De Marseille à Tuktoyaktuk

De Marseille à Tuktoyaktuk- [22/30] : 

Omar et Véro quittent le Skagway brewing et oublient le jeune Québécois qui n’a jamais entendu parler de la mosquée d’Inuvik. Ils prennent à droite et longent la Broadway Street jusqu’au au camping Garden City où ils avaient, dès leur arrivée dans le village, installé le Westfalia. Ce lieu n’a de camping que le nom, avec le strict minimum. Du gazon, deux fontaines, quelques douches plutôt insalubres. Le lendemain, mardi 19 juillet ils se réveillent tôt. La nuit ils ont eu froid malgré les couvertures. Le ciel dégagé promet une belle journée. Pour se réchauffer, Omar fredonne sous la douche dans son imparfait anglais « I’ve lived/ A life that’s full/ I’ve traveled each/ and every highway/ And more/ Much more than this/ I did it my way… » Aussitôt pris le petit déjeuner, ils ne s’attardent pas, ne retournent pas vers les quais. Ils font le plein de carburant, « diesel, précise Omar, thank you so », puis ils reprennent directement la Klondike Highway, vers le Canada, précisément en direction de Whitehorse. Le vent est tombé, mais le ciel se charge et plus encore, jusqu’à ce qu’une pluie fine se mette à ruisseler. Le froid s’intensifie, vif, mordant jusqu’aux lobes des oreilles mouillées. La température peine à six degrés. Tout au long de la route, de grandes crevasses sont gorgées d’eau. On n’y voit rien et le brouillard est épais. Ils retrouvent Carcross où la pluie est plus abondante. Ils ne s’y arrêtent pas. En début d’après-midi, après cent quatre-vingts kilomètres de bons et de mauvais tronçons de route sur la Klondike Highway, Véro et Omar atteignent Whitehorse, elle aussi sous la pluie. Le ciel dégagé du matin n’aura tenu qu’une, peut-être deux heures. Depuis Yellowknife ils ont parcouru plus de deux mille deux cent cinquante kilomètres. Ils déjeunent dans le Westfalia, à l’intérieur du parc qui jouxte la Yukon river.

La première action qu’ils entreprennent à Whitehorse est de rendre visite aux animatrices de l’Association franco-yukonnaise avec lesquelles ils avaient été en lien peu avant de quitter Marseille pour l’aventure. Le centre de l’association se trouve à la sortie nord-est de la ville entre Hallcrest et Valleyview. Ils ont donc traversé les quartiers sud ainsi que la 4° avenue, cœur de la ville, jusqu’à Stickland street, tout près du fleuve Yukon (3200 km du lac Atlin, au sud de Carcross, à la mer de Béring en Alaska). Un beau bâtiment blanc et bleu sur deux étages. Une plaque indique à l’entrée : « Centre de la francophonie inauguré le 30 mars 2001 par Pat Ducan, Première ministre du Yukon, Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien et Yann Herry, président de l’Association franco-yukonnaise. Longue vie à la francophonie du Yukon ! » Le même texte en anglais, suit.

Dès la réception, ils sont très bien accueillis. La préposée les conduits dans le bureau des gestionnaires. Ils échangent longuement avec Céline Lavoie et Carrie Wong, et d’abord sur les conditions de leur voyage et sur leur motivation parce que « pour faire plusieurs milliers de kilomètres pour se trouver dans ces territoires perdus du Grand Nord, il faut vraiment qu’elle soit forte la motivation ! » leur lance Carrie Wong.

« La mosquée d’Inuvik s’exclame Omar, c’est notre principale motivation. Découvrir la mosquée la plus au nord du monde ! » « et puis, ajoute Véro, mettre un pied dans l’océan arctique ! » Ils aimeraient aussi disent-ils avoir des informations concernant l’état de la route du nord, la Dempster Highway. 

Concernant la mosquée, passée la surprise de ce choix, Céline et Carrie confirment qu’elle existe bel et bien, qu’elle a été construite à Winnipeg, qu’elle a été transportée jusqu’à Hay River sur un semi-remorque, puis, jusqu’à Inuvik, sur une barge. Cette information, après qu’ils eurent fait face à tant de points d’interrogation dès lors qu’ils prononçaient le mot mosquée, ravit Véro et Omar. Les filles de l’association confirment qu’il y a une toute petite communauté de musulmans dans Inuvik bien intégrée. Quant à Tuk (c’est ce diminutif qu’emploient les Canadiennes pour Tuktoyaktuk) elles leur donnent de nombreux conseils ainsi que des adresses et des noms de personnes à contacter comme Cécile Girard une de leurs collègues qui se trouve chez les Inuits pour participer au Festival des arts premiers, celui-là même évoqué lors de la soirée au Mackenzie Lounge à Yellowknife. Elles leur parlent aussi de Thérèse Caron, une sculptrice sur pierre, qui réside à Inuvik durant la semaine et à Tuk les samedis et dimanches. Elles insistent : « à Tuk rendez visite de notre part à Derek Taylor, c’est un ami Inuk, un autre artiste reconnu ». Puis elle lui montre une de ses réalisations. « C’est artisanal ! » Un inukshuk, symbole parmi d’autres des territoires du Grand Nord. « Gardez-le, c’est pour vous ! » Les Indiens inuits en érigeaient sur les chemins comme des cairns pour orienter les personnes. Ils étaient aussi utilisés comme épouvantails.

__________________________________________________

De Marseille à Tuktoyaktuk- [21/30] : C’est à proximité des dunes qu’ils campent pour le reste de la nuit.

Le lendemain, ils entreprennent une marche d’une bonne heure derrière les montagnes de sable jusqu’au pied des monts. Lorsqu’ils reprennent la route pour Skagway, le soleil est haut et les touristes de plus en plus nombreux. On leur a tellement vanté la beauté de cette ville, « perle du doigt de l’Alaska » qu’ils décident de s’y rendre. Le passage à la frontière n’est pas difficile. Il y a peu de monde, l’accueil est sympathique et les formalités sont simplifiées, mais pas assez. Il y a ces formulaires et les questions – qui n’ont rien à envier à celles des fonctionnaires montréalais – aussi fantasques, absolument ridicules ou inacceptables, mais qui ont cette force de renvoyer de nouveau Omar à son épiderme, à la terre de ses ancêtres, à la terre de Novembre : « avez-vous eu un refus de visa », « avez-vous été un criminel », « êtes-vous atteint d’une maladie psychologique ? », « Do you seek to engage in terrorist activities while in the United States or have you ever engaged in terrorist activities ?… »

Skagway est un très joli village qui fourmille de touristes en été. La bannière étoilée flotte sur de nombreux bâtiments et maisons individuelles. Il ressemble beaucoup aux villes du Far West telles qu’on les a gravées dans sa mémoire, telles qu’on les a vues enfant ou adolescent dans les films de cowboys, avec ses cabarets, ses saloons, sa banque d’Alaska. Plusieurs bâtiments très anciens, dont la date d’édification, « built 1897 » par exemple, figure sur leur pignon. Skagway fut longtemps la principale porte d’entrée de la région aurifère de Dawson. Elle est protégée par de majestueuses montagnes enneigées toute l’année, son fjord donnant sur Juneau et l’Océan pacifique. Il fait frais et le vent accentue le froid ressenti. On dit ici « wind chill factor. » La ville héberge moins de neuf cents habitants. Dans la minuscule gare maritime, d’immenses photos bicolores couvrent une grande partie des murs. On y voit des traîneaux de chiens, des chercheurs d’or et Mrs Harriet Pullen, une pionnière de Skagway. Dans son édition du samedi 11 juillet 1897 le Seattle Post Intelligencer, titre : « Latest news from the Klondike ». Quelques personnes attendent, ou n’attendent pas le ferry annoncé provenant de Juneau, le Sylver Shadow. Les deux complices font le tour du village qu’ils bouclent en vingt minutes. Ils prennent deux « Delas Frères Merlot » au Red Onion Saloon et plus tard des verres et des fishs and ships au Skagway brewing. Les deux établissements se situent sur la principale artère, la Broadway Street, riche en commerces de toutes sortes. Les routes sont bitumées et les trottoirs recouverts de lattes de bois. Le pub est bondé. La plupart des clients sont des Américains venus d’autres régions, essentiellement par paquebots. Les serveurs, bien que débordés, trouvent toujours le bon moment pour échanger avec les consommateurs. Notamment Laurent le francophone, un Québécois de Montréal. La question sur la mosquée d’Inuvik lui paraît tellement incongrue qu’il rit bruyamment pour manifester son grand étonnement. Il dit « tsais cette histoire me semble strange tu m’écoutes-tu et c’peut faire jaser non ? » et il rit de nouveau, en posant le contenu de son plateau. Il réussit à agacer les Marseillais qui préfèrent changer de sujet. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
5 + 5 =