Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

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Maître Ali-Yahia Abdenour a adressé un droit de réponse au quotidien El Watan le 5 juillet 1994 à la suite d’articles diffamatoires le visant, écrits (notamment) par ce journal. 

Ce droit de réponse intitulé « Il est vrai que le ridicule ne tue pas en Algérie », n’a, à ma connaissance, jamais été publié.

Le voici.

Monsieur le directeur,

Je suis encore une fois, personnellement, l’objet d’une campagne diffamatoire, orchestrée par plusieurs journalistes de quotidiens dont le vôtre, censeurs dans le passé, défenseurs de tous les pouvoirs qui se sont succédés, téléguidés par un chef d’orchestre qui n’a rien de clandestin, et qui a pour nom les services.

La convergence des attaques laisse, en effet, supposer une concertation et une préméditation télécommandées par les services qui ont montré depuis 1980 et ce n’est pas terminé, dans leur façon d’agir, la continuité de leur volonté de me discréditer, sans lésiner sur les moyens à employer.

La réaction des services au communiqué du comité directeur de la LADDH, en date du 12 mai 1994, relatif aux exécutions sommaires, et à ma participation à Envoyé spécial de France 2 en date du 16 juin 1994, ne s’est pas fait attendre. Ils ont déclenché une campagne médiatique à mon encontre, comme ils l’ont fait en octobre 1988, quand j’ai dénoncé la torture, en avril 1992 quand j’ai dénoncé en Algérie et à l’étranger la torture et les camps de concentration.

Machiavel déjà recommandait de déshonorer l’adversaire. « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose », disait Basile. La ficelle est grosse mais elle remplit comme de coutume son office.

Monsieur le directeur, je m’adresse à vous, en votre qualité de directeur de la publication du journal El Watan, responsable pénalement des écrits publiés par votre journal. Un journaliste agressif, violent et outrancier, au langage haineux, exécutant des basses œuvres, a survolé trente années de mon existence avec des attaques vulgaires, basses et pitoyables ; ses ragots de concierge ne m’intéressent pas. Ce qui est méprisable ne mérite pas de réponse.

La presse secrète elle aussi des maffiosi, des mercenaires, des assassins à gages, car « il y a des mots qui tuent » a dit Boumediene, prêts pour encaisser des dividendes, un acompte ou même un pourboire, à faire une sale besogne. En France, la cour impériale a un jour demandé à Napoléon III pourquoi il ne lisait jamais les journaux. Il a répondu : « Je ne lis jamais les journaux du matin car ils n’impriment que ce que je veux, je ne lis jamais les journaux du soir car ils n’impriment que ce que je dis. »

Votre journal, Monsieur le directeur, n’imprime que ce que veulent et disent le pouvoir et les éradicateurs.

1— J’ai donné mon impression à 12 radios et télévisions étrangères dont TF1 sur la mort du regretté Youcef Fathallah, non pas à Paris mais à partir d’Alger. Un homme se définit d’abord par ce qu’il n’est pas, face à la conjoncture, pour faire ressortir ensuite et mettre en relief ce qu’il est. Feu Youcef Fathallah n’était pas un éradicateur, et c’est le plus grand hommage qu’on puisse lui rendre, mais un partisan du dialogue national, qui a assuré ma propre défense devant la Cour de sûreté de l’État, ainsi que celle des communistes, des berbéristes, des benbellistes, des islamistes.

Il a demandé la fermeture des camps de concentration et a condamné la torture et tous les dépassements. Les éradicateurs et la presse à leur service, qui ont voué aux gémonies avec une insolence rare tous ceux qui ont marché le 8 mai 1994 sur tout le territoire national, et pas seulement à Alger, pour le dialogue et la réconciliation nationale – et Youcef Fathallah était de ceux-là – veulent maintenant récupérer politiquement sa mort. En matière d’information les faits sont sacrés, et doivent être séparés des commentaires des journalistes. Vouloir me faire un procès d’intention, alors que j’ai condamné la violence, la peine de mort, particulièrement les exécutions judiciaires ou extrajudiciaires, est ridicule. Il est vrai que le ridicule ne tue pas en Algérie.

Les mauvaises intentions, a dit un grand écrivain, « sont comme des billets de banque, il faut les posséder soi-même pour les prêter aux autres ». On peut dire que l’appel à la délation tient lieu de programme pour votre journal et montre une fois de plus le scandale d’une presse qui s’attaque aux personnes en des termes insultants et injurieux et non aux idées qu’elles propagent ou défendent.

Les quotidiens comme le vôtre, qui se taisent sur la torture et les exécutions sommaires, qui ne font, dans ce domaine, aucun travail d’investigation et de recherche de la vérité, ne font pas de l’information mais de la propagande pour un pouvoir qui a toujours contrôlé la presse et ceux qui la tiennent. Ils remettent en honneur des habitudes et des pratiques de parti unique qui avilissent le journalisme et ramènent certains journaux aux dimensions d’officines policières.

Monsieur le directeur, il est vrai que la presse est vulnérable, dépendante du pouvoir, qui est en mesure de la rappeler à l’ordre et à l’obéissance, en agissant tant sur le tirage que sur le droit de publication ou la protection des journalistes, mais elle doit maîtriser ses écrits, et ne pas lancer impunément des mensonges, des calomnies et des diffamations qui peuvent avoir des conséquences tragiques.

2— Avocat du FIS, je me dois de vous rappeler quelques vérités de principe et de bon sens. Le respect du principe d’égalité des victimes de la répression et de non-discrimination est essentiel, et demeure la règle d’or de tous les militants des droits de l’homme. J’ai défendu, avant octobre 1988 et après, les prisonniers politiques de toutes les tendances et de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, car il n’y a qu’une défense possible, celle de tous ceux qui sont privés de leur liberté et de leurs droits. Ceux qui ont largement bénéficié sans bourse délier de mon soutien personnel, en ma qualité d’avocat et de militant des droits de l’homme, quand ils ont été poursuivis en leur qualité d’infracteurs politiques, me reprochent aujourd’hui de défendre d’autres infracteurs politiques. Ils sont pour les droits de l’homme à deux vitesses, la liberté non pas pour tous, mais pour eux seulement, et rejoignent dans les faits M. Le Pen du Front national français qui dit : « Je suis pour les droits de l’homme, mais pas de n’importe quel homme », c’est-à-dire pas de l’émigré. Devant cette conception fasciste qui interdit la liberté pour les autres, et tourne le dos aux droits de l’homme, j’ai froid dans le dos, et de nombreux Algériens partagent ce frisson.

Le renouvellement de la presse se fera après le retour à la paix civile, par la création d’une floraison de quotidiens, d’hebdomadaires et de revues en mesure d’assurer un pluralisme de l’information qui n’existe pas, et par la réduction du lectorat des journaux qui ont prôné la haine, la violence et l’éradication .. l’électorat qui les préconise, et qui se réduira peu à peu à la peau de chagrin.

Je vous prie de croire, Monsieur le directeur, à l’expression de mes meilleurs sentiments.

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(Avec l’aimable autorisation de Mehdi Mohamed, Facebook- 26 avril 2021)

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