De Marseille à Tuktoyaktuk

De Marseille à Tuktoyaktuk- [05/30] : 

[05/30] :  Jamila dit « non » sèchement, en hochant la tête, après une longue minute de silence (Omar lui avait demandé si elle connaissait l’histoire de la mosquée d’Inuvik). Omar ne sait pas si elle fixe un point sur le parquet ou si elle maudit la couleur de ses chaussures. Elle porte des converses bleues et un jean avec effet délavé. Au milieu des jeunes clients, elle passerait inaperçue. Jamila est très polie pour élever la voix ou taper du poing sur la table. C’est pourquoi, pour mettre fin à la discussion, elle attend le bon moment. Elle se lève, sourit en coin, et lance à Véro : « désolée, je dois vous laisser. J’espère que vous nous apporterez de belles photos ». Sur ces mots, elle les abandonne. Involontairement, Omar avait ravivé une période douloureuse de son passé. Il n’a pourtant rien d’inacceptable dans sa question. Pourtant… Jamila avait été journaliste en Algérie. Menacée de mort plus d’une fois par des barbus en baskets – ses propres voisins qui ne supportaient ni ses écrits, ni ses tenues vestimentaires, ni son indépendance –, elle décida de quitter le pays. Durant le mois de son départ d’autres journalistes et femmes ont été tués parce que journalistes, parce que femmes. Les disparitions forcées exécutées par des forces de sécurité outlow ou parallèles se comptaient par centaines dans sa région. Comme des milliers d’autres Algériens menacés ou non, elle a décidé de rompre avec son pays de naissance, qu’elle a toujours aimé mais qui aujourd’hui (depuis quelques années) la trouble profondément. Jamila s’est installé deux années dans le sud de la France avant de se poser au Canada. Depuis, elle ne veut plus entendre parler d’islamisme ni même de croyances. 

Les Marseillais continuent leur promenade. Ils se trouvent sur le vieux port vers la rue d’Youville et la statue de l’honorable marchand John Young. De l’autre côté de la rive du Saint Laurent, de petits immeubles en briques semblables à ceux près de la poste Colbert à Marseille (plus les toits que les façades), avec des escaliers de secours à l’américaine en plus. Dans la rue Peel ils prennent un verre chez Universel et rentrent dans le quartier du Forum.Omar a longuement parlé de Jamila à Véro.

Étrange, astucieux et amusant cet emplacement de la salle de bains de l’hôtel communiquant à la fois avec deux chambres. Elle peut être utilisée par le ou la cliente de la chambre de gauche et par celle ou celui (client) de celle (chambre) de droite. Une pancarte accrochée à la poignée extérieure suffit : « Occupé/Occupied ». Il ne faut pas oublier de « barrer » la porte du voisin en arrivant et la « débarrer » en libérant la salle d’eau, autrement il ne pourrait pas s’y rendre. Pour Véro et Omar c’était une découverte et cela les a bien fait rire.Ils en avaient besoin après l’épisode de la journaliste. « J’ai jamais vu ça ! », « Moi non plus ! »

Tôt le matin du lundi, partiellement remis des effets du décalage horaire, Omar et Véro prennent un Airbus 320 en direction d’Edmonton et aussitôt arrivés, sans même quitter le tarmac, ils s’introduisent dans un Bombardier de la compagnie Jazz-Air d’une cinquantaine de places à destination de Yellowknife. Le temps est chaud et pluvieux, mais moins pesant que la veille.

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(‘‘La suite au prochain numéro’’, le [06/30])

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