Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

El Watan, 27 avril 2021

Par Mustapha Benfodil

Ali-Yahia Abdennour a été inhumé hier au cimetière de Ben Aknoun : hommage unanime à l’homme des pprincipes

Maître Ali-Yahia Abdennour, décédé ce dimanche 25 avril à l’âge de cent ans, a été inhumé hier au cimetière de Ben Aknoun.

Une foule compacte – des compagnons de route et de lutte qui ont partagé son combat, mais aussi de jeunes militants et, convient-il de le souligner, nombre de femmes – a accompagné le doyen des défenseurs des droits humains à sa dernière demeure. L’enterrement a eu lieu après la prière d’El Asr. Cependant, à 15h déjà, le périmètre du cimetière Zdek de Ben Aknoun était déjà bondé de monde.

Sur notre route vers le cimetière, nous avons emprunté le boulevard Bougara et nous sommes passés près de l’immeuble où habitait feu Me Ali-Yahia. Nous pouvions apercevoir trois chapiteaux dressés en bas de l’immeuble pour recevoir les nombreux visiteurs qui se sont rendus au domicile mortuaire. Le quartier grouillait de monde au moment de la levée du corps.

En arrivant au lieu de l’enterrement vers 15h10, il y avait là aussi du monde sur place. Les flots de citoyens ne cessaient de grossir, agglutinés aux abords du cimetière. Ils devaient patienter dehors en attendant l’arrivée du corps, la grille d’entrée du cimetière étant fermée. Dans le lot, il y avait de nombreux militants politiques, des activistes, des hirakistes, des citoyens sans étiquette fixe qui tenaient à rendre un dernier hommage au vénérable patriarche.

On pouvait noter la présence de nombre de personnalités politiques, à l’instar de Youcef Aouchiche, premier secrétaire du FFS, accompagné de Hakim Belahcel, membre de l’instance présidentielle. On pouvait remarquer également la présence de Rachid Nekkaz, Fethi Gheras du MDS, Mahmoud Rechidi du PST, Moulay Chentouf du PLD…Il y avait aussi Arezki Aït Larbi, Saïd Khelil, Fodil Boumala, Samir Benlarbi, et plusieurs militants des droits humains, dont Saïd Salhi et Moumen Khelil de la LADDH.

Il y avait l’avocate Fetta Sadat ou encore Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International en Algérie. Il y avait aussi des universitaires : le professeur Rachid Tlemçani, Mohammed Hennad, Zoubir Arous, le sociologue Karim Khaled…

A un moment donné, une voiture officielle s’est frayé un chemin délicat au milieu de la foule, et c’est le cinéaste Ahmed Rachedi, désormais conseiller de M. Tebboune chargé de la Culture et de l’Audiovisuel, qui est apparu.

15h52. Une ambulance de la Protection civile transportant la dépouille de maître Ali-Yahia arrive. Brouhaha. L’émotion grimpe d’un cran. Des voix scandent «Abdennour ertah ertah, sa nouwassilou el kifah» (Repose en paix Si Abdennour, nous poursuivrons ton combat). L’ambulance s’arrête près de l’entrée du cimetière Zdek. Mais il faudra patienter encore un peu. «Nous devons attendre l’arrivée de son fils. Il vient tout droit de l’aéroport, il est en route», indique un proche en s’adressant à la foule massée autour de l’ambulance. De fait, Malek, le fils de maître Ali-Yahia, rentrait dare-dare de Paris pour assister à l’enterrement. Vers 16h03, on décide finalement de faire descendre le cercueil.

Celui-ci est recouvert du drapeau national et de l’emblème amazigh. Quelques salves d’applaudissements fusent. Le cercueil est ensuite disposé sous la skifa située à l’entrée du cimetière. Des processions défilent autour du cercueil pour un dernier regard au vieux militant. Riadh, le petit-fils de maître Ali-Yahia, reçoit les condoléances avec dignité. 16h30.

A l’appel de la prière d’El Asr, la dépouille est portée sur les épaules des fidèles au stade Berouila, situé juste en face, pour la prière du mort. Après l’office religieux, le corps est de nouveau ramené au cimetière avant sa mise sous terre.

L’assistance rend un hommage unanime au défunt en insistant sur l’engagement sans concession du militant centenaire jusqu’à son dernier souffle. Un militant total qui aura été de toutes les causes justes. «Il est mort à 100 ans et cela nous donne 100 bonnes raisons de continuer son combat», résume Amar, un jeune activiste.

Deux étudiants, la vingtaine à peine entamée, ont séché leurs cours pour assister à l’enterrement. «Edzayer ouellada. L’Algérie enfantera de nouvelles générations de combattants», lâche l’un d’eux d’un ton plein de détermination pour signifier que la relève est là. Oui, la relève existe, mais au fond, tout le monde sait que des hommes de cette trempe, il n’y en a qu’un par siècle… Allah Yerahmak Dda Abdennour.

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Liberté, 27 avril 2021

Par Mohamed Mouloudj

Le célèbre avocat Ali-Yahia Abdennour inhumé hier à Alger. 

L’ultime voyage.

Sous les youyous des dizaines de femmes présentent au cimetière, les obsèques du célèbre avocat et militant des droits de l’Homme ont été un fort moment d’émotion.

L’avocat Ali-Yahia Abdennour a été enterré, hier, au cimetière de Ben Aknoun (Alger). En présence d’une foule nombreuse, celui qui incarne, à lui, seul, le combat pour la dignité humaine, rejoint les éternels et accède au panthéon des immortels. 

De plusieurs régions du pays, de plusieurs obédiences politiques, allant des démocrates aux islamistes, en passant par certaines figures, anciennes et actuelles du pouvoir, des artistes, des militants de toutes les générations…, ils ont tenu à rendre un dernier hommage à Me Ali-Yahia qui a su, même mort, imposer le respect de la diversité. Sa sagesse légendaire aura pris le dessus sur les mésententes. Drapé des emblèmes national et amazigh, les obsèques de Dda Abdennour étaient aussi une forme de combat et de lutte.

C’est sous les cris, entre autres de “Algérie libre et démocratique” que la foule nombreuse de militants, de personnalités et de citoyens a accompagné le défunt à sa dernière demeure. Sous les youyous des dizaines de femmes présentent au cimetière, les obsèques du célèbre avocat et militant des droits de l’homme ont été un fort moment d’émotion. 

L’ultime hommage au défunt était aussi un moment de reconnaissance et de gratitude à l’homme qu’il était. Sous les applaudissements des présents, Dda Abdennour Ali-Yahia rejoint ainsi l’histoire d’un pays dont il a écrit les meilleures pages. Des délégations des FFS, du RCD, du PT, du PST, du MDS, d’anciens militants de ces formations, des militants associatifs, des membres des ligues de défense des droits de l’homme, des figures du mouvement populaire…, se sont donné rendez-vous, hier, pour un dernier hommage à Me Ali-Yahia. Issad Rebrab, Ahmed-Taleb Ibrahimi, Sid-Ahmed Ghezali, Bouzid Lazhari, Ahmed Rachedi…, des avocats du barreau de Tizi Ouzou, d’Alger, de Béjaïa, ont également tenu à être présents à l’enterrement.

Mustapha Bouhadef, militant de la démocratie, a estimé qu’il est “agréablement surpris par la présence d’autant de personnes à l’enterrement du défunt”. Pour M. Bouhadef, Me Ali-Yahia “mérite plus que tout ce que lui a été rendu comme hommage”, car, a-t-il précisé, “nous savons comme il s’était démené dans la défense de toutes les opinions des gens qu’il a eu à défendre”.

“Il a anobli le métier d’avocat qu’il a exercé”, a ajouté M. Bouhadef. Djelloul Djoudi, responsable au sein du PT, a souligné qu’on vient “de perdre un grand militant qui a tout donné pour la justice et la démocratie”. “Il a milité durant les moments les plus difficiles sans pour autant renoncer”. Djelloul Djoudi a ajouté que “les Algériens vont se souvenir de celui qui a consacré toute sa vie pour le combat démocratique”. 

Mohand-Tahar Yala, militaire à la retraite, a rappelé que le défunt “était un militant de toutes les causes justes”, de ce fait, a-t-il ajouté, “sa vie de militant parle pour lui”. “Son nom restera lié à l’histoire du pays”, a ajouté M. Yala. Nacer Haddad, militant politique, a souligné, quant à lui, que le défunt mérite le titre de personnalité du siècle. 

“Un siècle de combat d’abord contre le colonialisme, ensuite contre la dictature”. Youcef Habib, ancien militant de l’Académie berbère, a affirmé que le défunt “a toujours été au service de l’humain”, qualifiant Me Ali-Yahia “de révolutionnaire” dont le nom restera gravé dans la mémoire de tout un chacun. Saïd Khelil, ancien détenu politique, a fait remarquer que le défunt “est accompagné à sa dernière demeure par plusieurs générations de militants”.

“Des militants anticolonialistes, aux militants berbéristes, en passant par ceux de la démocratie politique, tout ce beau monde a fait un bout de chemin avec le défunt. Il est le symbole de la lutte pour les droits de l’homme”, a ajouté Saïd Khelil.       

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LE QUOTIDIEN D’ORAN, JEUDI 29 AVRIL 2021, p 2

Fausse communion 

par Abdelkrim Zerzouri 

Il s’en va sans avoir appris à la noria des défenseurs des droits de l’homme en Algérie, les principes de ses positions immuables aux côtés des opprimés de quelques bords politiques qu’ils soient. Le défunt Ali Yahia Abdennour, qui n’a pas eu beaucoup d’amis dans sa vie, c’est le commun des hommes droits et libres qui ne voguent pas au gré des vents, du moins il s’est fait plus d’un ennemi pour chaque ami gagné, pouvait-il avoir des tas de relations affectueuses quand il a tiré sa révérence ? « De son vivant, il aspirait à un fruit et quand il est mort, on lui a pendu une boiterie », disait si bien ce proverbe très répandu dans les pays nord- africains. Si on doit lui reconnaître le mérite d’avoir été le défenseur infatigable de tout citoyen victime d’oppression du pouvoir et intraitable sur les questions des libertés et des droits de l’homme, on ne peut pas pour autant tenter, aussi petit qu’on est, de se confondre dans sa lutte. De son vivant, le défunt Ali Yahia Abdennour avait confirmé dans ses interviews que dès l’avènement du multipartisme en Algérie, ses prises de position pour la promotion et la défense des droits de l’homme ne lui ont valu que rancunes et haines. « Je me suis trouvé au carrefour de tous les malentendus, où la haine, l’insulte, la diffamation ont fait office de pièces à conviction », rapportera le défunt dans un entretien publié en 2007, quand il évoquait cette période sanglante de l’histoire de l’Algérie, celle des années 90. Partisan et artisan du contrat de Saint Egidio, signé en 1995 par une partie de l’opposition à Rome, proposant une sortie de crise avec la participation de toutes les parties, sans exclusion aucune, le défunt s’est attiré les foudres du pouvoir en place et de ce qu’on appelait les éradicateurs, qui ont qualifié cette initiative de «trahison», et qui, depuis, ne l’ont plus porté dans leurs cœurs. Doit-on encore rappeler dans ce contexte qu’il a été rapetissé, voire écrasé, pour devenir «l’avocat du Fis» et non le défenseur infatigable des droits de l’homme qu’on lui reconnaît aujourd’hui. C’est toujours une bonne attention des uns, un bon ressaisissement d’autres, même si on ne peut pas ne pas soupçonner certains, comme de coutume lors des disparitions d’hommes célèbres qui ont marqué l’histoire du pays, de fausse communion pour gagner le capital sympathie populaire des disparus. Pour être vrai dans ses sentiments à l’égard du défunt, on devrait faire sienne cette règle qui lui est si chère et qui veut que la défense des droits humains et des libertés ne puisse en aucun cas être à géométrie variable. Les uns et les autres auraient dû l’écouter et lui donner raison au moins une ou deux fois dans sa longue vie. Un lourd héritage que ne pourraient porter ni ses amis ni ses ennemis d’hier, qui ne se supportent pas jusque dans des moments de douleur d’une si grande perte pour le pays, et qui tentent tardivement de se racheter, au moment où son corps est porté pour être enseveli sous terre. Il y a comme ça des hommes qu’on ne peut côtoyer qu’une fois dans le siècle. 

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SUR FACEBOOK _ 30 AVRIL 2021

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