« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl

« Hayy ben Yaqdhân » d’Ibn Thufaïl- dimanche 10.12.2023- 14/18

« Hayy se demanda pourquoi il avait, seul parmi les espèces animales, le privilège de cette essence. » Cette essence qui le rendait semblable aux corps célestes. « Il s’était assuré auparavant que de tout ce qui est à la surface de la Terre, aucun corps ne conserve sa forme, aucun n’est pur ». Comme il était sûr que l’essence de certains corps se compose d’une seule forme ajoutée à leur corporéité, et que leurs actes sont peu nombreux, ceux-ci sont plus éloignés de la vie, comme le fer, l’eau, la terre, l’air. Si la chose n’a pas du tout de forme, elle est dans un état semblable au néant, c’est la hylè qui signifie matière et qu’Ibn Tufaïl transcrit ‘‘el-hayoula’’. De même Hayy était certain que l’essence d’autres corps est composée de plusieurs formes et leurs actes sont nombreux, ceux-là sont plus accessibles à la vie, ainsi les plantes et plus encore les animaux. Hayy avait examiné les manières d’être des animaux sans trouver qu’ils avaient « la moindre notion de l’Être nécessaire » alors même qu’il savait « que sa propre essence en possédait la notion. Il conclut qu’il était un animal, différent des autres animaux, doué d’une âme équilibrée, semblable aux corps célestes ».

Des deux parties dont il était composé, la corporelle était la plus vile, et semblable aux substances célestes « extérieures au monde de la génération et de la corruption, exemptes des accidents de modification, de changement. » La seconde partie, la noble, la chose intelligente « c’était par elle qu’il connaissait l’Être nécessaire, elle est une chose souveraine, divine, immuable, inaccessible à la corruption, wa hadha echa-ï el ârif, amr rabbani, ilahi, la yestahil wa la yelhaqhou el fassad ». 

Ces constations l’amenèrent d’une part à prendre pour modèles ces corps célestes auxquels il ressemblait, c’était pour lui une obligation, d’autre part à « s’occuper et à entretenir son corps, qui ne lui avait pas été donné en vain, par des actions semblables à celles de tous les animaux. » Il se devait, par différents objectifs, de s’assimiler aux animaux dépourvus de raison, aux corps célestes et à l’Être nécessaire. « Il comprit que son but suprême était l’assimilation à l’Être nécessaire. Il comprit aussi qu’il ne pouvait faire l’impasse sur les deux autres. Il fit un plan détaillé des règles à respecter pour atteindre ses objectifs. 

Puis il s’enferma dans sa caverne. « il y demeura immobile, tête baissée, paupières clauses, s’abstrayant des objets sensibles et des facultés corporelles, concentrant ses préoccupations et ses pensées uniquement sur l’Être nécessaire, sans lui associer rien d’autre. » Il mangeait peu, parfois pas du tout. Il évacuait de sa mémoire, de sa pensée toutes les choses autres que son essence propre. Il n’arrivait pas à faire disparaître son essence tandis qu’il méditait sur l’Être véritable et nécessaire et cela le rendait triste. Il persévéra jusqu’à la réussite, jusqu’à l’évanouissement de la conscience de soi. Famā zāla yatloubo el fanā ân nefsihi. Tout disparut de sa mémoire, de sa pensée à l’exception de l’Être un, le véritable. Hayy entendit alors même qu’il ne parlait ni ne comprenait : « Limani el-Moulkou el-yaouma lillāhi el-wāhidi el-Qahhāri » (S40/V16). Je ne peux, dit Ibn Thufaïl à ce propos, expliquer ce que le cœur ne peut concevoir. Il y a parmi les choses que notre cœur conçoit, celles qui s’expliquent difficilement, et d’autres plus difficiles encore, car il ne peut les concevoir. Celles-ci « ne sont pas renfermées dans les bornes de ce monde. » (in Quatremère op.cit.) Notre cœur ne peut concevoir ou se représenter ces choses qui n’appartiennent pas « au même monde, ou au même ordre que nous ». Il est important de préciser que le substantif « cœur » ne renvoie pas à l’organe corporel, mais à sa forme entendue comme essence. Monsieur Gauthier explique qu’Ibn Thufaïl « s’est manifestement inspiré d’El-Ghazāli : « j’entends par ‘‘cœur’’ l’essence de l’esprit de l’homme et non pas l’organe fait de chair et de sang commun au cadavre et à la bête. »

(à suivre)

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