Cd%2CP-R&eid=ARBKUwgmJjGW8JS0VRV-gUukehUFmHz-7Zn7ycC7Ij5jZEMvc1ZWthywdiJWIOAyaVTOMPrNb9nn1FMI)
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640_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

 Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

Jeudi 28 mars 2019

Café à défaut de thé. Lecture de la presse. El Watan titre « Gaïd Salah face à la contestation populaire. » Un article de Salima Tlemçani (durant la décennie noire, elle était connue sous le sobriquet de « la colonelle » tant disait-on elle s’abreuvait – quasiment – à une unique source, celle des « services et de la muette » où elle avait ses entrées, solides comme du rock.) La journaliste préfèrerait voir le défunt Mohamed Lamari (celui qui en mai 92 déclarait : « je suis prêt à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut »), ou son clone officiant à la place de ce balourd de Gaïd Salah qu’elle ne ménage guère personnellement, ce chef d’État-major qui a réussi (pas seul) à liquider les liquidateurs de l’ex DRS (wa ma adraka, combien d’Algériens tremblent aujourd’hui encore rien qu’à l’énoncé de ces trois lettres :D,R,S. Mon Dieu), lesquels liquidateurs du DRS, dit-elle faussement naïve, avaient « ouvert des enquêtes sur les affaires de corruption impliquant les hommes du président ». Elle nous prend pour des imbéciles. Coquine va et démocrate jusqu’au bout des ongles des seuls cinq doigts de sa main droite.
À onze heures je plie bagages et change d’hôtel. J’en trouve un dans la rue Abane Ramdane, en face, un chouya plus cher, mais propret et le monde à portée de main. Écouter FIP en sourdine avec entre les mains une feuille blanche qui vous invite au délire ou bien encore un Kérouac ou un Roth. Vous m’en direz des nouvelles. Quand même. Je balance mon premier écrit.  Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « kidnappé ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ?
Je fais un tour du côté de la poste. J’entends au loin un gars crier. Je m’approche, d’autres gens aussi. On fait foule autour de lui. Il ne crie pas du tout le monsieur au super costume brillant comme neuf sur un pull-over rayé de lignes bleues, rouges et grises. Non il ne crie pas, il hurle son mixe de douleur et de joie. Ses yeux pétillent. « Nous vivons de l’oxygène, comment peut-on abandonner notre environnement ?… Oui, le peuple s’est libéré le 22 février… » Son discours est bien rodé « je fus candidat… »  Certains spectateurs ironisent, d’autres applaudissent. La rue Didouche Mourad fourmille de monde. Beaucoup de jeunes, filles et garçons, plaisantent, rient, chahutent. De peur qu’ils ne s’écroulent sur eux, et comme ils le feraient pour des murs d’immeubles, ils tiennent fermement les arbres à leur portée en posant la paume de la main contre leurs troncs. À l’angle de la rue Didouche Mourad (1955-1927) et Zabana Ahmed (1956-1926)… Oui, je sais, mais ici, il faut lire les dates de droite avant celles de gauche. L’ordre est inversé bien que les nombres soient écrits en arabe et les lettres en caractères latins… Les explications sont à demander à qui de droit, certes pas à moi. Je reviens à cet angle des deux artères, je disais que là, à cet angle, un groupe s’acharne sur un bendir et des karkabou (tambour et castagnettes essoudane/ soudanaises, en réalité malienne, pays qu’on disait bled essoudane, me semble-t-il) : karbaq, karabeq, karbaq…Autour de lui un demi cercle s’est formé. Il y a de l’électricité dans l’air et cela titille nos sens et nos espoirs. Une dizaine de jeunes passent en criant, avec un léger retard sur l’histoire en cours « Oh Bouteflika, la lil khamsa ! » Un peu plus haut un autre chant fuse d’un local, celui du RCD, c’est l’énorme « Win win win…rakoum rayhin’ win… » chargé d’émotion. Je rentre dans le local, saturé de photos et de centaines de bouteilles d’eau minérale de 50 cl qui seront probablement distribuées aux manifestants de demain qui auront la chance de passer par ici. « L’eau minérale Lalla Khedidja prend son origine dans les monts enneigés du Djurdjura. En s’infiltrant lentement au travers des roches, elle se charge naturellement en minéraux essentiels à  la vie, tout en restant d’une légèreté incomparable. Elle est pure par nature, car elle est directement captée à la source. » Ainsi va la pub. Je pense, et ne sais pourquoi, à ce proverbe détourné « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se case (caze) » Je discute avec un vieux militant et ancien syndicaliste qui me propose de faire le tour du propriétaire (une unique grande pièce de 32 m2). Et me revoilà devant les photos avec cette fois des explications lourdement orientées, « regarde ils ont dit qu’on est avec le pouvoir, c’est ça la vérité ? » m’interroge-t-il avec malice en me montrant une foule (supposée être composée de militants de son parti) entourée par des policiers certainement méchants.   Ils ont cela dans le sang les syndicalistes, ou nombre d’entre eux, c’est que lorsqu’ils vous tiennent ils ne vous lâchent plus. Il m’a fallu insister lourdement « je dois aller réserver un billet avant la fermeture… » pour que le gars (il n’avait peut-être pas parlé de la journée que sais-je) me libère. Il me serre fortement les pinces.  « À la prochaine » fait-il, mais là il s’aventure. Il n’y en aura pas. Je contourne le pâté d’immeubles et me retrouve en contrebas près du marché Clauzel. Pour la réservation chez Aigle Azur (le type, je ne lui ai pas vraiment menti), j’attendrai quelques jours.  Je me paie une belle calantica (50 DA), ce fameux plat oranais à base de farine de pois-chiches (franchement, elle ne vaut pas celle d’Oran). Chez un droguiste j’achète une longue tige en plastique. Je demande au vendeur de la couper en deux parts égales. Elles supporteront ma banderole « Révolution de velours » que je porterai (si tout va bien) demain, parmi les centaines de milliers d’autres manifestants. Car demain est présenté ici comme le jour le plus long et le plus haut  « rabbi yestorna ».  

Je reviens vers la Grande poste. Il fut un temps pas si lointain, où, arrivé dans ces parages, je m’interrogeais, hanté par eux, si tel ou tel bistro était toujours ouvert et si la cigarette empestait toujours autant. Avant d’entrer dans l’un d’eux, pour la protéger un tant soit peu ou si peu que cela soit, je camouflais ma veste dans un sac en plastique que j’avais prévu à cet effet. Je me demandais aussi s’il y avait encore, glissant entre les consommateurs, les tous jeunes ou tous vieux vendeurs de bebbouche (escargots) bien épicés ou de foule (fèves bouillies) au cumin ou d’œufs durs que je détestais et déteste toujours (les œufs durs). Aujourd’hui je ne le suis plus. Je ne suis plus hanté par les bistros que je ne fréquente plus. Presque plus, et plus du tout ici au Bled. Je passe devant leurs devantures (elles ne laissent entrevoir qu’un mince espace à travers la porte, entrebâillée pour permettre aux clients d’entrer)  et les mêmes questions me taraudent l’esprit. 

 Et c’est à peine si je leur adresse un regard indifférent, presque triste, comme à cet instant devant « la lune rouge » au 27 de Ben M’hidi.  
Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « libéré ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ? Sur FB on se délecte de cet énième épisode entre clans et sous-clans.

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641_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 29 mars 2019

https://www.youtube.com/embed/GdtHtH8xqS4?feature=player_embedded Alger, vendredi 29 mars 2019

Vendredi 29 mars 2019 

Café au lait, croissant et pain au chocolat. C’est une belle journée qui s’ouvre en perspective. « Nouveau jour de mobilisation en Algérie » disait-on en titre il y a quelques minutes sur France Inter : « l’Algérie de nouveau dans la rue aujourd’hui. 6° vendredi de mobilisation contre un président et un Système de moins en moins soutenu, mais toujours en place ». Un doux euphémisme. Les klaxons nous invitent à sortir. Je prépare ma banderole « Révolution de velours »  que j’enroule autour des baguettes en plastique que j’ai achetées hier au marché Clauzel. Me voilà sur la rue Asselah Hocine, devant le mythique Aletti, entièrement voilé, en cours de rénovation. Dans le ciel, un hélicoptère blanc tournoie. Le gilet est supportable. Par petits groupes, des jeunes passent, enveloppés dans le drapeau national. Il n’est pas encore dix heures. Près de l’Institut français, des policiers manifestement affolés ou en manque d’ordre courent devant eux, derrière. Sur le boulevard Ben Boulaid, à hauteur de l’hôtel Régina, un groupe dans lequel se trouvent nombre de handicapés moteurs scande « silmiya, silmiya », pacifique… Devant la Grande Poste il y a environ trois mille manifestants. On entend « Biyaîne el cocaïne kheyanine, kheyanine » vendeurs de cocaïne, voleurs… De l’autre côté, en allant vers Audin, sur l’avenue El Khettabi, à hauteur de la rue Ferhat Tayeb, un journaliste de la chaîne TV, Ennahar, est littéralement pourchassé, même bousculé.  C’est choquant. Je n’approuve absolument pas, mais ne peux m’adresser aux jeunes qui sont hors d’eux, très en colère. Il est vrai que c’est une chaîne honnie, qualifiée d’« islamiste ». Le pauvre journaliste est effrayé, ses yeux immenses regardent dans le vide, hagards. Je ne suis pas fier de cette scène digne d’un lynchage. Imbéciles, eux-mêmes remontés par d’autres médias ou groupes anti-islamistes intolérants et pourtant « démocrates ». 

12h15, angle de Hamani et Didouche, devant le fleuriste, une jeune femme devant la banderole, passe derrière, me tend un micro, « d’où venez-vous, qui êtes-vous, quelle appréciation portez-vous… » Je ne me souviens plus du nom de sa chaîne. Ma banderole se taille un succès raisonnable. Un gars d’âge mûr lit la banderole puis lève le poing et dit assez fortement le sourire grand « Prague ! » Je souris et lui rends un pouce au sien. Midi passé. La foule a maintenant tellement enflé. Combien sommes-nous, 30, 50 mille ? 
J’ai beau me dire il me faut être de tous les instants, de toutes les vigilances, je ne tiens pas. Il me faut m’asseoir, m’accroupir à défaut. Je m’abaisse et voilà que se tendent des mains. On me propose de m’aider. On m’offre une bouteille d’eau. Ai-je l’air en si mauvais état que cela ? « je n’ai rien, merci, j’ai juste mal au dos, merci, Yaâtik Saha ». Satanée cinquième vertèbre. Elle fait des siennes dès lors que je suis en position debout, immobile pendant un certain temps. M’enfin.

14heures. Je suis sur l’escalier de la Grande Poste. Un brusque mouvement important de foule. Impressionnant, on laisse passer, d’aucuns haussent le ton « khalli, khalli ». Sur la pointe des pieds j’aperçois Arzeki Aït-Larbi, heureux de son coup comme un diable rusé. À ses côtés l’idole de la Révolution et des Algériens, Djamila Bouhired, autour d’eux des drapeaux tunisiens.
Les artères, boulevards, avenues, rues et ruelles déversent des foules compactent et impressionnantes. Il en sort absolument de partout. Où que l’on plonge le regard on est saisi. Jamais vu cela, pas même aux premiers jours de l’Indépendance, et je m’en souviens mêmes si je n’avais pas plus de la dizaine : Audin, Didouche, Khemisti, Ben M’Hidi, Asselah, Ben Boulaïd, Cherif Saadane, Saliha Ouatiki, Hassiba Ben Bouali… mains dans la main. Ils sont tous là. Les femmes et hommes d’honneur et de dignité percutent le présent. Je les entends « Restez debout ! » Suis fatigué, le soleil cogne dru. Me rassois de nouveau. Sur le boulevard Khémisti, côté est, je me range un temps au milieu des mères et parents de « Disparus » Bonjour Ferhat, Nassera… 

Break (je ne vous raconte pas la perte d’une clé, le serrurier clandestin…)
La journée s’écoule et l’atmosphère est toujours époustouflante. Près du marché aux fleurs, on se croirait à la sortie d’un match international de foot qui a vu la victoire des Algériens. Folie est peu dire. Les pizzas, fast-foods, cafés, pâtisseries… ne désemplissent pas.  Les vendeurs d’écharpes, de drapeaux, de toutes dimensions sont heureux, doublement heureux, « ayya vingt mille, vingt mille ! »

Un jeune artiste propose des feutres « faites ce que bon vous semble sur le tableau » 
Je remonte vers l’ouest. 17h20 : derrière la Fédération des cheminots, il y a de l’agitation. Des gamins déferlent le grand escalier. « Va par là-bas âmmo, ici il y a des lacrymogènes. Nous sommes pas loin de la rue du lieutenant Boulhert Salah et le boulevard Mohamed V. Petites échauffourées. On imbibe des mouchoirs en papier de gouttes de vinaigres. Je me retrouve de nouveau à hauteur de El Khettabi-Audin. Je discute avec trois jeunes. Leur dis avoir constaté l’absence de toute revendication d’ordre religieux (à part le « inna li Allah iwa Inna ilayhi rajiôun » – nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournons, adressé malicieusement au Président grabataire). Les jeunes me répondent (ils ont la vingtaine) que le peuple a souffert après octobre 88 et la guerre qui a suivi et surtout la récupération politique du mouvement de protestation des Algériens alors ne doit pas se reproduire et ils ne pensent pas qu’il se reproduira. Ils ajoutent : aujourd’hui nous savons qui sont les voleurs du pays et nous leur demandons de partir. C’est tout. « On veut être bien, c’est tout ».
De toute la journée, je n’ai pas croisé plus de deux, va pour trois, barbus (islamistes à la posture ostentatoire). Mail il est vrai qu’ils ont cette capacité extraordinaire caméléonienne de se fondre en Ombres.
18h30, les hélicos tournent toujours dans le ciel serein.

 Yet Nahaw Gaâ

NB : J’ai été au plus pressé. J’aurais pu écrire trois plus, mais… (je ne me relis même pas).
 
https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/070319/33-algerie-revolution-de-velours ;

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LIRE ÉGALEMENT:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/02/632-revolution-de-velours.html

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/645-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/646-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/651-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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Les (anciens) bars d’Oran… ou ce qu’il en reste

Cette vidéo n’a pour objet que de nous rappeler qu’Oran fut une ville de grande tolérance. Qui ne veut voir en ces images que le rappel d’une mémoire de débauche se trompe lourdement. Les bars, (parfois hôtels-bars-restaurants) ont hélas, pour une part non négligeable disparu. Ils furent au même titre que les salons, les marchés et autres placettes de quartiers d’Oran, des lieux de rencontre et d’échange, où s’exprimaient sans retenue, ni tabou, les vérités et fantasmes des uns et des autres autour d’un verre au pluriel majoré, surtaxé, parfois sans nuances. Ils sont les témoins d’une époque aujourd’hui révolue que ne connaissent ni les moins de vingt ans ni ceux de trente.

Les chanteurs qui rehaussent la vidéo sont uniques par leur voix, leur capacité à faire renaître ou remonter en chacun de nous, à partir de mots enracinés en « nous » (ce nous global) depuis les temps immémoriaux, ce qu’il y a de plus profond, de plus émouvant. Ils prirent d’assaut (avec d’autres bien sûr) les bars d’Oran et de sa région dès les premières des années 1980 (durant l’abjecte censure) et plus tard… tous les lieux (ou presque). Ces chanteurs sont Cheikha el Djenia el kebira el haqaniya bent Saïda (1954-2004) (ne pas oublier son compagnon El berrah Zouaoui mort en 2003) et Cheb Mami (de Saïda lui aussi). 

ahmedhanifi@gmail.com

10 janvier 2021

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Hommage posthume à Cheikha Djenia

EL WATAN _ 30 avril 2015

Un événement qui verra la participation d’une vingtaine de chioukhs venant de l’Ouest de l’Algérie comme Boutaïba dit « Saïdi », Tahar, Fati, Smail, Chadli, Mohamed Saïd, Krimo de Saïda,  Okacha de Mascara, Miloud de Tissemssilt, Hatab et Kada de Tlemcen, El Ouahddani de Ch’lef, Dehane de Naâma ou encore Lechlech et Hamid Baroudi d’Oran.

La wilaya de Saïda-en collaboration avec la direction de la culture,  le comité de l’action culturelle et le mouvement associatif- lors de cette intéressante rencontre, rendra un  hommage posthume  à la diva du raï « rural », Cheikha Djenia. Cette grande dame, cette diablesse du raï, qui revendiquait haut et fort son titre de « cheikha Djenia el hakania el kebira bent Saïda (la vraie, la grande, l’authentique et fille de Saïda) ».  Et ce, pour se distinguer de Cheikha Djénia Sghira ayant usurpé le nom de scène.Advertisements

Elle est décédée, une certaine journée du 1er avril 2004, un jeudi, à l’issue d’un tragique accident de la circulation sur la route de Sidi Bel Abbès menant vers Tlemcen, et ce, prématurément, à l’âge de 50 ans.  Soit neuf mois après la disparition de son mari «El berrah» (aminateur et dédicassseur), le fameux Zouaoui, lui aussi mort tragiquement. Il a été abattu par méprise lors d’un barrage de nuit par les forces de sécurité. De son vrai nom Fatma Mebarki, Djenia est née en 1954, à Marhoun, dans les environs de Saïda.

Obnubilée par cheikha Rimitti, Farid El Attrache, Abdelhalim Hafez et Oum Kalsoum, elle quittera le giron familial et conjugal, à 17 ans, à la suite d’un mariage forcé.  Remarquée par cheikh Aïssa, elle se produira à ses côtés pour faire et parfaire  ses premières armes. Elle signera son premier album en 1970 sous l’impulsion de Hadj Mazou lequel la baptisera «La diablesse» (Djenia) pour son timbre de voix rock (rauque). Cependant Djenia se distinguera avec le raï synthétique en duo avec cheb Abdelhak avec Rah Egaber (Il drague).

Djenia s’est illustrée avec des hits comme Kayen Rabi, Trig Bidou, Dertou fina Djournan, Trab el Ghadar, Ha Nounou, et Kin Dir Ouan Dirleh repris par cheb Abdou et bien d’autres, sans percevoir les droits d’auteurs, bien sûr. Djenia était la digne héritière de cheikha Rimitti.


Le futur est-il derrière nous?

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO, À PROPOS D’INFILTRATION.

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J’ai suspendu ce jour mon compte Facebook. Le réseau, versant DZ, est infesté par les « infiltrés » (« des mouches »), collaborateurs du régime en place, des suppôts. Parfois même travaillant directement avec ses « services ».

Ce que je dis là est aussi révélé par la chaîne de télé Al Awraas dans son émission d’hier.

La Issaba, gravement blessée n’a pas été achevée. Elle a réussi à se relever, à se rétablir et à revenir en force. Rappelons que le général-Major Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, gravement impliqué dans les tueries des années 90, et condamné en août 2019 par le tribunal militaire de Blida, pour « complot contre l’autorité de l’Etat », est rentré il y a deux semaines, par avion présidentiel, et salué par des officiels au bas de l’avion, à Boufarik. Il s’était réfugié en Espagne.

Pour l’heure, “The future is behind us’’. D’autres batailles sont à venir.

LAYLA !

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER « LAYLA » D’ÉRIC CLAPTON

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Les paroles de « Layla » et la musique qui les accompagne, ne cessent de tourner en boucle dans ma tête depuis ce matin. Impossible de penser à autre chose. « What will you do when you get lonely, With nobody waiting by your side !… »

Cela ne vous arrive-t-il pas qu’une chanson vous empêche de penser à autre chose qu’à elle, vous bouscule, harcèle, au point de vous laisser envahir par tout ce à quoi elle renvoie, vers toutes sortes d’émois, de souvenirs ? Moi, si. Non, ce n’est pas une maladie de vieux. Cela m’est fréquemment arrivé dans ma cinquantaine, quarantaine et moins. « You’ve been running and hiding much too long, You know it’s just your foolish pride !… ». Depuis tout à l’heure, tôt ce matin en fait, elle ne cesse de tourner dans mon esprit. J’ai beau essayer de penser à autre chose, lire le journal, me forcer à écouter les paroles inutiles des commentateurs radio, à écrire n’importe quoi, « Layla » est là. « Layla » c’est une belle chanson d’Éric Clapton des années 70. J’ai entendu cette chanson ce matin sur FIP, à la suite d’autres, alors que je pédalais l’oreillette à l’oreille et le masque anti-Covid au nez (en réalité sous la bouche) le long du chemin du Mas de Rigau qui longe la ligne de chemin de fer Marseille-Arles, à hauteur du lac d’Entressen. Il était tôt et le froid vif et piquant. Les doigts ne gelaient pas, mais il me fallait bientôt les ganter. « Layla, you got me on my knees !… » J’abordais un virage lorsque, in extrémis, je fus extrait de mes pensées, à deux doigts de basculer dans un fossé. Je me suis quand même rétamé sur le chemin humide. Je me suis relevé, ai replacé l’I-Phone et les oreillettes, ajusté mon sac à dos et repris mes esprits. J’ai contourné le lac par l’ouest, traversé les champs d’orangers pour revenir par la route du vallon qui longe la A54 et que borde le canal de Langlade. D’autres chanteurs sont passés sur les ondes de la radio, mais rien n’y a fait, la voix de Clapton s’incrustait par-dessus les autres voix, les autres chansons de FIP. Je me suis dit que le meilleur moyen de m’en débarrasser serait de crever l’abcès. Si cette chanson s’agrippe à mes semelles comme à ma mémoire cinq heures après signifie qu’il me faut la convoquer, elle, l’affronter, mais aussi le temps qui a été le sien, celui de « Layla ». Car cette musique, cette chanson, est plus qu’une musique, plus qu’une chanson, elle est un monde en couleurs et odorant. Celui de mes vingt ans à Oran. Vous devez connaître ce sentiment-là non ? ce sentiment qui vous plonge dans un passé – bon ou mauvais, il y a toujours, avec la patine du temps une douce amertume à la pensée d’un passé lointain – rempli d’anecdotes, de souvenirs divers, bons à redécouvrir et à regarder en face plutôt qu’en biais. Si vous n’avez pas l’âge de ces possibilités, si vous êtes encore jeune aux articulations, vous ne perdez rien pour patienter. Vous récolterez au temps inscrit les fruits de votre présent actuel.

Pour revenir à « Layla », il ne s’agit pas de tomber « bêtement » et uniquement dans la nostalgie, dans l’égotisme ou la vanité, ce serait ridicule. Il s’agit de lever le voile de l’atmosphère également et celui d’événements concrets. Voyez-vous, si j’ose dire, je suis en ce moment-même à essayer de dévoiler cette atmosphère alors-même que la chanson que j’ai un moment réussi à éloigner, à marginaliser, monte à la charge, me colle de nouveau à la tempe « Layla, I’m begging darling please !… »

Regardez deux des photos que je joins à ce texte, les deux bâtiments. Qu’y voit-on ? Sur l’une, la nouvelle maison de la radio (début des années 80 ?), la RTA, antenne d’Oran, l’autre photo montre l’immense Cité Perret (quartier Yaghmourassen, ex St Pierre) côté station d’essence et rue Mouloud Feraoun (ex René Bazin). On peut pénétrer dans la Cité Perret par le bas, coté marché et rue Serrar Mohamed, (ex Réaumur). Ces deux photos partagent un point commun. La radio. L’une montre la station de radio dominant tout l’espace, l’autre dissimule une ridicule surface à partir de laquelle on émettait les émissions, souvent de propagandes. Mais pas que.

Dans les années 70, la radio d’Oran « la chaîne3 » ne disposait que d’un trois-pièces cuisine situé au rez-de chaussée de la cité Perret (en entrant par la station-service). Et c’est là, dans ce trois pièces-cuisine qu’émettait « Radio Oran » quelques heures par jour. « Attention au direct dans 5, 4, 3, 2, 1, Relais ! » Et, le préposé à la manœuvre, d’une main tremblante, agrippée à la poignée du disjoncteur, la soulevait. Puis on entendait « Direct ! » Ah oui, c’était tout un monde. Et le technicien derrière la vitre – je ne me souviens plus de son nom – qui pointait son index et son regard vers la cabine où je me trouvais. Une grande vitre nous séparait. Car en effet, c’est dans cet appartement que j’animais l’émission « Notre discothèque est la vôtre » sous la houlette du directeur artistique et célèbre Saïm El-Hadj (parolier, poète, homme de théâtre…) J’avais 20 ans. Je me souviens de Berrichi Bachir le premier technicien-réalisateur, de Nawel autre animatrice, de Saïdi (poète de Saïda), de notre chère Sabah Essaghira que je connaitrais beaucoup mieux. Elle viendrait même chez moi à Paris (toute la famille). J’ai hélas oublié le nom du technicien. Mes collègues aimaient tous mon émission et son indicatif « Layla ». Mais pas le journal d’Oran. Le quotidien francophone, La République, avait descendu mon émission jugée « frivole » et pas « engagée ». Dans ce journal ils avaient tous la pensée rivée à l’Est. Mon émission, il est vrai, ne visait pas la lune. Ce qui m’importait c’était d’apporter, à mon humble niveau, un peu de joie durant les années noires, les années Boum. Nous avions passé l’année sans encombre, mais au printemps de 72, on invoqua l’inéluctable arabisation et mon émission bascula dans la colonne des pertes et profits du grand comptable. Gefeuert, barra. Il me faut préciser ici qu’on ne m’a jamais gratifié d’un seul centime, ni d’une seule fiche de paie, pas même fausse. L’arnaque était totale. J’étais quand même heureux de partager les chansons que j’aimais des Clapton, Janis Joplin, Creedence clearwater Revolver, Procol Harum, The Moody Blues… Ah ! Nights in white satin, Léo Ferré, Ten years after, Neil Youg, les frères Megri, Turkish Blend. Non, T.B. (Malik et Yacine) viendront plus tard, en 76.

Photo DR

Saïm El-Hadj me faisait confiance, « mais attention pas de Johnny, pas d’Enrico ! » me répétait-il en balançant son bras au bout duquel l’index menaçait, lui qui vérifiait toujours ma feuille de route que je remettais au technicien, signée par lui. Il est arrivé que sur cette feuille, Saïm El-Hadj trace au gros feutre, une ligne rouge sur le titre d’un chanteur interdit. J’entendais comme un murmure, comme un « no passaran ». J’oubliai de préciser que tous les disques que je proposais, m’appartenaient ! Oui messieurs-dames, tous.

Un jour, j’ai parlé en direct du « Whisky à Gogo », une importante boite hollywoodienne. J’en ai parlé comme ça, peut-être naïvement, qu’y a-t-il de méchant à citer le nom d’une maison où la musique coule à flots ? Mais c’est que le technicien – j’ai oublié son nom – a failli s’étrangler, et j’ai failli être viré sur le champ ! Les bougres, ils ont pris les termes « whisky » et « à gogo » à la lettre alors qu’il ne s’agissait que d’un lieu, certes chaud mais pas plus. Eux ont pensé que j’invitais les auditeurs à l’orgie. Lors d’une réunion spéciale convoquée sur le champ, dans une surenchère emballée, ils m’ont tous remonté les bretelles bien comme il faut. « Ils » se sont les employés, techniciens et responsables. J’avais 20 ans et les dards de mon esprit déjà plantés dans le grand nord. Sur mon cahier j’écrivais « On ne peut plus rien faire dans ce foutu pays. Il y a des barrages et des rafles, partout.

On ne peut plus bouger. » Pff ! Quelques jours avant la fin de l’année 1971, les patrouilles de la police militaire et politique se faisaient remarquer plus encore et plus menaçantes que durant les autres mois de l’année. Ce jour-là, je me trouvais à hauteur des anciennes Galeries de France, en face de la célèbre crèmerie Mira, au début de la rue Larbi ben M’hidi (ex rue d’Arzew). Je marchais le long du trottoir, plutôt sur le macadam que sur le trottoir, à cause du monde. C’était en début d’après-midi, un samedi, premier jour de week-end. Dès le cinquième jour de la semaine, le vendredi, nous avions toujours les oreilles, le nez, aux aguets, à la recherche de la moindre des opportunités pour « s’évader », plus encore le samedi. Je marchais, seul, lorsque j’entendis comme des bruits de pas lourds. Je n’eus pas le temps de me retourner lorsque je reçus plusieurs coups de trique sur la tête, la nuque. « H’bat ! » me cria l’hyène, un des cinq militaires de la PM. Il répéta « H’bat ! » Je compris qu’il me fallait monter sur le trottoir. Ce que je fis, mais un autre abruti continuait à taper sur mon corps, cogner et grogner comme un porc. Il me fallait éteindre ma cigarette « T’fi ! » Eux, des militaires venus de l’est, disaient pour tout et n’importe quoi « H’bat ! » À Oran on désignait la police militaire ainsi, « H’bat » On ne devait ni fumer devant eux, ni parler à voix haute, ni traverser leur rang au risque de se faire violenter. Ils paradaient toujours en file indienne, espacés d’un mètre les uns des autres, par petits groupes de cinq, six sous un casque blanc marqué « PM ». Leur marche était martiale. Nous tremblions rien qu’à la vue de ces deux lettres atroces. Ils contrôlaient les citoyens sans aucun motif. Contrôler pour effrayer. Pff ! Deux ans plus tard, je ciselai les grillages du grand camp d’enfermement de la dictature. J’atteignis le « Grand nord » les bras en V et le cœur ouvert aux quatre vents. « Layla, you got me on my knees, Layla, I’m begging darling please, Layla, darling won’t you ease my worried mind !… » J’avais 20 ans, l’âge du refus et de tous les fantasmes. Voilà pourquoi j’ai déchiré le voile de l’enfermement et dès l’autorisation de sortie du territoire national (ASTN) en poche (cela m’a obligé à mille et une ruses et m’a pris plusieurs mois), je m’envolais en direction de mon cap nord, celui de l’air parfait, innocent. Je suis arrivé, incrédule mais heureux. Les gens ne comprenaient pas pourquoi je levais les bras en V et chantais « Layla ! Let’s make the best of the situation ! » mais ils souriaient. Les jours qui suivirent je me surprenais à parler aux arbres, aux oiseaux, aux chats et aux inconnus. Heureux. J’écrivais ci-dessus que « Layla » (et d’autres) ce n’est pas que de la musique ou des paroles, c’est Un monde.

Demain matin, comme hier et comme aujourd’hui, je m’en irai pédaler oreillette à l’oreille et masque au nez le long du chemin du Mas de Rigau qui longe la ligne de chemin de fer ou ailleurs en écoutant FIP.

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Quel déshonneur !

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Ce poème épidermique je l’ai écrit à la suite d’événements récents et des réactions nombreuses les approuvant ou les désapprouvant.(lire plus bas)

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Quel déshonneur !

Quel déshonneur que de confondre le bourreau et sa victime.

Quel déshonneur que de jeter l’opprobre sur un peuple en lutte parce qu’il ne nous ressemble pas.

Quel déshonneur que de stigmatiser un peuple colonisé au prétexte qu’il est musulman, chrétien, ou ce que vous voulez.

Quel déshonneur que de refuser d’aider les Palestiniens au motif que leurs dirigeants sont corrompus.

Quel déshonneur que d’emboucher les trompettes du colon et de s’exalter devant « la grandeur, le génie » d’Israël.

Quel déshonneur que de sacrifier sa propre mémoire et celle de ses ascendants.

Ainsi est notre humanité hélas, parfois vile.

Ahmed Hanifi

Marseille, le samedi 12 décembre 2020

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Etc.

Anne Sylvestre

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER ANNE SYLVESTRE

On l’appelait Anne, elle habitait Paris. Elle écrivait des chansons et les chantait munie de ses seules voix et guitare. Lorsque j’ai débarqué, tout jeune, à Paris, au milieu des années 70, c’est elle, et d’autres bien sûr, qui m’a fait aimer cette France, la sienne et celle de Tachan, de Ferré, de Moustaki, de Béranger et d’Arlette et Alain aussi à leur manière à Presles, à la Courneuve ou à Paris même. On a tort d’ignorer (quelle bêtise !) cette partie importante de la France faite de bonté, d’amour, de générosité. Cette partie de la France si proche des peuples du sud. Anne et les autres étaient mon autre pays, celui qui m’a accueilli. Ils étaient ma France. J’avais vingt ans et le cœur rempli de ressentiment et de pleurs. Anne et les autres nous invitaient à leurs tables et estrades que nous n’avons jamais désertées. La table des luttes de l’amitié, de la fraternité. Certes il y eut des hauts et des bas. Anne est restée dans nos cœurs, comme Tachan, Ferré et les autres, avec, le temps aidant des relectures imposées par les expériences individuelles et globales, mais le socle est toujours là, vivace. Je me souviens du concert qu’Anne Sylvestre avait donné au cœur de Levallois-Perret, juste en face du « Grand Bazar » (place Henri Barbusse, aujourd’hui grand marché couvert) où j’avais été embauché à temps partiel (pour cause d’études). Je venais d’arriver d’un pays qu’un dictateur barbelait à tout va. Je buvais ses paroles, tout autour de moi c’étaient sourires de bienvenu : José, Fernand, Mustapha, Catherine L. et Catherine P, Anne (une autre), Katherine D. et Alain (un autre), Denis et Lisbeth. Je ne vous oublierai pas. Vous m’avez tous accueilli les bras grands ouverts. Cette France-là que vous portiez est aussi la mienne. Aujourd’hui Anne n’est plus. Elle est partie avant-hier lundi 30 novembre. Elle avait 86 ans.

« Je n’ai plus personne à Paris
L’un après l’autre ils sont partis
Partis de corps ou bien de cœur
Partis se faire aimer ailleurs
Et c’est dommage »

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Je n’ai plus personne à Paris

Je n’ai plus personne à Paris (2 fois)
Je croyais avoir des amis
Oui, de ceux que ne déracine
Aucun orage

Je n’ai plus personne à Paris
L’un après l’autre ils sont partis
Partis de corps ou bien de cœur
Partis se faire aimer ailleurs
Et c’est dommage

Qu’ils aient laissé ce vide en moi
Et tout ce froid

Tant va l’ami, tant va l’amour
Tant vont les nuits, tant vont les jours
Qu’à peine les a-t-on connus
Qu’à peine les a-t-on tenus


À peine avait-on commencé
De les faire coïncider
Avec ses rêves, avec sa vie
Qu’il faut, avant d’avoir servi,
Plier la nappe

Je n’ai plus personne à Paris (2 fois)
Moi, j’aimais tant les inviter
L’un après l’une ont déserté
Vers d’autres tables
Qui leur servira ces repas
Que sans eux, je ne ferai pas ?
Et ma tendresse, avec mes vins
Resteront à vieillir en vain
Inconsolables
De n’avoir pas su leur donner
Goût de rester

Tant sont tissés de tous nos jours
Que le moindre de nos détours
Nous fait perdre un ami, souvent
Et ce n’est jamais le suivant
Qui le remplace

Et l’on apprend, avec le temps,
À faire taire en soi l’enfant
Qui, pour qu’on veuille l’écouter,
Aimait partager son goûter
Après la classe

Je n’ai plus personne à Paris
Et je crois que j’ai bien compris
Je garde mes chagrins pour moi
Et je crois, je crois cette fois
Bien être adulte

De vous, je n’attendrai plus rien

Mais si vous trouvez le chemin
Qui vous ramènerait chez moi
Il est possible que la joie
Qui en résulte
Emplisse les rues de Paris
Me rende quelqu’un à Paris

www.parolesnet


Défendre les Droits de l’homme est un honneur

POINT DE DÉPART, CETTE CONDAMNATION.

TV5 MONDE_ 26.11.2020

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CLIQUER SUR CE LIEN POUR VOIR LA VIDÉO « CONDAMNATION DE L’ALGÉRIE »

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Il y eut ensuite « un lâché » sur les défenseurs d’un discours de respect des Droits de l’homme, notamment sur Facebook. En réponse à un ami à la suite du tintouin autour de la Résolution du Parlement européen condamnant le Pouvoir algérien, je lui ai adressé ce texte.

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Bonjour W., excuse-moi, je vais être long.

Tu es d’accord pour dire comme moi que cette condamnation européenne rend fous tous ces médias algériens (j’ajoute le Pouvoir aussi) et que c’est voulu. Tu ajoutes « et ça marche ! ». Évidemment, ça ne peut que marcher pour la majorité du peuple. Cela fait 60 ans que la télé martèle les même slogans. Ça ne peut que marcher, surtout si on y accole des termes comme « Israël », « Palestine », « colonisation », pour brouiller les pistes tout en omettant les Ouïghours, les Kurdes… et en fermant les yeux sur la réalité interne au Bled, absolument catastrophique sur de nombreux domaines (cf. chiffres Unesco, Onu, RSF, OMS, Algeria Watch, FIDH…)

Ces médias algériens manipulent l’événement (la condamnation du Pouvoir algérien par le Parlement), car il ne s’agit pas du tout d’une ingérence (« de l’UE » disent-ils, malhonnêtes), il s’agit d’engagements non respectés par les Algériens. Ces médias créent une bulle dans laquelle s’engouffrent beaucoup d’Algériens qui n’ont hélas pas suffisamment d’information (bâillonnement de la parole libre), je ne leur en veux pas. Il y a d’autres catégories d’Algériens qui ont les moyens de la mise en perspective, qui ont les moyens intellectuels, qui voient le monde évoluer… et qui s’engouffrent dans cette bulle, dans cette manipulation pour maintenir leurs petits intérêts égoïstes, ou simplement par soutien idéologique à un pouvoir autoritaire (le même depuis des lustres) qui ordonne aux médias (et aux Algériens) de ne pas outrepasser telles et telles lignes rouges. Cette catégorie d’Algériens défend la politique anachronique de ce pouvoir algérien (qui viole sa propre constitution : notamment sur la défense des Droits fondamentaux en son préambule et en son chapitre Un du titre Deux) et dont ils reprennent l’argumentaire mot à mot, c’est leur droit absolu de soutenir l’autoritarisme, mais ils n’assument même pas. Ces gens-là soutiennent ce pouvoir corrompu car la démocratie qui fait émerger le peuple des bas-fonds et qui met à nu leurs desseins ça leur fait peur et les dérange (aussi) dans leurs petites affaires. La plupart d’entre courent ensuite se laver à la mosquée dix fois par jour et se bousculer aux premiers rangs du minbar en prenant Dieu pour ce qu’il n’est pas. Ces gens-là sont hypocrites et dangereux parce qu’ils savent. Attention je commence à partir en vrille. Il me faut m’arrêter ou freiner.

Une dernière chose quand-même cher W. : c’est une question de principes ! Si je suis attaché à la défense des Droits fondamentaux de chaque citoyen, je ne vais pas me taire (et donc les taire) parce que d’autres que moi, que je n’aiment pas, les défendent (même s’ils soutiennent Trump, l’Iran, Israël, L’Arabie saoudite, les EAU, le Maroc, la Chine et que sais-je encore, le Pape…) Je dois défendre les Droits des Algériens car je crois en ces Droits fondamentaux. Il ne faut jamais tergiverser sur les Principes. À moins de ne pas en avoir et ça c’est une autre question. Lorsqu’on a des Principes on les défend quelles que soient les circonstances (j’admets avec plus ou moins de verve c’est vrai car je ne suis pas un kamikaze non plus). Qu’on le veuille ou non la terre est ronde, ainsi que le soleil, la lune… Si un salopard me dit que la terre est ronde, que le soleil aussi et la lune idem, je ne vais pas lui dire « non c’est faux car tu es un salopard ! » je l’approuverais d’abord. Ensuite, et ensuite seulement je lui dirais qu’il est un salopard. Ces gens-là (ceux qui noient le poisson en algérie) se cachent derrière les méfaits de l’Europe, des Américains, du Pape, d’Israël… pour mieux se cacher les yeux, se boucher les oreilles et fermer la bouche (as-tu lu mon poème « Potiche » posté hier sur Facebook ?)

(Le poème, »Potiche » , est ici en fin d’article)

Je te donne un exemple : dans les années noires il y avait les assassinats islamistes et les « dérapages » (on a même parlé de planification de la terreur) de segments des forces diverses à l’ombre du Pouvoir. Il y eut entre 7.000 (reconnues officiellement) et 20.000 (LADDH) disparitions forcées. À l’époque (beaucoup moins aujourd’hui) nous dénonçaient pour « soutien aux familles des terroristes ». Il y eut des menaces, des filatures… Tu le sais peut-être, de la question des disparitions forcées j’ai fait un roman « La folle d’Alger » qui a eu un certain succès. Des années plus tard ce combat des mères, épouses, filles de « disparus » qui a été mis en lumière grâce aux soutiens des années durant par Le FFS, le PT, la LADDH, Le Parlement européen, Amnesty International, LA FIDH, Algeria-Watch…, ce combat a été officiellement reconnu (le pouvoir n’avait plus le choix), et tous les Algériens savent aujourd’hui la responsabilité de certains segments à l’ombre du pouvoir de la Issaba d’alors, et dont nombre d’entre leurs responsables sont en prison aujourd’hui. Mais la Vérité et la Justice restent hélas encore à venir. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, je suis fier de me regarder dans un miroir.

Le combat continue car beaucoup d’Algériens souffrent. Beaucoup d’Algériens victimes de la Hogra sont détenus car ils ont juste exprimé leur droit fondamental, celui de donner leurs opinions, un droit fondamental reconnu par la Constitution algérienne, celle-là même qui attend d’être promulguée faute de signataire. Quel comble !

Désolé pour la longueur. J’avais encore deux fois plus à dire, mais…. Une autre fois, ailleurs.

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AUTRE VIDÉO: KARIM TABBOU SUR F24 _ LE 24 NOV 2020

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CLIQUER SUR CE LIEN POUR VOIR LA VIDÉO DE KARIM TABBOU

Potiche

Quand ils ont arrêté l’opposant politique je n’ai rien dit

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont frappé le militant des Libertés je n’ai rien entendu

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont bâillonné le journaliste je n’ai rien vu

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont fait disparaître le voisin j’ai dit que je ne le connaissais pas

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester

Je n’avais jamais rien fait.

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Pastiche en l’honneur de Martin Niemöller

Ahmed Hanifi, Marseille le 28 novembre 2020

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Incipit en W, point final

« INCIPIT EN W », la maison d’édition que j’ai créée en 2014 a vécu. Voilà. Une belle aventure s’est achevée il y a quelques mois. Fierté d’avoir publié une vingtaine d’auteurs, d’autrices. D’avoir passé des journées entières plongé sur chaque manuscrit, chaque page, chaque ligne, à lire, relire, corriger, échanger avec l’auteur, l’autrice. Des heures entières à corriger, cadrer, rectifier (pour l’imprimeur). Des journées de bureaucratie aussi (Bibliothèque nationale, Urssaf, Impôts…) Les difficultés n’ont pas été en reste. Elles furent nombreuses. Parmi les plus importantes figure la diffusion. La plupart des libraires contactés, suppliés, bousculés, harcelés, etc, n’ont pas vraiment joué le jeu… Pas tous heureusement. 

Que chacun des auteurs, autrices, qui nous ont fait confiance soit ici remercié. Je les ai tous en amitié, et en mémoire. Cinq ans c’est une expérience, un parcours, une histoire, une grande satisfaction !… et une exigence d’énergie insoupçonnable. Mais avec à la clé une réelle et belle aventure. 

« Culture club » c’est fini

J’apprends que l’émission hebdomadaire sur Canal Algérie « Culture club » est définitivement arrêtée. La censure est exécrable. Je comprends bien ce tollé naissant à la suite de la suppression de l’émission « Culture Club », je l’entends bien. Au pays de l’aveugle le borgne est roi. Je veux dire que les émissions culturelles sont rares dans la sphère médiatique algérienne, si l’on met de côté la chanson et le bendir. Et dans ce désert culturel, Culture club apparaissait comme une lumière, ce qu’elle n’était pas du tout. Disons qu’elle barbotait dans une marre. Il reste néanmoins que sa « liquidation » est à dénoncer. Je ne connais pas les dessous de cette suppression et ce qui est prévu pour remplacer l’émission, si tant est qu’on ait prévu quoi que ce soit. Mais je peux néanmoins écrire qu’à part quelques rares moments d’exception, ça ronronnait en rond dans « Culture Club arobase point com ». On n’a jamais entendu quelque réflexion que ce soit d’un téléspectateur, très sollicité par ailleurs, via le ridicule « vos questions, vos réactions ». Je n’ai jamais entendu un point de vue, ou une question d’un téléspectateur alors qu’il est sans cesse sollicité « n’oubliez-pas ‘culture club arobase point com’ » disais-je. Ça ronronnait et ça se léchait en famille. Je t’embrasse, tu m’embrasses, on connaît la chanson. Ça sentait souvent le détestable copinage.Toujours les mêmes poncifs, les mêmes phrases stéréotypées, les mêmes arguties. Toujours rester lisse, caresser ou pourfendre dans le sens du poil, aucun débordement non autorisé. La peur donc. Toujours les mêmes salamalecs, peu de profondeur, peu de recherche, peu de réflexion sur l’art, la littérature…. Les mots galvaudés, dénués de sens sont repris, étalés pour épater comme on étale le peu de confiture qu’on possède pour montrer aux voisins qu’on en possède de la confiture (culture). «Nos agitateurs », agitateurs dans un bocal ou un verre de thé peut-être. La parole donnée à l’invité, lui était vite reprise par le présentateur qui adorait s’entendre parler en remuant ses yeux et sa grosse gourmette en or (ou argent) « n’oubliez pas arobase entv point dz » qu’il répétait ainsi que d’autres termes-tics à en devenir malade. Toujours (ou presque) les mêmes troncs qui circulent en rond depuis des années. Où Kateb Yacine, Mimouni, Djaout, Martinez et d’autres monopolisaient, à leur corps défendant, l’essentiel du temps alors que les jeunes espoirs, parfois brillants, sont abandonnés à eux-mêmes. Et il y en a pourtant à la pelle dans les trois langues, j’en ai rencontré. Alors que des sommités (algériennes bien sûr) de la littérature francophone, saluées dans le monde entier, étaient reniées. Ordre politique: Boualem Sansal, Kamel Daoud, Salim Bachi, Maïssa Bey… Ah, Culture club, la facilité et le copinage très souvent. Je t’invite, tu m’invites…. Mais, hélas, hada ma halbet. Je préférais de loin, de très loin, l’émission de Youcef Saïeh « Expression Livres » qui, sans se la péter (désolé), nous persuadait qu’il en savait quelque chose du titre en question dans l’émission, qu’il avait lu de fond en comble le livre de l’invité. C’est vrai qu’il parlait beaucoup aussi, mais pas dans le vide, il ne soufflait pas du vent pour le vent. Et il posait de nombreuses questions à l’invité, le poussait pour en dire toujours plus sur ses écrits. Tel est mon point de vue.

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SUR FACEBOOK :

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LE SOIR D’ALGERIE:

La scène artistique indignée

Suppression de l’émission «Culture club» 

Publié par Sarah Haidar  – le 03.10.2020 , 11h00

C’était l’un des rares programmes culturels de Canal Algérie et rien que par son existence, l’émission « Culture Club » faisait beaucoup d’heureux parmi l’audimat d’une télévision publique exsangue. 
Présentée par Karim Amiti, l’émission culturelle hebdomadaire « Culture Club » n’est plus. Les raisons de la suppression des programmes de la grille de Canal Algérie ne sont pas explicitées, mais il s’agirait, selon nombre d’acteurs du domaine, de censure. 
Écrivains, musiciens, plasticiens, femmes et hommes de théâtre, ou encore cinéastes et comédiens, « Culture Club » invitait chaque semaine un groupe d’artistes et auteurs pour discuter de leurs œuvres. En effet, tout dans le contexte actuel marqué par la lutte contre la diversité d’idées et le débat contradictoire laisse penser que l’émission où des invités de tous horizons et de tous bords idéologiques venaient s’exprimer a été censurée. La suppression « définitive » de cette émission a suscité une vague d’indignation au sein du milieu artistique et littéraire où de nombreux acteurs ont dénoncé ce qu’ils considèrent comme de la censure. L’écrivaine Amina Mekahli rend hommage au « professionnalisme, l’humanisme et l’humilité » avec lesquels Karim Amiti « a œuvré au rayonnement de la littérature et de la culture algériennes ». Et de conclure : « Ils peuvent arrêter une émission mais jamais ils ne pourront arrêter la passion qui l’anime .» Le professeur d’arts dramatiques Habib Boukhelifa  dénonce « le retour de la pensée unique et de la chape de plomb » et regrette « une émission phare que les Algériens adorent ». La metteure en scène Hamida Aït el Hadj, pour sa part, crie « au secours, la guillotine est sortie du musée » et déplore la mort d’une émission que «tous attendaient : les artistes, les écrivains, les plasticiens » et tous ceux qui « croyaient en une renaissance de la culture algérienne ». Tout aussi affligé, le pédagogue et ancien conseiller au ministère de l’Education nationale Ahmed Tessa parle d’une « mort en direct » et regrette « la rare, pour ne pas dire la seule bouffée d’oxygène dans le champ télévisuel algérien. Toutes mes condoléances aux amis de la culture, aux écrivains, artistes, universitaires et auteurs  suite à ce décès programmé de la culture ». Raja Alloula, la présidente de la Fondation Alloula et veuve du défunt metteur en scène, se dit, quant à elle, « ahurie et stupéfaite par l’arrêt de l’émission qui, depuis des années, nous réconcilie avec la télévision algérienne. Une émission où la création est mise à nu, où la riche discussion va dans les profondeurs de la création, où un animateur pose les questions qu’il faut pour la connaissance d’une œuvre artistique. En retour, le riche débat qui s’ensuit nous pousse à lire, à acheter des ouvrages pour enrichir notre bibliothèque (pour ceux qui en ont une). L’animateur de cette émission est, progressivement, devenu notre ami, celui qui nous révèle depuis des années les méandres de l’univers des artistes. C’est ainsi que nous faisons souvent connaissance avec des noms de notre culture qu’aucun autre espace télévisé ne présente ». 
Un autre son de cloche, beaucoup moins consensuel et néanmoins intéressant, vient de l’auteur et universitaire Ahmed Hanifi qui publie sur son blog un texte où il commence par dénoncer la « liquidation » de « Culture Club » mais exprime un avis tranché sur cette émission où « à part quelques rares moments d’exception, ça ronronnait en rond. (…) Ça sentait souvent le détestable copinage. Toujours les mêmes poncifs, les mêmes phrases stéréotypées, les mêmes arguties. Toujours rester lisse, caresser ou pourfendre dans le sens du poil, aucun débordement non autorisé. La peur donc. Toujours les mêmes salamalecs, peu de profondeur, peu de recherche, peu de réflexion sur l’art, la littérature…. Les mots galvaudés, dénués de sens sont repris, étalés (…) »
S. H.

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Le 25 juin 1992, je me trouvais dans le cortège du président Boudiaf

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Préalablement je me dois vous dire que la narration du cortège proprement dit (comment je me suis trouvé dedans etc.) commence ci-après à la 104° ligne, au 1720° mot, c’est plus juste. Alors, soyez patients et lisez ce qui précède qui est tout autant intéressant (je le pense et l’espère).

Cela s’est passé il y a 29 ans. Toutes les étoiles du Nord n’avaient pas suffi pour maintenir intact notre espoir cardinal et nos résolutions pacifiques qui allaient être contrariés, gravement blessés, pis encore qu’ils ne l’avaient été quelques mois plus tôt, à l’aube de la nouvelle année. Nous étions le dernier lundi de juin et notre pays et ses hommes allaient incessamment sombrer bien malgré l’écrasante majorité d’entre eux dans un gouffre de déraison qui attristerait le temps, un monde d’affres et d’épouvantes, une longue nuit, un cauchemar interminable, dont les premiers signes annonciateurs nous avaient été livrés disais-je six mois plus tôt, et pour certains depuis plusieurs années.

Nous allions voir ce que nous allions voir. L’horloge de mon bureau indiquait 13h30. Sur mes fiches d’identification de poste de travail que j’appelais FIP, j’ajoutais, rayais, surchargeais, rectifiais, revenais à l’indication initiale. Pour chaque poste de travail (plusieurs centaines) il me fallait proposer une évolution possible. Je croyais fermement que les grands patrons m’avaient proposé ce job de « chef de gestion de carrières » parce qu’ils me prenaient au sérieux, croyaient en mes compétences. Plaisanterie. « Le gaz est naturel. Il coule dans des tuyaux depuis le Sahara jusqu’ici. On ouvre les vannes et on remplit les méthaniers. Les dollars arrivent, coulant à flots, dans l’autre sens et dans d’autres tuyaux, opaques. Et on les distribue, avec ou sans le syndicat. Tout le reste est du festi » me répétait un vieux collègue qui en avait vu des vertes et des pas mûres depuis les premiers temps de la Camel. « Tous ces services de Personnel, de Carrières, de Moyens généraux, de Social et de et de… ça sert à rien, qu’à nous faire passer le temps ». Je ne le croyais pas. À tord.

Il était 13h30 ce lundi 29 juin. Max-Si-Ali (appelons-le Max-Si-Ali), notre syndicaliste-chef maison est entré comme une furie dans mon bureau, j’ai cru qu’il avait dans son élan déglingué les paumelles de la porte de mon bureau.

– Tu as entendu la dernière ?

– Quoi ? 

– Boudiaf, Boudiaf, a-t-il bégayé le souffle et les yeux aux abois, il a été liquidé ! 

– Euh ?

– En direct à la télévision… 

Et il a fait demi-tour vers l’extérieur aussi rapidement qu’il est entré en claquant la porte, pour aller porter la mauvaise nouvelle à tous les bureaux. Un brouhaha s’en est suivi, car d’autres collègues venaient d’apprendre la nouvelle et eux aussi ont décidé de s’en faire porteurs. J’ai abandonné mes FIP et mes courbes et mes stats, et suis sorti précipitamment, emporté par la folle nouvelle et c’est tout le complexe de liquéfaction qui se transformait en souk d’échange d’informations et de rumeurs.

La journée commençait, jusqu’à ce moment-là, ordinaire dans une usine ordinaire de la Sonatrach à Bethioua (Arzew). Max-Si-Ali passait son temps à récolter des informations et des rumeurs qu’il distillait après les avoir triées, alimentées. Max-Si-Ali a passé une grande partie de sa vie syndicale (il était technicien supérieur affecté à un poste fictif) à combattre contre vents et marées pour que « goffat el aïd » (1), au profit des travailleurs, soit reconduite chaque année. Le couffin qui nous avait été offert le mardi 9 et mercredi 10 juin était bien conséquent. C’était pour chacun ou le 9 ou le 10, le matin ou l’après-midi, selon le poste qu’on occupait, le service, le département, la sous-structure, tout était calculé et précisé à l’encre noire dans un grand tableau blanc Excel (42X30) démultiplié en autant d’exemplaires qu’il y avait de lieux d’affichage. Le tableau était scotché, punaisé ou agrafé à l’entrée des départements, des services, sur la porte du local syndical, et bien sûr sur la porte et les murs de la Coopérative syndicale). Deux gros tampons l’accompagnant : celui du Syndicat – encre bleue – et celui de la Direction – encre rouge  –, main dans la main et drôles de couleurs. L’aïd du mouton est tombé le week-end suivant. Max-Si-Ali était comme le père Noël, et rouge comme lui. Un grand syndicaliste, très apprécié – malgré tout – par tous les directeurs successifs. Les travailleurs aussi, mais ceux-ci n’avaient pas d’autres choix. Max-Si-Ali avait du mordant, du bagou, de la répartie, mais il ne fallait jamais évoquer devant lui les conditions de travail des chaudronniers, des manœuvres ou des saisonniers par exemple. Jamais évoquer les relations qu’entretenaient avec eux les petits-chefs, jamais évoquer les décisions unilatérales. Cela risquait de le rendre plus rouge encore.  

Max-Si-Ali a couru donc comme une flèche pour être le premier à donner la mauvaise nouvelle comme un augure écrasé par les événements. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’il n’était pas seul dans le couloir, il a pris la direction de la Direction. Notre planète est sortie de ses gonds immémoriaux puis s’est arrêtée de tourner le temps d’une rotation. « Ils l’ont eu » me suis-je entendu dire. Toutes les télés du monde se sont brusquement tournées vers nous. Nous étions de nouveau le cœur d’un monde malsain et incertain. Elles ne parlaient que de ce terrible drame et le film de l’événement repassait en boucle. « Le chef de l’État algérien, Mohamed Boudiaf a été assassiné ce matin à Annaba, à 600 km d’Alger. Le président algérien était en train d’inaugurer une maison de la Culture… » a annoncé Paul Amar en ouverture du journal 19/20 de FR3. Des lots d’images, par dizaines, se bousculaient dans mon esprit.

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CLIQUER ICI POUR VOIR L’EXTRAIT DU JOURNAL TÉLÉVISÉ DE FR3

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(une autre émission (vidéo) consacrée à Boudiaf, « La marche du siècle » est à voir à la fin de cet article)

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Trois jours auparavant, Jamel (appelons-le ainsi) m’avait lancé des mots à l’oreille comme un reproche, des mots qui ont claqué à mes pavillons endoloris, comme encore aujourd’hui même si beaucoup d’eau, d’encre et de sang ont coulé sous les oueds, sur les papiers journaux et sur la terre des martyrs depuis. « Tu es devenu fou, tu l’as échappé belle ! » C’est ce qu’il avait susurré. « Tu t’es retrouvé dans le cortège ? mais tu es devenu fou, tu as pris un risque incalculable ! tu l’as échappé belle ! » J’ai eu beau lui expliquer que cela était le fait du hasard, rien n’y faisait, il répétait jusqu’à ce que sa voix s’éteigne « hbelt ya sahbi, hbelt ! tu es devenu fou mon ami ». J’ai déjà précisé que Jamel n’est pas le vrai prénom de mon ancien collègue et ami (il ne l’est plus). Si j’écrivais ici l’ombre de l’ombre de son prénom, ou pire encore de son nom, il me réduirait – 29 ans plus tard – à néant. C’est qu’il a toujours détesté d’assumer publiquement ses choix politiques. Il n’aimait pas les vagues et adorait les ombres. Les mots que Jamel disais-je, m’avait murmurés le 26 juin, claquent encore à mes oreilles comme un coup de fusil dans l’Arizona : « tu es devenu fou, tu l’as échappé belle ! » m’avait chuchoté l’ex ami à qui j’avais détaillé le récit de mon aventure quelques jours plus tôt. Il avait bien raison sur ce coup-là.

Aujourd’hui, 29 ans plus tard, je tremble encore de ma folie. Je vous explique. Mais d’abord qui est qui ? Jamel était un collègue dont j’appréciais les compétences et l’amitié sincère. Nous travaillions à la Sonatrach (1° entreprise d’Afrique). C’était un haut cadre de notre boîte. Pendant tout le mois de mars, c’était ramadan, nous avons préparé, ainsi qu’avec Belabbès (appelons-le Belabbès), le sous-directeur de la Production, une vidéo qui, trois mois plus tard, nous représentera au 10° Congrès international du Gaz à Kuala-Lampur qui a eu lieu du 25 au 28 mai 1992. Le sous-directeur (et ami aussi, de second ordre) m’avait chargé de m’occuper de la lecture du texte explicatif accompagnant le déroulé (présentations de l’entreprise, du Distributed Control System, du traitement des unités de dessalement de l’eau de mer : Thermocompression, etc.) Il a préféré que cela soit moi qui le lise parce que, me disait-il, croyant me faire plaisir « tu as l’accent parisien », à croire que Kuala-Lampur allait se transformer en un nid de concours d’expression parisienne. J’étais revenu de Paris quelques années auparavant m’installer au Bled, mais cela ne me ravissait pas particulièrement que l’on me flattât de l’accent qui était le mien, pas plus aujourd’hui en 2020 (un peu plus fleuri probablement par les galets des plages et les cigales des pinèdes). Cet accent ou un autre cela m’était égal, aujourd’hui plus encore, et son mot a glissé sur moi, sans effet autre qu’un haussement d’épaules redoublé.

Mais je reviens à Boudiaf et à mon « échappée belle. » Deux semaines après la fête du mouton du 11 juin, le président Mohamed Boudiaf faisait une tournée d’inspection dans le pôle industriel d’Arzew (33% des richesses nationales). Comme pour de nombreuses personnalités, le passage par les complexes de transformation des hydrocarbures est obligé, ainsi que par le principal village Sonatrach (il y en a onze) appelé « Camp 5 » (800 « chalets » individuels, tout en bois comme là-bas en Amérique du Nord où ils ont été fabriqués avec jardin et infernal chiendent (sapristi de morbleu de chiendent inébranlable), garage, circuit de télévision intégré et tout, stade de hand-ball, de base-ball, dancing, pub… et même un étrange mur de pelote basque. Un village dans lequel vivaient environ 3000 habitants). Ce camp 5 où nous résidions se trouve au sud de Aïn-el-Biya, le village ancien, à mi-route entre Mosta et Oran. Un rite profane auquel n’échappe aucune haute personnalité surtout internationale. Le Camp 5 était un lieu privilégié par les hauts responsables.

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Dans mon agenda, à la date de ce jour-là, un jeudi 25 juin exactement comme aujourd’hui, j’avais écrit « Boudiaf chez nous » et tout le détail, à l’encre rouge indélébile, qui me sert aujourd’hui pour narrer ce temps ancien. En cette fin de matinée du dit jeudi 25, le soleil dardait nos velléités. Quelques nuages épars faisaient exception à la fête qui s’annonçait, des grains de sel blanc moutonneux. C’était en effet le début du week-end et en quelque sorte avec cette visite du président c’était un jour de fête. Il ne manquait que les pom-pom girls.

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« Les premières années au Camp 5 (appelé camp américain, car construit – comme les usines – par eux et pour eux sur des terres viticoles avec la bénédiction des Autorités prosternées) on se croyait à Kansas City je te jure » me disait un ancien, qui savait de quoi il parlait. Il avait fait plusieurs séjours au Kansas justement dans le cadre des formations des ingénieurs. Lors de la visite de Boudiaf, il n’y avait pas de pom-pom girls, ça ne se fait pas (l’esprit de certains étant parfois tordu), ni de pompons, mais tous les enfants du village (les écoliers ne portaient pas leurs tabliers roses ou bleus selon le genre) agglutinés de part et d’autre de l’avenue principale du camp en chantant, en braillant, applaudissant (comme ils pouvaient) faisaient mieux tenant chacun un drapeau rouge vert et blanc 15X20 tout neuf. Certains adultes à qui personne n’a rien demandé, jouaient à l’agent de police et priaient les enfants de se redresser ou de se calmer. Peine perdue. Les islamistes (on disait « boulahya », les barbus, un peu par moquerie) ne se sont pas déplacés, car ils n’aimaient pas Boudiaf. Au soir de l’innommable dans leur vilenie, les plus radicaux/radicales youyouteraient.

En fin de matinée, le cortège officiel est arrivé. Une trentaine de voitures, majoritairement des Peugeot 505 métallisées et sombres les plus sophistiquées. Je possède une voiture du même type, grise et vitres fumées, mais beaucoup moins rutilante. À vrai dire ma 505 avait pris quelques coups. Les phares, depuis qu’on avait tenté de forcer leurs caches pour les voler, je les ai attachés avec du fil de fer SNS galvanisé (3,50 mm), sous le capot. Tous les passagers sont descendus dès la barrière de sécurité du Camp franchie. Les chauffeurs se sont garés sur le parking jouxtant le kiosque à journaux, devant l’abri des camions de pompiers et tout le long de la première rue transversale et de part et d’autre. Les nombreux motards de la gendarmerie qui accompagnaient le cortège se sont dispersés un peu partout autour des Peugeot. Ils sont descendus de leurs engins, sans s’en éloigner, ainsi les chauffeurs des voitures. On a vu aussitôt briller de rouge une dizaine de bouts de cigarettes.

Le président est arrivé en costume bleu sombre avec une cravate bleue tachetée de points blancs, posée sur une chemise blanche, droit et fier comme le i majuscule d’une grande machine ou comme Lee Van Cleef, entouré d’une cohorte de gros bras, tous ‘enlunettés’ Ray Ban type Blues Brothers (il y avait plus chic pourtant) ou tendance tontons macoutes, et de responsables en tout : directeurs, sous-directeurs, chef de la Sécurité1, chef de la Sécurité2, 3, etc. faisant crépiter leurs Talkie Walkies pour frimer, Wali, chef de daïra (préfet, sous-préfet), maire, chef du Camp, Chef cuisinier, Chefs de départements, de services, de sections, d’équipes, Chef du Syndicat, son bras droit, son bras gauche, Chef de l’Union Territoriale et d’autres quidams. Bref, nous étions tous là. « Tu le vois ? » j’ai demandé à mon fils en le posant sur mes épaules, « là, le grand monsieur avec la main contre son oreille, il entend mal ». Malek avait sept ans. Le président nous a salués, dit sans chichi quelques mots ordinaires d’encouragement en arabe national (l’arabe de nos mères, de nos grands-mères, pas celui de la télévision) à des enfants en caressant une épaule, une tête, puis on l’a précipité dans les locaux de « l’Administration », près du grand et moderne restaurant et de la grande piscine, fiertés du Camp parsemés de mille et un fanions aux couleurs orange et noir de l’entreprise et de mille et un mini-drapeaux aux couleurs officielles du pays. Bien évidemment les bordures des trottoirs avaient été repeintes la veille en rouge et blanc, sur une partie du parcours. Peindre les bordures des trottoirs (toujours en rouge et blanc) quelques heures avant l’arrivée d’une haute personnalité est un sport partagé avec enthousiasme par tous les peintres et leurs chefs dans toutes les contrées du pays. Le lendemain, les traces de centaines de paires de chaussures forment des figures étranges sur le reste des trottoirs, sur le bitume, et marquent le passage des habitants peu regardants.

Mon fils Malek, et moi, ne pouvions rester plus longtemps, car nous devions nous rendre à Oran, au Stade du 19 juin pour assister à la finale de la coupe d’Algérie de football : JSK-ASO. Mon fils aimait beaucoup le football. À l’époque, il y jouait jour et nuit avec ses amis de la rue 7, de la rue 10, 33, 9… heureusement toutes bien éclairées dès la tombée du jour (ce n’est plus le cas aujourd’hui). On comptait trois lampadaires par section de rue. C’était assez pour courir derrière une balle en été… Bien sûr, comme en Amérique, on reconnaît les rues par le ou les chiffres qu’elles portent, les chiffres les nomment pour ainsi dire. Et comme il a été studieux durant sa toute première année scolaire, parole de maîtresse, je lui ai offert cette finale.

Le président et sa suite allaient eux aussi quitter le village. Les gardiens laissaient sortir les voitures, mais pas entrer. Sur la N11, la nationale ralliant Aïn-el-Biya à Oran, à hauteur de l’entrée de Gdyel, les gendarmes affectés à l’entrée est de la ville m’ont empêché de continuer. « Par là vous pouvez », m’a fait l’un d’eux. « Par là », c’est-à-dire par une piste à l’intérieur des terres, une route de terre étroite, parallèle à la nationale, au terme de laquelle on peut soit pénétrer dans la Forêt des lions et atteindre Kristel, puis longer la Méditerranée jusqu’à Oran, soit revenir sur la N11. La piste contourne Gdyel par le nord-ouest. Je l’ai pénétrée, longée. Une piste qui n’en est vraiment pas tout à fait une, heureusement peu utilisée ce jour-là. Je l’ai tant bien que mal suivie. J’ai roulé sur le flanc de la ville sans encombre. À la sortie ouest, à l’instant où je m’apprêtais à rejoindre la nationale, je suis tombé nez à nez avec les voitures de fin du cortège présidentiel, qui filait à très vive allure. La vitesse maximum officielle autorisée par heure était 80 km. Le cortège roulait à plus de 140 km, je le constaterais plus tard sur mon compteur.

J’ai emboîté le pas à la dernière voiture. Un motard de la garde, un motard retardataire, sorti de je ne sais où, a ralenti derrière moi, pensant certainement que je faisais partie du cortège et que j’avais pris quelque retard. Il n’a pas vu mon fils couché sur la banquette heureusement (ou pas). Cette facilité me donnait des sueurs. Je ne l’ai pas comprise (et ne l’ai jamais comprise depuis), mais l’heure n’était pas à ce type de réflexion. Mon véhicule était de même marque que nombre d’entre ceux qui formaient le cortège, de même marque, mais très poussiéreux. Me voilà, à mon corps défendant, « dedans ». Il me fallait dès lors assurer l’allure. C’est-à-dire rouler à très grande vitesse. Le motard a accéléré, s’est positionné sur ma droite et est demeuré à ma hauteur deux ou trois éternelles minutes à parler dans le micro intégré à son casque, puis décèlera pour clôturer le cortège. Un deuxième motard s’est adjoint au premier. Comme les véhicules qui me précédaient, j’ai activé les feux de détresse. Nous avons traversé Sidi-el-Bachir, Bir-el-Djir, comme des bolides, protégés par quantité de motards protecteurs. L’aiguille du compteur kilométrique vibrait pendant plusieurs minutes, je le jure, sur 160. Je ne me souviens plus, mais il est probable que j’ai récité la besmala. J’étais sur le point de basculer et je l’acceptais forcé. Basculer vers quoi, vers où je n’en savais fichtre rien, mon esprit s’embrumait (je ne suis pas dans la littérature ici, je vous le promets que c’est ainsi ou presque que les choses se sont passées). Je n’avais aucune solution de rechange. C’était à prendre ou à prendre. J’étais le dernier véhicule et derrière moi, deux motards clôturaient le cortège pour le protéger d’éventuels intrus. N’est-ce pas. Et je suais à grosses gouttes. Elles perlaient, amères, de mon front aux lèvres. Lorsque vingt minutes plus tard nous sommes arrivés à Point du Jour et Bernandville, une armada de policiers au garde-à-vous, un tous les cinq mètres, nous attendaient. Ils nous accueillirent, main droite à hauteur de la tempe, immobile et doigts serrés. Je devinais la précision du geste plus que je ne le voyais. Un salut que je ne méritais aucunement. Les mêmes gouttelettes de sueur froide continuaient de couler sur mon front, sur ma bouche, sur ma nuque et le long du dos. Comment sortir de ce qui m’apparaissait comme une souricière, un traquenard ou un pétrin et il devenait urgent que je m’en extraie. Je faisais des constats et me posais beaucoup de questions et je savais que je ne détenais pas de réponses. L’instinct l’emportait sur toute réflexion. Comment ai-je pu me retrouver dans ce guêpier ? « Nous sommes en danger » pensai-je, mon fils et moi. Je me devais hélas constater encore et encore que je n’avais de choix que de continuer. C’est que nous étions arrivés à Oran.  Le convoi roulait toujours à vive allure, beaucoup moins toutefois que jusque-là. Aucun véhicule en mouvement à des centaines de mètres à la ronde hormis ceux du convoi. Et le mien. Cité Les Falaises dite Sonatrach, le boulevard Champagne, Gambetta mon quartier, avec en contrebas Cova Lawa (cueva del agua) et c’est mon enfance et mon adolescence qui défilèrent en quelques secondes, la jetée, 1° canon, 2° canon, 3°, l’apprentissage de la nage, de la pêche, tous mes amis, le bidonville, le bouge épique de Mamia, Dakkiya… Nous avons ralenti au niveau du rond-point du lycée Lotfi-Max Marchand, que nous avons emprunté sur la gauche jusqu’à celui de l’Académie. Enfin le siège de la wilaya.

Tout autour de l’immense escalier de l’entrée officielle, je ne pouvais compter les policiers en tenue, innombrables, ni deviner les autres en civil. Les chauffeurs des premières voitures ont pénétré dans le sous-sol de la préfecture. Les autres se sont débrouillés tant bien que mal pour stationner par-ci, par-là, écrasant sur les trottoirs et terre-pleins alentour fleurs et autres végétaux. « Nous sommes sauvés » ai-je pensé. Puis j’ai ajouté à haute voix « normalement » ce qui a fait réagir Malek. Il a dit « papa ! » Je lui ai répondu « chut ».

Il a dû rêver. À hauteur du 110 rue Mouloud Feraoun (ex René Bazin), il fait angle avec le boulevard du 5 juillet, j’ai braqué sur la droite et avancé de quelques mètres sur le boulevard très pentu, me suis arrêté devant le rideau baissé d’un garage sur le fronton duquel il était écrit « Le Froid d’Algérie » en lettres capitales orange à l’identique des volets des fenêtres des appartements de l’immeuble. J’ai désactivé les warnings puis éteint le moteur. Mon fils qui jusque-là dormait allongé sur la banquette arrière, s’est réveillé un peu perdu et a tenté de se redresser. Il avait dit « papa ! » sans rien ajouter. Là je lui ai lancé « dors Malek, dors encore un peu ». Je suis resté immobile un temps qui m’a paru infini. Dans le rétroviseur extérieur gauche je voyais un policier s’avancer vers nous, un sifflet à la main, Malek s’était laissé tomber. Lorsqu’il est arrivé à hauteur de mon véhicule, le policier a jeté un regard sur la plaque d’immatriculation, me sembla-t-il, puis il s’en retourna, ne nota rien. J’avais entre temps ouvert ma portière, fait mine de vérifier l’état de la roue avant gauche, celui de la roue arrière gauche, puis je l’ai refermée. J’étais moi aussi un peu perdu. J’ai demandé à Malek qui gesticulait de rester calme, mais c’est moi qui devais le demeurer. Nous ne sommes pas sortis du véhicule, pas dans l’immédiat. J’ai attendu que mon esprit revienne à de meilleures dispositions et que les autres véhicules – certains se sont garés comme moi sur le boulevard du 5 juillet, mais en double file pas comme moi – se fussent vidés de leurs passagers, une dizaine de minutes, avant de repartir, avec le maximum de douceur. J’aurais plané. Si j’avais pu nous rendre transparents, je n’aurais pas hésité. J’ai laissé avancer la voiture en direction du Front de mer.

Et c’est à hauteur de la station-service Naftal en face du lycée Lotfi, qu’un autre policier qui n’avait probablement rien à faire, me demanda de lui remettre les papiers du véhicule alors même que j’étais à l’arrêt attendant que le feu tricolore passe au vert. Je me suis exécuté sans même demander les raisons d’un tel abus ridicule, ce n’était pas le moment. Il a fait mine de lire le permis de conduire, l’attestation d’assurance, la carte grise. Derrière, plusieurs voitures s’impatientaient en klaxonnant. Le policier ne leur a pas prêté attention. Il m’a dit « li vites hadou, fimi ? » Exact, les vitres avant de mon véhicule étaient fumées, son interrogation n’était pas nécessaire. J’ai répondu « oui ». Il a ajouté « normalement tu les changes », puis « ah Sonatrach ! » Il a dû déchiffrer mon poste de responsabilité. Il a gribouillé quelque chose sur un bout de journal, et a fait alors en me tendant les papiers « Roh, roh ». Je suis parti lorsque le feu m’y a autorisé, tout droit alors qu’il était plus raisonnable de tourner à droite.

J’ai glissé une cassette audio « Douha aliya » et j’ai accompagné  Cheb Mami, parfois à tue-tête, contrariant Malek, tout le long du trajet « Jibouli mali jibouli mali mali mali dak ghzali ! » : Front de mer, flanc est du lycée Lotfi, RTA, Casoran, le cimetière et enfin El Hamri. Le « Stade du 19 juin » était bien rempli, plein comme un œuf. Il devait être 14 heures. C’est Malek qui a présenté le billet à l’entrée, porte A. Nous nous sommes installés dans les tribunes, à moins de cent mètres des tribunes officielles et du ‘‘président du HCE’’ Mohamed Boudiaf, que nous distinguions difficilement, mais que nous distinguions. Je le montrais du doigt à mon fils, « il est là, regarde, là, là, tu le vois ? » Mais lui, ce qui l’intéressait c’étaient les joueurs sur le terrain. Comme nous tous, il ne savait pas que nous ne le reverrions plus jamais. Le match s’est déroulé sans incident, l’ambiance des grands rendez-vous battait son plein.

Globalement les spectateurs penchaient pour l’équipe kabyle plus expérimentée. Bien que plus faible, l’équipe de Chlef, l’ASO, ne s’est inclinée qu’à la toute dernière seconde, suite à une erreur de son gardien de but.  La JSK a donc battu l’ASO par 1 à 0.

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Pardonnez-moi maintenant cette digression. Le nom du stade, « 19 juin 1965 », renvoie au jour où Boumediene a fomenté un coup d’État contre Ahmed Ben Bella, le président en titre alors, qui, l’avant-veille, assistait, ironie cruelle de l’histoire, dans ce même stade qui s’appelait alors « Stade Municipal », à une rencontre amicale entre l’Algérie et le Brésil, gagnée par celui-ci 3 à 0.

C’était le jeudi 17 juin 1965 devant 45.000 spectateurs, ébaubis de vivre une importante page d’histoire de leur tout pays tout récemment libéré (2). Deux jours tard, Ben Bella était renversé par son ministre de la Défense. La dictature s’imposera durant une quinzaine d’années. Des jours et des semaines et des mois, je raconterai dans le détail ce match entre l’Algérie et le Brésil auquel j’ai assisté, médusé : « j’ai vu le roi Pelé ! »  Je l’ai vu le roi faire du stade son théâtre d’acrobaties : coups de tête, dribbler, feinter, jongler, lever les bras au ciel, sauter, sprinter et marquer (lui à la 19°, Didi à la 29° et Gerson à la 81°). J’ai vu le roi Pelé, mais j’ai couru jusqu’à l’hôtel où résidaient les Brésiliens pour le voir de nouveau, le fameux hôtel Martinez. Et j’ai revu Pelé et toute l’équipe, Manga, Didi, Garrincha, Dja Santos…

Hôtel Martinez, Oran

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J’étais un fanatique de foot, heureux. L’hôtel a été détruit depuis. Il est en construction depuis plus de… quarante ans. On est loin du travail à la chaîne et les enveloppes « 10% » s’accumulent. Il n’y a jamais de limites à la corruption lorsque l’opacité est la règle la plus démocratique, la plus partagée. À l’âge que j’avais, le coup d’État m’était passé haut par-dessus la tête, pas l’atmosphère plombée qui s’en est suivie. J’ai mis plusieurs semaines à me remettre de mes émotions. 

Revenons si vous le voulez bien au jeudi 25 juin 1992. Quand on connaît la suite des événements, quand on sait, rumeurs aidant, que la vie de Boudiaf devait initialement, sur ordre de quelques militaires, s’interrompre le 2 juin à la salle des fêtes de Aïn-Témouchent ou le 25 juin à Oran devant la Préfecture, je peux trembler encore et sans façon et dire que oui, mon ancien ami Jamel avait vu juste, je l’avais « échappé belle ». Il aurait suffi d’un dérapage, d’un simple contrôle d’identité comme celui qui m’a été infligé… à la suite de l’assassinat programmé s’il eut eu lieu,  pour que mon nom eût été étalé en une de tous les canards enchaînés. Là, je m’avance un peu trop loin et au gré de mes fantasmes, mais à l’époque cela ne m’avait même pas qu’effleuré l’esprit je vous le dis. Honnêtement, j’avais une grande estime pour Boudiaf (une autre fois, je raconterai ma proximité de jeunesse avec les premiers cercles du PRS non loin de mon prof, Krim, c’était à Vincennes dans les années 70).

Les camarades et moi avions un grand respect pour Boudiaf, mais nous pensions qu’il avait en quelque sorte perdu le Nord, comment pouvait-il être si naïf ? « Nous » c’est-à-dire au moins une partie des partisans du FFS, notamment de la wilaya d’Oran dont j’étais un des membres actifs et le candidat aux législatives avortées de décembre 1991 pour la circonscription d’Arzew (3). Nous lui reprochions d’avoir accepté de se laisser ainsi alpaguer, prendre au piège par des généraux sans scrupules et sans le moindre état d’âme, ceux-là mêmes qui ont monté de toutes pièces un fantomatique, mais néanmoins dangereux et pompeux « Conseil National de Sauvegarde de l’Algérie », ceux-là mêmes qui ont extrait de sa tranquille retraite marocaine Si Tayeb El Watani (nom de guerre de Boudiaf), ceux-là mêmes qui, avec les islamistes radicaux, parfois même main dans la main « khawa-khawa » dit-on (« dit-on », car il n’y a jamais eu d’enquête), précipiteront la nation dans l’impensable, ceux-là mêmes, anciens DAF (4) qui hurlaient à qui voulait les entendre qu’ils étaient prêts à sacrifier une partie de la population. En mai 1992, Smaïn Lamari déclarait devant de nombreux officiers supérieurs à Châteauneuf : « je suis prêt et décidé à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut pour maintenir l’ordre que les islamistes menacent » (5). Celui-là même dont une ‘‘indiscrète’’ vidéo a filmé les salamaleks et tapes dans le dos dans le maquis avec le leader de l’armée islamique du salut (AIS), grand assassin devant l’éternel.

Le CNSA a été monté le 30 décembre 1991 « dans le bureau du ministre de l’information M. Abou Bakr Belkaïd » (Louisa Hanoune) en présence de la direction de l’UGTA, de cadres de l’administration publique et de membres du patronat et bien sûr des Ombres en vareuses. Ce Comité a été agréé le lendemain 31 décembre. Une célérité jamais observée en Algérie, inouï, 24 heures, alors qu’habituellement il fallait plusieurs mois ou années pour créer une organisation, association, c’est dire les connivences ‘‘miltaro-démocrates’’. Nombre de ces ‘‘démocrates’’ se sont cramponnés à cette bouée de sauvetage kaki poreuse, comme on ronge un os.

Cela s’est passé il y a 29 ans. El Watan titrera le lendemain de l’assassinat de Boudiaf, mardi 30 juin 1992 : « Le complot », Le Soir d’Algérie : « Tué par la haine », Le Matin : « Ils l’ont assassiné ». « Ils »… « Ils », ou trois lettres pour éviter Serkaji. Trois lettres pour ne pas affronter l’éthique. Trois lettres pour une génuflexion salvatrice (pensaient-ils).

Cela s’est passé en 1992. Cela a commencé en 1992. Nous avons depuis badigeonné de nombreuses plaies, par la force du temps, toujours douloureuses, malgré ce temps. Il nous faut avancer, mais une Commission nationale indépendante « Vérité et Justice » s’imposera tôt ou tard, comme en Afrique du Sud ou comme en Amérique latine. Au troisième jour suivant l’assassinat, le vendredi 2 juillet, la Police des frontières passait au crible ma 505 durant plus d’une heure, coffre, habitacle, intérieur des portières en utilisant de longues tiges métalliques, une perche-miroir pour voir sous la voiture, un aimant… Avec Jamel nous avons pris la route la veille à 19 heures en direction d’Alger. J’ai omis de préciser que Jamel était un coco-stal (il ne le criait pas sur les toits). Oui, j’avais des amis stals et nous étions toujours en guerre froide ouverte. Il me faut préciser ici que je désignais tous les admirateurs du Grand Archipel comme des stals, même s’ils n’avaient pas le Petit Père des Peuples froids dans leur cœur. Admirer le Grand Archipel me suffisait pour les stigmatiser « entre nous ». À hauteur de la forêt de Miliana, mon stal et moi n’en menions pas large. Nous avions eu des glaçons dans le dos sur des kilomètres. Je me souviens qu’une fois les pieds sur l’autre rive de la Méditerranée avoir regretté notre folie (la deuxième en moins de dix jours pour ce qui me concerne). Sur tout le trajet entre Oran à Alger, nous avons dû croiser en tout et pour tout une vingtaine de véhicules et passé sans encombre cinq barrages militaires. Je me demande encore aujourd’hui comment nous avons fait pour traverser sans encombre la forêt de Miliana. Nous étions la seule voiture sur près de 100 km, de la forêt du Zaccar à El Affroun. Aucun véhicule, aucun contrôle. Nous sommes arrivés au cœur de la nuit à Alger. Nous avons dormi quelques heures, dans la voiture, non loin du port. Dès cinq heures du matin, les véhicules arrivaient de plus en plus nombreux pour l’embarquement. Lorsque notre tour pour la fouille est arrivé, les hommes de la sécurité portuaire étaient persuadés que nous n’étions pas tout à fait blancs, Jamel et moi. Ils ne comprenaient pas que l’on traverse une partie du pays pour prendre le bateau à Alger afin de rejoindre Marseille trois jours après l’assassinat du président de la République alors qu’il y a des départs pour Marseille à partir d’Oran. Ils n’ont rien trouvé malgré le renfort de deux autres douaniers. Nous avons repris notre respiration lorsque nos passeports nous ont été restitués par des douaniers dans le regard desquels coulaient des incendies. Cela nous était presque égal. Nous avons passé toute la traversée à bord du Zéralda, en compagnie de Denis Martinez et de sa compagne à se raconter des blagues plus que nos aventures. J’ai gardé de lui un grand soleil noir, dessiné au dos d’une carte postale. Je le retrouverai un jour.

Mon fils et moi sommes rentrés épuisés du stade ce lundi-là, 29 juin 1992 à la tombée du jour. Malek s’est enfoncé dans le canapé flétri avec un jus d’oranges et 50 grammes de Caprices. En deux cils, trois pressions sur le vieux bouton de la vieille télé américaine, il avait traversé l’écran. La Petite maison de la prairie était son dernier refuge. Nous étions à l’aube d’une longue nuit macabre.

Ce dernier mot. Depuis cette traversée, nos routes (Jamel et moi) ne se sont jamais plus croisées. Je n’ai jamais plus eu ni le désir ni le courage de reprendre langue avec celui qui a été un ami et qui un jour de 1994 m’avait dit spontanément , un jour de massacres, un jour de beuverie (donc de réalité profonde) en me fusillant du regard « lorsque j’entends les mots ‘‘Droits de l’homme’’ j’ai envie de tirer ». Et le temps s’est dilaté, a passé, a tamisé. Aujourd’hui, nombre de ces Ombres en vareuses que Jamel vénérait, nombre de ces Issaba qui le faisaient rêver d’une Kolyma locale pour les gueux, croupissent en prison, sont en fuite à l’étranger ou suffoquent 666 pieds sous terre en lui faisant un bras d’honneur. Je lui pardonne.

Ahmed Hanifi, écrivain

Jeudi 25 Juin 2020

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 (1) : « Goffat el aïd » est un couffin alimentaire annuel offert gracieusement par la direction (et par le Syndicat) aux travailleurs à chaque fête du mouton. Il contenait 1 gros bidon d’huile, 1 bouteille de vinaigre, 1 paquet de semoule, de farine, de lentilles, de riz, de sucre, 250gr de café, 2 packs de lait, 2 boîtes de sardines à la tomate ‘‘Ammi Mokhtar’’, 1 boîte de « loubia grini » (haricots égrenés), de harissa, 2 boîtes d’allumettes, 1 plaquette de cubes Jumbo, des patates et des oignons et tous les sigles qui vont avec : Soalco/Jucoop, Enafla/Ofla, Sélecto, Enapal/Onaco, Oaic, Cofel, Eriad/Sempac, Snta… Je ne me souviens plus si le contenant en fibres de palmier nous était, lui aussi, gracieusement offert.

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« El goffa »

(2) : Lire ici : http://www.2022mag.com/algerie-0-bresil-3-lecon-de-samba-pour-les-verts/

(3) : Depuis le coup de force appelé « Putsch des militaro-démocrates » du 11 janvier 1992, nous ne nous réunissions plus de manière régulière. Les intimidations étaient fréquentes (convocations par la police, suivis sur la route nationale…, « conseils de collègues bien intentionnés », coups de téléphones anonymes…) L’Hebdo libéré de A. Mahmoudi (de la SM) ne cessait de tirer à boulets rouges sur le FFS « les 3F+ France » (14/01) et son leader « La supercherie Aït-Ahmed » en faisant appel ( sur 9 pages le 25/11) à un groupe d’extrémistes très modernes (Bakhta, Boucherak, Chergui…) et aux accointances très spéciales, et qui défendaient l’idée de la création par l’ANP d’un Bantoustan à la frontière saharienne (hors champs pétrolifères) dans lequel on eut parqué tous les mal-votants opposés à leur modernité à défaut de les éradiquer ces mal-votants.

(4) : DAF, « Déserteurs de l’armée française », c’est le nom donné aux hauts gradés de l’armée algérienne (Khaled Nezzar, Mohamed Touati, Abdelmalek Guenaïzia, Larbi Belkheir, Mohamed Lamari…) Ils ont déserté les rangs de l’armée française peu avant l’indépendance algérienne, pour rejoindre l’Armée de libération nationale.

(5) : La déclaration de Smaïn Lamari est extraite de « Chronique des années de sang » (Mohammed Samraoui)

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(ajouté ce jour, mercredi 15 mars 2023)

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Le Petit Pichet de Borges dans les chantiers des dix Turcs de Perrault

Jorge Luis Borges, est un écrivain argentin, né le 24 août 1899 à Buenos Aires et mort à Genève le 14 juin 1986.

M’intéressent ses romans, ses nouvelles, sa poésie. Point. Non ses vagabondages politiques très très contestables.

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Le Petit Pichet de Borges dans les chantiers des dix Turcs de Perrault

Pastiche, pistaches et cacahuète, ou clin d’œil à Borges décédé le 14 juin 1986, précisément à sa nouvelle  « Le jardin aux sentiers qui bifurquent » (in Fictions)

La semaine dernière Omar, le plus jeune de mes fils, a trouvé un livre dans la cour de récréation de son collège. Omar, qui est un garçon très curieux, n’a pas jugé utile d’en parler à ses camarades de classe, ni à ses professeurs, ni plus tard à ses camarades de quartier. Il a préféré le glisser en douce sous sa chemise, puis dans son cartable. Il a dû probablement préféré découvrir le contenu de ce livre au titre étrange, avant de me le proposer et peut-être d’en parler à ses camarades ou à ses professeurs. Hier.

J’étais enfoncé dans le vieux canapé du salon usé par notre poids et celui du temps, les pieds croisés, posés à l’angle de la table basse en faux bois suédois. Je regardais tranquillement d’un œil une ennuyeuse émission de divertissement sur l’Île de Pâques, en parcourant Télérama, l’hebdomadaire des programmes TV préféré de ma femme. Comme dans la plupart des émissions de divertissement (ou d’économie ou de politique…) l’animateur autant que les invités de l’émission, peut-être un peu plus, essayait de noyer le poisson plutôt que de faire acte de pédagogie : les œufs des tortues, les récifs, les Moaïs, les coûts… Pâques mal défendue m’ennuyait autant que l’animateur et ses invités. Bref, mon fils qui avait saisi au premier coup d’œil mon profond sentiment d’insatisfaction, me proposa la lecture d’extraits du dit ouvrage qu’il avait trouvé dans la cour de récréation de son collège la semaine dernière. Et pour interrompre mes divagations silencieuses. « L’histoire s’appelle Le Petit Pichet dans les chantiers des dix Turcs » me dit Omar. C’est un livre très intéressant, mais hélas peu connu, écrit par un certain Ts’ui Pên, ‘‘grand philosophe et architecte chinois’’ (1) est-il crayonné sur une des pages blanches d’ouverture.  Je trouve personnellement étrange qu’un grand philosophe chinois de je ne sais quel siècle s’intéresse à des Turcs. Quelque chose ne tourne pas rond. M’enfin.

Hier donc, vers vingt et une heures, Omar s’est assis à mes côtés, sur le canapé cuir vieilli. Il ne posa pas les talons sur la table basse. Il plia ses jambes sous lui, ouvrit le livre à la page qu’il avait écornée. C’est un livre court (2), un récit d’une petite vingtaine de feuilles aux caractères assez imposants. Il ouvrit donc le livre à la page sept et lut, d’abord d’une voix mal assurée : « … Le Père et la Mère déposèrent sous mes yeux leurs sept Pichets dans l’endroit de la Forêt le plus épais et le plus obscur, sous une grosse pierre près du labyrinthe. Le Père et la Mère ne savaient pas que les Pichets possédaient des dons féeriques. Aussitôt qu’ils les eurent déposés les méchants parents s’en allèrent… »

Je pensais à voix haute, une main posée sur le bras de mon fils qui s’interrompit : ‘‘quel parent peut ainsi se lancer dans une telle entreprise, tellement étrange et maléfique ?  Ces parents ne peuvent envisager d’avenir que le plus noir, aussi noir que leur entreprise…’’Omar continua d’un ton, cette fois stabilisé : « Le plus petit des Pichets ne se chagrina pas beaucoup de tous ces arbres anglais, de toute cette forêt immense, humide et noire parce qu’il croyait retrouver aisément son chemin grâce à ses dons spéciaux et précieux plus importants que ceux que possédaient ses frères ; mais il fut bien surpris lorsqu’il s’aperçut que sans aide il ne pouvait rien. Il fallait en effet aux Pichets se soustraire du gros bloc de pierre sous lequel leurs parents les avaient coincés. Un groupe de bûcherons turcs qui s’acharnaient à leur besogne entendirent les cris aigus et continus des petits Pichets. Ils ne me virent pas. L’un des Turcs signala à ses coreligionnaires ‘‘Ca vient de par là !’’ Puis ensemble les six frères crièrent au plus petit d’entre eux, au petit Pichet – ils étaient sept petits Pichets – qu’ils avaient peur. Ils murmurèrent à la suite de leurs cris autre chose que je n’entendis pas, qu’ils craignaient le loup ou qu’ils avaient froid. La nuit vint, et il s’éleva un grand vent qui leur faisait des peurs épouvantables. Les Turcs qui ne trouvèrent pas les Pichets abandonnèrent leur recherche et s’en allèrent tard dans la nuit. Les Pichets croyaient n’entendre de tous côtés que des hurlements les uns plus effroyables que les autres. C’est ce moment que je choisis pour libérer les Pichets. Aussitôt, à la rencontre de l’air libre, ils se transformèrent en sept matous bien portants, chaussé chacun de magnifiques bottes. Ils sautèrent sur mes épaules, léchant cheveux, nuque, oreilles. Nous avons pris sans attendre un chemin qui descendait et bifurquait. Une musique syllabique s’approchait, nous accompagnait. Comme ils se sentaient en sécurité, les sept chats sautèrent à terre. Nous marchâmes toute la nuit avant d’atteindre le premier village. C’est là qu’habitent le Père et la Mère des sept Chats. En passant devant leur maison ils se mirent à miauler méchamment comme des chats d’égouts malingres et affamés. Un moment ils hésitèrent, tournèrent leur tête triangulaire à gauche, à droite. Ils se mirent un instant sur leurs pattes arrières puis disparurent dans la brume du jour levant… »  Mon fils ressentait mon impatience. Il répéta : « puis disparurent dans la brume du jour levant… » un ton au-dessus, en brandissant le livre comme un trophée en dépliant ses jambes engourdies. Je trouvais personnellement qu’à l’heure qu’il était, des histoires comme celle-ci ne devaient pas être racontées entièrement. Trois pages suffisaient amplement. Aussi lui ai-je proposé : « Merci Omar, on arrête là. Tu me liras la suite une autre fois, tu es d’accord ? Il se fait tard et je suis fatigué. » Il était d’accord et m’a cru. Omar a refermé le livre, a posé ses lèvres sur mon front, a sauté du canapé fatigué puis est monté dans sa chambre en sautillant sur les marches de l’escalier. Je l’ai entendu éternuer. Je vais à mon tour éternuer. Et voilà, c’est fait. Et deux fois ! Attendez, j’oubliai ! à la dernière page du livre il est écrit : « Buenos Aires 1944. Traduit de l’espagnol par P. Verdevoye. »  Il y est écrit aussi : « Note 1 : Ts’ui Pên : célèbre auteur qui périt de la main d’un étranger (lui-même assassiné par un Irlandais) dans son propre labyrinthe. Note 2 : Aristote avait souligné dans sa Poétique la nécessité de restreindre l’étendue du récit afin que le lecteur puisse embrasser l’ensemble du récit et qu’il puisse le mémoriser ‘‘[…] les histoires doivent avoir une certaine longueur, mais que la mémoire puisse retenir aisément.’’ »

Ahmed Hanifi novembre 2009 et juin 2020

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Covid-19, L’An 01 et la PM

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CLIQUER ICI POUR VOIR L’EXTRAIT DE L’AN 01

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Le monde entier se souviendra du passage du Covid-19, et en sera marqué pour très longtemps, comme on est tatoué à vie. Des dizaines de milliers de morts en quelques mois. Le monde est bouleversé. Beaucoup de larmes de crocodile chez les dominants. On parle d’un monde nouveau à construire. « Rien ne sera plus comme avant » entend-on ici et là, parfois par ceux-là mêmes qui ont contribué, chacun dans leurs territoires, à leur niveau de responsabilité,  avec plus ou moins de fougue, plus ou moins d’ardeur, d’acharnement, à la situation dans laquelle se trouve notre monde aujourd’hui. Un monde déchiré, obnubilé par l’individualisme (méthodologique dirait Boudon à partir de l’ubac), par le gain facile, par l’outrance. « Il faut tout balayer », « il faut repenser la société » « jeter par dessus-bord la mondialisation »… « Une vieille rengaine » s’exclame un hebdomadaire de droite, qui n’est pas en reste. Tout ce cinéma, ces propos presque indécents venant de ces mêmes responsables ou quidam qui, jusque-là louaient la société des individus et du nombrilisme, jusque-là vouaient aux gémonies tout modèle sociétal qui s’écarterait de l’hégémonie des Bourses, des puissants, de leurs lois, de leurs outrances. Tout cela pour vous dire que ces mots m’ont renvoyé au cinéma. Un film revient au devant de la scène ces jours-ci. Un film que j’ai vu il y a très longtemps. Un film de Jacques Doillon tourné dans l’après Mai 68, « L’An 01 », c’est un film qui me replonge dans l’Oran des années 70 – peu avant mon grand départ – précisément dans la cinémathèque lorsqu’avec le théâtre d’Oran elle tournait à plein régime (mais c’est vrai aussi, dans une seule et unique direction).

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La cinémathèque, en contrebas du quartier Mirauchaux, passait des films du « cinéma nouveau » algérien et d’autres films engagés. Nombreux acteurs et réalisateurs nationaux et étrangers y sont intervenus. Je me souviens de Maryna Vlady, de Mohamed Rondo, de Marcel Hanoun, Mohamed Bouamari et combien d’autres. Mes souvenirs, vaporeux, me renvoient à ces jours où on projetait « L’An 01 ». Le film fait leur peau à l’économie capitaliste, au Stakhanovisme de l’Ouest. « On arrête tout et on recommence autrement ». Cette utopie nous faisait rêver. Certains d’entre nous voulaient tout bazarder pour aller voir ailleurs, mais nous étions surveillés. Il y avait des « débats » à la cinémathèque. Je mets débats entre guillemets. À vrai dire, c’étaient des moments de défoulement où rien n’était possible sous notre Big Brother national et ses bras nombreux. Respirer le bon air équivalait à respirer l’idéologie du Grand Est que propageaient des étudiants Stal eux-mêmes aveuglés. « L’An 01 » a été toléré car il interrogeait la seule société de conso. Puis sortis du cinéma on tombait dans notre noire réalité, notre nuit. Enfermement généralisé. Le virus (ou Le pharaon) régnait au sommet de l’État tentaculaire. La parole « critique » (corollaire du « soutien critique » des plus engagés) n’était tolérée que dans les espaces confinés (tiens, tiens). Les « Hbat » allaient et venaient le long des rues du centre-ville. Ils avançaient en tenue de combat, par groupe de cinq, en file indienne, la trique noire prête à l’usage. Et ils cognaient, embarquaient, quiconque dont la tête ne leur revenait pas, qui portait les cheveux trop longs ou les cheveux trop courts, qui avait un regard ou une tenue inadaptés, qui n’avait pas éteint, écrasé sa cigarette à leur passage en signe de soumission. Les « Hbat » c’est la Police Militaire ou « PM » en noir charbon sur leurs casques blancs. Entre nous, nous les chuchotions « Hbats », pour nous en moquer. Mais nous en avions peur. Qui n’avait pas peur en Algérie ? « Hbat » signifie « descend », un terme qu’ils utilisaient pour interpeller les jeunes. Dans notre parler oranais on ne dit pas « Hbat ». Ces militaires étaient souvent de l’Est du pays, alors que les militaires d’Oran faisaient leur loi dans l’est ou le sud algérien etc. 

Je me suis éloigné de L’An 01. Tant pis. Les années ont coulé sous les ponts et beaucoup, marqués par les contrariétés, voire les impasses de l’époque présente, ont hélas oublié l’inoubliable. N’oublions jamais pour venir à bout du présent, du corona et construire de meilleurs lendemains.

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Promenade déconfinée

En application de l’article 3 du décret du 23 mars etcetera, je soussigné ah certifie que mon déplacement est lié au motif suivant : Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit…

Fait à M. ma ville, le… quotidiennement.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO DE LA MARCHE

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Atelier d’écriture. Une peinture (réponses) et N. DINET

Hier matin je vous proposais un atelier.

Écrivez une courte histoire. Une histoire à partir d’un tableau que voici, avec cette contrainte : 
Nous sommes au début du 20° siècle. L’histoire dans laquelle vous êtes partie prenante, (même si vous n’êtes pas nécessairement un des deux personnages visibles sur le tableau) est donc racontée « au présent ». (c’était ici : http://ahmedhanifi.com/atelier-decriture-une-peinture/)

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1_ Je vous propose ma réponse (mon texte)

2_ Les textes des lecteurs de ce sites (et de Facebook)

3_ À la suite des textes je vous propose une galerie de peintures de N. DINET

1_ Voici mon texte :

Une femme et son fils immobilisent le temps, reprennent des forces alors que le crépuscule pointe. La mère ne regarde pas son enfant, pas l’horizon ni Dinet. Son regard n’est nulle part ailleurs qu’en son for intérieur, au cœur de son cœur essoufflé, meurtri. Son fils dort, étendu sur son genou, en chien de fusil. Autant rompu que sa maman. Le deuxième soir va tomber et leurs ombres s’allongent. Ils sont harassés, mais la station n’est pas loin où ils passeront la nuit à l’arrière de ses murs, si personne ne les en chasse. Leurs pieds, nus, sont enflés et les crevasses comme les gerçures sont plus profondes qu’à leur départ de Naama, leur fuite obligée, la veille à l’aube. Khadra et Omar ont marché deux jours durant droit sous le soleil intraitable et dormi recroquevillés sous la froideur des étoiles, et ils n’ont presque plus de pain ni d’eau. La main droite posée en visière sur son turban, Khadra ne voit ni n’entend plus rien en dehors d’elle, en dehors de son être. De son fond, sa mémoire extirpe une image trouble au centre d’un flou voilé. Une image trouble d’elle petite fille tenaillée par la faim. Elle est assise sur une pierre devant leur maison, la tête contre sa maman qui pleure en silence. Khadra ne se souvient plus du reste. Le souvenir vaporeux la secoue. D’autres images sourdent. La famine avait décimé une partie de la population. On avait dit dans les nwayel que c’était à cause des sauterelles, et elle en avait attrapé, elle en avait mangé alors que des soldats français distribuaient des bonbons aux enfants. Elle avait haussé les épaules. Aujourd’hui elle tremble à ces souvenirs. Elle n’a plus la force de mouiller ses joues. Le bras gauche posé sur son fils lui transmet son amour. Il est l’essence de sa résilience, de son endurance. Khadta a longtemps enduré. Les plateaux en arrière-plan annoncent la ville de Aïn-Sefra. La main posée sur son front, Khadra souffre. On la dirait soldat au repos, le temps pour son esprit de se faire une raison. Elle est désormais seule au monde avec Omar posé sur elle, et sa veuve mère qui ne les attend pas à Sfissifa, mais qu’elle espère embrasser avant ou après la tombée du jour prochain, le troisième. Si Dieu le veut dans sa miséricorde. Ses pensées sont maintenant prisonnières de la lâcheté de « lui », howwa. Elle ne l’a jamais appelé qu’ainsi, howwa qui, par son comportement, sa cruauté récurrente, mille fois recommencée, l’a précipitée sur la route, leur dernier fils avec elle, répudiée, mtelga. Howwa l’avait prise à sa mère et emmenée, emportée, chez ses parents à lui, dans une ferme à Naâma, où ils l’ont réduite au silence et à la servitude, durant trois décennies. Elle n’avait pas seize ans. Hormis Omar, tous leurs enfants sont grands, mariés. Ils ne purent jamais rien. Omar qui souffrait autant que Khadra de cet odieux père et mari, est aujourd’hui heureux aux côtés de sa mère, mais là, Dinet les a voulus à bout, épuisés, seuls.

Le lendemain, à Sfissifa, au soir du troisième jour de marche, Khadra et son enfant embrasseront la porte de la maman avant de l’ouvrir. Khadra lui donnera tous les bijoux qu’elle porte et qu’elle lui avait offerts, il y a trente ans, bracelets, Jbin, Kholkhal, hzam…

AH. 3 avril 2020

NB : il y a un terme de la contrainte que je n’ai pas respecté. Je l’ai tout simplement zappé : « vous êtes partie prenante », tant pis.

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2_ CI-APRÈS LES PROPOSITIONS DES LECTEURS (de ce site et de Facebook):

A_ MEZIANI KAHINA.

« Au milieu ou au bord du désert c’est toujours un endroit perdu, un endroit qui s’est perdu pour qu’on le retrouve et surtout qu’on s’y retrouve. 

Elle était là sur cette dune de sable au sommet plein de petites pierres, assise appuyant son coude sur le genou.

Essoufflée et au bout de ses forces, elle expirait pour laisser sortir cette boule d’air qui l’étranglait, mais aussi pour empêcher ses larmes de tomber sur cet enfant qui s’allongeait sur ses pieds, elle ne voulait pas pleurer pour ne pas laisser ce sec espace saharien qu’elle adorait trop, être inondé par des larmes de tristesse. 

Elle était inquiète et rassurait son enfant, elle était grande devant lui et si petite devant tout ce qu’elle devait traverser toute seule, après que les grands vents du Sahara ou ceux de la vie n’aient emporté son mari, elle ne savait plus qu’elle était la vérité, mais surtout quelle serait désormais la solution. Sa main droite frottait sa tête comme pour creuser et chercher une réponse à toutes ses questions, elle avait besoin qu’on la rassure, qu’on l’oriente et qu’on la guide. 
Le soleil brillait, mais n’était pas pour autant doux, mais plutôt brûlant, mais les brûlures intérieures qu’elle avait, étaient bien plus douloureuses pour la faire agir ou bouger. Elle ne pensait plus à elle-même ni à ses besoins, ses peurs ou ses douleurs, mais à celles de son fils qu’elle ne cessait d’imaginer, elle lui serrait alors sa petite main comme pour essayer d’aspirer tout ce qui pouvait lui faire mal, elle lui caressait parfois le bras, mais ses lèvres risqueraient de la trahir tellement elles tremblaient, elle s’empêchait alors, difficilement, de l’embrasser ou d’avoir tout contact visuel avec lui. 

Lui était allongé sur le côté, les yeux fixés vers ce ciel bleu et ces tout petits nuages qui étaient comme signe d’espoir et d’assurance pour lui dire que le ciel est tellement beau et grand que ces petits nuages continueraient toujours d’avancer et d’exister, qu’ils seront parfois perdus de vue, mais qu’ils finiront toujours par réapparaître. 

Tandis qu’elle, elle avait les épaules courbées, ses yeux qu’elle n’avait plus le courage de lever étaient fixés vers le sol et ne voyaient alors que ces petites pierres qui lui avaient blessé ses pieds nus, elle suivait des yeux le sable que le vent mouvementait, ce qui la stressait et la désorientait encore plus, car elle n’avait plus de point d’équilibre même pour y poser ses beaux yeux noirs. 
Désespérée, elle décida de se rassasier avant de devoir reprendre ce ci long chemin qui l’attendrait en descendant cette haute dune qu’elle avait montée juste pour regarder de très haut son parcours qui l’attendait et lui faisait tellement peur, c’était sa façon à elle de lui dire qu’elle prendrait toujours le dessus et que ça serait toujours plus petit qu’elle et ses capacités, car elle regardera toujours ses misères de très haut. 

Pour se rassasier, elle releva donc ses épaules et se tint le buste bien droit, ferma ses yeux fatigués pour ouvrir ceux d’une petite fille forte et protégée. Son fils, secoué par le mouvement de sa mère, s’assit à côté d’elle et la regarda, intrigué.

Quand elle ouvrit la bouche, tous les vents s’arrêtèrent comme par peur de la déranger par les sables qu’ils emporteraient, une voix magique atteignit les cieux et immobilisa les nuages, l’espoir qu’elle chantait dessina un sourire sur le visage du petit enfant comme pour lui demander de grandir rapidement, ses yeux pétillaient comme un feu allumé dans une oasis habitée par des gens chaleureux pour donner des étincelles de réconfort à cette dame accablée par la vie. Les dunes quant à elles ne comprenaient aucunement les paroles, mais s’inclinèrent et devinrent toutes petites pour lui permettre de descende elle et son fils sans avoir à souffrir en parcourant un long chemin sous cette chaleur.

Le chant de cette femme et maman était d’un côté, un cri et une délivrance d’un poids insupportable pour elle et de l’autre un rêve d’enfant, une chanson et un symbole de joie et de festivité qui réconforta et redonna de l’espoir au petit homme qui deviendrait bientôt très grand pour protéger sa maman, ce mystérieux Sahara. » M.K. 7 avril 2020


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B_

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3_ Voici la galerie de peinture de Nasreddine DINET

La nuit du Mouloud

Jeunes filles de Bou Saada

Femmes de Bou Saada

Lumière des yeux, esclave d’amour

La voyante

Khadra, la danseuse

L’aveugle et l’insouciance de la jeunesse

El falaqa

Enfants de Bou Saada

La cueillettes des abricots

Les prisonniers

Femme abandonnée

(c’est celle qui ouvre l’atelier d’écriture)

Femmes et enfants dans l’oued de Bou Saada

Terrasses de Laghouat

Gardiens de chameaux

La procession

La prière

Les guetteurs

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Toutes ces images sont extraites d’un album intitulé « Un maître de la peinture algérienne NASREDDINE DINET » Éditions SNED_ALGER, 1975.

Atelier d’écriture. Une peinture

Pour sortir du Coronavirus,

Pour sortir de BFM TV

Ou Canal Algérie, ou Echorouk TV c’est idem.

Pour sortir de l’angoisse programmée.

Écartons les barreaux du confinement

Laissons voler notre imaginaire.

Écrivez une courte histoire.

Une histoire à partir d’un tableau que voici.

Proposition sur ma page Facebook: La peinture montre deux personnes. La première, jeune, est allongée, la seconde, âgée est assise. Autour d’elles, un grand espace, désertique. Nous sommes en Algérie au début du 20° siècle.

La consigne :

I

La consigne :

Imaginez une histoire que vous raconterez sur une seule page word (soit 50 lignes ou 500 mots)

Contrainte : Nous sommes au début du 20° siècle. L’histoire dans laquelle vous êtes partie prenante, (même si vous n’êtes pas nécessairement un des deux  personnages visibles sur le tableau) est donc racontée « au présent ».

Écrivez ce que bon vous semble à propos de ce cette peinture, ce qu’elle vous inspire. Je publierai votre histoire sur mon site : http://ahmedhanifi.com/atelier-decriture-une-peinture/

Mon atelier d’écriture, confiné

« photos d’une bibliothèque et son contenu »

(1) Ici la photo d’où germa l’idée de cet atelier

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Tout a commencé le matin de ce 4° lundi du mois de mars – il y a donc quatre jours – avec cette image trouvée sur Facebook (1) intitulée Labyrinthe de livres, elle montre deux adolescents courant dans un dédale de livres… La photo illustre l’occupation du temps en un lieu clos ou dans « un labyrinthe de livres ». Ce lundi ouvre la deuxième semaine de confinement (ordonné le mardi 17 à compter de midi). Le confinement nous oblige, par définition, à rester dans un lieu fermé sauf exceptions comme par exemple effectuer des « déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle, soit à la promenade… » Du coup, j’ai réduit à peau de chagrin ma marche quotidienne, pourtant hautement recommandée par mon médecin traitant « au moins 10000 pas ! » Me voilà confiné comme le gardien du phare de Langoz ou de Nividic en temps de tempête. Je passe mon temps dans mon bureau à errer de Facebook à YouTube en passant par des sites de toutes sortes. Mais, avec ou sans coronavirus, je continue de lire et d’écrire. Plus d’écrire, des heures durant. Ce matin, en regardant cette belle photo (1) des deux jeunes ados courant dans un dédale de livres, une idée a germé dans mon esprit. Je me suis dit que moi aussi je pouvais courir au cœur de ma bibliothèque, de mon labyrinthe de livres et monter un atelier d’écriture créative, ce que des années durant j’ai pratiqué (avec des élèves de tous niveaux et aussi des adultes, au profit d’associations, parfois de prisonniers),

Atelier dans la pinède et son champ lexical, à I…

mais aujourd’hui sans aucun participant sinon moi-même « joueur et arbitre ». Le temps de jadis à naguère, avec ou sans regret, est révolu. Alors, par où et comment commencer ? Par la photo justement. Dans la préparation d’un atelier d’écriture créative il est important de choisir « la situation initiale » sur laquelle reposera tout l’atelier. J’ai choisi celle de la combinaison « photos d’une bibliothèque et son contenu ». On peut apporter aux ateliers d’écriture créative autant de nuances qu’il y a de couleurs.  

J’ai donc pris des photos, beaucoup. Il en a fallu 44 pour balayer tous les rayons de ma bibliothèque, celle de mon bureau. Une à deux photos par casier. En moyenne chaque photo montre deux douzaines de livres. Beaucoup d’autres livres de vieilles éditions (voir photo n° 16)…, classés en deuxième rangée, ne sont pas visibles sur les photos. Je me suis contenté de travailler sur les titres apparents, en respectant des consignes ou contraintes élaborées en amont.

J’ai extrait parmi ces mille livres un par photo. J’ai ensuite feuilleté chacun des 44 livres choisis au hasard (plus ou moins), pour en extraire au hasard aussi (plus ou moins) un court passage de cinq phrases maximum. J’ai ensuite mis bout à bout les 44 courts textes en intégrant un apport personnel de deux phrases maximum (ou segment de phrases) pour faire jonction entre les extraits de livres. Cet ensemble j’ai « monté un texte » plus ou moins cohérent. Habituellement, avec les groupes de jeunes (ou non) je ne proposais pas autant de livres, deux ou trois par participant selon l’importance du groupe. À la fin de l’exercice, chacun lisait son texte que l’on portait au tableau, puis, dans un capharnaüm (obligé) indescriptible, ils en faisaient un texte global cohérent. Nécessairement nous abordions tel ou tel auteur, tel ou tel type de roman, de contenu, d’écriture…

Pour ce qui concerne l’exercice présent, j’ai retenu, comme écrit plus haut, un extrait par livre, soit 44 en tout. Je les ai ensuite classés de sorte qu’ils forment un ensemble censé sans quoi le jeu ne vaut rien. Cela n’a pas été facile et cela n’est pas toujours aisé. J’ai gardé les textes des auteurs quasiment tels quels. J’ai réduit au maximum mes interventions d’où les concordances de temps par exemple boiteuses. L’essentiel est ailleurs. Il a fallu que j’ajoute entre les extraits des auteurs ou au cœur des extraits eux-mêmes mes propres mots (ils sont en italique), mais cela fait partie du jeu, une contrainte parmi d’autres. Les nombres entre parenthèse renvoient aux titres/auteurs que l’on retrouve en fin du texte.

Voici d’abord la liste des 44 ouvrages. Puis ensuite le résultat de l’atelier

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Liste des ouvrages

1 : Amin Malouf- Les désorientés p 357

2 : David Grossman-Une femme fuyant l’annonce-p 95

3 : Philippe Roth- Némésis- page 157

4 : Carlos Liscano- Souvenirs de la guerre récente, p 43

5 : Jack Kerouac- Sur la route, 173

6 : Basho, Issa, Shiki- L’Art du Haïku, p 130

7 : Alessandro Barico- soie, p 15

8 : Marie Ndiaye- Trois femmes puissantes, p 250

9 : Mahmoud Darwich- La terre nous est étroite, p 215

10 : Attac- Transgénial !, p 98

11 : Edgar Morin- La méthode : 5-L’humanité de l’humanité, p 330

12 : Jorge Luis Borges- Fictions, p 96

13 : William Faulkner- Lumière d’août, p 527

14 : Michel Foucault- Surveiller et punir, p 294

15 : Georges Friedmann- Le travail en miettes, p 221

16 : Edouard Dujardin- Les lauriers sont coupés, p96-97

17 : Laurent Gaudé- De sang et de lumière, p 11 

18 : Arthur Rimbaud- Œuvres, Une saison en enfer, p 193

19 : Blaise Pascal- Pensées, p 76

20 : Littré- Tome 5, p 5720

21 : Marcel Proust- Du côté de chez Swann

22 : Homère- L’Odyssée, p 171

23 : Taha Hussein- Le livre des jours, p 224

24 : Tahar Ben Jelloun- La réclusion solitaire, p 39

25 : Ahlam Mostegnanemi- Le chaos des sens, p 360

26 : Salim Bachi- Autoportrait avec Grenade, p 45

27 : Isabelle Eberhardt- Amours nomades, p 49

28 : Abdelkader Djemaï- Zorah sur la terrasse, p 83

29 : Kaoutar Harchi- Je n’ai qu’une langue…, p 282

30 : Marsa- Jean Sénac, Pour une terre possible, p 212

31 : Mohamed Nedali- Morceaux de choix, p 112

32 : Ibn Khaldoun- Discours sur l’Histoire universelle T3, p 1214

33 : Saint Augustin- Confessions, p 422

34 : Jacques Ferrandez- L’Étranger (BD), p 64

35 : Albert Camus- Noces suivi de l’été, p 108

36 : Les Cahiers de l’Orient- 4°tr. 1994, 1° tr. 1995

37 : Pierre Bourdieu- Raisons pratiques, p 15

38 : El Hadi Chalabi- La presse algérienne au-dessus de tout soupçon, p 16

39 : Larousse : Encyclopédie médicale de la famille

40 : Dominique Eddé- Edward Said, le roman de sa pensée, p 57

41 : Ahmed Hanifi (désolé) Le choc des ombres, p 244

42 : Encyclopédia Universalis- Tome 18, p 133

43 : Encyclopédia Universalis- 1999, p 472

44 : JMG Le Clézio- Histoire du pied (ma lecture actuelle), p 259

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Résultat de l’atelier 

Pour commencer Le terme ‘‘photography’’ (des termes grecs ‘‘lumière’’ et ‘‘inscription’’ ou ‘‘écriture’’) a été créé en 1836 par sir John William Herschel, en Angleterre, pour désigner l’action ‘‘scriptrice’’ de la lumière sur certaines surfaces sensibles. (42)

Ensuite les textes. Je dois dire que Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : ‘‘je m’endors.’’ (21) C’est décidé, Je monte à Paris, armé, dissident et heureux. Face aux heures noires, il me reste cet îlot, l’amitié de quelques-uns, la vôtre et l’espoir d’un soleil imputrescible. Avec cela, on peut affronter le dédale. (30) À propos de dédale tiens, je me souviens de Didier Le soir, il sortait avec des gens de son âge pour aller, en des endroits qui ne conviennent pas aux savants, entendre de la musique qui n’était pas faite pour les hommes graves ; enfin il prenait des plaisirs normalement interdits à ceux qui détiennent des fonctions religieuses. (23) Nous nous retrouvions au bistrot de la rue de la Charbonnière C’était un bistrot où on servait de grandes tasses de désolation, de lassitude et de tristesse ; de la bière à la pression et du vin ordinaire. C’était un dimanche matin ; le moment suprême du tiercé et des combinaisons bourrées de rêves petits et courts. J’étais bien habillé. (24) Un soir, il racontait son enfance à un peintre du nord de la France rencontré là Il n’y avait pas de calendriers illustrés, de portraits sous-verre ou de tableaux accrochés à nos murs. Sur ceux de votre enfance à Bohain-en-Vermandois non plus. Les seules images que je regardais étaient celles des livres de classe, des bandes dessinées, les photos de films et l’affiche en couleurs placardée au fronton du Kid, qui me faisait parfois rêver et voyager loin. (28) Le peintre préférait parler littérature  L’œuvre d’Octavio Paz est en cours de publication, sous la direction de J.C. Masson, dans la bibliothèque de la Pléiade, aux éditions Gallimard, où sont déjà publiés la plupart de ses livres traduits en français. (43) La pensée développée dans cet ouvrage a été une pensée par cas, ancrée dans un terrain, bornée par un certain espace et une certaine temporalité. (29) L’auteur mexicain a beaucoup été imité disait Didier et cela lui déplaisait Tel écrivain tente de reprendre à son compte l’œuvre d’un ancien auteur, avec d’autres mots et une disposition différente : c’est du plagiat pur et simple. Tel autre supprime des passages essentiels, ou mentionne des choses inutiles, ou remplace le vrai par le faux. Tout cela n’est que présomption et ignorance. (32) Quant à moi, je pensais à mon poème pastiche de Mouloudji J’avais glissé ce poème dans mon carnet noir. J’eus brusquement envie de le relire, de voir l’effet qu’il aurait sur moi, en ce lieu. (25) Je pensai à un labyrinthe de labyrinthes, à un sinueux labyrinthe croissant qui embrasserait le passé et l’avenir et qui impliquerait les astres en quelque sorte. Plongé dans ces images illusoires, j’oubliai mon destin d’homme poursuivi. (12) Je n’ai pas osé, peur du ridicule, c’est que Nous sommes dans plusieurs jeux, joués, jouets, mais en même temps joueurs. Toute existence humaine est à la fois jouante et jouée ; tout individu est une marionnette manipulée de l’antérieur, de l’intérieur et de l’extérieur, et en même temps un être qui s’auto-affirme dans sa qualité de sujet. (11)

Je les ai quittés tard dans la nuit pour rentrer chez moi Bercé par le roulis du taxi, des pensées décousues, sans lien aucun, me traversent comme des nuages gris, puis m’abandonnent sous la lumière écrasante. Je me souviens d’un jour semblable, où malade à en crever, je sentis que mourir sous l’éclatant soleil serait un gâchis insupportable. (26) C’était une époque ou nous vivions sous tension à cause d’épidémies Après ces cinq ou six nuits, l’alerte cessa de sonner durant quelques jours. On l’entendit de nouveau, sporadiquement, pendant un mois environ, puis elle ne sonna plus, de manière définitive. (4) Les conducteurs  d’autobus de la ligne 8 et de la ligne 14 disent qu’ils refusent de traverser Weequahic si on ne leur donne pas des masques de protection. Certains refusent même carrément de passer par là. Les facteurs refusent de venir distribuer le courrier. Les chauffeurs de camion qui livrent les marchandises aux magasins, aux épiceries, ceux qui ravitaillent les stations-service, et ainsi de suite, refusent eux aussi de venir. (3)Je suivais la foule grossissante de ruelle en ruelle, la tête lourde, les oreilles encore bourdonnantes de fièvre, les tempes en feu, les coudes et les genoux douloureux. La pression de la foule m’emportait comme un long torrent. (31) Arrivé à la maison, je pensais à Ora À dix-neuf heures trente, ce soir-là, elle s’active dans la cuisine en T-shirt et en jean sans oublier, pour parachever le tableau, le tablier à fleurs de la parfaite maîtresse de maison : un vrai cordon bleu. Et tandis que casseroles et poêles fumantes frétillent sur le feu, que des volutes de vapeur odorante s’élèvent jusqu’au plafond, Ora se dit que tout ira bien. (2) Puis, je ne sais pourquoi, j’ai pensé à Ingrid Bergman dans Gaslight Tour à tour son visage est éclairé puis obscurci, tour à tour dans l’ombre indécise et dans le  blanc des lumières, tandis que s’avance la voiture ; près des becs de gaz, en effet, est une grande clarté puis, après les becs, un obscurcissement ; encore ; le gaz de droite brille davantage ; oh ! sa belle blanche face, blanche mat, blanche d’ivoire, blanche de neige obscure, dans le noir qui l’enserre, et tour à tour plus blanche, plus lumineuse dans des lumières, et dans l’ombre s’atténuant, et puis resurgissant ; cependant sur le bois uni du pavé roule la voiture où nous sommes ; doucement, entre sa robe, il prend ses doigts ; elle les retire un peu ; et il lui dit : votre visage dans cette ombre et ces clartés s’harmonisent exquisément… (16) Je pensais à la Grèce et à l’auto-stop avec Dora On est retourné sur la route en pleine nuit, et bien entendu il ne s’est arrêté personne, vu qu’il ne passait pas grand monde, de toute façon. Comme ça jusqu’à trois heures du matin. (5) Dora était samienne Samienne : Terre samienne, nom d’une sorte de terre blanche et gluante à la langue, qui vient de l’île de Samos, et qui a été employée en médecine. (20) Je veux dire samienne, grecque de Samos où je l’ai rencontrée. Elle était avec un type à tourner dans l’île Ils montaient, se tenant par la main, comme des enfants bien sages, l’escalier bleu, puis, soulevant le mince rideau voilant leur porte comme d’une brume légère, ils retrouvaient l’ivresse interrompue la veille, les mille caresses, les mille jeux charmants. (27) Ils me laissaient rêveur, plus rêveur que mélancolique. Le type était nerveux, il gesticulait Où irons-nous, après l’ultime frontière ? Où partent les oiseaux, après le dernier. Ciel ? Où s’endorment les plantes, après le dernier vent ? Nous écrirons nos noms avec la vapeur. (9)La presse alimente l’affrontement tout en voulant donner l’impression qu’elle informe sur son contenu et sa dimension. Elle n’est donc rien d’autre qu’un instrument au service de choix stratégiques dans un affrontement sans merci où l’enjeu reste la population. (38)Beaucoup d’intellectuels sacrifient par ailleurs à des stratégies de pouvoir qu’ils font passer avant ce qui est à mes yeux la première fonction de l’intellectuel, la fonction critique. (36)Mais ce nouveau  courant, bien qu’il doive s’accentuer avec les progrès de l’automatisme et l’apparition de nouvelles fonctions, ne constitue ni une solution universelle, ni une panacée. (15) Apparemment, un homme peut tout supporter. Il peut même supporter ce qu’il n’a jamais fait. Il peut même supporter l’idée que certaines choses dépassent légèrement la limite de ce qu’il peut supporter. Il peut même supporter l’idée que, s’il pouvait se laisser aller à pleurer, il ne le ferait pas. Il peut même supporter l’idée de ne pas se retourner, même quand il sait que se retourner ou ne pas se retourner, ça revient en somme à la même chose. (13)Voilà je touche au but/ et je ne suis pas mort/ fin de l’automne (6) Oui dit Dora en souriant. Elle était triste, mais elle souriait L’automne déjà ! – Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, – loin des gens qui meurent sur les saisons. L’automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. (18) Le type l’a reprise. « La clarté, l’automne, l’hiver, le passé, le futur… » En quelle manière sont donc ces deux temps, le passé, et l’avenir ; puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Et quant au présent,  s’il était toujours présent, et qu’en s’écoulant il ne devînt point un temps passé, ce ne serait plus le temps, mais l’éternité. (33) L’éternité dans le cœur de la ville qui a changé depuis le tremblement de terre. On ne trouvait plus aucune trace, par exemple, de l’ancienne épicerie, du bouquiniste ou du vieux cinéma, celui devant lequel il était passé deux fois par jour, pendant des années, le matin autour de sept heures et le soir vers dix-huit heures trente. (10) J’étais triste lui dit Dora Curieusement ma colère est tombée d’un coup. J’ai ressenti une immense tristesse, je veux dire une immense fatigue. Je regardais cette ville, dont je connais chaque détour, chaque coin de rue, chaque coupole, parce que je n’ai jamais vécu ailleurs. (44)  Avant le tremblement dit le type, Au début des années soixante, cependant, l’épidémie de pébrine qui avait rendu inutilisables les œufs des élevages européens se répandit au-delà des mers, jusqu’en Afrique et même, selon certains, jusqu’en Inde. (7) Un virus implacable Virus : ce sont les plus petits agents infectieux que l’on connaisse. (39)Il faut survivre aux maladies,/ de celle qu’on attrape/ dans les rues éventrées des capitales immondes, de celles qu’on se transmet,/ de celles qu’on respire en famille/ attaché aux jambes d’une mère/ à ses seins,/ à ses bras,/ la mère/ qui n’en peut plus/ Mais se lève chaque matin en attendant de finir. (17)Ainsi s’écoule toute la vie ; on cherche le repos en combattant quelques obstacles, et, si on les a surmontés, le repos devient insupportable, par l’ennui qu’il engendre ; il en faut sortir et mendier le tumulte. (19) Le type, Il s’était levé puis, dans un soupir étranglé, presque un sanglot mais contenu, discret comme l’était cet homme, il s’était écroulé. (8) Appelle les pompiers lui ai-je dit, les pompiers Je parlerai d’un pays que je connais bien, non parce que j’y suis né, et que j’en parle la langue, mais parce que je l’ai beaucoup étudié… Est-ce à dire que ce faisant je m’enfermerai dans la particularité d’une société singulière et que je ne parlerai en rien de la Grèce ou de l’Algérie ? Je ne crois pas. (37)

Doria pleurait, elle semblait avoir perdu le fil de la réalité Autrefois, l’Occident reprochait à nos pays d’Orient leurs éphèbes et leurs femmes lascives, et aujourd’hui on nous reproche notre extrême pudeur. À leurs yeux, quoi que nous fassions, nous sommes toujours en faute. (1) Elle respira longuement Sur ces plages…, tous les matins d’été ont l’air d’être les premiers du monde. Tous les crépuscules semblent être les derniers, agonies solennelles annoncées au coucher du soleil par une dernière lumière qui fonce toutes les teintes. (35)

Plus tard, Doria me parlera de Larbi, cet ami abandonné qui n’aimait pas les journalistes « il te ressemble » Larbi : « le journaliste dit que nous sommes son cauchemar. Il répète ‘‘la France c’est plus la France, c’est l’Afrique.’’ Pourquoi ces gens-là ils nous humilient, pourquoi ils nous assassinent ? Ces gens-là ils nous poussent à détester nos parents, à renier nos arrières grands-parents et nos racines ». (41) Dora me dira aussi qu’un jour, alors qu’elle se promenait avec Larbi sur la plage ils entendirent derrière eux « S’il y a de la bagarre, toi Masson, tu prendras le deuxième. Moi je me charge de mon type… Toi Meursault, s’il en arrive un autre, il est pour toi. » (34)J’ai là cet étranger dont j’ignore le nom ; en ma demeure, après naufrage il est venu ; mais nous arrive-t-il des peuples de l’aurore ou de ceux du couchant ? (22) Elle me dit que Larbi s’était dressé contre les agresseurs Ne craignez-vous pas que le pauvre que l’on traduit sur les bancs des criminels pour avoir arraché un morceau de pain à travers les barreaux d’une boulangerie, ne s’indigne pas assez, quelque jour, pour démolir pierre à pierre la Bourse, un antre sauvage où l’on vole impunément les trésors de l’État, la fortune des familles. Or cette délinquance propre à la richesse est tolérée par les lois, et lorsqu’il lui arrive de tomber sous leurs coups, elle est sûre de l’indulgence des tribunaux et de la discrétion de la presse. (14) Ces mots de Larbi me renvoyèrent à ceux d’un vieil ami d’Edward. Derrière la révolte d’Edward Saïd contre le regard supérieur que porte l’Occident sur l’Orient, d’où naîtra ‘‘L’Orientalisme’’, se jouent deux libérations : d’un côté, la sienne vis-à-vis d’un père en accord avec le pouvoir du plus fort (l’Amérique) et, bien plus complexe, plus difficile à formuler, vis-à-vis d’une mère aussi possessive que changeante, et, puis enfin, sur le plan collectif : celle des peuples abusés par les dominants. (40) »

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Moralité de cet atelier ?

Faut-il qu’il y ait une moralité ? je ne sais pas, mais je sais que l’on peut, avec un minimum de volonté, vivre intelligemment en interagissant par exemple avec des écrivains de tous horizons, à travers leurs écrits, quitte à en dégager sa propre morale et une idée d’écriture pour soi-même.

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Confinement, mais.

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Confinement, mais.

Je me faisais cette remarque de bonne heure ce samedi matin en traversant un des champs en bordure de la ville. Je me disais que contrairement à il y a quelques semaines, lorsque j’entends le mot « confinement », je ne vois plus, n’entends plus, un régiment de canards sauvages cancaner à la lisière d’un étang ou d’oies blanches printanières cacarder dans une ferme, les uns comme les autres sans vergogne ni respect pour leur voisinage. Aussitôt après cette remarque je me suis demandé « pourquoi des oies ? » Je n’en savais rien et n’en sais toujours rien en fait, peut-être à cause de ces sympathiques syllabes « confi » ? Aujourd’hui le terme confinement me renvoie très justement à enfermement (et à « caserne », allez savoir pourquoi, je ne détaillerai pas au risque de me retrouver – et de vous entraîner – au cœur d’un complexe labyrinthe semblable à ceux de Borges).

Aujourd’hui, disais-je, lorsque j’entends « confinement », j’entends en même temps « enfermement ». « Restez enfermés (confinés) chez vous, sauf pour de courtes exceptions » entend-on régulièrement à la radio et à la télé. On peut déroger à la règle « pour, par exemple, pratiquer brièvement un sport individuel ». Les termes exacts portés sur l’Attestation de déplacement – que l’on doit absolument porter sur soi avec sa pièce d’identité sous peine d’amende – sont ceux-ci : « Déplacements brefs à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle… » Il y a d’autres exemples. Très bien. Mardi dernier lorsque je découvrais cette « Attestation de déplacement dérogatoire, je me suis demandé « mais que signifie ‘‘bref’’ ? » Le dictionnaire nous enseigne que le mot bref veut dire « Qui est court », « qui a peu d’étendue ». Comment puis-je continuer à marcher avec cette définition ? me suis-je alors questionné. Et que veut dire « proximité » ? Le même dictionnaire  répond sans se fouler « à faible distance, aux environs immédiats ». Faire le tour de deux, trois pâtés de maisons pensai-je. De gros pâtés alors, car il me faut répondre aux « recommandations fortes » de mon médecin « marchez une heure et demie par jour au pas accéléré ». C’est qu’il se fâcherait le toubib.

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Rester enfermé, sauf pour marcher, une fois par jour. J’ai donc continué à marcher ce mardi-là et  chaque jour comme les jours d’avant. Oui, il nous faut désormais dire « les jours d’avant », car depuis son déclenchement cette pandémie ravageuse de Coronavirus – une pierre blanche, plutôt noire – est un marqueur majeur pour notre monde, une frontière haute plantée entre deux mondes. Une date charnière. Une date historique comme la naissance de Jésus-Christ il y a 2020 ans (date erronée par ailleurs), où l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années. On dira « c’était avant le coronavirus » comme on dit « avant J.C » ou « après le coronavirus », ou encore « pendant le coronavirus ». Le monde d’après sera autre. Un nouveau monde naîtra demain à la suite de cette dramatique et scandaleuse expérience humaine, je l’ai rêvé et je l’ai récemment mentionné. Un monde qui fera de la fraternité une vertu cardinale, auprès d’autres. « naïf » ai-je entendu dans mon rêve. Nous sommes pour sûr des millions de naïfs à penser, espérer ce nouveau monde. Nous y croyons et nous l’espérons les bras décroisés, le corps et l’esprit en action. Évidemment. 

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Mais revenons à nos oies d’aujourd’hui. J’ai donc continué à marcher mardi, mercredi, jeudi, vendredi et tôt ce matin comme les jours d’avant. Le soleil pointait au-dessus des arbres, bouffi d’insolence et impassible avec plus ou moins de vigueur, comme hier, et comme demain. Les fleurs du printemps « ces rêves de l’hiver » (Khalil Gibran) commencent à bourgeonner. Voyez la vigne ! Les rues étaient entièrement silencieuses. Le gazouillis des oiseaux, frénétique. Et mes pas qui se bousculaient. Au détour d’une ruelle, un homme surgit avec son petit chien noir au bout d’une laisse, tout frisé, un masque sur le visage. Il portait des gants aussi. Nous avons tous les trois, d’un même mouvement, sursauté. Le fox-terrier se blottit derrière son maître sans même aboyer. Nous avons dit (le monsieur et moi) en même temps « bonjour » sur un ton identique, empreint d’une légère inquiétude, plus que de surprise, le sien étouffé par le tissus. Le fox jappa en trépignant. J’ai traversé la rue et poursuivi mon challenge quotidien plongé dans mes pensées, mais en rasant les murs ou les arbres, comme si je ne souhaitais pas que l’on me voie.

Ahmed Hanifi,

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