Archives de catégorie : SOCIÉTÉS

L’efficacité porcine

et d’autres… Richard Millet…

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« Ce sont donc bien ces idées fausses qui ont rendu l’Europe malade. Elles lui ont donné le virus de l’efficacité et elles ont rendu le meurtre nécessaire… La volonté d’efficacité, c’est la volonté de domination. Vouloir dominer quelqu’un ou quelque chose, c’est souhaiter la stérilité, le silence, ou la mort de ce quelqu’un. Voilà pourquoi nous vivons un peu en fantômes dans un monde désormais abstrait, silencieux à force de hurlements et menacé de ruine. Car les philosophies qui placent l’efficacité au sommet de toutes les valeurs sont des philosophies de mort. C’est sous leur influence que les forces de vie ont déserté l’Europe et que la civilisation de ce continent présente aujourd’hui des signes de dépérissement. Les civilisations aussi ont leur scorbut qui est ici le mal d’abstraction…

Exemple de la polémique. Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique, langage de l’efficacité. Le 20° siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l’insulte… Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes ».

Albert Camus- Le temps des meurtriers. In Conférences et discours, 1936-1958. Ed Gallimard/ folio.

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Et c’est bien après l’efficacité que galopent en grognant Zemmour, les zemmouriens et tous les revanchards. Nous ne laisserons pas les porcs saccager les solidarités humaines.

ahmedhanifi@gmail.com

14 septembre 2021

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CLIQUER ICI POUR ECOUTER LA HAINE IDENTITAIRE_ France Inter lundi 13 sept 2021

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER RACHID TAHA « VOILÀ VOILÀ QUE ÇA R’COMMENCE »

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Source:

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Élections en Algérie et commentaires, analyses…

Lu sur une page FB « pas d’élection avec la mafia » / « Libérez les détenus d’opinion »

LE GRAPHIQUE ILLUSTRE LA GRANDE VICTOIRE DU HIRAK (à partir des chiffres officiels)

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_____________Dilem Liberté- 19.06.2021______

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER ÉMISSION SPÉCIALE SUR RADIO M du 16 juin 2021

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Tebboune répond à des questions…à des questions…

Abdelmadjid Tebboune répond aux questions de l’hebdomadaire français « Le Point »

Précisément aux deux journalistes algériens: Adlène Meddi et Kamel Daoud, chroniqueurs à l’hebdo cité.


Comment expliquer ces questions banales, neutres, blanches, lénifiantes parfois de quelqu’un (je ne connais pas le second) réputé très audacieux, secoueur des mythes, empêcheur de jouer en eaux calmes et de tourner en rond, etc., etc

Il n’a rien secoué du tout ! était-il malade? pas à l’aise? Souhait-il, enfin, je veux dire…

« Mais, me diriez-vous, comment voulez-vous (tenter d’) adoucir le regard que porte le français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault), sur nous, sur nos dirigeants et notre nouvelle stabilité désormais ? » Car en effet, le lecteur-cible de ce papier est français. seul lui importe. 

D’accord, d’accord, mais comme les journalistes sont Algériens et qu’ils écrivent (aussi) habituellement pour des médias algériens, et que le contenu nous concerne par l’émetteur, alors j’ai lu (merci à A.T.) l’article du journal français et vous donne spontanément mon point de vue.

Les deux journalistes du Point ont posé 33 questions en sus d’une présentation à fleur de poésie et un portrait d’où rien ne dégouline. Du sur-mesure. « ‘‘Vous avez trop de questions’’, commente, tout sourire, Abdelmadjid Tebboune en invitant à prendre le café. » C’est joliment écrit. La dernière question, la 33°, relève de l’ordre médical et même du traitement :  « Comment être heureux en Algérie bon sang docteur ? » « Regardez Sisyphe dit l’autre…, trimez, votez et recommencez ! » (je n’ajouterais pas le gros mot qui fut celui de Léo Ferré dans les seventie’s: « Votez connards! » Non je ne l’ajouterai pas.

Restent 32 questions, 15 concernent les relations avec divers pays et surtout avec la France (10 questions), et 17 qui concernent l’Algérie, les Algériens, leurs dirigeants…

L’état d’esprit du président, son état physique, sa traversée du désert… Lui, attaque en règle les manifestations et cite Corneille, oui monsieur ! « Qui t’a rendu si vain/Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ». Acte 2, scène 2. Nos deux journalistes n’ont pas demandé au président s’il comptait aller jusqu’au 5° acte comme pour le Cid. Enfin si, ils ont balbutié, « pensez-vous avoir besoin d’un second mandat ? » Réponse : « Très honnêtement, je n’y pense pas. » Ils avalent. Et on continue. Le Point baisse la tête, ne relève pas l’outrage contre les marcheurs. Déjà 4 questions. On continue. La libération des détenus « pourquoi ce raidissement aujourd’hui ? » (là par contre j’applaudis), pourquoi Rachad et le MAK… les élections du 12 juin, l’arrestation du journaliste de Liberté… C’est là aussi une bonne question sauf que le président dans sa réponse piétine allègrement la présomption d’innocence « Il a joué au pyromane » dit-il à propos du journaliste enfermé qui n’a fait que son métier (je vois d’ici la tête des lecteurs français à qui on ne la fait pas, on ne plaisante pas « ici » avec les choses graves… mais bons, des Algériens…) Les journalistes passent à une autre question (la 9°) sur le Parlement…le retour aux années 90… Voilà une autre bonne question : « Parler de l’Algérie, c’est évoquer le poids de l’armée et des services de renseignement… » (j’applaudis chaudement). Les journalistes ne savaient pas que l’armée (et les services…) ne font plus de politique depuis 1988 ? Hé bé le président le leur rappelle. Les deux compagnons avaient oublié. Ils se grattent mutuellement le crâne à tour de rôle et passent à autre chose : « comment rassurer les patrons ? » On respire ! Oui comment rassurer le Medef algérien, pour tranquilliser son vis-à-vis ? (les Pinault par exemple) « Un partenaire étranger peut-il gagner de l’argent en Algérie ? » que c’est mignon !

Je ne vous raconte pas le reste, suis fatigué. N’oublions pas que la cible du papier est le « français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault).

Quant à moi, je vais feuilleter La Comédie française de Sapin. C’est plus hilarant, plus sincèrement hilarant.

NB: il nous faut préciser que K.D est partisan de la participation au vote du 12 juin. Il l’a clairement exprimé et répété.

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L’ARTICLE DU JOURNAL LE POINT EST EN PAGE SUIVANTE

Halte à la confiscation de la souveraineté populaire ! (PAD)

Le Pacte pour l’Alternative démocratique (PAD) appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. 

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mercredi 2 juin 2021

COMMUNIQUÉ DU  (PAD)

« Halte à la confiscation de la souveraineté populaire !

Réunies, le 1er juin 2021, les forces du PAD déclarent ce qui suit : 

Le pouvoir s’entête à restaurer le système autoritaire. Affolé par le désaveu des citoyens vis-à-vis du nouveau simulacre électoral du 12 juin prochain, il s’est lancé dans une escalade furieuse de la stratégie de répression mise en œuvre depuis avril 2019, sur fond d’instrumentalisation des appareils sécuritaires, judiciaires et médiatiques. De fait, il interdit les manifestations en leur substituant une occupation policière permanente de la rue. On réprime les marcheurs du hirak et on va jusqu’à inventer, traquer et punir le délit d’intention de manifester. 

Aucune catégorie sociale n’échappe à l’arbitraire et à la violence d’Etat. Des milliers d’interpellations, des centaines de poursuites pénales, des dizaines de condamnations judiciaires sont le palmarès d’une justice aux ordres et d’un appareil sécuritaire voué à la défense des tenants d’un pouvoir illégitime. Après les journalistes, c’est le tour des robes noires. Avec l’emprisonnement de Me Raouf Arslane, avocat de Tebessa, le pouvoir proclame son cruel désir de priver les victimes de son arbitraire de leurs droits à la défense. Désormais, le nombre de détenus d’opinion dépasse les deux cent otages. Faute d’animer une campagne électorale vide de politique par le débat d’idées et de programmes, le régime surpeuple ses prisons. Ultime provocation, cette violence d’Etat caresse l’espoir vain de pousser le hirak à se départir de son pacifisme. 

Un juge attaché à l’exercice légal et indépendant de ses fonctions est radié par un Conseil de la magistrature dont le mandat a expiré depuis plus d’un an. Un procureur récalcitrant est démis de ses fonctions. 

Des associations et des partis sont menacés de dissolution subissant un harcèlement administratif et judiciaire en violation des dispositions de la Loi.

Après avoir échoué à diviser les rangs du peuple par de pseudo différenciations ethniques, le pouvoir use de l’argument terroriste pour jeter l’anathème sur le hirak béni devenu brusquement un levier tombé aux mains d’extrémistes et de forces étrangères. Il est même envisagé d’amender le code pénal pour blacklister, pour terrorisme, des organisations et des individus selon l’humeur des sultans. On veut aller jusqu’à édicter des règles pour régenter l’ouverture des comptes Facebook ou You tube. Toutes les grèves sont déclarées illégales et les travailleurs de l’éducation qui dénoncent les violences subies par leurs collègues dans différentes wilayas sont soumis, à leur tour, à des violences policières. 

Les médias et les réseaux sociaux relaient une campagne de propagande et de calomnies contre tout opposant à l’agenda du pouvoir et à la mascarade du 12 juin.

Le système maffieux paralyse le pays et le plonge dans le marasme économique et social. Toute prise en charge sérieuse de la crise multidimensionnelle, aggravée par les effets de la pandémie de covid-19, est gravement compromise. La communauté algérienne à l’étranger est quasiment interdite de retour dans son pays. Après la menace de déchéance de nationalité, le pouvoir lui inflige des conditions insupportables pour entrer sur le territoire national. La justice et la police des Etats de ses résidences sont enrôlées dans la répression, y compris à l’intérieur des consulats. Et tandis que les uns n’arrivent pas à rentrer en Algérie, d’autres partent toujours plus nombreux et au péril de leur vie, traversant la méditerranée sur des embarcations de fortune. 

Tournant le dos à cette réalité de plus en plus intenable, les clientèles associées au régime se sont engagées dans une course à la curée des dernières ressources du pays.

Loin de démobiliser le peuple algérien, la stratégie du tout répressif et les évolutions géostratégiques de plus en plus incertaines – en particulier à nos frontières- le mettent en alerte et le poussent à se redéployer dans les quartiers et les communes pour continuer d’exprimer pacifiquement son aspiration au changement. 

En faisant de l’échéance du 12 juin un ultimatum, le pouvoir entend exiger du peuple algérien de se résigner au retour à l’ordre ancien. En réalité, il s’est lui-même piégé car il prouve son absence de volonté politique et son incapacité à transcender ses privilèges et accepter le changement démocratique.

Pour l’heure, les forces du PAD réitèrent leurs exigences de libération immédiate de tous les détenus politiques et d’opinion, d’arrêt de la répression et de rétablissement des droits et libertés. 

Face à un pouvoir qui veut en faire une bataille décisive pour sa pérennité, le PAD appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. C’est là, le meilleur moyen de rapprocher et rendre incontournable l’heure d’une transition démocratique indépendante et d’un processus constituant souverain permettant au peuple d’exercer effectivement sa souveraineté.

C’est là, la seule voie pour préserver l’État national fruit d’une indépendance arrachée et défendue au prix de sacrifices inouïs et pour arracher la démocratie, le pluralisme et l’Etat de droit démocratique contre toute forme de dictature. »

Alger, le 2 juin 2021

Le PAD

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VIDÉO:

CLIQUER ICI_ LE PACTE POUR UNE ALTERNATIVE DÉMOCRATIQUE

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Pourquoi je ne voterai pas.

Pourquoi je ne voterai pas. 

Les Algériens sont convoqués pour élire la nouvelle Assemblée nationale. La date du vote a été arrêtée au samedi 12 juin prochain. Dans dix-huit jours.

Le vote est un droit constitutionnel. Il n’est pas une obligation. Voter ou ne pas voter est un choix personnel, individuel. Il n’est pas criminel ou délictueux de voter ni de s’abstenir, ni de boycotter.

Il est nécessaire avant de poursuivre de donner un sens à ce terme de « voter ». Le dictionnaire dit que voter c’est « exprimer son opinion, son choix par un vote ». Et celui-ci, « vote », que signifie-t-il ? Là encore le dictionnaire précise : « le vote est l’acte par lequel un citoyen participe, en se prononçant dans un sens déterminé, au choix de ses représentants… ». Nombre de citoyens algériens votent depuis la nuit des temps et jamais (quasiment jamais) les « élus » hameçonnés on ne sait comment n’ont reflété leur choix, pour la simple raison que des maillons qui forment la chaîne qui relie l’acte de voter à son résultat, manquent, et d’autres sont falsifiés, les urnes bourrées, voire remplacées. Il n’y a pas de transparence, les citoyens ne sont pas associés au contrôle de ladite chaîne ou de manière très secondaire, artificielle sur quelques maillons. Ces « élus » ne pouvaient ni ne désiraient apporter des réponses satisfaisantes aux attentes des citoyens.

Pour illustrer mon propos, je vous livre une expérience que j’ai personnellement expérimentée dans une autre vie, il y a trente ans. Je me souviens de cette longue nuit du jeudi 26 décembre 1991 que j’ai passée dans cette salle de la daïra à attendre avec d’autres qu’on daigne nous annoncer les résultats de l’élection législative. J’étais candidat aux premières élections législatives « libres et honnêtes » du pays. Nous y avons cru. Nous avons participé au comptage des bulletins, à l’élaboration du procès-verbal de notre bureau de vote, à suivre autant que possible tous ces gens sûrs d’eux qui allaient, venaient, entraient dans la salle, sortaient (avec pour certains des Talkies-Walkies), qui entraient de nouveau… Nous avons fait ce que nous pouvions. J’ai lutté contre l’insomnie jusqu’à 5 heures du vendredi levant. Nous n’étions plus qu’une poignée de personnes éreintées à attendre les résultats définitifs de la région, au sein même de la daïra d’Arzew. J’ai abandonné au petit matin, complètement épuisé. C’est (aussi) ce moment que choisirent les prestidigitateurs bonneteurs pour entrer en scène. On peut aisément imaginer la production à l’identique de ces machinations dans les autres circonscriptions du pays.

Les résultats annoncés étaient biaisés par l’immixtion renouvelée de l’administration malgré une très forte abstention. Près de la moitié des Algériens ne se sont pas déplacés, découragés par l’atmosphère électrique qui pesait sur le pays. Cette atmosphère arrangeait les affaires du pouvoir qui avait perdu sur toute la ligne. Quelques jours plus tard, dans le bureau-laboratoire du ministre de l’Intérieur était créé le Cnsa, un « Comité de sauvegarde de l’Algérie » sous la houlette de H’Mida et de quelques généraux (Nezzar…) affolés par le résultat des urnes. Il leur fallait briser le processus démocratique en cours, et revenir au statu quo ante. Cnsa auquel ont spontanément adhéré la direction de l’Ugta et deux petits partis sans véritable ancrage dans le pays réel, mais pas l’écrasante majorité des Algériens qui répondront (plusieurs centaines de milliers décidés) à l’appel lancé par Hocine Aït-Ahmed pour une marche nationale le 2 janvier contre un état policier et contre l’intégrisme islamiste. Le mal était fait, et le coup d’État qui suivrait le 12 janvier donnera le feu vert à toutes les terreurs. J’y reviendrai un jour…

Avant cette élection de décembre 1991, j’avais très peu voté, et je n’ai plus jamais revoté depuis. J’ai eu raison. Les résultats des consultations qui ont suivi furent tous à des degrés divers tronqués, falsifiés, grâce notamment à l’administration qui ne pouvait qu’appliquer les ordres émanant de hauts dignitaires, de hauts responsables civils ou non. H’Mida était partout. Je me suis promis alors que tant qu’il jouera (alors qu’il est aussi l’arbitre, le croupier, le débiteur, le créditeur, le bonneteur et le baron), je ne voterai pas. Je déteste les jeux malsains de H’Mida, son bonneteau. 

Le bonneteau continue aujourd’hui encore. Comment voter alors que les visages d’une partie importante des candidats sont « effacés » ? avec la bénédiction du Pouvoir et de l’ANIE évidemment (Agence de préparation des élections). Cette ANIE est un des Va-tout de la Nouvelle Algérie, elle n’est qu’un artifice parmi d’autres qui ne changera rien à rien. Une simple interrogation à propos de son président nous renseigne froidement sur sa non-neutralité : savez-vous qui est son président ? connaissez-vous son itinéraire, son combat pour (plutôt contre) les libertés ? connaissez-vous son CV, ses années bien remplies à satisfaire le Pouvoir d’avant le Hirak ? vous êtes-vous interrogés sur cette énigmatique petite mouche plantée sur son front, cette hyperkératose, cette verrue ? l’a-t-il déclarée halal comme pour sa Constitution ? Cette fâcheuse tâche n’est rien d’autre qu’un marqueur clair, noir en l’occurrence, ténébreux, à qui veut voir.

Aujourd’hui, des chaînes de télévision par dizaines diffusent un même et unique message au profit du pouvoir en place. Elles sont squattées par un discours univoque porté par des politiques et aussi par quelques responsables militaires. Ces médias, ces politiques peuvent demain nous épingler pour le simple fait d’écrire notre opinion.

Est-on en démocratie lorsque des médias privés sont jugulés par le chantage à la publicité… Est-ce cela la démocratie ou n’est-ce que le fait du prince ? 

La démocratie autorise-t-elle de surveiller l’Internet, d’en réduire le débit ou même le couper des heures durant, punissant délibérément et par la même tous les utilisateurs ? Cela relève-t-il de la démocratie ? 1984 a été écrit en 1948 et les maîtres censeurs algériens en sont encore à débattre de la taille des ciseaux et des caméras de surveillance. Nous constatons tristement que nous sommes bien en 1984. Les Grands Frères n’ont jamais manqué. Aujourd’hui, au-delà des banalités, l’on ne s’exprime presque plus sur les réseaux sociaux domiciliés en Algérie. Facebook est asséché, alors qu’il y a deux ans c’était un bouillon. LGF veillent.

Emprisonner à tour de bras de simples manifestants (parfois mineurs), museler des journalistes pour accomplissement de leur devoir d’informer, étouffer les rares médias libres (Radio M. tolérée jusque-là y compris par la précédente et exécrable Issaba), interdire de parole des chefs de partis politiques n’est-ce pas là le fait du prince ? Priver de liberté pour le simple fait d’expression d’opinion 168 citoyens algériens est-ce cela la démocratie ? (Comité national pour la libération des détenus, au 24 mai 2021), interdire toute expression opposée au discours officiel est-ce cela la démocratie ? Peut-on parler de démocratie lorsque la presse est soumise à pression et au chantage ? Lorsque la justice est actionnée par téléphone ? Lorsque la séparation réelle des pouvoirs est une fiction ?

Certainement pas, non certainement pas. C’est pourquoi je ne voterai pas. Les gens sont libres de boycotter ou voter. Les empêcher de voter est une erreur et un acte certes répréhensible et je le comprends. Mais les empêcher de boycotter (et utiliser leur nom sur les listings à des fins de falsifications de leur décision) est un délit tout autant sinon plus répréhensible. Criminaliser un appel au boycottage comme celui-ci (le mien) et interdire (par simples appels téléphoniques) aux médias publics et privés d’ouvrir leurs pages aux adversaires du pouvoir est un abus primaire qui ne résistera pas au temps. 

Les millions d’Algériens qui sont descendus dans les rues, boulevards, places d’Algérie pour crier des mois durant et de toutes leurs forces « Etnahaw Gaâ » à la face des dirigeants responsables comme leurs devanciers, à des degrés divers, de la grave crise multidimensionnelle dont les effets les enserrent depuis des décennies, même s’ils sont en retrait aujourd’hui (à cause des risques réels d’emprisonnement et d’atteintes multiples à leurs droits fondamentaux) ces millions d’Algériens ne se satisferont certainement pas de ce énième cirque, de cet énième ravalement de façade. Carnaval fi dechra. Les Algériens ne se contenteront pas du saupoudrage ou chirurgie plastique, renouvelés. Leur faire la morale, ou le chantage est puéril et vain. 

Les Algériens savent que les conditions ne sont pas réunies pour aller voter paisiblement, parce que les médias ne sont pas libres de proposer des débats dignes de ce nom, autour de réels programmes politiques divers. Comme c’est le cas hélas depuis de nombreuses années. C’est pourquoi, massivement, ils ont boycotté et l’élection présidentielle de décembre 2019 (taux officiel de participation : 39,88%) et le référendum constitutionnel de novembre 2020 (taux officiel de participation : 23,14%). Le pouvoir a-t-il entendu ces boycotts magistraux ? Non. Il n’en fait qu’à sa guise. Les Algériens savent que les législatures passées n’ont apporté que malheur aux plus démunis et aux classes moyennes, alors une de plus…

On nous rétorquera « oui, mais si vous ne votez pas, les islamistes et patati… les Kabyles, les laïcs-koffars et patata… ». Là encore cela ne marche pas, ne prendra pas, pour la simple raison que « les islamistes » et autres catégories fustigées sont mobilisés comme variante d’ajustement que les tenants du pouvoir réel règlent au gré de leurs besoins, des circonstances et des rapports de force.

Lorsqu’un ministre, un haut dignitaire du régime ou responsable de parti objectivement allié s’autorise à excommunier de la Communauté nationale des Algériens pour croyances non conformes, lorsqu’il stigmatise une catégorie d’Algériens parce qu’ils sont francophones, lorsqu’il propose de déchoir des Algériens de leur nationalité algérienne, car ils en ont une autre, lorsque d’aucuns appellent au lynchage d’un chercheur, d’un intellectuel ou de femmes isolées…Ils le font, car ils considèrent à juste titre disposer de l’aval ou de la complicité muette, tacite, froide, du Pouvoir. Les yeux des marcheurs de la Silmiya sont désormais grands ouverts.

Je n’irai pas voter parce que la transparence est absente, interdite. Parce que les urnes qui sont translucides avant 20 heures pour les caméras, sont strictement surveillées au-delà, les approcher est interdit après minuit jusqu’à l’aube. Parce que les jeux (d’une certaine manière) seront faits la nuit juste avant l’aube naissante sous le grincement de chauves-souris grisées et aveugles, en l’absence des journalistes libres, du peuple et d’organismes non gouvernementaux. 

Les subterfuges sont gras et gros. Ils ne tromperont que leurs propres auteurs. Ce régime agonisant a épuisé — presque — toutes ses potentialités. Internationalement il n’est plus crédible non plus. Ma petite-fille dirait « il est cuit ». Quant aux Assemblées à venir, ses propres Assemblées, elles creuseront les mêmes sillons sur des terres incultes, asséchées par les Assemblées qui les ont précédées (les slogans portés par les affiches électorales actuellement en circulation sont une preuve s’il en fallait du peu de crédit et du peu de sérieux à leur accorder). Les futures Assemblées, forcément illégitimes, n’auront plus les moyens de leurs fantasmes, elles donneront à ce régime à bout de souffle et bien malgré elles, par tiers interposés, le coup de grâce. On ne pourra creuser plus profond. Et puis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le Hirak reviendra toujours pacifique, silmiya, plus insoumis que jamais, plus aguerri, plus puissant, plus confiant et plus encouragé (oui, oui) par ceux-là mêmes qui le répriment et par leurs soutiens, majoritairement opportunistes. Instruit par son expérience — qui ne se résume pas à la marche d’un point à un autre —, le Hirak (forcé de marquer le pas à cause de la brutalité inouïe de la répression), reviendra. C’est un mouvement effervescent d’idées, de projets, de fraternité, dont le pays et le peuple confondus ne peuvent se passer. Exercer son droit de voter alors qu’autour de soi la répression, la persécution, l’oppression, les arrestations rythment le quotidien jusqu’aux portes des lieux de vote est absurde. Le boycottage est ma réponse à ce cirque.

Enfin et pour clore, je citerai nos deux célèbres, talentueux et lucides écrivains. 

Le premier : « Le Hirak est aujourd’hui admiré dans le monde entier. Mais je suis aussi très inquiet, le peuple n’a pas réalisé son but, l’indépendance, tant s’en faut et le voilà désemparé au milieu du gué, ne pouvant ni avancer ni reculer, sachant qu’il sera mitraillé s’il avance et qu’il sera écrasé s’il recule… J’espère que nous n’allons pas vivre une nouvelle décennie noire. » Boualem Sansal – (entretien in Liberté 23 mai 2021). 

Le second, qui ne croyait pas si bien anticiper : « La nature de l’État algérien reste donc la même : soumis à l’équation de l’occultation, à la théorie de la régence avec des centres de décision collégiaux, à la formule de démocratie contrôlée ou en sursis perpétuel. Le général est donc mis à la retraite, mais cela ne change pas beaucoup de choses pour le moment. Cela ne change pas une nature qui revient au galop. On reste sceptique, marqué, indifférent. » Chronique du 16.09.2015 de Kamel Daoud in Mes indépendances. Ed Barzakh. Ah, cette « satanée nature du pouvoir » qui pend à la gorge alors même qu’on l’avait remisée !  

Après notre perspicace auteur, je répète et précise « en 2021, la nature de l’État algérien reste la même ». Comme en 2015. La même. Ce qui était avant-hier et hier est aujourd’hui. Et H’Mida est toujours au cœur du jeu, cartes en main — même s’il a fichtrement vieilli — sans aucun signe de bonne volonté adressé au Hirak, bien au contraire. De « béni » le Hirak est à son goût devenu « ennemi ». Alors pourquoi voter ? Tant que ce bonneteur jouera, je ne voterai pas. Je suis prêt à parier (je déteste les jeux) que le 13 juin au matin, sans même jeter un œil à l’écran du ministère de l’intérieur, H’Mida et ses larrons crieront victoire, puis ils redistribueront cartes et strapontins pour sauver coûte que coûte le Système quelques temps encore. Dans ce clair-obscur gramscien finissant, les monstres n’ont qu’à bien se tenir, car le divorce entre le peuple — le Hirak — et le pouvoir tel qu’il est a été prononcé avec majesté, le 22 février 2019.

Décidément, je déteste le bonneteau. Voilà pourquoi je n’irai pas voter. Je déteste le bonneteau. 

Ahmed Hanifi,

Auteur

Mercredi 26 mai 2021


« Assises nationales du Hirak » ce 8 mai à Kherrata.

APPEL de « RAJ » pour la tenue des Assises nationales du Hirak ce samedi 8 mai à Kherrata.

Un appel est lancé par l’association « Rassemblement Action Jeunesse » dont le président accorde un entretien à El Watan ce jour (lire plus bas).

Allez, je le dis sans prendre de gants, c’est du cash. Pour la réussite d’un quelconque rassemblement ou projet, il est impératif de se départir de son égo, de son arrogance et de son surplomb, hélas trop prégnants chez nos « élites », chez nos « intellectuels », que je désignerais plus justement, nos amis follement médiatiques. Un peu de bagout et un paquet de like et les voilà survolant sur un tapis, portés par une gloire éphémère oubliant voisins, camarades et échanges, ne répondant aux interrogations que par leur assurance, leurs certitudes à prendre ou à laisser. Cela frise la puérilité. Il faut que cela cesse si l’on veut la réussite de tous face à l’entêtement de ce pouvoir que l’on a cru l’année dernière avoir battu et qui plus que jamais a ressuscité encouragé par l’opportunisme de certains, par l’erreur d’autres et par la bénie Covid. Le pouvoir est décidé de mener à terme son recyclage idéologique, notamment par les élections législatives de juin prochain. Disons NON au recyclage, NON aux élections dans l’opacité et la violence et le même personnel politique. 

Plus que jamais le Hirak doit s’organiser et faire des propositions de sortie du marasme politique..

ah.

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EL WATAN, lundi 3 mai 2021

Propos recueillis par : Iddir Nadir

Entretien

Abdelouahab Fersaoui. Président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) : 

«La conférence nationale du hirak rapprochera les visions des acteurs du mouvement»

Dans l’entretien qu’il a accordé à El Watan, le président du RAJ revient sur les objectifs assignés à la rencontre nationale de «concertation» du hirak à laquelle il a appelé. «Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de capitaliser les deux ans du mouvement populaire, de nous rencontrer, d’échanger pour pouvoir rapprocher les visions des acteurs et des forces du hirak restés fidèles, créer des jonctions et des synergies. Nous avons pratiquement tous le même objectif, mais chacun l’exprime à sa manière», souligne-t-il.

°Dans un texte publié sur votre page Facebook, vous appelez à une «rencontre nationale de concertation du hirak», le 8 mai prochain à Kherrata (Béjaïa). La rencontre devrait permettre de faire «face aux manœuvres du pouvoir» et favoriser la mise en place d’un consensus politique ? Pourriez-vous nous en parler davantage ?

La troisième année du hirak doit être politique par excellence, car le retour des marches est important, voire indispensable pour maintenir la pression pacifique dans la rue, mais il est insuffisant. Le pouvoir joue la montre, sur l’usure et nos discordes, sans oublier le côté social qui impacte le quotidien des Algériens et Algériennes. Nous sommes à la croisée des chemins : il faut donner un prolongement politique aux slogans exprimés chaque vendredi et mardi par les hirakistes à travers une feuille de route consensuelle. 

Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de capitaliser les deux ans du mouvement populaire, de nous rencontrer, d’échanger pour pouvoir rapprocher les visions des acteurs et des forces du hirak restés fidèles, créer des jonctions et des synergies. Nous avons pratiquement tous le même objectif, mais chacun l’exprime à sa manière. Il est temps de construire des compromis et de se mettre d’accord sur une démarche rassembleuse bien claire qui va rassurer le hirak et lui donner un nouveau souffle.

Il s’agit d’une proposition d’une première rencontre de concertation du hirak qui sera sûrement suivie par d’autres : le contenu et le format seront l’œuvre d’un travail collectif. Le choix de la ville de Kherrata est important pour sa symbolique historique, révolutionnaire et hirakiste, c’est une ville rassembleuse qui a, à mon avis, la capacité d’abriter une telle rencontre, notamment dans le contexte actuel. 

D’autres rencontres vont suivre, elles peuvent être organisées dans d’autres villes aussi symboliques, comme Khenchela, Oran, Alger… si les conditions sont réunies. Concernant la date, il est important de travailler l’idée et la mûrir même au-delà du 8 mai prochain.

°Quel écho a reçu l’appel parmi les militants et activistes du mouvement populaire ?

L’écho est très positif, je n’ai pas vu d’attaques contre l’idée, beaucoup d’activistes soutiennent la proposition. Il y a des questionnements très légitimes exprimés par certains militants et dynamiques sur le contenu et le format. 

Pour cela, je saisis l’occasion pour dire qu’il ne s’agit pas d’une initiative bien ficelée, au-delà de son caractère «première rencontre nationale de concertation», son contenu et la forme doivent être travaillés collectivement. On doit tous conjuguer nos efforts pour réussir une telle rencontre et amorcer ce processus de concertation dans le hirak. Même du côté de la ville de Kherrata, les hirakistes de la région sont motivés, d’ailleurs même eux avaient déjà l’idée et travaillent là-dessus. 

Actuellement, le hirak est dans l’attente d’un horizon politique, personnellement je le vois dans chaque marche où les manifestants-es expriment leur inquiétude sur l’avenir : «Les marches sont revenues, et après ?» entend-on dire.

Je considère que pour le moment, la conférence nationale du hirak est la voie la plus efficace pour donner un nouveau souffle au mouvement et concrétiser son objectif, le 8 mai prochain à Kherrata peut être un point de départ d’un processus.

°Des initiatives politiques ont été lancées par le passé «sans produire, comme vous l’attestez dans votre texte, l’impact recherché dans la société». Pourquoi, selon vous ?

Pour moi, les initiatives lancées par le passé n’ont pas échoué, elles ont permis à des dynamiques partisanes, syndicales, associatives et à des militants de se rencontrer et de produire des documents très importants qui vont servir à l’avenir comme documents de base pour l’élaboration d’un autre document consensuel portant les aspirations du peuple. Ces initiatives n’ont pas pu produire l’impact recherché dans la société pour plusieurs raisons.

Premièrement, nous ne devons pas oublier ce que nous avions vécu, c’était un désert politique. Le pouvoir, notamment durant les 20 ans de règne de Bouteflika, a cassé et atomisé toutes les forces autonomes dans la société. 

Le hirak a permis aux Algériens et Algériennes de se libérer et renouer avec le politique, de se rencontrer et d’échanger et surtout de se découvrir. Pour tisser à nouveau les liens de confiance et aller vers un large rassemblement, cela demande un peu de temps. 

Deuxièmement, le mouvement populaire a connu la décantation que je considère positive, beaucoup de partis politiques, dynamiques de la société civile et militants ont rejoint le pouvoir, il y en a encore qui tiennent le bâton par le milieu. 

Troisièmement, il y a aussi une question d’ego qui bloque, malheureusement, à chaque fois le travail de rassemblement, pour cela, il est temps que chacun de nous fasse son bilan. Aujourd’hui, personne ne détient la vérité ni la solution tout seul, nous voulons une Algérie pour tous et vivre ensemble dans le respect de la pluralité, de la diversité et de la différence. L’élite restée fidèle au hirak est appelée à faire des efforts pour jeter les ponts, chercher des compromis pour une feuille de route consensuelle en faveur du hirak. 

°Le régime a rejeté ces rencontres organisées durant les premiers mois du hirak, et certains de ses initiateurs ont été emprisonnés. Une explication ?

Jusqu’à présent, le pouvoir n’a affiché aucune volonté politique pour le changement. Il continue son entêtement et sa politique du fait accompli pour maintenir le régime en place avec quelques replâtrages. Ce ne sont pas les initiatives qui manquent, mais le pouvoir les a refusées et même diabolisées. Il n’a jamais considéré le hirak comme un partenaire et une opportunité ; au contraire, il l’a considéré comme un adversaire à abattre.

°Par ailleurs, le même pouvoir maintient sa feuille de route électorale. Mais comme pour les précédents rendez-vous, les prochaines échéances sont rejetées par des partis de l’opposition démocratiques…

Le pouvoir fait de la diversion et vise à recycler le régime en optant pour un replâtrage politique de façade destiné à la consommation internationale sans changer les réflexes et les pratiques. L’agenda électoral a montré ses limites. 

Le prochain rendez-vous électoral prévu pour ce 12 juin sera un autre échec du pouvoir qui s’ajoute à celui du 12 décembre 2019 et du 1er novembre 2020. Les élections ne constituent pas une solution, notamment dans le contexte actuel. 

Il est à rappeler que l’Algérie a connu depuis le pluralisme politique en 1989 des dizaines d’élections à tous les niveaux sans qu’il y ait le changement souhaité, la démocratie ne se résume pas à l’acte de mettre le bulletin dans l’urne, c’est un exercice permanent de la citoyenneté, des libertés et des droits.

°La répression s’est intensifiée ces derniers jours avec des dizaines d’interpellations, des gardes à vue et des placements en détention provisoire qui ont touché des activistes du hirak. Y a-t-il une explication à ce qui s’apparente à un nouveau tour de vis sécuritaire ? Les prochaines élections expliquent-elles ce nouveau cycle de répression ?

L’escalade de la répression que nous connaissons ces derniers jours est grave, inadmissible et même dangereuse. Le pouvoir est atteint d’une schizophrénie politique, il fait le contraire de ce qu’il déclare. Au moment où il consacre plusieurs articles dans le chapitre «Liberté et droits» de la nouvelle Constitution, il réprime les marches, interpelle et emprisonne arbitrairement des activistes pour leur opinion, des journalistes pour leur travail, mais aussi des universitaires et des intellectuels. 

Il harcèle judiciairement les partis politiques de l’opposition et les associations autonomes, il ferme le champ politique et l’espace public et il verrouille le champ médiatique. Avec cette approche sécuritaire et fuite en avant, le pouvoir prolonge la crise profonde et l’aggrave davantage. 

Cet entêtement renforce la rupture des Algériens et des Algériennes, fragilise ce qui reste des institutions de l’Etat, menace l’unité et la cohésion nationales et expose l’Algérie et la mène droit dans le mur. Le pouvoir doit faire aussi son bilan, cette approche sécuritaire et répressive pour faire passer ses élections n’ont pas pu faiblir la mobilisation populaire pacifique deux ans durant et ne va pas arrêter les Algériens et les Algériennes dans leur quête de liberté et de souveraineté, car les raisons qui ont fait sortir des millions d’Algériens dans les rues sont toujours d’actualité, et ça peut rebondir à tout moment. 

Le pouvoir est plus que jamais interpellé à cesser son entêtement et saisir l’opportunité du hirak pour amorcer un véritable processus de changement démocratique et pacifique du régime, le coût du changement du régime est beaucoup plus inférieur au coût de son maintien.  (AH : « plus inférieur » ?)

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Marche et rencontre «consultative» du Hirak le 8 mai prochain à Kherrata 

 

La rencontre des forces du hirak à Kherrata, à laquelle a appelé le président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), Abdelouahab Fersaoui, se précise. Samedi soir, un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux a appelé «l’ensemble des citoyens à l’échelle nationale à participer massivement à la marche qui aura lieu le samedi 8 mai, et qui sera suivie d’une rencontre consultative préliminaire avec toutes les forces du hirak, s’inscrivant dans la rupture avec le système en place». 

Fersaoui revient sur l’initiative de tenir les «assises de concertation» du hirak, à l’occasion du 76e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, pour permettre au mouvement populaire de se doter d’une «feuille de route consensuelle». 

Fersaoui souligne : «Aujourd’hui, personne ne détient la vérité ni la solution tout seul, nous voulons une Algérie pour tous et de vivre-ensemble dans le respect de la pluralité, de la diversité et de la différence. L’élite restée fidèle au mouvement populaire est appelée à faire des efforts pour jeter les ponts, chercher des compromis pour une feuille de route consensuelle en faveur du hirak.»

Il estime que le pouvoir est «plus que jamais interpellé à cesser son entêtement et saisir l’opportunité du hirak pour amorcer un véritable processus de changement démocratique et pacifique du régime, le coût du changement du régime est beaucoup plus inférieur au coût de son maintien».

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Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

Dimanche 25 avril, 14h. Je viens d’apprendre la disparition de maître Ali-Yahia Abdenour. Il était un phare, un monument de lumière, un pionnier. Il était un guide essentiel, un maître. Le monde des libertés est orphelin. Nous sommes orphelins.Maître Ali-Yahia Abdenour a été de tous les combats pour les libertés humaines, pour les libertés fondamentales, pour la démocratie. Il a dédié sa vie à ces combats, pour que vive une Algérie libre et démocratique. Des pas importants ont été réalisés grâce au combat pour les droits fondamentaux, mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire.Cette photo a été prise lors du meeting que nous avons organisé (FFS Immigration) le 29 Septembre 1996 à Drancy « Pour la paix civile et la démocratie en Algérie » à l’occasion du 33° anniversaire de la création du FFS et intitulé « Quelle Algérie demain ? » avec notamment les interventions de Hocine Aït-Ahmed, Mohammed Harbi, Salima Ghezali, Louisa Hanoune, Maître Henri Leclerc, El Hadi Chalabi, Farid Aïssani, feu Hamida Bensada et bien sûr Maître Ali-Yahia Abdenour qui nous a toujours accompagnés.Je m’incline devant sa mémoire. Allah yarhmah. Ahmed Hanifi.

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Signature par maître Ali-Yahia Abdenour du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

Signature du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

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Un intellectuel condamné pour « offense à l’Islam »

À propos de la condamnation ce jeudi 22 avril de Saïd Djabelkhir.

Avant d’en venir aux faits, voici quelques éléments utiles. On peut lire ceci dans le préambule de la Constitution algérienne de 2019 : « Le peuple algérien exprime son attachement aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. » Or, cette Déclaration universelle énonce en son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Il est à noter que la Constitution algérienne reconnait l’inviolabilité de la liberté d’opinion (art.51), mais la réalité la met à mal chaque jour.  Ce même article 51 poursuit : « L’État assure la protection des lieux de cultes de toute influence politique ou idéologique. » Des lieux de cultes, mais manifestement pas ceux de justice.  Par contre nulle part dans cette même Constitution algérienne il n’est question de liberté de conscience, laquelle était clairement admise dans la précédente Constitution (1996), en son article 36  : « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Notre éventuelle naïveté doit passer son chemin. Les textes sont une chose, la réalité en est une autre. Les textes sont un gage de bonne volonté destiné à la Communauté internationale, particulièrement aux ONG.

J’en viens aux faits. À la suite d’une plainte déposée par un enseignant de l’Université de Sidi Bel-Abbès qui a préféré la facilité de la justice au débat intellectuel qui (ou car) nécessite un haut degré de connaissance en le domaine (pouvait-il s’y confronter ?), l’islamologue Saïd Djabelkhir a été condamné hier par le Tribunal de Sidi M’hammed à trois ans de prison ferme et à 50.000 DA pour « offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans ». Cette condamnation est politique, elle est un gage destiné aux esprits les moins ouverts sur la lumière, ceux-là même dont les idées, depuis des années, ont pénétré les plus hautes sphère du pouvoir réel et sa devanture, mais aussi infusent des pans entiers de la société déboussolée qui s’abreuve de plus en plus d’us et de codes en tous genres d’un autre âge.

La Justice garantit ou devrait garantir la liberté, elle n’est pas ou ne devrait pas être un obstacle à son expression naturelle. La Justice devrait garantir les Droits de l’homme et les libertés fondamentales. Cette condamnation est en même temps une mise en garde à l’endroit des hommes épris de liberté et de justice. Plus généralement elle est une preuve d’une inféodation au pouvoir politique de « L’Algérie nouvelle ». Car enfin l’objet en question ne relève pas du Tribunal, c’est une entorse à la loi et au bon sens. Ce qui est condamné c’est le questionnement, l’argumentation, c’est la recherche, c’est El Ilm, c’est l’université (déjà hautement très mal en point). Cette condamnation ouvre vers une pente dangereuse. « Le combat pour la liberté de conscience est non négociable » a déclaré Saïd Djabelkhir qui est prêt pour ces raisons à aller jusqu’en cassation si nécessaire. Rappelons que dans la foulée la Ligue algérienne de défense des Droits de l’homme (LADDH) a dénoncé « la criminalisation des idées, du débat et de la recherche académique pourtant garanties par la Constitution… » La lumière a besoin de nos bougies. Plus que jamais, l’intellectuel a besoin de notre solidarité. Le Hirak réagira-t-il aujourd’hui devant cette mascarade ?

J’écrivais récemment (Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril) en introduction à un article sur Ibn Rochd : « le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Je me demande à mon tour si nous n’avons pas pris le train vers ce funeste futur de l’inquisition, celui du 12° siècle. Reste à brûler les livres et la pensée. Il est urgent de se ressaisir, pour éviter le grand saut vers l’inconnu.

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Ajouté le: Vendredi 30 avril 2021

Lu ce jour sur la page Facebook de Ahmed Tazir

La condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir marque la dérive rigoriste de la justice algérienne ( Le Monde ) 

« Le chercheur a été condamné à trois ans de prison pour « offense à l’islam ». Des opposants y voient un gage donné par le pouvoir au camp islamiste.Pour l’islamologue et ses soutiens, c’est le procès de la liberté de conscience et d’expression. La condamnation de Saïd Djabelkhir en première instance à trois ans de prison par un tribunal d’Alger, le 22 avril, pour « offense aux préceptes de l’islam » symbolise les dérives de la justice algérienne, qui prend le parti de la vision la plus rigoriste de la religion musulmane.

Islamologue reconnu, spécialiste du soufisme, Saïd Djabelkhir, 56 ans, était poursuivi par un enseignant et six avocats pour avoir, entre autres, expliqué que certains rituels existaient avant l’islam, à l’image des pèlerinages, qui se pratiquaient dans un cadre païen. « C’est une première. Jamais un spécialiste, un universitaire n’avait été condamné pour avoir exprimé des idées qui relèvent de son domaine de compétence académique. Je suis choqué, je ne m’attendais pas à un verdict aussi dur », avoue le chercheur. Saïd Djabelkhir, qui mène un combat contre les prédicateurs salafistes, jusqu’à les défier sur leur terrain – les textes –, paie sans doute là des années d’abnégation.

« C’est choquant car il n’y a rien de condamnable dans ces écrits, qui sont les avis d’un islamologue », réagit Me Moumen Chadi, l’un de ses défenseurs. L’avocat dénonce la nocivité de l’article 144 bis 2 du code pénal sur l’offense aux préceptes de l’islam, qui a servi de base à la sentence. Un article de loi que Saïd Djabelkheir, fondateur du Cercle des lumières pour la pensée libre en Algérie, appelle à abolir depuis des années.

« Je connais cet article pour avoir travaillé sur beaucoup d’affaires de ce type. Il faut l’annuler purement et simplement. D’abord parce qu’il contredit la Constitution, qui garantit la liberté de culte et de croyance, et ensuite parce que le code pénal se doit d’être précis : un vol est un vol ; un viol est un viol. Or, cet article, avec ses formulations générales, fait qu’un juge peut l’interpréter comme il l’entend », soutient Moumen Chadi.

Fond de l’air vicié

Et l’interprétation peut être large, si l’on se fie aux arguments parfois rocambolesques qui ont été avancés par le camp opposé lors des plaidoiries. L’accusé répandrait ainsi « le mensonge », comme l’aurait fait l’école avec ses manuels scolaires : « Ils nous ont appris que nos pères étaient au marché et nos mères au jardin et, aujourd’hui, la femme a déserté la maison et traîne dans les rues », a déploré un des accusateurs… « Le plaignant dit que les écrits de son adversaire ont provoqué chez lui des problèmes psychologiques. Il doit aller voir un psychologue, pas un juge », rétorque pour sa part l’avocat Salah Dabouz, qui soutient l’islamologue.

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition » des universitaires, ancien combattants et écrivains, signataires d’une lettre ouverte

« Le tribunal n’est pas le lieu où l’on débat des religions. Il y a des lieux pour cela : les universités, les médias, les espaces culturels. Je ne connais pas les raisons qui ont conduit le tribunal à me condamner, mais je constate que le but des plaignants est de museler l’expression libre, d’intimider et de faire un exemple, estime Saïd Djabelkhir, aujourd’hui ciblé par une campagne de menaces de mort. On me dit : “On vous attend en prison pour vous régler votre compte” et que je ne suis plus en sécurité dehors. On me menace même à visage découvert. » Le fond de l’air est vicié, ajoute-t-il : « Nous assistons à un retour en force du salafisme en Algérie, dont le discours se répand dans les médias, dans la rue, sur les réseaux sociaux… »

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition, d’autant que certains attribuent au procès un caractère idéologique manifeste », dénoncent dans une lettre ouverte des universitaires, anciens combattants et écrivains. « Ce procès a entraîné la justice sur un terrain qui n’est pas le sien, dans la mesure où un tribunal n’a pas vocation à juger les idées philosophiques, scientifiques ou artistiques. »

« Crédulité des croyants »

Dans un pays où la justice est accusée d’être aux ordres, ce jugement ne serait pas dénué d’arrière-pensées alors que le pouvoir aborde une séquence politique périlleuse avec l’organisation d’élections législatives en juin, contestées par un mouvement de protestation persistant et boycottées par l’opposition proche des manifestants et par le bloc démocrate.

Privé d’assise politique depuis la quasi-disparition des anciens partis dits « présidentiels » qui, à l’image du Front de libération nationale (FLN), sont en état de mort cérébrale, le président, Abdelmadjid Tebboune, devrait s’appuyer sur une constellation de formations islamistes et populistes, appelées à peupler les travées de la future assemblée.

« Ces procédures [judiciaires] apparaissent et disparaissent comme par enchantement. A moins que (…) ceci ne résulte en réalité des petits calculs sans vision pour obtenir des appuis de circonstance de la part de groupuscules baptisés “partis politiques”, en surfant sur la crédulité des croyants pour cacher leur absence de représentativité, écrit Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Alger. Comment, dès lors, ne pas se demander aujourd’hui si la condamnation de Djabelkhir ne rentre pas dans ce type de manœuvre politique à la veille des élections du 12 juin, décidées par le pouvoir ? »

( Madjid Zerrouky pour Le Monde )

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lire page suivante:

L’exilé indexé

J’écris ces lignes en réaction à la lecture d’un article que j’ai lu ce matin, parce que je me sens visé. Pourquoi suis-je visé par cet article en question ? Je ne suis pourtant ni du Mak, ni de la mouvance islamiste qu’il pourfend. Je ne suis plus universitaire, pas même d’Aix-en-Provence, même si je suis provençal et que j’aime la Provence. 

Je me sens égratigné par cet article écrit par un cadet fort sympathique par ailleurs, mais la question n’est pas là.  Je me sens concerné par son article car je suis moi-même comme son « exilé algérien », cœur de l’article. Retenez qu’il écrit « exilé » (neutre, inodore) et non pas « émigré » très chargé et qui sied mieux. Généralement j’apprécie les écrits de cet auteur, ses interrogations et réponses, souvent cinglantes, justes. Parfois « dans l’air du temps » européen (froid, vif et limite intolérant, stigmatisant). M’enfin et bref. 

Dans le papier en question, l’auteur demande à ce que les exilés algériens cessent de faire de la politique pour l’Algérie alors qu’ils en sont si loin. Eux qui ont au cœur à la fois le pays d’accueil où ils vivent et le pays de naissance où ils se rendent souvent, pour beaucoup plus qu’une « semaine de bénévolat ». Il écrit de ces Algériens qu’ils sont  « autant que nous Algériens, mais pas plus », sans ajouter « pas moins », c’est dire l’inconscient ! Ces exilés donc ne devraient pas avoir le droit d’exercer leur citoyenneté au motif qu’ils sont à l’étranger ou alors avec « modestie » ! (suit une typologie de comportements : Algérien, hyper-Algérien)

Avec tout le respect que je dois à l’auteur de cet article, il ne peut m’empêcher d’écrire que ses mots ont un drôle de goût, âcre, qui sent le stal. Je m’arrête là. Je suis persuadé qu’il s’agit d’un dérapage et je veux bien passer, mais deux lignes plus loin il enfonce le clou en nous insultant : « les sentiments de nostalgie des exilés sont de même nature que ceux d’un colon ». C’est une insulte inqualifiable.  Honnêtement et personnellement j’aurais honte d’écrire quelque chose qui se rapproche de ces parallèles Algériens/colons) et de cette idée de déchoir « les exilés algériens » de leurs droit fondamental à l’expression.  En débattre, « malgré le caractère tabou » ajoute-t-il. Quelle honte ! Au point où on en est, pourquoi leur accorder le droit de vote ? Cela dévoile la suffisance, voire l’arrogance et l’ignorance de l’histoire des rôles des émigrations passées et présentes dans les luttes pacifiques de leurs pays, de l’étranger où ils vivaient et vivent. Beaucoup de ces Algériens qui ont « quitté l’Algérie durant les années 90 » ont vécu jusqu’au bout leurs idées, en Algérie même cher monsieur, en Algérie même avant de « fuir » (disait-on dans la périphérie de qui vous savez). Il y a vingt ans, cet auteur que par ailleurs j’apprécie écrivait : « Il est plus commode de vivre les paupières fermées ». Le temps a passé. 

Poursuivre le combat sans zèle (mais sans reddition) à l’étranger n’est pas une tare, mais le plein exercice d’un droit fondamental (merci la France, merci le Canada, l’Allemagne etc.) que ces « exilés » exercent avec fierté, par devoir et que l’auteur de l’article leur dénie en filigrane. Lorsque je lis ou entends pronostiquer que les « manifestations sont sans lendemain » je me revois devant ce professeur polonais (réfugié !) que j’ai eu à l’université dans les années 70 et qui ne comprenait pas ces manifestations des refuznik et de leurs camarades français : « ça sert à quoi ce cirque ? » Il a eu raison durant cinq ans, mais il a eu définitivement tord les années suivantes. Lourdement. Mais il était en droit de se poser là. Je ne lui ai pas jeté la pierre car l’homme est ainsi fait de courage, de tiédeur, de peur etc.

Je ne leur attribue pas (aux refuznik et à leurs soutiens) la chute du Mur, et toutes les conséquences qui suivirent, mais un jour je raconterai l’histoire (en lien avec l’impossible Mur) de ce colibri Topaze « fou » qui entreprit d’éteindre le feu qui décimait l’Amazonie. Un jour. 

Je considère par ailleurs regrettable de distinguer la validité d’un combat patriotique, d’un espoir, selon que l’on est de Suède ou de Aïn Sefra, c’est d’un dommage incompréhensible, et ajouter que « la démocratie (est) absolue ». C’est insensé. Elle ne l’est nulle part et ne pourrait jamais l’être. Elle ne peut qu’être améliorée. Notre ami agite (c’est d’une facilité déconcertante) l’épouvantail de l’islamisme à venir, alors qu’il est présent, partout, hic et nunc, par la grâce d’un pouvoir jusqu’au-boutiste qui nous a déjà prouvé qu’il pouvait faire feu de tout bois (et jusqu’à créer 20 chaînes de télévision au discours univoque louant les dirigeants au creux d’une palette d’artifices). Nier que quasiment toute la société algérienne a intégré les codes islamistes c’est, encore une fois, ne pas voir les trous dans la raquette.

Notre ami ne dit pas un mot sur la nature de ce pouvoir en Algérie, rien de sa capture par une gérontocratie à bout de souffle, toujours à la recherche de compromissions. Elle est vacillante, mais toujours debout par la grâce (aussi) de commentaires laudateurs (aussi) ou lénifiant (aussi) ou visant un horizon quelconque fait de moulins à vent espagnols (ou français). Est-il vrai que celui qui ne dit rien (ou regarde ailleurs, ou minimise…) consent ? Où se nichent les « myopies souveraines », où ?

Si le chroniqueur en question évoque le cœur du pouvoir c’est entre guillemets et par la bouche de notre exilé-enseignant d’Aix qui, dit-il, « harangue la foule avec passion », qui n’a même pas « le sens de la prudence ». Comment haranguer autrement s’il vous plaît une foule d’exilés. Un exilé (universitaire) « intoxiqué par les fakes sur le ‘‘Régime’’ ». Un exilé qui a perdu « le sens de la prudence, la mesure de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. » L’auteur en question a-t-il jamais réfléchi à ce qui — au temps de fakhamatouhou — relevait du possible et à ce qui n’en relevait pas ? 

Il y a plus de vingt ans, il s’interrogeait très justement en rouge et noir, probablement à l’intérieur de son propre dialogue comme il disait…  « Pourquoi faut-il naître dans ce pays (l’Algérie) rien que pour saluer un drapeau, écouter un discours, mâcher un crachat et rêver d’une catapulte vers le Canada et insulter les nouveaux colons ? »  Oui, il y a plus de vingt ans. Le temps a passé, et il n’a pas fini de passer.

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Lire en page 2 l’article de Kamel Daoud et autres réactions les pages suivantes

Appel du 24 mars 2021, pour une Algérie démocratique

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’APPEL DU 24 MARS 2021

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Djameleddine Benchenouf lit l’Appel

Liberté 25 mars 2021

actualité 

Appel à déjouer des provocations dangereuses contre le combat pacifique du peuple algérien pour la démocratie

Après avoir volontairement suspendu pendant un an ses marches pour protéger les populations contre l’épidémie de coronavirus, le peuple algérien a repris, avec des mobilisations pacifiques massives sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, son combat pour mettre fin à l’emprise du commandement militaire sur la vie politique, économique et sociale, et construire un État de droit civil et démocratique.

Les dirigeants algériens au lieu de répondre positivement à la détermination de la majorité du peuple de conquérir ses droits restent préoccupés par la seule sauvegarde de leur pouvoir et de leurs intérêts avec leur programme habituel d’institutions qu’ils contrôlent et d’élections manipulées. La reprise des marches populaires pacifiques semble avoir surpris de nombreux cercles du pouvoir qui prennent peur et s’adonnent à des improvisations politiques, à des manœuvres de récupération et à des provocations par lesquelles, ils croient pouvoir déstabiliser le Hirak et semer la division entre les forces qui le soutiennent en agitant les spectres de l’islamisme, du séparatisme et de la main de l’étranger. Les projets relatifs à la déchéance de la nationalité algérienne, les arrestations arbitraires dans les rues qui s’apparentent à des enlèvements, lors de manifestations pacifiques, le recours impuni à la torture et aux mauvais traitements, que signalent des détenus, des ONG et le Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, attestent de cette irresponsable fuite en avant des autorités algériennes. De récentes provocations, comme le tabassage de journalistes, l’intimidation de femmes manifestant pacifiquement pour leurs droits lors de la journée du 8 Mars, l’introduction de groupes de manifestants d’origine inconnue qui cherchent à susciter des tensions lors des marches populaires sont autant d’exemples qui illustrent ces politiques aventureuses.
Nous, signataires de cet appel, convaincus de la légitimité du combat du peuple algérien contre le système autoritaire, de sa résilience et de sa vigilance pour déjouer les provocations et les manipulations :
– interpellons les gouvernants pour mettre fin rapidement à toutes les mesures qui mettent en danger la stabilité du pays et la sécurité des individus et des populations ;
– demandons instamment à toutes les forces qui soutiennent les revendications du soulèvement populaire de rester fidèles à l’esprit d’ouverture démocratique, au pluralisme politique, à la diversité culturelle et sociale, qui caractérisent le combat pacifique en cours et de faire preuve de vigilance pour isoler effectivement les individus qui tentent de semer le trouble et la division lors des manifestations publiques pacifiques ;


– saluons la solidarité internationale qui se manifeste en soutien à la lutte du peuple algérien pour les droits humains et les libertés démocratiques,

– appelons toutes les forces éprises de paix et de liberté en Algérie et dans le monde à soutenir la lutte pacifique du peuple algérien pour un État démocratique.

Premier(e)s signataires de l’appel 

Ahmed Mahiou, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, juge ad hoc à la Cour internationale de justice, Nourredine Melickechi, physicien, Sadek Hadjerès, militant politique et social depuis 1944, Zineb Ali-Benali, professeure des universités,  Mohammed Harbi, historien, Saïd Chemakh, enseignant universitaire de linguistique tamazight, Aïssa Kadri, sociologue, Rachid Ouaïssa, professeur des universités, Saïd Salhi, défenseur des droits humains, Ali Bensaad, professeur des universités, Anouar Benmalek, écrivain, Fatma Oussedik, sociologue, Madjid Benchikh, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, Mansour Brouri, médecin spécialiste, Nacer Djabi, sociologue, Ali Guenoun, historien, Khaoula Taleb-Ibrahimi, professeure des universités, Mohand Arezki Ferrad, historien, Abdelouhab Fersaoui, président du RAJ, Gaia Abdesselam, informaticien, Madjid Abdesselam, physicien médical, Mehana Abdesselam, enseignant USTHB, Nadia Abdesselam, médecin, Mohamed Salah Aboudi, ingénieur, Ramdane Achab, éditeur, Hakim Addad, militant politique, Lahouari Addi, sociologue, Abderrezak Adel, enseignant universitaire, Farid Aïssani, ancien secrétaire national du FFS à l’émigration, Rachid Aïssaoui, université de Mostaganem, Nabil Aït Ahmed, militant démocrate, Ali Aït Djoudi, président de Riposte internationale, Sanhadja Akrouf, militante féministe et associative,  Tewfik Allal, coordonnateur de ACDA, Rafik Almi, émigré,  militant associatif, Ghanima Ammour, poétesse, militante associative, Samia Ammour, cadre associatif, Boualem Amoura, président du Satef, Farid Amrouche, enseignant universitaire (UMMTO), Kamel Amzal, militant des droits de l’Homme, Hamid Arab, directeur du Matindalgerie.com, Oussama Azizi, ingénieur en informatique, Krim Bacha, technicien, Malika Bakhti, ingénieure d’études, Rachid Beguenane, professeur à l’Université d’Ontario, Akram Belkaïd, journaliste, écrivain, Farouk Belkeddar, militant associatif, Amara Benamara, militant démocrate, Malika Benarab Attou, militante associative, présidente de Game, Mohamed Benhamadouche, poète, Ahcène Benkaroun, enseignant retraité, Nadia Benkaroun, enseignante retraitée, Nasser Bensefia, professionnel en santé, Madjid Ben Yaou, enseignant-chercheur en économie (UMMTO), Othmane Benzaghou, expert financier, militant associatif, Ahmed Bouaziz, militant démocrate, Abderrahmane Bouchène, directeur des Éditions Bouchène, Hacen Boudjema, militant démocrate, cofondateur du collectif Caman, Abdelkrim Boudraa, militant associatif, Nassim Boudrahem, professeur de mathématiques (UBM), Fatma Boufenik, économiste, enseignante-chercheure, Mahrez Bouich, enseignant chercheur, Salima Boumaza, enseignante universitaire, Mouloud Boumghar, professeur de droit, Omar Bouraba, ingénieur, militant associatif, Ali Brahimi, juriste, militant démocrate, Fatiha Briki, retraitée universitaire,  Arezki Chalal, opposant démocrate,  Massensen Cherbi, enseignant universitaire, Bachir Dahak, docteur en droit, Ahmed Dahmani, économiste, Mohamed Daid, technicien en pétrochimie, Mohamed Daoui, enseignant université (UMMTO), Karima Dirèche, historienne, CNRS, Saïd Djaafer, journaliste,  Ahmed Djeddaï, chirurgien, militant politique, Nadir Djermoune, architecte, Nacera Dutour, porte-parole du CFDA (Collectif des familles de disparus en Algérie), Nasser-Eddine Ghozali, professeur de droit, Hachemi Ghezali, militant des droits de l’Homme, Abdenour Guellaz, militant démocrate,  Nacer Haddad, militant politique, Nacéra Hadouche, avocate et militante des droits de l’Homme, Madjid Hachour, avocat, Djamel Hamdi, enseignant, Hamid Hami, enseignant retraité de l’Éducation nationale, Ali Harfouche, professeur (USTHB), Zahir Harir, informaticien, président de FORSEM, Mohamed Hennad, professeur de sciences politiques, Akli Izouaouène, militant démocrate, Zahia Kacel, militante politique, Abdelkader Kacher, professeur d’Université,  Myriam Kendsi, artiste peintre, Rime Kerfah, biochimiste, Salem Kessal, professeur (USTHB), Tahar Khalfoune, juriste, Habib Kheddache, avocat, Saïd Khelil, pharmacien, ancien secrétaire général du FFS, Mouloud Kichou, enseignant retraité, Souad Labbize, autrice, Sara Ladoul, enseignante, universitaire, Nawel Laib, militante des droits de l’Homme, Jaffar Lakhdari, consultant, militant associatif, Feriel Louanchi, enseignante universitaire, Lotfi Madani, expert en communication, Abdeslam Mahanna, physicien et militant démocrate, Myriam Maupin, militante et activiste des droits de l’Homme, Larbi Mehdi, Faculté des sciences sociales, Université d’Oran,  Rachid Menana, médecin spécialiste, Malika Mersroua, militante politique, Abdesselam Mebrouk, militant associatif, Amar Mohand-Amer, historien, Kamel Moktefi, toxicologue et militant, Rabah Moulla, enseignant et militant, Ramdane Moulla, ancien parlementaire, militant du Caman, Farid Ouadah, émigré militant démocrate,  Tayeb Ouardas, expert international, Genève, Salah Oudahar, directeur du Festival Strasbourg-Méditerranée, Belaïd Ould Brahim, commerçant, Hichem Ould Brahim, ingénieur aéronautique,  Kahina Redjala, militante, associative, Youcef Rezzoug, journaliste, Abdelkader Saadallah, consultant en géosciences, Madani Safar-Zitoun, citoyen, Adel Sahraoui, militant citoyen, Djaballah Saïghi, ingénieur et activiste politique,  Aldja Seghir, militante associative, Brahim Senouci, écrivain, Menouar Siad, chercheur en sciences nucléaires, Ouardia Sid Ali, ancienne cadre supérieure de l’État et militante démocrate, Menad Sidi Si Ahmed, expert climatologue, Hocine Sifaoui, enseignant, Nabila Smaïl, avocate, Loucif Nasser Timsiline, auditeur interne, militant de la citoyenneté, Sandra Alex Triki, enseignante UBM, Mohammed-Idir Yacoub, architecte, militant du FFS, Farid Yaker, militant associatif, Nadia Yefsah, militante démocrate, Mohamed Zaaf, professeur de l’Université d’Annaba, Youcef Zirem, écrivain, Rachid Zouaimia, professeur d’Université.

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« Islamo-gauchistes » : une chasse aux sorcières médiatique

Un article d’ACRIMED_ par Frédéric Lemaire, Maxime Friot, Pauline Perrenot, vendredi 30 octobre 2020

Quelques jours après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et la mort de Samuel Paty (1), parmi le déferlement d’amalgames et de propos racistes, un mot d’ordre résonne dans de nombreux médias : haro sur les « islamo-gauchistes » ! Un vocable qui regroupe (entre autres) tantôt la Ligue des droits de l’homme (LDH), Mediapart, l’Observatoire de la laïcité, ou la France Insoumise… et parfois tous en même temps, dans une même accusation : celle de complicité avec le terrorisme. Une accusation grave portée en l’absence de toute preuve et de toute contradiction, proférée par des éditorialistes, des responsables politiques et une poignée de « personnalités » qui multiplient les apparitions à la télévision, à la radio ou dans la presse. Retour sur une séquence d’hystérie médiatique… aux allures de règlements de compte.

Lundi 19 octobre, de France Inter à RTL, en passant par Europe 1, CNews et BFM-TV, le même discours se déploie dans de nombreux médias, les mêmes anathèmes sont lancés sans contradiction.

Sur Europe 1, Patrick Cohen reçoit dans son interview de la mi-journée Pascal Bruckner. L’essayiste médiatique y déroule un discours halluciné, dénonçant une « hydre islamiste » qui aurait « pénétré tous les secteurs de la France : l’université, l’administration, peut-être la police, peut-être les services de renseignement, le monde du sport et le monde de l’école ». Et appelant à ce qu’on « désigne les complices », en particulier la France insoumise, coupable selon Bruckner d’avoir participé à la manifestation de novembre 2019 contre l’islamophobie avec le CCIF (2). Edwy Plenel serait également à compter parmi « les complices de gauche et d’extrême-gauche » qui ont « du sang sur les mains et devraient rendre des comptes ». Autant d’accusations graves, sans fondement, reçues avec la plus grande complaisance par Patrick Cohen… Quelques jours plus tard, sur le plateau de « 28 Minutes » d’Arte (21/10), Bruckner accuse cette fois Rokhaya Diallo d’avoir « armé le bras des tueurs » de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 – sans aucune réaction de l’animatrice, Élisabeth Quin.

Le 19 octobre, après avoir reçu Pascal Bruckner sur Europe 1, Patrick Cohen est sur France 5 pour sa chronique dans « C à vous ». Le lancement d’Anne-Élisabeth Lemoine donne le ton : « le drame de Conflans-Sainte-Honorine est aussi la conséquence d’années de déni ». Patrick Cohen acquiesce et dresse la liste de ceux qui se seraient rendus coupables de « lâchetés et les compromissions avec l’islam politique », citant pêle-mêle Edwy Plenel, Jacques Chirac, Tariq Ramadan ou le CCIF. Puis il épingle les propos d’un responsable de Sud Éducation, en les tronquant allègrement (3).

Invité par Alba Ventura sur RTL (19/10), l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, tient un discours similaire, pointant du doigt « les mêmes qui depuis 20 ans, utilisent cette arme de destruction massive de notre République que sont les accusations d’islamophobie, la victimisation, la culpabilisation permanente ». Même tonalité dans la matinale de France Inter (19/10), où Sophia Aram s’en prend d’abord aux« véritables promoteurs de ces attentats » qui « encouragent et organisent la posture victimaire [sic] » ; puis aux « promoteurs du concept d’islamophobie » ; ainsi qu’à « tous ces décérébrés, qu’ils soient militants, universitaires ou animateurs télé, venant dégouliner leur compassion morbide sur les musulmans pour leur expliquer qu’il est normal, compréhensible d’être bouleversé, meurtri, blessé par un putain de dessin. (4) »

Sur BFM-TV, Alain Marschall ne réagit pas lorsque Julien Odoul (RN) qualifie les députés de la France insoumise de « collabos » et de « cinquième colonne de l’islamisme » (19/10). Ni lorsque Tugdual Denis (Valeurs Actuelles) évoque « une espèce d’ambiance culturelle qui permet ce genre de passage à l’acte ». Même son de cloche plus tard : cette fois, c’est l’éditorialiste de la chaîne Bruno Jeudy qui fustige les « responsables de gauche » et les « responsables de sites d’information comme Edwy Plenel ».

Le même jour, Éric Zemmour, chez lui sur le plateau de « Face à l’info » (CNews), accuse Jean-Luc Mélenchon d’avoir manifesté avec ceux « qui ont armé intellectuellement le Tchétchène qui a tué le prof ». Et d’en conclure : « Un an après, il vient manifester pour cette jeune victime. C’est comme a dit l’ancien député Bernard Carayon : c’est le collabo qui veut participer à la Libération ». La veille, toujours sur CNews, Charlotte d’Ornellas n’hésitait pas non plus à cibler Jean-Luc Mélenchon, « plus qu’ami » avec « toute une nébuleuse qui a posé une cible sur la tête de ce prof ».

Les éditorialistes de la presse écrite ne sont pas en reste. Alexis Brézet n’a pas non plus de scrupule à donner des noms dans son édito du Figaro du 19 octobre. Parmi les « compagnons de route » qui soutiendraient la cause des islamistes, il cite tantôt Jean-Louis Bianco de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Luc Mélenchon ou encore Edwy Plenel, et « toute une nébuleuse islamo-gauchiste » regroupant pêle-mêle les mouvements décoloniaux, l’Unef, SOS-Racisme, la LDH, etc.

Dans Le Point (20/10), Étienne Gernelle s’en prend au secrétaire fédéral de Sud Éducation, qualifié de « sinistre clown » et au directeur de Mediapart. Puis c’est au tour de l’inénarrable Franz-Olivier Giesbert (21/10) d’éructer contre « le multimillionnaire » Edwy Plenel, « saint patron de l’islamo-gauchisme », avant de conclure : « Le martelage de cette engeance, sur fond de terrorisme intellectuel, ne contribue pas qu’un peu à notre délitement actuel ». Fidèle au poste dans Marianne (23/10), Jacques Julliard est au diapason des âneries réactionnaires : « Pour la première fois depuis l’Occupation, la France n’est plus libre. » Et l’éditocrate d’espérer : « Si, au moins, l’indignation actuelle contribuait à nous débarrasser de l’islamo-gauchisme, sans lequel l’islamo-fascisme ne saurait prospérer. (5) »

Ainsi, dans un large spectre de médias, des radios aux chaînes d’information en continu en passant par la presse, ce sont les mêmes accusations graves qui sont portées (de complicité avec le terrorisme tout particulièrement) en l’absence de tout élément factuel. Les mêmes procès d’intention sont formulés à l’égard des participants à la marche contre l’islamophobie, fin 2019, pour mieux les discréditer sous un vocable épouvantail : « l’islamo-gauchisme ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire et la « force des concepts faibles », comme l’analyse Samuel Hayat dans une tribune pour L’Obs (27/10) (6). Pour comprendre l’omniprésence d’un tel concept dans la séquence qui nous occupe, et son infusion dans le débat public, il faut s’intéresser au rôle joué par un petit nombre de personnalités médiatiques ayant multiplié les interventions depuis l’assassinat de Samuel Paty. Et, dans un second temps, à celui des membres de gouvernement, ayant contribué – avec des journalistes, au choix : militants, suivistes ou complaisants – à la co-construction d’une telle chasse aux sorcières.

Un agenda médiatique, ça se travaille


Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer qu’à peine 48 heures après l’assassinat de Samuel Paty, l’agenda médiatique ait été à ce point orienté sur le lynchage des pseudo « intellectuels collabos » et du fumeux « islamo-gauchisme » – en plus d’un déferlement de propos islamophobes et xénophobes ? Dans l’article « Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière », nous revenions sur les mécanismes propres aux chaînes d’info, à même d’expliquer tout à la fois la médiocrité du débat public et sa « radicalisation » à droite et à l’extrême droite. Ils ont évidemment ici joué à plein. Mais il faut signaler, dans ce moment particulier, un élément central et déterminant : la surface médiatique (bien au-delà des seuls médias ouvertement réactionnaires) occupée par le discours d’une série de journalistes, de polémistes ou d’essayistes, proches du Printemps républicain et de Manuel Valls. Malgré des tons différents, tous ont contribué à mettre en avant, dans les grands médias dont ils sont familiers, une obsession et un agenda communs : la stigmatisation des « complices de l’islamisme ».

À 23h16 le 16 octobre, soit seulement quelques heures après l’assassinat de Samuel Paty, Pascal Bruckner, en campagne médiatique pour vendre son dernier livre, dégaine le premier dans un entretien au FigaroVox: « On aura une petite pensée émue pour tous ceux, des Indigènes de la République jusqu’à une certaine presse de « gauche » – je pense au délicat Edwy Plenel – qui, patiemment, minutieusement, au nom de l’anti-racisme, ont construit une haine inexpiable contre l’équipe de Charlie. » Le philosophe médiatique n’a pas perdu de temps. Pas plus que Manuel Valls, sur le pont dès 8h30 le lendemain matin dans la matinale de France Info pour à son tour dénoncer Edwy Plenel et « les ambiguïtés […] présentes pas seulement parmi les politiques, [mais aussi] dans la société française, […] à l’école. » Une tirade savamment introduite par la journaliste du service public :

Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, a dit récemment que la gauche a abandonné ce combat pour la laïcité et la liberté d’expression. Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a lui parlé de la complaisance de certains milieux intellectuels. Est-ce que vous partagez leurs constats ?

Le même jour, c’est « l’essayiste » Céline Pina qui menait campagne sur LCI, jetant cette fois-ci l’anathème sur l’université toute entière : « Aujourd’hui, allez écouter ce qui se dit à l’université. Ce n’est pas que les islamistes qui tiennent ce discours. Ils sont alliés avec qui ? Avec tous les racialistes, tous ceux qui voient tout par la couleur de la peau. Ils sont alliés avec qui ? Avec les Geoffroy de Lagasnerie. Ils sont alliés avec qui ? On les a vus ! »

Au soir du samedi 17, encore, c’est au tour du Parisien de mettre en ligne un entretien avec Bernard Cazeneuve, qui paraîtra le lendemain dans la version papier. L’ancien Premier ministre y dénonce des « petites lâchetés et concessions médiocres face au communautarisme » avant de mobiliser les grands mots, relancé sur la question par le journaliste politique Alexandre Sulzer : « Il y a aussi l’islamo-gauchisme qui regarde avec les yeux de Chimène certaines organisations communautaristes qui ont en elles une défiance, pour ne pas dire une forme de haine de la République. » Invité deux jours plus tard dans le « 7/9 » de France Inter (19/10), il pointe à nouveau les « groupes gauchistes » et « les parlementaires » ayant manifesté le 10 novembre dernier contre l’islamophobie. À Nicolas Demorand – en mal de cibles plutôt que d’arguments (« Vous parlez des insoumis ? De la France insoumise ? ») – Bernard Cazeneuve répand un semi-flou : « Ils se reconnaîtront, je parle bien entendu d’un certain nombre de députés insoumis, mais pas seulement. »

Mais n’allons pas si vite… Car c’est sans doute le dimanche 18 que les saillies contre « l’islamo-gauchisme » ont pris toute leur ampleur. À la faveur, notamment, d’agitateurs réactionnaires ou d’extrême droite ayant revendiqué, dans les médias, leur refus de se rendre au rassemblement pour Samuel Paty (place de la République à Paris), en raison de la présence de la France insoumise (entre autres). Dans Causeur, Céline Pina repart ainsi à l’offensive : « Les organisateurs appartiennent pour l’essentiel à la gauche qui a sombré dans l’islamo-gauchisme. […] Je ne défilerai pas aux côtés de ceux qui tiennent la porte à l’idéologie des assassins. […] Et surtout je refuse de défiler auprès des syndicats enseignants. Ceux-là mêmes qui par lâcheté ont laissé la situation dériver. » Avant de lister les « traîtres » un à un, de la FCPE à SOS Racisme en passant par la Ligue des droits de l’homme, la FIDL et l’Unef, tous « comptables […] de toute cette horreur », accusés de « légitimer la sauvagerie ».

Présent au rassemblement, Manuel Valls remet dix pièces dans la machine dans un duplex sur BFM-TV, ciblant une nouvelle fois la « très grande complicité » et la « très grande responsabilité » de Jean-Luc Mélenchon. Une intervention qui lui vaut d’être propulsé en plateau, quelques heures plus tard, en tant qu’invité principal de l’émission « BFMTVSD »:

Jean-Baptiste Boursier : Pardon je m’arrête là-dessus c’est très important parce que tout à l’heure je vous ai écouté avec attention. Vous étiez place de la République, vous avez eu des mots extrêmement durs, et notamment à l’endroit de la France insoumise, de Jean-Luc Mélenchon. Vous avez dit ils ont une forme de responsabilité dans cette lâcheté ?

Il n’en fallait guère plus à Manuel Valls pour renouveler et compléter le listing des complices : « La France insoumise, la gauche journalistique – Edwy Plenel, la gauche syndicale bien sûr – l’Unef, mais aussi la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme. » Quasiment à la même heure, la « camarade de barricade » de Manuel Valls (7), Caroline Fourest, se livre au même procédé sur le plateau de « C politique » (France 5), dénonçant l’Observatoire de la laïcité et appelant solennellement à ce que « les syndicalistes qui se disent à gauche arrêtent de tolérer d’être noyautés par des militants qui sont des militants obscurantistes. » Là encore, aucune précision ni le début du commencement d’une contradiction ne seront apportés par les journalistes.

Invité le lundi 19 dans la matinale de RTL, Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, dénonce les manifestants du 10 novembre 2019 en désignant Jean-Luc Mélenchon et Esther Benbassa. Avant de conclure : « On ne peut pas être en même temps Obono et Charlie Hebdo. » Un plaidoyer qu’il renouvelle sur « C à vous » (France 5) le soir-même, en dénonçant à nouveau Jean-Luc Mélenchon et Éric Coquerel, « qui trahissent tous les idéaux de la République […] en allant manifester le 10 novembre dernier avec le CCIF. » Là encore, la présentatrice Anne-Élisabeth Lemoine avait en amont bien labouré le terrain : « C’est pour ça qu’il vous est insupportable de voir hier place de la République des responsables politiques, eux qui ont été longtemps dans le déni ? Jean-Luc Mélenchon était présent […]. »

Ces quelques exemples – concentrés sur les trois premiers jours ayant suivi l’assassinat – donnent une idée de la rapidité avec laquelle le thème des « complices intellectuels » et de « l’islamo-gauchisme » s’est imposé dans le débat médiatique. Ils donnent également un bon aperçu de l’absence totale de contradiction de la part des journalistes, suscitant ou relayant des anathèmes et des concepts pourtant fumeux, sans ressentir le besoin d’argumenter. Et surtout, en assurant une présence médiatique quotidienne à leurs auteurs, tout au long de la semaine.

Pour ne donner que quatre exemples : Caroline Fourest écrit un édito dans Marianne le 17, passe sur France Inter et dans « C Politique » le 18, dans Elle le 19, dans L’Express, sur LCI et France 2 le 21 (entre autres !) ; Céline Pina écrit dans Causeur (les 17, 18 et 21), passe sur LCI les 17, 20 et 27, sur Sud Radio les 20 et 27, sur Public Sénat le 21, dans Front populaire le 24, Atlantico le 26, et fait même une apparition dans le « 13h » de TF1 le 20.

Manuel Valls, lui, est bel et bien de retour : le 17 sur France Info, le 18 sur Europe 1 et BFM-TV, le 21 sur Europe 1, BFM-TV et LCI, le 23 dans le talk du Figaro et sur TV5 Monde, le 27 sur Public Sénat… Quant à Pascal Bruckner, on peut le lire le 16 dans Le FigaroVox, l’entendre le 19 sur Europe 1, le 20 sur LCI, le 21 dans les « Grandes gueules » puis sur Arte, le 22 dans la matinale d’Inter et sur France Culture.


Une coproduction politico-médiatique


Si l’agenda médiatique est donc très vite accaparé par les accusations de « complicité » d’une partie de la gauche, la chasse aux sorcières prend une ampleur supplémentaire avec les prises de position médiatiques de plusieurs membres du gouvernement.

Le 19 octobre sur Europe 1, le ministre de l’Intérieur fait part de son souhait de dissoudre des associations, notamment Baraka City et le CCIF. Face à lui, Sonia Mabrouk rappelle ses accusations proférées deux semaines plus tôt à l’Assemblée nationale : « Vous avez dit à l’Assemblée, Gérald Darmanin, qu’il y a un islamo-gauchisme lié à la France insoumise qui détruit la République… qui détruit la République ! » Loin d’en interroger la pertinence, elle les atteste et s’interroge : « Qu’est-ce qu’on fait pour empêcher cela ? » Au ministre, qui tempère (« Les mots de temps de peine ne sont pas les mots de temps de guerre. Moi je veux attaquer personne en particulier. Je suis très content que beaucoup de gens se réveillent »), elle semonce : « Est-ce qu’il y n’a pas des réveils tardifs ? »

Le lendemain soir (20 octobre), sur BFM-TV, le ministre de l’Intérieur s’aligne explicitement sur les mots de Patrick Cohen, tenus la veille dans « C à vous » (« M. Cohen en a témoigné ») et s’en prend à Sud Éducation et Edwy Plenel : « Je me dis qu’il y a de la lâcheté intellectuelle évidemment, et qu’ils sont aussi entre guillemets responsables de cette ambiance, de température, qui permet à des individus de passer à l’acte en excusant tout. » La coproduction politico-médiatique de tels anathèmes ne fait que commencer…

À compter du 22 octobre, des ministres et membres de la majorité relayent ce discours dans les médias ou à l’Assemblée nationale (8).

Mais c’est surtout l’interview du ministre de l’Éducation nationale par Sonia Mabrouk (décidément…) le 22 octobre sur Europe 1 qui remettra, à compter du jeudi et plusieurs jours durant, la question de l’ « islamo-gauchisme » à l’ordre du jour médiatique. Et, plus précisément ce passage :

Jean-Michel Blanquer : Moi je pense surtout aux complicités intellectuelles du terrorisme. C’est ce point que je souhaite souligner en ce moment. Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée.

Sonia Mabrouk : Qui par exemple ? Des milieux intellectuels, universitaires ? Citons-les !

Jean-Michel Blanquer : Oui on peut les citer, ce qu’on appelle communément l’islamo-gauchisme fait des ravages.

Et le ministre de citer « l’université », « les rangs de la France Insoumise » ou « l’Unef » comme « complices intellectuels de crimes ». L’AFP y consacre une dépêche le jour-même – reprise partout : sur les sites de L’Obs, Le Parisien, Le Point, La Provence, Paris Match, Ouest-France, Nice Matin, L’Express, Challenges, La Voix du Nord, 20 Minutes, et ceux de BFM-TV, CNews, i24 News, France 24, RTL et encore celui de France Info. Le buzz est garanti, et la mécanique médiatique est relancée. Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Opinion, RT France, Atlantico publient également des articles sur ce passage de la déclaration du ministre… Relayés, commentés ou critiqués, ses propos sont partout. Et bien sûr, également dans les talk-shows – c’est qu’ils donnent matière à débat : dès le 22 octobre sur CNews (dans « L’heure des pros 2 » puis dans « Soir Info ») et LCI (« 20h Darius Rochebin »), le 23 octobre sur RMC (« Les Grandes gueules »), le 24 sur CNews (« Midi News Week-end ») et France 5 (« C l’hebdo »), le 26 sur LCI (« 24h Pujadas »).

Les chroniqueurs de « L’heure des pros », une des émissions phares de CNews, ne sont pas avares en outrances. Le 22, Gilles-William Goldnadel tranche à propos d’un syndicaliste cheminot : « [Anasse Kazib] c’est Sud Rail, et c’est largement autant l’islamisme que le gauchisme » ; le lendemain Ivan Rioufol (du Figaro) se lance dans une des tirades hallucinées dont il a le secret :

Ce sont des fascistes, ce sont des islamo-fascistes, des nazislamistes [sic], des totalitaristes appelez-les comme vous voulez, ce sont des antidémocrates. D’ailleurs il est temps aujourd’hui de mettre un cordon sanitaire […] pour tous ces partis, notamment d’extrême gauche, qui pactisent aujourd’hui avec ceux qui ont décidé de l’effondrement de la France.

Ce 22 octobre, Pascal Praud a senti le basculement : « C’est intéressant, parce que ce n’est pas Marine Le Pen qui le dit, ce ne sont pas des éditorialistes qui le disent, c’est le ministre de la République. Et cette phrase (…) n’aurait pas pu être dite il y a huit jours ». Il est suivi par sa bande :

Gilles-William Goldnadel : « L’expression “islamo-gauchiste”, je l’ai employée à peu près depuis 20 ans, et pendant très longtemps, on ne parlait pas des ravages qu’il faisait, on disait que j’étais un ravagé moi-même ».

Ou Ivan Rioufol, le lendemain, toujours sur CNews : « Ça fait très longtemps que nous sommes quelques-uns à dénoncer l’islamo-gauchisme. Et jusqu’alors effectivement nos paroles ne passaient pas… ne passaient guère les murs. Aujourd’hui les murs s’effondrent, tant mieux ».

Un bilan que tirait aussi Marianne (en s’en réjouissant) le 22 octobre : « On voit les complaisants politiquement corrects de l’UNEF se faire huer comme collabos dans les manifestations – ; qui parle d’islamo-gauchisme, d’années d’aveuglement et de laxisme n’est plus à la droite d’Attila ».

Et on a vu sur les chaînes d’info en continu, dans les éditos de la presse hebdomadaire, sur l’audiovisuel public se poursuivre cette chasse aux sorcières (9). Le dimanche 25 octobre sur France Culture, Brice Couturier reprend ainsi à son compte la « thèse » de Jean-Michel Blanquer :

Je pense que Jean-Michel Blanquer a tout à fait raison de souligner qu’il y a tout un tissu intellectuel, tout un écosystème intellectuel et médiatique qui a couvert, qui a just…, qui a légitimé en essayant de comprendre. […] On a été très très loin quand même dans la légitimation de ces actes de guerre qui sont dirigés contre notre pays et contre nos concitoyens. Il faut que ça cesse ! Il y a des gens qui ont manifesté en novembre avec les islamo-gauchistes, avec les islamistes en criant « Mort aux juifs » dans les rues, et qui aujourd’hui retournent leur veste parce qu’ils ont compris que les Français étaient exaspérés

Avant de se faire le porte-parole de Manuel Valls en fustigeant, tout en nuance, une gauche « indigéniste, racialisante, qui déteste la laïcité et qui veut renverser la République. » Et de conclure, hargneux : « Ces gens-là sont en train de faire l’objet d’un rejet très violent de la part de la population, c’est bien fait pour eux. »

Valérie Toranian, directrice de la rédaction de la Revue des deux mondes, accrédite également les propos du ministre de l’Éducation nationale dans un éditorial publié sur le site du mensuel:

Les collabos se recrutent à tous les étages de notre société. Dans les médias, à l’université, très justement accusée par Jean-Michel Blanquer d’être souvent le lieu d’un islamo-gauchisme qui fait des ravages..

Le 26 octobre, c’est encore Alain Finkielkraut qui, seul sur le plateau de LCI pour répondre aux « questions » de David Pujadas, s’en donne à cœur joie. Faut-il dénoncer l’islamo-gauchisme demande Pujadas ? Bien sûr, répond Finkielkraut :

L’islamo-gauchisme n’est pas un fantasme droitier. C’est une triste réalité. […] L’islamo-gauchisme, c’est Danièle Obono, députée de la France insoumise qui ne pleure pas pour Charlie, qui réserve ses larmes pour Dieudonné. L’islamo-gauchisme c’est Emmanuel Todd […]. L’islamo-gauchisme c’est en effet Jean-Luc Mélenchon […].

La violence est telle que les (très rares) personnes accusées d’ « islamo-gauchisme » qui furent invitées à « s’exprimer » ont en réalité été jetées en pâture et soumises à des interrogatoires journalistico-policiers en règle. Comme l’a signalé Laurence de Cock, ce fut notamment le cas de la présidente de l’Unef, Mélanie Luce, lors de l’émission « Signes des temps » présentée par Marc Weitzmann sur France Culture.

Bref. Plus d’une semaine après l’assassinat de Samuel Paty, l’hystérie médiatique à propos des « islamo-gauchistes » continuait, appelant la surenchère d’une Marine Le Pen sur RTL ou celle d’un Alain Finkielkraut sur LCI (fustigeant l’ « islamo-clientélisme » et l’ « islamo-humanisme » !) Le 22 octobre, Le Figaro rapportait d’ailleurs le désarroi du Rassemblement national, « à l’épreuve de la banalisation de ses idées ».

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La semaine de matraquage ayant suivi l’assassinat de Samuel Paty témoigne de l’emprise des obsessions réactionnaires, du degré d’hystérie du débat médiatique. Et de folles contradictions : ainsi certains journalistes peuvent-ils, dans le même temps, vanter les mérites de l’éducation et de la connaissance ; et contribuer à la misère du débat public en favorisant la circulation circulaire d’amalgames et d’anathèmes sans fondements qui neutralisent, par avance, toute discussion et toute réflexion.

Et les mêmes têtes d’affiches qui claironnent en chœur la défense de la liberté d’expression se livrent par ailleurs à une campagne de disqualification et de stigmatisation d’un pan toujours plus vaste de la société : associations, organismes publics, organisations de défense des droits humains, syndicats enseignants et étudiants, milieu de la recherche, intellectuels et partis politiques, accusés en bloc de « complicité » avec le terrorisme. Le tout en marginalisant leurs prises de parole, ou plutôt en les excluant purement et simplement de l’espace du débat public, comme ce fut le cas en cette semaine.

Après les attentats de 2015, déjà, dans l’article « ‘‘ Avec nous, ou avec les terroristes’’ : les éditorialistes-faucons sont de retour », nous analysions le matraquage auquel se livraient les mêmes personnalités que l’on retrouve aujourd’hui contre les voix dissidentes de l’époque :

Au-delà de l’évidente condamnation de ces actes ignobles et de l’expression de la solidarité avec les victimes et leurs proches, certaines organisations et certains individus ont tenté de faire entendre une voix discordante, refusant de s’identifier de manière acritique à la politique française, qu’elle soit étrangère ou intérieure. […] Ces voix discordantes ont-elles raison ? Là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de savoir si elles ont le droit de s’exprimer dans l’espace public et, singulièrement, dans l’espace médiatique. Nous estimons que oui, car rien ne saurait justifier l’interruption du débat démocratique, a fortiori dans un moment où une population sous le choc a envie, et besoin, de réfléchir et de comprendre. […] Réfléchir, comprendre, expliquer, ce n’est pas justifier. Il serait temps que certains le comprennent pour ne pas répéter éternellement les mêmes erreurs en faisant régner une terreur intellectuelle qui, sous couvert de défense de la liberté, tend à ruiner encore un peu plus les conditions élémentaires du débat démocratique.

Nous assistons, cinq ans plus tard, à une réactivation amplifiée de ce moment médiatique. « Réactivation » car les raisons et les processus médiatiques de la disqualification sont identiques. « Amplifiée » car le matraquage est massif, irriguant désormais la quasi-totalité de l’espace médiatique. Et se traduit par la mise au ban par anticipation des « complices » supposés, auxquels certains journalistes vont jusqu’à dénier le droit du recueillement et de l’émotion.

« Contre le parti collabo » écrivait Jacques Julliard dans un édito de Marianne en septembre 2016, fustigeant les « arrières-greniers de la pensée collabo », leur « esprit de soumission » et les « intellectuels » au sens large. « Ce n’est pas ma faute à moi si dans le langage populaire intello rime avec collabo. » Contre ce niveau d’argumentation, contre le piétinement de la pensée, contre les verrouillages du débat et pour la liberté d’expression : voilà à quoi nous en appelons plutôt.


Frédéric LemaireMaxime Friot et Pauline Perrenot, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

1_ Voir le communiqué d’Acrimed ici-même.

2_ Le Collectif contre l’islamophobie en France est une association dont l’objet est de lutter contre l’islamophobie — définie par elle comme « l’ensemble des actes de rejet, de discrimination ou de violence perpétrés contre des institutions ou des individus en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane » (Wikipédia). Il a, dès le début, été visé par le gouvernement et les commentateurs médiatiques.

3_ Lire à ce sujet cet article de la page Checknews du site de Libération.

4_ Ce passage a été complété le 31/10/2020.

5_ Pourfendeur de longue date de « l’islamo-gauchisme », Jacques Julliard écrivait par exemple en 2018 dans La revue des deux mondes : « L’islamo-gauchisme […] est le fait d’intellectuels, de groupuscules, de certains médias comme Mediapart. Ce n’est pas un mouvement organisé, son importance vient de son influence sur le monde des médias (beaucoup de journaux, de radios, la presse de gauche en général, Libération en particulier). Aujourd’hui un certain nombre de personnalités de gauche sont fascinées par ces formes inédites d’obscurantisme religieux. »

6_ À ce sujet, on pourra également se reporter aux articles de Libération : « Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique » (14/04/16) et « En finir avec l’ »islamo-gauchisme » ? » (23/10/2020)

7_ L’expression est de Manuel Valls, France Info, 17 oct.

8_ Par exemple, la députée LREM Aurore Bergé qui exprime sa « colère face à ceux qui ont mis leurs pas dans ceux du CCIF. » Ou encore le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui « dénonce » dans Le Figaro, « l’attitude de certains partis politiques comme La France insoumise ou une fraction des Verts » et « la complaisance de certains syndicats étudiants comme l’Unef. » Il se répétera, le lendemain (23 octobre), chez Sonia Mabrouk.

9_ Dans le même temps, le défilé médiatique des membres du gouvernement et de la majorité se poursuit pour lister les « complices », par exemple Aurore Bergé sur LCP le 23 octobre, ou Jean-Michel Blanquer dans le JDD et Marlène Schiappa sur CNews le 25.

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LE CNRS EST CLAIR

Voici son mot daté 17 février

L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique 

17 février 2021 

Institutionnel

« L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

Contact

Priscilla Dacher 

Responsable du bureau de presse du CNRS

www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme

https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme

Jenin, Jenin…. Palestine oubliée

(vous pouvez visionner le film – en 2 parties – ici sur cette page. cf plus bas)

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Une pétition circule pour dénoncer la censure israélienne contre le film « Jenin, Jenin » du Palestinien Mohamed BAKRI

Levez l’interdiction du film « Jenin, Jenin » de Mohammed Bakri !

20 janvier 2021

Membres de la communauté mondiale du cinéma, nous dénonçons la décision d’un tribunal israélien d’interdire toute projection ou diffusion du film documentaire “Jenin, Jenin”, et nous exprimons notre solidarité avec son auteur, notre collègue Mohammed Bakri, éminent réalisateur et acteur palestinien. En défense de la liberté d’expression, nous vous demandons de vous associer à notre appel à lever cette interdiction révoltante. 

C’est avec consternation et indignation que nous avons appris la décision du tribunal d’instance de la ville de Lod d’interdire toute projection ou diffusion du film documentaire “Jenin, Jenin”, tourné en 2002 par Mohammed Bakri, réalisateur et acteur palestinien renommé.

Dans sa décision scandaleuse, le tribunal affirme que certaines allégations du film – qui décrit des évènements ayant eu lieu dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine au long d’une période de deux semaines en avril 2002 – sont fausses. Outre qu’il interdit toute projection du film en Israël, le tribunal rend une ordonnance de confiscation de 24 copies du film et ordonne au réalisateur du film de payer 175 000 shekels (55 000 dollars étasuniens) de dommages et intérêts à un officier israélien qui apparaît dans le film, ainsi que 50 000 shekels (15 500 dollars étasuniens) de frais de justice.

Mohammed Bakri, qui n’a cessé depuis 17 ans d’être harcelé et persécuté par le gouvernement israélien, montre de façon documentaire, sans commentaire, sans voix off, les suites de la destruction brutale du camp de réfugiés de Jénine commise par l’armée israélienne en 2002. Il dédie le film à son producteur Lyad Samoudi, tué par des soldats israéliens dans le gouvernorat de Jénine peu après la fin du tournage. 

Nous demandons instamment à la communauté mondiale, et en particulier à la famille globale du cinéma, de s’associer à nous pour dénoncer cette tentative flagrante de censure. Les autorités israéliennes responsables, y compris le ministre de la Culture, doivent répondre de cet acte.

La subjectivité est un aspect essentiel de l’expression artistique et cinématographique. Nous demandons donc à nos collègues et camarades de s’associer à nous pour dénoncer les allégations portées contre Bakri et les efforts des autorités israéliennes pour compromettre la liberté d’expression et la liberté artistique des cinéastes et des artistes palestiniens. 

Nous exigeons enfin l’annulation de la décision inacceptable du tribunal israélien, qui menace le droit fondamental des cinéastes et des artistes à exprimer librement leur point de vue.

Rejoignez Ken Loach, Aki Kaurismaki, Mike Leigh, Alia Shawkat, Liam Cunningham, Vanessa Redgrave, Hany Aby Assad, Mai Masri, Michel Khleifi, AnneMarie Jacir,  Eyal Sivan, Robyn Slovo, Asif Kapadia, Rasha Salti, Raed Andoni, May Odeh, Ali Suliman, Orwa Nyrabia, Christoph Terhechte, Henrique Goldman, Paul Laverty, Rebecca O’Brien, Ola Alsheikh, David Riker, Asia Kapadia, Brian Eno, Miriam Margolyes, Sawsan Asfari…

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+ Ahmed Hanifi         ahmedhanifi@gmail.com

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CE QUE DIT CETTE MAGNIFIQUE ADOLESCENTE EST TRÈS ÉMOUVANT

ET INCITE À L’ESPOIR POUR LE PEUPLE PALESTINIEN

TRADUCTION EN FRANÇAIS

« Ils ne réalisent pas ce qu’ils font, combattre l’ennemi, cela ne veut pas dire que je suis cruelle. Je défends ma patrie. Je défends mon camp. Nous ne ferons jamais la paix avec eux. Même si notre président la fait. Je ne ferai jamais la paix avec eux. C’est vrai que je suis une bonne personne, mais les juifs sont odieux. Ils nous ont envahis. Nous défendons notre terre. S’ils capturent votre fils, ne feriez-vous rien pour le récupérer? Nous ressentons donc la même chose pour notre terre. Notre terre signifie tout pour nous. Comme nous le disions, nos femmes existent toujours. Nous continuerons d’avoir des enfants. Ils deviendront plus forts et plus courageux que jamais. Je n’ai pas peur de ces lâches. Ils sont comme des souris. Malgré leurs grandes armes. Ils se cachent toujours derrière leurs chars, effrayés par les civils comme nous. Leur lâcheté est légendaire. Nous n’avons pas peur d’eux quoi qu’ils fassent. Leurs bombes sont tombées sur nous comme de l’eau car ce sont des perdants et des lâches…

Quand j’ai appris que Sharon venait au camp, j’étais tellement en colère que j’ai éclaté en sanglots. Parce que j’avais un grand désir de me venger de lui, de le torturer pour ainsi dire.

– Croyez-vous que vous pouvez vaincre Sharon?

Oui je peux, pourquoi pas?

– Il est plus fort que vous, comment pourriez-vous le faire?

Je suis plus forte que lui, grâce à ma volonté. Je peux le vaincre grâce à ma volonté. Parce que je défends ma nation, parce qu’il a tué des innocents que je connaissais très bien. Je peux le vaincre parce qu’il a dispersé notre peuple. Il a détruit chaque coin du camp sans épargner une seule maison. »

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TRADUCTION EN ANGLAIS

They don’t realize what they’re doing, fighting the enemy, this doesn’t mean that I am cruel. I defend my motherland. I defend my camp. We will never make peace with them. Even if our President does so. I will never make peace with them. It’s true that I’m a good person but Jews are hateful. They invaded us. We are defending our land. If they capture your son, wouldn’t you do anything to get him back? So we feel the same for our land. Our land means everything to us. As we used to say, our women still exist. We’ll keep on having children. They’ll become stronger and braver than ever. I’m not afraid of these cowards. They’re like mice. Despite their great weapons. They still hide behind their tanks, afraid of civilians like us. Their cowardice is legendary. We are not afraid of them no matter what they do. Their bombs came down on us like water because they’re losers and cowards…

When I heard that Sharon was coming to the camp, I was so angry that I burst, into tears. Because I had a great desire to take revenge on him, to torture him so to speak. 

_ Do you beleave you can defeat Sharon?

Yes I can, why not?

_ He’s stronger than you, how would you be able to?

I’m stronger than him, thanks to my will. I can defeat him thanks to my will. Because I’m defending my nation, because he murdered innocent people whom I knew very well. I can defeat him because he has dispersed our people. He destroyed each corner in the camp without sparing one single house.

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1° PARTIE

CLIQUER ICI POUR VOIR LA PARTIE 1 DU FILM

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2° PARTIE

CLIQUER ICI POUR VOIR LA PARTIE 2 DE « JENIN, JENIN »

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ARTICLES

Dix-huit ans après sa sortie, la justice israélienne décide d’interdire le documentaire Jenin, Jenin 

13 janvier 2021

Situé au nord de la Cisjordanie occupée, le camp de réfugiés palestiniens de Jénine a été le théâtre de graves violences du 3 au 11 avril 2002. 52 Palestiniens et 23 soldats israéliens ont été tués lors de l’opération « Rempart » lancée par Tsahal après une série d’attentats commis en Israël dont celui du 27 mars 2002 à l’hôtel Park de Netanya.

Le documentaire Jenin, Jenin (Mohammed Bakri, 2002), qui raconte cette histoire tragique, a été jugé « biaisé » par la justice israélienne le 12 janvier 2021, laquelle a décidé de l’interdire – en exigeant même la remise des copies – et de condamner pour diffamation son réalisateur à payer 175 000 shekels (environ 43 000 euros) au lieutenant-colonel Nissim Magnagi que l’on peut identifier dans le film de 54 minutes.

Le réalisateur a qualifié ce jugement « d’injuste », précisant à l’AFP qu’il allait faire appel. Pour Hussein Abou Hussein, son avocat, « il s’agit d’une décision politique » qui a pour finalité de « faire taire toute voix qui diffère de la position officielle ». Selon le ministre palestinien de la Culture, Atef Abou Seif, « les autorités militaires israéliennes ont peur de voir les faits qui exposent leur brutalité et la souffrance des Palestiniens ». Pour sa part, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a salué « un soutien clair et net adressé aux combattants de l’armée ».

Notons que des réservistes avaient déjà porté plainte en 2008 pour diffamation, des plaintes alors rejetées par la justice qui a toutefois considéré que le réalisateur avait fait preuve de « mauvaise foi », lui reprochant notamment de ne pas avoir présenté la version de l’armée pour contrebalancer les témoignages des habitants du camp de réfugiés.

Rappelons enfin la polémique soulevée en France en 2003 après qu’Arte a annulé la diffusion du documentaire initialement programmée sur la chaîne publique le 1er avril à 21h40 dans la soirée Thema, « Dialogues israélo-palestiniens » en raison « de la situation internationale » et pour « ne pas accroître les tensions entre les communautés ». Des cinéastes israéliens et palestiniens avaient alors adressé une lettre ouverte à Jérôme Clément, président d’Arte :

« Les cinéastes israéliens et palestiniens participants actuellement, à Paris, au Festival « Israéliens – Palestiniens, que peut le cinéma ? », ont appris avec stupéfaction votre décision de déprogrammer le film Jenine, Jenine, du réalisateur palestinien Mohamad Bakri, annoncé dans le cadre de la soirée thématique du mardi 1er avril « Dialogues israélo-palestiniens », l’ennemi à mes côtés. Nous protestons vigoureusement contre cet acte de censure, probablement dû à des pressions politiques exercées par des éléments extérieurs à la direction d’Arte. En cédant à ces pressions, Arte emboîte malheureusement le pas à la censure officielle exercée en Israël contre ce film. Tous les films, fictions ou documentaires, sont des représentations de la société dans laquelle nous vivons. Avec nous, Arte se doit de partager et de discuter les différentes versions qui existent de cette même réalité, plutôt que de les interdire ou de réduire leurs auteurs au silence. Nous tenons à vous faire savoir que la réalisatrice Yulie Gerstel et le réalisateur Nitzan Giladi, auteurs des films israéliens programmés dans le cadre de cette même soirée thématique, nous ont demandé de joindre leurs noms à cette protestation. »

www-darkness-fanzine-over-blog-com-2021-01

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« Jenine, Jénine » : laissez-vous censurer par Arte

Par Germinal Pinalie, lundi 7 avril 2003

Autocensure : Arte en repasse une couche sur « Jénine, Jénine », film déprogrammé par la chaîne.

Le magazine Metropolis diffusé par Arte ce samedi 5 avril 2003 comportait un reportage sur le film « Jénine, Jénine » de Mohammed Bakri, réalisé à Tel Aviv par une équipe allemande semble-t-il (le magazine en question est réalisé alternativement par les rédactions parisienne et allemande de la chaîne je crois). Ce reportage se terminait sur ce commentaire :

« Comme documentaire, c’est à dire comme représentation de la réalité, le film de Bakri n’est pas crédible. Mais en le censurant, les autorités israéliennes se dont mis une partie de l’opinion publique à dos, et en ont fait un film culte, ce qu’il ne serait jamais devenu sans cela. » 

À aucun moment ce reportage ne faisait allusion au fait que le film en question a été déprogrammé par la direction d’Arte [lire plus bas « Arte déprogramme un documentaire sur Jénine »] suite à des protestations émises par des groupes pro-israéliens, parmi lesquels la LICRA, arguant justement du fait que le film avait été censuré en Israël. Le reportage d’Arte ne parle que de cette censure, mais pas de l’autocensure d’Arte. Il ne donne comme élément de compréhension distancié que le rapide décryptage par un correspondant de chaînes étasuniennes d’images utilisées par Bakri, en plus d’une interview du cinéaste, de celles d’un censeur israélien et d’un soldat qui a demandé cette censure, accompagné de son avocat. En dehors du cinéaste lui-même, tous les témoignages sont « contre », y compris donc le correspondant en question qui arrive à retourner les images du dynamitage d’un immeuble de Jénine en opération militaire légitime.

Ce reportage est scandaleux, d’abord pour ce qu’il montre, à savoir qu’Arte met en scène l’info comme tout le monde, et pour ce qu’il cache, à savoir qu’Arte ne parle pas de son autocensure dans un reportage sur la censure… 

Non seulement nous n’aurons pas pu voir ce film, mais en plus ils auront craché dessus… « Lassen sie sich von Arte überaschen », qu’ils disaient…

Germinal Pinalie

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Arte déprogramme un documentaire sur Jénine

mercredi 2 avril 2003

« Arte a déprogrammé le documentaire « Jénine, Jénine » qui devait être diffusé mardi 1er avril à 21H40 dans une soirée Thema, « Dialogues israélo-palestiniens », en raison « de la situation internationale » et pour « ne pas accroître les tensions entre les communautés ».

« Jénine, Jénine » est un documentaire réalisé par Mohammed Bakri, Arabe israélien, sur les violences dans le camp de Jénine au printemps 2002, qui ont fait une cinquantaine de morts [Chiffre contesté (note d’Acrimed)].

[…] La diffusion de ce documentaire, précise ARTE dans un communiqué, sera reportée à une date ultérieure et accompagnée d’un débat. »

WWW_acrimed-org

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Amanda Gorman

La jeune poétesse Amanda Gorman (22 ans) lors de la cérémonie 

d’investiture de Joe Boden, 46° président des États-Unis, 

le mercredi 20 janvier 2021 _ Elle lit un poème qu’elle a écrit pour la circonstance :

The Hill We Climb.

Nous l’avons tous vue, entendue, hier.

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER, VOIR, AMANDA GORMAN. (VIDÉO)

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www.franceculture.fr

Amanda Gorman, plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d’investiture dans l’histoire des États-Unis

20/01/2021 – Par Maïwenn Bordon 

Amanda Gorman, 22 ans, été choisie pour composer et réciter un poème sur l’unité nationale lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden à la présidence des États-Unis, ce mercredi 20 janvier. C’est la plus jeune poétesse jamais invitée à cette cérémonie dans l’histoire du pays. 

« When day comes we ask ourselves, / where can we find light in this never-ending shade? / The loss we carry, / a sea we must wade » : c’est par ces mots que commence le poème lu par Amanda Gorman, la plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d’investiture dans l’histoire des États-Unis. Originaire de Los Angeles, elle a été choisie par Joe Biden pour composer et réciter un poème lors de sa prise de fonction à la Maison Blanche, ce mercredi 20 janvier. Selon la presse américaine, la Première Dame, Jill Biden, apprécie beaucoup le travail de cette poétesse de 22 ans, originaire de Los Angeles, et a convaincu le comité chargé de la cérémonie d’investiture de la choisir. Cette tradition démocrate du poète inaugural remonte à l’investiture du président John Fitzgerald Kennedy : le 20 janvier 1961, le poète Robert Frost avait alors récité The Gift Outright. En 2009, Barack Obama avait par exemple choisi Elizabeth Alexander, qui avait récité Praise Song for the Day pour sa première cérémonie d’investiture. Le poème lu par Amanda Gorman pour l’investiture du 46e président des États-Unis, est intitulé The Hill We Climb (La colline que nous gravissons), et aborde le thème de l’unité nationale.

Un poème sur l’unité nationale

Selon le New York Times, le comité d’organisation de la cérémonie d’investiture de Joe Biden a contacté Amanda Gorman à la fin du mois dernier. Elle a appris à ce moment-là que Jill Biden avait vu, à la Bibliothèque du Congrès en 2017, une lecture de son poème In This Place : An American Lyric, dans lequel la jeune poétesse condamne la marche raciste de Charlottesville en Virginie. La future Première Dame avait alors suggéré que la poétesse lise un poème lors de l’investiture. Aucune consigne ne lui a été donnée, mais elle a été encouragée à insister sur l’unité et l’espoir. « Gorman a commencé le processus, comme elle le fait toujours, avec des recherches. _Elle s’est inspirée des discours des leaders américains qui ont essayé de rassembler les citoyens pendant des périodes de division intense_, comme Abraham Lincoln et Martin Luther King. Elle a également parlé à deux des précédents « poètes inauguraux », (Richard) Blanco et (Elizabeth) Alexander« , affirme le New York Times.

Le poème d’Amanda Gorman fait référence au quartier de Washington, Capitol Hill, où se situe le siège du Congrès américain. Selon le New York Times, la poétesse de 22 ans était arrivée environ à la moitié de son poème lors que les militants pro-Trump ont envahi le Capitole : elle est restée éveillée cette nuit-là et a ajouté des vers au poème pour décrire ces scènes apocalyptiques qui ont ébranlé les États-Unis. 

“We’ve seen a force that would shatter our nation rather than share it / Would destroy our country if it meant delaying democracy / And this effort very nearly succeeded / But while democracy can be periodically delayed, / It can never be permanently defeated / In this truth, in this faith we trust. 

Nous avons vu une force qui détruirait notre nation plutôt que de la partager / Détruirait notre pays si cela veut dire retarder la démocratie / Et cet effort était à deux doigts de réussir / Mais pendant que la démocratie peut être ponctuellement retardée / Elle ne peut être vaincue de façon définitive / Nous croyons en cette vérité, en cette foi », écrit Amanda Gorman dans cet extrait du poème dévoilé par le New York Times, avant l’investiture. »

Dans The Hill We Climb, Amanda Gorman évoque son parcours, qui fait écho à celui de Kamala Harris, devenue la première femme à accéder au poste de vice-présidente des États-Unis. « We the successors of a country and a time / Where a skinny Black girl / descended from slaves and raised by a single mother / can dream of becoming president / only to find herself reciting for one (Nous les héritiers d’un pays et d’une époque / où une fille noire maigre / descendante des esclaves et élevée par une mère célibataire / peut rêver de devenir présidente / seulement parce qu’elle se retrouve à réciter pour l’un d’eux)« , a déclaré Amanda Gorman à travers son poème.

Contrairement à ses prédécesseurs, la jeune poétesse a dû relever un défi de taille : composer un poème qui appelle à l’unité et à l’espoir, alors que les Américains sont plus divisés que jamais au sortir de la présidence de Donald Trump. Son poème reflète donc cette Amérique « en désordre« . « Je dois reconnaître cela dans le poème. Je ne peux pas l’ignorer ou l’effacer. Et donc, j’ai élaboré un poème inaugural qui reconnaît ces cicatrices et ces blessures. J’espère qu’il nous fera progresser vers leur guérison« , a confié Amanda Gorman au Los Angeles Times. 

Selon le journal Los Angeles Times, la jeune poétesse a écouté de la musique pour l’aider à composer son poème et avoir un « état d’esprit historique et épique« , avec notamment les bandes originales des séries The Crown, Lincoln, Darkest Hour et Hamilton. Lors de la cérémonie d’investiture, Amanda Gorman a lu son poème pendant six minutes, d’une voix assurée alors qu’elle savait que des millions d’Américains avaient les yeux rivés sur elle et son message. 

« We are striving to forge a union with purpose / To compose a country committed to all cultures, colors, characters and / conditions of man / And so we lift our gazes not to what / stands between us / but what stands before us / We close the divide because we know, to put our future first, / we must first put our differences aside / We lay down our arms / so we can reach out our arms / to one another (Nous nous battons pour forger une union avec un but / Pour composer un pays engagé dans toutes les cultures, couleurs, personnages et / conditions de l’homme / Et nous levons nos regards non pas vers / ce qui se tient entre nous / mais vers ce qui se tient face à nous / Nous mettons fin au clivage parce que nous savons, mettre notre futur en premier, / nous devons mettre nos différences de côté / Nous déposons nos armes / pour atteindre nos bras / et en former un autre », invite Amanda Gorman dans The Hill We Climb.

Une étoile montante de la poésie 

Amanda Gorman est tombée amoureuse des mots et de la poésie quand elle était petite. Elle grandit à Los Angeles, élevée avec sa soeur jumelle par sa mère célibataire, qui enseigne l’anglais au collège. Elle écrit dans des journaux dans la cour de récréation. À l’âge de 16 ans, elle remporte le concours des jeunes poètes de Los Angeles. En 2017, alors qu’elle étudie la sociologie à l’université d’Harvard, elle devient lauréate du premier concours national des jeunes poètes : c’est la première personne à détenir ce titre.

Depuis cette période, Amanda Gorman a acquis une certaine notoriété et a été conviée par des personnalités comme Lin-Manuel Miranda, Al Gore ou encore Hillary Clinton. Elle a également récité des poèmes lors des célébrations du Jour de l’Indépendance ou lors de l’investiture du nouveau président de l’université d’Harvard en octobre 2018. 

Amanda Gorman est une poétesse militante, qui s’inspire de la société américaine. Elle a par exemple composé We the People pour décrire le choc qu’elle a ressenti après l’élection de Donald Trump. Elle a écrit We Rise, en écoutant le témoignage de Christine Blasey Ford, la psychologue qui a accusé Brett Kavanaugh d’agression sexuelle, alors qu’il était candidat à la Cour suprême des États-Unis. L’année dernière, elle s’est inspirée de la crise sanitaire pour écrire The Miracle of Morning, poème dans lequel elle tente d’insuffler de l’espoir : « In this chaos, we will discover clarity. / In suffering, we must find solidarity (Dans ce chaos, nous découvrirons la clarté / Dans la souffrance, nous trouverons la solidarité) ».

En février 2020, la poétesse a été sollicitée par Nike pour rédiger une tribune en faveur des athlètes noirs.

Consciente du succès des messages qu’elle véhicule dans ses poèmes, Amanda Gorman a déjà beaucoup d’ambition. Dans une interview au New York Times en 2017, elle ne cachait d’ailleurs pas qu’elle avait la Maison Blanche dans le viseur. « C’est un objectif très lointain, mais en 2036, je présenterai ma candidature pour devenir présidente des États-Unis« , affirmait la poétesse. Avant d’ajouter, à l’intention du journaliste : « Vous pouvez ajouter cela à votre calendrier iCloud« .


Attention: traduction olé olé… si la vôtre est meilleure, n’hésitez pas à me la communiquer…

The Hill We Climb

La colline que nous escaladons

When day comes we ask ourselves,

Quand le jour vient nous nous demandons,

where can we find light in this never-ending shade?

où trouver la lumière dans cette teinte sans fin?

The loss we carry,

La perte que nous portons,

a sea we must wade

une mer qu'il faut patauger

We’ve braved the belly of the beast

Nous avons bravé le ventre de la bête

We’ve learned that quiet isn’t always peace

Nous avons appris que le calme n'est pas toujours la paix

And the norms and notions

Et les normes et notions

of what just is

de ce qui est juste

Isn’t always just-ice

N'est pas toujours juste de la glace

—-

And yet the dawn is ours

Et pourtant l'aube est à nous

before we knew it

avant de le savoir

Somehow we do it

D'une manière ou d'une autre, nous le faisons

Somehow we’ve weathered and witnessed

D'une certaine manière, nous avons résisté et été témoins

a nation that isn’t broken

une nation qui n'est pas brisée

but simply unfinished

mais simplement inachevée

We the successors of a country and a time

Nous les successeurs d'un pays et d'un temps

Where a skinny Black girl

Où une fille noire maigre

descended from slaves and raised by a single mother

descendant d'esclaves et élevée par une mère célibataire

can dream of becoming president

peut rêver de devenir présidente

only to find herself reciting for one

seulement pour se retrouver à réciter pour quelqu’un

And yes we are far from polished

Et oui on est loin d'être poli

far from pristine

loin d'être vierge

but that doesn’t mean we are

mais cela ne veut pas dire que nous nous

striving to form a union that is perfect

efforçons de former une union parfaite

We are striving to forge a union with purpose

Nous nous efforçons de forger une union avec un but

To compose a country committed to all cultures, colors, characters and

Pour composer un pays engagé pour toutes les cultures, couleurs, personnages et

conditions of man 

conditions de l'homme

And so we lift our gazes not to what stands between us

Et donc nous levons nos regards pas vers ce qui se tient entre nous

but what stands before us

mais ce qui nous attend

We close the divide because we know, to put our future first,

Nous fermons le fossé parce que nous savons, pour mettre notre avenir en premier,

we must first put our differences aside

nous devons d'abord mettre nos différences de côté

We lay down our arms

Nous déposons nos armes

so we can reach out our arms

pour que nous puissions tendre les bras
 

to one another

à un autre

We seek harm to none and harmony for all

Nous ne cherchons le mal à personne et l'harmonie pour tous

Let the globe, if nothing else, say this is true:

Laissons le globe, à tout le moins, dire que c'est vrai:

That even as we grieved, we grew

Que même en pleurant, nous avons grandi

That even as we hurt, we hoped

Que même si nous souffrions, nous espérions

That even as we tired, we tried

Que même si nous étions fatigués, nous avons essayé

That we’ll forever be tied together, victorious

Que nous serons à jamais liés ensemble, victorieux

Not because we will never again know defeat

Pas parce que nous ne connaîtrons plus jamais la défaite

but because we will never again sow division

mais parce que nous ne sèmerons plus jamais la division
  

Scripture tells us to envision

L'Écriture nous dit d'envisager

that everyone shall sit under their own vine and fig tree

que chacun s'assoit sous sa vigne et son figuier

And no one shall make them afraid

Et personne ne leur fera peur

If we’re to live up to our own time

Si nous voulons vivre à la hauteur de notre temps

Then victory won’t lie in the blade

Alors la victoire ne sera pas dans la lame
 

But in all the bridges we’ve made

Mais dans tous les ponts que nous avons créés

That is the promised glade

C'est la clairière promise

The hill we climb

La colline que nous gravissons

If only we dare

Si seulement nous osons

It’s because being American is more than a pride we inherit,

C'est parce qu'être américain est plus qu'une fierté dont nous héritons,

it’s the past we step into

c'est le passé dans lequel nous entrons

and how we repair it

et comment nous le réparons

We’ve seen a force that would shatter our nation

Nous avons vu une force qui briserait notre nation

rather than share it

plutôt que de le partager

Would destroy our country if it meant delaying democracy

Détruirait notre pays si cela signifiait retarder la démocratie

And this effort very nearly succeeded

Et cet effort a presque réussi

But while democracy can be periodically delayed

Mais alors que la démocratie peut être périodiquement retardée

it can never be permanently defeated

elle ne peut jamais être vaincue définitivement

In this truth

Dans cette vérité

in this faith we trust

dans cette foi nous avons confiance

For while we have our eyes on the future

Pendant que nous avons les yeux sur l'avenir

history has its eyes on us

 
l'histoire nous regarde

This is the era of just redemption

C'est l'ère de la juste rédemption

We feared at its inception

On craignait à sa création

We did not feel prepared to be the heirs

Nous ne nous sentions pas prêts à être les héritiers

of such a terrifying hour

d'une heure si terrifiante

but within it we found the power

mais en elle nous avons trouvé le pouvoir

to author a new chapter

pour rédiger un nouveau chapitre
 

To offer hope and laughter to ourselves

Pour s'offrir de l'espoir et du rire

So while once we asked,

Alors une fois que nous avons demandé,

how could we possibly prevail over catastrophe?

comment pourrions-nous vaincre la catastrophe?

Now we assert

Maintenant nous affirmons

How could catastrophe possibly prevail over us?

Comment la catastrophe pourrait-elle prévaloir sur nous?

We will not march back to what was

Nous ne retournerons pas à ce qui était

but move to what shall be

mais passer à ce qui sera

A country that is bruised but whole,

Un pays meurtri mais entier,

benevolent but bold,

bienveillant mais audacieux,
 

fierce and free

féroce et libre

We will not be turned around

Nous ne serons pas retournés

or interrupted by intimidation

ou interrompus par l'intimidation

because we know our inaction and inertia

parce que nous connaissons notre inaction et notre inertie

will be the inheritance of the next generation

sera l'héritage de la prochaine génération

Our blunders become their burdens

Nos maladresses deviennent leurs fardeaux

But one thing is certain:

Mais une chose est certaine:

If we merge mercy with might,

Si nous fusionnons la miséricorde avec la puissance,

and might with right,

et pourrait avec le droit,

then love becomes our legacy

alors l'amour deviendrait notre héritage

and change our children’s birthright

et changer le droit de naissance de nos enfants

So let us leave behind a country

Alors laissons derrière nous un pays

better than the one we were left with

mieux que celui qui nous reste

Every breath from my bronze-pounded chest,

Chaque souffle de ma poitrine martelée de bronze,

we will raise this wounded world into a wondrous one

nous élèverons ce monde blessé en un monde merveilleux
 

We will rise from the gold-limbed hills of the west,

Nous nous élèverons des collines dorées de l'ouest,

we will rise from the windswept northeast

nous nous élèverons du nord-est balayé par les vents

where our forefathers first realized revolution

où nos ancêtres ont réalisé la première révolution

We will rise from the lake-rimmed cities of the midwestern states,

Nous nous élèverons des villes bordées de lacs des États du Midwest,

we will rise from the sunbaked south

nous nous lèverons du sud ensoleillé
 

We will rebuild, reconcile and recover

Nous reconstruirons, réconcilierons et récupérerons

and every known nook of our nation and

et chaque recoin connu de notre nation et

every corner called our country,

chaque coin a appelé notre pays,

our people diverse and beautiful will emerge,

notre peuple diversifié et beau émergera,

battered and beautiful

battue et belle

When day comes we step out of the shade,

Quand le jour vient nous sortons de l'ombre,

aflame and unafraid

enflammé et sans peur

The new dawn blooms as we free it

La nouvelle aube fleurit alors que nous la libérons

For there is always light,

Car il y a toujours de la lumière,

if only we’re brave enough to see it

si seulement nous sommes assez courageux pour le voir

If only we’re brave enough to be it

Si seulement nous sommes assez courageux pour l'être

www.lyricstranslate-com

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En tête des ventes de livres, acclamée par Obama : la poétesse Amanda Gorman captive les Etats-Unis

Ses ouvrages ne sont pas encore sortis qu’ils atteignent déjà des records de vente. A 22 ans seulement, cette jeune femme originaire de Los Angeles a déjà été plébiscitée par Oprah Winfrey, Hilary Clinton, Malala et Barack Obama.

Par L’Obs avec AFP

Publié le 22 janvier 2021 

Records de vente, couronnes de lauriers : les Etats-Unis se passionnent pour la jeune poétesse noire Amanda Gorman depuis sa prestation très remarquée à la cérémonie d’investiture de Joe Biden.

Trois de ses ouvrages – un recueil de poèmes, un livre pour enfants et une édition spéciale des vers déclamés pour le nouveau président américain – étaient ce vendredi 22 janvier en tête des ventes de livres sur Amazon.

 Pourtant aucun n’est encore publié : ils ne sortiront qu’en avril, voire en septembre pour « Change Sings », des odes illustrées pour les plus jeunes.

Ce qui n’a pas empêché les acheteurs de les précommander en masse, si bien que la jeune artiste et militante dépasse désormais Barack Obama, dont les mémoires, « Une Terre promise », ne sont qu’en 5e position dans cette liste de best-sellers.

D’Obama à Malala

L’ancien président a été impressionné par la jeune femme qui, à 22 ans seulement, a récité mercredi avec grâce et une assurance stupéfiante une ode de sa création : « The Hill we climb » (la colline que nous gravissons).

Elle « a fait plus qu’incarner le moment. Les jeunes gens comme elle sont la preuve qu’il y a toujours de la lumière, si nous sommes assez courageux pour la voir. Si nous sommes assez courageux pour être cette lumière », a-t-il tweeté en lui empruntant ses vers.

L’ex-candidate démocrate à la présidentielle Hillary Clinton et même la Nobel de la Paix pakistanaise Malala ont également salué son travail.

En une journée, elle a gagné deux millions d’abonnés sur Instagram et plus d’un million sur Twitter. Ses vers ont même été mis en musique par le musicien Rostam Batmanglij.

Premier prix à 16 ans

Originaire de Los Angeles, élevée par une mère célibataire, elle souffrait de bégaiement dans son enfance – comme le 46e président – ce qui l’a encouragée à se tourner vers l’écriture.

Enfant prodige, elle a remporté son premier prix de poésie à 16 ans, et a été couronnée du titre de « meilleur jeune poète » du pays trois ans plus tard, alors qu’elle étudiait la sociologie à la prestigieuse université Harvard.

 Avant elle, cinq autres poètes, dont Robert Frost et Maya Angelou, ont participé aux cérémonies d’investiture de présidents américains, mais aucun n’était aussi jeune.

Son nom avait été soufflé aux organisateurs de la cérémonie par Jill Biden, l’épouse du président, qui avait assisté à une de ses lectures. Leur commande, passée en décembre : qu’elle rédige une ode à l’« Amérique unie », en écho au discours du démocrate.

Elle n’avait rédigé que la moitié du texte quand des partisans de Donald Trump ont envahi le Capitole le 6 janvier. Horrifiée, elle a écrit d’une seule traite la fin de son poème qui, sans nier les maux du pays, prône l’unité pour avancer. « Nous ne sommes pas une Nation brisée, seulement une Nation pas finie. »

www.nouvelobs.com/joe-biden/20210122

France-Algérie, les passions douloureuses

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Benjamin Stora – Photo Ludovic Marin/AFP

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER BENJAMIN STORA SUR FRANCE – INTER

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER B. STORA SUR SON RAPPORT

(in Lemonde.fr- 23.01.2021).

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CLIQUER ICI POUR LIRE LE RAPPORT INTÉGRAL DE BENJAMIN STORA

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OSSATURE DU RAPPORT

Ossature du Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » de Benjamin Stora.

Page 1 – 3

  • citations d’Albert Camus et Mouloud Féraoun
  • Sur le contexte de la demande du président Macron
  • Les questions abordées dans ce rapport

Page 4 – 32

PARTIE II

  • Citations de Paul Ricoeur et de Kateb Yacine
  • Un exercice difficile mais nécessaire
  • Singularité du conflit
  • Cheminement des mémoires
  • Regarder et lire toute l’histoire pour refuser la mémoire hémiplégique
  • Deux imaginaires
  • Interaction. Le monde du contact

Page 33

PARTIE II

  • Les rapports de la France avec l’Algérie
  • Discours du général de Gaulle
  • L’économie, et la mémoire qui saigne
  • L’arrivée de la gauche au pouvoir
  • France, années 2000 : les accélérations de mémoires
  • Algérie : le retour des noms propres
  • Le chemin déjà accompli… sous la présidence de Jacques Chirac
  • … sous la présidence de Nicolas Sarkozy
  • … sous la présidence de François Hollande
  • … sous la présidence d’Emmanuel Macron 

Page 58

PARTIE III

Des défis à relever

  • Citations de Marie Cardinal et de Leïla Sebbar
  • Les archives, « un patrimoine commun » ?
  • Le guide des disparus
  • La mémoire, par la force des images
  • La question des excuses. Un détour par l’Asie
  • Autres sujets. Autres défis

Page 85

CONCLUSION

Vers un traité Mémoires et Vérité

  • Citation de l’Émir Abdelkader

Fin du rapport.

Page 92

Préconisations

Page 98

Remerciements

Page 105

ANNEXES

  • Annexe 1_ Les discours présidentiels

Discours du président Nicolas Sarkozy à Constantine devant des étudiants algériens, mercredi 5 décembre

Discours du président François Hollande au Mémorial de la guerre d’Algérie. 19 mars 2016

Déclaration du président Emmanuel Macron, à propos de Maurice Audin, 13 septembre 2018

  • Annexe 2_ quelques signes de détente et de coopération entre les sociétés civiles

Page 125

Archives relatives à l’Algérie, classements, numérisations et mises en ligne : bilan et perspectives 2017-2024

  • Présentation des fonds relatifs à l’Algérie
  • Bilan des traitements déjà effectués

… en matière de classement et de description de fonds d’archives

… en matière de numérisation de documents

  • Perspectives de travail pour la période 2020-2024

… en matière de traitement, de description de fonds et de rétroconversion des fonds

… en matière de numérisation de documents

… en matière de recherches administratives et historiques

Documents ottomans

Page 128

Tableau

Archives relatives à l’Algérie, classements, numérisations et mises en ligne : bilan et perspectives 2017-2024

  • Classement effectué sur la période 2017-2019

Fonds territoriaux

Total des classements 2017-2019 : 123,5 m.l.

Travaux de classement 2020 

Fonds ministériels 7

Fonds territoriaux 8

                        Travaux de classement à venir 2021-2022

Fonds ministériels 

Fonds territoriaux 

                        Travaux de classement à venir 2023-2024

Fonds ministériels 

Fonds territoriaux 

                        Archives numérisées en ligne

                        Numérisation et mise en ligne 2020-2021

                        Numérisation et mise en ligne 2022-2024

  • Annexe 3_ Quatrième Session du Comité intergouvernemental de haut niveau franco-algérien (CIHN)- Paris, 7 décembre 2017

Communiqué conjoint

  • Paix et sécurité
    • Dimension humaine
    • Coopération institutionnelle, éducative et culturelle
    • Partenariat économique
    • Calendrier bilatéral

Page 142

Bibliographie sélective sur les mémoires de la guerre d’Algérie

Bibliographie sélective sur les rapports entre la France et l’Algérie

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Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb contemporain et auteur du rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie », remis ce mercredi au Président de la République . Sortira en mars « France-Algérie, les passions douloureuses » (Albin Michel), est l’invité de 7h50. 

Pour l’historien, « il est évident pour beaucoup d’Européens d’Algérie que ça reste une question douloureuse ; la grande question c’est de comprendre la souffrance de l’autre, des Algériens. Il faut fabriquer un discours qui permettent d’unifier les mémoires » 

Interviewé par Léa Salamé

France Inter, jeudi 21 janvier 2021, 7h50

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Emmanuel Macron avait commandé en juillet dernier à Benjamin Stora un rapport pour surmonter les difficultés héritées de la colonisation et qui rendent difficiles les relations en la France et l’Algérie.

Ce rapport a été remis ce mercredi 20 janvier.

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J’ai rêvé l’Algérie

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CLIQUER ICI POUR LIRE « J’ai rêvé l’Algérie »

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J’ai découvert par hasard (via un tweet de Laïla B.) ce récent livre édité par les Éditions Barzakh d’Alger. Un livre collectif de témoignages, de récits et de fictions.

Voici ce qu’écrit en Avant-Propos de cet ouvrage Amina Izerouken, Chargée des programmes Fondation Friedrich Ebert Algérie: 

« J’avoue que j’ai rêvé ! 

J’ai rêvé éveillée : assise, debout, en marchant, en m’endormant… Mon rêve était palpable, il frôlait le réel, il se matérialisait ! 

J’ai rêvé pour moi, pour que mes sœurs ne soient plus jamais violentées, nos libertés plus jamais confisquées ; j’ai rêvé que la presse ne serait plus muselée, le champ politique barri- cadé, notre patrimoine délaissé, saccagé… 

Puis, je me suis interrogée sur nos responsabilités, notre démission, notre rôle dans ce marché conclu à huis clos, mais au vu et au su de tous et de toutes, sur nos futurs accomplis- sements, et sur l’idée que les rêves personnels devraient s’emboîter dans les rêves collectifs pour avoir une chance de devenir réalité. C’est la somme de tous ces rêves, de toutes ces interrogations, de toutes ces aspirations laissés en suspens faute d’espaces dédiés au vrai débat de fond, qui ont suscité en moi le désir d’accompagner la réalisation de cet ouvrage collectif. Celui-ci ne changera peut-être rien à notre réalité, mais trouvera, sans nul doute, écho auprès de celles et ceux qui s’acharnent encore à vouloir être libres de penser, de rêver et de bâtir ensemble. 

Au départ, alors que le Hirak battait son plein et que les rêves semblaient accessibles, l’idée première consistait à amener des jeunes à rêver l’algérie par le biais de l’écrit dans le cadre des cycles d’ateliers d’écriture organisés par le bureau de la Fondation Friedrich Ebert en Algérie, depuis 2005. Dans un contexte de crise sanitaire peu propice aux rencontres physiques, nous avons vite dû y renoncer. C’est alors que nous avons fait cette belle rencontre avec Barzakh. ensemble, nous avons remodelé le projet, enthousiastes à l’idée de relever un pari aussi risqué car, comment déjouer les stéréotypes et les poncifs, comment se donner les moyens d’un ouvrage original, iconoclaste mais d’abord utile, autour d’une Algérie rêvée ? aussi avons-nous décidé d’inviter des personnes, militantes ou non, journalistes, écrivain.e.s, architectes, psychologues, étudiant.e.s, médecins, citoyens et citoyennes ayant un rap- port amateur ou confirmé à l’écriture, à par- tager leur rêve, chacun et chacune à partir de sa place, de sa subjectivité, de son domaine d’intervention. La question semble élémentaire : « De quelle algérie rêvez-vous, et pourquoi ? ». Elle n’est simple qu’en apparence. Si on la sonde vrai- ment, elle accule, elle oblige, elle nous enjoint de dépasser généralités et banalités expéditives. Si le rêve est une activité cérébrale incontrô- lée (en tout cas, le rêve nocturne), il demeure, en algérie, lorsqu’il est éveillé et volontariste, un exercice pour le moins complexe. Dans un contexte qui verrouille les perspectives, il n’est pas simple de se projeter et de galvaniser son énergie pour construire l’avenir. 

Or, comment penser et bâtir une algérie meil- leure si l’on ne sait pas la rêver ? interrogation en écho aux vers de Habiba Djahnine dans son texte « Terre inconnue » (Cf. p. 52) : « Comment rêver le futur sans le présent ? / Comment vivre le présent sans rêver à demain ? ». 

Loin des sentiers battus, des débats politiques, des propositions de programmes et feuilles de route, cet ouvrage se veut l’expression subjec- tive d’une projection de l’algérie que l’on aime- rait voir se réaliser. 

Des voix singulières nous entraînent dans des combinaisons infinies: fictions, autofictions, récits d’anticipation, témoignages, réflexions. Une seule ambition, un seul mot d’ordre : pro- poser une projection intime, réaliste ou non, d’une algérie meilleure. Quatorze textes, qua- torze subjectivités, à travers lesquels miroite la possibilité de construire une société de libertés, de progrès et de vivre-ensemble. 

Cet ouvrage, plein d’espoirs, mais aussi de mises au point franches et sans concession, de vérités crues et courageuses – dites avec humour souvent –, nous raconte qu’une autre Algérie est possible. » 

Amina Izarouken 

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Le livre est constitué de quatorze textes (7 fictions et 7 témoignages et récits) écrits par: Wiame Awres, Hajar Bali, Atiqa Belhacene, Habiba Djahnine, Sarah Haidar, Mohamed Larbi Merhoum, Samir Toumi, Chawki Amari, Salah Badis, Khadidja Boussaid, Bouchra Fridi, Fériel Kessaï, Zaki Kessaï, Arab Izar, Louisa Mankour, Akçil Ticherfatine.

Voici un extrait du livre tiré de « La balade du centenaire » par Samir Toumi

« … Tous les matins, je traverse la place du 22 février, premier rituel de ma marche matinale et dans ma tête j’entends résonner la même clameur surgie du passé : celle des escaliers de la grande Poste, bruissant de cris, de chants et de slogans, déclamés pour la première fois, ici-même, sur cette place, le 22 février 2019, ce jour où tout a commencé. Je venais d’avoir vingt ans, mais pour moi, ce fut une seconde naissance. Je devins un citoyen ! et pour mes parents, enfants désabusés d’octobre 1988, ce fut une renaissance ! 

Nous avons été des millions à battre le pavé, en foules compactes et déterminées, dans toutes les villes d’Algérie, d’abord incrédules, puis ébahis, heureux, et résolus à en finir avec un système indigne, médiocre et corrompu, qui étranglait notre pays et nous privait d’avenir. Hommes, femmes, enfants, riches, pauvres, tous différents, chantions et clamions ensemble les mêmes slogans, dans une incroyable harmonie, avec le fol espoir, qu’enfin, les choses changent. La lutte fut longue et ardue, et les sacrifices nombreux. Activistes, simples citoyens ou journalistes, combien de personnes furent emprisonnées, combien de provocations visant à nous diviser furent tentées, par une gouvernance sournoise et manipulatrice. Mais rien, ni personne ne nous fit basculer, ni dans la division ni dans la violence. Notre arme ultime, le pacifisme, finit par triompher et un véritable régime démocratique fut enfin instauré. Une Algérie diverse, engagée et responsable, a fini par émerger, puis évoluer et s’épanouir, pour devenir l’Algérie d’aujourd’hui, celle où je vis un heureux crépuscule, et où mes jeunes com- patriotes et où mes jeunes compatriotes envisagent, avec sérénité, leur avenir… » 

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Quatrième de couverture

Droits de l’homme en Algérie: le rapport de HRW

Les autorités algériennes ont continué de réprimer le « Hirak », mouvement de protestation réformiste qui a poussé le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner en avril 2019. Abdelmadjid Tebboune, à qui le Hirak s’est opposé, a remporté une élection présidentielle qui s’est tenue en décembre 2019. Malgré ses promesses de « dialogue », les autorités ont continué d’arrêter et d’emprisonner des manifestants, des activistes et des journalistes, dans une tentative de museler le Hirak. Sous les auspices du président, une nouvelle Constitution a été approuvée, qui contient des termes plus forts en ce qui concerne les droits des femmes, mais qui restreint par ailleurs la liberté d’expression et sape l’indépendance de la justice.

Élection présidentielle

Le 10 décembre 2019, deux jours avant l’élection présidentielle à laquelle le Hirak s’opposait de manière pacifique, la police a arrêté Kadour Chouicha, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, à Oran. Le jour-même, un tribunal l’a déclaré coupable et l’a condamné à un an de prison pour « rébellion » et «atteinte à l’intégrité du territoire national. » L’accusation s’est fondée sur des affichages sur Facebook effectués par Chouicha en novembre, dans lesquels il s’opposait à la tenue de l’élection présidentielle, et sur sa participation, une semaine avant le scrutin, à une manifestation à l’extérieur d’une salle où un candidat à cette élection tenait une réunion électorale.

Abdelmadjid Tebboune, qui fut Premier ministre sous Bouteflika, est sorti vainqueur de cette élection marquée par un taux de participation historiquement faible[PH1] Dans son discours d’investiture, Tebboune a affirmé qu’il était « ouvert au dialogue » avec le Hirak et a annoncé que son gouvernement consoliderait la démocratie, l’État de droit et le respect des droits humains.

Le 2 janvier 2020, jour où Tebboune a formé son nouveau gouvernement, environ 70 membres du Hirak qui étaient en détention ont été remis en liberté. Le Comité national pour la libération des détenus, organisation qui observe la situation des manifestants du Hirak emprisonnés, a estimé qu’après ces remises en liberté, environ 80 protestataires étaient encore derrière les barreaux. Les arrestations de manifestants ont repris peu après, notamment d’un groupe de 20 personnes le 17 janvier.

Le 13 janvier, un romancier, Anouar Rahmani, a été inculpé d’« insultes envers le président de la République » pour des publications satiriques sur Facebook au sujet de Tebboune. Il a été mis en liberté provisoire, puis condamné le 9 novembre à une amende d’environ 400 dollars.

Liberté de réunion

Des centaines de manifestants du Hirak ont été arrêtés dans tout le pays lors des manifestations du début de l’année 2020. Quoique une majorité d’entre eux aient été remis en liberté le même jour, certains ont été jugés et condamnés à des peines de prison sous des chefs d’accusation comme participation à un « attroupement illégal », « atteinte à l’unité nationale » ou « atteinte au moral de l’armée. »

Le 21 juin, un tribunal de Cheraga, une ville satellite d’Alger, la capitale, a condamné Amira Bouraoui, une gynécologue et membre en vue du Hirak, à un an de prison. Elle avait été poursuivie pour « participation à un attroupement non armé », « offense au président de la République », «atteinte à l’unité nationale » et « dénigrement de l’Islam. » Elle a été remise en liberté provisoire le 2 juillet. Son procès en appel devait s’ouvrir le 12 novembre.

Le 15 septembre, une cour d’appel a condamné Samir Ben Larbi, un militant politique, et Slimane Hamitouche, coordinateur national des Familles de personnes disparues, à un an de prison, dont huit mois avec sursis, pour leur participation en mars à des manifestations du Hirak. Ils ont été libérés après avoir purgé les quatre mois fermes de leur peine. 

Le 17 mars, le gouvernement a interdit toute manifestation de rue avant d’instaurer un confinement général dans tout le pays, par précaution afin de ralentir la propagation du Covid-19. Les dirigeants du Hirak avaient eux-mêmes appelé à la suspension des manifestations quelques jours auparavant, afin de protéger la santé publique. Le gouvernement a décrété un confinement général dû au Covid-19 le 23 mars, d’abord à Alger, puis dans le reste du pays. Après le relâchement graduel du confinement à partir du mois de mai, la police a brutalement dispersé des tentatives par des activistes du Hirak de reprendre les manifestations. Elle a arrêté des manifestants, notamment à Alger, Blida, Sétif et Tizi-Ouzou les 21 août, et à Annaba et Bejaïa le 24 septembre.

Le 1er avril, le président Tebboune a signé un décret d’amnistie concernant 5 037 personnes, apparemment afin de réduire la population carcérale en réponse à la pandémie de Covid-19. L’amnistie n’a pas inclus les activistes du Hirak.

Liberté d’expression

Le 24 mars, une cour d’appel d’Alger a condamné un homme politique éminent et partisan du Hirak, Karim Tabbou, à un an de prison. Coordinateur national de l’Union démocratique et sociale (UDS), un parti d’opposition non homologué, Tabbou avait été inculpé d’« atteinte à la défense nationale », « atteinte à l’unité nationale » et « atteinte au moral de l’armée », pour des commentaires pacifiques qu’il avait affichés sur les réseaux sociaux. Son procès avait été entaché de violations de la régularité des procédures, notamment le refus du juge d’attendre l’arrivée des avocats de Tabbou avant d’ouvrir une audience, alors qu’il ne les avait pas informés de la tenue de cette audience. Le 2 juillet, Tabbou a été remis en liberté après avoir passé plus de neuf mois en détention.

Le 27 mars, à Alger, la police a arrêté un journaliste de renom, Khaled Drareni, fondateur d’un site internet, la Tribune de la Casbah, et correspondant de la chaîne francophone TV5 Monde et de l’organisation Reporters sans frontières. Drareni a été accusé d’«incitation à attroupement non armé » et d’« atteinte à l’unité nationale » pour sa couverture régulière des manifestations du Hirak, depuis leur début en février 2019, notamment sur ses comptes très suivis sur les réseaux sociaux. Les autorités l’avaient mis en garde à plusieurs reprises avant de restreindre sa couverture, lors d’interpellations et d’interrogatoires. Le 10 août, un tribunal a déclaré Drareni coupable des deux chefs d’inculpation et l’a condamné à trois ans de prison, avant qu’une cour d’appel réduise cette sentence à deux ans, le 15 septembre. Il est incarcéré depuis son arrestation.

Le 27 avril, Walid Kechida, fondateur et administrateur d’une page satirique sur Facebook, Hirak Memes, a été arrêté à Sétif et inculpé d’«outrage et offense au président de la République » et d’« atteinte aux préceptes de la religion. » Le 4 janvier 2021, il a été condamné à trois ans de prison.

Le 24 août, Abdelkrim Zeghileche, directeur de Radio Sarbacane, une station en ligne, a été condamné à deux ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale » et « outrage au chef de l’État », pour un affichage dans lequel il appelait à la création d’un nouveau parti politique. Sa défense a fait appel du verdict. Zeghileche est incarcéré à Constantine depuis le 23 juin.

Le 21 septembre, le ministère des Communications a interdit à la chaîne de télévision française M6 d’opérer en Algérie, au lendemain de sa diffusion d’un film documentaire sur les manifestations du Hirak, arguant que l’équipe de M6 avait utilisé une « fausse autorisation » pour filmer en Algérie. Le communiqué du ministère annonçant cette interdiction ajoutait [PH2] que M6 avait tenté de «ternir l’image de l’Algérie et [de] fissurer la confiance indéfectible établie entre le peuple algérien et ses institutions. »

Le 22 avril, le parlement a adopté à l’unanimité une réforme du code pénal, comprenant de nouvelles lois criminalisant la diffusion de fausses informations et de discours de haine. Certaines infractions, comme « atteinte à la sécurité publique et à l’ordre public » et « atteinte à la stabilité des institutions de l’État », qui sont passibles respectivement d’un maximum de trois ans et sept ans de prison, sont définies de manière si vague qu’elles peuvent être utilisées pour criminaliser la critique pacifique.

Indépendance de la Justice

Le 10 février, le ministère de la Justice a ordonné, dans une décision apparemment punitive, le transfert d’un procureur, Mohamed Sid Ahmed Belhadi, à El Oued, à 600 kilomètres au sud d’Alger, après qu’il eut exhorté un tribunal d’Alger à acquitter 16 manifestants, arguant qu’ils avaient été poursuivis en justice uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté de réunion. L’Union nationale des magistrats algériens a qualifié ce transfert de « punition et mesure de représailles politique » pour les propos du procureur.

Réforme constitutionnelle

Le 1er novembre, les Algériens ont approuvé une nouvelle Constitutionà une majorité de 66 %, dans un référendum auquel le taux de participation a été historiquement bas, à 23 %.

Amnesty International a relevé que cette nouvelle Constitution «introduit des termes positifs sur les droits des femmes », notamment la mention que « l’État protège les femmes contre toute forme de violence en tout lieu et en toutes circonstances, (et) garantit aux victimes l’accès à des refuges, à des centres médicaux, à des moyens appropriés d’obtenir réparation et à une assistance juridique gratuite ».

Le président de la République préside le « Conseil supérieur de la magistrature », organe constitutionnel qui nomme les juges et contrôle leurs carrières par les promotions et les mesures disciplinaires, ce qui est en contradiction avec la mission de cet organe consistant à «garantir l’indépendance de la justice ».

Comme la précédente Constitution, la nouvelle Loi fondamentale garantit le droit de « recevoir et disséminer de l’information », mais soumet l’exercice de ce droit à des conditions vagues et restrictives, telles que l’interdiction d’interférer avec les « exigences de la sécurité nationale ».

Droits des femmes et orientation sexuelle

Les meurtres de femmes et de filles ont continué en 2020. Deux femmes, qui ont lancé une campagne visant à accroître la sensibilité à ce genre de meurtre, ont affirmé qu’il y avait eu au moins 36 féminicides en 2020. Bien que la Loi algérienne de 2015 sur les violences domestiques criminalisait certaines formes de violence conjugale, elle contenait des failles qui permettent d’invalider des verdicts de culpabilité ou de réduire des peines si les victimes pardonnent à leurs agresseurs. Par ailleurs, la loi ne contenait pas de mesures additionnelles visant à empêcher les abus ou protéger les victimes, telles que des ordonnances de protection (interdictions de domicile pour les auteurs d’abus).

L’article 326 du code pénal, relique de l’époque coloniale, permet à une personne qui commet l’enlèvement d’une mineure d’échapper à des poursuites en justice s’il épouse sa victime.

Le Code algérien de la famille permet aux hommes d’obtenir un divorce unilatéralement et sans explication mais exige, pour les femmes, qu’elles s’adressent aux tribunaux pour obtenir un divorce pour des raisons spécifiques.

Les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, en vertu de l’article 338 du code pénal.

Migrants et demandeurs d’asile

Entre janvier et le 10 octobre, les autorités algériennes, invoquant « la lutte contre la migration illégale », ont rassemblé sommairement et expulsé collectivement plus de 17 000 migrants, pour la plupart en provenance d’Afrique sub-saharienne, parmi lesquels se trouvaient des centaines de femmes et d’enfants et certains demandeurs d’asile dûment enregistrés comme tels. Ces expulsions se sont poursuivies même après la fermeture des frontières en mars à cause du Covid-19. Des membres du personnel de sécurité ont séparé des enfants de leurs familles lors d’arrestations massives, ont confisqué leurs biens à des migrants, se sont abstenus de vérifier individuellement leur statut d’immigrant ou de réfugié et ne leur ont pas permis de contester leur refoulement. Un peu plus de la moitié (8 900) étaient originaires du Niger, ont été rapatriés de force dans des convois de camions et remis entre les mains de l’armée nigérienne, en vertu d’un accord bilatéral informel de 2014. L’armée algérienne a laissé les autres – soit environ 8 100 migrants d’au moins 20 nationalités différentes – dans le désert à la frontière, leur ordonnant de passer à pied au Niger. Certains migrants expulsés, et des travailleurs humanitaires qui leur portent assistance au Niger, ont affirmé que les autorités algériennes s’étaient livrées à des passages à tabac et à d’autres abus lors de ces expulsions.

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The Elders – Une ONG pour la paix dans le monde

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Pourquoi le multilatéralisme doit remodeler le monde après la Covid-19 

Table des matières 

Avant-propos – Mary Robinson, présidente de The Elders 

Synthèse et appels à l’action 

Gains historiques, défis contemporains 

La menace qui pèse sur le multilatéralisme 

Le déclin de la foi dans la mondialisation 

Pourquoi le multilatéralisme importe : 

Éviter les conflits 

Réagir aux menaces communes 

Préserver une planète durable 

Renforcer la société civile et les droits humains 

L’avenir du multilatéralisme 

Avant-Propos 

La pandémie de Covid-19 ne connaît aucune frontière et n’a que faire de la souveraineté nationale. Elle a balayé toutes les régions du monde depuis le début de l’année 2020, laissant derrière elle un coût dévastateur ; avant tout en vies humaines, mais également en termes de croissance économique, d’élan politique et d’inégalités sociales. 

Une crise mondiale exige une réponse mondiale. Pourtant, le virus a frappé à un moment où le système multilatéral faisait déjà l’objet d’une attaque soutenue et ciblée. Il a par conséquent été plus difficile pour les dirigeants et les institutions de réagir efficacement et de sauver des vies. 

Ce nationalisme étroit trahit les intérêts des personnes qu’il prétend représenter. La Covid-19 a mis à jour la fragilité et l’interconnectivité de notre monde globalisé, et notre vulnérabilité commune aux chocs extérieurs. 

Le virus ne sera pas vaincu si les États ne travaillent pas ensemble, en mutualisant leurs ressources et leur expertise afin de renforcer les systèmes de santé, de soutenir le travail vital de l’Organisation mondiale de la santé et d’encourager un esprit de solidarité. 

La Covid-19 a exacerbé les inégalités et a révélé l’intersectionnalité entre la pauvreté, le genre, la race, la marginalisation et le handicap. Dans le même temps, il a été constaté que de nombreux pays dont les gouvernements sont dirigés par des femmes gèrent mieux le virus, et que les emplois qui se sont révélés essentiels pendant la pandémie, des services de santé et sociaux aux services mal rémunérés, sont principalement occupés par des femmes. 

Il sera essentiel, au moment de sortir de la crise et de « reconstruire en mieux », que la relance soit alignée sur l’Agenda 2030 et l’Accord de Paris sur le climat, et que l’engagement en faveur de l’égalité des sexes et de la parité dans la prise de décision soit au cœur de la démarche. 

Un système multilatéral efficace, fondé sur des règles, est la police d’assurance mondiale contre les menaces existentielles, des pandémies au changement climatique en passant par les armes nucléaires, et nous connaissons à présent le terrible coût de l’absence d’une couverture complète. 

En cette année qui marque le 75e anniversaire de la fondation de l’Organisation des Nations Unies, les dirigeants et les citoyens du monde entier doivent faire preuve d’unité, affirmer les valeurs de sa Charte et s’engager à assumer leurs responsabilités communes. 

Le réseau des conventions et institutions internationales, convenu et établi depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, au cœur duquel se trouvent les Nations Unies, est loin d’être parfait. Depuis plus de 70 ans, l’organisation soutient résolument la recherche de la paix, de la sécurité et de la protection des droits humains, ainsi que les améliorations économiques et sociales dans le monde entier. 

Pourtant, ces dernières années, les États-Unis – première superpuissance mondiale et pays jusqu’ici considéré comme un garant essentiel de ce système mondial fondé sur des règles – l’ont 

délibérément affaiblie sur plusieurs fronts : du changement climatique et de la non-prolifération nucléaire au respect des droits humains, en passant par le libre-échange et la sécurité sanitaire. 

Mais un multilatéralisme efficace est dans l’intérêt national de tous les pays, quelle que soit leur taille ou leur puissance. Une coopération s’appuyant sur des mécanismes convenus au niveau international est moins coûteuse et plus fiable que le recours à la force unilatérale. 

Les actions qui affaiblissent le multilatéralisme sont préjudiciables en elles-mêmes, en plus de galvaniser d’autres dirigeants aux penchants isolationnistes ou nationalistes. Nous avons déjà vu certains dirigeants utiliser la crise de la Covid-19 pour affaiblir les garde-fous démocratiques et les droits humains, dans des pays aussi divers que la Hongrie, Israël et les Philippines. 

En plus de constituer un obstacle pour répondre efficacement à la Covid-19, ces comportements rendent la tâche plus difficile pour le monde de s’attaquer collectivement aux menaces existentielles qui subsisteront, même après la fin de cette pandémie : le changement climatique et la prolifération nucléaire. 

Les mois et les années difficiles qui se profilent nécessiteront un leadership déterminé et fondé sur des principes. Le multilatéralisme n’est pas une option : il s’agit de la seule voie susceptible de mener à une reprise verte, durable et équitable. 

La crise actuelle révèle des vérités fondamentales concernant ce que signifie être humain, vivre et mourir, et partager nos vies avec les autres. Le grand poète irlandais Seamus Heaney a repris ces vérités dans sa version des mythes grecs de Sophocle, et je crois que cet esprit peut nous guider à travers nos problèmes contemporains et nous conduire vers un avenir plus lumineux et plus 

juste : 

« Espérez un océan de changements Au-delà de la vengeance.
Croyez qu’un autre rivage
Est désormais atteignable. » 

Mary Robinson, mai 2020 

Synthèse 

Le multilatéralisme et le respect d’un système mondial fondé sur des règles ont soutenu la paix, la sécurité, la santé et la prospérité dans de vastes parties du monde depuis soixante- quinze ans. Les Nations Unies incarnent ces principes et restent un acteur indispensable pour faire face aux menaces existentielles contemporaines, qu’il s’agisse des pandémies, du changement climatique ou de la prolifération nucléaire. 

La pandémie de Covid-19 a mis au grand jour les vulnérabilités et les failles de notre monde interconnecté. Seule une réponse multilatérale efficace peut faire face au virus et protéger les vies et les moyens de subsistance, mais cela dépend de la volonté politique des dirigeants nationaux et de leur honnêteté envers leurs citoyens quant à l’ampleur du défi. 

Tous les États doivent prendre des mesures urgentes pour renforcer leurs systèmes de santé, protéger les soignants et fournir les soins nécessaires à tous ceux qui en ont besoin dans la société, notamment les groupes vulnérables tels que les réfugiés, les migrants, les personnes âgées et les personnes porteuses d’un handicap. Pour les pays développés, cette responsabilité s’étend au soutien des États les plus pauvres en matière d’aide humanitaire, d’allègement de la dette et de conseil politique par le biais des mécanismes de l’ONU, du G20, de la Banque mondiale et d’autres forums internationaux. 

Une relance réussie doit s’attaquer aux inégalités économiques et sociales systémiques, profondément enracinées et mises en exergue par la pandémie, en particulier la discrimination et les préjugés dont les femmes font encore l’objet. Toutes les tranches de la société doivent être incluses dans les plans d’intervention nationaux, conformément au principe mondial des objectifs de développement durable de « ne laisser personne de côté ». Il convient de tirer les leçons de ce que les dirigeantes démocratiques ont réussi pendant la crise, et elles doivent être entendues par leurs pairs, hommes ou femmes. 

Alors que le nationalisme, le populisme et l’isolationnisme ne cessent de croître, il est trop aisé pour les dirigeants et les citoyens de recourir à des solutions apparemment simples et de désigner des boucs émissaires. Il est par conséquent d’autant plus essentiel de défendre et de soutenir le système multilatéral. Les nations doivent reconnaître qu’un multilatéralisme efficace est dans l’intérêt de tous, peu importe la taille ou la puissance. Il offre de la visibilité aux plus faibles tout en les protégeant, et il constitue un moyen moins coûteux mais plus fiable pour les puissants d’influencer les tendances mondiales. Tous les États devraient veiller à ce que le système multilatéral soit suffisamment financé, doté de ressources et respecté pour fonctionner efficacement, à l’échelle des droits humains universels et en harmonie avec ces-derniers. 

Les États qui ont introduit des mesures restrictives extraordinaires pour faire face à la propagation de la Covid-19, notamment la fermeture des frontières, la restriction de la liberté de mouvement et de réunion et les fermetures économiques, doivent veiller à ce que leurs politiques n’obscurcissent pas ou n’éclipsent pas les garde-fous et les responsabilités démocratiques en vertu du droit international. La Déclaration universelle des droits de l’Homme doit rester le pilier fondamental de l’ordre international et guider les réponses nationales à cette crise. 

2020 marque le 75e anniversaire de la fondation des Nations Unies et de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce doit être l’occasion de réfléchir aux accomplissements du système multilatéral, de réaffirmer un engagement envers les valeurs de la Charte des Nations Unies et de prendre des mesures pour renforcer les institutions actuelles afin de relever les défis mondiaux du XXIe siècle. 

Cela exige un leadership efficace et responsable. Les États membres actuels de l’ONU devraient se remémorer les paroles de Winston Churchill, le dirigeant britannique au moment de la guerre, qui est devenu un fervent défenseur du multilatéralisme dans l’après-guerre. Lors d’un discours prononcé en 1946, alors que l’organisation n’en était qu’à ses balbutiements, Churchill a déclaré : 

« Nous devons faire en sorte que son travail porte des fruits, qu’elle soit une réalité et non une fiction, qu’elle soit une force tournée vers l’action et non seulement un amas de paroles creuses, qu’elle soit un vrai temple de la paix où pourront un jour être suspendus les boucliers de beaucoup de nations, et non seulement un poste de contrôle dans une tour de Babel ». 

Cette déclaration de Churchill date du début de la guerre froide, alors que le rideau de fer divisait l’Europe et que la rivalité des superpuissances entre les États-Unis et l’Union soviétique déclenchait des courses aux armements coûteuses et des guerres par procuration dévastatrices dans le monde en développement, ce qui entravait le développement économique et augmentait les risques dans le monde entier. L’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990 a conduit à la fin de la guerre froide et aux orgueilleuses prédictions de la « fin de l’histoire » et d’un nouveau « monde unipolaire », au sein duquel la démocratie libérale et le libre-échange deviendraient le consensus mondial. 

Ces trente dernières années, des progrès significatifs ont sans nul doute été réalisés dans la consolidation des normes et des institutions démocratiques dans de nombreuses régions du monde, notamment en Afrique, en Europe de l’Est et en Amérique latine. Des institutions à l’instar de l’Union européenne, l’Union africaine, le Mercosur et l’ANASE ont renforcé leur efficacité, contribué à la réduction des barrières commerciales et établi des normes de réglementation communes efficaces qui protègent les consommateurs et les citoyens. 

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’organisme qui l’a précédée, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, sont également des exemples d’institutions multilatérales efficaces. L’accroissement du commerce international au cours des dernières décennies s’est appuyé sur l’approche fondée sur les règles établies et régies par ces institutions. 

Plus largement, la mondialisation économique a contribué à extraire des millions de personnes de la pauvreté, car des pays comme la Chine et l’Inde se sont davantage intégrés dans le système économique mondial, offrant de nouveaux marchés de consommation et d’exportation ainsi qu’un élargissement des échanges d’idées et d’expertise à l’échelle internationale, grâce à la coopération universitaire et intergouvernementale. Quel que soit l’impact à long terme de la Covid-19, il est peu probable que la croissance de l’innovation et du développement économiques dans le monde de l’Est et du Sud recule. 

Dans le même temps, certains représentants politiques nationaux ont échoué à gérer et à expliquer l’impact de la mondialisation économique sur les affaires intérieures, en particulier l’externalisation des emplois industriels traditionnels du Nord vers le monde en développement, ce qui a conduit à d’importantes poches de chômage, de marginalisation et d’aliénation politique. 

Aujourd’hui, les nationalistes, les isolationnistes et les populistes exploitent ces peurs et ces ressentiments pour asseoir leur pouvoir et défaire l’ordre international existant. Leur perception de la géopolitique comme étant un jeu à somme nulle favorisant les puissants est en totale contradiction avec les idéaux de l’ONU et exclut toute réponse efficace aux défis mondiaux tels que le changement climatique. La pandémie a révélé des approches irresponsables et cavalières vis-à-vis des vérités scientifiques, avec des conséquences fatales et durables. C’est la raison pour laquelle les arguments en faveur du multilatéralisme doivent être puissamment, fièrement et vigoureusement réaffirmés. 

Appels à l’action adressés aux dirigeants mondiaux 

  1. 1. (a)  Un réengagement clair, sans ambiguïté et résolument déterminé envers les valeurs et les responsabilités inscrites dans la Charte des Nations Unies afin de « préserver le monde du fléau de la guerre » ; 
  2. 2. (b)  Un regain d’efforts pour que les Nations Unies puissent remplir leur mission en tant que « centre d’harmonisation des actions des nations » afin de résoudre collectivement les problèmes mondiaux les plus urgents ; 
  3. 3. (c)  Une action décisive et soutenue et un soutien financier pour renforcer les systèmes de santé mondiaux, en intégrant la résilience et la planification à long terme au niveau mondial, conformément aux recommandations du Conseil mondial de suivi de la préparation. 
  4. 4. (d)  Une ambition multilatérale accrue en matière d’action climatique, de réduction des émissions et de financement pour une transition durable et juste vers une économie à zéro émission nette de carbone d’ici 2050 ; 
  5. 5. (e)  Un effort mondial soutenu afin de mobiliser les citoyens, la société civile, les entreprises et les autres parties prenantes en vue d’atteindre les Objectifs de Développement Durable et de garantir un avenir plus juste pour l’humanité. 

Gains historiques, défis contemporains 

Le monde d’aujourd’hui est confronté à une myriade de menaces mondiales critiques, notamment les pandémies, le changement climatique, les conflits et la prolifération nucléaires. Parmi les autres questions urgentes figurent les mouvements massifs de migrants et de réfugiés causés par l’instabilité et les conflits, ainsi que la menace posée par le terrorisme. Aucune ne peut être résolue par des nations agissant seules, aussi puissantes soient-elles. Tout cela exige une coopération multilatérale. 

L’inégalité entre les sexes reste une cicatrice persistante sur le visage de l’humanité, qui empêche de répondre efficacement à toutes ces menaces. Elle constitue une menace en soi envers la dignité humaine, la bonne gouvernance et la croissance économique. Le fait d’occulter la moitié de la population mondiale mène inévitablement au désastre et ignore délibérément les contributions profondes et précieuses que les femmes ont apportées à la liberté et au développement humain à travers les siècles. Si l’on souhaite que les échecs et les omissions du passé ne se répètent pas, la voix des femmes doit être au cœur du débat sur l’avenir du multilatéralisme. 

La pandémie de COVID-19 a mis à nu la nature indissociable des risques mondiaux et la mesure dans laquelle même les systèmes de santé bien dotés en ressources peuvent être rapidement débordés en cas de crise. Une coopération multilatérale efficace en matière de réduction des risques est toujours préférable à une tentative d’amélioration de l’impact des crises catastrophiques après leur apparition. Un bon exemple est fourni par le Traité de non- prolifération nucléaire (TNP), qui a largement réussi à limiter la propagation des armes nucléaires au cours des 50 dernières années. 

Les gains générés par le TNP en matière de réduction des menaces nucléaires, ou par l’Organisation mondiale de la santé en matière de protection contre les pandémies, ne doivent jamais être considérés comme acquis, même si ces avantages peuvent ne pas être réellement visibles dans des circonstances ordinaires. Pourtant, bien trop souvent ces dernières années, certains des pays les plus puissants ont affaibli nombre de ces protections mondiales en cherchant à mettre en œuvre des programmes nationaux court-termistes ou égoïstes. Cela comprend les actions des États dotés de l’arme nucléaire qui contreviennent à l’esprit de leurs obligations à poursuivre le désarmement nucléaire au titre du TNP. De telles actions sont dangereuses et risquent, en fin de compte, d’avoir des conséquences dévastatrices pour l’avenir de l’humanité. 

Le multilatéralisme est fondé sur la nécessité, pour les pays ayant des points de vue divergents, de négocier et de transiger pour trouver un terrain d’entente. Si les spécificités des règles, institutions et accords internationaux sont importantes, elles sont en fin de compte subsidiaires par rapport à la nécessité fondamentale de disposer de forums de dialogue et de règles et réglementations internationales convenues, dans lesquels les pays les plus puissants ont un intérêt et qu’ils acceptent de respecter. De tels accords rendent le monde plus stable, plus prévisible et plus prospère. 

Ils servent clairement les intérêts des nations plus petites, qui ont tout à gagner à se doter de règles internationales et d’institutions internationales où leur voix peut être entendue. Ils servent également les intérêts des pays puissants, en leur permettant d’influencer l’ordre 

international sans avoir recours à de multiples manifestations unilatérales de leur puissance économique et militaire. De telles actions unilatérales tendent à être aussi coûteuses que limitées et temporaires en termes d’efficacité. 

Le système multilatéral post-1945 a fourni d’importants avantages communs pour l’humanité. Qu’il s’agisse de faciliter la médiation des différends entre les nations, de favoriser le commerce entre les pays et le développement économique ou d’établir des règles pour la gestion commune des océans, les accords internationaux ont énormément contribué à rendre le monde plus prévisible et plus stable. 

La valeur du système multilatéral actuel est trop souvent tenue pour acquise. En matière de santé publique, les gains impressionnants que représentent l’éradication de la variole et la quasi-éradication de la polio au cours des dernières décennies, sans oublier les progrès dans la lutte contre le VIH/Sida, sont souvent considérés comme des éléments inévitables du développement humain. Pourtant, ils auraient été extrêmement difficiles à réaliser sans une coordination internationale, par le biais d’institutions telles que l’Organisation mondiale de la santé. Les efforts de coordination dans la lutte contre la COVID-19 en 2020 montrent une fois encore combien la coopération multilatérale, la confiance mutuelle et la transparence sont essentielles pour protéger la santé publique mondiale. L’indépendance de l’OMS et sa capacité à agir sans crainte ni faveur vis-à-vis de ses États membres doivent être vigoureusement défendues, dans l’intérêt de la santé publique mondiale et de la bonne gouvernance. 

Malgré tous les succès obtenus par le système multilatéral, il convient également de se demander s’il pourrait être beaucoup plus efficace sans les manquements des gouvernements à soutenir et à respecter les mandats des organisations internationales auxquels ils ont souscrit. Trop souvent, les États membres, en particulier les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, n’ont pas agi de manière à favoriser l’efficacité des Nations Unies. L’échec du Conseil de sécurité à s’accorder sur une réponse collective à la COVID-19, en contraste flagrant avec le leadership dont le Conseil a fait preuve lors de la crise du virus Ebola en Afrique de l’Ouest, souligne la gravité des divisions actuelles. 

Le tragique conflit syrien en est l’exemple type : plusieurs grandes puissances ont choisi d’intervenir au nom des différentes parties au conflit, plutôt que d’agir par l’intermédiaire du Conseil de sécurité des Nations unies pour encourager une résolution pacifique. Les conséquences de cet échec ont eu des répercussions dans le monde entier. Ce sont les civils syriens qui en ont payé le plus lourd tribut, avec des centaines de milliers de morts et la moitié de la population déplacée. La brutalité de la situation a généré des flux de réfugiés, renforcé les réseaux terroristes et affaibli la crédibilité de la communauté internationale en matière de maintien de la paix et de la sécurité. 

C’est souvent lorsque cette coopération multilatérale se brise que son importance devient la plus visible et la plus spectaculaire ; l’absence relative d’organismes multilatéraux régionaux crédibles et efficaces au Moyen-Orient ces dernières années est l’une des causes des tensions, des conflits et de l’instabilité qui persistent dans cette région. 

Le multilatéralisme a joué un rôle essentiel dans l’ancrage de l’égalité des sexes au sein des normes internationales. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination 

à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1979 et ratifiée par 189 États membres, est un moyen précieux de demander des comptes aux gouvernements et d’affirmer l’universalité des droits des femmes, même si les progrès demeurent malheureusement insuffisants dans de nombreux pays. La Déclaration de Pékin sur les droits des femmes et la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité sont également des réalisations multilatérales importantes qui doivent être défendues contre la résurgence des attitudes et des politiques discriminatoires. 

La menace qui pèse sur le multilatéralisme 

Le principe du multilatéralisme est aujourd’hui gravement menacé. En plus de risquer de mettre à rude épreuve les limites de la solidarité internationale, la réponse à la COVID-19 et la récupération de ses effets sur le long terme nous amènent à nous interroger sur les systèmes commerciaux mondiaux interconnectés et les mouvements de personnes qu’ils engendrent, qui ont souvent été considérés comme allant de soi dans l’ère de l’après-guerre froide. Plus généralement, il a été constaté au cours la dernière décennie une forte baisse de la confiance dans l’efficacité des institutions internationales (due en partie à l’impact de la crise financière mondiale de 2007-2008) et dans la capacité de la coopération multilatérale à résoudre les problèmes contemporains, associée à une volonté croissante de certains gouvernements de discréditer activement les institutions internationales. Paradoxalement, cela intervient précisément au moment où le besoin de coopération internationale est plus fort que jamais face à un nombre toujours plus important de « problèmes sans passeports », comme les a décrits Kofi Annan, le dernier président de The Elders. 

En matière de paix et de sécurité, l’enthousiasme de certains gouvernements occidentaux à poursuivre le changement de régime par des interventions militaires en dehors des auspices des Nations Unies, notamment en Irak en 2003 et dans une moindre mesure en Libye en
2011, a renforcé la méfiance entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (P5). Cela a contribué à la réticence de certains membres du P5 à fournir à la communauté internationale les outils dont elle a besoin pour réduire et résoudre les conflits. Au lieu de cela, ils ont bloqué les résolutions sur les conflits de la Syrie jusqu’au Sud-Soudan, même lorsqu’il était désespérément nécessaire de mettre fin aux atrocités de masse. Le problème a été aggravé par la volonté croissante de certains membres du P5 à adopter des positions en violation flagrante du droit international, par exemple en participant à l’acquisition territoriale par la conquête militaire ou en la reconnaissant, comme en Crimée ou sur le plateau du Golan. Les propositions américaines de janvier 2020 pour le conflit israélo-palestinien semblent approuver et encourager une annexion bien plus large des territoires occupés par Israël, en violation du droit international bien établi. 

Le déclin de l’engagement en faveur de la coopération internationale face à la menace d’un conflit nucléaire est tout aussi préoccupant. De plus en plus, les membres du P5 s’engagent pour la forme à poursuivre le désarmement de bonne foi en vertu de l’Article VI du traité de non-prolifération (TNP), tout en initiant de coûteux programmes de modernisation nucléaire qui impliquent le maintien des arsenaux nucléaires pour les décennies à venir. L’expiration du traité sur les FNI en 2019 n’est qu’un exemple alarmant de la politique de la corde raide appliquée au nucléaire. Le désengagement doctrinal progressif de certains membres du P5 vis-à-vis de la déclaration de Reagan et Gorbatchev en 1987 affirmant qu’« une guerre 

nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée » est une indication particulièrement inquiétante de l’érosion de l’objectif commun des puissances nucléaires visant à éliminer cette menace existentielle pour l’humanité. 

Cette insuffisance du sens de l’objectif commun se manifeste également dans le domaine du changement climatique, malgré l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris sur le changement climatique. En dépit de la regrettable décision des États-Unis de se retirer de l’Accord de Paris, les engagements pris par les gouvernements à travers leurs Contributions déterminées au niveau national (CDN) restent insuffisants pour faire face à l’urgence de la menace climatique et pour maintenir l’augmentation moyenne de la température mondiale en dessous de 

1,5 degré Celsius. De nombreux gouvernements échouent à tenir les engagements, même les plus modestes, qu’ils ont volontairement pris dans le cadre de l’Accord de Paris pour réduire les émissions nettes de carbone. La pandémie de COVID-19 risque d’aggraver cette situation si les pays, au lieu de s’engager sur la voie d’une relance résiliente et soucieuse du climat, s’obstinent à réaliser des gains économiques à court terme par la déréglementation environnementale et la poursuite des investissements dans la production d’énergies fossiles. 

Le système commercial multilatéral a également été sérieusement mis à mal ces dernières années, à mesure que les idéologies protectionnistes gagnaient en popularité et que certains gouvernements remettaient de plus en plus en question l’opportunité de disposer d’un système international de gestion du commerce mondial fondé sur des règles. Le conflit entre les États-Unis et la Chine en a été la manifestation la plus visible et la plus dommageable sur le plan économique, mais il est également vrai que le refus des gouvernements à transiger sur des intérêts nationaux étroits a entravé la coopération commerciale mondiale sur une période beaucoup plus longue, ainsi que l’a démontré l’échec du cycle de négociations commerciales de Doha pour le développement au cours des deux dernières décennies. La décision des États- Unis de bloquer la nomination de nouveaux juges au sein de l’Organe d’appel de l’OMC, ainsi empêché de fonctionner depuis décembre 2019, a d’importantes répercussions sur la coopération commerciale mondiale. La pandémie de COVID-19 a également précipité les mesures protectionnistes de nombreux pays, dont certains ont, par exemple, interdit l’exportation de matériel médical, sapant ainsi la réponse mondiale à la pandémie. 

Il a néanmoins été possible de protéger certains accords commerciaux multilatéraux malgré la pression protectionniste. L’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) entre les États- Unis, le Mexique et le Canada de 1994 a profité à l’industrie, aux travailleurs et aux consommateurs des États-Unis ainsi qu’à ceux de leurs voisins du nord et du sud. Malgré la décision des États-Unis de se retirer de l’ALENA, l’USMCA (accord États-Unis-Mexique-Canada) de 2018, renégocié, préserve largement les éléments clés de ses prédécesseurs. Cela prouve qu’une diplomatie habile peut défendre les acquis et les principes du multilatéralisme, qui sera encore plus nécessaire pour que le monde se relève de la COVID-19 et puisse s’attaquer simultanément à certains des principaux problèmes mondiaux auxquels l’humanité sera confrontée dans les années à venir. 

Le déclin de la foi dans la mondialisation 

Les raisons du déclin de l’engagement de nombreux gouvernements vis-à-vis de la coopération multilatérale sont multiples et complexes. Sans nul doute, la crise financière mondiale de 2008 et ses effets négatifs ont contribué à saper la confiance du public dans la 

mondialisation économique, en particulier dans les pays industriellement développés du Nord où les classes moyennes, qui constituent un électorat important, se sont senties « prises à la gorge ». Dans certains cas, le public a fait un amalgame avec le multilatéralisme en général, car certains dirigeants ont avancé des solutions et des scénarios simplistes pour restaurer la supériorité nationale, plutôt que de s’attaquer aux causes complexes et interdépendantes des problèmes sociaux et économiques contemporains. 

Dans le même temps, de nombreuses régions du monde, l’Asie en particulier, ont connu une croissance économique spectaculaire ces dernières années, tirant profit des opportunités offertes par la coopération commerciale multilatérale et par la mondialisation. Cela a donné lieu à une augmentation exponentielle des classes moyennes mondiales, à une amélioration sans précédent des niveaux de vie et à une baisse significative de l’extrême pauvreté dans de nombreux pays. Bien que les conséquences à long terme de la COVID-19 soient très incertaines, il est au fond très peu probable qu’elles inversent ces gains économiques. 

Le changement technologique s’est avéré un puissant facteur dans cette amélioration des niveaux de vie à l’échelle mondiale. Mais la cadence et la nature des changements futurs ont de graves conséquences pour les travailleurs, les consommateurs et les citoyens du monde entier, qui, si elles ne sont pas gérées de manière responsable, pourraient affaiblir encore davantage la confiance dans un système mondial fondé sur des règles, ainsi que son efficacité. Dans de nombreuses régions du monde, l’impact de l’Intelligence Artificielle (IA) et l’automatisation du travail constitue sur le long terme un défi bien plus sérieux pour l’avenir de l’emploi que le déplacement de la production dans des usines à l’étranger ou qu’une concurrence commerciale accrue. Cela souligne la nécessité d’une coopération mondiale afin de veiller à ce que les développements technologiques servent les intérêts de l’humanité. Il est toutefois plus facile pour les dirigeants politiques d’encourager les gens à penser que leur emploi a été injustement volé par d’autres – que ce soit par des immigrants, des pays étrangers ou de sombres élites mondiales – que de reconnaître que l’évolution technologique modifie considérablement la nature de la main-d’œuvre et rend moins utiles, voire obsolètes, de nombreuses compétences autrefois précieuses. 

D’importants efforts ont été déployés pour réduire le blanchiment d’argent par le biais de mécanismes multilatéraux, tels que le Groupe d’action financière. Mais des efforts multilatéraux encore plus importants sont également nécessaires pour s’attaquer à l’évasion fiscale des entreprises technologiques ultra rentables, qui sont de plus en plus nombreuses et qui peuvent facilement déplacer leurs profits pour échapper à l’impôt. Ces pratiques affaiblissent le tissu social et ont un effet délétère sur les normes fiscales. Elles ne peuvent être empêchées que par une coopération accrue entre les États, à l’image du cadre inclusif OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS), pour lutter contre l’évasion fiscale et améliorer la cohérence des règles fiscales internationales. 

Dans le contexte de la COVID-19 en particulier, et à la lumière de la crise financière mondiale de 2008, grandement favorisée et amplifiée par une insuffisance de coopération macroéconomique entre les plus grandes économies, une coopération multilatérale sera essentielle au maintien de la stabilité économique mondiale à long terme. Sans une coopération économique soutenue, coordonnée par un ensemble d’institutions multilatérales, notamment le G20 et les organisations multilatérales régionales, la relance 

mondiale à long terme après la pandémie sera très probablement confrontée à bon nombre des mêmes problèmes que ceux qui ont suivi la crise financière. 

La conclusion évidente est que la stabilité économique mondiale passera par une plus grande coopération multilatérale, et non le contraire. Dès lors que certaines entreprises multinationales, en particulier dans le secteur des hautes technologies, ont davantage de pouvoir économique et ostensiblement plus d’influence politique que certains États-nations, il n’est peut-être pas surprenant qu’elles fassent pression pour obtenir un cadre réglementaire minimal. En revanche, une économie mondiale mal gouvernée risque d’avoir de moins bons résultats à long terme, quels que soient les bénéfices à court terme, et d’être beaucoup plus vulnérable aux futures crises économiques et à l’instabilité politique. 

Pourquoi le multilatéralisme importe 

Éviter les conflits 

Les Nations Unies et d’autres institutions multilatérales ont été créées après 1945, précisément en réaction aux ravages causés par la Seconde Guerre mondiale et grâce à la détermination des dirigeants mondiaux à empêcher que de telles destructions ne se reproduisent. Comme l’a exprimé le regretté secrétaire général des Nations Unies Dag Hammarskjöld, « Le but de l’ONU n’est pas d’emmener l’humanité au paradis, mais de lui éviter l’enfer ». Cette détermination à réduire la menace de conflits a également été l’une des principales motivations de l’intégration européenne progressive depuis les années 1950, et de la création de forums multilatéraux tels que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). 

On pourrait aujourd’hui facilement sous-estimer l’incidence des institutions multilatérales sur l’évitement de conflits mondiaux ces 75 dernières années. Par exemple, bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies fasse l’objet de lourdes critiques (souvent justifiées) pour son inaction apparente, il a également servi de forum important pour le dialogue entre les pays les plus puissants sur les questions de paix et de sécurité mondiales les plus urgentes, par exemple lors de la crise des missiles de Cuba en 1962, alors que le monde était véritablement au bord de la guerre nucléaire. Lorsque le Conseil de sécurité parvient à un consensus, ses décisions ont un poids moral et un impact qui vont bien au-delà de ceux de tout pays agissant unilatéralement. 

On pointe souvent les échecs les plus tragiques du Conseil de sécurité des Nations Unies à empêcher les atrocités de masse, le Rwanda, Srebrenica et la Syrie étant parmi les exemples les plus douloureux. Pourtant, dans de nombreux autres cas, comme en Sierra Leone et au Timor oriental, les missions de maintien de la paix des Nations Unies ont joué un rôle crucial dans la résolution des conflits ou dans la prévention de la rupture de fragiles cessez-le-feu. L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a joué un rôle essentiel et vital dans la gestion des conséquences des conflits, en protégeant des millions de réfugiés dans le monde et en pourvoyant à leurs besoins essentiels. 

Dans le cas de la menace d’une conflagration nucléaire, les efforts multilatéraux tels que le traité de non-prolifération (TNP) ont été efficaces pour réduire et gérer la menace et empêcher la prolifération des armes nucléaires. Seul un accord multilatéral est à même de 

contrôler efficacement les matériaux et les technologies nucléaires, soulignant l’urgente nécessité d’une action multilatérale face à l’évolution et à la montée des menaces de dévastation nucléaire, que ce soit par une action délibérée ou autre. 

Réagir aux menaces communes 

La coopération multilatérale joue également un rôle essentiel pour faire face aux menaces communes lorsque l’action nationale s’avère insuffisante. Les efforts de lutte contre les maladies en sont un exemple instructif. Dans les cas de l’épidémie de SRAS en 2003 et des épidémies d’Ebola en Afrique de l’Ouest ces dernières années, les organisations internationales ont apporté une contribution essentielle pour finalement contenir les épidémies et prévenir des conséquences mondiales potentiellement dévastatrices. L’importance de la coopération internationale est également évidente dans la réussite des efforts de vaccination contre la variole et la polio. 

Le rôle crucial de l’OMS et d’autres organisations dans la prévention des pandémies est apparu clairement dans la réponse à la COVID-19. Il est essentiel que les pays soutiennent le travail de l’OMS et lui fournissent le financement nécessaire pour mener à bien ses activités, notamment en appliquant les recommandations du Conseil mondial de suivi de la préparation (GPMB) pour lutter contre la COVID-19. Il est également fondamental que les pays ne discréditent pas ou ne limitent pas le travail de l’OMS en poursuivant d’étroits intérêts nationaux. L’OMS devrait plutôt être à même de travailler au nom du monde entier, en agissant uniquement sur la base des meilleures preuves scientifiques et médicales disponibles. 

L’impact de l’épidémie de grippe de 1918 illustre les conséquences possibles en cas d’absence ou de rupture de la coopération internationale. Exacerbée par la malnutrition, l’insalubrité et les vastes mouvements de population provoqués par la Première Guerre mondiale (elle- même résultant d’une rupture catastrophique des relations internationales), la propagation de l’épidémie a probablement aussi été facilitée par l’absence d’institutions internationales efficaces. L’incapacité à contenir la pandémie a finalement entraîné en l’espace d’une année bien plus de décès dans le monde qu’il n’y en a eu sur le champ de bataille durant toute la Première Guerre mondiale. Cela témoigne des conséquences imprévisibles et souvent extrêmes qui peuvent résulter de l’échec de la coopération, ce qui s’est encore manifesté dans les défis auxquels la communauté internationale a été confrontée dans sa réponse à la COVID-19. 

Préserver une planète durable 

La crise climatique est une menace existentielle pour l’humanité. Le rapport du GIEC de 2018 expose les conséquences dévastatrices d’une augmentation de la température moyenne de plus de 1,5 degré. Pour rester en dessous de ce niveau, une coordination intensive et sans précédent entre les gouvernements, le secteur privé et la société civile sera indispensable. 

Cette menace globale ne peut être résolue qu’au travers d’’une coopération internationale, car même les pays qui émettent le plus de carbone seront incapables de stopper leurs émissions globales en agissant unilatéralement. De plus, même s’il est probable que les impacts les plus graves concerneront les pays les plus pauvres et ayant historiquement le 

moins contribué au changement climatique, les effets seront ressentis par tous. Outre les effets climatiques en eux-mêmes, il faudra compter avec la probabilité que le changement climatique contribue à amplifier ’instabilité, les conflits et les flux de réfugiés et de migrants au cours du siècle à venir. 

L’Accord de Paris sur le changement climatique a constitué une avancée importante au niveau des États-nations. Les processus multilatéraux distincts sur la biodiversité et les océans sont également des aspects cruciaux de la réponse mondiale aux menaces environnementales. Les processus multilatéraux peuvent en outre être utiles pour coordonner la réglementation mondiale des développements technologiques conçus pour contribuer à prévenir le changement climatique et à limiter ses impacts, et pour faciliter l’introduction de nouvelles technologies au niveau mondial. 

Toutefois, l’une des évolutions les plus notables en matière de lutte contre le changement climatique a été la prolifération croissante des coalitions multilatérales non gouvernementales, notamment au sein des collectivités locales, du secteur privé et de la société civile. Dans un monde de plus en plus interconnecté, où les gouvernements échouent à se mettre d’accord sur une action internationale collective, il est de plus en plus évident que de nombreux citoyens ont la volonté d’agir par eux-mêmes. Non seulement le monde doit progresser plus rapidement vers des émissions nettes à zéro carbone d’ici 2050, mais les pays doivent également prévoir une économie circulaire et la réduction des déchets. Avec ses 

17 Objectifs de Développement Durable, l’Agenda 2030 montre la voie, mais il doit être mis en œuvre beaucoup plus sérieusement, et les gouvernements doivent à présent considérer leurs engagements volontaires dans le cadre de l’Accord de Paris comme un minimum essentiel face aux dernières preuves scientifiques. 

Renforcer la société civile et les droits humains 

Plus largement, la croissance du multilatéralisme non gouvernemental s’est traduite par une augmentation remarquable de l’ampleur et de l’influence des alliances transfrontalières de la société civile au cours des dernières décennies. La promotion des droits humains illustre l’importance de l’impact de ces alliances transfrontalières, conduisant au développement d’un mouvement de défense les droits humains intégrant des organisations de terrain dans toutes les régions du monde. L’essor d’internet a été un facteur important, créant un monde beaucoup plus interconnecté, qui a facilité le développement et la mobilisation des réseaux mondiaux de militants et de citoyens engagés. Cela souligne également l’importance de l’internet en tant que bien commun mondial essentiel, qui doit être protégé par une coordination multilatérale. Le rapport de 2019 du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur la coopération numérique a formulé des recommandations importantes à cet égard, tout comme le rapport de 2019 sur l’intégrité électorale à l’ère numérique de la Fondation Kofi Annan. 

Il ne fait aucun doute que l’architecture multilatérale existante des droits humains a eu un impact normatif important, en contribuant à l’élaboration de principes communs et en demandant des comptes à certains des États qui violent le plus gravement les droits de leurs citoyens. Il convient de souligner que, plus de 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ce document conserve un incroyable pouvoir d’inspiration et de mobilisation pour de nombreux citoyens. L’essor des mouvements de la société civile 

mondiale reste une piste prometteuse pour renforcer la coopération mondiale à l’avenir. Aujourd’hui, les écoliers, les jeunes, les femmes et ’autres groupes se mobilisent pour exiger des mesures contre le changement climatique. Étant donné le court délai restant pour réduire drastiquement les émissions globales, il est probable que cette mobilisation ira en s’intensifiant. 

L’avenir du multilatéralisme 

Sur certaines questions importantes, telles que la mise en œuvre des Objectifs de Développement Durable, il est à prévoir que des formes plus décentralisées de coopération internationale s’avèrent efficaces pour mobiliser les citoyens et les sociétés du monde entier à agir. Il est également urgent de renforcer la présence et l’efficacité des organisations multilatérales régionales afin d’atténuer les tensions sécuritaires et sectaires dans des régions telles que le Moyen-Orient. Toutefois, sur de nombreuses questions multilatérales, il demeurera que rien ne pourra se substituer à une collaboration mondiale entre les États- nations, la COVID-19 constituant l’exemple le plus immédiat et le plus convaincant. 

Dans ce processus, il n’est pas nécessaire d’édicter trop de règles quant aux formes que devrait prendre le multilatéralisme. Tout mécanisme et toute institution qui ne reflètent pas, dans une certaine mesure, les intérêts des pays les plus puissants comme des plus petits présentent peu de chances de réussir sur le long terme. Pour le système international au sens large, il faudra faire preuve de flexibilité et ne pas considérer que les mécanismes mis au point 75 ans plus tôt, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, devront être conservés intacts, dans leur forme actuelle, à perpétuité. Cela sera particulièrement vrai lorsque les pays s’adapteront au monde post-COVID-19, qui sera probablement confronté à de nouveaux défis nécessitant des réponses multilatérales innovantes, alors même que l’urgence à répondre aux menaces aiguës préexistantes du changement climatique et des conflits nucléaires n’aura pas diminué. 

Traiter ces questions efficacement et développer un nouveau consensus sur la coopération multilatérale sera probablement un processus lent, ardu et parfois démoralisant pour les défenseurs du multilatéralisme. Mais l’importance est trop grande et les enjeux sont trop considérables pour que cela puisse attendre. Le multilatéralisme ne peut être efficace qu’avec le consentement des citoyens ordinaires du monde entier et de leurs gouvernements, et ce n’est qu’au travers du multilatéralisme que le monde sera capable de relever les immenses défis auxquels nous serons confrontés au cours du XXIe siècle. 

À propos de The Elders 

The Elders est un groupe de dirigeants indépendants qui utilisent leur expérience commune afin d’influencer la paix, la justice et les droits de l’Homme dans le monde. Le groupe a été fondé par Nelson Mandela en 2007. 

The Elders est constitué de Ban Ki-moon (Vice-président), Lakhdar Brahimi, Gro Harlem Brundtland, Hina Jilani, Ricardo Lagos, Graça Machel (Vice-présidente), Mary Robinson (Présidente) et Ernesto Zedillo. 

Martti Ahtisaari, Ela Bhatt, Fernando Henrique Cardoso, Jimmy Carter et Desmond Tutu sont des membres honoraires du groupe The Elders. 

Kofi Annan (1938-2018) était un membre fondateur du groupe The Elders, ainsi que son Président entre 2013 et 2018. 

document: Theelders.org

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photo DR

membres:

  • Ban Ki-Moon, ancien secrétaire général des Nations unies
  • Ellen Johnson Sirleaf, ancienne Présidente du Liberia, Prix Nobel de la Paix
  • Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique
  • Graça Machel, ancienne ministre de l’Éducation et de la Culture du Mozambique, veuve du président mozambicain Samora Machel et troisième épouse de Nelson Mandela
  • Gro Harlem Brundtland ancienne Première ministre de Norvège
  • Hina Jilani, avocate des droits de l’Homme au Pakistan
  • Juan Manuel Santos, ancien Président de Colombie, Prix Nobel de la Paix
  • Lakhdar Brahimi, ancien homme politique algérien et représentant de la Ligue arabe et de l’ONU
  • Mary Robinson, ancienne Présidente de l’Irlande et ancien haut-commissaire du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, présidente du groupe
  • Ricardo Lagos, ancien président du Chili
  • Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, ancien Haut-commissaire des Nations-unies aux droits de l’homme

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FAUT-IL SUPPRIMER LES CHAÎNES D’INFO EN CONTINU ?

David Medioni

07/01/2021

Avec 35 millions de téléspectateurs mensuels, CNews, deuxième chaîne d’information du pays, est devenue incontournable. Le tout grâce à une stratégie bien précise : l’occupation d’un espace politique à la droite de l’échiquier et le culte du clash. CNews est-elle devenue la Fox News à la française ? Et comment le succès de CNews entraîne une « foxisation » de l’ensemble des chaînes infos françaises ? 

« Qui ment le plus : les médias, Trump ou les deux ? » : Christine Kelly, ancienne « sage » du CSA, animatrice vedette de la chaîne CNews, tweete ce sondage quelques heures avant de prendre l’antenne. De quoi alimenter son « Face à l’info » du jour diffusé quotidiennement sur CNews dans laquelle Éric Zemmour a son rond de serviette. Le thème : « États-Unis : les médias ont-ils fait l’élection ? » Et le polémiste en chef d’expliquer doctement que « oui, les médias américains ont fait l’élection et ont censuré le pouvoir en coupant le micro de Donald Trump ». Il ajoute : « Dans le Wisconsin, il y a des choses étranges, j’ai regardé. À un moment donné, les assesseurs se sont arrêtés quatre heures. Quand ils ont repris, il y avait 139 000 bulletins Biden, 0 pour Trump, c’est étrange. C’est la même chose dans le Michigan. » Kelly l’interrompt : « Quelle source ? » Embarras de Zemmour : « Euh, je ne sais pas, des journaux, je les ai, je vous les donnerai après car, sinon, ça va pourrir le débat. » Il enchaîne : « Je n’ai pas de preuves, mais ce que je dis, c’est que les médias ne se sont pas intéressés à cela. Ils ont fait le choix de Biden. C’est grave pour la démocratie. » Quelques instants plus tard, il lance : « Vous savez bien de toute façon qu’en France comme aux États-Unis les rédactions sont toutes de gauche[1]. »

Quelques semaines auparavant, des journalistes comme Gérard Carreyrou, Jean-Louis Burgat, Marc Menant et Philippe Bilger s’intéressaient au projet de loi contre le séparatisme. « Il manque un volet immigration dans ce texte », jugeait Gérard Carreyrou. Dans la même semaine, comme chaque jour, à 9 heures du matin, c’est « L’Heure des pros ». Elle revient même une seconde fois dans la journée, à 20 heures, pour « L’Heure des pros 2 ». Et, chaque jour, Pascal Praud donne son point de vue. « Mais arrêtez de citer leurs noms, ces gens ne représentent rien ni personne. Qui lit encore Libération ? Nous, nous sommes regardés par des millions de téléspectateurs » : l’ancien journaliste sportif de Téléfoot éructe. Quelques minutes plus tard, le même vilipendera la « dictature sanitaire » qui conduit le gouvernement à imposer un couvre-feu et à « avoir peur de tout ». D’ailleurs, Pascal Praud se vante à longueur d’émission d’être celui qui dit « tout haut ce que l’on ne peut plus dire ». 

Complotisme bon teint, informations non sourcées, flirt contrôlé mais réel avec les idées de l’extrême droite, la deuxième chaîne d’information de France a choisi un créneau éditorial bien précis. Comment en est-on arrivé là ? Comment l’ex-iTélé est-elle devenue une sorte de Fox News à la française ? Enfin, comment CNews a-t-elle entraîné dans son sillage les autres chaînes d’information ?

Pour comprendre le basculement, il faut d’abord remonter à 2016. À cette époque, Vincent Bolloré vient d’acquérir le groupe Canal+. Il prend logiquement la main sur la chaîne d’information iTélé. Si elle jouit d’un certain succès d’estime et qu’elle apparaît par rapport à sa concurrente BFM-TV comme étant la plus « sérieuse » sur la qualité de l’information, iTélé perd alors quelque quarante millions d’euros par an. C’est trop. Deux axes principaux sont fixés pour transformer la chaîne : réduire les coûts de fabrication et faire d’iTélé une chaîne de débats et d’opinions. Le but ? Doubler l’audience et si possible gagner de l’argent. 

I – LE CLASH COMME OUTIL 

Sur le premier axe, les choses n’ont pas traîné. Quatre-vingts journalistes quittent l’entreprise, soit la moitié des effectifs de la rédaction. « Cela coûte moins cher de diffuser des débats que de faire de l’information, du terrain, du reportage », analyse un ancien d’iTélé parti au moment du changement de propriétaire. Sur le second axe, pour doubler l’audience, la chaîne a su conserver des têtes d’affiche comme Laurence Ferrari, par exemple, mais aussi faire venir des personnalités comme Jean-Pierre Elkabbach, Éric Zemmour, Pascal Praud ou encore Christine Kelly. « L’habileté des nouveaux dirigeants de la chaîne a été d’installer des figures bien connues des téléspectateurs pour animer des débats avec des personnalités classées à droite, voire à l’extrême droite », juge un ancien rédacteur en chef de la chaîne. Sur les intervenants réguliers, la liste est parlante : le Rassemblement national, Valeurs actuellesCauseur ou Boulevard Voltaire sont très représentés. Thierry Mariani, Jean Messiha, Ivan Rioufol, Gilles-William Goldnadel, Jean-Claude Dassier, Philippe Bilger, Charlotte d’Ornellas ou encore Guillaume Bigot, Gabrielle Cluzel, Eugénie Bastié, Ludovine de la Rochère et évidemment Éric Zemmour, condamné trois fois pour incitation à la haine raciale, sont des habitués. 

Des éditorialistes « bons clients » qui assurent le spectacle et surtout le clash. Car c’est bien là la logique de la chaîne : faire en sorte que le clash arrive et que le téléspectateur soit attiré par cette invective permanente. Dans le dispositif des plateaux sur CNews, tout est fait pour que « l’invité qui vient avec des années d’études sur un sujet soit confronté à l’argument de “bon sens” du polémiste [et] va ajouter un chiffre ou un exemple historique, et ça fait “match nul” au mieux »confie à la Fondation Jean-Jaurès le sociologue des médias François Jost[2], auteur de Médias : sortir de la haine ? aux éditions du CNRS[3]. Au fond, la culture de « l’engueulade, c’est pour faire comprendre au téléspectateur que la politesse est hypocrite et que le dispositif de l’émission, lui, est totalement transparent », détaille encore François Jost. Pour lui, cette façon de « s’invectiver et de se disputer de façon surjouée est un moyen pour les intervenants de la chaîne de montrer aux téléspectateurs qu’eux ne sont pas dans l’apparence et ne sont donc pas à la solde du pouvoir ». 

François Jost va même plus loin. « Dans la mécanique CNews, le rôle dévolu au présentateur est crucial. C’est lui qui doit porter la parole du quidam et montrer la colère du peuple ou la colère des gens que l’on n’entend jamais, comme ils disent. Cela est très pernicieux, il sort de son rôle pour venir mettre de l’huile sur le feu. » Difficile de lui donner tort tant les exemples sont légion. « Il faut être répressif, il faut de la vidéo partout ! En France tu ne peux pas sortir dans la rue sans risquer ta vie ! », jurait ainsi Pascal Praud avant le démarrage d’un débat sur l’ensauvagement réel ou supposé de la France. « C’est l’un des exemples. Les animateurs cadrent la sémantique du débat et en fixent le périmètre de la façon suivante : cet événement est scandaleux, non ? », confirme François Jost. 

II – FOX NEWS COMME MODÈLE 

Clairement, cela correspond à une forme bien précise de télévision. Celle inventée outre-Atlantique par Fox News fondée par Rupert Murdoch en 1996. Au moment de sa naissance, Rupert Murdoch installe la chaîne pour notamment s’insurger contre ce qu’il appelle la mainmise du Parti démocrate sur les médias américains. Il parle alors d’une information « fair and balanced » (juste et mesurée). Rupert Murdoch pressent avant de nombreux analystes qu’une partie du spectre idéologique américain est délaissée, ce qui constitue une niche marketing nouvelle que va occuper Fox. C’est Fox News qui inventera les couleurs criardes à l’antenne et qui popularisera les bandeaux en bas de l’écran. C’est à Roger Ailes, le stratège de la campagne de Richard Nixon en 1968, que Murdoch confia alors le soin de créer « l’esprit Fox News ». Cet ultra-conservateur a fait de la Fox une entreprise très prospère qui génère près d’un milliard de dollars de revenus par an, soit un cinquième des revenus de la holding21st Century Fox. Pour de nombreux analystes américains, comme le journaliste de Vanity Fair, Gabriel Sherman, Roger Ailes et Fox News, par leur travail incessant de boucle d’informations et de débats thématisés, ont largement contribué à façonner parfois de façon déterminante le débat national en promouvant, par exemple, l’invasion de l’Irak en mars 2003, en favorisant l’émergence du Tea Party ou encore en alimentant la théorie du complot autour du certificat de naissance du président Barack Obama. Dans le documentaire Outfoxed : la guerre de Rupert Murdoch contre le journalisme, sorti en 2004, le journaliste d’investigation Robert Greenwald (qui a été à l’origine des révélations Snowden) documentait de façon précise la façon dont l’information était fabriquée à la Fox : surveillance des opinions des employés, politique du « mémo » interne intimant aux journalistes le traitement de leurs sujets, dispositif sensationnaliste, choix de consultants amis, valorisation quotidienne de Donald Trump, stigmatisation des homosexuels et des leaders communautaires, diabolisation des « antiguerre ». 

Des méthodes qui ne sont pas sans rappeler la description faite par Le Canard enchaîné des mœurs en cours au sein de la chaîne : « Le service police-justice de la rédaction a pour consigne d’être très réactif sur les faits divers anti-flics, les incivilités anti-Blancs. Il chasse ses infos sur Twitter, Facebook. En juillet, un mec avait préparé un off pro-migrants pour la matinale, il a été convoqué le lendemain… », raconte ainsi le palmipède[4]. 

Ainsi, comme Fox News avant elle, sous couvert de la volonté de faire entendre un autre discours supposé « fair and balanced », ce sont bel et bien certains thèmes et certaines obsessions qui sont à l’antenne de la chaîne. Défense de Robert Ménard qui affiche les caricatures de Charlie Hebdo dans sa ville de Béziers et dont Riss, directeur de Charlie, se moque ; invitation d’un agrégé de philosophie qui vient expliquer sur le plateau à quel point l’épidémie de la Covid-19 est banale et que, décidément, le gouvernement ne dit pas la vérité sur cette situation ; mise en avant par Pascal Praud du producteur du documentaire Hold-Up qui fait la part belle à la théorie du complot autour de la Covid-19 ; micro ouvert pour une clinicienne qui explique à quel point « la peur gouverne » la France sur cette question de la Covid-19 ou encore de très nombreux plateaux sur l’élection « faussée » de Joe Biden aux États-Unis. À chaque fois, le dispositif de « L’Heure des pros » – émission phare de la chaîne qui réunit chaque jour environ un million de téléspectateurs – convie trois chroniqueurs plutôt classés à droite et un dernier souvent venu du Parti communiste. Toujours des thématiques à fort potentiel inflammable : le séparatisme, la délinquance, les médias, etc. Alors que l’émission n’existait pas encore, deux titres de travail étaient en balance : « On n’est pas des bobos » et « Machine à café ». Le projet éditorial est là. Pascal Praud lui-même le confirme dans un entretien accordé au Parisien en juin 2019 : « J’ai un côté anar […], l’émission, ce n’est pas le Collège de France[5]. » Clairement, la logique choisie par CNews et particulièrement par « L’Heure des pros » est celle du peuple contre les élites. Du « on dit les choses » contre « l’hypocrisie ». 

« Cette façon de présenter le monde, de maltraiter les médias, de dire très fort que c’est ici que l’on dit la vérité est héritée de la défiance qui est montée petit à petit contre les médias. Cela vient de loin. De 1995 avec le soutien des médias au plan Juppé, de 2005 avec le soutien au traité constitutionnel européen, et plus largement à la déliquescence réelle, supposée ou souhaitée de tous les corps intermédiaires, journalistes compris », analyse François Jost. Il poursuit : « Cela a été très perceptible durant le mouvement des “gilets jaunes”. CNews a ouvert son antenne aux figures médiatiques de ce mouvement et s’est engouffrée dans la brèche la plus antisystème de cette protestation sociale. » 

III – UNE BONNE SANTÉ ÉCONOMIQUE, UNE AUDIENCE EN PROGRESSION ET DES CONCURRENTES QUI S’EN INSPIRENT

Cette mise en clash et en hystérie de tous les débats qui traversent la société, cette tribune donnée à des porte-parole d’une extrême-droitisation de la société et la façon dont CNews s’inscrit désormais dans le champ politique hexagonal sont autant un positionnement politique qu’un positionnement économique et marketing. Positionnement politique en ce sens que – selon nos informations recueillies auprès de nombreux membres de la rédaction sous couvert d’anonymat – les dirigeants de la chaîne sont convaincus que l’avenir de la politique c’est la droite de la droite et que le peuple veut entendre parler de sécurité et de lutte contre l’immigration. « Ils le disent et le font comprendre à longueur de conférence de rédaction », affirme ainsi un journaliste. Il détaille : « 20 % de l’électorat français vote pour le Rassemblement national. L’objectif de CNews aujourd’hui est de s’adresser à cette population. Peu importe ce que cela veut dire éditorialement. » 

Et c’est là que la politique, l’économique et le marketing se rejoignent. Faire de CNews une chaîne rentable avec une meilleure audience était dès 2016 l’un des objectifs. Au-delà des réductions de coûts, il fallait évidemment faire progresser l’audience et engranger des recettes publicitaires importantes. Et, pour cela, il fallait choisir un cap différenciant. D’où l’orientation politique tournée vers la droite qui permet de faire un coup double : toucher une large partie de l’électorat et se différencier des trois autres chaînes d’information qui partagent avec CNews le gâteau publicitaire dédié à ce type de télévision : BFM-TV, LCI et France Info. Sur l’année 2020, en accentuant toujours plus sa ligne éditoriale, CNews a progressé tant en audience qu’en recettes publicitaires. Sur le mois d’octobre 2020, par rapport au même mois en 2019, la chaîne enregistre une progression significative de son audience. Elle gagne un point et touche désormais, chaque mois, plus de 35 millions de téléspectateurs selon les chiffres de Médiamétrie. Sur l’ensemble de l’année 2020, la hausse moyenne de CNews s’établira, vraisemblablement, aux alentours de 0,8 point. De quoi conforter la stratégie éditoriale. L’autre point qui la confortera, c’est la bonne tenue des recettes publicitaires. Selon nos informations[6], sur l’ensemble de l’année 2020, CNews enregistrera une progression de 30 % de ses recettes publicitaires brutes. Rien que sur les mois d’août, septembre et octobre 2020, la chaîne a collecté quelque 27,2 millions d’euros de recettes contre 20 millions pour les trois mêmes mois en 2019. Cela alors même que CNews – faute de clients – ne commercialise pas les espaces publicitaires situés avant, pendant et après l’émission « Face à l’info » où officie Éric Zemmour. Performance d’autant plus remarquable dans une année 2020 qui fut compliquée pour de nombreux médias au niveau publicitaire – le média télé dans son ensemble ayant chuté de 15 % au premier semestre de l’année. 

IV – DE LA « BFMISATION » À LA « CNEWSIATION »

Des chiffres qui viennent, là encore, appuyer la stratégie éditoriale de CNews qui touche quelque 8 millions de téléspectateurs de plus que LCI chaque mois et qui se rapproche tranquillement de la solide leader BFM-TV. Au-delà du modèle Fox News et du besoin d’exister, cette volonté de différenciation, cette prise d’intervalle tournée vers une télévision du débat, du clash et de l’invective prise par CNews a modifié le paysage des chaînes d’information en France. Et c’est peu dire que ce paysage était déjà bien particulier. La France est avec l’Allemagne le seul pays au monde à offrir à ses téléspectateurs quatre chaînes d’information : LCI, CNews, BFM-TV et France info. Même aux États-Unis, pays où le format fut inventé avec CNN en 1990, il n’y a (que) trois chaînes information : CNN, Fox News et MSNBC. Cette exception française est intéressante à plus d’un titre. D’abord dans ce qu’elle dit de l’histoire politique de la télévision. 

Un retour en arrière s’impose. C’est LCI, lancée par TF1, qui a inauguré ce type d’offre en France le 24 juin 1994. Suivront ensuite iTélé (groupe Canal+) en 1999 devenue CNews en 2016, BFM-TV (NextRadio TV) en 2005 et la dernière arrivée, France info (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et Ina) depuis 2016. C’est en 2005 que le premier tournant s’opère. À ce moment-là, la TNT (Télévision numérique terrestre) naît. Les Français auront désormais accès à quinze chaînes gratuites. BFM-TV est dans les starting-blocks et le groupe Canal+ dépose le dossier pour iTélé. Les dirigeants de TF1, eux, ne pressentent pas le tournant vertigineux que va représenter la TNT gratuite et demandent que LCI se voie octroyer un canal de TNT payante. Ils s’en mordront les doigts pour finalement rapatrier après de longs débats LCI en gratuit lors d’une nouvelle attribution de fréquences par le CSA. 

Profitant de l’absence de l’historique LCI et des débuts compliqués de iTélé, BFM-TV impose un style : la priorité au direct et la mise en scène de l’actualité même quand celle-ci est plate. Avec son mordant et ses directs, BFM-TV devient rapidement leader des chaînes infos. Avec de belles réussites et aussi de belles erreurs, comme l’annonce erronée de la mort de Martin Bouygues ou, plus grave encore, comme lors des attentats de Toulouse ou bien de l’Hyper Cacher quand l’un des journalistes de la chaîne avait indiqué à l’antenne que des otages se trouvaient dans la chambre froide du magasin, les mettant ainsi en danger puisque le terroriste Coulibaly était branché sur BFM-TV. 

Ce que BFM-TV a inventé dans cette époque, c’est l’adrénaline du « breaking news », cette façon de faire du « en direct » l’alpha et l’oméga du journalisme. Avec ce positionnement, BFM-TV joue sur ce que provoque le direct, c’est-à-dire de s’imaginer qu’il peut toujours se passer quelque chose. C’est tout de même plus fort que le différé et plus fort que la fiction. L’impression d’être dans la réalité, en contact avec le monde, c’est cela qui rend accro. « La campagne électorale de 2012 se fera sur les chaînes d’info », avait même déclaré au Point, en juillet 2011, Franck Louvrier, le directeur de la communication du président de la République d’alors, Nicolas Sarkozy. 

Au tournant des années 2012, la « BFMisation » de l’information et de la vie politique est de plus en plus marquée. Plusieurs fois, Michel Rocard, ancien Premier ministre socialiste, alertera sur cette immédiateté néfaste pour la vie démocratique et politique du pays. Dans un entretien à Télérama notamment[7] : « On gouverne de moins en moins. Les raisons en sont multiples : la mondialisation, la masse des interférences, mais aussi le système médiatique et la manière dont il nous informe. Les effets pervers de l’immédiateté n’ont rien à voir avec une quelconque malignité des journalistes mais sont liés au transport instantané des messages sur la planète. Lorsqu’il se passe un événement grave dans le monde, dix mille micros sont pointés sous le menton de dix mille responsables politiques, tous sommés de répondre sur-le-champ. Ne pas répondre à un prix que la profession journalistique vous fait payer. Vous êtes “ostracisé”. En dehors de certains hommes politiques à forte notoriété (dont je fais partie, mais nous ne représentons que 2 % de l’ensemble du personnel politique), l’immense majorité a besoin de se faire connaître. La plupart se retrouvent donc en position de demandeurs. » 

C’est cet « effet BFM » qu’a également décrit le journaliste, ancien de France Culture, Hubert Huertas dans un petit livre numérique passionnant paru chez UPPR Éditions. Il résume : « Mieux vaut une connerie d’avance qu’une information en retard » et pointe dans cet ouvrage la façon dont les dérives journalistiques de la mise en scène de l’information à outrance, couplées avec la montée en puissance des réseaux sociaux, a aussi entraîné une forme « d’appauvrissement du débat public pour entraîner une BFMisation de la société ». 

En devenant leader, BFM-TV a préempté le créneau du direct. Sa concurrente iTélé n’ayant jamais pu l’égaler sur ce créneau, elle a perdu du terrain. Et de l’argent. Jusqu’à ce que Vincent Bolloré prenne la main sur le groupe Canal+ et décide de positionner CNews sur le créneau Fox News. « Pour faire une chaîne d’information qui rassemble des téléspectateurs, il y a deux recettes, le direct total comme sur BFM-TV, ou alors faire du débat et du clash », résume un grand patron de chaîne[8]. Et d’ajouter « Quand Alain Weill et le groupe NextRadio TV ont relancé la radio RMC, c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont choisi d’ouvrir le micro aux auditeurs, de mettre à l’antenne “Les Grandes Gueules”, le “Moscato Show” et toutes ces émissions où le clash est roi. Toutes les radios avec plus ou moins de succès lui ont ensuite emboîté le pas pour ne pas perdre trop d’audience. C’est exactement ce qu’est en train de faire CNews. C’est la même stratégie avec une dimension politique en plus. Cela déteint également sur toutes les chaînes d’information qui recherchent des polémistes en permanence. C’est le nouveau la de notre télévision. » D’ailleurs, à la rentrée de septembre 2020, la chaîne info du groupe TF1 a ainsi recruté le polémiste de BFM-TV, Éric Brunet, qui déclarait au Point que « l’engueulade à la française devait être classée au patrimoine mondial de l’Unesco[9]. » CQFD. 

V – QUID DU CSA ? 

Reste une interrogation : comment CNews s’en est tirée jusqu’ici sans avertissement du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). « On sait bien qui ensauvage, qui agresse, qui vole, ce sont à 99,9 % des gens des enfants de l’immigration maghrébine et africaine. » Cette saillie du 31 août 2020 d’Éric Zemmour à l’antenne de « Face à l’info » n’a toujours pas été sanctionnée d’un avertissement ou d’une mise en demeure de la part du gendarme de l’audiovisuel. Ce dernier a choisi de transmettre la séquence à un rapporteur indépendant qui choisira de transmettre ou non au procureur de la République. De facto, depuis le 3 décembre 2019, le CSA n’a pas bougé alors que des signalements ont été remontés. Cette fois-là, c’était sur une sortie d’Éric Zemmour qui s’était déclaré aux « côtés du général Bugeaud dans la torture en Algérie[10] ». L’atonie du CSA est d’autant plus étonnante que CNews (qui était alors iTélé) a – comme toutes les chaînes de télévision qui se voient accorder un canal de diffusion – signé avec le Conseil une convention qui fixe son cahier des charges. Elle stipule : « l’éditeur veille à respecter les différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses, à ne pas encourager de comportements discriminatoires. » Frontière certes ténue. Toutefois, un réexamen du respect de ladite convention par la chaîne pourrait être le bienvenu.

1_ Émission « Face à l’info » du lundi 9 novembre 2020.

2_ Toutes les citations de François Jost sont issues d’un entretien avec l’auteur de la note.

3_ François Jost, Médias : sortir de la haine ?, Paris, CNRS Éditions, 2020.

4_ Le Canard enchaîné, 23 septembre 2020, page 3.

5_ Carine Didier, « Pascal Praud : “J’ai un côté anar” », Le Parisien, 18 juin 2019.

6_ Informations exclusives obtenues par l’auteur de la note.

7_ Jean-Claude Raspiengeas, « Michel Rocard : “La télévision nous empêche de gouverner” », Télérama, 17 novembre 1995.

8_ Grand patron de chaîne de télé qui souhaite rester anonyme.

9_ Olivier Ubertalli, « Éric Brunet : “L’engueulade à la française doit être classée au patrimoine mondial de l’Unesco” », Le Point, 27 septembre 2020.

10_ « CNews mis en demeure par le CSA pour des propos de Zemmour », Le Point, 3 décembre 2019.

David Medioni

www.jean-jaures.org/

« Je me suis fait la guerre – ou comment être un bon Arabe en France »

À écouter et réécouter. Mille mercis à Stéphane Mercurio, à Fatma Bouvet de la Maisonneuve, à ses patients, à France Culture.

France Culture lundi 4 janvier 2021

« Je me suis fait la guerre », ou comment être un « bon arabe »

Une Expérience signée Stéphane Mercurio, réalisée par Nathalie Battus

Dans le cabinet de la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve, les patient.e.s se confient et notamment sur les discriminations auxquelles ils doivent faire face. Un miroir nous est tendu, s’y dessine notre société. Stéphane Mercurio nous restitue ces confidences et cet écho du monde.

 Depuis des années, Stéphane Mercurio assiste au débat, aux « dérapages  » autour des musulmans, impuissante et inquiète. Sans savoir comment agir sur ce réel qui se dessine avec noirceur.  

Voir ainsi se fracturer la société, provoque chez elle un grand désarroi. C’est alors qu’elle rencontre la psychiatre Fatma Bouvet de la Maisonneuve. Tunisienne mariée à un aristocrate français, cette praticienne a écrit Une Arabe en France (éd. Odile Jacob) et reçoit depuis régulièrement dans son cabinet, celles et ceux qui prennent de plein fouet le discours sur l’immigration, l’Islam… Ceux qui le vivent dans leur chair, dont « le bide se tord ». Ils viennent en urgence, minés par les insomnies, épuisés par leurs vaines tentatives d’être « parfaits »… Fatma Bouvet de la Maisonneuve les écoute avec bienveillance, prescrit parfois des antidépresseurs ou des gouttes pour dormir.  

France Culture.fr       

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’ÉMISSION

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Le futur est-il derrière nous?

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO, À PROPOS D’INFILTRATION.

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J’ai suspendu ce jour mon compte Facebook. Le réseau, versant DZ, est infesté par les « infiltrés » (« des mouches »), collaborateurs du régime en place, des suppôts. Parfois même travaillant directement avec ses « services ».

Ce que je dis là est aussi révélé par la chaîne de télé Al Awraas dans son émission d’hier.

La Issaba, gravement blessée n’a pas été achevée. Elle a réussi à se relever, à se rétablir et à revenir en force. Rappelons que le général-Major Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, gravement impliqué dans les tueries des années 90, et condamné en août 2019 par le tribunal militaire de Blida, pour « complot contre l’autorité de l’Etat », est rentré il y a deux semaines, par avion présidentiel, et salué par des officiels au bas de l’avion, à Boufarik. Il s’était réfugié en Espagne.

Pour l’heure, “The future is behind us’’. D’autres batailles sont à venir.

Hocine Aït-Ahmed

photo DR _ Hocine Aït-Ahmed_ 20 août 1926 _ 23 décembre 2015

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avec des familles de ‘disparus’ – photo DR/mur FB de Hacène Ferhati

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CLIQUER ICI POUR VOIR VIDÉO INHUMATION DE HOCINE AIT_AHMED_ DEC.2015

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1_ JE VOUS PRÉSENTE QUELQUES TEXTES DE HOCINE AÏT-AHMED

2_ SUIVIS D’UN HOMMAGE DE ABBÈS HAMADÈNE qui fut un de ses conseillers.

3_ ENFIN, QUELQUES LIENS

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER_ FRANCE_24, le 23 décembre 2015_ LA DISPARITION DE HOCINE AÏT-AHMED


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1_ QUELQUES TEXTES DE HOCINE AÏT-AHMED

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2_ TÉMOIGNAGE ET HOMMAGE AU GRAND HOCINE AIT AHMED par Abbès HAMADÈNE

De quel immense homme la mort vient de se saisir ce 23 décembre 2015 !

L’Homme qui venait de nous quitter ce 23 décembre 2015 est un titan de l’Histoire d’Algérie, il occupait une place que rien, ni personne ne pourra remplacer. On ne mesure que partiellement, très partiellement, l’immensité de cet esprit dont les frontières sont et resteront inatteignables.

Sa disparition a été vécue, par tous les Algériens, comme un deuil de famille.

De multiples et éloquentes voix ont exprimé ce que notre pays doit à cet indomptable combattant de la liberté. Liberté qui pour lui, était indissociable de la justice, la fraternité et la solidarité.

Il faudrait des dizaines de livres pour pouvoir rendre compte de l’œuvre gigantesque et du parcours révolutionnaire exceptionnel de Hocine Ait Ahmed qui, sorti à peine de l’adolescence à 21 ans, avait dirigé l’Organisation Spéciale chargée de préparer la lutte armée.

Dans un premier temps, je vais apporter un témoignage personnel à cœur ouvert avant de faire une présentation sommaire de son fascinant parcours révolutionnaire.

Ait Ahmed : Quand la modestie donne de l’éclat à la grandeur

Je connaissais et admirais cet homme, l’un des leaders les plus imminents du mouvement national, un responsable politique énorme et hors-norme. J’ai découvert l’homme, immensément charismatique, mais simple. Il n’était pas un esprit sec comme le sont souvent les hommes politiques.

Il était d’une gaité opulente et d’une courtoisie exquise. Il avait le rire facile et cultivait l’humour avec un talent singulier. Je ne me suis jamais senti mal à l’aise en sa présence. Comment pouvais-je l’être alors qu’il était toujours respectueux, compréhensif et attentionné ? Comment pouvais-je l’être, alors que je sentais qu’avec lui je pouvais parler sans craindre d’être pris de haut ?

Avec lui, j’étais comblé de prévenances. Je me demande toujours comment un homme de cette stature pouvait consacrer du temps pour prendre régulièrement des nouvelles de ma famille, de la façon la plus naturelle et la plus sincère.

Doté d’une mémoire prodigieuse et phénoménale, il ne manquait jamais de s’enquérir de l’état de santé de tel ou tel militant ou autre compatriote dont on a évoqué la maladie un ou deux mois auparavant. Authentique générosité du cœur !!!

Je garderai à jamais ces moments passionnants d’échanges avec cet homme dont la curiosité intellectuelle s’étendait à tous les domaines de la culture aussi bien algérienne qu’universelle.

Il se plaisait à évoquer l’écrivain Indien Tagore (Prix Nobel), Camus, Juvénal, Ahmed Chawki, Al Rumi ou Shakespeare dont il aimait citer des passages entiers en anglais.

Ce qui m’a marqué aussi, c’est cette écoute affinée et aiguisée avec une faculté extraordinaire à absorber les informations, à apprécier les points de vue pour enfin les analyser et les mettre en perspective. Il ne perdait pas une miette de ce qu’on pouvait lui dire. Aussi grand dans l’écoute que dans l’expression.

Je garderais à jamais ces moments passionnants de travail, de réflexion et d’échanges avec cet homme curieux de tout. Il avait gardé vivante cette fougueuse jeunesse, bonifiée par une intelligence aigue et une inébranlable sérénité.

Je le suis éternellement reconnaissant de m’avoir permis de le côtoyer et de travailler avec lui durant plusieurs années.

Son combat pour l’indépendance nationale :

En 1947, et âgé seulement de 21 ans, Ait Ahmed prend la direction de l’Organisation Spéciale chargée de la préparation de la lutte armée en remplacement de Mohamed Belouizdad.

Le 1er novembre 1954, il est l’un des 9 historiques dirigeants du FLN qui allaient déclencher la guerre de libération. Il était le fer de lance de la diplomatie algérienne et son théoricien. L’historien américain Matthew Connely écrivait : « Avant même le déclenchement de la guerre avec la France en 1954, les nationalistes algériens avaient une vision internationale du conflit qu’ils voulaient mener. Et l’homme qui développa cette stratégie s’appelle Hocine Ait Ahmed ».

L’acte fondateur de la diplomatie algérienne a été signé par Ait Ahmed et M’hamed Yazid à Bandoeng lors de la première conférence afro-asiatique en avril 1955. Cette conférence était la première victoire de la cause algérienne sur le plan international ! En effet, 29 pays reconnaissent le droit du peuple algérien à l’autodétermination.

En avril 1956, Ait Ahmed ouvre le Bureau du FLN à New-York et septembre de la même année la « Question algérienne » est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée générale de l’ONU, ce qui marque une retentissante victoire diplomatique de la cause algérienne. En octobre Ait Ahmed est arrêté en compagnie de Boudiaf, Khider, Ben Bella et Lacheraf.

De la prison, il continue de communiquer avec les dirigeants de la révolution en envoyant des études et rapports dont le plus important est consacré aux aspects politiques, juridiques, organiques et diplomatiques liés à la formation d’un Gouvernement provisoire.

Son combat démocratique après l’indépendance :

Grand acteur de l’Histoire contemporaine de notre pays, l’Histoire retiendra que Hocine Ait Ahmed fut le précurseur du combat démocratique.

A l’indépendance, le clan d’Oujda, conduit par Boumediene, Ben Bella et Bouteflika, s’empare du pouvoir par la force en s’appuyant sur l’Armée des frontières. La révolution est trahie et toutes ses structures et instances sont dissoutes au profit d’un clan, qui impose un système despotique dans lequel l’armée décide de tout.

C’est dans ce contexte de trahison du peuple et de confiscation de sa souveraineté que le FFS a été créé par Hocine Ait Ahmed soutenu par de prestigieux héros de la guerre de libération (dont le commandant Bouragâa) et des centaines d’authentiques maquisards de l’intérieur issus de différentes régions du pays.

Boumediene envoie ses troupes pour écraser la rébellion notamment en Kabylie. Refusant la guerre entre « frères», le FFS de Ait Ahmed fut obligé de se défendre dans un combat inégal avec des vrais maquisards épuisés par la guerre face à l’armée de Boumediene, composée dans sa grande majorité de militaires dont aucun n’a tiré une seule balle contre l’armée française.

Des centaines de militants sont tombés au champ d’honneur, des centaines sont arrêtés et torturés dans les mêmes locaux et avec les mêmes méthodes utilisées par Massu, Bigeard et Aussaresses.

Arrêté et condamné à mort, Ait Ahmed réussit à s’évader de la prison d’El-Harrach le 1er mai 1966.

Inlassablement, il a continué à mener son combat avec détermination, courage et lucidité en refusant toute compromission avec la dictature. Il a systématiquement refusé tous les postes qu’on lui a proposés.

Grâce à son charisme et sa clairvoyance, Ait Ahmed a joué un rôle de semeur d’idées et d’idéaux de justice et de liberté. Ses idées s’inscrivaient dans le prolongement des principes et idéaux du mouvement national, du 1er novembre et de la plate-forme de la Soummam.

Depuis 1962, il n’a jamais cessé d’alerter le monde sur les risques dévastateurs que peut engendrer la confiscation de la souveraineté populaire par le pouvoir militaire.

Comme il est terrifiant de devoir lui donner raison 57 ans après et un bilan désastreux du régime militaire !

Précurseur du combat politique et démocratique, il a contribué de façon significative à l’émergence d’une culture du pluralisme politique et culturel. L’Algérie lui doit aussi d’avoir inspiré, initié et favorisé l’éclosion du combat pour les droits de l’Homme dont il avait une idée noble et universelle.

Bien avant tout le monde, Ait Ahmed a cru et défendu une ligne politique basé sur un dialogue réunissant les voix qui prônent la sagesse et rejettent la violence. Il était convaincu que seule cette voie peut produire une dynamique de reconnaissance mutuelle des Algériens de sensibilités politiques différentes et opposées.

Il a cru également dans la capacité des Algériennes et Algériens, si la parole leur est accordée, à entamer un travail de confrontation pacifique des idées et d’élaboration collective d’alternatives démocratiques.

Ait Ahmed a été constant dans son combat pour une assemblée constituante qui ne se limite pas à une tâche technique de rédaction d’une constitution. Il s’agit de l’organisation d’une transition démocratique avec un souci majeur : Réhabiliter la souveraineté populaire confisquée depuis l’indépendance.

Le peuple algérien a vécu la mort de Hocine Ait Ahmed avec le sentiment amer d’avoir raté le grand rendez-vous avec la liberté. Désormais, depuis le 22 février 2019, la révolution populaire pacifique à travers ses slogans, ses mots d’ordre et ses revendications marche sur les traces de ce combattant qui a consacré 70 ans de sa vie à se battre pour la liberté, la dignité et les droits fondamentaux des Algériennes et Algériens.

((Je partage à nouveau avec vous ce texte avec une petite mise à jour )

Abbes Hamadène

Le 22 décembre 2020

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3_ QUELQUES LIENS:

1_ CLIQUER ICI POUR LIRE

2_ CLIQUER ICI POUR LIRE

3_ CLIQUER ICI_ UNE MINE D’INFORMATIONS

Quel déshonneur !

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Ce poème épidermique je l’ai écrit à la suite d’événements récents et des réactions nombreuses les approuvant ou les désapprouvant.(lire plus bas)

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Quel déshonneur !

Quel déshonneur que de confondre le bourreau et sa victime.

Quel déshonneur que de jeter l’opprobre sur un peuple en lutte parce qu’il ne nous ressemble pas.

Quel déshonneur que de stigmatiser un peuple colonisé au prétexte qu’il est musulman, chrétien, ou ce que vous voulez.

Quel déshonneur que de refuser d’aider les Palestiniens au motif que leurs dirigeants sont corrompus.

Quel déshonneur que d’emboucher les trompettes du colon et de s’exalter devant « la grandeur, le génie » d’Israël.

Quel déshonneur que de sacrifier sa propre mémoire et celle de ses ascendants.

Ainsi est notre humanité hélas, parfois vile.

Ahmed Hanifi

Marseille, le samedi 12 décembre 2020

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Etc.

Le rapport de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme- LADDH

(je propose cet article de El Watan, en attendant de diffuser le rapport complet de la LADDH)

À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, 10 décembre 2020

« EN ALGÉRIE, ON A FAIT UN RECUL, Y COMPRIS POUR DES TEXTES ÉLABORÉS DURANT LES SIÈCLES DERNIERS».

(LE SITE DE LA LADDH EST INACCESSIBLE EN ALGÉRIE _ CENSURÉ)

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« La LADDH rend public son rapport annuel sur la situation des droits humains : ‘‘En Algérie, on a fait un recul’’

El Watan, 09 décembre 2020 _ Par Madjid Makedhi

Le rapport annuel 2020 sur la situation des droits humains élaboré par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH aile de Hocine Zehouane) dresse un constat des plus sombres. Selon le document qui sera rendu public aujourd’hui, au moment «où le monde célèbre les droits de l’homme de la 5e génération», en Algérie le pouvoir continue de brimer les plus élémentaires d’entre eux.

«Aujourd’hui encore, à l’adresse du pouvoir politique, les militants des droits humains disent ceci : aucun discours ou programme ne peut permettre à la société de se développer sans les droits de l’homme.

Plus encore, ‘‘les droits de l’homme ou le chaos’’», précise d’emblée le rapport de la LADDH, publié à la veille de la célébration de la Journée internationale des droits de l’homme, coïncidant avec le 10 décembre.

Selon le document, «en Algérie, on a fait un recul, y compris pour des textes élaborés durant les siècles derniers». «Et si le régime continue à ne pas respecter les droits de l’homme, il aura fait le choix du chaos, qu’il assumera devant l’histoire, alors qu’ailleurs on célèbre les droits de l’homme de la 5e génération», notent les rédacteurs du rapport.

Les messages du Hirak ignorés

Rappelant l’appel de Me Hocine Zehouane à «un débat national sur les droits de l’homme» déjà fait en 2018 à l’occasion du 6e Forum sur les droits de l’homme, interdit par l’administration de la wilaya de Béjaïa, la LADDH estime que la proposition est toujours valable.

«Deux années après, et en dépit de l’avènement d’un mouvement révolutionnaire : le hirak, qui a suscité l’admiration des peuples à travers le monde entier en raison de son caractère pacifique et des très fortes mobilisations des Algériens de tout âge et à l’échelle de tout le pays où la participation des femmes a été massive et permanente, on est dans l’obligation de reprendre cette doléance dans laquelle il avait appelé à aller ‘‘vers l’agrégation de toutes les volontés’’ et, peut-être même, créer ‘‘une instance nationale avec une assise œcuménique’’», précise la même source.

«Il s’agit de se retrouver dans la matrice des droits de l’homme», appuie aussi le document. Selon le rapport, c’est la «problématique, qui se pose avec acuité, devant la dégradation de la situation des droits humains en Algérie».

Le texte relève, surtout, l’attitude du pouvoir qui a préféré ignorer les messages, pourtant clairs, du hirak pour le respect des libertés.

L’Algérie, ajoutent les rédacteurs du rapport, est loin de «construire au mieux», qui est le slogan choisi par l’ONU pour célébrer l’anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Violations de tous les droits

«En témoignent la série d’arrestations d’acteurs politiques du hirak, de blogueurs, journalistes ou même de personnes, qui commentent l’actualité nationale sur les réseaux sociaux, la fermeture de sites d’information (TSA, Maghreb Emergent, Radio M., etc.), de blogs, ainsi que l’interdiction de toutes activités, politiques et associatives, depuis le mois de décembre 2019», explique ce rapport, soulignant que l’Algérie, qui a ratifié la Déclaration universelle de 1948 au lendemain de son indépendance, ne vit pas en dehors de cette communauté internationale.

«L’adhésion quasi universelle au principe des droits de l’homme, placés sous la protection de la communauté internationale, n’est donc pas une garantie – y compris dans des Etats, qui les ont ratifiés, comme l’Algérie – contre les atteintes qui continuent à leur être portées, et que, si ces atteintes sont plus visibles que jamais – dans le cas qui nous concerne directement –, grâce à la circulation instantanée et mondialisée de l’information, on finit aussi par s’y résigner, comme à une forme de fatalité», note la LADDH.

Ce faisant, le rapport énumère la liste interminable des violations des droits, dont ceux des femmes, les libertés d’association, de réunion et d’expression ainsi la liberté de conscience qui «a même été supprimée dans le texte de la révision constitutionnelle du 1er novembre 2020».

Le rapport de la Ligue énumère également la batterie de lois liberticides sur la base desquelles sont jugés et condamnés, depuis le mois de juillet 2019, des centaines de militants et d’activistes du hirak. Il s’agit notamment des articles du code pénal, à savoir les 74, 75, 77, 78, 79, 97, 100, 144-bis, 144-bis 2, 146, 147, dont certains datent de l’époque du parti unique. »

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L’impasse budgétaire : entre déficit et opacité _ par Ahmed Dahmani

Voici une analyse proposée par l’économiste Ahmed DAHMANI

Note de l’auteur:

« Cette note traite de l’impasse budgétaire dans laquelle se retrouve le pays suite, principalement, à une gestion prédatrice et opaque des finances publiques qui ne date malheureusement pas seulement des dernières années même si ont peut noter une tendance plus forte. Le retard que j’ai pris à la publier tient au fait que je voulais tenir compte des données de la loi de finances pour 2021. « AD

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Défendre les Droits de l’homme est un honneur

POINT DE DÉPART, CETTE CONDAMNATION.

TV5 MONDE_ 26.11.2020

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Il y eut ensuite « un lâché » sur les défenseurs d’un discours de respect des Droits de l’homme, notamment sur Facebook. En réponse à un ami à la suite du tintouin autour de la Résolution du Parlement européen condamnant le Pouvoir algérien, je lui ai adressé ce texte.

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Bonjour W., excuse-moi, je vais être long.

Tu es d’accord pour dire comme moi que cette condamnation européenne rend fous tous ces médias algériens (j’ajoute le Pouvoir aussi) et que c’est voulu. Tu ajoutes « et ça marche ! ». Évidemment, ça ne peut que marcher pour la majorité du peuple. Cela fait 60 ans que la télé martèle les même slogans. Ça ne peut que marcher, surtout si on y accole des termes comme « Israël », « Palestine », « colonisation », pour brouiller les pistes tout en omettant les Ouïghours, les Kurdes… et en fermant les yeux sur la réalité interne au Bled, absolument catastrophique sur de nombreux domaines (cf. chiffres Unesco, Onu, RSF, OMS, Algeria Watch, FIDH…)

Ces médias algériens manipulent l’événement (la condamnation du Pouvoir algérien par le Parlement), car il ne s’agit pas du tout d’une ingérence (« de l’UE » disent-ils, malhonnêtes), il s’agit d’engagements non respectés par les Algériens. Ces médias créent une bulle dans laquelle s’engouffrent beaucoup d’Algériens qui n’ont hélas pas suffisamment d’information (bâillonnement de la parole libre), je ne leur en veux pas. Il y a d’autres catégories d’Algériens qui ont les moyens de la mise en perspective, qui ont les moyens intellectuels, qui voient le monde évoluer… et qui s’engouffrent dans cette bulle, dans cette manipulation pour maintenir leurs petits intérêts égoïstes, ou simplement par soutien idéologique à un pouvoir autoritaire (le même depuis des lustres) qui ordonne aux médias (et aux Algériens) de ne pas outrepasser telles et telles lignes rouges. Cette catégorie d’Algériens défend la politique anachronique de ce pouvoir algérien (qui viole sa propre constitution : notamment sur la défense des Droits fondamentaux en son préambule et en son chapitre Un du titre Deux) et dont ils reprennent l’argumentaire mot à mot, c’est leur droit absolu de soutenir l’autoritarisme, mais ils n’assument même pas. Ces gens-là soutiennent ce pouvoir corrompu car la démocratie qui fait émerger le peuple des bas-fonds et qui met à nu leurs desseins ça leur fait peur et les dérange (aussi) dans leurs petites affaires. La plupart d’entre courent ensuite se laver à la mosquée dix fois par jour et se bousculer aux premiers rangs du minbar en prenant Dieu pour ce qu’il n’est pas. Ces gens-là sont hypocrites et dangereux parce qu’ils savent. Attention je commence à partir en vrille. Il me faut m’arrêter ou freiner.

Une dernière chose quand-même cher W. : c’est une question de principes ! Si je suis attaché à la défense des Droits fondamentaux de chaque citoyen, je ne vais pas me taire (et donc les taire) parce que d’autres que moi, que je n’aiment pas, les défendent (même s’ils soutiennent Trump, l’Iran, Israël, L’Arabie saoudite, les EAU, le Maroc, la Chine et que sais-je encore, le Pape…) Je dois défendre les Droits des Algériens car je crois en ces Droits fondamentaux. Il ne faut jamais tergiverser sur les Principes. À moins de ne pas en avoir et ça c’est une autre question. Lorsqu’on a des Principes on les défend quelles que soient les circonstances (j’admets avec plus ou moins de verve c’est vrai car je ne suis pas un kamikaze non plus). Qu’on le veuille ou non la terre est ronde, ainsi que le soleil, la lune… Si un salopard me dit que la terre est ronde, que le soleil aussi et la lune idem, je ne vais pas lui dire « non c’est faux car tu es un salopard ! » je l’approuverais d’abord. Ensuite, et ensuite seulement je lui dirais qu’il est un salopard. Ces gens-là (ceux qui noient le poisson en algérie) se cachent derrière les méfaits de l’Europe, des Américains, du Pape, d’Israël… pour mieux se cacher les yeux, se boucher les oreilles et fermer la bouche (as-tu lu mon poème « Potiche » posté hier sur Facebook ?)

(Le poème, »Potiche » , est ici en fin d’article)

Je te donne un exemple : dans les années noires il y avait les assassinats islamistes et les « dérapages » (on a même parlé de planification de la terreur) de segments des forces diverses à l’ombre du Pouvoir. Il y eut entre 7.000 (reconnues officiellement) et 20.000 (LADDH) disparitions forcées. À l’époque (beaucoup moins aujourd’hui) nous dénonçaient pour « soutien aux familles des terroristes ». Il y eut des menaces, des filatures… Tu le sais peut-être, de la question des disparitions forcées j’ai fait un roman « La folle d’Alger » qui a eu un certain succès. Des années plus tard ce combat des mères, épouses, filles de « disparus » qui a été mis en lumière grâce aux soutiens des années durant par Le FFS, le PT, la LADDH, Le Parlement européen, Amnesty International, LA FIDH, Algeria-Watch…, ce combat a été officiellement reconnu (le pouvoir n’avait plus le choix), et tous les Algériens savent aujourd’hui la responsabilité de certains segments à l’ombre du pouvoir de la Issaba d’alors, et dont nombre d’entre leurs responsables sont en prison aujourd’hui. Mais la Vérité et la Justice restent hélas encore à venir. Quoi qu’il en soit, aujourd’hui, je suis fier de me regarder dans un miroir.

Le combat continue car beaucoup d’Algériens souffrent. Beaucoup d’Algériens victimes de la Hogra sont détenus car ils ont juste exprimé leur droit fondamental, celui de donner leurs opinions, un droit fondamental reconnu par la Constitution algérienne, celle-là même qui attend d’être promulguée faute de signataire. Quel comble !

Désolé pour la longueur. J’avais encore deux fois plus à dire, mais…. Une autre fois, ailleurs.

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AUTRE VIDÉO: KARIM TABBOU SUR F24 _ LE 24 NOV 2020

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Potiche

Quand ils ont arrêté l’opposant politique je n’ai rien dit

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont frappé le militant des Libertés je n’ai rien entendu

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont bâillonné le journaliste je n’ai rien vu

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils ont fait disparaître le voisin j’ai dit que je ne le connaissais pas

J’ai pensé qu’il l’avait cherché

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester

Je n’avais jamais rien fait.

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Pastiche en l’honneur de Martin Niemöller

Ahmed Hanifi, Marseille le 28 novembre 2020

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Assassinat d’un enseignant

Quels mots pour exprimer mon aversion ? Tuer (assassiner) un homme vulgarisateur de savoir, mais quelle abjection ! Samuel Paty ce professeur de 47 ans, assassiné ce vendredi 16 octobre sur le chemin de son domicile, enseignait au collège du Bois d’Aulne (Conflans-Ste- Honorine, Yvelines) l’histoire et la géographie. Il enseignait comme tous les enseignants des mêmes matières de la République, l’éducation morale et civique, le suffrage universel, le droit, l’égalité entre les citoyens, la séparation « des Églises » et de l’État, la liberté concrète de dire et d’écrire. La liberté de croire ou de ne pas croire. La laïcité c’est cela, c’est pouvoir prier, revendiquer sa foi, quelle qu’elle soit, ou revendiquer son athéisme sans aucun problème et dans le respect d’autrui et dans le cadre de la loi. Sans jamais rien imposer. L’un des objectifs est de donner à l’élève les éléments de la citoyenneté, une « conscience morale » qui lui permette de partager les valeurs humanistes et de vivre en bonne entente avec tous les citoyens.

Parfois le temps alloué à l’éducation à la citoyenneté n’est pas suffisant. J’ai moi-même été enseignant des mêmes matières (plus le français), dans un centre éducatif, et je dois dire que le temps réservé à la citoyenneté, à l’éducation morale et civique était (et demeure) ridicule. Certains élèves nécessitent plus d’attention que d’autres, donc plus d’heures pour appréhender ces questions dont certaines, plus que d’autres (croyances et mœurs), les heurtent profondément. Et ces heures sont très insuffisantes. Certains adolescents évoluent dans un environnement de grande intolérance et de violence. Un environnement d’abord familial et proche, qui n’accepte pas les différences, l’altérité. L’adolescent est confronté à des réalités, à des discours opposés. Parfois même entraîné dans le sillon de la terreur.

Rien ne peut justifier la violence. Quelle qu’elle soit. En attaquant un enseignant, on agresse le cœur de la République. On peut noter ici et là des maladresses de tel ou tel enseignant, marquer sa désapprobation, le signaler auprès de sa hiérarchie. Mais on ne peut en aucun cas se faire justice soi-même. La loi et les dirigeants sont-ils laxistes ? Faut-il bannir de France les citoyens allogènes comme le suggère à demi-mots (parfois ouvertement) l’extrême droite ? Je ne sais si la France « subit une guérilla », mais je suis écoeuré. 

Écoeuré par tous les extrêmes, religieux et profanes.

Dimanche 18 octobre 2020

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Kamel Daoud était hier sur France Culture

Cliquer sur le lien ci-dessous, pour l’écouter

http://ahmedhanifi.com/wp-content/uploads/2020/10/A-bis-_-KAMEL-DAOUD-SUR-FRANCE-CULTURE-_-17.10.2020-_-Vvideo-16-H.mp4

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5 Octobre 1988

IL Y A 32 ANS

J’ ai dédié ce poème à tous les enfants d’Octobre



5 octobre 1988, hier.



Sale temps en ce mercredi 5 dans l’œil de Satan. Lundi j’ai déposé les demandes de renouvellement des passeports à Arzew. Des rumeurs ont traversé avec insistance les rues de grandes villes comme Oran, et même chez nous autour d’Arzew. Des anonymes (qui se révèleraient être des flics ou plutôt des « agents », nous disions « khawa ») avaient prévenu « mercredi, elle va se mélanger », entendre « mercredi ce sera le désordre. » 
Et en effet, le mercredi 5, comme le jeudi et les jours suivants, le pays était « à feu et à sang » comme disaient les journalistes étrangers. Les radios et journaux, nous n’avions pas encore les antennes satellites pour capter les chaînes de télévision française. J’étais revenu de France depuis un an et demi. « Retour définitif » (il durerait 7 ans). La crise financière de 1986 semble s’être aggravée. Tous les deux ou trois ans des manifestations se déroulaient dans les grandes et moyennes villes, au point qu’en 1985 le président Chadli avait encouragé la création d’une Ligue des droits de l’homme (LADH) pour à vrai dire contrecarrer l’autre ligue créée en juin 1985 par un groupe de militants dont Maître Ali Yahia Abdennour, la LADDH issue du Mouvement berbère (MCB). Ali Yahia est arrêté dès le 9 juillet. Au sein de la ligue « officielle du pouvoir » il y avait aussi des gens sincères (qui a tué son président Maître Fethallah?) et qui voulaient s’émanciper de la tutelle officieuse du pouvoir. À Oran, Alloula en était membre ainsi que Ghouadmi, Boumediou, Henni,Dahdouh, Khadraoui, beaucoup d’autres,… et moi. 
 
 
Les dernières manifestations juste avant (et même pendant) l’explosion du 5 octobre étaient ouvrières avec les grévistes des usines de Rouiba. On était loin du  « Chahut de gamins » (comme l’avait annoncé le représentant de l’Amicale des Algériens en France, Ali Ammar)
Revenons à Oran.
 
Les locaux du FLN étaient saccagés un peu partout dans le pays. De nombreuses administrations, mairies…. avaient fermé. Il en a été ainsi jusqu’au discours du président Chadli du 10 octobre (après avoir reçu Ali Benhadj, Nahnah et Sahnoun), le jour de la manifestation à Alger noyautée par les islamistes qui avaient la veille lancé des tracts appelant à manifester. Les policiers et les militaires tirent sur la foule ce 10 faisant 33 morts dont le journaliste Sid Ali Benmechiche. Le bilan fait état de plus de 500 morts durant toutes ces manifestations d’Octobre, essentiellement des jeunes gens et adolescents. Beaucoup ont été torturés.C’est ce même jour qu’un « collectif de 70 journalistes » dénonce la censure auprès de l’AFP. Pas avant. Durant les mois précédents les journalistes algériens revendiquaient des logements, des conditions de travail et de salaires corrects, pas de revendications politiques contrairement à ce que certains d’entre eux affirmeront – roublards –  plus tard. Il n’y a qu’à lire leurs écrits dans les journaux d’alors (exemples ici en fin d’article)
 
Revenons encore à Oran. Nous nous sommes rendus dès le lendemain du 5 dans le centre-ville. Des dizaines de jeunes manifestaient dans les rues, certains portant des paquets subtilisés des centres commerciaux ou magasins. Les dérapages existaient bien, mais la coupe était pleine. Dans la voiture, cela sentait l’oignon me semblait-il alors, « crymougène ! » (gaz lacrymogène) me dit B. On a vite fait de traverser Ben M’hidi. À Gambetta, tous les jours vers 18 heures, nous tenions des assemblées informelles chez B, chez Bijouti, chez Bouchi… La parole, soudain, se libérait. Elle partait dans tous les sens et chacun, évidemment, avait raison. 
 

Le 29 septembre le président Chadli avait déclaré dans un discours « incendiaire » : « (…) nous ne sommes pas aujourd’hui pessimistes quant à le situation, mais je rappelle qu’il existe certains éléments dans l’appareil qui entretiennent le doute. que celui qui est incapable d’accomplir son devoir ait le courage de reconnaître son incapacité, car nul n’est indispensable. que certains rejoignent l’autre bord et lancent leurs critiques cela me parait acceptable, mais nous n’accepterons jamais que l’individu demeure au sein de l’appareil tout en semant le doute» ; (…), «(…) nous ne devons pas nous leurrer par les rapports présentés car le devoir nous dicte d’assumer pleinement le responsabilité et de combattre tous les maux et les carences don souffrent les secteurs. nous citerons le gaspillage, les lenteurs bureaucratiques, l’inertie, le monopole de l’autorité, l’absence les instances d’Etat pour le contrôle et les sanctions à prendre contre quiconque se joue les prix. il y a lieu de remarquer que les instances de l’etat son peu efficaces dans le contrôle et le suivi, ce qui engendre l’incapacité de maîtrise de l’économie nationale et fait que les questions de compétence se posent à tous les niveaux. c’est pourquoi tous ceux qui sont compétents trouveront tout l’appui et l’assistance nécessaire (…) ceux qui ne peuvent suivre doivent choisir : se démettre ou bien ils seront écartés. il appartient aux responsables de démasquer les incapables qui on pour toute compétence l’appartenance au groupe de telle ou telle personne».(…)». (vendredi 19 septembre 2009 in Algerie360.com) 

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De son côté, Boubekeur Ait Benali, écrit in Algeria Watch : « À la fin du second mandat de Chadli Bendjedid en 1988, l’unanimité de façade, qui a prévalu jusque-là, s’est effritée. Un fait rare, pourrait-on dire, dans un système dictatorial. À vrai dire, c’est l’ampleur de la crise économique qui révèle les tares du système. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Chadli Bendjedid paraît dépassé par les événements. Ainsi, bien que les luttes intestines soient cantonnées, pendant longtemps, dans une sphère plus réservée, à l’approche du VIème congrès du FLN, prévu en décembre 1988, où Chadli, faut-il le dire, ne fait plus le consensus, les appétits s’aiguisent. Cela se traduit au sommet de l’État par une lutte ouverte. À en croire Akram Belkaid, l’été 1988 a été l’un des plus agités que le pouvoir algérien ait connu. En fait, profitant d’une chute du chef de l’État dans un exercice de ski nautique [ce qui n’est pas un sport accessible à tous les Algériens], les adversaires de Chadli –à vrai dire l’aile conservatrice du FLN –montent au créneau. Cela dit, en disant cela, il ne faudrait pas comprendre que l’autre clan veuille uniquement du bien pour l’Algérie. Car, la riposte du clan de Chadli va consister avant tout à sauver ses propres intérêts. « Que certains rejoignent l’autre bord et lancent leurs critiques, cela me paraît acceptable, mais nous n’accepterons jamais que l’individu demeure au sein de l’appareil tout en semant le doute, s’adresse Chadli à ses adversaires lors de son discours du 19 septembre 1988.

Cependant, étant donné l’équilibre des forces au sein du pouvoir, la victoire d’un clan sur l’autre ne signifie pas pour autant la volonté d’impliquer le peuple algérien dans ses propres affaires. En gros, et cette politique est hélas de vigueur jusqu’à nos jours, si l’Algérie est en bonne santé financière, ce sont les dirigeants qui se gavent et si les finances –comme c’est le cas au milieu des années 1980 –sont mauvaises, c’est au peuple algérien de payer les pots cassés. De toute façon, depuis la chute des recettes, tirées essentiellement de la vente des hydrocarbures, seul le peuple subit les conditions draconiennes de restriction. Est-ce que les apparatchiks du régime font leurs courses dans les mêmes Souk-El-Fellah que fréquentent les Algériens ? La réponse est évidemment non. Pire encore, certains d’entre eux s’adonnent au trafic, comme le rappelle Patrick Eveno, correspondant du journal Le Monde en 1988. « Les hydrocarbures représentant 97% de la valeur des exportations, le retournement des cours du pétrole a vu fondre de 40% les ventes de l’Algérie, à 9 milliards entre 1986 et 1989, obligeant le gouvernement à limiter les importations, ce qui entraîne des pénuries et favorise un marché noir très actif avec la France et les voisins du Maghreb », écrit-il. Quoi qu’il en soit, voulant se dédouaner, Chadli accuse le clan antagoniste, lors de son discours du 19 septembre, de soutenir en sous-main ce trafic. « Nous avons vu des chaines aux portes de Souk-El-Fellah pour l’acquisition de produits qui sont «écoulés aux frontières voisines, et cela se fait au détriment de l’économie nationale et payés en devises », dit-il.

Cependant, la situation étant explosive, chaque clan rejette la responsabilité sur l’autre. Le scandale de la banque extérieure d’Algérie est du coup exploité par les adversaires de Chadli, car il implique son fils dans une affaire de détournement d’argent. De la même manière, en guise de toute réponse, les Algériens découvrent dans les colonnes de presses une liste de hauts responsables impliqués dans « le scandale de la distribution de terre agricoles ». Cela dit, malgré la réponse tout autant déstabilisatrice du clan Chadli, l’aile conservatrice du FLN s’emploie activement à vendre la candidature d’Ahmed Taleb Ibrahimi pour le prochain congrès du FLN. « Pour Mahamed Cherif Messaadia, premier responsable du FLN, c’était l’occasion pour faire part publiquement de son souhait d’un « homme fort dont a besoin l’Algérie » pour prendre la succession de Chadli au sommet de la magistrature suprême », écrit Mohamed Ghriss. En tout cas, au moment où ses adversaires croient à une issue en leur faveur, Chadli Bendjedid récupère, plutôt que prévu, de sa maladie et décide, grâce à l’appui des réformateurs, de passer à l’offensive.

Pour que la riposte soit suffisamment capable de porter un coup de massue à l’aile conservatrice, le clan Chadli joue sur plusieurs fronts. « Dans le but de contrer l’aile adverse de leurs opposants apparatchiks, l’aile rivale parallèle misa sur le mécontentement populaire, discrètement suscité, à la réduction de poste de travail notamment dans le corps enseignant, en passant par certaines mesures contraignantes touchant les lycéens, …, pratiquement tout semble avoir été soigneusement mis en œuvre pour susciter la colère de la rue et discréditer, ainsi, les poids lourds inamovibles du système», souligne Mohamed Khodja, dans « les années de discorde ». Sur le plan de propagande, la mission échoit à deux têtes pensantes du régime, Ghazi Hidouci et Mouloud Hamrouche. Interrogé plusieurs années plus tard sur son rôle dans cette crise, Ghazi Hidouci donnera la réponse suivante : « Nous avons, comme c’était notre rôle, préparé un discours radical dans le fond et non dans la forme. Dans les conditions de crise économique et de décomposition des appareils politiques et administratifs de l’époque, nous proposions que le Président doive signifier aux protagonistes qui se démenaient pour partager le pouvoir après un nouveau congrès du FLN dans le gouvernement et l’armée qu’il refusait de négocier avec eux un nouvel équilibre au pouvoir parce que les démarches politiques, sociales et économiques sur lesquelles ils se positionnaient aboutissaient toutes à l’impasse. »

La suite tout le monde la connait. Après le discours du 19 septembre 1988, le clan Chadli passe à la vitesse supérieure : la manipulation de la rue. Bien que le régime ne s’attende pas à ce que les événements aient une telle ampleur, il n’en reste pas moins que ce discours va permettre au clan Chadli de se débarrasser de leurs rivaux. Mais, à quel prix ? De toute façon, bien que la victoire des réformateurs soit incontestable, le fossé entre les Algériens et le régime ne cesse de s’agrandir. À deux reprises, en juin 1990 et en décembre 1991, les Algériens vont voter pour le parti extrémiste, le FIS en l’occurrence, en vue de se débarrasser du régime. Ramenant toutes les crises à leur expression sécuritaire, ce choix ne reste pas non plus impuni. Comme pour les 500 victimes d’octobre 1988, où aucun dirigeant n’est jugé responsable de l’effusion de sang, le régime s’autoamnistie. Car la mission du régime algérien consiste à faire de la vie des Algériens un cauchemar. Boubekeur Ait Benali, 18 septembre 2013, In Algeria Watch.

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Une partie de mes archives

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Barbarie et barbarie

Blasphémer est un droit. Blesser, offenser, humilier, caricaturer aussi… 

À tous ceux qui blessent, qui offensent, qui humilient, à tous ceux qui barbarisent l’Autre, ceci, de Montaigne :

« Mais ces autres, qui nous viennent pipant des assurances d’une faculté extraordinaire qui est hors de notre connaissance, faut-il pas les punir de ce qu’ils ne maintiennent l’effet de leur promesse, et de la témérité de leur imposture ? Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus avant en la terre ferme, auxquelles ils vont tout nus, n’ayant autres armes que des arcs ou des épées de bois, apointées par un bout, à la mode des langues de nos épieux. C’est chose émerveillable que de la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang ; car, de déroutes et d’effroi, ils ne savent que c’est. Chacun rapporte pour son trophée la tête de l’ennemi qu’il a tué, et l’attache à l’entrée de son logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se peuvent aviser, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses connaissants ; il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques pas, de peur d’en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de même ; et eux deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée.
      Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes ; c’est pour représenter une extrême vengeance. Et qu’il soit ainsi, ayant aperçu que les Portugais, qui s’étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d’une autre sorte de mort contre eux, quand ils les prenaient, qui était de les enterrer jusques à la ceinture, et tirer au demeurant du corps force coups de trait, et les pendre après, ils pensèrent que ces gens ici de l’autre monde, comme ceux qui avaient sexué la connaissance de beaucoup de vices parmi leur voisinage, et qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenaient pas sans occasion cette sorte de vengeance, et qu’elle devait être plus aigre que la leur, commencèrent de quitter leur façon ancienne pour suivre celle-ci.
     

Je ne suis pas marri que nous remarquons l’horreur barbaresque qu’il y a en une telle action, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par gênes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entré des voisins et concitoyens, et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu’il est trépassé.


      Chrysippe et Zénon, chefs de la secte stoïque ; ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal de se servir de notre charogne à quoi que ce fut pour notre besoin, et d’en tirer de la nourriture ; comme nos ancêtres, étant assiégés par César en la ville de Alésia, se résolurent de soutenir la faim de ce siège par les corps des vieillards, des femmes et d’autres personnes inutiles au combat. “ Les Gascons, dit-on, s’étant servis de tels aliments, prolongèrent leur vie. ”
      Et les médecins ne craignent pas de s’en servir à toute sorte d’usage pour notre santé ; soit pour l’appliquer au-dedans ou au-dehors ; mais il ne se trouva jamais aucune opinion si déréglée qui excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté, qui sont nos fautes ordinaires.


      Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie… »

Montaigne, Les Essais, livre 2, « Des cannibales »

Palestinien, un peuple abandonné

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DR

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.À JÉRUSALEM _ UN POÈME DE MAHMOUD DARWICH_ CLIQUER ICI

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Fi el Qodsi (A Jérusalem)

À Jérusalem, je veux dire à l’intérieur des vieux remparts,
je marche d’un temps vers un autre
sans un souvenir qui m’oriente.

Les prophètes là-bas se partagent l’histoire du sacré …

Ils montent aux cieux et reviennent moins abattus et moins tristes,
car l’amour et la paix sont saints et ils viendront à la ville.
Je descends une pente, marmonnant :
Comment les conteurs ne s’accordent-ils pas
sur les paroles de la lumière dans une pierre ?
Les guerres partent-elles d’une pierre enfouie ?
Je marche dans mon sommeil.
Yeux grands ouverts dans mon songe,
je ne vois personne derrière moi. Personne devant.
Toute cette lumière m’appartient. Je marche.
Je m’allège, vole
et me transfigure.
Les mots poussent comme l’herbe
dans la bouche prophétique d’Isaïe : « Croyez pour être sauvés. »
Je marche comme si j’étais un autre que moi.
Ma plaie est une rose blanche, évangélique.

Mes mains sont pareilles à deux colombes
sur la croix qui tournoient dans le ciel
et portent la terre.
Je ne marche pas.

Je vole et me transfigure.
Pas de lieu, pas de temps.

Qui suis-je donc ?
Je ne suis pas moi en ce lieu de l’Ascension.
Mais je me dis :
Seul le prophète Muhammad
parlait l’arabe littéraire. « Et après ? »
Après ?

Une soldate me crie soudain :
Encore toi ? Ne t’ai-je pas tué ?
Je dis : Tu m’as tué … mais, comme toi,
j’ai oublié de mourir.

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Racisme en France: lettre de Virginie DESPENTES

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Virginie DESPENTES – DR

« Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème… » – Virginie Despentes-

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Lettre lue par Augustin Trapenard sur France Inter, le jeudi 4 juin 2020, 8h57

Virginie Despentes est écrivaine. Dans cette lettre, rédigée après la manifestation en soutien à Adama Traoré et adressée à « ses amis blancs qui ne voient pas où est le problème », elle dénonce le déni du racisme et explique en quoi « être blanc » constitue un privilège.

Paris, le 3 juin 2020 

Lettre adressée à mes amis blancs qui ne voient pas où est le problème. 

En France nous ne sommes pas racistes mais je ne me souviens pas avoir jamais vu un homme noir ministre. Pourtant j’ai cinquante ans, j’en ai vu, des gouvernements. En France nous ne sommes pas racistes mais dans la population carcérale les noirs et les arabes sont surreprésentés. En France nous ne sommes pas racistes mais depuis vingt-cinq ans que je publie des livres j’ai répondu une seule fois aux questions d’un journaliste noir. J’ai été photographiée une seule fois par une femme d’origine algérienne. En France nous ne sommes pas racistes mais la dernière fois qu’on a refusé de me servir en terrasse, j’étais avec un arabe. La dernière fois qu’on m’a demandé mes papiers, j’étais avec un arabe. La dernière fois que la personne que j’attendais a failli rater le train parce qu’elle se faisait contrôler par la police dans la gare, elle était noire. En France on n’est pas raciste mais pendant le confinement les mères de famille qu’on a vues se faire taser au motif qu’elles n’avaient pas le petit papier par lequel on s’auto-autorisait à sortir étaient des femmes racisées, dans des quartiers populaires. Les blanches, pendant ce temps, on nous a vues faire du jogging et le marché dans le septième arrondissement. En France on n’est pas raciste mais quand on a annoncé que le taux de mortalité en Seine Saint Denis était de 60 fois supérieur à la moyenne nationale, non seulement on n’en a eu un peu rien à foutre mais on s’est permis de dire entre nous « c’est parce qu’ils se confinent mal ».  

J’entends déjà la clameur des twitteurs de service, s’offusquant hargneusement comme ils le font chaque fois qu’on prend la parole pour dire quelque chose qui ne corresponde pas à la propagande officielle : « quelle horreur, mais pourquoi tant de violence ? »

Comme si la violence ce n’était pas ce qui s’est passé le 19 juillet 2016. Comme si la violence ce n’était pas les frères de Assa Traoré emprisonnés. Ce mardi, je me rends pour la première fois de ma vie à un rassemblement politique de plus de 80 000 personnes organisé par un collectif non blanc. Cette foule n’est pas violente. Ce 2 juin 2020, pour moi, Assa Traoré est Antigone. Mais cette Antigone-là ne se laisse pas enterrer vive après avoir osé dire non. Antigone n’est plus seule. Elle a levé une armée. La foule scande : Justice pour Adama. Ces jeunes savent ce qu’ils disent quand ils disent si tu es noir ou arabe la police te fait peur : ils disent la vérité. Ils disent la vérité et ils demandent la justice. Assa Traore prend le micro et dit à ceux qui sont venus « votre nom est entré dans l’histoire ». Et la foule ne l’acclame pas parce qu’elle est charismatique ou qu’elle est photogénique. La foule l’acclame parce que la cause est juste. Justice pour Adama. Justice pareille pour ceux qui ne sont pas blancs. Et les blancs nous crions ce même mot d’ordre et nous savons que ne pas avoir honte de devoir le crier encore, en 2020, serait une ignominie. La honte, c’est juste le minimum. 

Je suis blanche. Je sors tous les jours de chez moi sans prendre mes papiers. Les gens comme moi c’est la carte bleue qu’on remonte chercher quand on l’a oubliée. La ville me dit tu es ici chez toi. Une blanche comme moi hors pandémie circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers. Et je sais que s’ils sont trois à s’assoir sur mon dos jusqu’à m’asphyxier – au seul motif que j’ai essayé d’esquiver un contrôle de routine – on en fera toute une affaire. Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes. Le problème n’est pas de se signaler « mais moi je n’ai jamais tué personne » comme ils disent « mais moi je ne suis pas un violeur ». Car le privilège, c’est avoir le choix d’y penser, ou pas. Je ne peux pas oublier que je suis une femme. Mais je peux oublier que je suis blanche. Ça, c’est être blanche. Y penser, ou ne pas y penser, selon l’humeur. En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix. 

Virginie Despentes

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Algérie, mon amour_2

Une déferlante de propos virulents s’abat depuis la diffusion par France 5, ce mardi 26 mai d’un documentaire intitulé « Algérie, mon amour » à l’encontre de France 5, du réalisateur Mustapha Kessous et des jeunes ayant participé au reportage. Des insultes qui visent le réalisateur, les jeunes qui ont dit ce qu’ils avaient à dire, et le média qui a diffusé le documentaire.

Insultes à l’intelligence, à la liberté et à l’indépendance du réalisateur Mustapha Kessous qu’on soupçonne de travailler sur ordre ou pour « la main de l’étranger ».

Insultes aux jeunes algériens, désemparés, déçus, mais qui savent très bien défendre leurs opinions radicalement contre le régime algérien. Insulte à l’égard de ces jeunes qu’aucune caméra algérienne n’a sollicités, ces jeunes qui réitèrent leurs propos sur Facebook (alors faut-il brûler Facebook ?)

Insultes à l’égard de France 5 qui dispose d’un service éditorial qu’on imagine mal se mettre au garde à vous au premier signal officiel, fut-il sonore (si tant est qu’il y en ait). France 5 ou d’autres chaînes du service public sont parfois condamnables (et je les ai condamnées plusieurs fois, leur ai écrit pour leur dire mes quatre vérités), mais de là à y voir l’œil de Moscou, c’est aller trop loin. France 5 est insidieusement mise en parallèle avec l’inénarrable (et pire encore) El-Moudjahid et au sein de laquelle actionneraient, comme dans le journal algérien (et plusieurs journaux algériens, souvenons-nous du trop fameux Colonel Fawzi qui, de l’intérieur même des salles de rédaction, imposait ses ordre au sein de la Maison de la presse) abritant des taupes à peine déguisées.

Ces procédés sont anciens. Le pouvoir en abuse depuis l’indépendance. Ce qui est nouveau c’est que, dans cette Algérie où une certaine liberté d’expression a été arrachée au Pouvoir (par la grâce notamment des 600 morts d’octobre 88), celui-ci actionne des intellectuels organiques, des universitaires et politiciens autant à la recherche de strapontins, pour faire diversion. Car enfin les Algériens vont très mal. L’Algérie va mal, très mal. Et nous sommes en droit de nous poser la question de feu Mohamed Boudiaf « Où va l’Algérie ? » Boudiaf a été assassiné pour avoir tenté de mettre le pays sur des rails propres et droits. Et France 5, je vous le jure, n’y est pour rien, ni Kessous, ni les jeunes algériens.

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Ajouter à cette déferlante, ce ridicule « rappel de l’ambassadeur »

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Lire également ici – CLIQUER

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Dieu merci, il y a des réactions sereines, constructives, en voici une:

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VOICI CE QUE DIT SUR FACEBOOK, SONIA SIAM , L’UNE DES JEUNES CONCERNÉS

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« Algérie mon amour »

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(LIRE PLUS BAS LES RÉACTIONS, SOUVENT ENFLAMMÉES SUR FACEBOOK)

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https://www.youtube.com/watch?v=A3CS7g1cf6Y

Un docu qui déchaîne les passions, notamment sur les réseaux sociaux.

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« Algérie mon amour »

Il était une fois, avant-hier ou bien hier, comme aujourd’hui, dans nos contrées…
Un vieux couple traverse un village, sous un soleil de plomb. Passe devant un groupe de villageois qui s’ennuient. L’homme et la femme marchent côte à côte derrière leur mule, comme elle, silencieux.
– Ândek, ândek yaw, s’écrient en même temps plusieurs villageois, ils ont une mule et ils ne s’en servent même pas.
Le vieil homme murmure quelques mots.

Le vieux couple traverse un deuxième village, sous de fortes chaleurs. Passe devant un groupe de villageois assommés par la torpeur. L’homme avance, appuyé sur sa canne, et devant lui son épouse est immobile et silencieuse sur leur bonne mule, les yeux sur son menton.
– Ândek, ândek yaw, dit un villageois, le vieux avance péniblement et sa femme se relaxe sur la mule.
Le vieil homme dit quelque chose à sa femme qui ne répond pas.

Le vieux couple traverse un troisième village écrasé par l’astre solaire. Passe devant un groupe de villageois engourdis par la monotonie du temps. L’homme, calé sur le dos de la mule docile sur la tête de laquelle il assène quelques coups légers. Sa femme suit derrière eux, le regard vide tombant sur son menton.
– Ândek, ândek yaw, fait un villageois Wallah ma yehchem, il n’a pas honte de laisser sa maison marcher par le temps qu’il fait, alors que lui se prélasse sur sa monture.
La femme accélère le pas lorsque le mari se retourne.

Le vieux couple traverse un quatrième village torride. Passe devant un groupe de villageois apathiques. Une mule généreuse et résignée avance, le museau et les oreilles tombant à hauteur de son poitrail. Sur sa croupe, la femme, raide, le regard plongeant sur ses mules marocaines à bout pointu, est agrippée à la djellaba de son époux devant elle.
– Ândek, ândek yaw, crie un villageois Wallah ma yehechmou, ils n’ont pas honte de traiter ainsi leur baghla.

La femme susurre quelques mots à l’oreille de son mari qui claque avec douceur ses pieds contre le ventre de la bête, « errr ».

Ainsi va le monde. Ainsi va « Algérie mon amour ». Il est passé hier soir sur la mule numéro 5. Et le village FB s’enflamme. Et, comme Kessous, et comme la mule, FB le village théorique a raison. 
Il lui faut des dizaines de Kessous, des dizaines de mules, des dizaines de villageois, des dizaines de positions éparpillées dans l’espace idéologique. Ainsi va le monde et l’Algérie mon amour, que l’on apprécie ou non, les pieds dans l’eau froide de la Méditerranée, qui tempère, nécessairement, en oubliant son propre nombril, avec des jus à boire (chacun le sien) dans la main. Allez, Face u Caldu, skål, cheers, Bsahtek, Gāmbēi, cin… en attendant le retour de notre boussole, le retour du Hirak. Bientôt. Très bientôt.

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Sur le site de France 5:

Ils ont entre 20 et 30 ans et vivent en Algérie. Mehdi, Anis, Athmane, Hania et Sonia, ont décidé d’écrire eux-mêmes leur destin. Depuis leur naissance, ils n’ont connu qu’un président, Abdelaziz Bouteflika. L’annonce, en février 2019, de sa candidature pour un cinquième mandat, a provoqué une colère et un soulèvement d’une ampleur inédite, appelé le hirak.

Depuis plus d’un an, l’Algérie est secouée par d’immenses marches à travers tout le pays. La jeunesse dénonce le « pouvoir » en place qui les empêche de vivre. Une jeunesse qui a soif de démocratie et de liberté. Dans ce pays si proche de nous mais tellement étranger, le hirak est parvenu à évincer Bouteflika. Mais le régime autoritaire et militaire continue de s’accrocher au pouvoir.

Ce film montre le combat de cinq jeunes algériens pour leur liberté. En témoignant, ils ont accepté de prendre des risques insensés pour se raconter et raconter leur pays. Leurs destins individuels épousent désormais une cause plus grande qu’eux : la révolution. Car cette quête démocratique, c’est la déclaration d’amour d’un peuple à son pays.

Les témoins :

Anis, 20 ans, étudiant en informatique. Il tient une petite boutique de métal à Alger centre.

Mehdi, 28 ans, ingénieur en génie civil à Oran. Il est au chômage et rêve de développer le tourisme en Algérie.

Sonia, 26 est psychiatre à Tizi Ouzou. Engagée pour la défense des droits des femmes, elle se félicite de la place essentielle des Algériennes dans la révolution.   

Athmane, 29 ans, avocat à Tizi Ouzou. Militant des droits de l’homme, il défend les détenus d’opinions et politiques lors du Hirak.

Hania, 26 ans, technicienne de cinema. C’est une « hirakiste » de la première heure qui est prête à tous les sacrifices pour vivre dans une Algérie libre et démocratique.

En partenariat avec La Croix.

Réalisé par : Mustapha Kessous


La projection du film a été suivie d’un débat présenté par : Marina Carrère d’Encausse – Suite à la diffusion du documentaire « Algérie, mon amour », Marina Carrère d’Encausse poursuit le débat avec ses invités sur le Hirak, le mouvement de contestation en Algérie. La jeunesse se soulève depuis un an et organise des marches à travers tout le pays pour se battre pour sa liberté et pour la démocratie tandis que le régime autoritaire et militaire, de son côté, continue de s’accrocher au pouvoir.

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VOICI LES RÉACTIONS (NOMBREUSES TRÈS ENFLAMMÉES) SUR FACEBOOK:

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Edgar Morin: Autocritique

Écoutez Edgar Morin parler (à travers N. Bouchaud) de son parcours au sein du Communisme. ÉCOUTEZ ATTENTIVEMENT CHACUNE DE SES PHRASES, APPRÉCIEZ-LES À LEUR JUSTE PROFONDEUR. Comment il évoque « Ce monde merveilleux » comme osaient dire les égarés (ou les croyants). Edgar Morin raconte comment il est devenu stalinien (forcément), comment il en est sorti. « Un grand mensonge, une grande religion de l’aire mondiale », jusqu’à son implosion en 1989. Il demeure quelques débris de Grand mensonge, de cette Avant-garde du monde, y compris en Algérie bien sûr, des spécialistes de l’infiltration. Mais l’Histoire a jugé.  Un autre monde est possible au delà du libéralisme économique, au-delà du Communisme. Les bilans matériels et humains de l’un sont aussi exécrables que ceux de l’autre.

Edgar Morin, un grand humaniste.

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CLIQUER ICI POUR VOIR (ÉCOUTER) LA VIDÉO

IL est « L’Invité » de Patrick Simonin sur TV5MONDE en mars 2017.

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En quatrième de couverture de l’édition du seuil de Autocritique il est écrit:

« Entré simultanément, à vingt ans, en Résistance et en communisme, Edgar Morin a connu le doute à l’égard du second dès la Libération puis, de déchirements en désillusions, au moment des procès et des purges de la  » deuxième glaciation  » stalinienne, le rejet réciproque en 1951. Son appartenance au Parti avait duré dix ans, au cours desquels il avait vu comment l’Appareil pouvait transformer un brave en lâche, un héros en monstre, un martyr en bourreau. Ce livre, publié pour la première fois en 1959, plusieurs fois réédité et augmenté ici d’une nouvelle préface, est le récit sincère d’une aventure spirituelle. Dans ce détournement de l’exercice tristement célèbre de confession publique que le pouvoir soviétique exigeait de ceux dont il entendait se débarrasser, Edgar Morin ne se contente toutefois pas de dénoncer le dévoiement d’une idéologie. Il restitue le communisme dans sa dimension humaine en montrant comment celui-ci a pu tout à la fois porter et trahir les plus grands idéaux. En élucidant le cheminement personnel qui l’avait conduit à se convertir à la grande religion terrestre du XXe siècle, il se délivre à jamais d’une façon de penser, juger, condamner, qui est celle de tous les dogmatismes et de tous les fanatismes. Ce témoignage, qui est celui d’une génération, est aussi une leçon actuelle dans notre époque menacée par de nouveaux obscurantismes. Philosophe et sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS et docteur honoris causa de vingt-sept universités étrangères, Edgar Morin est l’auteur d’une œuvre transdisciplinaire abondamment commentée et traduite, dont l’ambitieuse Méthode, en six tomes, publiée au Seuil. »

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VIDEO EDGAR MORIN _ CLIQUER ICI

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Lettre ouverte d’Ines Ibbou à Dominic Thiem à la suite de ses déclarations

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Déclaration de Dominic Thiem

Alors qu’un fonds d’aide a été créé cette semaine par les instances dirigeantes du tennis pour les joueurs les moins bien classés, l’Autrichien Dominic Thiem a exprimé son désaccord avec l’élan de solidarité général. Pour lui, « aucun joueur n’a à lutter pour sa vie »… « Aucun de ces joueurs mal classés ne lutte pour survivre, a-t-il asséné.Toute l’année, j’en vois beaucoup qui ne donnent pas tout au tennis. Beaucoup ne sont pas très professionnels. Je ne vois pas pourquoi je devrais leur donner de l’argent. » In sport.francetvinfo.fr

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INES IBBOU LUI RÉPOND

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Lettre ouverte d’Ines Ibbou à Dominic Thiem

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Photo radioalgerie.dz

« Cher Dominic, après avoir lu ta dernière déclaration, je me suis demandé ce qu’aurait été ma carrière, et donc ma vie, si j’avais été à ta place. Je me suis imaginé ce que ça aurait été d’avoir des parents profs de tennis quand j’ai touché une raquette pour la première fois, à l’âge de 6 ans, et que j’en suis immédiatement tombée amoureuse. Comme j’ai grandi dans les environs d’Alger, dans une famille très modeste, avec des parents qui n’avaient absolument rien à voir avec le monde du tennis, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça aurait pu m’aider. Mais je ne te le reproche pas.

Et j’ai arrêté d’y penser, parce qu’après tout, on ne choisit pas là où on naît. Je réalise maintenant la chance que j’ai d’avoir des parents comme les miens, que j’aime plus que tout et que je n’échangerais pour rien au monde. Tu sais, dans un pays comme le mien, ce n’est pas facile pour une femme d’être athlète de haut niveau. Je ne remercierai jamais assez mes parents pour leur soutien et tous les sacrifices qu’ils ont consentis pour que je puisse poursuivre mon rêve.

Si seulement tu savais, Dominic…

Au moins, on peut compter sur les installations locales. Oups ! Savais-tu qu’en Algérie, les tournois juniors ITF sont très, très rares et qu’il n’y a pas le moindre tournoi pro ITF, ATP ou WTA ? Qu’il n’y a pas un seul entraîneur sur le circuit international ? Qu’il n’y a pas le moindre court indoor ? Je ne sais pas comment c’était pour toi, mais pour nous, là-bas, s’il pleut pendant une semaine, on bosse notre revers… à la salle de sport. Et je ne parle même pas de la qualité des installations ou des courts… On ne savait même pas sur quelle surface on jouait. C’est du gazon ? C’est de la terre battue ? « L’Afrique », comme ils disent.

Mais ne te méprends pas. Ça ne m’a pas empêchée de construire ma propre route et d’être l’une des meilleures joueuses du monde à 14 ans. J’ai remporté mes premiers points WTA en gagnant un 10 000 dollars au même âge. Plutôt impressionnant, non ? Comme toi, j’ai atteint les sommets des classements juniors. Pas le top 10, mais 23e mondiale. Pas si mal pour une Africaine, non ? C’était tellement improbable que beaucoup de journalistes m’ont appelée « le miracle du tennis ». Ce n’est pas une blague ! Très peu de jeunes Africains l’ont fait avant moi, disaient-ils. Et aucun dans mon pays.

Si j’avais fait partie de ton monde magique à l’époque, j’aurais probablement attiré l’attention de nombreux sponsors et la fédération aurait pris soin de moi. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Des sponsors, tu dis ? Adidas ? Nike ? Wilson ? Prince ? Head ? Ils n’existent même pas en Algérie ! À part quelques équipements et le soutien de petites entreprises locales, j’ai seulement reçu le minimum pour couvrir ma participation aux Grands Chelems juniors. Et tu sais, en Afrique, le budget pour un athlète finit rarement dans son compte en banque, si tu vois ce que je veux dire…

Je me suis demandé ce qui aurait pu changer pour moi à ce moment-là si j’avais fait partie de ton cercle proche. Si j’avais partagé le même environnement, les mêmes règles. Comme être capable de décider quand c’est le meilleur moment pour passer sur le circuit pro. Personne n’en sait rien en Algérie. Si j’avais eu un budget raisonnable, quel impact cela aurait-il eu sur ma carrière ? Ça aurait changé toute ma vie ! Je chéris le jour où j’aurai les moyens d’offrir un cadeau à mes parents. Je rêve de ce jour…

La meilleure joueuse du pays, au sommet du classement junior, mais pas un centime en poche. C’est ironique, tu ne crois pas ? Je ne suis pas sûre que ça se serait passé comme ça dans ton pays ou dans n’importe quel pays européen. Mais ça ne m’a pas arrêtée. Quand tout était en train de s’écrouler et me poussait vers la fin de ma carrière, j’ai eu la chance de recevoir un coup de main. Des gens qui ont pris soin de moi, qui m’ont fourni le minimum vital : de la nourriture et un endroit où dormir. Certains m’ont aidée en me fournissant gratuitement du matériel, d’autres avec le travail physique.

Ma situation était désespérée. Mais je me suis remise sur les bons rails et j’ai réussi mon passage vers les pros. Malheureusement, je me suis blessée au pire moment possible. Au moment où l’ITF a changé ses règles. Je ne suis pas sûre que ça t’ait vraiment affecté…

Les ressources financières sont la clé pour se remettre en forme. J’ai vraiment pu m’en rendre compte à ce moment-là. Mais, encore une fois, ça ne m’a pas arrêtée. Malgré toutes les difficultés, je me suis débrouillée pour revenir dans le classement WTA. Aujourd’hui, j’ai 21 ans et je suis autour de la 600e place mondiale. J’espère toujours réaliser le rêve pour lequel j’ai sacrifié mon enfance, ma scolarité, mon adolescence, ma vie de famille, mes amis, mon argent, les anniversaires, les vacances, toute ma vie !

Je me demande, Dominic, ça fait quoi d’avoir un entraîneur qui t’aide sur le circuit ? Un préparateur physique ? Un kiné ? Un coach mental ? Un staff rien que pour toi ? Je vis seule la plupart du temps. Je suis une femme solitaire qui voyage à travers le monde, généralement avec deux escales, toujours à la recherche du billet le moins cher. Qui sacrifie son temps, ses entraînements et son repos simplement pour postuler à un simple visa, sans garantie de l’avoir. Parce que, devine : pas de tapis rouge, pas de laisser passer, pas de Schengen. Et, j’oubliais, j’ai besoin d’un visa pratiquement partout. C’est un budget de plus…

J’étudie toutes les possibilités dans le calendrier, à la fois pour optimiser les coûts et essayer de gagner le maximum de points. Je loge loin des tournois pour réduire les coûts. Alternes-tu entre terre battue et dur d’une semaine à l’autre comme moi ? Finis-tu les tournois avec des trous dans tes chaussures comme moi ? Je fais toujours de mon mieux pour satisfaire les espoirs que les gens avaient quand j’étais junior, malgré le manque de financement.

Dominic, laisse-moi te demander : qu’est-ce que ça fait d’offrir un cadeau à tes parents ? Qu’est-ce que ça fait de les voir plus d’une fois par an ? De fêter ton anniversaire avec eux ? Je ne me souviens même pas du dernier anniversaire que j’ai célébré avec mes proches… Oui, tous ces sacrifices font partie du jeu, mais le court devrait décider de l’issue de ma carrière, pas mes ressources financières. C’est totalement injuste. Je fais avec tous les jours, sans me plaindre. Je me bats en permanence, en silence.

Cher Dominic, contrairement à toi, beaucoup partagent ma réalité. Juste un rappel : ce n’est pas grâce à ton argent qu’on a survécu jusqu’à présent, et personne ne t’a rien demandé. L’initiative est venue de joueurs généreux qui ont immédiatement fait preuve de compassion, avec classe. Des joueurs désireux de répandre de la solidarité et de trouver des solutions pour changer les choses. Des champions en toutes circonstances. Dominic, cette crise inattendue nous plonge dans une période délicate et révèle la véritable nature des gens. Aider les joueurs, c’est aider le tennis à survivre. Ce jeu est noble.

La signification du sport, c’est de distinguer les plus talentueux, les plus tenaces, les plus travailleurs, les plus courageux. À moins que tu ne veuilles jouer seul sur le court ? Dominic, je te l’ai dit, on ne t’a rien demandé. À part un peu de respect pour nos sacrifices. Des joueurs comme toi me font m’accrocher à mon rêve. S’il te plaît, ne gâche pas ça. Ines Ibbou. »

Samedi 9 mai 2020-  Quentin Moynet in L’Équipe.fr

Les Ombres de Sabra

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Il y a 38 ans bientôt, les 16, 17 et 18 septembre 1982, les Phalanges libanaises, aidées par les forces israéliennes, ces Ombres, massacraient plusieurs milliers de Palestiniens.

Ce qui suit est extrait de l’une de mes fictions. (pages 125 à 133)

« Le soleil de Beyrouth dérive progressivement d’est en ouest, le ciel peu à peu se charge, et l’obscurité s’installe sur Chiayah, El-Horch, la Cité sportive défigurée, mais encore debout et sur le flanc est des camps palestiniens. Charly et son groupe sont postés derrière l’hôpital, à la lisière de Sabra, sur Tarik Jdideh. Des équipes de commandement israéliennes installées sur des terrasses d’immeubles depuis la veille, mercredi, surveillent tous les quartiers autour du stade. Les tanks de Tsahal encerclent les camps. Les Israéliens contrôlent toutes les routes, tous les carrefours des alentours. Charly se réjouit « les terroristes sont faits comme des melons ». Le plan Moah barzel, Cerveau de fer, fut mis en branle à la mi septembre. Il s’accélère deux jours avant Rosh Hashana.

À la vue des deux drapeaux croisés peints sur la grande façade du mur de Dar Al Ajaza, l’un représentant Israël, l’autre les Kataëb, puissamment éclairés par les phares d’un engin militaire qui se dirige vers l’entrée du camp, Charly est parcouru d’une agréable sensation. Il a une pensée pour les siens et se promet de les appeler aussitôt qu’il le pourrait. Il se voit en soldat conquérant de la liberté, à Verdun peut-être ou à Canton. Deux phrases de Drieu qu’il avait relues la veille lui reviennent à l’esprit. Il se convainc qu’il lui faut les noter sur son calepin : « Enfant, à cause de la splendeur des images, j’ai préféré les pays exotiques à ma patrie. Son sol et son ciel étaient trop modestes. » Deux semaines auparavant, plus de quinze mille Palestiniens, avec à leur tête Yasser Arafat, étaient expulsés du Liban. Défaits. Charly et ses camarades n’ont aucune difficulté à éliminer les poches restantes. Chaque Palestinien sur la terre du Liban libre et ailleurs, doit payer l’assassinat du président Gemayel. Certains membres des Phalanges K. intègrent le groupe israélien Sayeret Mat’Kal que dirige Beni Elhem — un membre de la lignée des Hashomer réputés va-t-en-guerre. Charly en fait partie. L’incorporation se fit avec l’accord formel des responsables des Phalanges K. Charly et ses compères portent des vêtements civils et des sacs à dos, sans signe distinctif. D’autres groupes arborent les insignes des milices des Forces libanaises, ou des écussons avec l’emblème du Liban, le cèdre, comme les membres de l’armée libanaise dissidente de l’ALS de Saad Haddad contrôlée par Tsahal. D’autres portent des crêpes noirs. Le ciel au-dessus des ruelles des camps palestiniens s’ambre totalement. L’obscurité qui s’installe progressivement tout autour de la Cité sportive et du cimetière absorbe, indifférente, l’effervescence du jour. Elle réduit à néant l’agitation ordinaire, celle des voitures, des foules, des marchés. Pas celle du ciel tourmenté ni celle du feu. Au milieu de la chaussée, de nombreuses voitures avec des impacts de balles sur les pare-brise, les portières grandes ouvertes, les capots, sont abandonnées. Cinq jeunes qui sortent du cinéma de quartier où ils mettaient en scène des poèmes de Mahmoud Darwich ont juste le temps de se faufiler hors du camp.

(Sa ya’ti barabara akharoun… Les tambours rouleront et d’autres barbares viendront. La femme de l’empereur sera enlevée chez lui / Et dans ses appartements, prendra naissance l’expédition pour ramener la favorite au lit de son maître. / En quoi cela nous concerne-t-il ? En quoi, cinquante mille tués seraient-ils concernés par cette noce hâtive ?)

Le cinéma est à moitié détruit. Les troupes pénètrent dans Sabra et Chatila par le sud, à 18 h, peu après la coupure programmée d’électricité. On ne voit guère que des ombres courbées aux dos proéminents. Elles avancent en file indienne. Un silence circonstanciel recouvre peu après toute la zone, le temps d’une longue respiration ou d’une interminable prière avant l’agonie. D’autres groupes, comme ceux du Jihaz de Habika, entrent par les portes ouest. Ils avancent dans les ruelles bordées de petites maisons d’un ou de deux étages, parfois inachevées ou détruites. Des masques d’une intense laideur sont dessinés sur leurs visages. C’est que ces ombres sophistiquées, surarmées, viendraient à bout des plus téméraires des humbles. Sur le toit de certaines maisons, des briques sont posées, comme abandonnées près de tiges de fer à béton déformées. Des fils électriques se balancent un peu partout. Certains finissent dans l’entrebâillement d’une porte, d’une fenêtre, d’autres tombent sur les toits. Les Israéliens occupent l’hôpital de Acca. Des balles traçantes se mettent à siffler, annonçant la fin attendue du silence comme on annoncerait le début de l’estocade dans une arène aux gradins archicombles suspendus à l’épée du torero, car tous savaient le silence provisoire. Des trombes d’eau tombées elles aussi du ciel se déversent sur les quartiers. On entend des tirs d’armes automatiques avant l’explosion générale. Des Bulldozers Aleph parcourent les zones d’ouest à nord. Des fusées que des unités israéliennes tirent à partir des terrasses d’immeubles avec les mortiers IDS de 81 millimètres éclairent les Sayeret Mat’Kal, appuyées par les milliers de torches au magnésium que répandent les avions. Il fait aussi clair qu’un matin de juin, un matin de tous les possibles, au bord du lac Moraine ou d’une bouche du Kilauea. Les instructions ne prêtent à aucune équivoque : « tirez sur tout ce qui bouge. S’il le faut, exécutez les foetus dans les entrailles de leur mère ». Elles émanent de Raphaël Sheytan le Rav halouf, de ses proches et des subalternes. Elles ruissellent du sommet de la pyramide à sa base, du général — halouf — au halouf mishne, au sgan halouf, aux rav samal et samal, sergent, et jusqu’au milicien. Les enfants qui tambourinaient sur des jerrycans en criant, dégoulinant d’eau et de foi, « La Ilaha Illa Allah, la Kataeb wa la sahyoun » se volatilisèrent, ou furent exterminés. Un ordre est un ordre. Le groupe de Charly applique les consignes avec un zèle démesuré et dans la bonne humeur générale. Rares sont les âmes qui échappent à ses épouvantables armes. Un fou sort en courant des méandres de Chatila. Il s’immobilise au centre de la rue Khalil Haoui, nu comme un alexandrin et trempé jusqu’à la moelle. Dans la main il tient un couteau de boucherie. Il déclame,

‘‘Yaâbourouna el jisra fi essabahi khifafen…

Légers, ils traversent au matin le pont,

Mais demain le vert paradis fleurira

Dans un soleil sur le tranchant du sabre…’’

Le voilà nez à nez avec un soldat israélien qui le met en joue, prêt à l’anéantir. L’homme brandit son couteau au ciel avant de le porter violemment contre son cœur, devançant les balles du soldat qui toutes s’écrasèrent contre un mur à moitié dévasté. L’homme tombe à la renverse, victorieux, le cœur offert au ciel. Le poète — c’est un poète ! — se fait hara-kiri aussi élégamment qu’un samouraï au plus haut de sa certitude, de l’apogée de son être libre, échappant aux balles de l’envahisseur, le terrassant par son geste. L’homme, au cœur de l’impasse, soustrait à son ennemi la décision de la mort, de sa propre mort. Et de tous les siens. Il meurt ainsi, libre, d’une mort debout, désormais plus vivant que jamais, faisant chanceler le ciel et le béton tout autour. Son regard encore tiède semble viser un balcon fleuri auquel il adresse un dernier vers comme une dernière supplique ou un dernier sourire d’homme sans entrave. Mort et libre dans l’éternité. Un peu plus loin, dans Ghobeiry, une ruelle où guette une dizaine de soldats de Sayeret Mat’Kal, un marchand ambulant avance. Il a l’âge d’un collégien. Son regard donne à lire l’horreur que lui infligent les armes, là, devant lui. Il avance hagard, les bras tenus en l’air. Il abandonna sa carriole de fruits, pressant le pas de peur, trébuchant sur un cadavre à moitié recouvert de boue. Charly a le sentiment qu’un fluide gras, s’écoule dans toutes les parties de son corps, si violemment, si intensément qu’il s’évacue par ses pores. Sueur putréfiée, elle soulève son propre cœur. L’adolescent supplie Jésus fils de Dieu et de Bethléem et Marie de Nazareth Ennasira pour qu’ils prennent la forme d’une créature, de n’importe quoi, de n’importe qui, qu’ils intercèdent en sa faveur, que le soldat en avant, Charly, se fige brusquement, qu’il s’écroule puis disparaisse avec son arme dans le ventre de la terre, et les autres avec lui. Charly ne se fige pas, ne disparaît pas, mais il laisse passer le garçon « ayya, edheb ! » lui fait-il. Ses compères rient bruyamment. Le garçon accélère le pas, passe devant les soldats. Il fait quelques dizaines de pas avant de chanceler près d’un immeuble où sont disposées quatre lignes de sacs de sable superposées de sorte qu’elles forment un abri. Charly frissonne à l’idée qu’il va, dans les secondes qui s’annoncent, de nouveau savourer un spectacle incroyable dont il sera l’initiateur, le maître. Il n’est pas à son premier fait d’armes. Charly est aguerri, c’est un spécialiste. Son cœur se contracte, son rythme s’accélère un peu plus et dans le fond de ses iris sombres des filaments étincellent. Aucune âme ne vibre en lui. En son être ne sourdent ni le sentiment de fraternité, ni la mansuétude. L’effleurèrent-ils jamais ? C’est à ce moment précis, alors que l’enfant se signe en tombant contre un de ces sacs, que Charly décharge dans son dos les munitions de son AK47 — des balles calibre 7,62 qui disposent ‘‘d’une grande capacité de pénétration’’. Charly répond aux ordres avec une sorte d’allégresse. « Tirez sur tout ce qui bouge, s’il le faut exécutez les fœtus dans les entrailles de leur mère ». Sitôt le chargeur vidé, une envie folle le saisit qu’il ne peut réprimer, une envie folle d’uriner. Il pisse dans son pantalon sans aucune gêne, au contraire, et dans la foulée lâche un collier de pets. Il est parcouru d’un chaleureux sentiment de bien-être, de plaisir anal, génital et jusqu’à la plante des pieds. Charly éprouve une sensation jamais égalée sinon à la suite de situations similaires, une sensation plusieurs fois ressentie, mais dont il est pourtant incapable de décrire ou d’expliquer la jouissance qu’elle lui procure. Il entre dans une sorte de transe. De la bouche ouverte du jeune garçon coule un filet bordeaux visqueux, vite absorbé par le sable qui ruisselle d’un sac de protection percé par les projectiles. Désormais immobile l’enfant n’entendra plus, ne verra plus toutes ces ombres oppressantes qui assaillent son quartier. Des photographes horrifiés immortalisent ce temps de l’ignominie. Charly ne fait pas dans la dentelle, n’y va pas de main morte. Il se vante du plaisir qu’il éprouve, à la mort qu’il plante dans le dos de ses adversaires démunis. « Le chant de mon fusil d’assaut me procure une immense jubilation », dira-t-il à son chef direct Amoq Shahak, son mem-mem, et aux poètes de l’abjection. « L’AK 47 dont j’actionne la détente et la conséquence en face, la chute de la vermine palestinienne, qu’elle soit homme, femme, vieillard ou enfant, peu m’importe, me transmet en retour un fluide qui se niche au plus profond de mon être où il me procure une immense jouissance et engendre un ravissement qui transfigure mon visage, le ranime, le réconforte ». Charly reprend son avancée. Un moment il s’abrite dans un couloir d’immeuble, sort son carnet pour y écrire « 7-me-7yse. » Il ajoute la date et l’heure. Puis il revient sur la chaussée. Lui et ses camarades de Sayeret Mat’Kal mettent un point d’honneur à neutraliser les Palestiniens de Sabra et de Chatila. Des dormants du Mossad, résidant dans les camps, informent les assaillants. Aucun habitant ne doit être épargné, tels sont les ordres « tuez, tuez même les enfants, pour les empêcher de grandir, de devenir des terroristes », hurlait Amoq Shahak. Un groupe d’une vingtaine d’hommes et de femmes est neutralisé par les Phalanges K. Toutes ces personnes travaillent à l’hôpital Gaza. Ce sont des médecins, des infirmiers ou des auxiliaires de santé. Les trois médecins palestiniens et syriens sont abattus sur-le-champ. Les phalangistes demandent aux autres d’enlever leur tablier de travail et de leur remettre tout ce qu’elles ont sur elles : pièce d’identité, argent, montre… avant de les emmener à l’extérieur du camp, vers une destination que seuls connaissent les phalangistes. « Maltraités, injuriés, ils n’ont pas ouvert la bouche. Comme des agneaux conduits à l’abattoir, comme des brebis muettes devant les tondeurs. Ils n’ont pas ouvert la bouche ». Les Sayeret Mat’Kal crieront au monde qu’ils n’ont « rien vu, rien entendu », que les photos ne disaient rien, contrariant Saint Genet : « pendant les nuits de jeudi à vendredi et vendredi à samedi, on parla hébreu à Chatila… La photographie ne saisit pas les mouches ni l’odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu’il faut faire quand on va d’un cadavre à l’autre. Si l’on regarde attentivement un mort, il se passe un phénomène curieux : l’absence de vie dans ce corps équivaut à une absence totale du corps ou plutôt à son recul ininterrompu. Même si on s’en approche, croit-on, on ne le touchera jamais. Cela si on le contemple. Mais un geste fait en sa direction, qu’on se baisse près de lui, qu’on déplace un bras, un doigt, il est soudain très présent et presque amical. » Durant la nuit, de 23 h à 4 h, entre 169 et 189 millimètres d’eau par heure tombèrent sur la ville, ajoutant à la mort le désastre du ciel. « Il nous fallait détruire tous les nids des terroristes, et nous avons réussi » fanfaronnera Charly. Aux premières lueurs du 18, jour de shabbat et de Rosh Hashana, Charly et ses collègues s’ennuient comme des rats noirs ou gris après l’apocalypse. Ils prennent la pose devant les objectifs des journalistes, les pieds posés avec délicatesse sur des cadavres, les doigts en V et les bouches radieuses, hilares. Charly fête avec les Phalanges K et Sayeret Mat’Kal la victoire de la monstruosité. Une odeur épaisse se dégage des vêtements de Charly et de ses camarades, de leur corps dégoulinant de boue rouge. Elle n’est pas celle de corps ou d’habits neufs ou usés. Pas celle de martyrs. Une odeur âcre, une odeur de cendre, de cadavres, de charognes. Charly écrit : « À chaque fois que j’élimine un Palestinien — ou une Palestinienne —, qu’il soit terroriste ou non, adulte ou ado ; que j’élimine ou que j’apprends qu’un Palestinien ou un musulman a été abattu, j’éprouve, comme mon cher Vilbec, un profond sentiment de joie, et me dis qu’il y a un cafard de moins dans ce monde. » La fête spontanée qui suit est à la mesure de la victoire. Sans concession ni miséricorde. À lui seul Charly vide une vingtaine d’Almaza Pilsner. La mission fut parfaitement accomplie. De crainte que sa joie ne s’estompe, passant outre les interdits religieux, il téléphone à sa mère dans un enthousiasme et une surexcitation jamais égalés, pour lui dire l’amour qu’il lui voue à elle, à Eretz Israël, à Yehweh, qu’il outrage en le prononçant יהוה. Son exaltation atteint le comble. Il est totalement ivre. Il lui crie : « nous avons vaincu les rats ! » Non loin, ses camarades prennent d’autres photos, les pieds soigneusement posés sur les martyrs glacés et les doigts en V devant une équipe de télévision danoise qui filme pour les archives du monde et la mémoire en devenir, pour les générations futures et l’heure de vérité. Ils se photographient devant d’autres journalistes internationaux, stupéfaits, trempés de la tête aux pieds. Parmi ces journalistes se trouvent les Français Alain Ménargues et Georges Chalandon, bouleversés. Ils fixent longuement Charly et ses camarades de boucherie. Georges Chalandon pense à Anouilh, à Antigone la petite maigre palestinienne, à Hémon et aux autres. La présentation est prévue pour le premier octobre, dans treize jours, non loin de la Maison jaune, l’immeuble Barakat. Georges frissonne. La séquence est immortalisée. Sur pellicule pour certains, sur papier pour d’autres. Raphaël Sheytan félicite tous les combattants pour avoir rendu leur honneur aux Libanais et donne son accord pour que les camps soient rasés et que sur leur emplacement un grand jardin zoologique voie le jour. Lui aussi souhaite exaucer le vœu du président assassiné. « Il faut effacer les camps, nettoyer le pays des Palestiniens pour les cent prochaines années ». Les travaux commenceront le lendemain. En ce jour de Rosh Hashana, 5743 martyrs seront enfouis sans prière ni compassion par des bulldozers implacables dans des fosses communes. »

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IDIR est parti

IDIR au Salon du livre d’Alger en Octobre 2017 _ DR

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ou ici:

(vidéo postée Par ‘Sherlock Homes’ en nov 2016 sur Youtube)

C’était tous les jours jour de printemps, Paris était belle comme souvent à vingt ans et ses rues et ses places comme la Place de la République, grouillaient de lumières, de couleurs et de groupes de toutes sortes, des qui montaient vers Magenta, des qui vers les Halles, des qui vers la Bastille, et d’autres. La République immobile depuis près d’un siècle, veille sur son piédestal, à l’angle de la rue du Faubourg-du-temple. « Notre journal » Libération (j’y ai bossé gratos !) n’a que quelques années d’âge, et concurrence Rouge et Le Matin de Paris. Il est un des rares à refuser les publicités payantes de sa lointaine rue de Lorraine, bien avant (plus tard, bien plus tard après ses revirements, la rue Béranger à deux pas de République où il s’installera (après Christiani, aussi). Libé n’écrit rien sur Idir, il ne connaît pas, comme beaucoup, mais faisait une place conséquente à Areski et Brigitte (et José Arthur raffolait de Lettre à monsieur le chef de gare de La Tour de Carol). Libé se rattrapera plus tard. Mais là, autour de la place de la République, par dizaines, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes avançaient vers le Bijou qu’est le Palais des glaces, trente mètres plus haut. Plus on avançait et plus la foule grossissait. Une affiche grandeur d’homme indiquait « Concert avec le chanteur kabyle IDIR ». Toute la gamme des robes kabyles traditionnelle, panachées de bandes noires, rouges, jaunes, orange, se déployait devant la salle de spectacle et des touristes ébahis, débordant sur la rue encombrée de véhicules. Dans ces années-là l’expression vestimentaire maghrébine était encore timide en France. Ce jour-là elle frappait un grand coup. Les appareils photos crépitaient, les youyous fusaient. Et les touristes (d’autres) sidérés. On ne s’entendait pas. Un tel événement n’était pas courant, même à Paris. « Qui c’est Idir ? » « Ah Kabyle ? » Oui madame, et plus encore, Algérien s’il vous plaît. Nous ne rasions pas et plus les murs comme nos parents s’y résignaient durant les décennies précédentes, mais.

LE PALAIS DES GLACES

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La dame, l’œil noir et le regard haut, feignait « Touré Kunda, Police, Nina Simone d’accord, mais là… Qui c’est ? » On ne lui répondit pas. Je me contentai de lui montrer l’affiche, si elle voulait bien se donner la peine, elle qui voguait sur un registre peu engageant. Nous, nous le savions depuis peu, mais nous le savions. Idir rehaussait notre fierté. Nous étions tous Kabyles « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva ». Des taxis kabyles (probablement, qui autrement ?) claxonnaient comme des malades et nous leur faisions de grands signes amicaux. Il n’y a pas si loin, Pathé Marconi enregistrait A Vava Inouva : « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a yelli Ghriba… Je t’en prie père Inouva ouvre-moi la porte/ O fille Ghriba fais tinter tes bracelets/ Je crains l’ogre de la forêt père Inouva/ O fille Ghriba je le crains aussi… » Titre aussitôt repris, en français, par le duo David Jisse et Dominique Marge :  « Ouvre-moi vite la porte A vava inou va, A vava inou va/J’entends cette voix m’appelle, ma fille dehors a froid/Les loups de la vie me guettent, A vava inouva, A vava inouva/ J’ai si peur pour toi ma fille, mais la porte n’ouvre pas… » Puis les portent du Palais s’ouvrirent, plus rapidement sous les poussées, absorbant d’une traite une seule les centaines de fans de tout ce qui touche de près ou de loin une partie de l’Algérie. Sur le trottoir du Faubourg-du-Temple, le vide suppléa à la vague et la dame à l’œil noir soupirerait.

.IDIR au Salon du livre d’Alger en Octobre 2017 _ DR

À l’intérieur, tous les fauteuils, quatre cents, cinq cents ? rouges comme les cœurs, furent pris d’assaut. Idir est apparu sous une clameur indescriptible. Dès les premières notes de musique, des jeunes femmes se lancèrent au devant de la scène pour danser, pour libérer le corps, pour dire nous sommes là. Elles seront suivies par des dizaines d’autres, des jeunes hommes également. Nous étions dans une étuve improvisée. Et cela dura une éternité bien remplie. « Amghar yedel deg wbernus/Di tesga la yezzizin/Mmis yethebbir i lqut/Ussan deg wqarru-s tezzin…Le vieux enroulé dans son burnous/A l’écart se chauffe/Son fils soucieux de gagne pain/Passe en revue les jours du lendemain… »

C’était il y a quelques décennies, prises aujourd’hui dans la nasse. Le temps passa donc. Avec ses vicissitudes. Plus récemment, en février 2008, il était venu chanter dans le théâtre de notre petite ville du sud. Il était bien sûr archicomble. Et les titres chantés couvraient la trentaine d’années.

Plus récemment encore, à la fin du mois d’octobre 2017, je l’ai vu au Salon international du livre d’Alger, entouré de nombreux journalistes et fans et discutant avec eux. Il se trouvait dans le stand de l’ONDA accompagné de son directeur, Samy Bencheikh.

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Le 5 janvier 2018, l’APS écrivait : « ALGER – L’icône de la musique kabyle, Idir a renoué avec son public à la faveur d’un grand spectacle festif organisé jeudi soir à Alger marquant son retour sur scène après près de quarante ans d’absence. Accueilli dans la grande salle de la coupole du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf, Idir était accompagné par un orchestre de 30 instrumentistes dirigés par Mehdi Ziouèche, un musicien polyvalent qui a présenté les différentes pièces choisies dans un nouvel habillage harmonique plein de créativité, et une chorale de jeunes, essentiellement de l’Institut national supérieur de musique. »

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.Intérieur du Palais des glaces



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.Salut l’artiste !

Photo du site officiel de Idir

« Un bicot comme ça, ça nage pas, ça coule ! » – Police française en 2020

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LÂ-BAS SI J’Y SUIS: Le 26 avril, à deux heures du matin, à L’Île-Saint-Denis (93), un homme poursuivi par la police s’est jeté dans la Seine. Selon une vidéo tournée par un témoin, l’homme, une fois repêché, a fait l’objet d’insultes racistes et de violences policières. « UN BICOT COMME CA, CA NAGE PAS ! » ou encore  » HAHA ! TU AURAIS DU LUI ACCROCHER UN BOULET AU PIED ! »
Dans un message adressé à l’AFP, la préfecture de police a affirmé saisir l’IGPN afin de « déterminer l’identité des auteurs des propos entendus ».

https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/un-bicot-comme-ca-ca-nage-pas?fbclid=IwAR34J6o2q7Kd54cEVGbvnMSbTLPlXxUV9b_6dNDQWcx4L6QtuoxPJHYkT44

Le printemps berbère, Tafsut Imaziɣen

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En haut: meeting pour la libération des détenus. Ci-dessus manif. 26 mars 1960- in Tamurt iw

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Jeudi 20 avril 1980, lundi 20 avril 2020 : 40 années nous séparent de cette mémorable journée du 20 avril 1980 qui marquera d’une pierre blanche notre histoire. En quelques mots d’intro : Ce jour-là en Kabylie, la population se met en grève. Le 10 mars, Mouloud Mammeri devait tenir une conférence sur la poésie kabyle, mais elle serait interdite. La première semaine d’avril, des centaines d’étudiants étaient arrêtés. Des cours libre de langue tamazight sont donnés dans le Campus universitaire occupé. Le 17, la télévision diffuse un discours de Chadli Bendjedid s’en prenant à la population de Tizi-Ouzou. L’université de Tizi Ouzou était prise d’assaut par les forces de l’ordre le 19 avril. Comme El Moudjahid contre Mouloud Mammeri, Algérie-Actualité s’en prend au mouvement de contestation accusé d’être sous les ordres d’une « main étrangère ».

Mais laissons la parole à Arab Aknine, militant de la première heure, nous relater (texte d’avril 2011) les faits tels qu’il les a vécus. Je vous ajoute une chronologie réalisée par Rachid Chaker.

Enfin, je termine avec l’article diffamatoire et malsain de Kamel Belkacem (El Moudjahid et Algérie- Actualité) suivi de la réponse mémorable de Mouloud Mammeri.

J’ai ajouté le chapitre « Le printemps berbère » de 1980 du livre de Amar Ouerdane intitulé « La question berbère »

Trois photos montrent une manifestation à Alger du MCB-CN à laquelle j’ai participé. C’était le 20 avril 1994, en pleine terreur. Les autres, correspondent aux grandes manifestations de 1980

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ARAB AKNINE

Le Mouvement berbère

Par Arab Aknine, 17 avril 2011

Le Centre universitaire de Tizi-Ouzou après deux ans d’existence

À la rentrée universitaire 1979-1980, le Centre universitaire de Tizi-Ouzou (Cuto) était à sa troisième année d’existence et comptait déjà près de deux mille étudiants. Le Cuto était composé de trois campus qui accueillaient les deux mille étudiants.

Le site de Oued-Aïssi qui abrite le siège du rectorat du Cuto et l’Institut des sciences exactes en plus d’une résidence universitaire de garçons, le site de M’douha transformé pour la circonstance en résidence de filles et le campus de Hasnaoua, encore en chantier, inauguré en partie pour abriter les structures des instituts de biologie, de droit, de sciences économiques, de lettres arabes et une résidence universitaire. Les deux mille étudiants du Centre universitaire de Tizi-Ouzou provenaient pour l’essentiel des wilayas de Tizi-Ouzou, Béjaïa et de Bouira. Durant les deux premières années de son existence, le Cuto s’est déjà distingué par deux grèves et des actions de protestation d’étudiants.

À sa première année d’ouverture (1977-1978), les autorités de wilaya (1) avaient interdit le gala du chanteur Aït Menguellet, invité par les comités estudiantins d’animation culturelle et artistique. Aucune raison, pour motiver ce refus, n’a été avancée par l’administration. L’année suivante, à l’occasion du 19 Mai, Journée nationale de l’étudiant, c’est la représentation théâtrale de la pièce de Kateb Yacine La guerre de 2000 ans, interprétée par la troupe des étudiants, qui fera les frais de l’interdiction sous le motif, cette fois clairement assumé, de : « Thème ne concordant pas avec la journée. » On a également enregistré durant cette année des actes mystérieux de mise à sac de deux salles de prière (M’douha et Oued-Aïssi) par des inconnus.

La dynamique autonome : pour une représentation légitime

Même si les relents d’une atmosphère lourde sont largement perceptibles dans les milieux universitaires, rien ne pouvait tout de même présager la tournure de ce qui allait être le mouvement d’Avril 1980. Nous voilà subitement en face d’une situation politique inédite qui va surprendre même les groupes politiques qui activaient clandestinement. La campagne d’inscriptions dans les rues de Tizi-Ouzou et les distributions de tracts du FFS dénonçant la dictature et réclamant les libertés pour les Algériens n’avaient pas suscité d’intérêt à la mesure de ce qui allait s’enclencher brutalement.

Nous sommes à la deuxième semaine du mois d’octobre 1979, la grogne commençait à se faire sentir autour des conditions de vie des étudiants dans les campus universitaires. Un groupe d’étudiants des sciences exactes prend l’initiative de convoquer une assemblée générale pour débattre de ces conditions. C’est de nuit, en faisant le porte-à-porte, que les étudiants furent invités à la réunion en dépit de l’omniprésence des éléments structurés dans l’UNJA moribonde. Nous étions loin de soupçonner qu’on venait alors d’inaugurer un processus qui allait évoluer vers un événement qui marquera la vie politique de l’Algérie. Très vite, le bouillon de débats va se structurer et s’axer sur une revendication de contestation de la légitimité des représentations des comités d’étudiants sous la bannière de l’UNJA, organisation de masse du FLN. Une grève qui durera près d’un mois (du 17 octobre au 13 novembre 1979) fut déclenchée par les étudiants. La décision de cette grève fut prise par vote en assemblée générale qui désigna également un groupe dénommé « la délégation » pour représenter ces derniers auprès des structures de l’administration. La grève se prolonge et installe la crise dans la durée pour se corser davantage. Des manœuvres sournoises seront entreprises par des éléments de l’UNJA pour briser la grève et démobiliser le mouvement. En vain.

C’est au tour du FLN de mobiliser pour la circonstance ses militants extra-universitaires par cars et d’envahir les campus universitaires, brassards aux bras, pour contraindre les étudiants à reprendre les cours. L’irruption des militants du FLN à l’intérieur de l’enceinte de l’université offrait un spectacle inédit et stupéfiant. Les contacts et les discussions directs qui s’engagent dans le calme entre les étudiants et ces militants en faction nous révélèrent l’ignorance totale de ceux-ci des raisons de leur présence au milieu des étudiants. Le soir, ils repartirent sans heurts et dans le calme. La grève se prolonge. Même avec la détermination certaine qui était manifeste dans la masse des étudiants, l’atmosphère commençait à peser lourdement sur le moral. Les analyses que nous faisions nous dictaient l’impératif de rester vigilants et d’agir avec doigté et sans répit pour assurer un souffle continu au mouvement et maintenir le niveau de mobilisation. C’était l’unique voie à même de nous mettre à l’abri des contrecoups d’une éventuelle situation de reflux. Un bras de fer s’engage entre les autorités locales et le mouvement de contestation des étudiants représenté par « la délégation ».

Les autorités locales choisissent la stratégie de pourrissement et espéraient une désaffection et le reflux du mouvement. Une action énergique de solidarité du corps enseignant algérien avec le mouvement de contestation coupa l’herbe sous les pieds aux partisans de la logique du pourrissement. « La délégation » s’imposa comme représentant incontournable du mouvement des étudiants et renvoie définitivement à la marge les structures de l’UNJA. La grève prend ainsi fin le 13 novembre 1979 et consacre la légitimité de « La délégation ». Le terrain est définitivement libéré à l’action et aux activités de « La délégation ». Au mois de janvier 1980, tous les campus avaient fêté avec éclat, de façon libre et autonome, la journée de Yennayer. Des représentations théâtrales et des galas artistiques avaient été organisés dans les trois campus durant la nuit du 12 janvier 1980. Je ne puis manquer de rendre hommage à la mémoire de feu Ouahioune Djaffar, étudiant en sciences exactes, et de rappeler son dynamisme qui était pour l’essentiel dans la réussite de ces festivités. Le FLN cesse définitivement d’exercer la tutelle, par l’entremise de l’UNJA, sur les structures estudiantines. Les deux premiers mois de l’année 1980 seront vécus comme période de répit et d’observation. La surveillance policière autour des campus universitaires s’est accrue et s’est renforcée même de nuit. Des informations qui nous parvenaient à la cantonade faisaient état de discussions dans les rangs du FLN pour la création de milices de surveillance pour parer aux distributions nocturnes de tracts.

L’université autonome ou la conscience en mouvement

Ce sont les maisons d’édition françaises qui publient l’écrivain Mouloud Mammeri. Si ses œuvres romanesques et théâtrales en langue française sont disponibles dans les librairies en Algérie, ce n’est pas du tout le cas pour les œuvres portant sur la langue berbère. La Sned, société publique d’édition et de diffusion, n’a distribué que quelques exemplaires de celles-ci. Le livre consacré au poète Si Mohand ou Mhand ( Isefra de Si Mohand ou Mhand, éd. Maspero 1969) et La grammaire berbère Tajerrumt n Tmazirt, éd. François Maspero 1976).

Au début de l’année 1980, M. Mammeri publie, toujours chez Maspero, Les poèmes kabyles anciens. Le journal français Libération rend compte de la publication de ce livre consacré à la poésie kabyle ancienne. En Algérie, pas même un entrefilet d’annonce n’a été réservé à celle-ci par les journaux de l’époque. Dans les milieux universitaires, rares sont ceux qui étaient au fait de cette publication. Mais, ce sont les poèmes anciens qui vont mettre le feu aux poudres, titrera quelques semaines plus tard un journal français.

Deux enseignants de l’université, Ramdane Achab et Hend Sadi, étaient en contact avec l’écrivain Mouloud Mammeri qui rentrait de France après la parution de son livre. Ils nous font part au campus de Oued-Aïssi de la possibilité d’inviter l’écrivain pour une conférence sur son dernier livre consacré à la poésie kabyle ancienne. La nouvelle a été accueillie favorablement dans les comités d’étudiants. Il restait à confirmer et fixer la date. Les deux enseignants sont chargés pour cela auprès de Mouloud Mammeri. Quelque temps plus tard, arrive la confirmation et la date du lundi 10 mars 1980 à quatorze heures au campus de Hasnaoua fut retenue pour cette conférence. À quelques jours seulement de cette date, les comités de cités placardent des affichages muraux pour annoncer l’information aux étudiants. Il était difficile de croire qu’une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne pouvait déranger en haut lieu de hiérarchie. Tant pis pour ceux qui affectionnent et privilégient la logique de contrôle policier au détriment de l’autonomie et des libertés. Des manœuvres dilatoires et des agissements occultes seront mis en branle durant la nuit du 9 au 10 mars. Un appel téléphonique mystérieux se faisant passer pour le recteur du centre universitaire annonce à M. Mammeri l’annulation de la conférence. Ces manœuvres qui ont suscité beaucoup d’inquiétudes sont restées dans le secret total parce que cela risquait de provoquer un effet de démobilisation. Plus tard, le nom du directeur du Cous (Nour Merabtene) a été évoqué comme l’auteur probable de ce coup de fil. Pouvait-il agir seul ? Pas si sûr !

Conférence interdite : le sursaut de dignité

Avant de se rendre à Tizi- Ouzou durant la matinée du lundi 10 mars, M. Mammeri avait pris le soin de confirmer les choses par téléphone auprès de M. Arab, recteur du Cuto. Ce dernier avait démenti le report ou l’annulation de la conférence et s’est déclaré étranger à cet appel téléphonique. Pour les étudiants, cette matinée du 10 mars se présentait au rythme du train de vie ordinaire.

Habituellement, les après-midi des journées du lundi étaient libres de toute activité pédagogique pour être consacrées à l’animation culturelle ; le plus souvent au cinéclub de la Maison de la culture. Mais pour ce lundi 10 mars 1980, les bus du transport universitaire commençaient à converger massivement vers le campus de Hasnaoua à partir de treize heures. Il y avait foule dans la cour du campus et beaucoup parmi les présents étaient des extra-universitaires, informés sans doute de la tenue de la conférence et venus y assister. Quand arrive l’heure prévue pour la tenue de la conférence, M. Mammeri n’était toujours pas là. La foule commençait à s’impatienter au fur et à mesure que le temps passait. Un sentiment d’indignation générale se lisait sur les visages même si aucune information n’avait été donnée par les organisateurs, qui eux-mêmes ignoraient tout. Une heure passe. Il est quinze heures et les organisateurs n’avaient toujours aucune information sur ce qui est advenu du conférencier. Une demi-heure plus tard, Tari Aziz, étudiant en sciences exactes, prend la parole pour inviter la foule présente à se disperser dans le calme et rester attentive en attendant des informations. La foule se disperse calmement mais non sans grande consternation.

Que s’est-il passé au juste ? M. Mammeri en compagnie de Salem Chaker a été interpellé par un barrage de police à la hauteur de Draâ-Ben-Khedda puis conduit au cabinet du wali. Après avoir été retenu pendant longtemps au siège de la wilaya, on lui annonça que sa conférence était annulée et qu’il était indésirable à Tizi-Ouzou, qu’il doit quitter impérativement. Blessés, affectés dans notre dignité, nous étions loin d’imaginer une forme quelconque de réaction à cet attentat à la dignité tant l’émotion du sentiment d’injustice pesait si fortement sur nos esprits. Il y avait comme un sentiment général éprouvé de dépossession. Mais la détermination et la volonté à rétablir l’éthique piétinée à l’université étaient totales et lisibles chez tous les étudiants. Il ne restait que les formes à définir. Après le dîner, les étudiants du campus de Oued-Aïssi improvisent une assemblée générale. Quelque temps après avoir fait le porte-à-porte des pavillons de résidence, l’amphithéâtre des sciences exactes était déjà bondé de monde. Une heure à peine avait suffi à l’assemblée pour prendre des décisions et arrêter des actions : manifestation pour le lendemain dans les rues de la ville pour dénoncer l’interdiction de la conférence. Constitution de plusieurs groupes de volontaires désignés pour informer tôt le matin du mardi 11 mars les étudiants du campus de Hasnaoua de ces décisions.

Confectionner dans la nuit des banderoles avec les slogans retenus. Préparer les conditions matérielles de l’assemblée générale de toute l’université à 9h au restaurant universitaire de Hasnaoua. Canaliser et orienter les étudiants et les étudiantes à la salle de réunion. En un tour de main, les choses étaient totalement ficelées. Quatre draps d’étudiants seront sacrifiés dans la foulée pour faire office de banderoles peintes au gros marqueur. Quand arrive minuit, le groupe se disperse pour quitter la chambre de Aziz Tari du pavillon E avec toutes les tâches accomplies. Les quatre banderoles avaient tout le temps de sécher au petit matin.

– « La culture berbère n’est-elle pas algérienne » ?
– « Wali, CNP conférence de M.Mammeri interdite ».
– « Non à la répression culturelle ».
– « Oui pour une culture populaire algérienne ».

Au matin du mardi 11 mars 1980, quand arrivent à Hasnaoua les étudiants de Oued-Aïssi à bord de bus pleins à craquer, les groupes désignés étaient à pied d’œuvre et avaient déjà accompli l’essentiel des tâches assignées d’information et de mobilisation. La salle de restaurant était bondée d’étudiants attentifs et prêts à toute consigne qui pouvait être donnée. Les véhicules de la police rôdaient ostensiblement autour de l’université avec leurs gyrophares en action pour nous intimider. En l’espace d’une heure à peine, toutes les décisions furent soumises de nouveau à l’assemblée générale de l’université et approuvées par la majorité des étudiants. Et vers dix heures trente, une marche de plusieurs centaines d’étudiants accompagnés de quelques enseignants universitaires s’ébranle vers la ville scandant des slogans de dénonciation de l’interdiction de la conférence. La ville s’est vite mise en arrêt d’activité, le trafic de véhicules et les agents de police disparaissent de la circulation. Quand arrive le cortège à hauteur de l’hôpital, les trottoirs étaient noirs de badauds. Beaucoup se joignaient au cortège. Deux tours des rues de la ville, une halte devant la wilaya et une autre devant le lycée polyvalent, une minute de silence devant le monument aux morts du centre-ville et la marche s’achève au campus de Hasnaoua en compagnie de beaucoup de ceux qui s’étaient joints au cortège. Les youyous des femmes lancés des balcons de la ville résonnaient encore dans nos oreilles et gonflaient l’orgueil de la foule qui s’est dispersée calmement avec les remerciements des étudiants et le sentiment du devoir accompli.

La dynamique d’automobilisation

Le 12 mars 1980, une lettre ouverte adressée au président de la République fut rédigée en assemblée générale. Elle ne parviendra à la présidence que le 15 mars, quand le groupe d’étudiants chargés de la remettre fut reçu par le secrétaire général (M. Benhabilès). A leur retour, un compte-rendu a été présenté devant l’assemblée générale des étudiants qui s’est tenue au campus de Hasnaoua. La lettre ouverte retraçait les étapes et les interdits dont étaient victimes les activités organisées par les comités autonomes des étudiants du Cuto. Dans sa conclusion, elle réaffirmait la nécessité de rétablir les droits de la culture berbère et garantir les libertés démocratiques au sein de l’université.

Le 13 mars 1980 au matin, les citoyens découvrent les murs de la ville recouverts d’inscriptions du FFS qui dénoncent l’injustice et appellent à la démocratie. Les autorités mobilisent une armée de peintres qui les couvrent précipitamment.

A partir du 16 mars 1980, des manifestations sporadiques de jeunes éclatent dans toutes les villes et villages. Et pour la première fois, certains titres de la presse étrangère rendent compte de ces manifestations. Le lendemain, Daniel Junqua, correspondant du journal Le Monde à Alger, s’était déplacé à Tizi-Ouzou et fut reçu à l’université par les étudiants et les enseignants.

Le 17 mars 1980, le chanteur Ferhat est invité par les étudiants pour un gala au campus de Hasnaoua. About Arezki, laborantin à l’université, prend la parole durant les débats pour évoquer les tracts distribués d’un parti clandestin dénommé FUAA (Front uni de l’Algérie algérienne). Il sera arrêté le lendemain par des agents de la gendarmerie.

Le 20 mars, le journal El Moudjahid publie un concentré d’insultes contre Mouloud Mammeri qu’il intitule « Les donneurs de leçons » avec une signature aux initiales K. B. Des informations nous parviennent à l’université faisant état de l’arrestation, à At Douala, d’un technicien en électronique (Chemim Mokrane). Tard dans la soirée, feu Benghezli Mohamed Achour, originaire de At Doula, nous confirme cette arrestation. La campagne de presse et les arrestations qui se poursuivaient commençaient sérieusement à susciter de l’inquiétude dans le milieu des étudiants.

Le 26 mars, l’assemblée générale des étudiants décide de manifester une seconde fois en ville pour dénoncer ces arrestations et les mensonges de la presse. Encore une fois, il a fallu tout le courage et l’énergie de feu Ouahioune Djaffar pour renverser la tendance à la réticence des étudiants, largement gagnés par l’inquiétude. Des informations nous parviennent de la wilaya de Béjaïa avec son lot de manifestations et d’arrestations également.

A partir du 2 avril 1980, des rumeurs persistantes faisaient état d’une manifestation à Alger le 7 avril à 10 h à la place du 1er- Mai. Dans la masse des étudiants, il y avait beaucoup de détermination à se rendre en force à cette manifestation.

C’est dans l’après-midi du 5 avril que nous parviendra la mise au point de M. Mammeri à l’article du journal El Moudjahid, intitulé « Les donneurs de leçons ». Quand les étudiants envahissent massivement le centre de reprographie de Oued-Aïssi pour reproduire la lettre de M. Mammeri, c’est le commissaire divisionnaire de police Naït Abdelaziz qui se rendra sur les lieux dans un style hollywoodien — talkie-walkie en main — pour nous inviter à surseoir à cette diffusion, car toutes les revendications étaient satisfaites. Il sera vertement pris à partie par les étudiants et vidé de l’université.

En désespoir de cause, et face à la fougue de notre jeunesse, il ne cessait de nous répéter qu’il avait encore le plomb du colonialisme français dans sa chair et qu’il n’avait pas le temps pour se faire opérer. Plus tard, nous apprendrons que c’est entre le Maroc et le nord de la France qu’il a passé toute la période de la guerre de Libération.

Des renforts de police antiémeutes ont été dépêchés dans la wilaya de Tizi-Ouzou. C’est le centre de formation professionnelle de Tadmaït qui est transformé pour la circonstance en caserne d’accueil.

Le dimanche 6 avril 1980, la communauté universitaire tient une assemblée générale et décide de participer massivement à la marche de protestation d’Alger. Pour échapper aux barrages de contrôle dressés sur la route Tizi-Ouzou/Alger, des groupes empruntent de nuit l’axe Ouadhias-Tizi Ghenif avec banderoles et tracts. Redoutant une répression et des arrestations massives durant la marche d’Alger, certains enseignants avec des étudiants restés sur place tiennent une réunion informelle dans la soirée et envisagent de constituer un comité de suivi. C’était l’embryon du futur comité anti-répression. Beaucoup de naïveté de notre part. L’inexpérience faisant. Nos méthodes de travail n’étaient pas exemptes de reproches. Le lendemain, une répression violente fut déclenchée contre les manifestants, plusieurs centaines d’arrestations ont été enregistrées en fin de matinée de ce lundi 7 avril 1980 à Alger. Et jusque tard dans la soirée, plusieurs dizaines d’autres étudiants n’avaient pas encore donné signe de vie.

Propagande et répression : l’impasse d’une vision utopique

Avec le bilan si lourd de cette situation inattendue, nos camarades restés sur place à Tizi-Ouzou proclament la naissance du comité anti-répression pour dresser le bilan de la marche.

Le mardi 8 avril 1980, le comité anti-répression tient sa réunion et installe ses structures composées à parité étudiants-enseignants-travailleurs. Il est structuré en quatre commissions présidées chacune par un enseignant universitaire : la commission coordination-information, la commission relations extérieures officielles, la commission relations extérieures non officielles, la commission animation et vigilance. Une assemblée générale se tient durant la journée et proclame la grève illimitée de l’université avec occupation de locaux jusqu’à la libération des emprisonnés. Une délégation du comité anti-répression est reçue en milieu d’après-midi par le wali qui a tenu des propos rassurants quant à la libération des emprisonnés.

C’est au paroxysme du climat de tension que Ramdane Achab va assurer le premier cours libre de langue tamazight au campus de Hasnaoua sous occupation. Un amphi bondé d’étudiants, qui découvraient pour la première fois la transcription latine de la langue amazighe. C’est le défilé devant le manuel de transcription édité par Imedyazen pour le regarder telle une relique de l’histoire. Les jours d’après, Mustapha Benkhemou assurera à son tour à la Faculté centrale d’Alger un autre cours libre.

Le lendemain 9 avril, le comité anti-répression rend publique une déclaration qui dénonce la campagne calomnieuse de la presse et les arrestations. Entre-temps, les stagiaires de la formation professionnelle manifestent massivement et rejoignent l’université à la fin de leur marche. Des représentants de la presse étrangère sont reçus à l’université. Avec une mine désappointée, le commissaire divisionnaire Naït Abdelaziz se présente devant le portail de Hasnaoua et demande à des étudiants, sur un air menaçant, que soient vidés les journalistes de la presse étrangère présents dans l’enceinte de l’université. En vain.

Le lendemain jeudi 10 avril 1980, le wali (Sidi Saïd Hamid) organise un meeting de soutien à la direction politique du pays. Il a rameuté par bus des paysans de la région de Dellys-Cap Djinet qui emplissent l’artère principale de la ville décorée de drapeaux pour la circonstance sous les caméras de la télévision. Une tension vive était perceptible chez les étudiants dont certains voulaient même saborder la manifestation, quitte à recourir à l’affrontement pendant que le comité anti-répression jouait l’apaisement. Toutes les allées menant vers l’esplanade du meeting étaient bloquées par les forces de l’ordre. En fin d’après-midi, le comité anti-répression tient une conférence de presse en présence de journalistes de la presse étrangère. Il avait expliqué les évolutions et les enjeux qui se développaient autour du mouvement et la dynamique de l’auto-mobilisation sans cesse croissante. Il a réaffirmé le caractère fondamentalement pacifique du mouvement et confirmé les arrestations et le maintien en prison de trois détenus : About Arezki, Chemim Mokrane et Naït Abdellah Mohamed.

Durant toute la semaine, des pages entières du journal El Moudjahid sont réservées aux messages de soutien des kasmates du FLN à la direction politique du pays. Des manchettes sont consacrées à la dénonciation des agents de l’impérialisme. La solidarité et les marques de sympathie au mouvement ne cessaient d’être affirmées chaque jour davantage par des citoyens le plus souvent anonymes. Ainsi, les étudiants qui assuraient la vigilance de nuit recevaient régulièrement des offrandes de nourriture, de gâteaux, de café et même de tabac.

Des visites incessantes de solidarité et de soutien durant les soirées de personnages publics. Je ne manquerai pas d’évoquer la première visite de la chanteuse Malika Domrane ; à l’époque infirmière à l’hôpital psychiatrique de Oued-Aïssi, qui, dès son entrée, attirera notre attention sur un intrus présent dans les locaux de la commission information, comme une taupe des services. En effet, H. M., fils du muphti de la mosquée, accompagnera le 20 avril au matin, avec un certain M. Khellaf des renseignements généraux, les brigades opérationnelles de la sécurité militaire pour reconnaître les têtes à sceller. Le premier nommé sera promu à de hautes fonctions dans l’administration de l’Etat. Il exerce aujourd’hui des responsabilités administratives dans les alentours d’Alger. Le personnel de l’hôpital tient une assemblée générale pour décréter sa solidarité avec le mouvement et affiche des banderoles sur son mur d’enceinte. La Sonelec, la Sonitex, la SNLB, les étudiants de l’ITE font de même et affirment leur solidarité au mouvement avec des arrêts d’activités observés successivement.

L’étau resserré et l’assaut de l’université

Le lendemain 11 avril 1980 au matin, tous les accès à l’université sont bouclés par les forces de l’ordre. L’accès sera désormais exclusivement réservé aux étudiants sur présentation de cartes, les autres sont systématiquement refoulés.

Le 12 avril 1980, le groupe de travail composé d’enseignants et d’étudiants chargé de mettre au point un programme de revendications a finalisé son travail pour être présenté aux autorités. L’information pour une grève générale le 16 avril 1980, qui n’était jusque-là qu’au stade de la rumeur, commençait à trouver écho favorable chez la population.

Dans la soirée du 13 avril, un tract signé comité de soutien aux étudiants et travailleurs en grève appelle les Algériens à se mettre en grève générale. Des centaines d’ouvriers des chantiers universitaires de l’Ecotec rentrant le soir chez eux, dans toutes les directions, avec chacun une liasse de tracts de l’appel à la grève et la consigne de les placarder dans tous les cafés des villages.

Le 14 avril, le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdelhak Brerhi, se rend à l’université. Il arrive en compagnie de Djamal Labidi (conseiller du ministre), Hachemi Cherif (dirigeant syndical FTEC), les autorités civiles locales dont Sidi Saïd Hamid et le chef du secteur militaire de Tizi-Ouzou pour assister à l’assemblée générale.

En fin démagogue, M. Brerhi se lance dans une diatribe de menaces à peine voilées mêlées à une logomachie prolixe de « patriardise » pour dénoncer les harkis et les réactionnaires. Un étudiant bizarre va se livrer au jeu de la dénonciation des opposants qui manipulent de l’étranger que Brerhi félicitera d’ailleurs et applaudira chaudement du haut de son piédestal. Cependant, un incident sera enregistré en fin de journée. Mouloud Khellill et Idir Reddad seront arrêtés lors d’un contrôle de barrage de gendarmerie à la sortie ouest de Tizi-Ouzou. Ils étaient en possession de tracts appelant à la grève qu’ils acheminaient sur Draâ-Ben-Khedda.

Le 16 avril 1980 au matin, Tizi-Ouzou était ville morte. Vers 10 heures, des informations nous parvenaient de toutes les villes environnantes confirmant le suivi massif de la grève. Des processions de gens sans discontinuité se dirigeaient vers le campus de Hasnaoua, où il y avait déjà foule. Surpris par cette situation inattendue que nous contemplions de l’intérieur de l’université ; nous redoutions des actes de provocation qui pourraient facilement dégénérer. Mais l’intervention de Ramdane Achab à travers le haut-parleur de la commission information appelant la foule à la responsabilité dans un kabyle châtié, digne des amusnaw de jadis décrits par Mouloud Mammeri, a vite rasséréné les esprits et ramené le calme. C’était suffisant pour comprendre que la jeunesse venait de trouver pour la première fois en l’université un centre d’orientation qu’elle cherchait. Le soir, une réunion regroupant les représentants des différents sites : hôpital, Sonelec, université, etc. Sur proposition des délégués des médecins de l’hôpital, l’idée de création d’une structure de coordination du mouvement sera alors entérinée. Le comité de coordination populaire venait de naître avec son siège fixé à l’hôpital.

Le 17 avril 1980, une assemblée générale s’est tenue à Hasnaoua. A l’ordre du jour, la réponse au télex reçu la veille du ministre de l’Enseignement supérieur, nous invitant à reprendre les cours avant le samedi 19 avril, délai de rigueur. Le soir, la télévision diffuse un discours de Chadli qui s’en prenait vertement à la population de Tizi-Ouzou. Le montage n’était pas sans incidence sur le moral des étudiants. Les enseignants décident de rédiger un texte d’appel aux intellectuels. Avec l’assaut donné à l’université durant la nuit du 19 au 20 avril, la diffusion de ce texte reproduit n’a jamais pu être assurée.

Le 19 avril 1980, curieuse visite à la veille de l’assaut de l’université ! Abdelkrim Djâad du journal Algérie Actualité, en compagnie de Sid Ahmed Agoumi, directeur de la Maison de la culture de Tizi-Ouzou, rend visite à l’université.

Le jeudi suivant, l’hebdomadaire Algérie Actualité consacrera un long article aux thèses de la main étrangère dans le mouvement. Durant l’après-midi, les tensions dans le mouvement déjà persistantes depuis plusieurs jours se compliquent. Des clivages, avec des dessous idéologiques, entre enseignants, étudiants et travailleurs, déjà latents depuis longtemps, commençaient à s’affirmer subitement dans les réunions de travail. Des échanges de propos à la limite de la correction seront entendus. Toutes les tentatives initiées par certains enseignants pour désamorcer ces tensions ont été vaines. Vers 20 h déjà, les gens étaient usés par la cadence des réunions et le manque de sommeil. Tard dans la nuit, on se sépare avec la perspective de reprendre le travail le lendemain matin.

A l’aube du 20 avril 1980, vers 4 h du matin, tous les campus profondément plongés dans le sommeil avaient été investis manu militari par des commandos et des chiens d’attaque. Des centaines d’arrestations et de blessés évacués à l’hôpital, qui a également été investi tôt le matin pour procéder aux arrestations de médecins et infirmiers recherchés, seront enregistrés. Vers 10 h, quand la brume qui enveloppait la ville disparaîtra sous l’ensoleillement, la population découvre avec stupéfaction le spectacle des étudiants massacrés à l’intérieur de l’enceinte de l’université. Réaction immédiate, on érige des barricades et on déclenche des émeutes. Plusieurs jours durant, les jeunes et la population en général se sont mobilisés qui par cars, qui par camions qui à pied de tous les villages et villes environnants pour converger vers Tizi-Ouzou. Toute la Kabylie se mobilise dans un immense élan de protestation contre la violence de l’Etat faite à des étudiants à mains nues. La ville de Tizi- Ouzou va rester bouclée plusieurs jours durant.

A partir du jeudi 24 avril, les affrontements entre forces de l’ordre et la population vont baisser d’intensité. Les rares rescapés encore en liberté vont rétablir petit à petit les contacts entre eux et reconstituer des groupes pour se retrouver à Alger autour de la Fac centrale qui était en ébullition. Des dizaines d’étudiants de la Fac centrale étaient toujours en état d’arrestation. Un comité de solidarité a été mis sur pied pour collecter les informations. C’est ainsi que l’information faisant état de trente-deux morts qui circulait avait été démentie. Pour donner la preuve d’une situation maîtrisée et de calme revenu à Tizi-Ouzou, la télévision diffuse au JT de 20 heures du vendredi 25 avril des images de Tizi-Ouziens jouant aux dominos.

Le jeudi 15 mai 1980, le journal de 20 heures annonce subitement la réouverture du centre universitaire de Tizi-Ouzou pour le samedi 17 mai. Un communiqué du ministère de l’Enseignement supérieur lu à la télévision appelle les étudiants à reprendre les cours. Beaucoup de personnes arrêtées depuis le 20 avril seront relâchées et réapparaîtront durant cette journée du 15 mai 1980.

Le samedi 17 mai 1980, en dernière page du journal El Moudjahid, on publie la liste de 24 personnes à déférer devant la cour de Sûreté de l’Etat pour leur responsabilité dans ce qui était appelé les événements de Tizi-Ouzou.

Le dimanche 18 mai 1980, une grève générale est déclenchée spontanément en réaction à la décision de traduction des 24 personnes devant la cour de Sûreté de l’État. Très peu d’étudiants se présenteront en cette matinée du 18 mai au centre universitaire de Tizi-Ouzou.

Le lundi 19 mai 1980, les traumatismes, les séquelles de blessures et de fractures étaient encore visibles chez beaucoup du peu d’étudiants présents à l’université. Il était difficile d’imaginer une reprise normale des cours dans une telle situation. Un comité de solidarité, mixte enseignants, étudiants et travailleurs, avec les détenus et leurs familles sera quand même mis sur pied. Il initiera une quête d’argent pour venir en aide aux familles des détenus, des recueils de signatures d’une pétition pour la libération des emprisonnés, la constitution de collectif d’avocats pour la défense et organisation de cortèges de visites pour les prisonniers à la prison de Berrouaghia. Le climat de suspicion était tel qu’il était impossible pour nous d’œuvrer à une reprise pédagogique normale pendant que beaucoup de nos amis étaient encore en prison. Deux camarades étudiants toujours sous le choc psychologique seront hospitalisés à l’hôpital psychiatrique de Oued-Aïssi pendant plusieurs semaines.

Le dénouement

Une assemblée générale se tient dans des conditions extrêmement difficiles et décide de reprendre les cours pour assurer l’ouverture de l’université. L’université rouverte constituait tout de même un point de rencontre important pour œuvrer à la libération de nos camarades. Elle nous a permis de rester en contact avec les journalistes, les familles et proches des détenus, d’organiser la solidarité, etc. Les contacts seront rétablis avec des étudiants de l’Université d’Alger, les autorités locales, les avocats, le ministère de l’Enseignement supérieur.

Pour faire en sorte que les étudiants restent sur place dans les campus universitaires, la troupe théâtrale de Sidi-Bel-Abbès de Kateb Yacine et le chanteur Ferhat Mehenni, lui aussi parmi les libérés du 15 mai, vont assurer quelques soirées d’animation à Hasnaoua.

Cette situation, qui durera ainsi jusqu’à la mi-juin, nous a permis de panser les blessures psychologiques, maintenir la mobilisation et rétablir la confiance et l’assurance des familles et proches des détenus qui œuvraient en solidarité avec nous à leur libération.

Le 31 mai 1980, Abdelhaq Brerhi est reçu à l’université en compagnie du responsable du Snesup, des autorités locales et du recteur. Rien de spécial n’avait été apporté dans cette assemblée, sinon de justifier l’objet de sa présence par son désir d’écouter pour transmettre les préoccupations des universitaires à la direction politique du pays. A mesure que les choses évoluaient, la confiance s’installait de plus en plus en nous quant à la libération de nos camarades détenus. Nous serons d’autant plus soulagés à chaque visite qu’on leur rendait en prison.

Le 16 juin 1980, je les voyais dans un moral au top, se permettant même de raconter des blagues à travers le parloir. Le signe de dénouement, tant attendu, nous ne le percevrons que le 24 juin 1980 au soir au campus de Hasnaoua, quand une consigne transmise de la réunion du congrès du FLN par le biais du cabinet du wali nous demandait de surseoir à la quête d’argent. La mise en liberté de nos camarades détenus est confirmée le lendemain dans la soirée.

Le jeudi 26 juin 1980, un cortège sera organisé sur Berouaghia pour les accueillir à leur sortie. Trente ans après, que peut-on retenir du mouvement d’Avril 1980 ? Une grande débauche d’énergie. La langue tamazight reste plus que jamais dans sa situation de menace de disparition.

Par Arab Aknine, 17 avril 2011

in: kabyles.net

Bibliographie
Tafsut Imazighen, revue de presse. Ed Imedyazen Paris 1980.
– Chronologie des événements de Kabylie
– mars 1980. Rachid Chaker. Ed. ronéotée Tafsut.
– Archives personnelles.

Notes

(1) A cette période, M. C. Kherroubi était wali de la wilaya et Sidi Saïd Hamid, commissaire national du FLN.

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CHRONOLOGIE DU PRINTEMPS BERBÈRE 1980

Par Rachid Chaker

Dimanche 9 mars 1980.

En deux années et demie d’existence, le Centre universitaire de Tizi-Ouzou a déjà connu trois grandes grèves dont la dernière en date, très dure, s’est déroulée du 17 octobre au 13 novembre 79; elle posait le problème de la représentation authentique des étudiants dans l’instance universitaire. Le FLN avait accusé les meneurs d’être des berbéristes, voire des bébéro-marxistes (ou plus prosaïquement des Bougiots).

On avait alors supprimé la venue des étudiants bougiots sur Tizi-Ouzou, ceux-ci étant désormais orientés sur Sétif. De même les enseignants algériens ayant accompli leurs études en France, furent particulièrement surveillés, parfois intimidés. De nombreuses atteintes à la liberté des manifestations culturelles berbères se sont déjà produites à Tizi-Ouzou. Interdiction d’Aït Menguellet et d’Idir ; ou de la pièce de théâtre la Guerre de 2000 ans adaptée en kabyle. En rétorsion, une salle de prière aurait été alors mise à sac par les étudiants.

La venue le 10 mars 1980 de Mouloud Mammeri avait été annoncée par voie d’affiches depuis plusieurs jours déjà. Le recteur, bien qu’hostile à cette présence a toléré l’organisation de la conférence par le comité de cité d’Oued Aïssi (comité reconnu par l’administration). Toutefois, plusieurs affiches avaient été arrachées. Dans la nuit du dimanche au lundi à minuit, un mystérieux appel téléphonique de quelqu’un se faisant passer pour le recteur de Tizi-Ouzou prévient Mammeri de l’annulation de sa conférence.

Lundi 10 mars 1980.

Renseignement pris le matin, M. Mammeri s’est entendu démentir au téléphone, par M. Arab, lui-même, toute interdiction ou report de la conférence. Vers 12 heures Mammeri, en compagnie de S. Chaker et d’un chauffeur du CRAPE se dirige en direction de Tizi-Ouzou. Parvenu à 14 heures à Draâ Ben Khedda, ils sont interceptés par un barrage de police. (Un second barrage était d’ailleurs prévu à Boukhalfa.)

Conduit chez le Wali après vérification d’identité, M. Mammeri se voit signifier oralement, l’interdiction de sa conférence sur « la poésie kabyle ancienne » , sous prétexte de « risques de troubles de l’ordre public ». Il est également convié à quitter la wilaya immédiatement. Auparavant, il prend soin de se rendre chez le recteur pour s’enquérir de cette interdiction. Le Wali a en effet » lâché le morceau » en trahissant son exécuteur des basses œuvres, puisqu’il avait charge, le directeur du COUS, M. Mérabtène, de téléphoner « l’annulation » à Mammeri, la veille à minuit.

Le recteur et le secrétaire général de l’Université sont effondrés et déclarent être soumis à des pressions intolérables. Aux environs de 16 h 30, à Hasnaoua lorsque la nouvelle de l’interdiction parvient à la nombreuse foule attendant impatiemment (plus de 1000 personnes !) c’est l’effervescence qui succède à l’indignation. Une A.G. des étudiants est convoquée pour le lendemain mardi 11 mars à 9 heures.

Mardi 11 mars 1980.

Par Rachid Chaker, revue Tasfut n° 80

Publié le 17 Avril 2016 par Ameɣnas

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Les donneurs de leçons

Par Kamal Belkacem

« Des étudiants du Centre Universitaire de Tizi-Ouzou ont exprimé leur mécontentement il y a quelques jours à la suite d’une conférence annulée d’un homme qui, pour prétendre être le chantre d’une culture berbère, n’a rien fait de tel comme contribution a son pays que rédiger un travail de “création intellectuelle sur la culture aztèque...” (1) avant d’accorder une interview à un quotidien Parisien où il confond inquisition chrétienne, monarchie marocaine et l’islam et la Révolution algérienne.

On peut facilement comprendre pourquoi notre jeune génération a tout à gagner en se défiant de tels intellectuels. (2) Les vérités d’un Kateb Yacine ou a un Malek Haddad, même si elles ne font pas l’unanimité, sont les actes de foi patriotiques, un désir profond de communier.

L’incident que certains milieux ont tenté de récupérer n’a, il faut dire, aucune commune mesure avec la tournure qu’il a prise.

Les valeurs arabo-islamiques fondamentales de notre société et, principalement l’Islam qui a trouvé le meilleur accueil en Kabylie, n’ont jamais été édifiées sur l’intolérance et le repli sur soi-même. La Nation algérienne a trouvé son unité dans sa diversité et si, à un moment donné, nous avions jugé avec une grande sévérité les passions non retenues de jeunes, enthousiastes certes, au nom de l’arabisation, il convient par ailleurs, en pareil cas de dire à ceux qui se réfugient derrière d’autres slogans, d’observer la plus grande vigilance à l’égard de ces slogans.

Au moment où la Direction politique, à l’écoute des masses prend en charge tous les problèmes des citoyens, afin de les résoudre de manière globale et juste, notre peuple n’a que faire des donneurs de leçons et particulièrement de gens qui n’ont rien donné ni à leur peuple ni à la révolution, à des moments ou la contribution de chaque algérien à la cause nationale était symbole de sacrifice et d’amour de la patrie. La langue arabe – revendication de notre peuple – est notre langue nationale et il est temps qu’elle reprenne la place qui lui revient dans tous les secteurs d’activités du pays.

Nous ne pouvons en effet continuer à lier le destin des générations futures et notre indépendance à une langue étrangère qui fût la langue de nos oppresseurs, de notre dépersonnalisation.

L’arabisation, contrairement à ce qu’en pensent certains passéistes bornés et “Mac Cartystes” de la culture se traduira dans notre vie de tous les jours de façon réfléchie et révolutionnaire et avec l’adhésion de l’ensemble des Algériens. L’expérience nous a appris que toute tentative d’imposer quelque chose à notre peuple est vaine et relève d l’irresponsabilité.

La culture algérienne sortie, de ses ghettos, de ses inhibitions et de ses interdits – dus le plus souvent à quelques bureaucrates trop zélés qu’à autre chose – doit renaître grâce à l’apport des Algériens qui n’ont pas été engendrés quoiqu’en disent certains dans le berceau de la Rome antique ni dans celui du royaume du Macherek. Elle est l’expression d’une civilisation arabo-islamique qui s’est fondue harmonieusement dans les traditions et spécificités des peuples d’Afrique du Nord. Les plus grands acquis de notre peuple ne se sont pas réalisés à coups de slogans, ni contre la volonté des masses populaires. »

K. B. El Moudjahid 20 mars 1980

Notes

(1) Les “Aztèques” ce glorieux peuple anéanti par les Conquistadores, a fait aussi l’objet d’études célèbres de la part d’un certain Jacques Soustelle de triste mémoire. Curieux choix de ce thème.

(2) S’agissant de la participation à la guerre de libération est-il nécessaire de rappeler son refus de souscrire à un manifeste en faveur du FLN en 1956 et son dédain pour les moudjahidine de 1954, qualifiés par lui dans les colonnes de “l’Echo d’Alger” de chacals des Aurès.

in: kabyles.net

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Réponse de Mouloud Mammeri à l’article de Kamel Belkacem : « Des donneurs de leçons »

Dans la page culturelle du N° 4579 de votre journal (El Moudjahid), en date du 20 mars 1980, vous avez fait un article me mettant directement en cause, sous le titre les donneurs de leçons. Le texte contenant un certain nombre de contre-vérités, je vous prierai de faire paraître ce rectificatif dans la même page de votre prochain numéro.

Sur les allégations me concernant personnellement je fais l’hypothèse charitable que votre bonne foi a été surprise et que ce qui d’ailleurs s’appellerait mensonge et diffamation (et serait à ce titre passible des tribunaux) n’a été chez vous qu’erreur d’information. Il va de soi que je n’ai jamais écrit dans « l’Echo d’Alger » l’article mentionné dans votre texte. Il va sans dire que je n’ai jamais eu à refuser de signer le mystérieux manifeste de 1956 que vous évoquez en termes sibyllins.
Je serais heureux néanmoins que cet incident soit pour vous l’occasion de prendre une dernière leçon sur la façon même dont vous concevez votre métier. Le journalisme est un métier noble mais difficile. La première fonction et à vrai dire le premier devoir d’un journal d’information comme le vôtre est naturellement d’informer. Objectivement s’il se peut, en tout cas en toute conscience. Votre premier devoir était donc, quand vous avez appris ces événements (et non pas dix jours plus tard) d’envoyer un de vos collaborateurs se renseigner sur place sur ce qui s’est passé exactement afin de le relater ensuite dans vos colonnes.

Vous avez ainsi oublié de rapporter à vos lecteurs l’objet de mécontentement des étudiants. Cela les aurait pourtant beaucoup intéressés. Cela leur aurait permis en même temps de se faire une opinion personnelle. Ils n’ont eu hélas droit qu’à la vôtre. Vous auriez pu pourtant leur apprendre qu’il est des Algériens pour penser qu’on ne peut pas parler de la poésie kabyle ancienne à des universitaires algériens.

Nous sommes cependant quelques-uns à penser que la poésie kabyle est tout simplement une poésie algérienne, dont les kabyles n’ont pas la propriété exclusive, qu’elle appartient au contraire à tous les algériens, tout comme la poésie d’autres poètes algériens anciens comme Ben Mseyyab, Ben Triki, Ben Sahla, Lakhdar Ben Khelouf, fait partie de notre commun patrimoine.
En second lieu un journaliste digne (et il en est beaucoup, je vous assure) considère que l’honnêteté intellectuelle, cela existe, et que c’est un des beaux attributs. Attributs de la fonction – même et surtout quand on écrit dans un organe national : là moins qu’ailleurs on ne peut se permettre de batifoler avec la vérité.

Je parle de la vérité des faits, car pour celle des idées il faut une dose solide d’outrecuidance pour prétendre qu’on la détient. Mais visiblement pareil scrupule ne vous étouffe pas. Avec une superbe assurance et dans une confusion extrême vous légiférez, mieux : vous donnez des leçons. Vous dites la volonté, que vous-même appelez unanime, du peuple algérien, comme si ce peuple vous avait par délégation expresse communiqué ses pensées profondes et chargé de les exprimer. Entreprise risquée ou prétention candide ? Quelques affirmations aussi péremptoires dans la forme qu’approximatives dans le font peuvent être l’expression de vos idées (si l’on peut dire) personnelles. Pourquoi en accabler le peuple ?

Il n’est naturellement pas possible de traiter en quelques lignes la masse des problèmes auxquels vous avez, vous, la chance d’avoir déjà trouvé les solutions. Je vais donc tenter de ramener quelque cohérence la confusion des points que vous évoquez.

Vous me faites le chantre de la culture berbère et c’est vrai. Cette culture est la mienne, elle est aussi la vôtre. Elle est une des composantes de la culture algérienne, elle contribue à l’enrichir, à la diversifier, et à ce titre je tiens (comme vous devriez le faire avec moi) non seulement à la maintenir mais à la développer.

Mais, si du moins j’ai bien compris votre propos, vous concéderez comme incompatible le fait de vouloir le développement de cette culture avec ce qu’en vrac et au hasard de votre plume vous appelez : les valeurs arabo-islamiques, l’indépendance culturelle etc.

Vous êtes naturellement libre d’avoir une pareille opinion. Ce n’est pas la mienne. Je considère personnellement qu’au fond la culture berbère, qui nous est commune à tous, l’Islam et les valeurs islamiques sont venus apporter un élément essentiel à la définition de notre identité. Je considère que l’Islam des premiers siècles a été un instrument de libération et d’émancipation de l’homme maghrébin. Je pense que par la suite le ciment idéologique de la résistance nationale aux menées espagnoles et portugaises sur nos côtes (1). Naturellement entre les différents visages qu’il peut prendre dans la réalité j’opte quant à moi pour le plus humain, celui qui est le plus progressiste, le plus libérateur et non pour le visage différent qu’il a pu présenter aux heures sombres de notre histoire.

La contradiction visiblement ne vous gêne pas. « La nation algérienne, écrivez-vous, a trouvé son unité dans sa diversité ». Voilà un sain principe, mais comment le conciliez-vous avec l’article que vous venez de commettre ? Cette diversité que vous êtes fier d’affirmer dans les mots, cela ne vous gêne-t-il pas de la refuser aussitôt dans les faits ? Si je comprends bien, vous voulez-vous donner en même temps le beau rôle d’un libéralisme de principe avec les avantages de la tyrannie idéologique, en un mot être en même temps progressiste dans les termes et totalitaire dans les faits. Ne vous y trompez pas : ce genre d’agissement n’a pas la vie longue. On peut tromper tout le monde quelque temps, on peut tromper tout le temps quelques hommes, on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps. C’est un autre que moi qui l’a dit au XIXe siècle et l’adage depuis a toujours été vérifié.

Le véritable problème est donc premièrement dans la conception étrange que vous avez de votre métier. Que vous soyez totalitaire c’est votre droit, mais vous concevrez aisément que d’autres Algériens préfèrent à la pratique des slogans contradictoires celle de l’analyse honnête. Le véritable problème est deuxièmement dans la vision que vous voulez imposer de la culture algérienne, évoluant entre l’oukase et la déclaration de bonne intention toujours démentie dans les faits. L’unité algérienne est une donnée de fait. Elle se définit, comme incidemment vous l’avez écrit, dans la diversité, et non point dans l’unicité.

À cette unité dans la diversité correspond une culture vivante. La culture algérienne est, dites-vous, « sortie de ses ghettos, de ses inhibitions et de ses interdits ». Votre article est la preuve éclatante qu’hélas elle y est enfoncée jusqu’au cou. Mais soyez tranquille : elle en a vu d’autres, la culture algérienne, une fois de plus elle s’en sortira. Elle s’en sortira car « toute tentative d’imposer quelque chose à notre peuple est vaine et relève de l’irresponsabilité ». C’est votre propre prose. Dommage que vous n’y croyiez pas !

Mouloud Mammeri

(1) : cette phrase semble incomplète

source : Revue Awal, 1990, édition spéciale, Hommage à Mouloud Mammeri, pp. 142-146.

N.B : El Moudjahid n’ayant pas accordé le droit de réponse de Mouloud Mammeri, cet article n’a jamais été publié dans ses colonnes.

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Chapitre 5 « Le printemps berbère » de 1980″ du livre de Amar Ouerdane intitulé « La question berbère »

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« Le Covid-19 à la rescousse des généraux » J.G

Algérie : le Covid-19 à la rescousse des généraux

Par José garçon

La crise sanitaire liée au coronavirus ne constituerait-elle pas une « aubaine » pour le régime algérien ? José Garçon, membre de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen de la Fondation, en soulignant l’inefficacité dramatique des autorités, montre que l’épidémie du Covid-19 permet en effet au pouvoir de poursuivre la politique de répression et de ne pas apporter de réponses au Hirak, mouvement qui a décidé de suspendre sa mobilisation.

Conspué par la rue, le régime algérien a pu nourrir une première fois, le 12 décembre 2019, le sentiment d’avoir « réussi son coup » en faisant passer en force « son » élection présidentielle. Depuis, il se heurtait à la même impossibilité : mettre fin au Hirak, cette insurrection populaire exemplaire par son pacifisme, son ampleur et sa maturité. Un fléau moyenâgeux aura obtenu – momentanément au moins – ce que les « décideurs » militaires n’osaient plus espérer : mettre fin aux marches hebdomadaires du Hirak qui, depuis plus d’un an, exigeaient un « changement de système ». Donnant là une énième preuve de sagesse et de conscience politique, le Hirak a lui-même pris les devants en décidant de suspendre ses rassemblements.

Les « décideurs » auraient toutefois tort de se réjouir de l’aubaine. Avec le Covid-19, le régime doit aujourd’hui gérer un séisme sanitaire majeur dont le coût humain risque d’être dramatique compte tenu du délabrement du système de santé : vétusté et dégradation des hôpitaux, manque criant de moyens (400 lits de réanimation – ne répondant pas aux standards internationaux – pour une population de près de 43 millions d’habitants, pénurie de moyens de protection pour les soignants, etc.), hygiène défaillante, personnel soignant insuffisant et sous-équipement des laboratoires hospitaliers, dont rares sont ceux qui peuvent assurer les tests de dépistage faute de répondre aux normes de sécurité indispensables…

Mise à nu par le Covid-19, cette incurie est dénoncée depuis vingt ans, à coup de grèves à répétition, par des médecins et des internes des hôpitaux. Au point que leur mobilisation fut l’un des moteurs du Hirak. On comprend dans ces conditions le malaise créé par la visite du Premier ministre algérien à l’hôpital de Blida : les combinaisons médicales lourdes et les masques dans lesquels Abdelaziz Djerad et son entourage étaient emmitouflés tranchaient singulièrement avec la simple blouse protégeant médecins et personnel hospitaliers ! Pour ne rien arranger, une intervention chirurgicale en Suisse du secrétaire général du ministère de la Défense, le général Abdelhamid Ghriss, est venue montrer que les hauts gradés continuaient à se faire soigner à l’étranger – signe de leur manque de confiance quant à la qualité des soins dispensés en Algérie… Pourtant, seuls les hôpitaux militaires, dont celui d’Aïn Naadja à Alger, échappent au délabrement généralisé. Ces structures auraient même récupéré l’aide matérielle, l’équipe médicale de 21 personnes et les médicaments chinois (1)arrivés le 27 mars dernier en Algérie.

I – LE CONFINEMENT, MISSION IMPOSSIBLE POUR BEAUCOUP

La parole officielle s’est d’abord voulue rassurante. « La situation est sous contrôle », assurait le chef de l’État le 17 mars dernier, cinq jours après le premier mort du Covid-19. Trois semaines plus tard, les chiffres officiels font état (au 14 avril 2020) de 2070 cas de coronavirus et de 326 morts (2), tandis que les médecins s’inquiètent « de formes graves surtout chez les jeunes », et que les hôpitaux de Blida et Alger sont débordés. Déjà difficile à établir faute de diagnostic, le nombre des personnes atteintes est de fait inconnu. D’autant que le chef de l’État a ordonné le 22 mars dernier « d’interdire la diffusion de toutes statistiques en dehors de celles du ministère de la Santé ». Cet ordre a été suivi par la menace de poursuites judiciaires contre les médias qui y contreviendraient, tandis que la page officielle du ministère du Commerce reprenait un faux communiqué de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirmait que l’Algérie était « hors de la zone de danger » et allait « bientôt vaincre le Covid-19 »…

Pour faire oublier cette situation, le chef de l’État a promis, le 13 avril 2020, un changement radical dans le secteur de la santé : suppression du service civil pour les médecins spécialistes (3), mesures pour les inciter à travailler dans les wilayas (préfectures) du sud et réévaluation de la grille des salaires des soignants. Les autorités, conscientes que les infrastructures sanitaires ne peuvent tenir le choc, ont par ailleurs passé outre la controverse sur le traitement du Covid-19 par la chloroquine. Elles annonçaient, le 31 mars dernier, que ce médicament – produit localement – serait utilisé pour traiter « tous les malades atteints du coronavirus, ainsi que tous ceux qui auront des signes de contamination » et pas seulement les cas aigus comme déclaré dans un premier temps. Volonté de prouver qu’elles se donnaient les moyens de « guérir » pour faire oublier l’état catastrophique des infrastructures sanitaires ? On ne compte plus en tout cas les communiqués « prévoyant des guérisons ».

Entretemps, la région de Blida – la plus touchée – était placée sous confinement total tandis qu’un couvre-feu allant de 19h à 7h était progressivement étendu à toutes les wilayasjusqu’au 19 avril 2020, avant d’être élargi de 15h à 7h dans neuf d’entre elles (dont Alger, Oran, Sétif, Tizi Ouzou, Tlemcen, Médéa, etc.). Alors que tous les transports publics sont à l’arrêt, les autorités n’excluent plus un confinement total. Non sans une certaine confusion : après une valse-hésitation, pharmacies et buralistes sont finalement restés ouverts, les marchands ambulants aussi, mais « en rotation par quartiers ».

En l’absence de réelles mesures d’accompagnement, les Algériens s’accommodent des mesures prescrites comme ils le peuvent – c’est-à-dire difficilement dans un pays où tant de gens ne survivent que de l’informel (4). Comment en serait-il autrement quand rester chez soi relève d’une mission impossible pour des secteurs très importants de la population qui vivent dans des logements insalubres ? Dans une ambiance générale assez anxiogène – qui, paradoxalement, n’empêche guère une fréquentation notable de certains étals de fruits et légumes –, les stations d’essence ont été prises d’assaut. La semoule, base de l’alimentation, est, quant à elle, introuvable depuis début avril 2020 en raison d’achats massifs à la suite d’une rumeur faisant état d’une rupture des stocks. La distribution des produits de première nécessité – qui relève désormais de la direction du commerce ou des municipalités – provoque bousculades, bagarres et files d’attente interminables, avec parfois des gens collés les uns aux autres… D’où la crainte d’un grand nombre de contaminations.

II – PROFITER DU CORONAVIRUS POUR METTRE AU PAS LE MOUVEMENT POPULAIRE

Fidèle à lui-même, le régime entend de toute évidence profiter de l’épidémie et de la trêve sanitaire décrétée par le Hirak pour… réprimer et censurer la presse. Partout dans le pays, il cherche à faire taire les récalcitrants – activistes politiques (5) ou journalistes comme Khaled Drareni –, décourager les autres et faire peur à tous. Signe qui ne trompe pas : la grâce de quelques 5037 prisonniers décrétée par le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune ne concerne … aucun des 50 détenus d’opinion liés au Hirak, en dépit des dangers de contamination en prison. Et surtout pas le plus connu d’entre eux, Karim Tabbou, qui fait l’objet d’un surprenant acharnement judiciaire (6). Parallèlement, le verdict de plusieurs procès d’ex-détenus et de manifestants du Hirak a été renvoyé « à une date ultérieure », tandis que les audiences maintenues se sont déroulées à huis clos pour cause d’épidémie. Police et gendarmerie convoquent en outre nombre de militants, tandis que le procureur adjoint du tribunal de Tiaret, connu pour ses activités syndicales et son combat pour les droits des magistrats, a été placé sous mandat de dépôt. Plusieurs personnes ont aussi été placées sous mandat de dépôt pour « diffamation » sur… Facebook ! « Scandaleuse promptitude » du pouvoir « à profiter que le monde soit occupé par le coronavirus pour accélérer la répression du Hirak », résume notamment Human Rights Watch à l’unisson des autres ONG.

Rien ne dit cependant que le régime viendra à bout de la contestation populaire. Alors que sa rupture avec une grande partie de la société est consommée, la défiance des Algériens risque de tourner à la colère face au peu de moyens dont dispose le pays et en dépit de l’annonce de la participation de l’armée (7) à la lutte contre le Covid-19. Les décideurs militaires ne l’ignorent pas. Dans son numéro d’avril 2020, El Djeich, la revue de l’armée, martèle avec l’emphase qui lui est propre que la « détermination de l’État algérien (dans la lutte contre le virus) a permis au pays d’éviter une véritable tragédie » et souligne que l’armée « demeure prête en permanence à faire face à toute situation d’urgence ». El Djeichcroit bon de souligner au passage, ce dont personne ne doute par ailleurs, la « cohérence totale entre le président Tebboune et l’ANP (l’Armée nationale populaire) ».

Cette montée au créneau de l’armée survient au moment où l’on assiste à un chamboulement très conflictuel au sein de la haute hiérarchie des services de renseignement (8). Ce mouvement s’est accéléré au cours des derniers jours avec le limogeage puis l’arrestation le 14 avril dernier « pour haute trahison » du puissant général Bouazza, l’un des chefs de la police politique, ainsi que la disgrâce du patron de Antar, l’une des principales casernes des services de sécurité. L’accélération de cette crise – qui durerait depuis quatre mois – reste encore difficile à analyser. Sauf à noter deux faits significatifs : le général Bouazza s’était opposé à la candidature d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République ainsi qu’une surprenante déclaration du chef d’état-major, le général Chengriha. Ce dernier a jugé bon, le 13 avril 2020, d’ordonner aux officiers de la DGSI de « se mettre sous les ordres » de leur nouveau chef, le général Rachedi, et « d’agir dans le respect de la loi et de l’intérêt du pays ». Avertissement à d’éventuels partisans du général Bouazza ? Une chose semble sûre : ce grand chambardement vise à placer l’ensemble des services de renseignements sous la férule de l’état-major.

III – LE HIRAK, DU RASSEMBLEMENT PACIFIQUE À LA MOBILISATION SANITAIRE

Véritable école civique et démocratique qui, quoi qu’il arrive, demeurera une pépinière de nouveaux cadres politiques et reconfigurera le politique à long terme, le Hirak devrait, quant à lui, se réinventer et s’exprimer sous d’autres formes et par d’autres actions pour entretenir une mobilisation de la société. D’ores et déjà, son fameux mot d’ordre silmiya – pacifique – laisse place à sihya – sanitaire –, allusion aux opérations de sensibilisation et de solidarité prophylactiques menées par ses militants. Dans certains quartiers, alors que les autorités s’interrogeaient encore sur la nécessité de fermer les mosquées, des jeunes nettoyaient déjà les rues et désinfectaient les halls d’immeubles ou les rideaux des magasins fermés. Prenant acte de l’impossibilité de compter sur l’État, les Algériens ont, là encore, pris les devants. Une solidarité impliquant associations de la société civile, opérateurs économiques et hommes d’affaires s’organise un peu partout pour sensibiliser sur les risques du Covid-19, faire respecter les mesures barrières, collecter des aides et les redistribuer aux plus démunis. Soumise à un confinement total, la ville de Blida bénéficie d’un incroyable élan de solidarité, y compris à travers des dons en matériels médicaux pour ses hôpitaux.

L’absence d’illusion quant à l’efficacité de l’État est telle que nombre de villes et villages, notamment en Kabylie où la dynamique d’autogestion impliquant les structures traditionnelles est impressionnante, auto-organisent leur confinement, désinfectent les véhicules, répètent les mesures de prévention et préparent écoles, mosquées ou hangars pour servir d’hôpitaux. Partout, des entreprises, mais aussi des couturières, se sont mis à la fabrication de milliers de masques destinés principalement aux hôpitaux. Un élan dont l’ampleur rend dérisoire le don… d’« un salaire » par le chef de l’État, les ministres ou les officiers supérieurs de l’armée ! 

IV – L’ALGÉRIE ENTRE DANS UNE ZONE DE TEMPÊTE ÉCONOMIQUE

Le péril sanitaire agit en réalité comme révélateur d’une crise qui est aussi politique, économique et sociale. « L’Algérie est capable de résister à l’impact de cette crise », a commencé par assurer le gouvernement, avant que le chef de l’État n’évoque « la vulnérabilité » de l’économie « en raison de notre négligence à la libérer de la rente pétrolière » et dénonce, non sans cynisme, les « mauvaises pratiques comme le gaspillage et l’esprit de fainéantise et de surconsommation » ! Sans souffler mot de ce qui, avec le clientélisme, le népotisme et la corruption au sommet de l’État, rend l’Algérie ingouvernable depuis l’indépendance : l’existence d’un double pouvoir, celui décisionnaire de l’armée et celui – illusoire – d’un président chargé de l’intendance et ne pouvant agir sur les dossiers sensibles que dans le cadre défini par les « décideurs » militaires et les services de renseignement.

Aujourd’hui, même si les autorités peuvent arguer que la situation économique et financière n’est pas meilleure dans les autres pays, l’Algérie s’achemine vers une zone de tempête économique. Et ce même si elle a décidé en pleine crise du Covid-19 de réduire les dépenses publiques de 30 % (sans toucher aux salaires des fonctionnaires), de ramener les importations à 31 milliards de dollars (contre 41 milliards prévus pour 2020), d’économiser 7 milliards de dollars en n’ayant plus recours aux cabinets d’expertise étrangers, tandis que le géant public des hydrocarbures, la Sonatrach, affirme réduire son budget 2020 de 50 %. Les réserves de change ont en effet fondu, passant de 250 milliards de dollars en 2014 à… 60 aujourd’hui, soit un peu plus d’une année d’importations. Elles risquent de se contracter davantage encore avec la chute des prix du pétrole – 98 % des exportations du pays – d’autant que la loi de finances 2020 a été établie sur la base d’un pétrole à 50 dollars le baril (actuellement à 32 dollars).

À elle seule, cette situation économique exigerait de sortir de l’impasse politique actuelle pour aller vers une démarche de réconciliation et créer du consensus national. On en est loin au vu du durcissement sécuritaire observé à l’ombre du Covid-19. Depuis le 9 avril dernier, le terme « Censurés » en rouge barre les deux sites d’information électronique Maghreb Emergent et Radio M. Pour justifier le blocage de ces médias qui ne sont plus accessibles en Algérie, les autorités ressortent, sans surprise, le répertoire inoxydable des régimes autoritaires : « financement de l’étranger »(9) Peu avant, le porte-parole de la présidence avait déjà dû rétropédaler pour tenter, dans un communiqué aux furieux airs des années 1970, de se sortir du mauvais pas dans lequel il s’était mis à la télévision publique : avoir accusé le Hirak de faire « prendre au pays le risque d’une contamination ».

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Notes :

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C

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POUR LIRE L’article source, cliquer ici

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Promenade déconfinée

En application de l’article 3 du décret du 23 mars etcetera, je soussigné ah certifie que mon déplacement est lié au motif suivant : Déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit…

Fait à M. ma ville, le… quotidiennement.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO DE LA MARCHE

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Coronavirus et l’Afrique: la banalité du racisme

Une vidéo et deux articles: 1- Haythem Guesmi et 2- Dominique Sopo

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LA VIDÉO – à propos d’un discours tenu sur LCI, ici: CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO de LCI ( notamment à partir de : 4’32 »)

OU.CLIQUER ICI

Camille Locht (g.) et Jean-Paul Mira (d.), invités par la chaîne française LCI le 1er avril 2020.

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Les articles:

1_ Le Blog de Haythem Guesmi _ in Mediapart.fr 8 avril 2020

La banalité du racisme abject dans les médias français vient confirmer une certitude sans faille chez beaucoup des Africains : si on veut imaginer ensemble la possibilité d’un autre monde après cette crise, il faut surtout sauver l’Afrique de la prédation de l’élite française.

La séquence largement partagée sur les réseaux sociaux est connue, le discours raciste et abject est familier, mais cette nouvelle « provocation » nous présente avec une scène inédite : après la figure de journaliste-polémiste, c’est autour d’un médecin reconnu, le chef de service réanimation à l’hôpital Cochin, de décider en l’espace d’une minute de se métamorphoser en un scientifique-troll pour stigmatiser tout un continent et son peuple.

De la pure ingénierie mentale. Parce qu’il savait que ses propos vont suivre une trajectoire connue : le buzz, l’indignation, les excuses, le révisionnisme néocolonial, et enfin l’avancement de carrière. Et le cycle ne s’arrêtera jamais. La mise en scène est même travaillée : avant de commencer son discours avec une timide « si je peux être provocateur », le scientifique-troll savait déjà la suite des choses. Le jeu de regard, la dédramatisation en premier temps de l’ampleur de sa provocation, qui légitime dans un deuxième temps un racisme d’une violence inouïe. Bien sûr, certains osent parler de l’idiotie, l’absence de jugement et l’involontaire pour justifier l’injustifiable.

Le médecin devenu troll ainsi que son interlocuteur le directeur de recherche Inserm à l’Institut Pasteur de Lille, ce que l’institution française a produit de mieux, ont volontairement et en toute connaissance de cause décidé d’insulter les africains en réitérant la thèse hégélienne raciste et ignorante que l’Afrique est un continent sous-développé et marqué par la barbarie et la brutalité. Un espace de diable.

La banalité de racisme abject chez ces deux médecins vient confirmer une certitude sans faille chez beaucoup des Africains : si on veut imaginer ensemble la possibilité d’un autre monde après cette crise, il faut surtout sauver l’Afrique de la prédation de l’élite française.

À la recherche d’une jouissance perdue   

L’imaginaire raciste sur l’Afrique que véhiculaient les propos racistes de deux médecins se retrouve dans beaucoup des récits politiques et médiatiques sur l’incapacité de ce continent à faire face à la crise sanitaire. Après le Christianisme, c’est la science qui devient le seul et unique fondement du progrès de l’humanité, et l’Afrique est réduite à être un laboratoire à ciel ouvert.  

La note de recherche du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) ainsi que plusieurs analyses journalistiques et reportages médiatiques banalisent tout progrès scientifique et toute expertise en gestion de la pandémie. Chez des experts français, que l’état africain aille « faire massivement la preuve de son incapacité à protéger ses populations » lors de la pandémie de COVID-19 parait inéluctable.

Pourtant, dans les faits, rien ne justifie ces projections alarmistes sur l’Afrique. Non seulement le nombre des cas de contamination et de morts plusieurs pays africains restent à date très restreint, mais aussi les mesures de confinement et de distanciation sociale ont été mises en place en suivant les consignes de l’OMS, même lorsque ces mesures sont fortement ruineuses pour les économies locales. De plus, l’onde de choc à venir après cette crise n’est pas exclusive au continent africain et ses dictateurs. Même dans des démocraties solidement établies comme la France et les États-Unis, la gestion chaotique de la pandémie témoigne de leur vulnérabilité, voir l’irrationalité comme avec la tenue des élections municipales. Même avec leurs mensonges d’état à répétition, les dictateurs africains, eux, ne l’ont pas osée.

Dans un quotidien de pandémie où le spectacle morbide de la mort et d’effondrement se tient en Europe plutôt qu’en Afrique, l’inversion inattendue des rôles ne peut que suspendre la possibilité de jouissance. Dans ce sens, l’intérêt pour les éventuels scénarios de catastrophe en Afrique doit être appréhendé dans leur capacité à combler un vide dans l’imaginaire toxique qui lie la France et l’Afrique. Chez les racistes et les néocoloniaux, se fantasmer à faire violence à ces africains, réduits à des cobayes et des prostituées, aide à calmer leur crise d’angoisse. La répétition de l’ordre colonial intensément intériorisé chez l’élite française favorise un retour de jouissance dans l’espace public français.  

Elle est là la faille ! Quand l’élite française nous demande d’oublier le passé colonial et invite à passer à autre chose parce que le temps de la colonisation est révolu, nous les africains savons que le temps n’est jamais linéaire, surtout quand la notion de la continuité, dans son expression la plus ignoble, celle de néocolonialisme, se manifeste au quotidien dans le rapport que l’élite française a avec nous.

Le besoin urgent d’accuser l’élite française!  

Cette continuité néocoloniale qui caractérise la relation entre la France et l’Afrique prend toute son ampleur dans sa virulente capacité infinie à empoisonner l’horizon africain. Comme plusieurs analystes et observateurs africains l’ont souligné à maintes reprises, l’effet dévastateur des propos racistes de deux médecins français ne se résume pas seulement à « la montée du sentiment anti-français au sein de la jeunesse africaine », mais encore à une éventualité plus grave : le refus des jeunes africaines de se faire vacciner contre le coronavirus par peur de se faire passer pour des cobayes.

Face à cette réalité affligeante, il me parait évident que le besoin urgent de décoloniser l’élite française de son imaginaire toxique et prédatrice ne peut être la responsabilité des Africains. Nous on sait qu’un racisme anti-africain très ancré en France ébranle toute forme de solidarité et de coopération équitable dans le monde futur qui se prépare. Et on n’a pas cessé de le souligner dans notre activisme et littérature, mais en vain.  

Au lieu d’envisager le « patient politique zéro » qui vient déstabiliser les régimes africains, il est plus que vital d’imaginer une « grande figure politique zéro » en France qui aura le courage de sacrifier sa carrière, engager son honneur et s’exposer personnellement pour dénoncer ses collègues qui font du racisme un métier et un quotidien.

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Entre les commentaires, celui-ci de Cécile Winter

Les propos du médecin français ne sont pas étonnants, mais reflètent ce qu’a été jusqu’aujourd’hui la réalité du rapport des médecins français et en général de « l’occident » à l’Afrique en matière de santé. Il serait temps d’écrire et faire connaître l’histoire monstrueuse qui a été celle du rapport à l’Afrique concernant l’épidémie du VIH. Je ne cite ici que quelques points:

1. Dès le départ. Il y a une conférence du Pr. Gentilini faite à Abidjan en 1989 ( avant qu’il n’y ait aucun traitement). Je viens de voir qu’on peut la retrouver sur le net. Je me rappelle très bien la phrase  » si on devait écrire le bêtisier du Sida ce serait long… », or ce n’était que le début. Il mettait alors en cause l’OMS qui avait fait savoir aux gouvernements africains qu’il s’agissait d’une maladie « de blancs » qui ne les concernait pas , qu’ils devaient se focaliser sur leurs problèmes de santé endémiques, ce qui, expliquait-il, a faire prendre un retard énorme dans les campagnes d’information et de prévention. Or bien sûr la maladie venait d’Afrique (le virus a commencé à se répandre dans les années 20 avec la colonisation belge, les regroupements de gens dans les pires conditions d’hygiène dans ce qui allait devenir Kinshasa). Elle n’a pas été repérée pendant longtemps  étant donné les structures sanitaires, et est-ce qu’on allait trouver anormal que quelqu’un meure après avoir eu des diarrhées et avoir maigri ( forme clinique la plus fréquente que prenait le Sida en Afrique). Donc on l’a découverte quand des américains qui voyageaient ont présenté une infection opportuniste bizarre et peu fréquente. Par contre, et dans l’autre sens, vous savez qu’à l’époque on l’appelait la maladie des trois H, un des H étant pour « haïtien » de telle sorte que les USA avaient fermé leur frontière aux haïtiens, alors qu’en fait ce sont des « touristes » américains, qui ont introduit le virus VIH en Haïti. A ce sujet il y a des explications détaillées dans le livre de Paul Farmer intitulé « inégualities and infectious diseases » 

2. Chapitre « vaccins ». Pendant longtemps il y a eu un buzz considérable sur le thème: la solution pour l’Afrique ce sera le vaccin. Or la question d’un vaccin » pour le VIH, virus qui infecte les cellules du système immunitaire et s’intègre dans leur ADN, n’a rien à voir avec les vaccins contre des virus  donnant lieu à des infections aiguës, tels que Ebola grippe coronavirus etc… Les vaccins contre ces virus posent des questions de fabrication technique, mais la conception est simple et correspond à ce qu’ a toujours été un vaccin, à savoir: accélérer la réponse immunitaire normale de l’organisme, en injectant des antigènes de l’agent pathogène contre lequel on veut vacciner, qui vas susciter une réponse anticorps qui sera alors prête à agir immédiatement quand l’organisme rencontrera l’agent pathogène en question ( il y aura une « mémoire immunitaire » prête à l’avance pour « détruire l’agent infectieux). C’est le même principe pour tous les vaccins existants. Le VIH n’a rien à voir car l’organisme ne crée pas spontanément une réponse immunitaire qui protège (des anticorps, tous ceux qui ont le VIH en ont, c’est même comme ça qu’on faite le diagnostic: ils sont « séropositifs »), dont il faudrait en « inventer » une extra-naturelle, or malgré tous les labos qui sont sur le sujet, on n’en a même pas l’idée aujourd’hui en 2020 ( disons en 2017 parce que je ne suis plus la biologie fondamentale et les conférences VIH depuis ma retraite), on n’en a pas l’idée malgré les centaines d’études sur les 5% de gens qui ont le VIH mais contrôlent spontanément le virus (ils ont une charge virale négative spontanément et on les appelle « elite controlers »).

Bref, je vous dis tout cela parce que en 1992! à la conférence mondiale sur le Sida à Amsterdam, un type est monté à la tribune (je me rappelle le nom de sa firme, « Genetech ») et il a sorti des diapos montrant « combien de morts auraient été évitées en l’an 2000 »!!! grâce au vaccin. J’étais à côté d’une amie virologue bossant à Pasteur, on s’est regardées ahuries, pour apprendre effectivement au cours du congrès que 4 essais vaccinaux allaient commencer!!! dans 4 pays, Ouganda, Brésil, Thaïlande, j’ai oublié le 4è qui était aussi je crois un pays d’Afrique noire(en tout cas aucun pays en Europe ou Amérique du nord) Coïncidence bizarre, les seuls médecins « non blancs » qui ont parlé au cours de ce Congrès venaient de ces pays (je me rappelle la présentation du collègue ougandais parce qu’elle était bouleversante et pathétique). Lors d’une pause, mon amie et moi nous sommes assises à côté du premier « noir » que nous avons vu,  c’était un collègue de Zambie qui nous a expliqué qu’on avait fait pression sur eux tous pour leur faire accepter cet essai dans leur pays, lui et beaucoup d’autres avaient refusé parce que ils devaient accepter sans savoir qui serait vacciné et avec quel produit, mais ils avaient en même temps l’angoisse au ventre, au cas où ils auraient peut-être refusé quelque chose, ou des crédits futurs pour quelque chose qui aurait pu aider leurs malades. Il nous avait dit aussi qu’ils avaient chargé le médecin ougandais, seul invité à faire une présentation à la tribune, de parler pour eux tous.

je raconte cela parce que cette comédie du vaccin VIH avec l’antienne « pour l’Afrique ce sera le vaccin » a duré des années, avec je ne sais combien « d’essais ». Dans les congrès vous aviez les séances « essais vaccinaux » pendant que dans les sessions d’immunologie fondamentale on expliquait x hypothèses mais pas la moindre idée de ce qui pourrait protéger du VIH. Pourquoi je pense que cela mérite d’être raconté, entre autres parce que je pense que ce bluff énorme a pu générer une méfiance logique dans les pays d’Afrique vis-à-vis du « vaccin » en général

3 Pendant qu’on parlait pour l’Afrique de vaccins dont le concept même n’existait pas, les traitement antirétroviraux ont eux bel et bien commencé à arriver, et en 1996, on disposait d’une trithérapie permettant de contrôler la charge virale de tous nos malades, autrement dit on ne mourrait plus du Sida, on devenait porteur chronique d’un virus qu’on savait contrôler. Mais il n’ y avait aucun de ces traitements en Afrique noire. J’ai le souvenir d’un éditorial du » Monde » disant textuellement « étant donné le prix des médicaments, il faut que les africains comprennent qu’ils devront se contenter du préservatif », je ne l’ai plus sous la main pour retrouver sa date, mais je pense que c’est vers 1999 (c’est là que j’ai envoyé un dossier de presse à tous mes collègues et à tous les journaux, en obtenant seulement du Monde Diplomatique la proposition d’écrire un commentaire sur le livre de Paul Farmer, ce que j’ai fait). Comme vous le savez peut-être, ce qui nous a sauvés, ou commencé à nous sauver, c’est la décision du gouvernement brésilien de fabriquer des génériques (ainsi qu’un labo thailandais qui fabriquait à l’époque un générique d’une molécule). C’est ce qui a fait baisser le prix des antiviraux d’une facteur 20 ( ou plus, 150 euros le traitement mensuel contre environ 5000 euros en France à l’époque) et c’est seulement alors qu’a été fondé le fameux « fonds mondial contre VIH tuberculose et palu. Mais vient alors la question de l’usage de ces médicaments;

J’ai pris l’exemple de l’initiative mondiale pour éviter la transmission mère-enfant, annoncée au congrès international de Durban en 2000 – qui a été l’occasion pour la première fois d’une importante mobilisation, mais il n’y avait toujours pas d’antiretroviraux disponibles en Afrique. Cette initiative annoncée à grand bruit consistait à proposer aux femmes enceintes arrivant au moment d’accoucher et chez qui on diagnostiquait alors le VIH, un comprimé de Nevirapine (Viramune) en début de travail. Le « rationale » de l’affaire, c’est que la Nevirapine fait baisser très rapidement la charge virale, si bien qu’au moment de l’expulsion de l’enfant on pouvait éviter sa contamination per partum. Malheureusement, la charge virale remonte aussitôt à son niveau antérieur, avec cette fois un virus résistant à Nevirapine, car c’est très rapide, il suffit d’une mutation pour que ce médicament ne marche plus ( c’est même en se servant de Nevirapine que le fameux Dr. Ho avait pu calculer la quantité de virus produite quotidiennement dans l’organisme, grâce à la pente très rapide d’apparition de ce virus résistant): donc je veux dire que clairement tout le monde le savait.Moralité, les femmes qui ont reçu ce traitement avaient des chances heureuses d’avoir un enfant non infecté, mais la trithérapie à venir était foutue pour elles, car on savait que la trithérapie qui allait arriver comportait Viramune plus deux autres médicaments, 3TC et D4T ou AZT. Si elles ( ou leur enfant malheureusement infecté malgré Viramune) recevaient ensuite cette « trithérapie », c’était en fait une bithérapie puisque Viramune était inefficace: ce qui veut dire que le virus continuait à se multiplier, hors la résistance à 3TC survient en environ un mois ou moins ( il suffit aussi d’une seule mutation) donc la trithérapie était en fait monothérapie et on finissait par avoir aussi la résistance à D4T /AZT. Combien de patientes arrivant dans ce cas j’ai pu voir, venant d’Afrique noire et d’Haïti, et combien de publications à ce sujet!! Cela survenait – et survient encore – quand les médicaments viennent à manquer et qu’il y a des interruptions. Mais dans l’initiative internationale dont je vous parle, on le savait et on pouvait parfaitement l’éviter: il suffisait de donner à la femme, même si on voulait arrêter ensuite le traitement, un traitement de quinze jours après l’accouchement – avec AZT au moins ou AZT/3TC – le temps que la Nevirapine disparaisse du sang ( car ce médicament a une demi-vie longue): cela permettait d’éviter l’apparition de la mutation de résistance à Viramune et donc préserver l’efficacité de la trithérapie à venir pour la femme. C’est par exemple ce que les thaïlandais ont fait chez eux, ils prolongeaient par 15 jours d’AZT, c’était parfaitement faisable. Pourquoi cela ne s’est pas fait dans ce programme magnifique! pour l’Afrique noire, je suppose que c’est parce que le labo Boehringer qui fabriquait à l’époque Viramune le fournissait « gracieusement » et que les autres ne l’ont pas fait. Je n’étais pas dans leur tractation. j’ai levé timidement la main au cours de cette séance, timidement à cause de mon mauvais anglais, pour poser la question, me demandant comment il se pouvait que je sois la seule à intervenir! et je me suis fait rembarrer par l’orateur d’un revers de main, « ah, question de résistances… »

3) Pourquoi le type de Cochin parle de prostituées, ça a dû lui venir tout seul parce que sans doute comme moi il a entendu des années durant dans les congrès des communications faites à partir de « la cohorte des prostituées de Nairobi », chez lesquelles on faisait x prélèvements pour étudier la susceptibilité génétique au virus et x truc de ce genre sans inclure ces femmes dans aucun programme de soin. Tapez sur google « cohorte des prostituées de Nairobi ». Il y a eu plein d’études de ce genre à l’époque. Il serait temps que le « grand public » y mette son nez

4) Le florilège des interventions et commentaires relevant du racisme le plus bestial, je pourrais le faire, y compris dans les communications des congrès internationaux. Mais si je dis que toute cette histoire mérite d’être  racontée en détails, c’est d’abord en soi, et ensuite, parce que cela entretient une suspicion légitime, mais en même temps nuisible, parce qu’elle conduit parfois à refuser des choses qui sont fondées scientifiquement et utiles. Ceci dit, il suffit de s’expliquer. Il m’est arrivé bien souvent de dire à mes patients africains que je savais comme eux que les crimes des blancs étaient innombrables, mais que la « science des blancs » est à prendre comme telle dans la mesure où c’est la science tout court, d’ailleurs l’algèbre a été inventée en tel lieu, la physique moderne en tel autre, ce qui compte c’est que si on est dans la science elle vaut pour tout le monde . Ils comprenaient parfaitement, « vous voulez dire que c’est universel » et je répondais oui c’est ça.Je suis beaucoup moins optimiste quant au décrassage des esprits de nos compatriotes. Quand Paul Farmer  et son équipe ont réalisé le premier programme de trithérapie anti VIH « en région pauvre » – c’était sur le plateau central d’haïti -, tous les experts à l’époque émettaient des doutes, n’est-ce-pas, sur la capacité des pauvres et illettrés à prendre le traitement! il a eu des taux de succès de plus de 99%, bien mieux que chez nous, parce que l’observance était parfaite, parce que une ou deux dames déjà traitées faisaient le tour du village chaque jour, entraient chez ceux qui devaient prendre le médicament pour vérifier s’ils l’avaient pris, s’ils avaient de quoi manger avec etc..

In blogs.mediapart.fr – 8 avril 2020

Haythem Guesmi est doctorant à l’Université de Montréal en études anglaises et écrivain tunisien. (cette info, « doctorant… » lue in Le Monde daté 17 mai 2019 à la suite d’un article intitulé« L’Europe veut imposer aux Tunisiens un projet de dépendance économique totale »)

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2_ Dominique Sopo

[Tribune] Traitements contre le coronavirus testés en Afrique : LCI et les « provocateurs »

Par Dominique Sopo  – Président de SOS Racisme (France)

08 avril 2020

Deux médecins français ont évoqué, sur la chaîne d’information LCI, l’idée de tester des traitements contre le coronavirus en Afrique, déclenchant une vive polémique. Si les scientifiques se sont excusés depuis, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, juge l’incident tristement révélateur.

Mercredi 1er avril sur LCI, deux médecins ont devisé du rôle du vaccin BCG contre le coronavirus. Le professeur Locht, directeur de recherche à l’Inserm, expose les protocoles mis en œuvre afin de tester ce vaccin. Il déclare que ces essais se déroulent en Europe – et qu’il espère les voir se dérouler également en France – ainsi qu’en Australie.

Le professeur Mira, chef de service à l’hôpital Cochin, amène alors le professeur Locht sur le terrain de l’efficacité de l’étude, qu’il serait compliqué de mener à une échelle suffisante dans les pays cités puisque les protections contre le virus s’y multiplieraient. Il finit par déclarer : « Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne pourrait pas faire ces tests en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitements, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études avec le Sida, où chez les prostituées on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu’elles ne se protègent pas ? »

Quelques instants plus tard, le professeur Locht lui répond : « Vous avez raison, et nous sommes en train de réfléchir à une étude en Afrique pour faire ce même type d’approche avec le BCG et un placebo ».

Certes, comme je l’ai exposé, ces propos s’inscrivent dans une séquence plus longue où le professeur Locht explique que des tests se pratiquent sur d’autres populations et où ces deux médecins apportent des arguments scientifiques à l’appui de leurs analyses.

Mépris des corps noirs

Alors, pourquoi cette émotion devant de tels propos ? Au-delà des mauvaises interprétations – non, l’Inserm ne mène pas une étude sur les Africains à l’exclusion des autres populations -, les mots du professeur Mira révèlent à l’endroit des corps noirs un mépris, fut-il inconscient, et présenté d’un ton badin sur le thème de la « provocation ».

Provocation fort déplacée en réalité, tant les arguments avancés pour faire des Africains des cobayes (absence de masque, absence de traitement…) pourraient également être utilisés pour l’Europe. Provocation fort déplacée en réalité, tant le professeur Mira aurait pu éviter d’adopter un ton primesautier pour évoquer des tests sur des populations présentées comme démunies – elles le sont en partie – sans jamais se poser la question de leur dénuement, pas plus que celle de la façon d’y remédier pour les protéger d’un virus mortel.

Que dire, en outre, de la comparaison, strictement réservée aux Africains, avec le Sida et les prostituées ? Quelle association d’idée se réalise à ce moment-là chez ce professeur pour qu’il extraie de son registre de références cette analogie précise, dont on sait qu’elle est socialement péjorative ?

Interroger le dispositif médiatique

La direction de LCI que j’ai jointe a insisté sur le contexte dans lequel ces propos ont été tenus (c’est-à-dire la totalité de la séquence), sur la parole sans affect des médecins et sur la faible maîtrise des médias par ces derniers. Ces trois arguments doivent être interrogés.

Ce n’est pas là une parole sans affect. C’est une parole sans respect.

Tout d’abord, je constate que les problématiques du racisme, du mépris et de l’infériorisation disparaissent de la légitimité médiatique française. Les principaux médias de notre pays jurent qu’ils sont contre le racisme mais, curieusement, trouvent que les noirs et les Arabes poussent le bouchon trop loin à chaque fois qu’ils évoquent un irrespect à leur égard.

Ensuite, je constate que le manque d’affect n’est pas précisément ce qui caractérise la parole du professeur Mira lorsqu’il se réfère aux prostituées et au Sida. Ce n’est pas là une parole sans affect. C’est une parole sans respect. Nuance de taille.

Enfin, s’il est vrai que les médecins ne sont pas habitués à parler devant une caméra, pourquoi les chaînes d’infos multiplient-elles les directs avec eux ? A minima, si l’argument devait être retenu, cette séquence doit interroger les dispositifs des chaînes d’infos où il faut sans cesse remplir l’espace, à tout prix.

Condamner les propos stigmatisants

Mais si l’on sortait de ce « a minima », il faudrait interroger la scène médiatique sur un autre aspect : pourquoi, lorsque des professeurs de médecine dérapent, trouve-t-on à leur égard l’excuse d’une défaillance de la maîtrise du discours (rappelons qu’il s’agit de personnes d’âge mûr, ultra-diplômées et habituées à parler à des publics, que ce soit dans leurs services ou dans des activités d’enseignement) ? Peut-être faudrait-il, à l’aune de ce registre d’argumentation, relire toutes les polémiques insensées et violentes qui s’abattent régulièrement sur tel ou tel jeune d’origine immigrée qui, lorsqu’il était ado, a fait un tweet raciste, antisémite ou homophobe…

Cette séquence, en réalité, nous amène à deux conclusions. La nécessité – pour le média où ils ont été tenus – de savoir condamner les propos stigmatisants et, lorsqu’on les a tenus, de savoir s’en excuser, ce qu’a d’ailleurs fait le professeur Mira dans les termes les plus clairs. C’est la condition sine qua non de la fin d’un déni de racisme et celle, alors, pour recréer un espace où ces sujets reviennent autrement qu’à travers la stigmatisation ouverte contre les noirs et les Arabes dans des émissions avec des personnages tels qu’Éric Zemmour, expérience qui se prolonge par mille scènes médiatiques plus feutrées.

La nécessité, également, de rappeler que l’on ne peut aborder la crise sanitaire avec des dispositifs télévisuels qui deviennent des spectacles dans lesquels des médecins – dont certains chercheront à devenir des « bons clients » – n’ont finalement pas grand-chose à faire. Un rappel que les autorités sanitaires et le CSA – que SOS Racisme a saisi en ce sens – devraient opérer d’urgence. Un rappel, pour les chaînes d’info, à entendre tout aussi urgemment.

in : www.jeuneafrique.com

ALI MECILI

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Ali Mecili à gauche avec Da El Mouhoub Naït Maouche (photo Libre Algérie- 07.04.2020)

Le 7 avril 1987, la SM faisait assassiner Ali Mecili, au coeur de Paris.

;https://www.youtube.com/watch?v=Lxoc8UxP4hQ

CI-DESSUS: « 8 avril 1987 Portrait de maître Ali MECILI, avocat d’origine algérienne, proche de l’opposition dans son pays, qui vient d’être assassiné à Paris. Images d’archives du « JA2 20H » du 26/10/86 de la manifestation de sympathisants des treize Algériens menacés d’expulsion, en présence d’Ali MECILI ; images d’archives d’Ahmed BEN BELLA en Algérie ; extrait de « Midi 2″ d’A2, aujourd’hui, dans lequel Ait AHMED, chef historique de la lutte pour l’indépendance, accuse les services spéciaux algériens d’avoir assassiné Ali MECILI ; interview de Me Michèle BEAUVILLARD (avocate) sur la personnalité de l’avocat Ali MECILI ; extrait d’une conférence de presse de AIT AHMED au coté d’Ahmed BEN BELLA (archives). politique; archive television; archive tv; ina; inna; Institut National de l’Audiovisuel; french tv Images d’archive INA Institut National de l’Audiovisuel » (INA.FR)

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ICI: émission spéciale CANAL + 30 juin 1999

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Lisez ce « spécial Mecili » de Libre Algérie de ce jour.

CLIQUER ICI POUR LIRE CE SPÉCIAL « LIBRE ALGÉRIE »

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« Nous commémorons aujourd’hui (Mardi 7 avril 2020), le 33ème anniversaire de la disparition dramatique d’un homme exceptionnel, d’un militant hors pair et un repère politique de grande valeur pour le combat démocratique en Algérie. Dans un contexte mondial sans précédent, où l’ordre imposé par les hégémonies traditionnelles est fortement bouleversé, de par la crise sanitaire qui interpelle, tout individu est sur des lendemains incertains. L’Algérie, n’échappe pas bien sûr, d’autant frappée doublement, en plus de la crise que traverse la planète, ses recettes pétrolières se voient en baisse au fur et à mesure la crise du COVID19 perdure et perturbe le marché mondial des hydrocarbures, à cela s’ajoute l’instabilité du climat politique, depuis des décennies et davantage ces deux dernières.

Une commémoration, qui par la résilience nous devrions repenser le monde, à travers la mondialisation des droits de la personne humaine, de l’esprit de solidarité et d’égalité des peuples, au-delà des frontières tracées par l’économie de marché et les coalitions financières basées essentiellement par la spoliation des richesses des peuples les plus vulnérables, ainsi l’exploitation de l’homme par l’homme et pour l’homme. Un combat, longtemps mené par Ali.

N’ayant pas eu la chance de le côtoyer personnellement, feu Ali MECILI, pour les raisons que tout le monde peut savoir. J’ai eu à le connaitre, à travers ses écrits, témoignages de ses proches et du plus fidèle ami. J’ai particulièrement, par ailleurs, un sentiment de fierté d’avoir appartenu des années durant, en qualité de jeune militant universitaire à la section pépinière, portant son nom, une école où nous avions appris le sens le plus noble du militantisme, du combat démocratique et la véritable signification de l’épanouissement personnel sur le plan formation politique. Il m’est difficile de dissocier l’homme de son parcours de maquisard, de militant ayant été de tout temps pour l’autodétermination du peuple algérien, lui qui était pendant longtemps parallèlement à ses activités politiques, l’avocat des réfugiés africains, kurdes et iraniens… en France.

Dans son ouvrage, intitulé « L’Affaire Mécili », feu Hocine AIT AHMED, dans un passage il s’était posé la question : « Farouche ennemi, puis victime, du despotisme politique, Ali va-t-il subir longtemps encore le despotisme d’une légende ? ». Question posée en avril 1989, soit deux ans après le crime d’Etat, commis sur le sol Français. L’omerta sévit toujours, le nœud gordien de l’affaire Mécili, demeure non élucidé pour raisons d’Etats. Comme l’a si bien interprété par son fils « Yalhane », dans une de ses œuvres artistiques « Thagarra N-Ugrawlliw » « la fin d’un Révolutionnaire ».

Tout est dit, c’est-à-dire, une fin tragique pour un homme ayant fait et payé de sa propre vie le prix, pour une lutte des plus nobles, menée non pour soi, mais pour que cesse la tyrannie des plus forts sur la dignité humaine. Le combat pour faire la lumière, et rendre justice sur cet ignoble assassinat est plus qu’un devoir de tout militant engagé, pour l’idéal démocratique pour lequel Ali, est tombé sous des balles assassines, comme le témoigne sa lettre laissée où il disait : « Je meurs sous des balles algériennes pour avoir aimé l’Algérie. ».

Trente-trois ans durant, le despotisme de la légende est subi encore par Ali, sa famille et amis, à ce jour le meurtrier présumé, court toujours en toute liberté. Plus que jamais le combat pacifique pour l’instauration d’une véritable démocratie en Algérie, doit continuer, rendre justice et faire honneur à la mémoire et le combat d’Ali.

Il fut l’artisan du séminaire de mars 1979, il était le pionnier du combat démocratique de l’Algérie postindépendance, au moment où certaines formations politiques ont préférée l’autodissolution, après l’échec cuisant d’une politique dite d’entrisme. Un séminaire ayant éclos le printemps Berbère.

Il était également l’artisan de la conférence et de la déclaration de Londres, en décembre 1985, une vaillance inédite dans l’Algérie indépendante, qui à l’époque a réussi à rassembler l’opposition autour d’un projet permettant au peuple de recouvrer sa souveraineté à travers l’élection au suffrage universel d’une assemblée nationale constituante. Il est à rappeler à travers son engagement au profit de la construction d’une véritable alternative démocratique, des générations de militants se sont succédé pour reprendre le flambeau de son noble combat, et de la structuration d’une opposition réelle au système politique né après la crise de l’été 1962.

L’œuvre de feu MECILI, à travers son long parcours ne peut-être résumée en des lignes, car elle est salutaire, exceptionnelle et une source référentielle pour ceux et celles qui sur le terrain des luttes, essaient de travailler, d’apporter leurs pierres pour la construction de l’Algérie démocratique, telle que conçue et portée par les valeurs de Novembre et l’esprit de la Soummam. Un militant peut se tromper, ne doit jamais tromper !

A travers les différentes étapes de l’histoire de l’engagement politique, depuis le mouvement national algérien, en passant par la nuit coloniale, jusqu’au dernier soulèvement populaire de février 2019, ayant à une naissance inévitable d’une révolution citoyenne joyeuse. Des hommes et des femmes ont chacun à leur manière, ont contribués tant bien que mal à l’édification d’un Etat de droit, ce chemin était loin d’être un long fleuve tranquille, traversant des crises multidimensionnelles et cycliques, dont beaucoup ont succombé à la dialectique de la violence/corruption. Une dialectique orchestrée et organisée, dans la seule optique d’accroitre le discrédit sur la chose politique, des militants évitant l’émergence d’une véritable classe politique crédible, en laissant place aux apparatchiks, charlatans et certains clowns malléables au besoin, seulement pour perdurer la longévité d’un système politique à travers de fausses représentativités, fausses élections et de fausses organisations.

Pour preuve, au lendemain des manifestations de Kharatta et de Khenchla, avant que le soulèvement révolutionnaire ne gagne la totalité du territoire national le 22 Février, des mois durant l’ensemble de ces appareils balayés par une vague de manifestations pacifiques, avant de voir la majorité de leurs responsables gagner des places dans les prisons qu’eux-mêmes avaient construits. En définitif, il ne peut y’avoir de véritable changement sans une alternative démocratique sérieuse, qui traduira en actions politiques les véritables aspirations des algériennes et algériens, à travers des institutions démocratiquement élues, consacrant l’alternance au pouvoir comme principe démocratique fondamental.

Aujourd’hui, plus que jamais, les risques d’une paupérisation galopante, le fossé des inégalités se creuse davantage, et les équilibres régionaux sont plus que menacés, tous ces ingrédients sont réunis non seulement pour remettre en cause l’ordre établi, mais nous envoient au même moment des signaux d’alarme pour que l’espèce humaine risque de s’éteindre, si elle n’arrive pas à se résoudre dans la résilience pouvant assurer l’accompagnement des populations et des catégories les plus fragiles dans le processus du changement post-crise.

Là, la militance est multiforme, où chaque citoyen est mis face à ses responsabilités doit prendre acte, par quelconque moyen pacifique en sa possession, que ce soit, pour mener ce noble combat, qui est celui du militant !

Pour mettre le « militant » face à ses responsabilités historiques, que de mieux que cet appel, de feu Ali MECILI, daté du 13 Mars 1966.

MILITANT! Te voilà de nouveau mis face à tes responsabilités de militant révolutionnaire. En fait, ton combat n’a jamais cessé et il ne cessera tant que l’Algérie vivra sous le règne de la terreur, de la torture et des prisons.

Tu as le devoir impérieux, où que tu sois, de reprendre le combat contre la dictature, de mener comme par le passé une lutte sans merci contre tous ceux qui ont méprisé ton Peuple, lui ont refusé le droit de choisir librement ses authentiques représentants, de choisir librement son avenir politique. Plus que jamais tu lutteras pour la libération de tous les détenus politiques, pour sauver l’Unité nationale et préparer l’unité des forces révolutionnaires, sauvegarder les conquêtes et les acquis de la Révolution, recréer l’impulsion de la base et l’enthousiasme des masses en redonnant la parole au Peuple et à tous les révolutionnaires. MILITANT! Ne cède pas aux provocations et à la propagande criminelle des ennemis de la Révolution et de la Démocratie. Le Peuple Algérien met tous ses espoirs en toi pour hâter la chute des dictateurs et restaurer la légitimité populaire.

L’Histoire nous a déjà donné raison. Forts de l’expérience des années de lutte, en corrigeant les erreurs commises, nul doute que l’Avenir verra le triomphe de nos principes.

L’opinion nationale et internationale peut désormais situer clairement les responsabilités. Le pouvoir issu du 19 juin n’ a ménagé aucun effort pour briser une Paix que tous les Algériens appelaient de tous leurs voeux. Devant l’Histoire et devant les Hommes, ceux qui ont oeuvré dans ce sens portent une très lourde responsabilité dont ils devront répondre un jour. Vive l’Algérie, vive la Démocratie !

Hachimi ARAB »

In : http://librealgerie.info/2020/04/07/mecili-ou-lesprit-du-militant/

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ALI MECILI AU CONGRÈS DU MDA, EN MARS 1987 À PARIS_ 16 JOURS AVANT SON ASSASSINAT PAR LA SM.

Ci-dessous capture d’écran de FB

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PAR TARIK MIRA

J’ai commencé à fréquenter plus assidûment Ali Mecili après l’accord de Londres entre Ait Ahmed et Ben Bella signé le 19 décembre 1985 pour instaurer la démocratie en Algérie. Il fallait donner une voix à cet évènement politique entre deux chefs historiques de la lutte de libération nationale. Le journal « El Badil » était d’obédience benbelliste stricto sensu et ne pouvait pas, en aucune manière, être le porte-parole de l’accord. Il fallait élargir le spectre médiatique d’autant qu’à cette époque, l’accord de Londres suscitait davantage d’hostilité que d’empathie. En tout cas dans les milieux qui sont supposés être proches de nous sur le plan politico-idéologique.

Ali Mecili, partisan résolu de cette alliance, ne craignait pas cette défiance et était persuadé que ce tandem est le seul qui arrivera à renverser le régime du parti unique. En lui rapportant un jour l’opinion hostile de nos proches amis sur le plan politico idéologique, il me répondit un peu énervé : « que veulent-ils ? ». « Ce texte est de Hocine, entièrement écrit par lui. Pas une virgule n’a été concédée », poursuit-il. Et, enfin, conclut-il, « c’est la seule déclaration de cette dimension où ni l’islam ni l’arabité ne sont cités. Tout est basé sur les valeurs et principes universels ». J’apprendrai plus tard que l’absence des deux notions avait en effet suscité des réticences au sein du Mda et, finalement, levées.

Pour lui, ce genre de critiques n’a d’autre but que d’éliminer politiquement son mentor Hocine Ait-Ahmed qui, rappelons-le, trois mois auparavant, soit le 22 septembre 1985, avait été écarté de participation au meeting, tenu à la salle de la Mutualité, à Paris, pour exiger la libération des détenus d’opinion, principalement les fondateurs de la LADDH, dont le Secrétaire général, était Hachemi Nait Djoudi, cadre du Ffs.
Après la signature de l’accord de Londres, s’entrouvrit la possibilité de lancer un journal d’informations tourné vers la démocratie. C’est à cette occasion que j’ai eu à fréquenter davantage Ali Mecili. Ce fut une période courte et dense. Je l’avais, un jour, accompagné, à Créteil, invité par les militants du Mda pour animer une conférence afin de promouvoir encore la démarche des deux chefs historiques, hier adversaires résolus ; aujourd’hui, réunis pour l’alternative démocratique. Au retour de cette conférence nocturne, il m’a conseillé de ne pas foncer tête baissée et de me ménager. Paroles prémonitoires !

Pour avoir plus de soutien à la démarche de Londres, Ali Mecili organisa un diner-débat le 19 mars 1987 au « Jugurtha », rue Saint André des Arts, à Paris. La toile d’un redéploiement politico-médiatique commençait à se préciser. Il me dira, le lendemain : « j’espère que Hocine saura transformer l’essai ». Parabole venue du rugby qui veut dire que tu marqueras des points supplémentaires par la pénalité accordée après le franchissement de la ligne d’essai.

A « Libre Algérie », Ali en tant que rédacteur en chef était chargé de l’éditorial principalement. Malheureusement, il n’avait dirigé que deux numéros avant qu’on l’assassine lâchement, dans le hall de son immeuble.

La veille et l’avant-veille de son assassinat, nous avions déjeuné ensemble pour parler du journal : qui sont les gens susceptibles de nous rejoindre et comment le financer ? Je l’avais même accompagné jusqu’au palais de justice. Il m’a raconté dans le menu détail la défense des benbellistes, en instance d’expulsion vers l’Algérie et qu’il a sauvés in extremis de cet arbitraire dicté par la logique policière. Il ne savait pas à cet instant qu’il sera le prochain sacrifié sur l’autel de la collaboration des services. Il ne s’empêchait pas d’évoquer avec humour l’interrogatoire d’un benbelliste lorsque le policier lui dit : « Alors, t’es terroriste ! » ; l’autre qui lui répond avec une naïveté déconcertante et en même temps véridique : « Non, je suis grutier ». Et,
Ali éclate de rire par l’évocation de ce surréaliste et absurde échange ! 

Il était heureux d’avoir sauvé des griffes du régime de modestes militants, engagés pacifiquement dans le combat politique. Son inquiétude, il me l’avait exprimée qu’une fois lorsqu’il est passé à la télévision en qualifiant le régime algérien d’assassin. Il m’a alors dit : « je crois que je suis allé trop loin ».
J’ai appris son assassinat vers 22h00, en cette journée funeste du 07 avril 1987. A l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable. C’est Mohamed Benlhadj qui me l’a appris en me joignant à mon domicile. Il m’a dit : « Ali vient d’être assassiné ; Hocine a cherché à te joindre ». J’étais bouche bée, sonnée par l’énormité de la nouvelle et sidéré car, à cette époque, on ne croyait pas que le régime allait reprendre des méthodes expéditives de cette nature, pratiques normalement disparues. On se trompait, et l’avenir le confirmera.

Je garderai le souvenir d’un homme sensible, affable, aimant la chose publique, passionnément attaché à Hocine Ait Ahmed. Il y avait comme un amour filial entre les deux personnages. 

Quand on m’a demandé d’évoquer le souvenir d’Ali, je n’ai pas hésité mais que dois-je apporter de plus car, normalement, tout a été dit avec les livres de Hocine Ait Ahmed et de Michel Naudy consacrés au personnage et à l’affaire elle-même. J’ai donc voulu quelque chose de plus émouvant à mes yeux, comme par exemple son premier éditorial à Libre Algérie. Je cherchai dans mes archives et je suis tombé sur le manuscrit de l’oraison funèbre prononcée par Hocine Ait Ahmed. Il me l’avait envoyée pour la publier dans Libre Algérie. Et, sauf erreur, l’éloge funèbre a été édité sur ce support le mois de mai 1987….

TARIK MIRA

In: Libre Algérie 7 avril 2020

Un médecin algérien suggère la sélection des malades du Covid 19

(CE MEDECIN: AMIRA BOURAOUI sur son site Facebook)

OU LE FAUX DILEMME DU TRAMWAY

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Sur Facebook, dimanche 5 avril 2020, 10h30

J‘ai lu ce texte, « dégueulasse » de Amira Bouraoui.
Je n’ai pas pu lui répondre directement. Voici ce que j’aurais aimé qu’elle lise. Je viens de l’écrire à chaud ce matin de dimanche.
(publié sur ma page Facebook dim 5 avril 2020)
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Madame Amira Bouraoui, votre discours sur quatorze lignes Facebook, est provocateur, amoral, jeuniste et idiotement mimétique de la pire espèce qui a fait des ravages dans un monde où, il n’y a pas si loin on exaltait le culte de la sélection. Car il s’agit bien de cela : sélectionner des hommes parmi d’autres hommes. Parmi ces « exaltés » nombre de médecins hélas. Votre texte est une juxtaposition de mots sans envergure qui jettent par-dessus bord les nobles principes dont celui de l’égalité entre tous les citoyens. Un discours guerrier où la vie humaine est perçue comme un produit de consommation que vous marchandez aux enchères inversées. Votre discours aventurier et sans aucune précaution oratoire, bien au contraire, est un amas de phrases superficielles que vous qualifiez vous-même de « dégueulasse » dont le but est de faire le buzz et gagner le sommet ou le paradis de la renommée médiatique. Pôvres de nous, quelle médiocrité ! Un discours où « le faire société » est évacué (khawa khawa à la poubelle), un discours qui fait fi de toutes les victoires de la science pour l’Homme, un discours provocateur et mimétique de la pire manière car celui tenu par des spécialistes nord européen que vous semblez vouloir reproduire, vous le reprenez de manière outrancièrement caricaturale, sans délicatesse, sans précaution et sans aucune profondeur intellectuelle. Non madame, la vie humaine ne se marchande pas, quelle qu’elle soit. Vous êtes jeune peut-être, mais cela ne vous empêche pas de vous cultiver, de plonger dans l’Histoire dramatique de notre humanité, avec ses guerres, ses sélections au nom d’un alibi quelconque, sexe, race, apparence, culture… Je suis à deux doigts de vous demander de vous taire et d’aller en bibliothèque vous asperger d’humanisme. Il y a le déclin naturel physique, il y a le déclin moral et intellectuel, volontaire. Vous avez choisi. De grâce, ne détruisons ni l’esprit, ni le corps. Ils s’accomplissent tous les deux, le plus souvent tard dans la vie. « Voilà, détestez-moi ! » écrivez-vous. C’est fait, mais je ne vous déteste pas vous, je ne vous connais pas madame, mais votre fangeuse parole. « La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer » ya madame.

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AVANT LES RÉACTIONS, VOICI QUELQUES CAPTURES D’ÉCRAN DU COMPTE « AMIRA BOURAOUI »

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_________VOICI MAINTENANT LES RÉACTIONS FACEBOOK_____________

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Lundi:

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Monsieur le Président… Annie Ernaux

Annie Ernaux, lettre à Monsieur le Président

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Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier –L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.  

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » –  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

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Lettre lue ce matin sur France Inter.

Ce matin, lundi 30 mars 2020, sur France Inter à 8h54. Émission « Lettres d’intérieurs » par Augustin Trapenard. Aujourd’hui, lettre d’ Annie ERNAUX « Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie… »

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CLIQUER CI-dessous pour voir la vidéo (lecture de la lettre):

.http://ahmedhanifi.com/wp-content/uploads/2020/03/YouTube.webm

Les disparitions forcées durant les années 90

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Le 8 mars c’est aussi ça. Radio M (grand merci) consacre une émission aux disparitions forcées en Algérie. Un dossier parmi les grands tabous des années 90. Le silence sur cette question dramatique fut quasi total. C’est LE dossier noir de la presse publique et « indépendante » qui en fit le black out pendant des années, accusant les familles des disparus de « familles de terroristes » sans aucun autre jugement, au-delà du droit, au nom de l’éradication. Merci aux ONG internationales de défense des Droits de l’Homme, à la LADDH et aux valeureuses mères courages algériennes comme celles que nous voyons sur cette vidéo, ces « folles de mai » comme en Argentine, comme au Chili, comme en Afrique du Sud, etc. qui ont réussi à faire entendre au plus haut la voix des disparus forcés

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Un drame très peu évoqué dans les médias. Un roman publié en 2012 en a fait le cœur de son intrigue. Lisez ici : http://ahmedhanifi.com/la-folle-dalger/

Le Banc public

LE QUOTIDIEN D ORAN

25 MARS 2019

Le Banc public- Ceci n’est pas une mise au point

Par Kamel Daoud

Un pays est à venir. Il est aujourd’hui possible. Mais nous ne pouvons le construire ni par les radicalités intimes, ni par la reconduction des mœurs du Pouvoir, ni par ce nombrilisme populiste. Lui, le Régime, il aime contrôler les libertés, censurer, s’immiscer dans l’intime conviction, douter et faire douter de la bonne foi. On ne doit pas lui ressembler.
Internet nous a aidés à surmonter le manque de liberté, son impossibilité dans notre pays. Il a été l’instrument de notre triomphe.


On ne doit pas transformer cet outil en espace pour des tribunaux populaires qui s’installent et déjà jugent, condamnent, empoisonnent et lapident.


Aujourd’hui, certains ont prétendu que j’en suis venu à négocier avec un représentant du Régime sur le dos des manifestants. Comme si j’étais un politique, un élu, un chef de parti, un président ou un délégué qui a la possibilité de négocier ou de dialoguer.


J’en fus blessé mais j’ai refusé, par fierté, d’y répondre dans l’immédiat et sous l’injonction de l’affect ou des inquisiteurs. Parce que je n’aime pas me justifier, ni le faire croire, ni me soumettre aux ordres de quelques nouveaux commissaires politiques (je ne l’ai pas fait avec les anciens !). Et je n’ai rien à cacher, ni à me faire pardonner. Fier et libre et révolté. Ce que je vis, ce que je pense, je l’écris et depuis deux décennies. A l’époque des grands silences de certains. Dans mon droit à la singularité, à la différence ou à l’erreur.


Et si j’en parle aujourd’hui, dix jours après, c’est pour trois raisons.


D’abord, sur insistance d’amis, pour éclairer et aider à la lucidité : j’ai rencontré Brahimi Lakhdar à Sciences Po où j’enseigne et où il est bénévole, parfois. Deux fois. Et avant sa mission à Alger et bien sûr hors du cadre de ses consultations tentées et jamais abouti à Alger. Je suis libre de le faire, je ne suis ni représentant d’un mouvement, ni un politique, ni un chef de parti, mais journaliste et écrivain. Je rencontre qui je veux et quand je le décide. Si aujourd’hui au nom d’une révolution on veut me priver, par inquisitions et insultes, de ma liberté, c’est que ce n’est plus une révolution, mais une future dictature qui va seulement changer de personnel. Certains médias électroniques y versent déjà pour décrédibiliser des gens qui ne se casent pas dans leurs projets. Certains journaux électroniques en sont déjà à la diffamation après avoir excellé dans le chantage et le régionalisme pour obtenir l’argent des annonceurs.


Quant à moi, je fais mon métier, j’exerce ma vocation et ma liberté m’est essentielle, pour mes opinions, mes livres et mes chroniques et je n’en rends compte à personne, hier comme demain. J’ai écrit quand beaucoup se taisaient et je vais continuer à écrire alors que certains bavardent et lapident.

L’autre raison, est plus urgente : dénoncer ce climat qui s’installe ou se réveille en nous. Nous avons su entrevoir, dans le chant et la solidarité, la possibilité de vivre ensemble dans nos différences. C’est encore fragile et nous pouvons détruire cet espoir. Les tribunaux populaires d’internet, les insultes et la méfiance radicale envers la bonne foi possible sont un danger pour notre futur. Nous allons provoquer la rupture et l’hésitation chez ceux qui ne nous ont pas rejoints, à force de ce révisionnisme comique. De ces tribunaux rétroactifs sur les uns et les autres. La nouvelle république donnera leur place aux héros, aux fervents, aux militants, mais aussi à ses enfants qui reviennent à la raison, et ses femmes et hommes qui se sont trompés. La radicalité peut nous mener aux pelotons d’exécution. Pas à la Réconciliation.


Il nous faut cesser avec cela. Respecter la liberté, sous toutes ses formes, l’intimité des personnes, refuser l’inquisition et ne pas ressembler à ce Régime. Il n’y pas de vérité, il n’y a que des femmes et des hommes de bonne ou de mauvaise foi. Seuls les morts détiennent la vérité. Et elle leur est inutile. Et si cette révolution commence par ma pendaison, elle ne m’est pas utile, déjà.


Alors sauvons ce que nous n’avons pas encore vécu : la liberté de chacun, son droit de penser, écrire, vivre. Arrêtons avec ce doute et cette fabrication du traître. Arrêtons. Ou partons chacun de son côté. Qu’on en arrive à m’exiger ce que j’ai dit et ce que m’a dit cette personne est un scandale moral. La liberté et la sommation ne sont pas synonymes. Et si j’ai réussi à défendre ma liberté face à un régime et face à ses corruptions durant toute ma vie professionnelle, aujourd’hui je n’irais pas à me justifier devant des tribunaux derrière des écrans. Devant des radicalités anonymes ou devant les procès de quelques agités de l’ordre de mon métier.


Certains juges algériens en sont à se battre pour libérer la Justice de l’injustice et il faut les soutenir. Alors que des amateurs des réseaux se bousculent déjà pour mener les procès de ceux qui ne sont pas comme eux.


Ce pays je l’ai rêvé meilleur, par l’exigence sévère envers les miens et envers ma propre personne. Et je vais continuer. Comme depuis vingt ans.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

19 MARS 2019

Le Banc public- C’est si nouveau pour nous que d’enfin choisir

Par Kamel Daoud

Le Mal est profond. En Algérie, on aime bien le dire, le penser.


Parfois, cette sentence exaspère, ou aboutit au fatalisme. Mais parfois, elle se révèle comme une occasion de dépassement. Aujourd’hui, les Algériens se retrouvent dans la rue, puissants, rassemblés, rieurs et heureux, comme plongés dans le vertige des retrouvailles. Et ils découvrent l’angoissante question du «politique» dont ils ont été depuis toujours dépossédés. Qui est qui ? Qui représente quoi ? Expérience de l’obligation de déléguer pour parler sans cacophonie, mais aussi d’accepter les différences. Le Pouvoir nous a habitué à la pensée unique, le parti unique et la non-pensée unique. Aujourd’hui, pour nous, la différence est inquiétante, nouvelle, angoissante et presque heureuse. On a l’intuition qu’être différent n’est pas être traître mais être riche. Mais cette intuition est encore fragile.

L’angoisse de la représentativité face au Régime, de l’obligation de trouver des «représentants», des porte-parole se heurte à la méfiance. Le Régime a depuis toujours fraudé, corrompu la notion d’élu et de délégué. Elle signifie, depuis des décennies, triche et trahison. Du coup, on en a peur. On veut continuer une Révolution mais sans accepter son aboutissement politique. «Il ne me représente pas» est l’autre slogan triste de «Dégagez». Pire encore, on est dans l’élan de l’absolu : on croit que celui qui va porter notre parole, aujourd’hui, va le faire à vie, pour toujours, alors qu’il s’agit seulement de délégation pour une transition. Une période fixe pour permettre de faire survivre l’Etat et la passion, au temps. La méfiance est de mise mais la transformer en loi est une impasse. On se retrouve, alors, tenté par l’exclusion au nom de l’unanimisme. Et pourtant nous sommes là dans nos différences. Et si nous devons déléguer, nous le ferons avec le prisme large de ces différences, pas avec l’idée de l’absolu et de l’exclusion. Aucun Algérien ne peut représenter toute cette révolution, mais certains peuvent aider à représenter certains de ses courants de fond, corporations, passions, régions, classe d’âge… etc. Il ne faut pas trop se hâter, mais cette voie nous aidera à apprendre ce qu’est le consensus tout en maintenant vives et riches nos différences. Un pays n’est pas la terre uniquement. C’est cet équilibre qui vous maintient debout ou vivant, entre les mille contradictions de l’apesanteur, de l’histoire, des langues et des cultures. Un pays, c’est un choix de vivre ensemble et pas un lot de terrain morcelé.

Cela fait donc peur cette question de la représentation et du soupçon, réveille la paranoïa, le doute sur la bonne foi des autres, le malheur. Et cela se comprend. Nous avons été soumis au conditionnement de ce régime depuis l’indépendance. Nous avons été dépossédés du choix si longtemps, qu’aujourd’hui il en devient angoisse. Nous avons été poussés à nous exclure, les uns les autres, au nom de beaucoup de choses et cela n’est pas facile à oublier.

Pourtant, la possibilité de guérison est là : il suffit juste de remplacer l’affect par la raison et le souci de ne pas être trahi, par le souci de ne pas trahir nos descendants.

Tant de choses à rétablir et à guérir : l’effort, le salaire, le corps, la confiance, la différence, le désir, l’acceptation, la souveraineté et la vraie, la grande réconciliation. Pas celle des milices et du Régime. Nous avons déjà montré que l’on peut marcher tous ensemble, on peut démontrer que nous pouvons continuer. Le ton peut paraître sentencieux, mais ce n’est pas le but. Le chroniqueur essaye juste d’apporter sa réflexion sur ce qui le concerne : le pays où il vit et où il mise sa vie et celle des siens et de ses enfants. Une réflexion pour empêcher une pente dangereuse : nous ne pouvons pas demander le départ du Régime et reconduire ses tares, ses cultures, sa méfiance, ses inquisitions, ses diffamations et son mépris. Nous ne devons plus ressembler à ces gens-là. Je me dis, avec imprudence, que peut-être, que chaque fois que nous devons faire un choix, examinons ce que fait ce Régime depuis toujours et faisons le contraire. Souvent.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

11 MARS 2019

Le Banc public- Dissoudre le FLN pour le libérer

Par Kamel Daoud

«F LN dégage». C’est l’un des slogans majeurs de ce soulèvement des Algériens contre la Régence d’Alger. Des jeunes le criaient sous les murs du siège de ce parti, à Oran, ce premier Mars. Mais aussi partout dans le pays. On y retrouve l’envie de naître, renaître, retrouver Larbi Ben M’hidi sans passer par Ould-Abbès, se libérer des courtiers et des Saidani. Car le FLN a été volé, depuis longtemps, pris en otage, cambriolé et obligé à vivre par le faux et l’usage de faux. Ce parti, auteur d’une magnifique épopée de décolonisation, a fini en sigle pour manger mieux que les autres, grimper sur le dos des autres et parler en leur nom. Les décolonisateurs en chefs, ou ceux qui se revendiquent de ce statut, en ont fait un parti de nouveaux colons. Il faut libérer, donc, le FLN qui a libéré ce pays.

Comment ?

Par la dissolution. Immédiate, sans retard ni sursis. Dissoudre le FLN c’est le libérer, le restituer à la mémoire collective, à tous les Algériens. Il nous appartient, à tous et pas à un comité, un président d’honneur qui l’a déshonoré, ni à ces clowns cycliques que sont ses récents secrétaires généraux et ses comités centraux. Le FLN est un patrimoine, pas un club, ni une licence d’importation. C’est une mémoire, pas une veste et un pin’s. C’est une épopée, pas une autobiographie ou une association de malfaiteurs. Sauvons le FLN de ses kidnappeurs. Faisons-en un souvenir et pas une machine de fraude. Il faut aussi consommer la rupture avec les courtiers de notre mémoire : nous devons le respect à ceux qui se sont battus mais le ministère des Moudjahidine ne doit plus exister. Ni l’association de leurs fils, ni les autres appareils dentaires comme l’ONM, l’organisation nationale des Moudjahidines. Il faut arrêter le scandale immonde des fausses fiches communales.Fermer cette page. Cette population a le droit à des prises en charge, une pension, l’immense remerciement d’un peuple, a le droit à la mémoire et au respect, mais nous aussi. Il faut dissoudre cet apartheid, ce système des intouchables avec ses privilèges honteux. Ceux qui ont fait la guerre pour libérer ce pays n’ont pas le droit de transformer le pays en butin pour eux et leurs enfants. Nous avons libéré la rue, le drapeau, l’hymne et le vendredi, il reste à libérer la mémoire, le FLN, les nouveau-nés.

Tous les Algériens ont été, d’une manière ou d’une autre anciens moudjahidine. Tous sont enfants de martyrs. Tous sont FLN sans en faire une mangeoire, tous sont morts et tous sont vivants, tous sont égaux et il n’y a pas de privilège autre que celui de sa propre vertu et de son courage.

Fonder une deuxième république passe aussi par la libération du présent, de l’avenir et surtout, du passé.

Pour moi, c’est le premier pas. Le symbole fort d’une nouvelle époque.

C’est le signe radical d’une rupture saine et courageuse. En attendant un conseil national de transition, une assemblée constituante, une refonte de la gouvernance et un contrôle public direct sur les dépenses locales, l’armée, la gouvernance des wilayas, un haut conseil des Magistrats indépendant et autonome… etc.

Le FLN d’aujourd’hui est la liste exacte des gens qui ne doivent plus avoir de postes de responsabilité, dans ce pays, des personnes à écarter, des noms à ne jamais élire ni écouter, des visages à qui il ne faut plus jamais faire confiance.

Alors commençons.


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LE QUOTIDIEN D ORAN

04 MARS 2019

Le Banc public- Un terrifiant retour de la beauté

par Kamel DAOUD

Un peuple peut renaître. Peut mourir. C’est fragile, immense, rare et puissant, imprévisible. Nous étions longtemps morts. Corps gris, muscles défaits, cheveux dressés, regards durs sur soi et les siens, la peau en parchemin juste pour raconter le passé. Tout appartenait à ce Régime et nous étions sur sa terre à lui, hagards et tristes, indignés et en colère parce qu’indignes. Radicalisés ou démissionnaires. Tout était au Régime : l’arbre, la route, l’eau, les choses courantes, l’histoire, le verbe, la télé et le drapeau. Le seul territoire qui restait en dehors, un peu, de sa poigne cendreuse était Dieu ou le ciel ou Internet. Alors beaucoup allaient à la mosquée, ne la quittaient plus dans leur tête parce qu’il fallait remplacer la terre par le paradis, espérer encore malgré l’état des routes, croire en quelque chose, déplacer le souffle vers l’au-delà. A défaut d’un pays, un paradis. Pour certains c’était Internet. A défaut de vivre, regarder. Se regarder. Pour d’autre c’était la mer. Elle était un grand mur, une montagne, un maquis, une épreuve, un chemin. On plongeait dedans pour ressortir ailleurs. Il fallait retenir son souffle sous l’eau. Certains y arrivaient et ressortaient vivants. D’autres non, mourraient. La chaloupe était un endroit étrange : dès que des Algériens y embraquaient, dès qu’ils franchissaient les eaux territoriales, ils se mettaient à chanter et à rire. Regardez leurs vidéos : ce n’étaient plus des chaloupes, mais des salles de fêtes.

La chaloupe remplaçait la rue, l’espace, l’air et la salle des fêtes impossibles. La prière enjambait le temps. L’écran et les réseaux sociaux étaient le pays par défaut. Et tout le reste était le champ du Régime, ses dents, ses hommes minables et carnivores.


Aujourd’hui, cela s’inverse. La chaloupe devient la rue. On peut y danser et rire. Y respirer. Libérer le pays de la caste féodale de ceux qui croient qu’il est à eux et que nous y sommes en trop. Trop nombreux, violents, haineux et jaloux de leur immortalité.


Cela va-t-il durer, cette rue, cette liberté, cet espace, ce grand poumon ? Il faut faire attention. Ce régime ne partira pas facilement, il est haineux, méprisant et croit qu’il peut régler la question du sens par la matraque et la semoule. Il nous méprise. Il va manipuler, corrompre, ruser, attendre, frapper, tuer. Il ne faut pas se tromper sur sa nature, sa nature est mauvaise. Il a pris trop d’argent pour céder aussi facilement. Il a trop mangé et tué. Il nous faut aussi cesser la haine des élites. C’est une maladie du régime, pas la nôtre. L’élite n’est pas la trahison, mais la possibilité d’éclairage, d’aide, d’union. Ils nous ont appris à détester l’élite, à la mépriser, à la croire traître et faible. Depuis la guerre de libération, et jusqu’à aujourd’hui. Le 22 février et le 01 mars n’ont été possibles que parce que, des années durant, certains ont maintenu vivante l’idée d’être libre, l’idée d’être digne.


On peut être dépossédé de cet élan ? Comme en Égypte ou en Tunisie ? Oui. Mais on peut aussi rester vigilant, car ce qui s’est passé dans ces deux pays, nous l’avons connu il y a vingt ans. Il y a vingt ans nous avons subi le vol de la démocratie comme en Égypte, la guerre comme en Syrie, le complot comme en Tunisie, le cauchemar du chaos possible comme il advint en Libye. Nous avons vingt ans d’avance et d’expérience. Cela ne garantit rien, mais rend possible de sortir de ce cercle vicieux qui tue et fait s’agenouiller les bonnes volontés.


Nous allons céder devant Bouteflika & Cie ? Si nous le faisons, nous sommes morts pour toujours. Le Régime pourra nous faire élire un âne ou même un crachat. Nous serions alors les serfs et nos enfants après nous.


Il faut donc accentuer, aller vers la grève, le sit-in permanent, la résistance pacifique, la vigilance accrue pour contrer ses médias en mode chiens de service. Il faut avancer. Démissionner de l’APN et du FCE pour les plus honnêtes. Libérer le FLN et le rendre à l’histoire et le séparer de l’alimentation générale. Contrer l’argument fallacieux de «il a le droit de se porter candidat». Oui, s’il était vivant, en bonne santé et dans un système électoral sain. Pas en mode photo. Pour retirer un chèque il faut la présence de l’intéressé, disent les internautes, et pas pour gouverner un pays ?

Passons. Un peuple peut mourir. Nous le savons tous. Nous sortons tous d’un cimetière qui avait un drapeau. Nous avons le corps désarticulé, le teint pâle. Nous les avions jusqu’à ces dernières semaines. Nous nous sommes fait volé l’indépendance et le 1er novembre. Il ne faut pas se faire voler le 01 mars. Il faut continuer. Ils ont eu droit à soixante ans de dictature et de rapine, nous avons droit à des années de protestation et de joie.


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LE QUOTIDIEN D ORAN

26 MARS 2018

Le Banc public- Un rêve simple et pratique

par Kamel DAOUD

«…Rares sont les journées heureuses. Elles valent mille ans au décompte. Ou plus. Hier ce pays  était beau comme réconciliation. Des milliers d’Algériens candidats à la Omra ou au Hadj ont rendu leurs «passeports spéciaux» et se sont fait rembourser. «L’argent est pour vivre, pas pour tuer», a titré Echourouk. Ce journal comme tant d’autres, a fait campagne pour que les devises algériennes restent dans le pays, aillent aux écoles, à financer des lunettes ou à faire manger les migrants subsahariens. «Le cœur peut être noir, pas la peau», ont crié des manifestants solidaires avec les errants de nos rues. Des milliers d’Algériens ont préféré donner leur argent à ces passants du continent qu’aux familles royales saoudiennes. «Dieu est partout et pas seulement en Arabie», ont expliqué des imams. L’argent réuni ainsi a servi à financer des campagnes de vaccination, d’hygiène dentaire, à achever des chantiers de piscines dans les Hauts Plateaux et à former les femmes dans les villages à exercer un métier au lieu d’attendre des coups. «La femme n’est pas la moitié de l’homme, mais la moitié du pays, la moitié de l’économie, la moitié de notre futur, la moitié de notre armée et la moitié de notre produit intérieur brut», a conclu le cheikh Abou, cheikh qui a compris qu’un sac vide ne tient pas debout, même avec cinq prières chaque jour.

C’est que le pays a changé. L’Algérie a retrouvé sa vocation ancienne d’être du côté des spoliés et des endoloris, la Mecque des colonisés. Dans presque tous les villages, il y a eu des rassemblements pour soutenir les Yéménites, les Kurdes, les Nigérianes kidnappées par Boko Haram, etc. «Nous sommes avec la Palestine, mais aussi avec les enfants tués au Yémen ou les gosses bombardés par Erdogan au Kurdistan». Pas de distinction dans la compassion. «C’est quoi la différence entre un enfant tué en Syrie ou à Gaza ? Aucune. Alors mon cœur n’est pas raciste. Ce n’est pas parce qu’on est noir qu’on n’est pas palestinien», expliquera un jeune enseignant à Bougtob. Nous avons connu la guerre et la mort et nous savons qu’ils sont les mêmes, partout. Des associations ont appelé à des dons et le gouvernent a autorisé un immense rassemblement à Alger pour dénoncer les victimes au Yémen et au Tibet. Pas seulement en Palestine. Des partis conservateurs et islamistes ont même soutenu des campagnes de nettoyage des rues et villages, des appels au devoir écologique : «Aller au paradis ne veut pas dire fabriquer un enfer pour nos enfants», a crié un leader islamiste, soutenant l’imam de la Mosquée d’Alger qui avait appelé les fidèles à faire des ablutions, une fois par mois, au pays au lieu d’en faire cinq par jour pour eux-mêmes. Des campagnes pour «une heure de plus est une zakat» ou «travailler c’est aussi prier» ont été lancées aussi, incitant les fonctionnaires de l’Etat à faire du volontariat et à assurer les horaires pour lesquels ils perçoivent un salaire. «Une heure de volontariat pour un fonctionnaire, ce n’est rien et cela vaut mieux qu’une fatwa, qu’une prière surérogatoire, une ablution, ou que le temps d’un café», expliquera un Algérien sur la radio. Des leaders de partis islamistes et du FLN ainsi que du RND ont décidé de s’investir dans le mouvement associatif bénévole au sud algérien et de scolariser leurs enfants dans les villes du Sud pour mieux comprendre le sud algérien, ses carences et ses besoins. «Un an de ma vie» est le slogan de cette gouvernance tournante. Chaque ministre est soumis à cette loi solidaire. En service civil.

Un vent de révolutions : à l’aéroport, les policiers sourient et ne disent plus «passes !» avec colère et mépris, mais disent «Bienvenue au pays ! Vous pouvez passer s’il vous plaît !». Les Algériens refusent d’utiliser le sachet bleu pour leurs achats : «La tête est une poubelle, pas le pays», lit-on sur les pare-brises des voitures. Les écrivains algériens ne sont pas insultés mais enseignés, dans leurs différences et leurs révoltes, dans les manuels scolaires. Pour la première fois depuis l’indépendance, le nombre de PME/PMI a dépassé celui des mosquées et des salles de loisirs ont été financées par des particuliers pour aider les jeunes à ne pas se pendre aux cordes, aux chaloupes, aux minarets ou aux drogues. Les Kabyles ne sont pas traités comme des Kurdes et les Kurdes ne sont pas traités comme des champignons. L’arabité n’est plus une matraque mais une arabesque. L’islam a été déclaré religion universelle, ouverte au monde. L’âge officiel de l’Histoire algérienne a été reconnu comme de trois mille ans ou plus et ne commence pas seulement en 1954 ou 1830. «L’identité c’est travailler, pas se souvenir», a clamé un célèbre présentateur TV à Alger, surprenant ses invités venus expliquer qu’ils «sont arabes, arabes, arabes !» en criant comme des hystériques. Le pays bouge ! Il n’attend pas que le régime lui donne à manger ou lui redonne le pays. «Le régime c’est nous !» a expliqué un célèbre chroniqueur qui ne jette plus ses mégots dans la rue.

Oui, un vent de changement. Il n’y a qu’à méditer le chiffre des baguettes de pain qui ne sont plus jetées dans les poubelles : 20 millions de baguettes par jour il y a un an, presque trois mille par jour aujourd’hui. Des gens sont morts, durant la Guerre de libération, pour qu’on ait du pain, pas pour qu’on le jette. Quelqu’un l’a dit. On s’en est souvenu. Tout le monde le pense aujourd’hui.

Un jour qui vaut mille ans. Chaque baguette vaut onze martyrs et demi de la Guerre de libération. Dans les écoles, on enseigne à compter, écrire, parler dix langues, penser même en dormant, dessiner et nettoyer les classes et les lieux comme des Japonais. Il y a eu un consensus soudain et inattendu. Tous ont compris qu’il fallait arrêter de tuer les enfants et de les manger chaque jour. Personne ne parle de la CIA, d’Israël et du Mossad pour se laver les mains d’avoir jeté sa poubelle en pleine rue. La France ? «La guerre est finie. On ne veut pas être français, on veut être mieux. On ne lui demande pas des excuses car nous avons vaincu. On demandera des excuses à nos enfants, car nous n’avons pas tout réussi». Ce discours est resté dans les mémoires. C’étaient les derniers mots du dernier moudjahid véritable, certifié vrai. Avec photos et blessures sur la peau du dos. Oui, mille ans. J’ai déjeuné à Tunis, j’ai dîné au Maroc, je suis passé par Alger pour serrer une main. En une seule nuit. Le Maghreb est un train, pas une crevasse. «Que Dieu nous pardonne : il nous a donné une terre, nous avons voulu en faire un trou pour chacun», murmura un ancien cadre du MALG. Que dire d’autre ? Le pays a changé en une nuit sacrée, en un jour long. D’un coup. Chacun a compris qu’il est responsable de tout, lui, pas un autre. Que c’est à cause de lui qu’on a été colonisés depuis mille ans, qu’on a de mauvaises routes et qu’on ne marche pas sur la lune. Chacun a compris qu’il est responsable de tout ce qui s’est passé avant même sa naissance car la preuve est que sa naissance n’a servi à rien depuis qu’il est né. Chacun a saisi le sens angoissant de sa liberté et de sa responsabilité. De chaque acte qu’il fait depuis son éveil, à sa mort, de chaque dinar dépensé, chaque baguette de pain jetée.

Le régime c’est nous, nous c’est «je» et chacun est fautif de ce qui advient au pays. «Moi», pas les mille autres…»
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LE QUOTIDIEN D ORAN

19 MARS 2018

Le Banc public- S’acheter une île dans sa tête

par Kamel DAOUD

Il neige à Paris. Cela provoque un curieux effet ces flocons qui tombent sur des pierres et des monuments. Des lions en fer, à un rond-point, mouillés par des blancheurs, luisants et immobilisés dès la naissance. Ponts qui traversent des champs de dentelle, des affiches aux couleurs chaudes et des passants aux pas prudents. A l’hôtel, rencontre avec des documentaristes canadiens qui font un film sur Raïf Badaoui. Ce jeune Saoudien, condamné à 1000 coups de fouet et dix ans de prison en Arabie. Le monde l’oublie peu à peu. La mode est pour le nouvel homme fort qui veut « réformer ». Le blogueur a ce malheur d’être le prisonnier le plus faible de l’homme le plus fort. Personne n’y peut rien : l’Arabie est trop riche, achète beaucoup à l’Occident. « Ne trouvez-vous pas paradoxal que le nouveau prince héritier soit plus réformateur que Badaoui lui-même mais qu’il le maintienne en prison ? », me dit l’intervieweur. Vrai. C’est le propre du politique : décapiter l’opposant pour le remercier, quelques années plus tard, pour ses idées. Ce que j’en pense ? « Le prince devrait réformer les prisons : libérer Raïf qui appelle à la vie et mettre en prison ceux qui ont appelé à la mort, chez eux, chez nous, partout dans le monde ». Libérer Raïf est la meilleure preuve que peut apporter ce prince quant à ses intentions de réformer. C’est loin, c’est flou, cela n’a aucun lien avec nos pains et nos villages en Algérie, ni avec le 5ème mandat, mais il fallait en parler, le rappeler. L’Arabie ce sont trente mille hadjis algériens et un prisonnier condamné à 1000 coups de fouet et dix ans de prison. Et que chacun décide en son âme et conscience.



Dans la rue, encore la neige qui cède à l’eau dès qu’elle touche au sol. Question qui taraude : comment « parler » en Occident ? Quels mots dire pour à la fois ne pas être dans le spectacle de l’opposant, ni dans la complicité du crime contre le sens chez soi, avec les siens ? Faut-il se taire sur nos sorts, nos misères et nos lâchetés pour ne pas « faire le jeu de… » ? Ou parler, quitte à être insulté comme traître pour avoir brisé l’omerta postcoloniale ? La vérité est qu’on est témoin de son époque, ou son complice. C’est lent, laborieux, parfois agaçant, mais il faut trouver les mots justes, dénoncer, dire. L’Occident veut entendre certaines paroles et pas d’autres ? J’en profite pour lui dire des mots qu’il ne veut pas entendre aussi. Mais la neige est si belle qu’elle ressemble à une métaphysique apaisée. Pourquoi alors ne pas écrire des contes, des livres, acheter une île dans sa propre tête, cultiver l’apesanteur et voyager jusqu’au sommaire final du monde, sa dernière page ? Parce que ce n’est pas aussi simple que de plier des bagages. Il faut avoir la conscience apaisée, et celle du siècle ne l’est pas. Il faut voyager léger et donc s’acquitter de son devoir de témoin, de lutteur et de refuznik de son époque. Il faut que la prison change de lieu et de camps : elle ira enfermer ceux qui tuent, appellent aux meurtres dans les prêches ou les discours, ceux qui avilissent l’homme ou le sens de l’humain, poussent aux radicalismes qui tuent et à marcher sur le corps du plus faible ; et il faut que la liberté soit le royaume des Raïf et des autres qui veulent juste marcher sous la neige, choisir un dieu ou une route, embrasser sans l’intermédiaire d’un courtier, et travailler pour que le pain soit comme l’air, partout. Vœux naïfs ?

Oui, mais bon Dieu à quoi s’accrocher sinon ? Que vaut une vie si elle n’a pas un chant muet à l’oreille ?


Ces mots magnifiques et durs d’Asli Erdogan que je vais voir l’après-midi. Dans « Le silence même n’est plus à toi », la Turque, fière et libre, écrira : « l’écriture, comme cri, naissant avec le cri… une écriture à même de susciter un grand cri qui recouvrirait toute l’immensité de l’univers… Qui aurait assez de souffle pour hurler à l’infini, pour ressusciter tous les morts… Quel mot peut reprendre et apaiser le cri de ces enfants arméniens jetés à la fosse ? Quels mots pour être le ferment d’un monde nouveau, d’un autre monde où tout retrouverait son sens véritable, sur les cendres de celui-ci ? Les limites de l’écriture, limites qui ne peuvent être franchies sans incendie, sans désintégration, sans retour à la cendre, aux os et au silence… si loin qu’elle puisse s’aventurer dans le pays des morts, l’écriture n’en ramènera jamais un seul. Si longtemps puisse-t-elle hanter les corridors, jamais elle n’ouvrira les verrous des cellules de torture. Si elle se risque à pénétrer dans les camps de concentration où les condamnés furent pendus aux portes décorées et rehaussées de maximes, elle pressent qu’elle n’en ressortira plus. Et si elle en revient pour pouvoir le raconter, ce sera au prix de l’abandon d’elle-même, en arrière, là-bas, derrière les barbelés infranchissables… Face à la mort, elle porte tous les masques qu’elle peut trouver. Lorsqu’elle essaie de résonner depuis le gouffre qui sépare les bourreaux des victimes, ce n’est que sa propre voix qu’elle entend, des mots qui s’étouffent avant même d’atteindre l’autre bord, avant les rives de la réalité et de l’avenir… la plupart du temps, elle choisit de rester à une distance relativement sûre, se contentant peut-être, pour la surmonter, de la responsabilité du “témoignage”… ».

Mais qu’y peut-on ? Que reste-t-il quand on n’a même plus le courage d’être témoin ? De l’indignité. Contrairement à l’argent et au reste, elle peut vous poursuivre dans la tombe.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

12 MARS 2018

Le Banc public- L’angoisse des chaussures neuves qui n’ont pas de routes

par Kamel DAOUD

Question obsédante : pourquoi on a peur de la différence ? On répète que c’est à cause de la mer : tout ce qui est différent nous vient de la mer et tout ce qui nous est venu par la mer nous a tué, blessé, colonisé, spolié. Ottomans, Français, Romains…etc. La différence est le signe avant-coureur de l’agression. Du coup, on n’aime pas la différence. On n’aime pas les autres (Français, Marocains, Maliens, Mauritaniens, Tunisiens, Libyens… etc.), on n’aime pas la pensée différente, l’idée qui diffère, l’Autre. Le soupçon s’étend même à la notion du pluriel : enfants de la guerre unique, née de l’histoire unique, aboutissant au parti unique, on continue dans cette voie qui nous évite le poids du monde et la naissance au monde. Nous nous rêvons, alors, unis, uniques, soudés, uniformes. Cela va du religieux à la politique, à la culture. Le différent est toujours accusé d’être traite, agent, venu d’ailleurs ou travaillant pour l’ennemi. Cela frappe tout de la méfiance et colorie le monde en gris et nuit.


Du coup l’unanimisme nous a fabriqué une seconde nature de violence. On l’exerce dès qu’un esprit, un leader ou un assis ou un croyant veut exprimer une différence. L’unité nous obsède jusqu’à la catastrophe actuelle de la gouvernance. Et la paranoïa carie notre regard sur le monde que l’on accuse de tous nos malheurs.


L’unanime est fascinant : enfermant, refus de vivre, réclusion, pathologie de l’universel, exacerbation du particulier. Nous sommes nous. En entier, en un seul morceau et indifféremment jusqu’à en étouffer. Celui qui veut respirer ne peut le faire que s’il part ou s’il meurt ou épouse une calotte glacière et un méridien. Nous nous voulons en bloc, dans l’étreinte du dominé et dominant, incapables de partage et de cohabitation. Tout est un. Le reste c’est zéro. Nation binaire. Ou même pas.


Et tout ce qui est différent du Un majeur, est une menace. Alors on le pourchasse et on le tue. On ne peut débattre, tolérer les champs des différences, sortir de l’unanime sans se faire lyncher. Le mouvement est inacceptable car il remet en cause le principe fondateur de cette nation : nous sommes le tout. Il n’y a pas d’individu, de différence ou de droit de différence. La règle n’est pas de dire «je ne suis pas d’accord avec vous car je pense différemment», mais «je ne suis pas d’accord avec vous, donc vous êtes un traître, je vous tue». Vous êtes un impie. Un agent de la main étrangère. Un vendu. Il nous faut TOUS soutenir la Palestine par exemple. Celui qui fait sienne la cause des enfants tués au Yémen est un traître. Vous devez soutenir, d’ailleurs, la Palestine, non pas selon ce que vous pensez (construire une nation souveraine et forte) mais selon moi : marcher en rond, cracher sur celui qui ne pense pas comme moi (mais qui n’a pas d’armes pour répondre), puis renter chez moi et attendre le prochain tour de piste des enthousiasmes. La guerre d’Algérie ? C’est selon une unique version. Elle s’étend dans les journaux, récit ravageur et soucieux, s’impose dans le film, les discours, les manuels. Celui qui n’est pas dans le casting de cette orthodoxie est un traître. L’histoire algérienne commence en 1830 (fondée donc non par notre mémoire mais par l’invasion française !! La France, se retrouvant au centre de nos datations est donc fondatrice de notre histoire, à la place de nos ancêtres !). La religion ? C’est selon «je» qui parle au nom du «nous». «Et si je pense autrement ?», Je te tue. L’Islam c’est moi car je suis le musulman. «mais vous n’êtes qu’une personne, vous ne vivez pas être une religion?». Non, les deux sont un et ce «un» c’est moi.

Je t’insulte d’abord en puisant dans la poubelle pour l’insulte et dans un verset pour me donner du courage. Le reste du monde ? C’est un ennemi composé des sionistes, de la France, la CIA et toi. Mais c’est simpliste comme vision ? Et notre responsabilité dans le présent de notre pays ? Non, cela est de ta faute à toi, comme le séisme est la faute de la jupe et la saleté est la faute d’Israël. Et les langues ? Elles sont à nous toutes ? «Une seule». Sacrée, venue du ciel et marchant pieds nus dans les mosquées, pure et dure. Les autres langues sont des dialectes, c’est-à-dire des blabla, c’est-à-dire des croassements, des restes de la France, des stratégies pour nous affaiblir, des impiétés, des expressions des phalanges de la colonisation qui n’ont pas été rapatriées. La langue c’est l’arabe et l’arabe c’est l’Islam et l’Islam c’est Dieu et Dieu c’est moi. Pas d’issue. Sauf l’échine courbée.

Et l’Algérie ? Elle est à nous c’est-à-dire moi. Je suis son fils unique, son ancêtre, son chef et son peuple. Je suis le peuple. Nous sommes «je» et je suis tout. Il n’y a qu’un seul drapeau et c’est ma coupe de cheveux. Je déteste la femme belle mais je la veux, la France est un ennemi mais je veux y vivre, l’Islam c’est moi, la langue arabe est la langue du paradis, j’irai au paradis alors pourquoi me fatiguer à le construire chez moi ? Je prie et le Chinois travaille et l’Occidental invente, et le reste du monde doit se convertir. Je suis Tout. Eternité, arabité, unanimité, café et thé et tu es le contraire. L’adversaire donc. L’ennemi, évidemment.


Pourquoi avons-nous peur de la différence ? Parce que nous ne sommes pas solides, nous sommes fragiles, peureux, impuissants devant la lourde variété du monde. Nous sommes dans le repli. Alors tout est à nos yeux invasions, néo- colonisations, traîtrises, menaces, peurs, agressions. Nous en devenons violents par la force du déni. Nous tuons car c’est le versant le moins fatiguant du suicide. Et le plus lâche. Nous ne voyageons pas et on ne laisse personne, presque, venir chez nous. C’est une philosophie et pas seulement une question de visa que les étrangers peinent à obtenir. Nous sommes une île sous une veste qui sur le dos d’une personne qui tourne le dos à tous, y compris à elle-même. Fiers que nous sommes. Parce que depuis l’indépendance nous avons, tous, des chaussures. Mais pas de routes qui vont vers le monde. Alors nous insultons. Nous nous insultons dans l’étreinte de nos paniques.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

05 MARS 2018

Le Banc public- Oran, Mostaganem… : on déteste ce pays !

par Kamel DAOUD

A Mostaganem, à l’ouest du pays, un bidonville tout neuf. Il s’est installé, là, entre nuit et lune, sur un terrain agricole à l’entrée sud de la ville. C’est l’effet d’appel de la rente et des logements sociaux. C’est la nouvelle méthode de chantage au social. Le régime « tient » la population par la promesse de logement, il en obtient votes et soumission; les demandeurs « tiennent » le régime par la demande de logement gratuit, le bidonville et les constructions illicites ou le blocage des routes. Juste à côté, une immense mosquée, hideuse, en deux ou trois étages. C’est la troisième donne de l’équation algérienne : le religieux comme occupation de l’espace, de l’esprit, du bras, avant-bras, tête et vision du monde.


La ville de Mostaganem, ses villages, sont devenus d’une saleté repoussante. Il n’y a qu’à s’y promener pour en avoir le cœur en semelle. On compare alors, sans cesse, la mémoire de l’enfance et le champ traversé de sachets en plastique, de déchets de chantiers. Et revient cette interrogation métaphysique : pourquoi ce peuple construit des mosquées partout, à bras-le-corps, sans esthétique ni architecture, et ne s’occupe ni de la saleté ni du travail, de la justice ou de la légalité, de l’école et de donner des noms aux étoiles ? Il y a une mosquée inachevée chaque cent mètres presque et surtout près des plages, dernier lieu de refuge du corps et de son droit au bronzage. Bien sûr, on va crier à l’impiété du chroniqueur parce qu’il parle de hideur des mosquées, de leur surnombre comparé aux entreprises, usines et fabriques, de l’insouciance face à l’écologie mais de l’obsession face au rite. C’est chose habituelle et facile de se réfugier derrière le dogme pour ne pas avoir à assumer le réel et de lyncher le premier qui parle de nos défaites. Et pourtant, il faut le dire : il y a trop de mosquées monstrueuses, construites n’importe comment, partout, sans arts ni utilité, destinées au vide et à apaiser les consciences. Et il n’y pas d’entreprises, de campagne pour un pays vert et propre, pour la santé de nos enfants, les loisirs, la joie et la vie. Triste tableau des villages traversés où s’adosser au mur et regarder la route est le seul pendant à la prière aveugle et hâtive. Eucalyptus coupés, stationnement en mode chamelle et pagaille et visages soupçonneux. Le pays est sans bonheur. Au village natal du chroniqueur, une grande salle au centre : « la salle des fêtes ». On s’en sert uniquement pour les obsèques et enterrements. Cela résume tout.


En ville, à Mostaganem, de même qu’à Oran, la nouvelle mode : des affichettes sous les « feux rouges » qui vous appellent à consacrer le temps de l’attente à la prière et au repentir. On rêve alors d’un pays où on appelle à ne pas jeter ses poubelles par les vitres de sa voiture, où on appelle à ne pas salir et cracher, insulter et honnir, qualifier de traître toute personne différente et ne pas accuser les femmes en jupes de provoquer les séismes. On rêve de respect de la vie, des vies. Mais ce n’est plus le but de la nation. La nation veut mourir pour mieux vivre dans l’au-delà, plutôt que construire un pays, une souveraineté, une puissance. On rêve de prier et de mourir. On rêve de mosquées à chaque dix pas pour ne pas avoir à faire dix pas debout sur ses propres jambes. On rêve que Dieu fasse la pluie, les courses du marché, la guerre, la paix, la santé, les hôpitaux, la Palestine, les victoires, les récoltes et les labours, pendant qu’on regarde descendre du ciel des tables garnies. On ne rêve pas, on attend, pendant que les Chinois travaillent. Les Turcs l’ont bien compris au demeurant : ils ont offert à Oran une grosse mosquée (encore une autre tout près de celle de Ben Badis) et se sont fait offrir une gigantesque entreprise de rond à béton. Les Turcs ont offert une mosquée, pas un hôpital, pas une école de formation pour le transfert du savoir-faire, pas une université. Non, juste une mosquée. Nous, on va prier et eux vont construire leur puissance.


Ces mosquées sont construites dans une sorte de zèle, parfois par des hommes d’affaires soucieux de se blanchir les os et le capital. Elles sont laides comme celle construite en haut de Santa Cruz, à Oran, servant juste à sanctifier un promoteur oranais, indécente de disgrâce et de pauvreté. Elles sont partout et le travail et le muscle ne sont nulle part. Et pourtant, on laisse faire l’affiche et l’architecte idiot. On ne demande pas d’autorisation, on n’a pas la foi sourcilleuse et la légalité en alerte. Aucun administrateur n’aura le courage de s’y opposer. On en aura pour fermer des locaux d’associations féministes à Oran. Là, le DRAG a du zèle en guise de courage et de la puissance. On a de la vaillance pour fermer deux églises car c’est plus facile, c’est du djihad et de la bravoure. On prétextera des agréments qu’on refuse de donner et de la fermeté qu’on n’a pas devant les affichages illégaux. Une question de muraille et de courte muraille selon nos proverbes.

Le mauvais goût national


On rêve. Je rêve de ce moment où on aura une entreprise algérienne chaque dix mètres, un appel à respecter la propreté de ce pays sous chaque feu rouge, une loi qui aura la même force face à une association de défense des droits de femmes que face à une zaouïa servile ou une mosquée clandestine ou une association islamiste. On rêve d’un pays, pas d’une salle d’attente qui attend l’au-delà pour jouir du gazon au lieu de le nourrir ici, sous nos pays, pour nous et nos enfants. On rêve et on retient, tellement difficilement, ce cri du cœur : pourquoi avoir tant combattu pour ce pays pour, à la fin, le maltraiter si durement ? Pourquoi avoir poussé nos héros à mourir pour transformer la terre sacrée en une poubelle ouverte ? Pourquoi avoir rêvé de liberté pour en arriver à couper les arbres et inonder le pays de sachets en plastique ?



Retour. Encore des villages, des moitiés de villes aux constructions inachevées, des hideurs architecturales, entre pagodes, bunkers, fenêtres étroites alors que le ciel est vaste, ciments nus, immeubles érigés sur des terres agricoles au nom du « social », urbanisme de la dévastation. La crise algérienne, sa douleur se voit sur ses murs, son urbanisme catastrophique, son irrespect de la nature. Les années 90 ont été un massacre par la pierre et le ciment. Le « social » des années 2000 a consommé le désastre. Au fond, nous voulons tous mourir. Camper puis plier bagage. C’est tout.

Arrivée près d’une plage à Mers El Hadjadj. Plage d’une saleté repoussante, inconcevable. On comprend, on a l’intuition d’une volonté malsaine de détruire les bords de mer, le lieu du corps et de la nature et de le masquer par des minarets et des prières. Car il y a désormais une mosquée à chaque plage. Insidieuse culpabilisation. Egouts en plein air. Odeurs nauséabondes. On conclut à une volonté nette de détruire ce pays et de le remplacer par une sorte de nomadisme nonchalant. Non, c’est une évidence : on n’aime pas ce pays, on s’y venge de je ne sais quel mal intime. Tout le prouve : la pollution, le manque de sens écologique, l’urbanisme monstrueux, la saleté, les écoles où on enterre nos enfants et leurs âmes neuves pour en faire des zombies obsédés par l’au-delà. Oui, c’est une volonté, on veut tuer cette terre. Et pendant ce meurtre, on ne trouve rien de mieux à faire que de s’attaquer à deux associations féministes à Oran. Bousculades, mots dans la tête, le cœur qui a mal, la main qui tremble sur le clavier. Tellement mal après juste une balade le long d’une route côtière. A revisiter les villages de son enfance devenus des cités-dortoirs et de mosquées défouloirs, des décharges publiques aux arbres coupés. Mais où est notre rêve de puissance et de liberté ? Pourquoi on veut tous mourir pour aller au paradis en fabricant un enfer pour nos descendants ? Pourquoi on veut tous construire des mosquées et pas un pays ? D’où vient cette maladie qui nous a conduits à nous tuer, tuer nos différences, tuer nos enfants qui ne sont pas encore nés et tuer le temps ?


Oran. La ville s’étend vers l’Est et mange ses terres et ses récoltes. Immeubles en cohortes. Procession vers le vide. Cannibalisme de la terre. Il y a de l’irréparable dans l’air. Près d’une cité-dortoir, sous un feu rouge, la même affiche « occupe ton attente par la prière ! » Le pays est une grande mosquée construite par des Chinois, meublée par l’Occident, ravagée par les racines et destinée à surveiller le corps et la lune. On y prie pendant que les Turcs travaillent, le monde creuse et conquiert, les nations se disputent les airs et les cieux.

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