De Marseille à Tuktoyaktuk

Épisode deux…

[02/30] : Inuvik est un village du bout du monde polaire où vivent moins de quatre mille personnes. Il se trouve précisément dans le cercle arctique, au-delà du 66° parallèle. « Si on poussait jusqu’au 90°, on tomberait de l’autre côté du monde » plaisante Omar. Durant les nuits d’été, le soleil oublie de se coucher sur ce village et sur le bourg de Tuktoyaktuk non loin, près du delta du Mackenzie, au bord de l’Océan arctique. Il rase l’océan, le colorie, mais sans y plonger. En hiver par contre il disparaît plusieurs mois, la nuit bien sûr, mais aussi le jour, complètement. Se rendre à Inuvik et fouler le sol de sa mosquée, la plus septentrionale des mosquées de la planète, c’est pour Omar une expédition exaltante et un pari exceptionnel. Il a hâte de rencontrer ces musulmans (ils sont moins d’une centaine) venus du Sud chaud : Égyptiens, Bangladais, Indiens, Pakistanais. Il n’y a pas l’ombre d’un Maghrébin dans ces contrées. Enfin si, un seul, un jeune homme de Tamanrasset qui s’est épris d’une Indienne inuit. On ne sait rien de leur rencontre, mais on dit qu’ils vivraient dans une réserve à Ikaluktutiak dans le nord (69° parallèle) du Nunavut. Omar avait lu cette histoire de fous dans un quotidien du Bled. Ce village, appelé aussi Cambridge Bay se trouve à un millier de kilomètres au nord de Yellowknife. L’hiver il fait jusqu’à 35° Celsius en dessous de zéro. « Le type a dû mourir de froid. Tu y crois toi ? » Véro a juste haussé les épaules.

Au fil du temps Omar a fait des TNO, les Territoires du Nord-Ouest du Canada, ce bout du monde, son mont Everest. Il lui faut désormais en prendre la direction et une fois le cœur d’Inuvik atteint, ramasser une pierre-témoin et comme sur un sommet, y planter un fanion avec son nom écrit en lettres majuscules et plus tard se vanter auprès de ses proches qui lui chercheraient querelle ou lanceraient un défi : « moi j’ai prié dans la mosquée la plus au nord du monde ! » Lui qui jamais n’a prié, ou plutôt qui ne prie plus depuis la mort de son père. Il avait quatorze ans, et le ciel d’Oran lui était tombé dessus comme une punition gratuite. Il s’était alors mis en colère contre tout, contre les constructeurs de voitures, contre les animaux, contre la nature, contre le ciel… contre tout.

La voiture de son père s’était renversée d’un pont alors qu’il essayait d’éviter un troupeau de vaches au cœur de la verte Mekerra. Aucun animal n’a été blessé. Le lendemain du drame, Omar a cessé de prier. Plus tard, des années plus tard, il s’est réconcilié avec lui-même, avec les constructeurs de voitures, avec les animaux, avec la nature, avec le ciel… avec tout. L’habitude de ne pas prier lui est restée. Une flemme, une paresse qui ne l’a depuis jamais quitté. Au fond de son cœur, il aimerait, mais voilà. Inuvik, pensait-il, lui donne cette possibilité de tout reprendre. Et de crier à la face du monde « J’ai prié dans la plus haute mosquée du monde ! » (68° parallèle) Et Véro dirait, en exagérant à peine, « j’ai atteint le Pôle Nord ! »

Dès que la décision a été prise, il leur fallait penser à l’hébergement. La solution a été trouvée cinq mois plus tard, en février, grâce à Nicole, une amie journaliste de Véro. Son compagnon, Fred, qui est originaire de Trois-Rivières, avait suggéré d’en parler à sa famille au Canada, si toutefois Véro et Omar étaient d’accord, et ils le seraient. C’est ainsi que Jacques Latraverse, cousin de Fred, a voulu bien mettre gratuitement à leur disposition son pavillon de Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest canadien. La seule condition qu’il posait était que les Marseillais l’occupent en été pendant qu’il passerait ses vacances dans sa résidence secondaire en Amérique latine. Véro et Omar disent qu’ils sont Marseillais, car c’est plus simple. Qui dans le monde ne connaît pas Marseille ? Alors que Arles, Avignon, Châteaurenard, Beaucaire – leur région – qui connaît ?

À l’étranger, vous dites « Marseille » et aussitôt les yeux de votre interlocuteur, qu’il se trouve au fin fond de la forêt amazonienne, en Namibie ou à Vladivostok s’illuminent et clignotent comme ceux des nounours ou hamsters pour enfants. Et spontanément les langues s’emballent,  « Marseille OM, Zidane ! », « Marseille Taxi Daniel ! », « Marseille Le Panier ! »…

Omar accepta aussitôt, bien que Yellowknife se trouve à un peu plus de trois mille kilomètres au sud d’Inuvik. Le mois suivant, Omar et Véro achetaient les billets : Marseille-Paris par TGV, Paris-Montréal-Yellowknife par avion. Ils ont entrepris ensuite de chercher des contacts francophones dans la région. Ils seront les portes d’entrée du vrai Canada. Ils ont été fixés en moins de quinze jours : Marc Walper, un collègue de Jacques, les attendra à l’aérodrome de Yellowknife. Son épouse parle le français. La directrice de l’Association franco-culturelle de cette ville, Marie Chaumont, les accueillera bien volontiers. Puis ils ont passé quelque temps à se renseigner, avec de plus en plus de précisions dans leurs interrogations, sur le Canada et les États-Unis, sur les conditions d’entrée, la location de voiture, le climat, la circulation dans le Grand Nord, les Indiens… Quant à l’achat des guides du Routard, c’était chose faite, depuis décembre. Ils ont bouclé tous les dossiers en mai. Restaient les jours et les semaines qui s’égrenaient, lentement à leur gré. Au courant de juin ils ont réussi au moyen de Skype à échanger avec les animatrices des associations francophones : Céline Lavoie et Carrie Wong à Whitehorse, Ange Chaumont à Yellowknife. 

___________________

(‘‘La suite au prochain numéro’’, le [03/30])

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
27 ⁄ 9 =