Aubuscule- Éditions Incipit en W – Miramas, 10, 2014
(plusieurs des poèmes ci-dessous sont parus in « Débâcles »)
« De la musique sortit, coula de ses
doigts sans qu’il parût le vouloir, en décider, et sournoisement elle s’étala
dans le monde une fois de plus, submergea le cœur d’inconnu, l’exténua. »
Marguerite Duras, Moderato cantabile. Ed de Minuit. Paris, 1958.
Préface
Écrire c’est, d’une certaine façon, saisir la possibilité de
s’écarter, ou mieux, de se libérer de cette mystification dont nous sommes
l’objet, de ces mensonges que nous portons, que porte notre humanité et qu’elle
dissimule ou qu’elle tente de dissimuler sous de faux-semblants imposés par
nombre de codes sociaux. Il nous est difficile d’être, mais plus aisé de
paraître. Nous sommes exhortés à avoir, toujours plus. Le consumérisme (1) au
détriment de la vérité, de notre vérité.
Car écrire c’est, d’une certaine façon, se saisir de notre
propre vérité, je dirais de nos propres vérités, au-delà de l’orgueil et de la
gloire. « J’écris pour me parcourir » affirmait Henri Michaux (2).
Écrire ce que, pour une raison ou une autre, l’on ne dit pas toujours, car il
est – souvent – difficile de dire, au-delà du sens commun, du conformisme.
Écrire c’est provoquer, libérer le silence et la douleur que nous portons, et
les joies aussi bien sûr : nos vérités disais-je. Les dévoiler. En
écrivant « on n’invente bien que ce qu’on porte en soi » écrit Robert
Mallet dans une préface dédiée à V. Larbaud (3).
On peut faire le choix de la prose, celui de la poésie, ou
s’exprimer à travers l’une et l’autre. Les fragments que je propose furent
écrits entre 2002 et 2014.
A.H.
1_ Lire Les Choses, deGeorges
Pérec,Julliard, Paris 1965.
2_ Obsevations, in Passages.
Œuvres complètes Gallimard/Pleiade, 2001.
3_ Valery Larbaud, Les Poésies de A.O. Barnabooth.
Gallimard/Poésie, Paris 1966.
Entre chien et loup *
« Dans la profondeur du tableau, il y a
la ligne d’un ciel fané d’automne, le vent, par-dessus une lointaine rangée de
montagnes, chasse de rapides petits nuages pie. Au premier plan, d’un rouge brun,
la steppe des absinthes. Et le chemin noir qui n’a guère eu le temps de sécher
après les pluies récentes. »
Tchinghiz Aïtmatov, Djamilia.
Denoel/folio, Paris 2001.
* * *
« Il y a dans cette tempête rouge
dans ce flux en tous sens de sang
dans ce recouvrement parfait de rouge sur toute
chose
dans cet épandage mondial
il y a deux loups affrontés »
Henri Michaux, Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki.
Œuvres complètes, Gallimard/Pleiade, 2001.
* * *
* Cf les notes en fin de
recueil.
Nostalgie
Le son de tes voies coule dans mes veines
N’avais-je pas suffisamment d’audace
Pour tatouer sur ton corps mes peines
Retrouverai-je tes artères, tes places
Dis-moi Paname si ma quête est vaine.
* * *
Et toiles fécondes
Les corbeaux noirs ne volent plus au-dessus des
champs de blé
Les sillons d’Auvers ne sont plus à la fête
Le gris et le noir du marbre glacé ne dénouent
les âmes ni
l’esprit
Les feuilles mortes alentours ne sont plus
ramassées par
les pèlerins
Ni les tournesols récoltés
Les couleurs orphelines de père Tanguy ne
luisent plus
Ses yeux, d’Orient
Ni de voyage aux Marquises, ne rêvent plus
Dans ce Nouveau Monde, les archipels ne
semblent pas
veiller
Ils ne ploient pourtant ni devant l’adversité ni
devant les
défis
Nul ne pourra haler ces confettis à bord de
l’indécence
Les hommes n’y regardent ni l’hiver ni le ciel
La végétation ne forme pas de stèles pour les
hommes de toiles et d’étoiles
Jamais n’est forcée la porte de l’indicible
L’agitation sourde jamais ne flatte l’obscurité
Ni les murets de la parcimonie n’escalade.
* * *
Ivresse
Fuir la perfidie de l’esprit
La cupidité de l’estomac
La vanité de mon nord
Tamtert ou El-Ouata me voilà
Vite
M’habiller d’aridité
Me combler de silence
Retrouver les signes que ma
mémoire a semés
Faire mes ablutions
Avec l’ocre des grains de sable
Pyramides
Et à la tombée du jour
Un verre d’effluves divins à la
main
Deux et trois
Menthe sauvage et thé rouge
Plonger mes yeux dans les yeux
De l’Astre couchant.
Renaître.
* * *
Aubuscule
Était-ce une aube comme une autre aube Jason ?
Ces ombres affairées dans des felouques
Dont ton Brownie a saisi le courage
T’attendaient-elles pour larguer les amarres ?
Ciel et mer aux couleurs du Luberon
Ocres matinales que tu reluques
Ce Red horizon tableau ou image
Sir, nous fond avant l’heure autant qu’Icare
Brownie ou palette finalement
Lac, lagon, océan ou champ de houque
Peu importe le flacon, l’outillage
Ce moment ce lieu Jason, accaparent
L’horizon s’étire et à ce moment
Des bras aguerris à l’aviron souquent
Je rêve de hamac, de bastingage
Était-ce le crépuscule sur le phare ?
* * *
Été
L’homme somnole
À l’ombre d’un pin
Le roman glisse entre les doigts
Sous la treille fournie de raisins
D’autres jouent aux cartes un mégot à la main
Le cendrier déborde
Les cigales stridulent
Dans la pinède ombragée
La boule est tirée
L’enfant rêve de sapins blancs
Couchés sur la remorque
Ses yeux pétillent.
* * *
Rengaine
Sous les faisceaux de
la lampe de bureau
Sur la feuille
opaline
Ruisselle mon flux de
conscience.
De l’autre côté du
temps
L’océan engloutit
l’astre irisé
Tandis que la nuit
sombre de nouveau
Dans les méandres du
jour.
Le sablier se vide et
se plaint
Le coq le couve de
son orgueil répété
La feuille
s’assombrit en silence
* * *
Dis-moi Lolita…
« Dans la joyeuse cité de Lepingville,
je lui achetai quatre albums de bandes dessinées, une boite de bonbons, une
boite de serviettes hygiéniques, deux cocas, une trousse de manucure, une
pendulette de voyage avec un écran lumineux, une bague avec une vraie topaze,
une raquette de tennis, des patins à roulettes avec des bottines blanches, des
jumelles, un poste radio portatif, du chewin-gum, un imperméable transparent,
des lunettes de soleil, d’autres vêtements encore – des pulls-overs chics, des
shorts, toutes sortes de robes d’été… »
Vladimir Nabokov, Lolita. Éditions Gallimard/folio, Paris 2001.
* * *
« Qu’est-ce qui m’avait menée là ?
Était-ce ma curiosité littéraire qui me jetait dans une aventure aussi
singulière ? Ou moi qui allais vers l’amour en suivant le chemin de la
littérature ? »
Ahlam Mosteghanemi, Le chaos des sens. Éditions Sedia, Alger 2009.
* * *
Katia
kaléidoscope tu es papillonnant
autour de moi cœur puéril
tu as fait de moi un
insoumis sur le retour
à la raison au monde
* * *
Gazelle
Le son de ta voix coule dans mes veines
N’avais-je pas suffisamment d’audace
Pour tatouer sur mon corps tes peines
Affronter tes humeurs tes
menaces
Dis-moi Gazelle si ma quête est vaine.
* * *
La photo jaunie
L’amande de ton regard
Appuyée par la rosée suggérée de tes lèvres
Et le charbon de tes paupières
Retenus dans le vase
Oval de ton visage
Candide, jauni
Enserré par ce cadre,
Embaument l’impatience
De ma mémoire malmenée
Qu’ils assouvissent,
Et apaisent
Aussitôt
Retrouvée
* * *
Absences
« Il est une
chose que je regrette amèrement, je n’ai jamais dit… ‘‘Maman, je t’aime’’… J’ai
toujours eu peur de me trahir… J’aurais tant voulu l’appeler au moins une fois
maman. Farroudja n’a jamais entendu ce mot dans ma bouche. »
Boualem Sansal, Rue Darwin. Éditions Gallimard, Paris 2011.
* * *
Ya Mraya
Les premières notes
Coulent du cœur de la caisse
Lampe merveilleuse
Cordes pincées.
Un parfum suranné
Ensorcelle mon verre de thé à la
menthe.
Il tremble, vacille.
Une voix épurée suit,
Chevauchant le tapis harmonique.
Elles remontent ensemble
Mon biscuit, ma madeleine,
La nuit blanche de mon être.
Douleur et corps se
déchiquetaient alors.
Pour quelque dépouille pour
l’une,
Un instant de répit pour
l’autre.
Adolescence enceinte par
l’implacable
Et inhumaine douleur affligée
par les sept Cieux.
Corps liquéfié.
Pas de rémission pour l’itim’*.
Pourtant.
Ya
Mraya, ô miroir, ya Mraya,
Cette voix complaisante
Qui tangue au-dessus du verre
enflammé,
Extirpe du cœur de la lointaine
affliction,
L’autre temps,
Répit disais-je
En arrache le temps de
l’insouciance.
De la joie et de la révolte
mêlées.
Car la vie glanait alors,
Dans les interstices du néant
Envers et contre tout,
Contre toutes les douleurs,
Inacceptables et révoltantes
douleurs
Quelques pépites bon gré mal
gré,
Les copains d’abord
Carricos
et
pitchaks
Ou Covalawa*,
Aïn-Franin et Yoyo, la blonde
Yoyo
Le temps, à seize ou vingt ans,
De tous les défis, de tous les
possibles,
Le temps où celui de la fusion
des éléments
Et des cheveux changeants,
Était encore inconcevable,
Posé sur l’horizon du ciel
Aujourd’hui rattrapé.
* l’itim’ : l’orphelin
Carrico
(chariot) : jeu constitué de deux planches auxquelles sont
fixés trois ou quatre roulements à billes.
Pitchak :
jeu de jonglage formé à partir, notamment, de chambre à air de vélo découpée en
fines rondelles attachées entre elles par un fil.
Covalawa : ou Cueva d’el agua. C’est
le nom d’une zone située près de la jetée, au bas des falaises du quartier
Gambetta, à l’est d’Oran. Jusque dans les années 60 c’était un bidonville.
* * *
Fêlure
Ta
joue droite repose sur la paume de ta main
qui
la soutient ou réchauffe.
Ou
rassure.
Ton
regard
si
lointain jusque-là
paraît
suspendu à tes pensées atrophiées.
Tu
semblais méditer au néant,
absente,
te
voilà confrontée à un flux de conscience
que
tu vibres de tant vouloir transformer
en actes de paroles
en
réponse à mes interrogations.
Il
me semble.
Car
je ne suis pas sûr que mes questions te parviennent.
Tes
lèvres rétives,
étrangères
depuis longtemps à toute parole
demeurent
impassibles à mes ridicules gesticulations :
« Amma,
kiraki, ghaya ? » *
Tu
ne réagiras pas.
« Irrémédiable ».
Je
le sais pourtant,
mais
je persiste à espérer l’impossible.
Un
miracle.
Tu
me regardes.
Tu
persévères.
Longuement.
Et
encore.
Tu
creuses dans mon visage,
dans
mon chagrin,
pour
que surgissent d’improbables souvenirs
et
y arrimer la justification de ta présence,
l’automne de ta vie.
La
lumière qui progressivement, timidement,
jaillit
du centre de l’iris, atténue ma tristesse.
Me
console un temps.
Je
comprends, je saisis le message de cette flamme
éphémère.
Tu
sembles vouloir me couvrir de
« combien je t’aime mon
fils, combien je te comprends,
combien toutefois je suis
captive de la maladie d’Alois ».
La
forte pression de ton autre main agrippée à mon bras
me réconforte.
Un
moment.
La
lumière qui jaillissait de tes yeux a un instant transformé tes lèvres
demeurées closes.
Tu
as souri
et
sous mon masque d’homme
coule
mon bonheur
ou
mon incessible douleur.
* Amma, kiraki, ghaya ?: Maman, comment vas-tu,
bien ?
* * *
Douleur
Ton silence,
Sous les pierres
De la Source blanche
A l’ombre des cyprès
Posées contre la chair de ma
mémoire
Endolorie
De tant de sollicitude,
Me pèse.
* * *
Debout
« Nous nous
unirons au déshérité. Nous nous en irons par une montagne, par une vallée, par
une ville, nous irons par le désert, mon silence et ma crainte (…) Nous ferons
couler la neige de nos monts pour que vive le pain de nos vallées. Nous
drainerons les écritures pour qu’à travers les roseaux siffle le
bonheur. »
Yamina Mechakra, La grotte éclatée. Ed ENAL, Alger 1986
* * *
« Comment la
vérité du chasseur pourrait-elle jamais s’accorder à celle du
gibier ? »
Karl Gunnar Vennberg in « Stig Dagerman, la littérature et la
conscience »
Ed Marginales/Agone, Forcalquier, N° 6 Printemps 2007.
* * *
Ils ont dit à la mère
ils ont dit à la mère ton fils est un
terroriste
elle a dit mon fils est sorti acheter du pain
ils lui ont dit ton fils est inexistant
elle leur a demandé ce que ce mot signifiait
ils lui avaient dit on n’a rien trouvé signe
ici
la mère a supplié je l’ai enfanté rendez-le
moi
rendez-moi son corps
il n’y a pas de corps
ni nouvelles ni tombe la khbar la qbar
ils n’ont pas baissé la tête n’ont pas rougi
leur loi les
protège
ont-ils une âme à défaut de cœur
elle s’est tournée vers leur chef général il
avait fui
ils entendront jusqu’au fond de leur propre
éternité
Vérité et justice
pour mon fils
leurs enfants imploreront pour eux pardon
réconciliation
cette mère est dans nos cœurs
cette mère est notre mère notre sœur
Vérité et justice pour notre humanité
* * *
Une mère à son fils ‘disparu’
Tu brûlais tout ton être d’enfant
Tu maintenais au loin l’horizon
N’est-ce pas
Je sais que de ta cellule, ton trou
Tu vois les charniers, entends les loups
Je sais
Je suis depuis ton départ, perdue
Je, est insensé c’est entendu
Sans toi
992 jours, ma perpétuité.
* * *
Octobre
Ce matin d’automne l’heure de vérité avait éclos
À la fenêtre de mes dix-sept printemps
Emporté par la colère et le ras-le-bol
Ils étaient depuis des lustres mon lot contagieux
Je glissais parmi les mille et les cents
Travail y a pas
Logement y a pas
Distraction y a pas
Chkaya y a pas
Hogra Hogra Hogra*
Ce matin-là
Parmi les mille et les cents
C’est leur opulence,
Arrogance et mépris
Que je ciblais
Je brisais, enflammais, barricadais
Bâtiments officiels,
FLN et villas
Porté par des mille et des cents
Au soir venu
Les kakis blindés nous ont embastillés
Leur couperet s’est abattu sur nos naïvetés
Au crépuscule sombre de ce matin diaphane-là
Nous étions des mille et des cents
Nous murmurions, revendiquions
Liberté Liberté Liberté
Dans nos rues et cités crues
Et dans leurs geôles écarlates
Ils nous ont torturés, tués
Martyrisés
Larbi Ben M’hidi
L’avait prédit
Mourir avant l’indépendance la belle affaire
Que vivre sous l’oppression – alors à venir – des
frères
Car, lorsque nous serons libres
il se passera des choses
terribles !
* Chkaya :
porter plainte, dénoncer.
Hogra : le mépris
* * *
Quelle Affiche demain ?
Pour ne pas oublier
J’offre ces vers-amour poignants
À toutes ces plumes xénophobes
Cette peste brune en devenir
À toi aussi petite raciste à la banane grasse
d’ignorance
Nourrie au millet des petits Ammours
À vous chroniqueurs contrariés
Haineux de tous les Manouchian
Ils étaient vingt et trois et plus
Et de l’est et du sud
Morts pour libérer vos propres aïeux, parents
Haineux de tous les M.O.I, Roms et Arabes
réunis
Ignorants
Quelles affiches brunes préparent-ils pour nos
enfants
Mais à quels grills songent-ils ?
À quels barbecues apéro-sauciflards ?
Pour ne pas oublier
J’offre à tous ces écervelés
Ces chemises noires et phalanges
D’aujourd’hui
Fanas de tous bords de toutes les ignominies
J’offre à tous ces égarés, ce tarés
Pour la fraternité humainement possible
Cette affiche rouge de quelques mots libres
Merci Lény, Léo, Louis et tous les autres.
* * *
Tourment
Je crains mes cruels rêves
Engluée dans mon délire
Leur folle injonction perdure
Il me faut suivre leur ordre
Faut-il qu’ils se soulèvent
Que la lumière se retire
Et qu’éclate à leur bordure
En mon âme le désordre
Sous l’inflexible glaive
Il me faudra bien choisir
Sous leurs abjectes procédures
Abdiquer ou les tordre
* * *
Frères d’abjecte
conviction
Se réveiller les yeux embués, l’estomac noué
et la bouche bée. Regarder par-dessus le dernier étage de la tour ces points
qui se meuvent indifférents à leur propre monde qui vont, viennent. Sont-ils
ligotés, sont-ils seulement ? Les interrogations sont-elles
audibles ? Aucun son n’exprime le refus ou l’incompréhension. Le cauchemar
est pourtant bien réel. Un boulevard est ouvert au centre duquel trône le
spectre de l’innommable.
Comment dire, comment dire, sont-ils devenus
fous, sommes-nous devenus amnésiques ? On vaque ça et là dans les
rayons des supermarchés des années de la peste brune les yeux aveuglés et
l’esprit calfeutré le soir venu. Et la mémoire vautrée dans la fange idem.
Serpents entrelacés, la haine, le chauvinisme et d’autres ismes agitent leur
hideuse tête venimeuse. Le nouveau métèque et le fils de l’étranger réunis,
sont assignés à résidence dans les sentes noires et boueuses des barres à la
marge des cités ragaillardies, mis en demeure de trembler.
Allons zenfants de la tyrannie, sachez que
nous tournerons autour de vos morsures enceints de nos identités tressées,
jusqu’à vous ensorceler, jusqu’à ce que l’honneur de nos aînés, notre étendard,
soit réparé. Nos anciens s’appelaient Manouchian, Lévy, Mamadou ou Mohamed. Ces
métèques – ‘vermines du monde’, disaient les vôtres qui les vouaient aux
gémonies des services spéciaux–, ces étrangers, ne réclamaient ni gloire ni
larmes eux dont les vôtres ont affiché le nom sur les murs des villes et villages
de la France fraternelle, de la France libre.
La France que vous vous acharnez à étêter a
besoin de ses six lettres, de tous les caractères, de tous les signes qui la
constituent. Vous avilissez l’Hexagone comme les vôtres hier aux temps des bonnes
actions françaises, aux temps des pleutreries.
Sachez une chose : s’il pleut sur nous demain il dégouttera nécessairement beaucoup sur
vous.
* * *
Dualité
L’homme qui n’a pas
Au moins une fois dans sa vie
Froissé le voile qui comprime ses turpitudes
N’a pas perforé, lézardé, entrouvert
L’enveloppe
Dans laquelle se terre l’obscénité
Tellement humaine
Pour que, le temps d’une respiration,
De deux,
Il éructe quelque abjection
Nécessaire parfois
Pour dire non
Ne pas avancer
Bouche fermée
Échine courbée
Parce que les bons mots, la bienséance
Ou l’intelligence
Sont par l’adversité
Proscrits en certaines circonstances
Cet homme est-il fait de ses semblables ?
* * *
Palestine
Abjection
« Bordure protectrice »
Bombes par milliers
Beït Lahiya mon amour anéanti
Check-points et humiliations
Cadavres encerclés
Colonisés colonisateurs c’est pareil dixit les médias
Crimes contre l’humanité
Drones bombardiers semant la mort sur des kilomètres
Deïr el Balah mon amour détruit
Droits de l’homme dans les salons et patati
El Qods ‘ya zahrata el
madaïn’* tes enfants renaîtront
Europe criminelle, ta culpabilité te ronge au point que
Fermer les yeux aujourd’hui sur Gaza penses-tu
Fera passer, digérer tes génocides passés
Funestes soldats sans mère, onzième puissance militaire
Fusées de malheur
Fœtus exsangues
Gaza mon amour gazé
Hiroshima se souvient
Intifada 1,2, 3
Indignation sélective des médias « roquettes Khamas,
roquettes Khamas ! »
Israël 1967, 2008, 2014 et alors
Jérusalem, nous reviendrons ô rose des villes
Je te le crie jusqu’au fond de leur lâcheté
Jebaïlia mon amour ruiné
Kalachnikov
Khan Younis mon amour saccagé
Lignes de démarcation
1967, 2008, 2014 et plus encore
Médicaments de base en pénurie amputez amputez
Mur de la honte
Mur apartheid
Mensonges des médias sous contrôle
Nagasaki silence
Naqba
Occupation
Pluie de bombes
Palestine l’Enfer et la Géhenne te jalousent
Palestine Bantoustan gruyère
Palestine trahie par ta famille «Aïna el arab?* »
Palestine « victime habillée de bourreau »
Palestine ton tortionnaire demain écrira ton nom
Parce que c’est écrit sur le fronton de ta liberté
« Quittez notre Terre, Nos rivages,
notre mer
Quittez Notre blé, notre sel, notre blessure » s’écrie le
poète éternel
Quartiers soufflés
Rayons de la mort
Roquettes cacahuètes
Roquettes désespoir
Rafa mon amour massacré
Stupéfaction sélective des médias « roquettes Khamas,
roquettes Khamas ! »
Saloperie des satrapes
Silence tuméfié, agité
Soleil et lumières sélectifs
Samba brésilienne planétaire
Sheikh Zaïd mon amour assassiné
Terroriste Arafat
Terroriste Ben M’hidi
Terroriste Moulin
Urgence universelle
Victimes collatérales
Versées dans la rubrique pertes et profits
Vous êtes interdits d’adagio de Barber ou d’un autre
Violons pour les cimetières
Whisky dans les salons et patata
Xylophone, bendir et youyou
Ya Qodsou* ya zahrata
el madaïn’
Zahrata el madaïn’,
tu renaîtras de tes cendres.
* El-Qods, Qodsou :
Jérusalem
ya zahrata el
madaïn : Ô fleur/rose des villes
Aïna el arab?: où sont les Arabes ?
* * *
Sous le pont la mort au bout
Des enfants tournent
autour de la fontaine
D’eux tout autour
Flotte comme une
belle aubaine
Au large des
uniformes chargés de haine
Dans leur misère
intérieure
Des montagnes de
laideur
Les mômes jouent sur
la plage près du palace
Loin des voyous
Qui du navire
menacent
Ils ajustent la ligne
de mire les rapaces
Dans leur misère
intérieure
Des montagnes de
laideur
La douleur des
enfants déchiquetés monte
Dans le ciel bas
Dans le navire de la honte
On compare la
dextérité on confronte
Dans leur misère
intérieure
Des montagnes de
laideur
Dans le navire les
démons dansent et chantent
Ils ont semé
La mort d’âmes
innocentes
Devant télés et
ambulances hurlantes
Dans leur misère
intérieure
Des montagnes de
laideur
Sur la plage des
pêcheurs on ne joue plus
Le sable et le ballon
sont orphelins
Des bambins de la
plage rouge de Gaza
Les bombes des marins
les ont écharpés
Dans leur misère
intérieure
Des montagnes de
laideur
* * *
Vanité
Les mythes combinés et encensés
Par des derviches escamoteurs
Inféodés au mensonge
Imprègnent notre réalité
Sans autre forme de procès.
Ils aggravent les sillons de nos illusions
Nous empêchent d’escalader nos Everest
Pour mettre à nu leurs turpitudes
Et notre indignité.
Nos vérités ont largué les amarres
Nous ont abandonnés.
Au-delà de la ligne d’horizon
Aux confins de notre humanité
Elles pointent la profondeur de nos vanités
Érigées en mode de vie.
* * *
Lorsque
Lorsque ton regard brillera au-delà
de ta lucarne
Lorsque ton ouïe s’étendra au-delà
de ta muraille
Lorsque ta main s’offrira à
l’horizon
Lorsque le sel de ton humeur
S’agrègera à la douceur des gens de
l’ailleurs
Alors l’ailleurs et l’ici
Les montagnes et les océans
Les confins et les nombrils du
monde
Se confondront dans une chaleureuse
étreinte
Alors tu seras libre.
* * *
Solaire
« Le soleil
volait bas, aussi bas que l’oiseau.
La nuit les éteignit
tous deux.
Je les aimais. »
René Char, Les Martinaux suivi de la parole en archipel. Gallimard, Paris
1987.
* * *
« Si mois avec la lune et jours avec le
soleil cheminent dans l’éternité, alors les années qui passent sont comme un
voyageur. Celui qui va à la rencontre de la vieillesse en faisant flotter sa
vie sur une barque, en tirant le mors d’un cheval, fait de chaque jour un
voyage, il fait du voyage sa demeure. »
Bashô (Kinsaku) Matsuo, ‘‘ Oku no hosomichi’’ in L’art du haïku ,
Textes présentés par Vincent Brochard et Pascale Senk.
Editions Belfond/folio, Paris
2009.
* * *
Grand Central
la Bannière étoilée
est pendue sous la voûte verte
no photo me dit l’agent
* * *
Ellis
l’île des pleurs récusait les malades
aujourd’hui encore
mais les Cœurs brisés désormais
viennent des Suds
* * *
Victoire
guenilles balluchons
progéniture nombreuse
regards et misère du monde
* * *
La guêpe est à Fès
mouche
ou moustique
sur un napperon
fleuri
glu
, mais où est la guêpe
* * *
Aïssatou
17 heures, ouf.
Blé le rayon
Bleue la goutte,
Chaussons et casquette
Farniente
Cigales
Dakar
* * *
Réveillon
allongé sur une dune
grain submergé d’éternité étoilée
où et qui suis-je
* * *
Skagway
Rhapsody of the seas
est amarré au quai immobile
le pacifique s’impatiente
* * *
Nahanni
coule Nahanni
des moutons gros de pluie
le silence de la réserve apaisée
* * *
Ruée vers l’or
au fond du Yukon
la cabane en rondins de Service
le barde du Klondike
* * *
Tuk
pas de chance Inukshuk
permafrost et panne à Dawson
adieu Inuvik et Tuktoyaktuk
* * *
Fétu de YK
soleil de minuit
ramadan
que faire
* * *
Insomnie
clic clac deux heures trois puis quatre
prière en silence
« Allah » chante le muezzin
* * *
Froideur
l’homme tend une écuelle
son chien grelotte
les passants passent
* * *
Zouaoui
le Zouave du pont est oublié
à ses pieds la Seine
ruisselle de honte
* * *
Ages
un demi de bière
le raffut des jeunes me cerne
je libère le siège
* * *
Impasse
mes doigts sur le clavier suspendus
l’esprit plane
une page blanche
* * *
Madeleine
des lentisques sur les hauteurs
de l’étang de Berre
embaument ma mémoire
* * *
Ô rage
un vin à Cassis
des nuages s’amoncèlent
à quoi bon s’entêter
* * *
Piedestal
je suis las Cassis
de Sbire ton faux fils
le prestidigitateur
* * *
Muguet
band’roles et vin à Bandol
bras levés soleils d’espoirs
désenchantement toujours
* * *
Oasis
Derrière le sommet de la dune
vidée du néant
Taghit
* * *
La roue
Il y a soixante ans
À l’âge de raison
Il raillait son ‘vieux’
* * *
Éclipse
Silence et obscurité
Les oiseaux fuient
Le soleil s’éteint
* * *
Déclin
Le soleil coule
dans la mer
rouge
* * *
Vie
La pendule s’est arrêtée
le moineau sur le mimosa
s’envole
* * *
Les chiens
Sur le seuil de la banque
un mendiant abrite son chien
du crachin
* * *
Un souffle
Du ventre de la mère
à la terre
une vie
* * *
Silence
Sur l’écran du monde
Entre la dune et le firmament
dans le silence de la nuit étoilée
un avion est passé
* * *
Tempête
Les arbres couchés
par la tempête
ont disparu
* * *
Le fil
une hirondelle
emportée par le vent
Le fil frémit
* * *
Notes :
Entre chien et loup
Nostalgie : Juillet 2011
Et toiles fécondes : Auvers-sur-Oise, décembre 2013
Ivresse : El-Ouata, janvier 2014.
Aubuscule : Miramas, février 2014
Été : Salon-de-Provence,
le 13 mars 2014
Rengaine : Miramas, septembre 2014
Dis-moi Lolita…
Katia : Miramas, octobre 2002
Gazelle :
Juillet 2011
La photo jaunie : Marseille, avril 2014.
Absences
Ya
Mraya : Miramas,
décembre 2013.
Fêlure : Douar B., février 2014.
Douleur :
Oran, le 29 mars 2014
Debout
Ils ont dit à la
mère : in La folle d’Alger, Ed L’Harmattan, Paris
2012
Une mère à son fils ‘disparu’ : in La folle
d’Alger, Ed L’Harmattan, Paris 2012
Octobre : Avignon,
le 5 octobre 2013
Quelle Affiche
demain ? : Marseille, le 05 novembre 2013
Tourment : Marseille, avril 2014
Frères d’abjecte conviction : Marseille, le 26 mai 2014
Dualité : Marseille,
mai 2014
Palestine : Miramas, le 2 juillet 2014
Sous le pont la mort au bout : Marseille, le 18 juillet 2014
Vanité : Sète,
le 19 juillet 2014
Lorsque : Avignon,
le 5 octobre 2013
Solaire
Grand Central : New-York, août 2008
Ellis : Ellis Island, New-York, août 2008
Victoire : Ellis Island, New-York, août 2008
La guêpe est à Fès : Miramas, juin 2009
Aïssatou : Istres, juin 2009
Réveillon : Taghit, décembre 2010
Skagway : Skagway,
juillet 2011
Nahanni : Blackstone Parc, juillet 2011
Ruée vers l’or : Dawson City, juillet 2011
Tuk : Dawson City, juillet 2011
Fétu de YK : Yellowknife, J1- 1° août 2011
Insomnie : Oran, juillet 2012
Froideur : Paris, février 2013
Zouaoui : Paris, février 2013
Ages : Marseille, avril 2013
Impasse : Miramas, avril 2013
Madeleine : Miramas, avril 2013
Ô rage
: Cassis, avril 2013
Piedestal
: Cassis, avril 2013
Muguet : Miramas, mai 2013
Oasis : Taghit,
janvier 2014
La roue : Miramas,
mars 2014
Éclipse : Miramas,
mars 2014
Déclin : Port
Saint-Louis du Rhône, mars 2014
Vie : Marseille,
mars 2014
Les chiens : Marseille, mars 2014
Un souffle : Marseille, mars 2014
Silence : Port
Saint-Louis du Rhône, mars 2014
Tempête : Marseille,
mars 2014
Le fil : Marseille,
mars 2014
* * *
TABLE
Préface
Entre chien et loup
Nostalgie, Et toiles fécondes, Ivresse, Aubuscule,
Été, Rengaine.
Dis-moi Lolita…
Katia,
Gazelle,
La photo jaunie.
Absences
Ya Mraya, Fêlure, Douleur.
Debout
Ils
ont dit à la mère, Une mère à son fils
‘disparu’,
Octobre, Quelle Affiche demain ?, Tourment,
Frères d’abjecte conviction,
Dualité, Palestine,
Sous le pont la mort au bout,
Vanité, Lorsque.
Solaire
Grand
Central, Ellis, Victoire, La guêpe est à
Fès,
Aïssatou, Réveillon, Skagway,
Nahanni, Ruée vers l’or,
Tuk,
Fétu de YK, Insomnie, Froideur, Zouaoui,
Ages,
Impasse, Madeleine, Ô rage, Piedestal, Muguet,
Oasis, La roue, Éclipse, Déclin,
Vie, Les chiens,
Un souffle, Silence, Tempête,
Le fil.
* * *