De Marseille à Tuktoyaktuk

De Marseille à Tuktoyaktuk- [27/30] : 

Il fait très bon et le ciel est azur. La luminosité intense qui s’en empara toute la journée s’adoucit le soir venu alors que l’environnement, tout autour, explose sous l’énergie du silence et de l’émerveillement général. Des reflets teintés de rose comme ceux d’un lac peuplé de flamands s’approprient un temps toute l’étendue du ciel. Les deux complices se rendent au Drunken Goat Taverna, un sympathique restaurant grec. « Parcourir des milliers de kilomètres vers le Grand Nord pour en arriver à manger du grec ! » plaisante Véro. L’ambiance et le décor leur plaisent, c’est pourquoi ils s’installent. Sur le mur, derrière le comptoir, une fresque représente des crooners américains des années soixante. Ils prennent chacun une Alexander Keith’s, puis deux, c’est l’heure du Happy hour, et plus tard le dîner : calmars et salade grecque pour deux. La table mitoyenne est occupée par deux hommes qui engagent aussitôt la discussion avec les Marseillais, d’où viennent-ils, comment sont-ils arrivés jusqu’à Dawson… Ils ne parlent pas français et leur accent anglais est différent des autres anglophones, il est plus rythmé et les dernières syllabes sont hautes, mais Véro et Omar arrivent à les comprendre. Ils leur demandent juste de parler « slowly please ». Ce sont des routiers. Ils connaissent bien cette région. Ce sont des autochtones, des Indiens inuvialuit. Dehgah est originaire de Tuktoyaktuk, Dave est d’Inuvik. Tous deux résident dans cette ville, dans ce gros village. Les Marseillais apprennent que les échangent qu’ont de temps à autre les deux hommes entre eux et qui n’a rien à voir avec Shakespeare, c’est de l’inuinnaqtun, une des langues parlées dans leurs régions. Et eux se présentent comme des Inuvialuits. Une heure de discussion n’a pas suffi aux Marseillais pour comprendre toutes les subtilités de l’architecture des dizaines de langues, dialectes qui parsèment les territoires de l’Alaska au Nunavut en passant par les TNO et jusqu’au Groenland. Avec aisance Véro a introduit l’objet principal de leur voyage à Inuvik. Omar leur répète ce que Véro et lui ont entendu à propos de la mosquée d’Inuvik. Dehgah Lowe est petit, le second, Dave Kisoun, est mince, toujours souriant. Tous les deux ont le teint hâlé, de longs cheveux et des yeux en forme de deux bâtonnets d’allumettes, obliques. Ils connaissent bien l’histoire de la mosquée. Ils disent « Little Midnight Sun Mosque ». Les routiers confirment qu’elle a été bâtie à Winnipeg la capitale de la province du Manitoba. Les travaux ont dû être interrompus durant plusieurs semaines à cause de problèmes financiers, mais aussi de non-respect des codes de construction dans les TNO. Ils soutiennent que la mosquée a bien voyagé à bord d’un Trailer Bertrand quatre essieux jusqu’à Hay River sur les bords du Grand Lac des Esclaves, où elle fut mise sur barge. Elle a parcouru le Mackenzie des abords de Hay River à Inuvik. D’ailleurs ils connaissent les routiers qui l’ont transportée jusqu’à Hay River. Dehgah et Dave répètent « Little Midnight Sun Mosque ». La mosquée a été réceptionnée le 23 septembre de l’année dernière à Inuvik. Elle peut accueillir jusqu’à cent personnes. La quasi-totalité des musulmans de la ville était présente lors de l’événement. C’est ainsi qu’on a découvert ce jour-là où tous les taxis d’Inuvik s’étaient comme volatilisés, que tous leurs chauffeurs étaient musulmans. Jusque-là, ils n’avaient aucune idée de ce que signifiait « musulman ».

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