De Marseille à Tuktoyaktuk

De Marseille à Tuktoyaktuk- [06/30] : 

Les cinq heures de vol furent plus dures à supporter que l’ensemble des scènes d’angoisse des films de série B diffusés durant la traversée de l’océan. Ils atterrissent à Yellowknife au début de l’après-midi. La vingtaine de passagers relie l’aérogare à pied sous la pluie battante, en pressant le pas. En son cœur, un gros ours polaire naturalisé brave l’indifférence des usagers. Il trône, les pattes arrière en l’air, sur une élévation figurant un imposant bloc de glace, posé lui-même au centre du tapis roulant pour bagages. Les valises sont délivrées dans le quart d’heure qui suit. Omar et Véro se dirigent directement vers un grand homme aux cheveux roux qui tient une pancarte sur laquelle sont écrits leurs prénoms, en caractères d’imprimerie et en majuscules. Marc Walper, qui est journaliste à Radio Canada les attend comme prévu. Il porte une chemise bigarrée, un jean et un chapeau texan dont la couleur est assortie à son visage couvert de taches de rousseur. Il doit frôler la quarantaine. Marc arbore un large sourire. La poignée de main est longue et sincère. Omar et Véro le prennent aussitôt en sympathie. 

Sur la route qui mène de l’aéroport à la villa de Marc, où ils sont invités à boire un verre et à faire plus ample connaissance, les Marseillais sont surpris, non par la quantité des feux tricolores ou par les nombreux véhicules tout terrain – des mastodontes –, mais par des fils électriques qui pendillent à travers le capot des voitures. Ils ne prêtent pas attention à ceux qui sont scotchés sur la calandre de la GMC Sierra de Marc. À quoi servent-ils ? « C’est ‘‘le chauffe-moteur’’, on dit ici bloc-heater » explique Marc. Il articule et parle lentement en glissant de temps à autre des mots en français. « Tous les véhicules en possèdent dans le Grand Nord. C’est pour les faire démarrer soit à partir de prises électriques chez soi, soit en utilisant des bornes en ville, auxquelles ces fils sont ‘branchés’ – il dit branchéï –  On en trouve un peu partout. » Marc précise qu’on n’utilise le chauffe-moteur qu’en hiver lorsque le thermomètre atteint quinze degrés au-dessous de zéro Celsius, ou quand il descend plus bas. Certaines semaines des premiers mois de l’année les températures de moins quarante sont fréquentes. 

Marc et sa petite famille habitent dans un grand chalet à l’entrée de la ville entre les lacs Frame et Kam. Karin, sa compagne, les accueille avec un large sourire, comme si elle retrouvait des amis. Karin connaît le sud de la France pour y avoir séjourné au début des années quatre-vingt-dix. Elle étudiait au CFMI, le Centre de formation des musiciens intervenants de la faculté d’Aix. Aujourd’hui, elle est professeure de musique dans plusieurs collèges des Territoires du Nord. Karin parle donc français, mais son accent est abrupt, plus compact que celui des Québécois. Elle est née et a grandi à Gatineau, une ville francophone à la périphérie d’Ottawa. Évidemment, dans la discussion elle entraîne ses auditeurs dans les beaux villages de Provence. Elle aime à évoquer l’Île de la Sorgue, Marseille, Le Puy-Sainte-Réparade, Meyrargues, La Camargue, les marchés odorants avec leurs étals d’olives et d’huile, de tapenades, de savon et de lavande… Autant de villages et de lieux qu’elle adorait arpenter. « Mais, tient-elle à préciser, je n’aime pas la corrida. » Elle fait un geste brusque de la main comme pour chasser la vision d’une mise à mort. Le couple est heureux de les recevoir. Véro et Omar se prennent en photo avec eux. D’un commun accord, (ayant pesé le pour et le contre) ils préfèrent ne pas publier de photos de la petite famille, ni de leur résidence. 

Marc leur parle de Yellowknife et du Nord canadien. Lui, est né à Saskatoon la capitale du Saskatchewan. Il y passa sa jeunesse, étudia les Lettres à l’Université. Puis il se tourna vers les médias. Depuis près de huit ans, il travaille pour la CBC-North. Il réalise des reportages sur les villes, les Autochtones, les rennes et les vastes étendues de la toundra… Une autre fois, il leur diffuserait « The lonely man of the tundra », un de ses courts-métrages préférés.

C’est ici même, à Yellowknife, que Marc et Karin se rencontrèrent. C’est une jolie ville d’environ vingt mille habitants. Sa latitude est : 62°27’16’’ nord, sa longitude : 114°22’35’’ ouest. 

La population des TNO est de 40.000 environ dont 50% sont des Indiens (populations autochtones). L’écrasante majorité de la population est anglophone. À Yellowknife on parle le slavey, le déné, le dogrib ou flanc-de-chien qui sont parmi les langues des Premières nations. Onze langues sont considérées comme officielles dans les Territoires du Nord-Ouest (aucune crispation débile comme au Bled, en Algérie. Oui, onze langues officielles). Si l’anglais est très employé, le français l’est beaucoup moins (environ 4% de la population, essentiellement à Yellowknife, Hay River , Fort Smith et Inuvik. On les appelle les Franco-Tenois). 

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