Archives de catégorie : LITTÉRATURE/CULTURE

« Algérie mon amour »

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(LIRE PLUS BAS LES RÉACTIONS, SOUVENT ENFLAMMÉES SUR FACEBOOK)

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https://www.youtube.com/watch?v=A3CS7g1cf6Y

Un docu qui déchaîne les passions, notamment sur les réseaux sociaux.

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« Algérie mon amour »

Il était une fois, avant-hier ou bien hier, comme aujourd’hui, dans nos contrées…
Un vieux couple traverse un village, sous un soleil de plomb. Passe devant un groupe de villageois qui s’ennuient. L’homme et la femme marchent côte à côte derrière leur mule, comme elle, silencieux.
– Ândek, ândek yaw, s’écrient en même temps plusieurs villageois, ils ont une mule et ils ne s’en servent même pas.
Le vieil homme murmure quelques mots.

Le vieux couple traverse un deuxième village, sous de fortes chaleurs. Passe devant un groupe de villageois assommés par la torpeur. L’homme avance, appuyé sur sa canne, et devant lui son épouse est immobile et silencieuse sur leur bonne mule, les yeux sur son menton.
– Ândek, ândek yaw, dit un villageois, le vieux avance péniblement et sa femme se relaxe sur la mule.
Le vieil homme dit quelque chose à sa femme qui ne répond pas.

Le vieux couple traverse un troisième village écrasé par l’astre solaire. Passe devant un groupe de villageois engourdis par la monotonie du temps. L’homme, calé sur le dos de la mule docile sur la tête de laquelle il assène quelques coups légers. Sa femme suit derrière eux, le regard vide tombant sur son menton.
– Ândek, ândek yaw, fait un villageois Wallah ma yehchem, il n’a pas honte de laisser sa maison marcher par le temps qu’il fait, alors que lui se prélasse sur sa monture.
La femme accélère le pas lorsque le mari se retourne.

Le vieux couple traverse un quatrième village torride. Passe devant un groupe de villageois apathiques. Une mule généreuse et résignée avance, le museau et les oreilles tombant à hauteur de son poitrail. Sur sa croupe, la femme, raide, le regard plongeant sur ses mules marocaines à bout pointu, est agrippée à la djellaba de son époux devant elle.
– Ândek, ândek yaw, crie un villageois Wallah ma yehechmou, ils n’ont pas honte de traiter ainsi leur baghla.

La femme susurre quelques mots à l’oreille de son mari qui claque avec douceur ses pieds contre le ventre de la bête, « errr ».

Ainsi va le monde. Ainsi va « Algérie mon amour ». Il est passé hier soir sur la mule numéro 5. Et le village FB s’enflamme. Et, comme Kessous, et comme la mule, FB le village théorique a raison. 
Il lui faut des dizaines de Kessous, des dizaines de mules, des dizaines de villageois, des dizaines de positions éparpillées dans l’espace idéologique. Ainsi va le monde et l’Algérie mon amour, que l’on apprécie ou non, les pieds dans l’eau froide de la Méditerranée, qui tempère, nécessairement, en oubliant son propre nombril, avec des jus à boire (chacun le sien) dans la main. Allez, Face u Caldu, skål, cheers, Bsahtek, Gāmbēi, cin… en attendant le retour de notre boussole, le retour du Hirak. Bientôt. Très bientôt.

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Sur le site de France 5:

Ils ont entre 20 et 30 ans et vivent en Algérie. Mehdi, Anis, Athmane, Hania et Sonia, ont décidé d’écrire eux-mêmes leur destin. Depuis leur naissance, ils n’ont connu qu’un président, Abdelaziz Bouteflika. L’annonce, en février 2019, de sa candidature pour un cinquième mandat, a provoqué une colère et un soulèvement d’une ampleur inédite, appelé le hirak.

Depuis plus d’un an, l’Algérie est secouée par d’immenses marches à travers tout le pays. La jeunesse dénonce le « pouvoir » en place qui les empêche de vivre. Une jeunesse qui a soif de démocratie et de liberté. Dans ce pays si proche de nous mais tellement étranger, le hirak est parvenu à évincer Bouteflika. Mais le régime autoritaire et militaire continue de s’accrocher au pouvoir.

Ce film montre le combat de cinq jeunes algériens pour leur liberté. En témoignant, ils ont accepté de prendre des risques insensés pour se raconter et raconter leur pays. Leurs destins individuels épousent désormais une cause plus grande qu’eux : la révolution. Car cette quête démocratique, c’est la déclaration d’amour d’un peuple à son pays.

Les témoins :

Anis, 20 ans, étudiant en informatique. Il tient une petite boutique de métal à Alger centre.

Mehdi, 28 ans, ingénieur en génie civil à Oran. Il est au chômage et rêve de développer le tourisme en Algérie.

Sonia, 26 est psychiatre à Tizi Ouzou. Engagée pour la défense des droits des femmes, elle se félicite de la place essentielle des Algériennes dans la révolution.   

Athmane, 29 ans, avocat à Tizi Ouzou. Militant des droits de l’homme, il défend les détenus d’opinions et politiques lors du Hirak.

Hania, 26 ans, technicienne de cinema. C’est une « hirakiste » de la première heure qui est prête à tous les sacrifices pour vivre dans une Algérie libre et démocratique.

En partenariat avec La Croix.

Réalisé par : Mustapha Kessous


La projection du film a été suivie d’un débat présenté par : Marina Carrère d’Encausse – Suite à la diffusion du documentaire « Algérie, mon amour », Marina Carrère d’Encausse poursuit le débat avec ses invités sur le Hirak, le mouvement de contestation en Algérie. La jeunesse se soulève depuis un an et organise des marches à travers tout le pays pour se battre pour sa liberté et pour la démocratie tandis que le régime autoritaire et militaire, de son côté, continue de s’accrocher au pouvoir.

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VOICI LES RÉACTIONS (NOMBREUSES TRÈS ENFLAMMÉES) SUR FACEBOOK:

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Edgar Morin: Autocritique

Écoutez Edgar Morin parler (à travers N. Bouchaud) de son parcours au sein du Communisme. ÉCOUTEZ ATTENTIVEMENT CHACUNE DE SES PHRASES, APPRÉCIEZ-LES À LEUR JUSTE PROFONDEUR. Comment il évoque « Ce monde merveilleux » comme osaient dire les égarés (ou les croyants). Edgar Morin raconte comment il est devenu stalinien (forcément), comment il en est sorti. « Un grand mensonge, une grande religion de l’aire mondiale », jusqu’à son implosion en 1989. Il demeure quelques débris de Grand mensonge, de cette Avant-garde du monde, y compris en Algérie bien sûr, des spécialistes de l’infiltration. Mais l’Histoire a jugé.  Un autre monde est possible au delà du libéralisme économique, au-delà du Communisme. Les bilans matériels et humains de l’un sont aussi exécrables que ceux de l’autre.

Edgar Morin, un grand humaniste.

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CLIQUER ICI POUR VOIR (ÉCOUTER) LA VIDÉO

IL est « L’Invité » de Patrick Simonin sur TV5MONDE en mars 2017.

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En quatrième de couverture de l’édition du seuil de Autocritique il est écrit:

« Entré simultanément, à vingt ans, en Résistance et en communisme, Edgar Morin a connu le doute à l’égard du second dès la Libération puis, de déchirements en désillusions, au moment des procès et des purges de la  » deuxième glaciation  » stalinienne, le rejet réciproque en 1951. Son appartenance au Parti avait duré dix ans, au cours desquels il avait vu comment l’Appareil pouvait transformer un brave en lâche, un héros en monstre, un martyr en bourreau. Ce livre, publié pour la première fois en 1959, plusieurs fois réédité et augmenté ici d’une nouvelle préface, est le récit sincère d’une aventure spirituelle. Dans ce détournement de l’exercice tristement célèbre de confession publique que le pouvoir soviétique exigeait de ceux dont il entendait se débarrasser, Edgar Morin ne se contente toutefois pas de dénoncer le dévoiement d’une idéologie. Il restitue le communisme dans sa dimension humaine en montrant comment celui-ci a pu tout à la fois porter et trahir les plus grands idéaux. En élucidant le cheminement personnel qui l’avait conduit à se convertir à la grande religion terrestre du XXe siècle, il se délivre à jamais d’une façon de penser, juger, condamner, qui est celle de tous les dogmatismes et de tous les fanatismes. Ce témoignage, qui est celui d’une génération, est aussi une leçon actuelle dans notre époque menacée par de nouveaux obscurantismes. Philosophe et sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS et docteur honoris causa de vingt-sept universités étrangères, Edgar Morin est l’auteur d’une œuvre transdisciplinaire abondamment commentée et traduite, dont l’ambitieuse Méthode, en six tomes, publiée au Seuil. »

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VIDEO EDGAR MORIN _ CLIQUER ICI

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L’établi – Robert Linhart

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J’écoutais récemment une émission de radio animée par Laure Adler où il était question d’un livre intitulé L’Établi. Un livre que j’avais lu il y a plus de quarante ans, l’année même de sa sortie. Il nous était recommandé par notre professeur de sociologie. Nous travaillions alors sur la classe ouvrière. « Classe contre classe » était un mot d’ordre fortement partagé qui traversait les universités françaises estampillées de gauche. « Mouvement social et intervention politique » (C. Weckerlé) était l’intitulé du cours (« unité de valeur ») ou bien était-ce « La qualification » (R. Lourau) ? Toujours était-il qu’il nous fallait préparer un texte à partir de la lecture du livre de Robert Linhart, L’Établi édité quelques mois plus tôt (Gallimard). Il m’a fallu l’acheter, car il n’y avait pas assez d’exemplaires à la bibliothèque de l’université. On nous a distribué des photocopies, mais j’ai toujours aimé avoir entre les mains les livres, pouvoir les feuilleter, les humer, les sentir, souligner des passages et y revenir un jour, peut-être. Ce livre est bouleversant. C’est un des plus beaux que j’ai eu à lire. Tant concernant son objet que son esthétique. Je l’ai prêté à Oran à un ami, K., qui ne me l’a jamais rendu. Il y a une dizaine d’années, alors que j’étais en vacances dans cette ville, j’ai trouvé le titre chez un bouquiniste de la rue Khemisti (à hauteur de l’ancien local du Pari sportif). Je l’ai donc relu de nouveau et j’étais heureux de cette belle « retrouvaille ».

Un livre bouleversant écrivais-je, au rythme des ateliers de production de voitures Citroën de la porte de Choisy (Paris). En 1968. Un vibrant hommage est rendu par l’auteur aux immigrés yougoslaves, africains, marocains, algériens. Jamais je n’ai lu un texte aussi près de la réalité vraie de l’oppression patronale, aussi près de la réalité vraie de la condition ouvrière, aussi près de ceux de nos anciens qui ont donné leur santé à un pays très peu reconnaissant, la France, et qui vécurent longtemps dans la souffrance et la solitude de l’exil. Robert Linhart leur rend de manière magistrale leur dignité. En lisant le livre, ligne après ligne, page après page, nous plongeons dans une réalité affreuse et nous avons la forte impression de saisir au plus près l’endurance de tous ces ouvriers, tellement le verbe de Linhart est fort. La profondeur du texte, sa force, est rehaussée par l’utilisation du temps présent. Tellement près de la réalité de ce monde implacable où les petits chefs sont plus petits, exécrables, à vomir. Il est vrai que l’objet de l’Établi est centré sur « la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression » dans une usine de fabrication automobile française. Mais, précisément, les immigrés algériens, nombreux, et d’autres, étaient au cœur de cette machine.

Un dernier mot pour dire que Robert Linhart, qui était diplômé de l’université (philosophie) s’est volontairement « établi » dans cette usine durant un an, jusqu’à son licenciement pour avoir fomenté une grève (sans que cela ne soit ouvertement reconnu). Il a renouvelé l’expérience dans une autre entreprise, mais elle ne dura pas. Robert Linhart a intégré l’université comme enseignant de sociologie jusqu’à sa retraite.

À la fin des années soixante, la France était en ébullition du fait des grands mouvements étudiants, suivis par les salariés. Des centaines d’étudiants se sont fait embaucher dans les usines pour vivre et comprendre la condition d’ouvrier. Robert Linhart raconte merveilleusement bien son expérience dans ce livre de 180 pages. Il rend leur dignité à ces hommes oubliés par tous. Je vous donne à lire des extraits. Mais je vous recommande de le lire absolument.

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CLIQUER ICI POUR LIRE DES EXTRAITS DU LIVRE « L’ÉTABLI »

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Lire également in ce site (CLIQUER SUR l’IMAGE)

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IDIR est parti

IDIR au Salon du livre d’Alger en Octobre 2017 _ DR

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER A VAVA IOUVA et d’autres chansons…

ou ici:

(vidéo postée Par ‘Sherlock Homes’ en nov 2016 sur Youtube)

C’était tous les jours jour de printemps, Paris était belle comme souvent à vingt ans et ses rues et ses places comme la Place de la République, grouillaient de lumières, de couleurs et de groupes de toutes sortes, des qui montaient vers Magenta, des qui vers les Halles, des qui vers la Bastille, et d’autres. La République immobile depuis près d’un siècle, veille sur son piédestal, à l’angle de la rue du Faubourg-du-temple. « Notre journal » Libération (j’y ai bossé gratos !) n’a que quelques années d’âge, et concurrence Rouge et Le Matin de Paris. Il est un des rares à refuser les publicités payantes de sa lointaine rue de Lorraine, bien avant (plus tard, bien plus tard après ses revirements, la rue Béranger à deux pas de République où il s’installera (après Christiani, aussi). Libé n’écrit rien sur Idir, il ne connaît pas, comme beaucoup, mais faisait une place conséquente à Areski et Brigitte (et José Arthur raffolait de Lettre à monsieur le chef de gare de La Tour de Carol). Libé se rattrapera plus tard. Mais là, autour de la place de la République, par dizaines, des hommes et des femmes, jeunes et moins jeunes avançaient vers le Bijou qu’est le Palais des glaces, trente mètres plus haut. Plus on avançait et plus la foule grossissait. Une affiche grandeur d’homme indiquait « Concert avec le chanteur kabyle IDIR ». Toute la gamme des robes kabyles traditionnelle, panachées de bandes noires, rouges, jaunes, orange, se déployait devant la salle de spectacle et des touristes ébahis, débordant sur la rue encombrée de véhicules. Dans ces années-là l’expression vestimentaire maghrébine était encore timide en France. Ce jour-là elle frappait un grand coup. Les appareils photos crépitaient, les youyous fusaient. Et les touristes (d’autres) sidérés. On ne s’entendait pas. Un tel événement n’était pas courant, même à Paris. « Qui c’est Idir ? » « Ah Kabyle ? » Oui madame, et plus encore, Algérien s’il vous plaît. Nous ne rasions pas et plus les murs comme nos parents s’y résignaient durant les décennies précédentes, mais.

LE PALAIS DES GLACES

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La dame, l’œil noir et le regard haut, feignait « Touré Kunda, Police, Nina Simone d’accord, mais là… Qui c’est ? » On ne lui répondit pas. Je me contentai de lui montrer l’affiche, si elle voulait bien se donner la peine, elle qui voguait sur un registre peu engageant. Nous, nous le savions depuis peu, mais nous le savions. Idir rehaussait notre fierté. Nous étions tous Kabyles « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a Vava Inouva ». Des taxis kabyles (probablement, qui autrement ?) claxonnaient comme des malades et nous leur faisions de grands signes amicaux. Il n’y a pas si loin, Pathé Marconi enregistrait A Vava Inouva : « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva/ Ccencen tizebgatin-im a yelli Ghriba/ Ugadegh lwahc elghaba a yelli Ghriba… Je t’en prie père Inouva ouvre-moi la porte/ O fille Ghriba fais tinter tes bracelets/ Je crains l’ogre de la forêt père Inouva/ O fille Ghriba je le crains aussi… » Titre aussitôt repris, en français, par le duo David Jisse et Dominique Marge :  « Ouvre-moi vite la porte A vava inou va, A vava inou va/J’entends cette voix m’appelle, ma fille dehors a froid/Les loups de la vie me guettent, A vava inouva, A vava inouva/ J’ai si peur pour toi ma fille, mais la porte n’ouvre pas… » Puis les portent du Palais s’ouvrirent, plus rapidement sous les poussées, absorbant d’une traite une seule les centaines de fans de tout ce qui touche de près ou de loin une partie de l’Algérie. Sur le trottoir du Faubourg-du-Temple, le vide suppléa à la vague et la dame à l’œil noir soupirerait.

.IDIR au Salon du livre d’Alger en Octobre 2017 _ DR

À l’intérieur, tous les fauteuils, quatre cents, cinq cents ? rouges comme les cœurs, furent pris d’assaut. Idir est apparu sous une clameur indescriptible. Dès les premières notes de musique, des jeunes femmes se lancèrent au devant de la scène pour danser, pour libérer le corps, pour dire nous sommes là. Elles seront suivies par des dizaines d’autres, des jeunes hommes également. Nous étions dans une étuve improvisée. Et cela dura une éternité bien remplie. « Amghar yedel deg wbernus/Di tesga la yezzizin/Mmis yethebbir i lqut/Ussan deg wqarru-s tezzin…Le vieux enroulé dans son burnous/A l’écart se chauffe/Son fils soucieux de gagne pain/Passe en revue les jours du lendemain… »

C’était il y a quelques décennies, prises aujourd’hui dans la nasse. Le temps passa donc. Avec ses vicissitudes. Plus récemment, en février 2008, il était venu chanter dans le théâtre de notre petite ville du sud. Il était bien sûr archicomble. Et les titres chantés couvraient la trentaine d’années.

Plus récemment encore, à la fin du mois d’octobre 2017, je l’ai vu au Salon international du livre d’Alger, entouré de nombreux journalistes et fans et discutant avec eux. Il se trouvait dans le stand de l’ONDA accompagné de son directeur, Samy Bencheikh.

(CLIQUER ICI POUR LIRE )

Le 5 janvier 2018, l’APS écrivait : « ALGER – L’icône de la musique kabyle, Idir a renoué avec son public à la faveur d’un grand spectacle festif organisé jeudi soir à Alger marquant son retour sur scène après près de quarante ans d’absence. Accueilli dans la grande salle de la coupole du Complexe olympique Mohamed-Boudiaf, Idir était accompagné par un orchestre de 30 instrumentistes dirigés par Mehdi Ziouèche, un musicien polyvalent qui a présenté les différentes pièces choisies dans un nouvel habillage harmonique plein de créativité, et une chorale de jeunes, essentiellement de l’Institut national supérieur de musique. »

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.Intérieur du Palais des glaces



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.Salut l’artiste !

Photo du site officiel de Idir

Kamel Daoud – Divers

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Photo DR.

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.KAMEL DAOUD SUR FRANCE CULTURE_ CLIQUER ICI

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.KAMEL DAOUD SUR RADIO CORONA _ CLIQUER ICI

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(je n’ai pu avoir accès à cet article. Si vous l’avez….. faites-nous signe – merci)

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.KAMEL DAOUD SUR RADIO M _ ALGERIE _ CLIQUER ICI

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CLIQUER POUR VOIR VIDEO_ KAMEL DAOUD INVITÉ DE RADIO M

(La littérature est… hors champs)

Même vidéo ici sur Youtube

Kamel Daoud à « La grande librairie »- lecture de Camus – sur F5

(LIRE EN BAS DE CETTE PAGE SON INTERVENTION SUR FRANCE CULTURE, LE LENDEMAIN VENDREDI 24 AVRIL 2020)

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CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION AVEC LECTURE DE LA PESTE..

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L’animateur, François Busnel fait une proposition aux téléspectateurs… J’y ai répondu le soir même. Nulle réponse. Alors, je poste ici l’extrait que je j’ai enregistré. Les premières pages de La peste.

CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER CET EXTRAIT

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La peste.

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194. à Oran. De l’avis général, ils n’y étaient pas à leur place, sortant un peu de l’ordinaire. À première vue, Oran est en effet une ville ordinaire et rien de plus qu’une préfecture française de la côte algérienne.

La cité elle-même, on doit l’avouer, est laide. D’aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir ce qui la rend différente de tant d’autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer, par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l’on ne rencontre ni battements d’ailes ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ?

Le changement des saisons ne s’y lit que dans le ciel. Le printemps s’annonce seulement par la qualité de l’air ou par les corbeilles de fleurs que de petits vendeurs ramènent des banlieues ; c’est un printemps qu’on vend sur les marchés. Pendant l’été le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d’une cendre grise, on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne c’est au contraire un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver. Une manière commode de faire la connaissance d’une ville est de chercher comment on y travaille, comment on y aime et comment on y meurt. Dans notre pette ville, est-ce l’effet du climat, tout cela se fait ensemble, du même air frénétique et absent. C’est-à-dire qu’on s’y ennuie et qu’on s’y applique à prendre des habitudes. Nos concitoyens travaillent beaucoup, mais toujours pour s’enrichir. Ils s’intéressent surtout au commerce et ils s’occupent d’abord, selon leur expression, de faire des affaires. Naturellement, ils ont du goût aussi pour les joies simples, ils aiment les femmes, le cinéma et les bains de mer. Mais, très raisonnablement, ils réservent ces plaisirs pour le samedi soir et le dimanche essayant les autres jours de la semaine de gagner beaucoup d’argent. Le soir lorsqu’ils quittent leurs bureaux, ils se réunissent à heure fixe dans les cafés, ils se promènent sur le même boulevard ou bien ils se mettent à leurs balcons. Les désirs des plus jeunes sont violents et brefs tandis que les vices des plus âgés ne dépassent pas les associations de boulomanes, les banquets des amicales et les cercles où l’on joue gros jeu sur le hasard des cartes.

On dira sans doute que cela n’est pas particulier à notre ville et qu’en somme tous nos contemporains sont ainsi. Sans doute, rien n’est plus naturel aujourd’hui que de voir des gens travailler du matin au soir et choisir ensuite de perdre aux cartes au café et en bavardages le temps qu’il leur reste pour vivre. Mais il est des villes et des pays où les gens ont, de temps en temps le soupçon d’autre chose. En général cela ne change pas leur vie. Seulement il y a eu le soupçon. Et c’est toujours cela de gagné. Oran au contraire est apparemment une ville sans soupçons c’est-dire une ville tout à fait moderne. Il n’est pas nécessaire en conséquence de préciser la façon dont on s’aime chez nous. Les hommes et les femmes ou bien se dévorent rapidement dans ce qu’on appelle l’acte d’amour ou bien s’engagent dans une longue habitude à deux. Entre ces extrêmes il n’y a pas souvent de milieu. Cela non plus n’est pas original. À Oran comme ailleurs, faute de temps et de réflexion, on est bien obligé de s’aimer sans le savoir. Ce qui est plus original dans notre ville est la difficulté qu’on peut y trouver à mourir. Difficulté, d’ailleurs, n’est pas le bon mot et il serait plus juste de parler d’inconfort. Ce n’est jamais agréable d’être malade, mais il y a des villes et des pays qui vous soutiennent dans la maladie, où l’on peut en quelque sorte se laisser aller. Un malade a besoin de douceur, il aime à s’appuyer sur quelque chose, c’est bien naturel. Mais à Oran les excès du climat, l’importance des affaires qu’on y traite, l’insignifiance du décor, la rapidité du crépuscule et la qualité du plaisir, tout demande la bonne santé. Un malade s’y trouve bien seul. Qu’on pense alors à celui qui va mourir, pris au piège derrière des centaines de murs crépitant de chaleur pendant qu’à la même minute toute une population au téléphone ou dans les cafés parle de traites, de connaissement et d’escomptes. On comprendra ce qu’il peut y avoir d’inconfortable dans la mort, même moderne, lorsqu’elle survient ainsi dans un milieu sec.

Ces quelques indications donnent peut-être une idée suffisante de notre cité. Au demeurant, on ne doit rien exagérer. Ce qu’il fallait souligner, c’est l’aspect banal de la ville et de la vie. Mais on passe ses journées sans difficulté aussitôt qu’on a des habitudes. Du moment que notre ville favorise justement les habitudes, on peut dire que tout est pour le mieux. Sous cet angle, sans doute, la vie n’est pas très passionnante. Du moins, on ne connaît pas chez nous le désordre. Et notre population franche, sympathique et active, a toujours provoqué chez le voyageur une estime raisonnable. Cette cité sans pittoresque, sans végétation et sans âme finit par sembler reposante et on s’y endort enfin. Mais il est juste d’ajouter qu’elle s’est greffée sur un paysage sans égal au milieu d’un plateau nu entouré de collines lumineuses devant une baie au dessin parfait. On peut seulement regretter qu’elle se soit construite en tournant le dos à cette baie et que, partant, il soit impossible d’apercevoir la mer qu’il faut toujours aller chercher.

Arrivé là, on admettra sans peine que rien ne pouvait espérer à nos concitoyens les incidents qui se produisirent au printemps de cette année-là et qui furent, nous le comprîmes ensuite, comme les premiers signes de la série des graves événements dont on s’est proposé de faire ici la chronique. Ces faits paraîtront bien naturels à certains et à d’autres, invraisemblables au contraire. Mais, après tout, un chroniqueur ne peut tenir compte de ces contradictions. Sa tâche est seulement de dire : « ceci est arrivé », lorsqu’il sait que ceci a intéressé la vie de tout un peuple, et qu’il y a donc des milliers de témoins qui estimeront dans leur cœur la vérité de ce qu’il dit.

Du reste, le narrateur, qu’on connaîtra toujours à temps, n’aurait guère de titre à faire valoir dans une entreprise de ce genre si le hasard ne l’avait mis à même de recueillir un certain nombre de dépositions et si la force des choses ne l’avait mêlé à tout ce qu’il prétend relater. C’est ce qui l’autorise à faire œuvre d’historien. Bien entendu, un historien, même s’il est un amateur, a toujours des documents. Le narrateur de cette histoire a donc les siens : son témoignage d’abord, celui des autres ensuite, puisque, par son rôle, il fut amené à recueillir les confidences de tous les personnages de cette chronique, et, en dernier lieu, les textes qui finirent par tomber entre ses mains. Il propose d’y puiser quand il le jugera bon et de les utiliser comme il lui plaira. Il se propose encore… Mais il peut être temps de laisser les commentaires et les précautions de langage pour en venir au récit lui-même. La relation des premières journées demande quelque minutie.

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ET SUR FRANCE CULTURE LE VENDREDI 24 AVRIL 2020 DANS L’ÉMISSION DE TEWFIK HAKEM

.CLIQUER ICI

Et j’ai crié, crié, Aline !

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.CLIQUER ICI POUR ENTENDRE « ALINE » DE CHRISTOPHE

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Christophe a été emporté par le Covid 19, cette nuit. Il avait 74 ans. La majorité des jeunes ne le connaissent pas. Mais tous eux qui furent jeunes dans les années Yéyé (et la décennie suivante) le connaissent, ils ont aimé ses chansons. Christophe, c’est Aline (1965), Les marionnettes (1965), Les mots bleus (1974) et tant d’autres belles mélodies.

Comme une fulgurance, à la seconde même où, sur France Inter j’entendais la nouvelle, tôt ce matin, un puis deux lieux, deux moments, deux images ont traversé mon esprit. D’autres sont venus l’embouteiller. Je vous parlerai des deux premiers.

Dans le premier lieu, je me vois nettoyer avec un torchon élimé blanc à rayures vaguement rouges les verres sous le double regard, le premier, attentif de Mireille, la patronne que j’appelais « M’dame », je disais toujours « oui M’dame » et le second plus indulgent peut-être même indifférent et plutôt flottant, celui d’un vieux client à la corpulence d’ancien Sumotori, assis sur un tabouret devant un double Ricard et répétant en jouant de ses mains et de son corps « Et j’ai crié, crié, Aline pour qu’elle revienne, et j’ai pleuré, pleuré, Oh! J’avais trop de peine… » Le lendemain (ou le surlendemain, j’y venais trois ou quatre fois par semaine) il était assis au même endroit et lorsque de nouveau il entendait la même chanson, il fredonnait encore les mêmes paroles « Et j’ai pleuré, pleuré, Oh! J’avais trop de peine… ». Je pense aujourd’hui qu’il en avait plein le cœur ou la tête. Deux ou trois autres clients, plutôt silencieux, se partageaient le reste du pub. Je travaillais dans ce club, depuis la mort de mon père, trois années auparavant, quelques heures par semaine, entre deux et douze (les heures) par semaine. Il s’appelait  « l’Aéroclub d’Oranie » et était situé au 14 de l’avenue Loubet entre deux autres célèbres brasseries, Le Majestic à l’angle sud-ouest (plus ou moins) et Les Falaises à l’angle Nord-ouest (plus ou moins).

J’étais barman, pas 18 ans, ni fiche de paie, mais des bananes en guise de salaire. Sur son vieux tourne-disque, la patronne passait en boucle les chansons de Sylvie Vartan, Johnny, Marie Laforêt, Les chaussettes noires, Christophe  – Aline n’avait pas cinq ans… « J’avais dessiné Sur le sable Son doux visage Qui me souriait Puis il a plu Sur cette plage Dans cet orage Elle a disparu Et j’ai crié, crié… » Oui je criai aussi souvent à cette époque horrible (pourquoi donc ? laisse béton va) 

Dans le second lieu, je me vois avec mon ami B., à la même époque, sur le sable très chaud de Paradis-Plage, pas loin où l’Arabe Snp fut descendu par Meursault, bien avant le coup d’État et l’indépendance. Nous étions une bonne vingtaine d’adolescents agglutinés autour du stand de la RTA, autour de la bellissima Leïla Boutaleb. Elle faisait le tour des plages d’Algérie et offrait des disques, des jouets, des jeux… à celui ou celle (les filles étaient aussi nombreuses que les garçons) qui découvrait le titre de la chanson qu’elle nous donnait à entendre… à l’envers. C’eût été trop facile autrement ! Ce jour-là mon ami B. et moi ne savions pas que l’émission, « Radio-crochet » était son nom, se déroulerait sur les plages oranaises, mais nous la connaissions. « Écoutez » fit l’animatrice à la première note. Elle n’eut pas le temps de reprendre sa respiration.  À la deuxième ou troisième, peut-être la quatrième note, j’ai levé tous mes bras, et crié, mais crié comme un putois heureux, en trépignant : Aline ! Aline ! Aline ! » La bellissima (oui) Leïla Boutaleb avait des yeux gros comme ça de surprise. « Applaudissez-le, allez, applaudissez-le » se réjouissait-elle. Autour d’elle ses collaborateurs, techniciens, chauffeurs… applaudissaient, m’applaudissaient. Ils étaient tout autant cois qu’elle. Je l’aimais beaucoup Leïla Boutaleb, savez-vous. Elle nous faisait rêver avec ses émissions matinales. Elle en animait ou animerait plusieurs : le réveil musical, à cœur ouvert, le chant du coq (j’appréciais moins, il me semble aujourd’hui que c’était de la propagande). Je peux écrire aujourd’hui qu’elle (et d’autres) m’a aidé à tenir (quoi donc ? laisse béton va). Un jour, bien plus tard, non loin du Majestic, j’ai rencontré Djamel Amrani qui flânait sous les arcades. Je souhaitais parler de « Psaumes dans la rafale », mais il m’a assommé pendant quinze minutes en ne parlant que d’elle, « ma chérie, ma chérie » répétait-il, Leïla Boutaleb, sa fusion. Il me semble que je m’égare là. Revenons à l’émission « Radio crochet ». Ce jour-là, je suis reparti de Paradis-Plage avec une belle table pliante en fer (60X40) toute bleue que je n’ai pu partager avec mon ami B. Comme des vagues à l’âme. « J’avais dessiné/ Sur le sable/ Son doux visage/ Qui me souriait/ Puis il a plu/ Sur cette plage/ Dans cet orage/ Elle a disparu/Et j’ai crié, crié/Aline/Pour qu’elle revienne/Et j’ai pleuré, pleuré /Oh! J’avais trop de peine/Je me suis assis /Auprès de son âme/Mais la belle dame/S’était enfuie/Je l’ai cherchée /Sans plus y croire/Et sans un espoir/Pour me guider/Et j’ai crié, crié/Aline/Pour qu’elle revienne/Et j’ai pleuré, pleuré /Oh! J’avais trop de peine/Je n’ai gardé /Que ce doux visage/Comme une épave /Sur le sable mouillé /Et j’ai crié, crié/Aline/Pour qu’elle revienne/Et j’ai pleuré, pleuré /Oh! J’avais trop de peine… (de quoi de qui donc ? laisse béton va).

La rue est mal élevée

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À l’image, Laurence Vielle lisant un poème de Milady Renoir.

La rue est mal élevée – Un poème de Milady Renoir

La rue dévie des droites, de ligne et de parti,

La rue traite les hypoténuses comme des abus de langage,

La rue est la langue des peuples,

La rue inonde les murs d’encre et de signes,

La rue est la naissance, sa mort, sa renaissance,

La rue est mal élevée,

La rue pisse debout, assise, à quatre pattes,

La rue désenfouit les origines communes,

La rue attrape des maladies, des papillons

La rue a mauvais genre

La rue converge les luttes, les putes, les mecs en rut,

La rue radote, des cris de gueux aux fanatiques de dieu,

La rue est orpheline mais pas infertile,

La rue ne chuchote pas avec les yeux,

La rue harangue au tambour,

La rue est mal élevée,

La rue, c’est pas un projet bioéthique à développement durable

La rue, c’est pas un laboratoire du vivre-ensemble repentant,

La rue, c’est pas un espace vert ou jaune ou bleu ou…

La rue, c’est pas une réserve naturelle pour tourisme de masse,

La rue c’est pas un safari pour flics malformés,

La rue c’est pas une ZAD à grenader,

La rue c’est le syndicat du pavé,

La rue, c’est le désir du désordre,

La rue est mal élevée,

La rue commence au ras du sol, avec des pas,

La rue, une mère qui élève mal mais qui laisse grandir tout autant,

La rue riposte à la frontière,

La rue, porte de la loi, fenêtre avec vue sur le manque de droits,

La rue où craquent les vernis,

Dans la rue, on ne naît pas vivant, on le devient,

La rue est mal élevée,

La rue laisse mourir entre ses bras froids,

La rue cible les sans papiers

La rue compile les cris, les rires, les crises et les méprises,

La rue, palimpseste des impuissances,

La rue décide du sort, joue du destin, Hécate au rond-point,

Mais

Mais

La rue, demain le jour va encore s’y lever,

Et faudra bien penser à bien l’occuper,

jusqu’à ce que les chants des opprimés

passent d’un vague écho à un cri d’unisson.

La rue est mal élevée et fière de l’être,

La rue, ça ne fait que commencer.

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Monsieur le Président… Annie Ernaux

Annie Ernaux, lettre à Monsieur le Président

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Cergy, le 30 mars 2020

Monsieur le Président,

« Je vous fais une lettre/ Que vous lirez peut-être/ Si vous avez le temps ». À vous qui êtes féru de littérature, cette entrée en matière évoque sans doute quelque chose. C’est le début de la chanson de Boris Vian Le déserteur, écrite en 1954, entre la guerre d’Indochine et celle d’Algérie. Aujourd’hui, quoique vous le proclamiez, nous ne sommes pas en guerre, l’ennemi ici n’est pas humain, pas notre semblable, il n’a ni pensée ni volonté de nuire, ignore les frontières et les différences sociales, se reproduit à l’aveugle en sautant d’un individu à un autre. Les armes, puisque vous tenez à ce lexique guerrier, ce sont les lits d’hôpital, les respirateurs, les masques et les tests, c’est le nombre de médecins, de scientifiques, de soignants. Or, depuis que vous dirigez la France, vous êtes resté sourd aux cris d’alarme du monde de la santé et ce qu’on pouvait lire sur la  banderole  d’une manif  en novembre dernier –L’état compte ses sous, on comptera les morts – résonne tragiquement aujourd’hui. Mais vous avez préféré écouter ceux qui prônent le désengagement de l’Etat, préconisant l’optimisation des ressources, la régulation des flux,  tout ce jargon technocratique dépourvu de chair qui noie le poisson de la réalité. Mais regardez, ce sont les services publics qui, en ce moment, assurent majoritairement le fonctionnement du pays : les hôpitaux, l’Education nationale et ses milliers de professeurs, d’instituteurs si mal payés, EDF, la Poste, le métro et la SNCF. Et ceux dont, naguère, vous avez dit qu’ils n’étaient rien, sont maintenant tout, eux qui continuent de vider les poubelles, de taper les produits aux caisses, de  livrer des pizzas, de garantir cette vie aussi indispensable que l’intellectuelle, la vie matérielle.  

Choix étrange que le mot « résilience », signifiant reconstruction après un traumatisme. Nous n’en sommes pas là. Prenez garde, Monsieur le Président, aux effets de ce temps de confinement, de bouleversement du cours des choses. C’est un temps propice aux remises en cause. Un temps pour désirer un nouveau monde. Pas le vôtre ! Pas celui où les décideurs et financiers reprennent déjà sans pudeur l’antienne du « travailler plus », jusqu’à 60 heures par semaine. Nous sommes nombreux à ne plus vouloir d’un monde  dont l’épidémie révèle les inégalités criantes, Nombreux à vouloir au contraire un monde où les besoins essentiels, se nourrir sainement, se soigner, se loger, s’éduquer, se cultiver, soient garantis à tous, un monde dont les solidarités actuelles montrent, justement, la possibilité. Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie, nous n’avons qu’elle, et  « rien ne vaut la vie » –  chanson, encore, d’Alain  Souchon. Ni bâillonner durablement nos libertés démocratiques, aujourd’hui restreintes, liberté qui permet à ma lettre – contrairement à celle de Boris Vian, interdite de radio – d’être lue ce matin sur les ondes d’une radio nationale.

Annie Ernaux

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Lettre lue ce matin sur France Inter.

Ce matin, lundi 30 mars 2020, sur France Inter à 8h54. Émission « Lettres d’intérieurs » par Augustin Trapenard. Aujourd’hui, lettre d’ Annie ERNAUX « Sachez, Monsieur le Président, que nous ne laisserons plus nous voler notre vie… »

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CLIQUER CI-dessous pour voir la vidéo (lecture de la lettre):

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Lettre aux Français depuis leur futur

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LIBERATION, 18 Mars 2020

Lettre aux Français depuis leur futur

Par Francesca Melandri

Je vous écris d’Italie, je vous écris donc depuis votre futur. Nous sommes maintenant là où vous serez dans quelques jours. Les courbes de l’épidémie nous montrent embrassés en une danse parallèle dans laquelle nous nous trouvons quelques pas devant vous sur la ligne du temps, tout comme Wuhan l’était par rapport à nous il y a quelques semaines. Nous voyons que vous vous comportez comme nous nous sommes comportés. Vous avez les mêmes discussions que celles que nous avions il y a encore peu de temps, entre ceux qui encore disent «toutes ces histoires pour ce qui est juste un peu plus qu’une grippe», et ceux qui ont déjà compris. D’ici, depuis votre futur, nous savons par exemple que lorsqu’ils vous diront de rester confinés chez vous, d’aucuns citeront Foucault, puis Hobbes. Mais très tôt vous aurez bien autre chose à faire. Avant tout, vous mangerez. Et pas seulement parce que cuisiner est l’une des rares choses que vous pourrez faire. Sur les réseaux sociaux, naîtront des groupes qui feront des propositions sur la manière dont on peut passer le temps utilement et de façon instructive ; vous vous inscrirez à tous, et, après quelques jours, vous n’en pourrez plus. Vous sortirez de vos étagères la Peste de Camus, mais découvrirez que vous n’avez pas vraiment envie de le lire.

Vous mangerez de nouveau.

Vous dormirez mal.

Vous vous interrogerez sur le futur de la démocratie.

Vous aurez une vie sociale irrésistible, entre apéritifs sur des tchats, rendez-vous groupés sur Zoom, dîners sur Skype.

Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l’estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu’ils ont quitté la maison, vous n’avez aucune idée de quand vous les reverrez.

De vieux différends, de vieilles antipathies vous apparaîtront sans importance. Vous téléphonerez pour savoir comment ils vont à des gens que vous aviez juré de ne plus revoir.

Beaucoup de femmes seront frappées dans leur maison.

Vous vous demanderez comment ça se passe pour ceux qui ne peuvent pas rester à la maison, parce qu’ils n’en ont pas, de maison.

Vous vous sentirez vulnérables quand vous sortirez faire des courses dans des rues vides, surtout si vous êtes une femme. Vous vous demanderez si c’est comme ça que s’effondrent les sociétés, si vraiment ça se passe aussi vite, vous vous interdirez d’avoir de telles pensées.

Vous rentrerez chez vous, et vous mangerez. Vous prendrez du poids.

Vous chercherez sur Internet des vidéos de fitness.

Vous rirez, vous rirez beaucoup. Il en sortira un humour noir, sarcastique, à se pendre.

Même ceux qui prennent toujours tout au sérieux auront pleine conscience de l’absurdité de la vie.
Vous donnerez rendez-vous dans les queues organisées hors des magasins, pour rencontrer en personne les amis – mais à distance de sécurité.

Tout ce dont vous n’avez pas besoin vous apparaîtra clairement.

Vous sera révélée avec une évidence absolue la vraie nature des êtres humains qui sont autour de vous : vous aurez autant de confirmations que de surprises.

De grands intellectuels qui jusqu’à hier avaient pontifié sur tout n’auront plus de mots et disparaîtront des médias, certains se réfugieront dans quelques abstractions intelligentes, mais auxquelles fera défaut le moindre souffle d’empathie, si bien que vous arrêterez de les écouter. Des personnes que vous aviez sous-estimées se révéleront au contraire pragmatiques, rassurantes, solides, généreuses, clairvoyantes.

Ceux qui invitent à considérer tout cela comme une occasion de renaissance planétaire vous aideront à élargir la perspective, mais vous embêteront terriblement, aussi : la planète respire à cause de la diminution des émissions de CO2, mais vous, à la fin du mois, comment vous allez payer vos factures de gaz et d’électricité ? Vous ne comprendrez pas si assister à la naissance du monde de demain est une chose grandiose, ou misérable.

Vous ferez de la musique aux balcons. Lorsque vous avez vu les vidéos où nous chantions de l’opéra, vous avez pensé «ah ! les Italiens», mais nous, nous savons que vous aussi vous chanterez la Marseillaise. Et quand vous aussi des fenêtres lancerez à plein tube I Will Survive, nous, nous vous regarderons en acquiesçant, comme depuis Wuhan, où ils chantaient sur les balcons en février, ils nous ont regardés.

Beaucoup s’endormiront en pensant que la première chose qu’ils feront dès qu’ils sortiront, sera de divorcer. Plein d’enfants seront conçus.

Vos enfants suivront les cours en ligne, seront insupportables, vous donneront de la joie. Les aînés vous désobéiront, comme des adolescents ; vous devrez vous disputer pour éviter qu’ils n’aillent dehors, attrapent le virus et meurent. Vous essaierez de ne pas penser à ceux qui, dans les hôpitaux, meurent dans la solitude. Vous aurez envie de lancer des pétales de rose au personnel médical.

On vous dira à quel point la société est unie dans un effort commun, et que vous êtes tous sur le même bateau. Ce sera vrai. Cette expérience changera à jamais votre perception d’individus. L’appartenance de classe fera quand même une très grande différence. Etre enfermé dans une maison avec terrasse et jardin ou dans un immeuble populaire surpeuplé : non, ce n’est pas la même chose. Et ce ne sera pas la même que de pouvoir travailler à la maison ou voir son travail se perdre. Ce bateau sur lequel vous serez ensemble pour vaincre l’épidémie ne semblera guère être la même chose pour tous, parce que ça ne l’est pas et ne l’a jamais été.
À un certain moment, vous vous rendrez compte que c’est vraiment dur.
Vous aurez peur. Vous en parlerez à ceux qui vous sont chers, ou alors vous garderez l’angoisse en vous, afin qu’ils ne la portent pas. Vous mangerez de nouveau.

Voilà ce que nous vous disons d’Italie sur votre futur. Mais c’est une prophétie de petit, de très petit cabotage : quelques jours à peine. Si nous tournons le regard vers le futur lointain, celui qui vous est inconnu et nous est inconnu, alors nous ne pouvons vous dire qu’une seule chose : lorsque tout sera fini, le monde ne sera plus ce qu’il était.

Francesca Melandri

(traduit de l’italien par Robert Maggiori)

Copié du post FB de Noureddine K.

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Le Banc public

LE QUOTIDIEN D ORAN

25 MARS 2019

Le Banc public- Ceci n’est pas une mise au point

Par Kamel Daoud

Un pays est à venir. Il est aujourd’hui possible. Mais nous ne pouvons le construire ni par les radicalités intimes, ni par la reconduction des mœurs du Pouvoir, ni par ce nombrilisme populiste. Lui, le Régime, il aime contrôler les libertés, censurer, s’immiscer dans l’intime conviction, douter et faire douter de la bonne foi. On ne doit pas lui ressembler.
Internet nous a aidés à surmonter le manque de liberté, son impossibilité dans notre pays. Il a été l’instrument de notre triomphe.


On ne doit pas transformer cet outil en espace pour des tribunaux populaires qui s’installent et déjà jugent, condamnent, empoisonnent et lapident.


Aujourd’hui, certains ont prétendu que j’en suis venu à négocier avec un représentant du Régime sur le dos des manifestants. Comme si j’étais un politique, un élu, un chef de parti, un président ou un délégué qui a la possibilité de négocier ou de dialoguer.


J’en fus blessé mais j’ai refusé, par fierté, d’y répondre dans l’immédiat et sous l’injonction de l’affect ou des inquisiteurs. Parce que je n’aime pas me justifier, ni le faire croire, ni me soumettre aux ordres de quelques nouveaux commissaires politiques (je ne l’ai pas fait avec les anciens !). Et je n’ai rien à cacher, ni à me faire pardonner. Fier et libre et révolté. Ce que je vis, ce que je pense, je l’écris et depuis deux décennies. A l’époque des grands silences de certains. Dans mon droit à la singularité, à la différence ou à l’erreur.


Et si j’en parle aujourd’hui, dix jours après, c’est pour trois raisons.


D’abord, sur insistance d’amis, pour éclairer et aider à la lucidité : j’ai rencontré Brahimi Lakhdar à Sciences Po où j’enseigne et où il est bénévole, parfois. Deux fois. Et avant sa mission à Alger et bien sûr hors du cadre de ses consultations tentées et jamais abouti à Alger. Je suis libre de le faire, je ne suis ni représentant d’un mouvement, ni un politique, ni un chef de parti, mais journaliste et écrivain. Je rencontre qui je veux et quand je le décide. Si aujourd’hui au nom d’une révolution on veut me priver, par inquisitions et insultes, de ma liberté, c’est que ce n’est plus une révolution, mais une future dictature qui va seulement changer de personnel. Certains médias électroniques y versent déjà pour décrédibiliser des gens qui ne se casent pas dans leurs projets. Certains journaux électroniques en sont déjà à la diffamation après avoir excellé dans le chantage et le régionalisme pour obtenir l’argent des annonceurs.


Quant à moi, je fais mon métier, j’exerce ma vocation et ma liberté m’est essentielle, pour mes opinions, mes livres et mes chroniques et je n’en rends compte à personne, hier comme demain. J’ai écrit quand beaucoup se taisaient et je vais continuer à écrire alors que certains bavardent et lapident.

L’autre raison, est plus urgente : dénoncer ce climat qui s’installe ou se réveille en nous. Nous avons su entrevoir, dans le chant et la solidarité, la possibilité de vivre ensemble dans nos différences. C’est encore fragile et nous pouvons détruire cet espoir. Les tribunaux populaires d’internet, les insultes et la méfiance radicale envers la bonne foi possible sont un danger pour notre futur. Nous allons provoquer la rupture et l’hésitation chez ceux qui ne nous ont pas rejoints, à force de ce révisionnisme comique. De ces tribunaux rétroactifs sur les uns et les autres. La nouvelle république donnera leur place aux héros, aux fervents, aux militants, mais aussi à ses enfants qui reviennent à la raison, et ses femmes et hommes qui se sont trompés. La radicalité peut nous mener aux pelotons d’exécution. Pas à la Réconciliation.


Il nous faut cesser avec cela. Respecter la liberté, sous toutes ses formes, l’intimité des personnes, refuser l’inquisition et ne pas ressembler à ce Régime. Il n’y pas de vérité, il n’y a que des femmes et des hommes de bonne ou de mauvaise foi. Seuls les morts détiennent la vérité. Et elle leur est inutile. Et si cette révolution commence par ma pendaison, elle ne m’est pas utile, déjà.


Alors sauvons ce que nous n’avons pas encore vécu : la liberté de chacun, son droit de penser, écrire, vivre. Arrêtons avec ce doute et cette fabrication du traître. Arrêtons. Ou partons chacun de son côté. Qu’on en arrive à m’exiger ce que j’ai dit et ce que m’a dit cette personne est un scandale moral. La liberté et la sommation ne sont pas synonymes. Et si j’ai réussi à défendre ma liberté face à un régime et face à ses corruptions durant toute ma vie professionnelle, aujourd’hui je n’irais pas à me justifier devant des tribunaux derrière des écrans. Devant des radicalités anonymes ou devant les procès de quelques agités de l’ordre de mon métier.


Certains juges algériens en sont à se battre pour libérer la Justice de l’injustice et il faut les soutenir. Alors que des amateurs des réseaux se bousculent déjà pour mener les procès de ceux qui ne sont pas comme eux.


Ce pays je l’ai rêvé meilleur, par l’exigence sévère envers les miens et envers ma propre personne. Et je vais continuer. Comme depuis vingt ans.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

19 MARS 2019

Le Banc public- C’est si nouveau pour nous que d’enfin choisir

Par Kamel Daoud

Le Mal est profond. En Algérie, on aime bien le dire, le penser.


Parfois, cette sentence exaspère, ou aboutit au fatalisme. Mais parfois, elle se révèle comme une occasion de dépassement. Aujourd’hui, les Algériens se retrouvent dans la rue, puissants, rassemblés, rieurs et heureux, comme plongés dans le vertige des retrouvailles. Et ils découvrent l’angoissante question du «politique» dont ils ont été depuis toujours dépossédés. Qui est qui ? Qui représente quoi ? Expérience de l’obligation de déléguer pour parler sans cacophonie, mais aussi d’accepter les différences. Le Pouvoir nous a habitué à la pensée unique, le parti unique et la non-pensée unique. Aujourd’hui, pour nous, la différence est inquiétante, nouvelle, angoissante et presque heureuse. On a l’intuition qu’être différent n’est pas être traître mais être riche. Mais cette intuition est encore fragile.

L’angoisse de la représentativité face au Régime, de l’obligation de trouver des «représentants», des porte-parole se heurte à la méfiance. Le Régime a depuis toujours fraudé, corrompu la notion d’élu et de délégué. Elle signifie, depuis des décennies, triche et trahison. Du coup, on en a peur. On veut continuer une Révolution mais sans accepter son aboutissement politique. «Il ne me représente pas» est l’autre slogan triste de «Dégagez». Pire encore, on est dans l’élan de l’absolu : on croit que celui qui va porter notre parole, aujourd’hui, va le faire à vie, pour toujours, alors qu’il s’agit seulement de délégation pour une transition. Une période fixe pour permettre de faire survivre l’Etat et la passion, au temps. La méfiance est de mise mais la transformer en loi est une impasse. On se retrouve, alors, tenté par l’exclusion au nom de l’unanimisme. Et pourtant nous sommes là dans nos différences. Et si nous devons déléguer, nous le ferons avec le prisme large de ces différences, pas avec l’idée de l’absolu et de l’exclusion. Aucun Algérien ne peut représenter toute cette révolution, mais certains peuvent aider à représenter certains de ses courants de fond, corporations, passions, régions, classe d’âge… etc. Il ne faut pas trop se hâter, mais cette voie nous aidera à apprendre ce qu’est le consensus tout en maintenant vives et riches nos différences. Un pays n’est pas la terre uniquement. C’est cet équilibre qui vous maintient debout ou vivant, entre les mille contradictions de l’apesanteur, de l’histoire, des langues et des cultures. Un pays, c’est un choix de vivre ensemble et pas un lot de terrain morcelé.

Cela fait donc peur cette question de la représentation et du soupçon, réveille la paranoïa, le doute sur la bonne foi des autres, le malheur. Et cela se comprend. Nous avons été soumis au conditionnement de ce régime depuis l’indépendance. Nous avons été dépossédés du choix si longtemps, qu’aujourd’hui il en devient angoisse. Nous avons été poussés à nous exclure, les uns les autres, au nom de beaucoup de choses et cela n’est pas facile à oublier.

Pourtant, la possibilité de guérison est là : il suffit juste de remplacer l’affect par la raison et le souci de ne pas être trahi, par le souci de ne pas trahir nos descendants.

Tant de choses à rétablir et à guérir : l’effort, le salaire, le corps, la confiance, la différence, le désir, l’acceptation, la souveraineté et la vraie, la grande réconciliation. Pas celle des milices et du Régime. Nous avons déjà montré que l’on peut marcher tous ensemble, on peut démontrer que nous pouvons continuer. Le ton peut paraître sentencieux, mais ce n’est pas le but. Le chroniqueur essaye juste d’apporter sa réflexion sur ce qui le concerne : le pays où il vit et où il mise sa vie et celle des siens et de ses enfants. Une réflexion pour empêcher une pente dangereuse : nous ne pouvons pas demander le départ du Régime et reconduire ses tares, ses cultures, sa méfiance, ses inquisitions, ses diffamations et son mépris. Nous ne devons plus ressembler à ces gens-là. Je me dis, avec imprudence, que peut-être, que chaque fois que nous devons faire un choix, examinons ce que fait ce Régime depuis toujours et faisons le contraire. Souvent.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

11 MARS 2019

Le Banc public- Dissoudre le FLN pour le libérer

Par Kamel Daoud

«F LN dégage». C’est l’un des slogans majeurs de ce soulèvement des Algériens contre la Régence d’Alger. Des jeunes le criaient sous les murs du siège de ce parti, à Oran, ce premier Mars. Mais aussi partout dans le pays. On y retrouve l’envie de naître, renaître, retrouver Larbi Ben M’hidi sans passer par Ould-Abbès, se libérer des courtiers et des Saidani. Car le FLN a été volé, depuis longtemps, pris en otage, cambriolé et obligé à vivre par le faux et l’usage de faux. Ce parti, auteur d’une magnifique épopée de décolonisation, a fini en sigle pour manger mieux que les autres, grimper sur le dos des autres et parler en leur nom. Les décolonisateurs en chefs, ou ceux qui se revendiquent de ce statut, en ont fait un parti de nouveaux colons. Il faut libérer, donc, le FLN qui a libéré ce pays.

Comment ?

Par la dissolution. Immédiate, sans retard ni sursis. Dissoudre le FLN c’est le libérer, le restituer à la mémoire collective, à tous les Algériens. Il nous appartient, à tous et pas à un comité, un président d’honneur qui l’a déshonoré, ni à ces clowns cycliques que sont ses récents secrétaires généraux et ses comités centraux. Le FLN est un patrimoine, pas un club, ni une licence d’importation. C’est une mémoire, pas une veste et un pin’s. C’est une épopée, pas une autobiographie ou une association de malfaiteurs. Sauvons le FLN de ses kidnappeurs. Faisons-en un souvenir et pas une machine de fraude. Il faut aussi consommer la rupture avec les courtiers de notre mémoire : nous devons le respect à ceux qui se sont battus mais le ministère des Moudjahidine ne doit plus exister. Ni l’association de leurs fils, ni les autres appareils dentaires comme l’ONM, l’organisation nationale des Moudjahidines. Il faut arrêter le scandale immonde des fausses fiches communales.Fermer cette page. Cette population a le droit à des prises en charge, une pension, l’immense remerciement d’un peuple, a le droit à la mémoire et au respect, mais nous aussi. Il faut dissoudre cet apartheid, ce système des intouchables avec ses privilèges honteux. Ceux qui ont fait la guerre pour libérer ce pays n’ont pas le droit de transformer le pays en butin pour eux et leurs enfants. Nous avons libéré la rue, le drapeau, l’hymne et le vendredi, il reste à libérer la mémoire, le FLN, les nouveau-nés.

Tous les Algériens ont été, d’une manière ou d’une autre anciens moudjahidine. Tous sont enfants de martyrs. Tous sont FLN sans en faire une mangeoire, tous sont morts et tous sont vivants, tous sont égaux et il n’y a pas de privilège autre que celui de sa propre vertu et de son courage.

Fonder une deuxième république passe aussi par la libération du présent, de l’avenir et surtout, du passé.

Pour moi, c’est le premier pas. Le symbole fort d’une nouvelle époque.

C’est le signe radical d’une rupture saine et courageuse. En attendant un conseil national de transition, une assemblée constituante, une refonte de la gouvernance et un contrôle public direct sur les dépenses locales, l’armée, la gouvernance des wilayas, un haut conseil des Magistrats indépendant et autonome… etc.

Le FLN d’aujourd’hui est la liste exacte des gens qui ne doivent plus avoir de postes de responsabilité, dans ce pays, des personnes à écarter, des noms à ne jamais élire ni écouter, des visages à qui il ne faut plus jamais faire confiance.

Alors commençons.


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LE QUOTIDIEN D ORAN

04 MARS 2019

Le Banc public- Un terrifiant retour de la beauté

par Kamel DAOUD

Un peuple peut renaître. Peut mourir. C’est fragile, immense, rare et puissant, imprévisible. Nous étions longtemps morts. Corps gris, muscles défaits, cheveux dressés, regards durs sur soi et les siens, la peau en parchemin juste pour raconter le passé. Tout appartenait à ce Régime et nous étions sur sa terre à lui, hagards et tristes, indignés et en colère parce qu’indignes. Radicalisés ou démissionnaires. Tout était au Régime : l’arbre, la route, l’eau, les choses courantes, l’histoire, le verbe, la télé et le drapeau. Le seul territoire qui restait en dehors, un peu, de sa poigne cendreuse était Dieu ou le ciel ou Internet. Alors beaucoup allaient à la mosquée, ne la quittaient plus dans leur tête parce qu’il fallait remplacer la terre par le paradis, espérer encore malgré l’état des routes, croire en quelque chose, déplacer le souffle vers l’au-delà. A défaut d’un pays, un paradis. Pour certains c’était Internet. A défaut de vivre, regarder. Se regarder. Pour d’autre c’était la mer. Elle était un grand mur, une montagne, un maquis, une épreuve, un chemin. On plongeait dedans pour ressortir ailleurs. Il fallait retenir son souffle sous l’eau. Certains y arrivaient et ressortaient vivants. D’autres non, mourraient. La chaloupe était un endroit étrange : dès que des Algériens y embraquaient, dès qu’ils franchissaient les eaux territoriales, ils se mettaient à chanter et à rire. Regardez leurs vidéos : ce n’étaient plus des chaloupes, mais des salles de fêtes.

La chaloupe remplaçait la rue, l’espace, l’air et la salle des fêtes impossibles. La prière enjambait le temps. L’écran et les réseaux sociaux étaient le pays par défaut. Et tout le reste était le champ du Régime, ses dents, ses hommes minables et carnivores.


Aujourd’hui, cela s’inverse. La chaloupe devient la rue. On peut y danser et rire. Y respirer. Libérer le pays de la caste féodale de ceux qui croient qu’il est à eux et que nous y sommes en trop. Trop nombreux, violents, haineux et jaloux de leur immortalité.


Cela va-t-il durer, cette rue, cette liberté, cet espace, ce grand poumon ? Il faut faire attention. Ce régime ne partira pas facilement, il est haineux, méprisant et croit qu’il peut régler la question du sens par la matraque et la semoule. Il nous méprise. Il va manipuler, corrompre, ruser, attendre, frapper, tuer. Il ne faut pas se tromper sur sa nature, sa nature est mauvaise. Il a pris trop d’argent pour céder aussi facilement. Il a trop mangé et tué. Il nous faut aussi cesser la haine des élites. C’est une maladie du régime, pas la nôtre. L’élite n’est pas la trahison, mais la possibilité d’éclairage, d’aide, d’union. Ils nous ont appris à détester l’élite, à la mépriser, à la croire traître et faible. Depuis la guerre de libération, et jusqu’à aujourd’hui. Le 22 février et le 01 mars n’ont été possibles que parce que, des années durant, certains ont maintenu vivante l’idée d’être libre, l’idée d’être digne.


On peut être dépossédé de cet élan ? Comme en Égypte ou en Tunisie ? Oui. Mais on peut aussi rester vigilant, car ce qui s’est passé dans ces deux pays, nous l’avons connu il y a vingt ans. Il y a vingt ans nous avons subi le vol de la démocratie comme en Égypte, la guerre comme en Syrie, le complot comme en Tunisie, le cauchemar du chaos possible comme il advint en Libye. Nous avons vingt ans d’avance et d’expérience. Cela ne garantit rien, mais rend possible de sortir de ce cercle vicieux qui tue et fait s’agenouiller les bonnes volontés.


Nous allons céder devant Bouteflika & Cie ? Si nous le faisons, nous sommes morts pour toujours. Le Régime pourra nous faire élire un âne ou même un crachat. Nous serions alors les serfs et nos enfants après nous.


Il faut donc accentuer, aller vers la grève, le sit-in permanent, la résistance pacifique, la vigilance accrue pour contrer ses médias en mode chiens de service. Il faut avancer. Démissionner de l’APN et du FCE pour les plus honnêtes. Libérer le FLN et le rendre à l’histoire et le séparer de l’alimentation générale. Contrer l’argument fallacieux de «il a le droit de se porter candidat». Oui, s’il était vivant, en bonne santé et dans un système électoral sain. Pas en mode photo. Pour retirer un chèque il faut la présence de l’intéressé, disent les internautes, et pas pour gouverner un pays ?

Passons. Un peuple peut mourir. Nous le savons tous. Nous sortons tous d’un cimetière qui avait un drapeau. Nous avons le corps désarticulé, le teint pâle. Nous les avions jusqu’à ces dernières semaines. Nous nous sommes fait volé l’indépendance et le 1er novembre. Il ne faut pas se faire voler le 01 mars. Il faut continuer. Ils ont eu droit à soixante ans de dictature et de rapine, nous avons droit à des années de protestation et de joie.


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LE QUOTIDIEN D ORAN

26 MARS 2018

Le Banc public- Un rêve simple et pratique

par Kamel DAOUD

«…Rares sont les journées heureuses. Elles valent mille ans au décompte. Ou plus. Hier ce pays  était beau comme réconciliation. Des milliers d’Algériens candidats à la Omra ou au Hadj ont rendu leurs «passeports spéciaux» et se sont fait rembourser. «L’argent est pour vivre, pas pour tuer», a titré Echourouk. Ce journal comme tant d’autres, a fait campagne pour que les devises algériennes restent dans le pays, aillent aux écoles, à financer des lunettes ou à faire manger les migrants subsahariens. «Le cœur peut être noir, pas la peau», ont crié des manifestants solidaires avec les errants de nos rues. Des milliers d’Algériens ont préféré donner leur argent à ces passants du continent qu’aux familles royales saoudiennes. «Dieu est partout et pas seulement en Arabie», ont expliqué des imams. L’argent réuni ainsi a servi à financer des campagnes de vaccination, d’hygiène dentaire, à achever des chantiers de piscines dans les Hauts Plateaux et à former les femmes dans les villages à exercer un métier au lieu d’attendre des coups. «La femme n’est pas la moitié de l’homme, mais la moitié du pays, la moitié de l’économie, la moitié de notre futur, la moitié de notre armée et la moitié de notre produit intérieur brut», a conclu le cheikh Abou, cheikh qui a compris qu’un sac vide ne tient pas debout, même avec cinq prières chaque jour.

C’est que le pays a changé. L’Algérie a retrouvé sa vocation ancienne d’être du côté des spoliés et des endoloris, la Mecque des colonisés. Dans presque tous les villages, il y a eu des rassemblements pour soutenir les Yéménites, les Kurdes, les Nigérianes kidnappées par Boko Haram, etc. «Nous sommes avec la Palestine, mais aussi avec les enfants tués au Yémen ou les gosses bombardés par Erdogan au Kurdistan». Pas de distinction dans la compassion. «C’est quoi la différence entre un enfant tué en Syrie ou à Gaza ? Aucune. Alors mon cœur n’est pas raciste. Ce n’est pas parce qu’on est noir qu’on n’est pas palestinien», expliquera un jeune enseignant à Bougtob. Nous avons connu la guerre et la mort et nous savons qu’ils sont les mêmes, partout. Des associations ont appelé à des dons et le gouvernent a autorisé un immense rassemblement à Alger pour dénoncer les victimes au Yémen et au Tibet. Pas seulement en Palestine. Des partis conservateurs et islamistes ont même soutenu des campagnes de nettoyage des rues et villages, des appels au devoir écologique : «Aller au paradis ne veut pas dire fabriquer un enfer pour nos enfants», a crié un leader islamiste, soutenant l’imam de la Mosquée d’Alger qui avait appelé les fidèles à faire des ablutions, une fois par mois, au pays au lieu d’en faire cinq par jour pour eux-mêmes. Des campagnes pour «une heure de plus est une zakat» ou «travailler c’est aussi prier» ont été lancées aussi, incitant les fonctionnaires de l’Etat à faire du volontariat et à assurer les horaires pour lesquels ils perçoivent un salaire. «Une heure de volontariat pour un fonctionnaire, ce n’est rien et cela vaut mieux qu’une fatwa, qu’une prière surérogatoire, une ablution, ou que le temps d’un café», expliquera un Algérien sur la radio. Des leaders de partis islamistes et du FLN ainsi que du RND ont décidé de s’investir dans le mouvement associatif bénévole au sud algérien et de scolariser leurs enfants dans les villes du Sud pour mieux comprendre le sud algérien, ses carences et ses besoins. «Un an de ma vie» est le slogan de cette gouvernance tournante. Chaque ministre est soumis à cette loi solidaire. En service civil.

Un vent de révolutions : à l’aéroport, les policiers sourient et ne disent plus «passes !» avec colère et mépris, mais disent «Bienvenue au pays ! Vous pouvez passer s’il vous plaît !». Les Algériens refusent d’utiliser le sachet bleu pour leurs achats : «La tête est une poubelle, pas le pays», lit-on sur les pare-brises des voitures. Les écrivains algériens ne sont pas insultés mais enseignés, dans leurs différences et leurs révoltes, dans les manuels scolaires. Pour la première fois depuis l’indépendance, le nombre de PME/PMI a dépassé celui des mosquées et des salles de loisirs ont été financées par des particuliers pour aider les jeunes à ne pas se pendre aux cordes, aux chaloupes, aux minarets ou aux drogues. Les Kabyles ne sont pas traités comme des Kurdes et les Kurdes ne sont pas traités comme des champignons. L’arabité n’est plus une matraque mais une arabesque. L’islam a été déclaré religion universelle, ouverte au monde. L’âge officiel de l’Histoire algérienne a été reconnu comme de trois mille ans ou plus et ne commence pas seulement en 1954 ou 1830. «L’identité c’est travailler, pas se souvenir», a clamé un célèbre présentateur TV à Alger, surprenant ses invités venus expliquer qu’ils «sont arabes, arabes, arabes !» en criant comme des hystériques. Le pays bouge ! Il n’attend pas que le régime lui donne à manger ou lui redonne le pays. «Le régime c’est nous !» a expliqué un célèbre chroniqueur qui ne jette plus ses mégots dans la rue.

Oui, un vent de changement. Il n’y a qu’à méditer le chiffre des baguettes de pain qui ne sont plus jetées dans les poubelles : 20 millions de baguettes par jour il y a un an, presque trois mille par jour aujourd’hui. Des gens sont morts, durant la Guerre de libération, pour qu’on ait du pain, pas pour qu’on le jette. Quelqu’un l’a dit. On s’en est souvenu. Tout le monde le pense aujourd’hui.

Un jour qui vaut mille ans. Chaque baguette vaut onze martyrs et demi de la Guerre de libération. Dans les écoles, on enseigne à compter, écrire, parler dix langues, penser même en dormant, dessiner et nettoyer les classes et les lieux comme des Japonais. Il y a eu un consensus soudain et inattendu. Tous ont compris qu’il fallait arrêter de tuer les enfants et de les manger chaque jour. Personne ne parle de la CIA, d’Israël et du Mossad pour se laver les mains d’avoir jeté sa poubelle en pleine rue. La France ? «La guerre est finie. On ne veut pas être français, on veut être mieux. On ne lui demande pas des excuses car nous avons vaincu. On demandera des excuses à nos enfants, car nous n’avons pas tout réussi». Ce discours est resté dans les mémoires. C’étaient les derniers mots du dernier moudjahid véritable, certifié vrai. Avec photos et blessures sur la peau du dos. Oui, mille ans. J’ai déjeuné à Tunis, j’ai dîné au Maroc, je suis passé par Alger pour serrer une main. En une seule nuit. Le Maghreb est un train, pas une crevasse. «Que Dieu nous pardonne : il nous a donné une terre, nous avons voulu en faire un trou pour chacun», murmura un ancien cadre du MALG. Que dire d’autre ? Le pays a changé en une nuit sacrée, en un jour long. D’un coup. Chacun a compris qu’il est responsable de tout, lui, pas un autre. Que c’est à cause de lui qu’on a été colonisés depuis mille ans, qu’on a de mauvaises routes et qu’on ne marche pas sur la lune. Chacun a compris qu’il est responsable de tout ce qui s’est passé avant même sa naissance car la preuve est que sa naissance n’a servi à rien depuis qu’il est né. Chacun a saisi le sens angoissant de sa liberté et de sa responsabilité. De chaque acte qu’il fait depuis son éveil, à sa mort, de chaque dinar dépensé, chaque baguette de pain jetée.

Le régime c’est nous, nous c’est «je» et chacun est fautif de ce qui advient au pays. «Moi», pas les mille autres…»
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LE QUOTIDIEN D ORAN

19 MARS 2018

Le Banc public- S’acheter une île dans sa tête

par Kamel DAOUD

Il neige à Paris. Cela provoque un curieux effet ces flocons qui tombent sur des pierres et des monuments. Des lions en fer, à un rond-point, mouillés par des blancheurs, luisants et immobilisés dès la naissance. Ponts qui traversent des champs de dentelle, des affiches aux couleurs chaudes et des passants aux pas prudents. A l’hôtel, rencontre avec des documentaristes canadiens qui font un film sur Raïf Badaoui. Ce jeune Saoudien, condamné à 1000 coups de fouet et dix ans de prison en Arabie. Le monde l’oublie peu à peu. La mode est pour le nouvel homme fort qui veut « réformer ». Le blogueur a ce malheur d’être le prisonnier le plus faible de l’homme le plus fort. Personne n’y peut rien : l’Arabie est trop riche, achète beaucoup à l’Occident. « Ne trouvez-vous pas paradoxal que le nouveau prince héritier soit plus réformateur que Badaoui lui-même mais qu’il le maintienne en prison ? », me dit l’intervieweur. Vrai. C’est le propre du politique : décapiter l’opposant pour le remercier, quelques années plus tard, pour ses idées. Ce que j’en pense ? « Le prince devrait réformer les prisons : libérer Raïf qui appelle à la vie et mettre en prison ceux qui ont appelé à la mort, chez eux, chez nous, partout dans le monde ». Libérer Raïf est la meilleure preuve que peut apporter ce prince quant à ses intentions de réformer. C’est loin, c’est flou, cela n’a aucun lien avec nos pains et nos villages en Algérie, ni avec le 5ème mandat, mais il fallait en parler, le rappeler. L’Arabie ce sont trente mille hadjis algériens et un prisonnier condamné à 1000 coups de fouet et dix ans de prison. Et que chacun décide en son âme et conscience.



Dans la rue, encore la neige qui cède à l’eau dès qu’elle touche au sol. Question qui taraude : comment « parler » en Occident ? Quels mots dire pour à la fois ne pas être dans le spectacle de l’opposant, ni dans la complicité du crime contre le sens chez soi, avec les siens ? Faut-il se taire sur nos sorts, nos misères et nos lâchetés pour ne pas « faire le jeu de… » ? Ou parler, quitte à être insulté comme traître pour avoir brisé l’omerta postcoloniale ? La vérité est qu’on est témoin de son époque, ou son complice. C’est lent, laborieux, parfois agaçant, mais il faut trouver les mots justes, dénoncer, dire. L’Occident veut entendre certaines paroles et pas d’autres ? J’en profite pour lui dire des mots qu’il ne veut pas entendre aussi. Mais la neige est si belle qu’elle ressemble à une métaphysique apaisée. Pourquoi alors ne pas écrire des contes, des livres, acheter une île dans sa propre tête, cultiver l’apesanteur et voyager jusqu’au sommaire final du monde, sa dernière page ? Parce que ce n’est pas aussi simple que de plier des bagages. Il faut avoir la conscience apaisée, et celle du siècle ne l’est pas. Il faut voyager léger et donc s’acquitter de son devoir de témoin, de lutteur et de refuznik de son époque. Il faut que la prison change de lieu et de camps : elle ira enfermer ceux qui tuent, appellent aux meurtres dans les prêches ou les discours, ceux qui avilissent l’homme ou le sens de l’humain, poussent aux radicalismes qui tuent et à marcher sur le corps du plus faible ; et il faut que la liberté soit le royaume des Raïf et des autres qui veulent juste marcher sous la neige, choisir un dieu ou une route, embrasser sans l’intermédiaire d’un courtier, et travailler pour que le pain soit comme l’air, partout. Vœux naïfs ?

Oui, mais bon Dieu à quoi s’accrocher sinon ? Que vaut une vie si elle n’a pas un chant muet à l’oreille ?


Ces mots magnifiques et durs d’Asli Erdogan que je vais voir l’après-midi. Dans « Le silence même n’est plus à toi », la Turque, fière et libre, écrira : « l’écriture, comme cri, naissant avec le cri… une écriture à même de susciter un grand cri qui recouvrirait toute l’immensité de l’univers… Qui aurait assez de souffle pour hurler à l’infini, pour ressusciter tous les morts… Quel mot peut reprendre et apaiser le cri de ces enfants arméniens jetés à la fosse ? Quels mots pour être le ferment d’un monde nouveau, d’un autre monde où tout retrouverait son sens véritable, sur les cendres de celui-ci ? Les limites de l’écriture, limites qui ne peuvent être franchies sans incendie, sans désintégration, sans retour à la cendre, aux os et au silence… si loin qu’elle puisse s’aventurer dans le pays des morts, l’écriture n’en ramènera jamais un seul. Si longtemps puisse-t-elle hanter les corridors, jamais elle n’ouvrira les verrous des cellules de torture. Si elle se risque à pénétrer dans les camps de concentration où les condamnés furent pendus aux portes décorées et rehaussées de maximes, elle pressent qu’elle n’en ressortira plus. Et si elle en revient pour pouvoir le raconter, ce sera au prix de l’abandon d’elle-même, en arrière, là-bas, derrière les barbelés infranchissables… Face à la mort, elle porte tous les masques qu’elle peut trouver. Lorsqu’elle essaie de résonner depuis le gouffre qui sépare les bourreaux des victimes, ce n’est que sa propre voix qu’elle entend, des mots qui s’étouffent avant même d’atteindre l’autre bord, avant les rives de la réalité et de l’avenir… la plupart du temps, elle choisit de rester à une distance relativement sûre, se contentant peut-être, pour la surmonter, de la responsabilité du “témoignage”… ».

Mais qu’y peut-on ? Que reste-t-il quand on n’a même plus le courage d’être témoin ? De l’indignité. Contrairement à l’argent et au reste, elle peut vous poursuivre dans la tombe.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

12 MARS 2018

Le Banc public- L’angoisse des chaussures neuves qui n’ont pas de routes

par Kamel DAOUD

Question obsédante : pourquoi on a peur de la différence ? On répète que c’est à cause de la mer : tout ce qui est différent nous vient de la mer et tout ce qui nous est venu par la mer nous a tué, blessé, colonisé, spolié. Ottomans, Français, Romains…etc. La différence est le signe avant-coureur de l’agression. Du coup, on n’aime pas la différence. On n’aime pas les autres (Français, Marocains, Maliens, Mauritaniens, Tunisiens, Libyens… etc.), on n’aime pas la pensée différente, l’idée qui diffère, l’Autre. Le soupçon s’étend même à la notion du pluriel : enfants de la guerre unique, née de l’histoire unique, aboutissant au parti unique, on continue dans cette voie qui nous évite le poids du monde et la naissance au monde. Nous nous rêvons, alors, unis, uniques, soudés, uniformes. Cela va du religieux à la politique, à la culture. Le différent est toujours accusé d’être traite, agent, venu d’ailleurs ou travaillant pour l’ennemi. Cela frappe tout de la méfiance et colorie le monde en gris et nuit.


Du coup l’unanimisme nous a fabriqué une seconde nature de violence. On l’exerce dès qu’un esprit, un leader ou un assis ou un croyant veut exprimer une différence. L’unité nous obsède jusqu’à la catastrophe actuelle de la gouvernance. Et la paranoïa carie notre regard sur le monde que l’on accuse de tous nos malheurs.


L’unanime est fascinant : enfermant, refus de vivre, réclusion, pathologie de l’universel, exacerbation du particulier. Nous sommes nous. En entier, en un seul morceau et indifféremment jusqu’à en étouffer. Celui qui veut respirer ne peut le faire que s’il part ou s’il meurt ou épouse une calotte glacière et un méridien. Nous nous voulons en bloc, dans l’étreinte du dominé et dominant, incapables de partage et de cohabitation. Tout est un. Le reste c’est zéro. Nation binaire. Ou même pas.


Et tout ce qui est différent du Un majeur, est une menace. Alors on le pourchasse et on le tue. On ne peut débattre, tolérer les champs des différences, sortir de l’unanime sans se faire lyncher. Le mouvement est inacceptable car il remet en cause le principe fondateur de cette nation : nous sommes le tout. Il n’y a pas d’individu, de différence ou de droit de différence. La règle n’est pas de dire «je ne suis pas d’accord avec vous car je pense différemment», mais «je ne suis pas d’accord avec vous, donc vous êtes un traître, je vous tue». Vous êtes un impie. Un agent de la main étrangère. Un vendu. Il nous faut TOUS soutenir la Palestine par exemple. Celui qui fait sienne la cause des enfants tués au Yémen est un traître. Vous devez soutenir, d’ailleurs, la Palestine, non pas selon ce que vous pensez (construire une nation souveraine et forte) mais selon moi : marcher en rond, cracher sur celui qui ne pense pas comme moi (mais qui n’a pas d’armes pour répondre), puis renter chez moi et attendre le prochain tour de piste des enthousiasmes. La guerre d’Algérie ? C’est selon une unique version. Elle s’étend dans les journaux, récit ravageur et soucieux, s’impose dans le film, les discours, les manuels. Celui qui n’est pas dans le casting de cette orthodoxie est un traître. L’histoire algérienne commence en 1830 (fondée donc non par notre mémoire mais par l’invasion française !! La France, se retrouvant au centre de nos datations est donc fondatrice de notre histoire, à la place de nos ancêtres !). La religion ? C’est selon «je» qui parle au nom du «nous». «Et si je pense autrement ?», Je te tue. L’Islam c’est moi car je suis le musulman. «mais vous n’êtes qu’une personne, vous ne vivez pas être une religion?». Non, les deux sont un et ce «un» c’est moi.

Je t’insulte d’abord en puisant dans la poubelle pour l’insulte et dans un verset pour me donner du courage. Le reste du monde ? C’est un ennemi composé des sionistes, de la France, la CIA et toi. Mais c’est simpliste comme vision ? Et notre responsabilité dans le présent de notre pays ? Non, cela est de ta faute à toi, comme le séisme est la faute de la jupe et la saleté est la faute d’Israël. Et les langues ? Elles sont à nous toutes ? «Une seule». Sacrée, venue du ciel et marchant pieds nus dans les mosquées, pure et dure. Les autres langues sont des dialectes, c’est-à-dire des blabla, c’est-à-dire des croassements, des restes de la France, des stratégies pour nous affaiblir, des impiétés, des expressions des phalanges de la colonisation qui n’ont pas été rapatriées. La langue c’est l’arabe et l’arabe c’est l’Islam et l’Islam c’est Dieu et Dieu c’est moi. Pas d’issue. Sauf l’échine courbée.

Et l’Algérie ? Elle est à nous c’est-à-dire moi. Je suis son fils unique, son ancêtre, son chef et son peuple. Je suis le peuple. Nous sommes «je» et je suis tout. Il n’y a qu’un seul drapeau et c’est ma coupe de cheveux. Je déteste la femme belle mais je la veux, la France est un ennemi mais je veux y vivre, l’Islam c’est moi, la langue arabe est la langue du paradis, j’irai au paradis alors pourquoi me fatiguer à le construire chez moi ? Je prie et le Chinois travaille et l’Occidental invente, et le reste du monde doit se convertir. Je suis Tout. Eternité, arabité, unanimité, café et thé et tu es le contraire. L’adversaire donc. L’ennemi, évidemment.


Pourquoi avons-nous peur de la différence ? Parce que nous ne sommes pas solides, nous sommes fragiles, peureux, impuissants devant la lourde variété du monde. Nous sommes dans le repli. Alors tout est à nos yeux invasions, néo- colonisations, traîtrises, menaces, peurs, agressions. Nous en devenons violents par la force du déni. Nous tuons car c’est le versant le moins fatiguant du suicide. Et le plus lâche. Nous ne voyageons pas et on ne laisse personne, presque, venir chez nous. C’est une philosophie et pas seulement une question de visa que les étrangers peinent à obtenir. Nous sommes une île sous une veste qui sur le dos d’une personne qui tourne le dos à tous, y compris à elle-même. Fiers que nous sommes. Parce que depuis l’indépendance nous avons, tous, des chaussures. Mais pas de routes qui vont vers le monde. Alors nous insultons. Nous nous insultons dans l’étreinte de nos paniques.

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LE QUOTIDIEN D ORAN

05 MARS 2018

Le Banc public- Oran, Mostaganem… : on déteste ce pays !

par Kamel DAOUD

A Mostaganem, à l’ouest du pays, un bidonville tout neuf. Il s’est installé, là, entre nuit et lune, sur un terrain agricole à l’entrée sud de la ville. C’est l’effet d’appel de la rente et des logements sociaux. C’est la nouvelle méthode de chantage au social. Le régime « tient » la population par la promesse de logement, il en obtient votes et soumission; les demandeurs « tiennent » le régime par la demande de logement gratuit, le bidonville et les constructions illicites ou le blocage des routes. Juste à côté, une immense mosquée, hideuse, en deux ou trois étages. C’est la troisième donne de l’équation algérienne : le religieux comme occupation de l’espace, de l’esprit, du bras, avant-bras, tête et vision du monde.


La ville de Mostaganem, ses villages, sont devenus d’une saleté repoussante. Il n’y a qu’à s’y promener pour en avoir le cœur en semelle. On compare alors, sans cesse, la mémoire de l’enfance et le champ traversé de sachets en plastique, de déchets de chantiers. Et revient cette interrogation métaphysique : pourquoi ce peuple construit des mosquées partout, à bras-le-corps, sans esthétique ni architecture, et ne s’occupe ni de la saleté ni du travail, de la justice ou de la légalité, de l’école et de donner des noms aux étoiles ? Il y a une mosquée inachevée chaque cent mètres presque et surtout près des plages, dernier lieu de refuge du corps et de son droit au bronzage. Bien sûr, on va crier à l’impiété du chroniqueur parce qu’il parle de hideur des mosquées, de leur surnombre comparé aux entreprises, usines et fabriques, de l’insouciance face à l’écologie mais de l’obsession face au rite. C’est chose habituelle et facile de se réfugier derrière le dogme pour ne pas avoir à assumer le réel et de lyncher le premier qui parle de nos défaites. Et pourtant, il faut le dire : il y a trop de mosquées monstrueuses, construites n’importe comment, partout, sans arts ni utilité, destinées au vide et à apaiser les consciences. Et il n’y pas d’entreprises, de campagne pour un pays vert et propre, pour la santé de nos enfants, les loisirs, la joie et la vie. Triste tableau des villages traversés où s’adosser au mur et regarder la route est le seul pendant à la prière aveugle et hâtive. Eucalyptus coupés, stationnement en mode chamelle et pagaille et visages soupçonneux. Le pays est sans bonheur. Au village natal du chroniqueur, une grande salle au centre : « la salle des fêtes ». On s’en sert uniquement pour les obsèques et enterrements. Cela résume tout.


En ville, à Mostaganem, de même qu’à Oran, la nouvelle mode : des affichettes sous les « feux rouges » qui vous appellent à consacrer le temps de l’attente à la prière et au repentir. On rêve alors d’un pays où on appelle à ne pas jeter ses poubelles par les vitres de sa voiture, où on appelle à ne pas salir et cracher, insulter et honnir, qualifier de traître toute personne différente et ne pas accuser les femmes en jupes de provoquer les séismes. On rêve de respect de la vie, des vies. Mais ce n’est plus le but de la nation. La nation veut mourir pour mieux vivre dans l’au-delà, plutôt que construire un pays, une souveraineté, une puissance. On rêve de prier et de mourir. On rêve de mosquées à chaque dix pas pour ne pas avoir à faire dix pas debout sur ses propres jambes. On rêve que Dieu fasse la pluie, les courses du marché, la guerre, la paix, la santé, les hôpitaux, la Palestine, les victoires, les récoltes et les labours, pendant qu’on regarde descendre du ciel des tables garnies. On ne rêve pas, on attend, pendant que les Chinois travaillent. Les Turcs l’ont bien compris au demeurant : ils ont offert à Oran une grosse mosquée (encore une autre tout près de celle de Ben Badis) et se sont fait offrir une gigantesque entreprise de rond à béton. Les Turcs ont offert une mosquée, pas un hôpital, pas une école de formation pour le transfert du savoir-faire, pas une université. Non, juste une mosquée. Nous, on va prier et eux vont construire leur puissance.


Ces mosquées sont construites dans une sorte de zèle, parfois par des hommes d’affaires soucieux de se blanchir les os et le capital. Elles sont laides comme celle construite en haut de Santa Cruz, à Oran, servant juste à sanctifier un promoteur oranais, indécente de disgrâce et de pauvreté. Elles sont partout et le travail et le muscle ne sont nulle part. Et pourtant, on laisse faire l’affiche et l’architecte idiot. On ne demande pas d’autorisation, on n’a pas la foi sourcilleuse et la légalité en alerte. Aucun administrateur n’aura le courage de s’y opposer. On en aura pour fermer des locaux d’associations féministes à Oran. Là, le DRAG a du zèle en guise de courage et de la puissance. On a de la vaillance pour fermer deux églises car c’est plus facile, c’est du djihad et de la bravoure. On prétextera des agréments qu’on refuse de donner et de la fermeté qu’on n’a pas devant les affichages illégaux. Une question de muraille et de courte muraille selon nos proverbes.

Le mauvais goût national


On rêve. Je rêve de ce moment où on aura une entreprise algérienne chaque dix mètres, un appel à respecter la propreté de ce pays sous chaque feu rouge, une loi qui aura la même force face à une association de défense des droits de femmes que face à une zaouïa servile ou une mosquée clandestine ou une association islamiste. On rêve d’un pays, pas d’une salle d’attente qui attend l’au-delà pour jouir du gazon au lieu de le nourrir ici, sous nos pays, pour nous et nos enfants. On rêve et on retient, tellement difficilement, ce cri du cœur : pourquoi avoir tant combattu pour ce pays pour, à la fin, le maltraiter si durement ? Pourquoi avoir poussé nos héros à mourir pour transformer la terre sacrée en une poubelle ouverte ? Pourquoi avoir rêvé de liberté pour en arriver à couper les arbres et inonder le pays de sachets en plastique ?



Retour. Encore des villages, des moitiés de villes aux constructions inachevées, des hideurs architecturales, entre pagodes, bunkers, fenêtres étroites alors que le ciel est vaste, ciments nus, immeubles érigés sur des terres agricoles au nom du « social », urbanisme de la dévastation. La crise algérienne, sa douleur se voit sur ses murs, son urbanisme catastrophique, son irrespect de la nature. Les années 90 ont été un massacre par la pierre et le ciment. Le « social » des années 2000 a consommé le désastre. Au fond, nous voulons tous mourir. Camper puis plier bagage. C’est tout.

Arrivée près d’une plage à Mers El Hadjadj. Plage d’une saleté repoussante, inconcevable. On comprend, on a l’intuition d’une volonté malsaine de détruire les bords de mer, le lieu du corps et de la nature et de le masquer par des minarets et des prières. Car il y a désormais une mosquée à chaque plage. Insidieuse culpabilisation. Egouts en plein air. Odeurs nauséabondes. On conclut à une volonté nette de détruire ce pays et de le remplacer par une sorte de nomadisme nonchalant. Non, c’est une évidence : on n’aime pas ce pays, on s’y venge de je ne sais quel mal intime. Tout le prouve : la pollution, le manque de sens écologique, l’urbanisme monstrueux, la saleté, les écoles où on enterre nos enfants et leurs âmes neuves pour en faire des zombies obsédés par l’au-delà. Oui, c’est une volonté, on veut tuer cette terre. Et pendant ce meurtre, on ne trouve rien de mieux à faire que de s’attaquer à deux associations féministes à Oran. Bousculades, mots dans la tête, le cœur qui a mal, la main qui tremble sur le clavier. Tellement mal après juste une balade le long d’une route côtière. A revisiter les villages de son enfance devenus des cités-dortoirs et de mosquées défouloirs, des décharges publiques aux arbres coupés. Mais où est notre rêve de puissance et de liberté ? Pourquoi on veut tous mourir pour aller au paradis en fabricant un enfer pour nos descendants ? Pourquoi on veut tous construire des mosquées et pas un pays ? D’où vient cette maladie qui nous a conduits à nous tuer, tuer nos différences, tuer nos enfants qui ne sont pas encore nés et tuer le temps ?


Oran. La ville s’étend vers l’Est et mange ses terres et ses récoltes. Immeubles en cohortes. Procession vers le vide. Cannibalisme de la terre. Il y a de l’irréparable dans l’air. Près d’une cité-dortoir, sous un feu rouge, la même affiche « occupe ton attente par la prière ! » Le pays est une grande mosquée construite par des Chinois, meublée par l’Occident, ravagée par les racines et destinée à surveiller le corps et la lune. On y prie pendant que les Turcs travaillent, le monde creuse et conquiert, les nations se disputent les airs et les cieux.

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Rencontre avec l’écrivaine Lynda Chouiten

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Je découvre grâce à un post de Lynda Chouiten, cette chaîne vidéos algérienne consacrée à la littérature. L’initiative émane de « Khawla » et le titre de la chaîne est
« Les mots de Khawla »- Très intéressant.

Cliquer ici pour écouter Lynda Chouiten



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Pour accéder à la chaîne Youtube « Les mots de Khawla », cliquer ici.

CORONAVIRUS: Le docteur Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort…

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER LA PESTE DE CAMUS

https://www.youtube.com/watch?v=Z7LmYn5gC0o

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« Le matin du 16 avril, le docteur Bernard Rieux sortit de son cabinet et buta sur un rat mort, au milieu du palier. Sur le moment, il écarta la bête sans y prendre garde et descendit l’escalier. Mais, arrivé dans la rue, la pensée lui vint que ce rat n’était pas à sa place et il retourna sur ses pas pour avertir le concierge. Devant la réaction du vieux M. Michel, il sentit mieux ce que sa découverte avait d’insolite. La présence de ce rat mort lui avait parut seulement bizarre tandis que, pour le concierge, elle constituait un scandale. La position de ce dernier était d’ailleurs catégorique : il n’y avait pas de rats dans la maison. Le docteur eut beau l’assurer qu’il y en avait un sur le palier du premier étage, et probablement mort, la conviction de M. Michel restait entière. Il n’y avait pas de rats dans la maison, il fallait donc qu’on eût apporté celui-ci du dehors. Bref, il s’agissait d’une farce.

Le soir même, Bernard Rieux, debout dans le couloir de l’immeuble, cherchait ses clefs avant de monter chez lui, lorsqu’il vit surgir, du fond obscur du corridor, un gros rat à la démarche incertaine et au pelage mouillé. La bête s’arrêta, sembla chercher un équilibre, prit sa course vers le docteur, s’arrêta encore, tourna sur elle même avec un petit cri et tomba enfin en rejetant du sang par les babines entrouvertes. Le docteur la contempla un moment et remonta chez lui.

Ce n’était pas au rat qu’il pensait. Ce sang rejeté le ramenait à sa préoccupation. Sa femme, malade depuis un an, devait partir le lendemain pour une station de montagne. Il la trouva couchée dans leur chambre, comme il lui avait demandé de le faire. Ainsi se préparait-elle à la fatigue du déplacement. Elle souriait…

Le lendemain 17 avril, à huit heures, le concierge arrêta le docteur au passage et accusa des mauvais plaisants d’avoir déposé trois rats morts au milieu du couloir. On avait dû les prendre avec de gros pièges, car ils étaient pleins de sang. Le concierge était resté quelque temps sur le pas de la porte, tenant les rats par les pattes, et attendant que les coupables voulussent bien se trahir par quelque sarcasme. Mais rien n’était venu.

– Ah ! ceux-là, disait M. Michel, je finirai par les avoir.

Intrigué, Rieux décida de commencer sa tournée par les quartiers extérieurs où habitaient les plus pauvres de ses clients…

Ce fut dans les derniers jours d’octobre que le sérum de Castel fut essayé. Pratiquement, il était le dernier espoir de Rieux. Dans le cas d’un nouvel échec, le docteur était persuadé que la ville serait livrée aux caprices de la maladie, soit que l’épidémie prolongeât ses effets pendant de longs mois encore, soit qu’elle décidât de s’arrêter sans raison.

La veille même du jour où Castel vint visiter Rieux, le fils de M. Othon était tombé malade et toute la famille avait dû gagner la quarantaine. La mère, qui en était sortie peu auparavant, se vit donc isolée pour la seconde fois. Respectueux des consignes données, le juge avait fait appeler le docteur Rieux, dès qu’il reconnut, sur le corps de l’enfant, les signes de la maladie. Quand Rieux arriva, le père et la mère étaient debout au pied du lit. La petite fille avait été éloignée. L’enfant était dans la période d’abattement et se laissa examiner sans se plaindre. Quand le docteur releva la tête, il rencontra le regard du juge, derrière lui, le visage pâle de la mère qui avait mis un mouchoir sur sa bouche et suivait les gestes du docteur avec des yeux élargis… »

Albert CAMUS, La Peste.

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Qu’est-ce que le coronavirus COVID-19 ?

Les coronavirus sont une grande famille de virus, qui provoquent des maladies allant d’un simple rhume (certains virus saisonniers sont des coronavirus) à des pathologies plus sévères comme le MERS ou le SRAS.

Le virus identifié en janvier 2020 en Chine est un nouveau coronavirus. La maladie provoquée par ce coronavirus a été nommée COVID-19 par l’Organisation mondiale de la Santé – OMS.

Quels sont les symptômes du coronavirus COVID-19 ?
Les symptômes principaux sont la fièvre ou la sensation de fièvre et des signes de difficultés respiratoires de type toux ou essoufflement.

Comment se fait le diagnostic ?
Le diagnostic est suspecté devant des signes d’infection respiratoire aiguë basse, quelle que soit sa gravité, avec une fièvre ou une sensation de fièvre, chez une personne revenant de Chine (Chine continentale, Hong Kong, Macao), de Singapour, de Corée du Sud, d’Iran, ou des régions de Lombardie et de Vénétie en Italie, dans les 14 jours précédant l’apparition des symptômes, conformément à la définition de cas.

Quels sont les traitements disponibles ?
À ce jour, aucun traitement spécifique n’a été identifié pour ce nouveau coronavirus. Plusieurs traitements, actuellement utilisés dans d’autres pathologies virales, sont en cours d’évaluation en France, en lien avec l’OMS pour être utilisés contre le coronavirus COVID-19. Dans l’attente, le traitement est symptomatique.

Quel est le mode de transmission ?
Les premiers cas recensés sont des personnes s’étant rendues directement sur le marché de Wuhan (fermé depuis le 1er janvier) dans la province de Hubei en Chine : l’hypothèse d’une zoonose (maladie transmise par les animaux) est donc privilégiée. La transmission interhumaine a été depuis confirmée.

S’il s’agit d’une zoonose, peut-on consommer des aliments cuits ?
Quand la viande est cuite, les virus sont détruits. La consommation de produits animaux peu ou pas cuits, incluant le lait et la viande, présente un risque important d’infection par une grande variété d’organismes susceptibles de causer des maladies chez l’Homme.

Les produits animaux préparés de manière appropriée, en les cuisant ou les pasteurisant, peuvent être consommés mais doivent aussi être conservés avec soin, pour éviter une contamination croisée avec de la nourriture non cuite.

Peut-on attraper la maladie par l’eau ?
À ce jour, il n’a pas été rapporté de contamination par l’eau. Cette maladie est à transmission respiratoire et probablement de l’animal à l’homme, mais la source n’est pas encore identifiée.

Y a-t-il des personnes à risque de développer une forme grave de la maladie ?
Comme pour beaucoup de maladies infectieuses, les personnes présentant des pathologies chroniques sous-jacentes (détresse respiratoire, personnes fragiles, âgées…) présentent un risque plus élevé.
Dans les cas plus sévères, la maladie peut entraîner un décès.

Quel est le délai d’incubation de la maladie ?
Selon l’état des connaissances scientifiques actuelles, le délai d’incubation du virus est de 14 jours.

Quelle est la définition de cas ?
La définition des cas est disponible sur le site de Santé publique France. Elle est actualisée en fonction de la disponibilité de nouvelles données sur les caractéristiques du nouveau virus.

Où sont faits les tests et quel est le délai pour établir un diagnostic ?
Les tests sont effectués dans tous les établissements de santé de références, plusieurs milliers peuvent être effectués chaque jour.

Le test est réalisé uniquement en cas de suspicion validée par le SAMU et par un infectiologue référent. Il s’agit d’un test de biologie moléculaire spécifique du nouveau coronavirus COVID-19. Le délai pour avoir un résultat est entre 3 et 5h.

À partir de quelle distance une personne peut-elle contaminer les autres ?
La maladie se transmet par les postillons (éternuements, toux). On considère donc qu’un contact étroit avec une personne malade est nécessaire pour transmettre la maladie : même lieu de vie, contact direct à moins d’un mètre lors d’une toux, d’un éternuement ou une discussion en l’absence de mesures de protection.

Qu’est-ce qu’un cas autochtone ?
Un cas autochtone est une personne qui développe la maladie et pour laquelle on n’a pas de notion de voyage dans une zone à risque.

Qu’est-ce qu’un cas contact ?
D’après les connaissances disponibles concernant le virus, celui-ci se transmet par des gouttelettes émises par un patient malade, en particulier lors de contacts étroits. Peuvent être considérés comme cas contacts :

  • les personnes ayant partagé le même lieu de vie que le patient malade lorsque celui-ci présentait des symptômes ;
  • des personnes ayant eu un contact direct, en face à face, à moins d’un mètre du patient malade au moment d’une toux, d’un éternuement ou lors d’une discussion ;
  • les flirts, amis intimes ;
  • les voisins de classe ou de bureau ;
  • les voisins du patient malade dans un avion ou un train, ou les personnes restées dans un espace confiné avec lui (voiture individuelle par exemple).

Les symptômes peuvent apparaître jusqu’à 14 jours après ce contact, et se manifestent le plus souvent par de la fièvre, accompagnée de toux.

Quelle est la procédure mise en place pour les cas contacts ?
Les autorités sanitaires évaluent avec le cas contact son exposition et son risque de contamination et lui délivrent une information sur la maladie due au virus et sur le dispositif de suivi. Ce suivi a pour objectif de vérifier que le cas contact n’a pas été contaminé, et en cas de symptômes, de faire rapidement un diagnostic pour proposer rapidement les meilleurs soins possibles.

Au cours des 14 jours suivant le dernier contact avec un malade, la personne considérée comme étant un cas contact doit surveiller l’apparition de tout symptôme de type fièvre ou toux. Les modalités de son suivi sont précisées par l’équipe de professionnels de santé mise en place par l’agence régionale de santé, en fonction de l’évaluation initiale du risque.

Quelle est la procédure de prise en charge pour les cas suspects en France ?
Le cas suspect identifié par un professionnel de santé est signalé au 15. Le SAMU se met en lien avec l’infectiologue le plus proche. À l’issue d’un questionnaire, le cas est classé en possible ou exclu. S’il est un cas possible, il est alors pris en charge et isolé dans un service d’infectiologie. Si une infection au coronavirus est exclue, il est pris en charge par son médecin traitant habituel.

Comment s’organise la recherche autour du virus en France ?
Le 10 février 2020, Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, et Frédérique Vidal ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ont annoncé que la France allait allouer 2,5 millions d’euros supplémentaires pour accompagner la montée en puissance de l’effort de recherche sur le coronavirus COVID-19. Le consortium Reacting, coordonné par l’INSERM et placé sous l’égide d’Aviesan, alliance de recherche en sciences du vivant et santé, a été mobilisé pour assurer le partage d’informations scientifiques et coordonner l’effort de recherche français.

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Plus d’infos sur le Coronavirus COVID_19, cliquer ici

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https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus

L’Algérie de Kamel Daoud- F5

La Case du siècle, sur F5, dimanche 16 février 2020

Voilà un reportage qui ne se la joue pas comme on dit trivialement. Plutôt sympathique. Même Kamel Daoud y est sympathique et cela nous change. Il est souriant, sincère, touchant. Kamel Daoud n’est peut-être pas arrogant, mais sa posture habituelle, visage renfrogné, le suggérait (une posture de mise à distance simplement?). Pas ici. Il est à l’aise chez ses parents, dans la rue, dans Le Titanic (il tient bien les flots), avec ses amis… (on ne le voit pas chez lui) partout il est très souriant. On respire. Le plus important est la justesse de ce qu’il dit. Dommage qu’il ait zappé (ainsi que le journaliste) son premier employeur dans la presse, « Détective » de feu « Moussa » Benaoum. La fin du reportage, un peu classique (niaise?) est aussi sympathique.

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La 2° mort de Suzanne

Graeme Allright est mort hier dimanche 16 février 2020

J’apprends la disparition, hier dimanche 16 février, de Graeme Allright. De toutes les (belles) adaptations des chansons de Léonard Cohen, c’est Suzanne que je préfère. Il a réussi à lui injecter en français la même force que l’originale. Suzanne pour moi ce n’est pas uniquement les mots de Léonard Cohen ou ceux de Graeme Allright, c’est, au-delà d’eux, en plus d’eux, l’atmosphère et le climat qui s’en dégagent, le climat d’insouciance des années d’une certaine jeunesse, la mienne, celle des années soixante-dix. Je parcourais alors, les mains dans les poches, des milliers de kilomètres sans but précis, souvent à pied, en stop, à la découverte de l’inconnu. Et toujours bien accueilli. Presque toujours. Presque.Le texte que je vous propose ce matin à l’occasion de la disparition de Graeme Allright, je l’ai proposé le 12 novembre 2016 à l’occasion de la mort de Léonard Cohen quelques jours auparavant (7 novembre 2016). Je l’ai intitulé Adieu Suzanne. Le voici (photos vidéos des chansons).

CLIQUER ICI POUR LIRE MON TEXTE ET VOIR LES VIDEOS

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CLIQUER ICI POUR ECOUTER GRAEME ALLRIGHT _ SUZANNE

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SUZANNE

adaptation de GRAEME ALLRIGHT

Suzanne t’emmène écouter les sirènes
Elle te prend par la main
Pour passer une nuit sans fin
Tu sais qu’elle est à moitié folle
C’est pourquoi tu veux rester

Sur un plateau d’argent
Elle te sert du thé au jasmin
Et quand tu voudrais lui dire
Tu n’as pas d’amour pour elle
Elle t’appelle dans ses ondes
Et laisse la mer répondre
Que depuis toujours tu l’aimes


Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une flamme brûle dans ton cœur


Il était un pêcheur venu sur la terre
Qui a veillé très longtemps
Du haut d’une tour solitaire
Quand il a compris que seuls
Les hommes perdus le voyaient
Il a dit qu’on voguerait
Jusqu’à ce que les vagues nous libèrent
Mais lui-même fut brisé
Bien avant que le ciel s’ouvre
Délaissé et presque un homme
Il a coulé sous votre sagesse
Comme une pierre


Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une flamme brûle dans ton cœur


Suzanne t’emmène écouter les sirènes
Elle te prend par la main
Pour passer une nuit sans fin
Comme du miel, le soleil coule
Sur Notre Dame des Pleurs


Elle te montre où chercher
Parmi les déchets et les fleurs
Dans les algues, il y a des rêves
Des enfants au petit matin
Qui se penchent vers l’amour
Ils se penchent comme ça toujours
Et Suzanne tient le miroir


Tu veux rester à ses côtés
Maintenant, tu n’as plus peur
De voyager les yeux fermés
Une blessure étrange dans ton cœur.

(in: greatsong.net-)

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Le chanteur folk Graeme Allwright est mort

Le chanteur français d’origine néo-zélandaise, connu notamment pour avoir adapté de nombreux morceaux d’artistes folks américains en français, avait 93 ans.

Le Monde avec AFP -16.02.2020

Le chanteur français d’origine néo-zélandaise Graeme Allwright, connu notamment pour avoir adapté de nombreuses chansons d’artistes folks américains en français, est mort dimanche 16 février à l’âge de 93 ans, a annoncé sa famille. « Il est décédé cette nuit, dans la maison de retraite où il résidait depuis une année », en Seine-et-Marne, a déclaré sa fille, Jeanne Allwright.

Chanteur humaniste au parcours atypique, Graeme Allwright a fait découvrir aux Français les protest singers (chanteurs contestataires) d’outre-Atlantique, en adaptant Pete Seeger, Woody Guthrie ou Leonard Cohen dans la langue de Molière. « C’était un chanteur engagé pour la justice sociale, un chanteur un peu hippie en marge du show-business, qui a refusé des télés. Il a chanté jusqu’au bout, il a adoré être sur scène », a expliqué l’un de ses fils, Christophe Allwright.

« Il a donné des hymnes aux gauchistes, aux scouts, aux pochtrons, aux punks à chien, aux centristes de gauche… », a résumé sur Twitter le journaliste et auteur spécialiste de la chanson française Bertrand Dicale, saluant « un bienfaiteur de l’humanité ».

Né à Wellington, en Nouvelle-Zélande, le 7 novembre 1926, Graeme Allwright a découvert le jazz, les crooners et le folk en écoutant les programmes radios de la base militaire américaine installée dans la capitale néo-zélandaise. A 22 ans, il obtient une bourse pour suivre des cours de théâtre à Londres, dans l’école fondée par Michel Saint-Denis, voix de l’émission « Les Français parlent aux Français » sur les ondes de la BBC et neveu de l’homme de théâtre Jacques Copeau. Le jeune homme est recruté par le prestigieux Royal Shakespeare Theatre.

Mais, amoureux de la fille de Jacques Copeau, Catherine Dasté, il décline l’offre et le couple part s’installer en France, près de Beaune. Graeme Allwright exerce une multitude de métiers : ouvrier agricole, apiculteur, machiniste et décorateur pour le théâtre, professeur d’anglais, maçon, plâtrier, vitrier…

Ne connaissant pas un mot de français, il apprend peu à peu la langue et les subtilités de son argot, qu’il utilisera abondamment dans ses adaptations. A mesure que son français s’améliore, il renoue avec la scène, jouant notamment dans la troupe de Jean-Louis Barrault.

Ce n’est qu’à 40 ans qu’il se lance dans la chanson. « L’idée a peut-être germé dans mon esprit lorsque j’ai interprété quelques chansons de Brassens et Ferré, au cours d’une tournée avec une pièce de Brecht trop courte (…). J’ai pris ma guitare et je suis parti chanter des folksongs américaines et irlandaises au cabaret de la Contrescarpe [au cœur du Quartier latin à Paris], sept soirs sur sept pour des clopinettes. » La chanteuse Colette Magny remarque sa voix, teintée d’une pointe d’accent, et le présente à Marcel Mouloudji, qui lui conseille d’écrire une trentaine d’adaptations et produit son premier 45-tours, Le Trimardeur (1965).

Son répertoire contestataire, antimilitariste et profondément humaniste résonne avec les aspirations de la jeunesse française de l’époque. Petites boîtes (adaptation de Malvina Reynolds), Jusqu’à la ceinture (Pete Seeger), Qui a tué Davy Moore ? (Bob Dylan), Johnny (texte original) et surtout Le Jour de clarté (Peter, Paul & Mary), son plus grand succès, deviennent des hymnes de Mai 68.

En 1973, il va voir Leonard Cohen à L’Olympia et en ressort profondément touché par le mysticisme et la sensualité du Canadien, dont il adapte de nombreux textes (Suzanne, Les Sœurs de la miséricorde…). Il fait salle comble dans ses concerts et se pose alors en premier concurrent d’Hugues Aufray, autre importateur du folk en France. Ce père de quatre enfants est aussi connu pour avoir écrit en 1968 la chanson de Noël pour enfants Petit garçon, version francophone d’Old Toy Trains de Roger Miller, ou encore Sacrée bouteille (d’après Bottle of Wine de Tom Paxton).

Mais le succès l’effraie. Il prend ses distances en parcourant l’Egypte, l’Ethiopie, l’Amérique du Sud et surtout l’Inde. Entre deux voyages, il rentre en France, où il reprend ses concerts. En 1980, il partage la scène avec Maxime Le Forestier, pour une tournée dont les bénéfices sont reversés à l’association Partage pour les enfants du tiers-monde.

« Il a beaucoup compté pour moi et pour la chanson française en général. Il a contribué à rendre la musique folk populaire en France », a confié au Parisien Maxime Le Forestier, qui était resté en contact avec lui. « Il adorait marcher et chanter pieds nus », s’est aussi souvenu Maxime Le Forestier, évoquant un homme avec « une vie très saine, une vie d’honnête homme et de moine presque ».

Dans les années 1980, il revient d’un voyage à Madagascar avec des musiciens qui donnent une nouvelle tonalité à sa musique. En 2000, il sort un premier album d’inspiration jazzy, enregistré avec The Glenn Ferris Quartet (Tant de joies).

Depuis 2005, les concerts du chanteur aux pieds nus, qui continuait de sillonner l’Hexagone malgré son âge avancé, commençaient par un rituel immuable : une vibrante Marseillaise qu’il avait « adaptée » avec des paroles pacifistes. « Pour tous les enfants de la Terre, Chantons amour et liberté », entonnait-il.

En 2010, l’Académie Charles-Cros lui a décerné un « grand prix in honorem » pour l’ensemble de sa carrière.

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Ahmed Zitouni, romancier : «La critique des soubresauts du bled lointain est si facile depuis Paris»

in El Watan, dimanche 9 février 2020 – par M. Yefsah

Après plus de trente ans de publication en France, le romancier Ahmed Zitouni a édité successivement trois ouvrages en Algérie aux éditions Frantz Fanon, le remarquable essai Éloge de la belle-mère et deux romans, Une difficile fin de moi et Attilah Fakir : les derniers jours d’un apostropheur. Entretien avec un romancier singulier et anticonformiste qui, malheureusement, reste peu connu en Algérie, malgré une plume profonde et fabuleuse.

Propos recueillis par   M. Yefsah

-Éloge de la belle-mère est une lecture pertinente de la place de la femme dans les mythologies et les imaginaires romanesques. Un mot sur cette étude ?

Cet essai est une commande de la collection Éloge des éditions Laffont. Une occasion que j’ai saisie, car c’était la première fois qu’un éditeur mettait généreusement la main à la poche pour un livre dont je n’avais pas écrit une seule ligne, en me laissant la liberté du choix du thème et de son traitement. Comme à mes yeux, il était impensable d’aller de ma contribution au juteux et fertile terreau entretenu par les écrivains maghrébins de langue française, de l’immigration, de l’exil, etc., à la demande de leurs paternalistes éditeurs, je n’ai pas fait amende honorable en me laissant aller à la facilité de torcher vite fait un livre faisant l’ «Éloge» du malheur immigré, des bienfaits de l’assimilation, des vertus de l’intégration ou de je ne sais quel autre thème porteur. La condition féminine et le racisme, étant récurrents dans mes écrits, et sachant que le sexisme participe des mêmes mécaniques mentaux que le racisme, mon choix s’est porté sur la première victime du sexisme : la belle-mère.

Une victime toute désignée, objet de rejet et de moquerie, sujet n°1 des blagues de comptoir et de fins de repas, décrite en dynamiteuse de couples et perturbatrice de l’ordre des familles. Un bouc émissaire, comme toute minorité de France, perçu comme cause de tous les maux et fauteur de troubles. Partant de ce constat, j’ai méthodiquement rétabli dans sa vérité et sa réalité une représentation. Un travail de démythification d’un fantasme, écrit avec humour pour faire passer la pilule. Pour ce faire, puisant dans les peurs et les rejets véhiculés par l’histoire, la sexualité, la culture religieuse, la littérature, la publicité, les médias.. j’ai mis en lumière les préjugés et les stéréotypes intériorisés pour démonter les rapports de pouvoir qui sous-tendent la construction mentale d’une image fausse de la belle-mère. Restituer avec humour la vérité de la belle-mère, restaurer son image en icône de femme libre, un beau défi à relever. Qui valait la peine de lui consacrer un essai.

-Vous êtes non seulement romancier, mais également normalien, universitaire et un intellectuel engagé sur les questions de domination. Votre œuvre connaît un écho plus important aux Etats-Unis d’Amérique qu’en France. Quelle explication en donnez-vous ?

Plutôt qu’une explication, un constat. Il y a plus de dix mille chaires de francophonie, de départements de français, dans les collèges et universités américaines, alors qu’il y a moins d’une dizaine en comptant large en France. Un grand intérêt aussi, pour les questions de domination, d’affirmation des minorités (raciales, ethniques, culturelles, sexuelles, religieuses…), d’exclusion, de mixité. Les questions sociales et politiques portées par les minorités, si elles restent occultées ou minimisées par le pouvoir culturel et la langue de bois de l’amnésie en France, trouvent naturellement écho dans un système ouvert curieux d’approches neuves et de nouveaux regards en Amérique.

Étrange situation, rarement relevée, de nombre d’écrivains algériens de France et d’écrivains issus des minorités françaises, qui se découvrent de la marge ou du centre, selon la géographie. Rejetés dans l’exotisme et le misérabilisme d’une sous-littérature de témoignage ou de combat en France, invité et hissé en visibilité dans des chaires de prestigieuses universités, quel curieux paradoxe ! Frantz Fanon, Kateb Yacine, Edouard Glissant, Assia Djebar, Patrick Chamoiseau, Maryse Condé, et des flopées encore, à peine reconnus en France, ont-ils enseigné, enseignent ou sont enseignés dans des universités de renom ? C’est un fait. Moi et bon nombre, nous faisons partie du lot, avec des fortunes diverses, c’en est un autre.

-Quel regard apportez-vous sur les auteurs algériens intégrés au champ littéraire français ?

Un regard distancié et froid, clinique, d’aucune empathie ni solidarité. Un regard d’observateur critique qui m’aide à me situer, me donne la force de rester à ma place celle que je m’assigne en liberté et de n’en sortir qu’après avoir balisé les espaces littéraires et de représentation où mettre les pieds et donner de la voix.

En disant cela, je ne juge ni ne condamne personne. Il n’y a ni jalousie ni mépris dans mes propos pour «les auteurs algériens intégrés dans le champ littéraire français», comme vous dites. Les écrivains algériens de langue française, où qu’ils se trouvent, sont mécaniquement intégrés dans le champ littéraire français en particulier, et dans celui de cette aberration de l’esprit une construction politique qu’on appelle la francophonie, en général. Sous les feux des projecteurs et dans les journaux, en fonction des modes et de l’actualité, pour les écrivains algériens plus connus qui font du bruit en écoutant leurs livres faire des petits. En périphérie du marché du livre, des éditeurs qui les font et de la critique qui en assure la promotion, pour les aspirants à la notoriété en mal de noble cause à exploiter. En marge de ce grand charivari d’intrigues et de convenances, des îlots de bannissement du champ littéraire aux allures de ghettos où, par manque de talent ou par choix assumé, vivotent et crevotent en s’épuisant à la tâche, les obscurs et les sans-grades dont l’écriture et le discours restent inaudibles.

C’est ainsi et les Algériens n’échappent pas à cette cruelle vérité. A chacun de nous, une étiquette ethnicisée dans une case de boutique éditoriale. Un seul Algérien de service, un crocodile par marigot afin d’éviter affrontements et rivalité, ce qui nuirait à l’image et aux ventes. Au diable l’éthique et la conscience malheureuse, puisque chacun y trouve son intérêt tout en travaillant à sa notoriété. A chaque éditeur, son porte-parole et son porte-voix du malheur algérien, car nous excellons dans cet exercice imposé et puis, la critique des soubresauts du bled lointain est si facile et si belle depuis Paris. Refuser ce déterminisme réducteur dans la cage dorée d’une prison d’expression, dans un champ littéraire cloisonné, c’est s’exclure d’un jeu de dupes où chacun y trouve son compte. Plier ou rompre, je ne vois pas d’alternative, hormis d’humiliants compris.

C’est ainsi. Reste la radicalité suicidaire dont font preuve nombre de réfractaires qui ont choisi d’autres voies, dont je suis, qui tâtonnent et s’épuisent à exister. Impossible de trouver des issues de lumière dans la nuit de l’esprit qui s’épaissit. Mais à l’impossible, tous les Algériens, écrivains ou apprentis citoyens se forgeant à ce métier à risques, nous sommes aujourd’hui tous tenus.)

par M. Yefsah

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Ses publications : (source Wikipedia)

  • Avec du sang déshonoré d’encre à leurs mains, roman, Éd. Robert Laffont, Paris, 1983
  • Aimez-vous Brahim ?, roman, Éd. Pierre Belfond, Paris, 1986
  • Attilah Fakir (Les derniers jours d’un apostropheur), roman, Éd. Souffles, Paris, 1987, Prix de l’Évènement du Jeudi
  • Éloge de la Belle-Mère, essai, Éd. Robert Laffont, Paris, 1990
  • La veuve et le pendu, roman, Éd. Manya, Paris, 1993
  • À mourir de rire, fiction française (collection destinée à l’enseignement du français langue étrangère), Kaléïdoscope Publishers, LTD, Gyldendal Éducation, Copenhague, 1997
  • Une difficile fin de moi, roman, Éd. Le Cherche–Midi, Paris, 1998
  • Amour, sévices et morgue, roman, Éd. Parc, Paris, 1998
  • Manosque, aller-retour, nouvelle, Éd. Autres Temps, Marseille, 1998
  • Y a-t-il une vie avant la mort ? Éd. de La Différence, 2007
  • Au début était le mort (La corde ou le chien) Éd. de La Différence, 2008

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Kaouther Adimi, « Les petits de Décembre »

À Radio M. Kaouther Adimi parle de son dernier roman « Les petits de Décembre »

On peut lire ceci sur le site de Radio M. « Invitée de « Accès libre », l’écrivaine Kaouther Adimi a évoqué avec son hôte la littérature, son dernier roman, ses écrits ceux des auteurs algériens, le Hirak, la démocratie et même la polémique suscitée par les derniers écrits de l’écrivain-journaliste Kamel Daoud. Kaouther Adimi revient dans cet entretien aussi sur son dernier roman « Les petits de décembre », paru aux éditions Barzakh à Alger. Une histoire de révolte d’enfants contre des généraux à Dely Brahim à Alger. une histoire d’un terrain vague objet de discorde entre…deux générations! . Une satire féroce sur l’Algérie d’aujourd’hui. » Kaouther Adimi est interviewée par Fayçal Mataoui, le samedi 01 février 2020.

On apprend beaucoup sur le roman, l’Algérie, la vie privée de l’auteure, la société… mais le contenu littéraire du roman, son articulation, l’élaboration du style… n’ont pas ou peu été développés.

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« C’est un terrain vague, au milieu d’un lotissement de maisons pour l’essentiel réservées à des militaires. Au fil des ans, les enfants du quartier en ont fait leur fief. Ils y jouent au football, la tête pleine de leurs rêves de gloire. Nous sommes en 2016, à Dely Brahim, une petite commune de l’ouest d’Alger, dans la cité dite du 11-Décembre. La vie est harmonieuse, malgré les jours de pluie qui transforment le terrain en surface boueuse, à peine praticable. Mais tout se dérègle quand deux généraux débarquent un matin, plans de construction à la main. Ils veulent venir s’installer là, dans de belles villas déjà dessinées. La parcelle leur appartient. C’est du moins ce que disent des papiers « officiels ».

Avec l’innocence de leurs convictions et la certitude de leurs droits, les enfants s’en prennent directement aux deux généraux, qu’ils molestent. Bientôt, une résistance s’organise, menée par Inès, Jamyl et Mahdi.

Au contraire des parents, craintifs et résignés, cette jeunesse s’insurge et refuse de plier. La tension monte, et la machine du régime se grippe.

A travers l’histoire d’un terrain vague, Kaouther Adimi explore la société algérienne d’aujourd’hui, avec ses duperies, sa corruption, ses abus de pouvoir, mais aussi ses espérances. »

256 pages – 18€

Kaouther Adimi

Née en 1986 à Alger, Kaouther Adimi vit désormais à Paris. Après deux premiers livres, L’Envers des autres (prix de la Vocation 2011) et Des pierres dans ma poche, elle connaît un important succès avec Nos richesses (Prix Renaudot des lycéens), paru au Seuil en 2017, évocation du légendaire libraire et éditeur Edmond Charlot.

In : rentrée-seuil.com

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Liberté, Rubrique culturelle – le 05-09-2019

Première liste du Prix Renaudot 2019

Kaouther Adimi sélectionnée pour “Les petits de décembre”

Après le prix Renaudot des lycéens en 2017 pour  Nos richesses, l’écrivaine prolifique Kaouther Adimi vient d’être sélectionnée dans la liste du prix Renaudot 2019 pour son roman Les petits de décembre. 

Paru en France aux éditions du Seuil le 14 août dernier, les éditions Barzakh ont annoncé sur leur page Facebook, qu’il sera disponible en librairie en Algérie à partir du samedi 14 septembre. Les petits de décembre, plonge le lecteur en février 2016, dans la cité du 11-Décembre, (Dely Ibrahim, Alger). “Tout commence par un affrontement entre deux généraux et une poignée de gamins sur un terrain vague : les premiers le convoitent pour y construire leur villa, les seconds le défendent parce que c’est leur terrain de foot, le territoire de leur liberté. En quelques semaines, un bras de fer s’installe, qui culminera dans la révolte dite ‘des petits de Décembre’”. 

Dans le communiqué de la maison d’édition, il est mentionné que “dans un style vif et alerte, flirtant parfois avec le burlesque, Kaouther Adimi fait défiler une savoureuse galerie de personnages : Inès, Jamyl et Mahdi, pré-adolescents intrépides ; Adila la très moderne ancienne moudjahida ; les généraux Athmane et Saïd, ivres de leur impunité ; mais aussi la fameuse ‘folle aux cheveux rouges’, fascinante Pythie de la cité…”. 
“En plus d’être une satire féroce, explorant efficacement l’histoire de l’Algérie contemporaine, ce roman est une réflexion douce-amère sur l’impossible dialogue entre générations, et le saccage, par les adultes, des rêves de l’enfance. Un texte hommage à l’innocence perdue”. Née en 1986 à Alger, Kaouther Adimi a suivi des études de littérature. Elle vit et travaille à Paris. Elle est l’auteure de quatre romans publiés en Algérie (éditions Barzakh), et en France (Seuil et Actes Sud).

 À noter qu’outre la sélection dans la liste du Renaudot,  l’écrivaine est finaliste du Prix de la littérature arabe décerné par l’Institut du monde arabe et par la Fondation Jean-Luc Lagardère.

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« Les petits de Décembre » roman de K. Adimi

Plus de cinquante ans après l´indépendance de l´Algérie, la jeune écrivaine algérienne Kaouther Adimi explore dans son roman Les petits de Décembre, à travers l´histoire d´un terrain vague, la société de son pays avec ses duperies, sa corruption, ses abus de pouvoir, mais aussi ses espérances.

La littérature algérienne d´expression française ne cesse de nous étonner en enfantant toujours de nouveaux talents. Un des noms qui nous ont le plus impressionnés ces derniers temps est celui de Kaouther Adimi. Née en 1986 à Alger, elle a passé une partie de son enfance à Grenoble, en France, avant de regagner en 1994 son pays natal qui vivait à l´époque sous l´emprise du terrorisme. Diplômée en lettres modernes et en management de ressources humaines, elle a fini par rentrer en France où elle vit toujours. En 2011, elle a publié aux éditions Actes Sud un premier roman fort remarqué L´Envers des autres qui s´est vu couronner du prix de la Vocation. Ce roman avait déjà paru en 2010 en Algérie chez Barzakh sous le titre Des ballerines de papicha. Petit à petit, elle s´est affirmée comme une des jeunes écrivaines les plus prometteuses de sa génération. En 2017, elle a gravi un échelon supplémentaire dans sa carrière en publiant le très beau roman Nos richesses, aux éditions du Seuil, un opus qui a reçu le Prix Renaudot des Lycéens. Le point de départ est la librairie Les Vraies Richesses, inaugurée à Alger en 1935 par Edmond Charlot, en prenant exemple sur la librairie parisienne d´Adrienne Monnier. Placée sous l´égide de Jean Giono, la nouvelle librairie et petite maison d´édition algéroise se faisait fort de promouvoir de jeunes écrivains de la Méditerranée. Aussi a-t-elle publié, pour inaugurer son catalogue, le premier texte de celui qui n´était alors qu´un parfait inconnu et qui répondait au nom d´Albert Camus…

Algérie: l’espoir fait vivre.

Lors de cette rentrée d´été 2019, Kaouther Adimi revient, toujours aux éditions du Seuil,  avec un nouveau roman tout aussi puissant : Les Petits de Décembre. L´histoire se déroule en 2016 à Dely Brahim, une petite commune de l´ouest d´Alger, dans la cité dite du 11-Décembre. Des enfants y jouent au ballon dans un terrain qui devient une surface boueuse les jours de pluie, mais qui malgré tout fait leur bonheur. Dans ce quartier vivent entre autres des militaires à la retraite ou des gens comme Adila, une petite femme aux cheveux bruns très courts qui, pendant la guerre d´Algérie, avait combattu les Français les armes à la main et qui a continué à militer pendant les années de terrorisme.  

La vie harmonieuse de la commune bascule le matin où deux généraux, plans de construction à la main, y débarquent pour venir s´installer dans de belles villas déjà dessinées. La réaction des habitants du quartier est particulièrement vigoureuse surtout de la part de jeunes comme Inès -fille de Yasmine et petite-fille d´Adila- Jamyl et Mahdi qui s´en prennent directement aux deux généraux et qui vont mener par la suite la résistance, pour ainsi dire, aux prétentions des deux militaires.  

Les deux généraux n´acceptent pas, cela va sans dire, de se faire humilier par des enfants et ne veulent nullement que les choses en restent là, leur réputation et leur pouvoir ne pouvant pas être mis en cause. Le général Saïd a étudié en Russie et fut un des instigateurs de la purge dans l´ armée dans les années quatre-vingt-dix : «Il a lutté avec acharnement contre toute forme d´islamisme, veilla à ce que les étudiants qui portaient une barbe soient suivis, mis sur écoute et convoqués pour être durement interrogés. Il ne douta jamais du bien-fondé de la mission qui lui avait été confiée par sa hiérarchie : anéantir les mouvements islamistes du pays». Ses trois enfants vivent en France grâce à des bourses octroyées par l´État. On raconte qu´il a des parts dans plusieurs entreprises, qu´il est incontournable pour tout ce qui touche au business du pays et que les proches du ministre et des présidents sont tous liés à lui d´une manière ou d´une autre. Il a pourtant une maladie qui le ronge : un cancer qui l´oblige à prendre sa retraite. Il s´est lié d´amitié dans les années quatre-vingt avec Athmane, l´autre général, qui possède plusieurs propriétés à l´extérieur, qui consulte les services d´une  voyante et qui fut recruté par le service juridique de l´armée grâce à un faux diplôme de droit, alors qu´il n´avait pas fini les études qu´il avait commencées à Londres.

Ces deux généraux sont certes deux personnages importants de l´intrigue, mais ils sont avant tout le symbole de la corruption, de l´affairisme, de la vénalité du pouvoir en Algérie. Ils veulent donner une leçon exemplaire aux jeunes de la cité du 11-Décembre, mais, en même temps, ils prennent des risques puisque à l´époque des réseaux sociaux la mobilisation des jeunes est énorme et le pouvoir n´est pas en mesure de se mettre à dos des pans entiers de la société algérienne.

Ce roman étale aussi au grand jour l´hypocrisie des gens qui applaudissent théoriquement des mesures sociales progressistes, mais qui, par contre, ne perdent pas l´occasion de tirer à boulets rouges sur ceux ou celles qui dérogent aux principes de la décence et des bonnes mœurs, comme les femmes divorcées qui ne sont pas vues d´un bon œil, surtout lorsqu´elles s´habillent trop à la mode occidentale.

Kaouther Adimi raconte d´une plume élégante les heurs et malheurs du peuple  algérien qui, malgré les manigances, la corruption et l´arrogance du pouvoir, nourrit l´espoir en un avenir plus équitable. Un peuple qui, au nom de la justice, n´a pas peur de lutter pour ses idéaux.

Par Fernando Couto e Santos – le 05/12/2019

In : lepetitjournal.com/Lisbonne

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Extrait…

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J’avais rencontré Kaouther Adimi le 30 octobre 2016 au Salon du livre d’Alger, lors d’une émission de radio. CLIQUER ICI pour la visite :

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Un peu plus…

Wikipédia : Kaouther Adimi naît à Alger, où elle vit jusqu’à l’âge de quatre ans, avant que sa famille ne s’établisse à Grenoble pour quatre ans. Durant cette période elle découvre le plaisir de la lecture avec son père, qui l’emmène chaque semaine à la bibliothèque municipale1.

En 1994, elle rentre en Algérie, qui vit alors sous l’emprise du terrorisme. N’ayant que très peu d’opportunités de lire, elle commence à écrire ses propres histoires1.

Alors qu’elle étudie à la faculté d’Alger, elle voit une affiche de l’Institut français qui organise un concours de jeunes écrivains à Muret, en Haute-Garonne. La nouvelle qu’elle soumet retient l’attention du jury, qui la publie dans un recueil contenant les nouvelles des lauréats. Grâce à ce concours, elle est invitée à Muret, à Toulouse, puis à Paris, où elle rencontre les éditions Barzakh1.

Elle est diplômée en lettres modernes et en management des ressources humaines.

C’est en 2009 qu’elle écrit son premier roman, L’envers des autres. La même année, elle quitte à nouveau Alger, pour s’installer à Paris1.

Oeuvres:

  • L’Envers des autres2, son premier roman publié en mai 2011 aux éditions Actes Sud, auparavant édité en Algérie par les éditions Barzakh sous le titre Des ballerines de papicha en juin 2010, a obtenu le prix littéraire de la Vocation en 20113.
  • Des pierres dans ma poche, roman, éditions du Seuil, 2016 (publication Barzakh en novembre 2015).
  • Le Sixième Œuf, nouvelle sombre, a été publiée dans le recueil collectif Alger, la nuit aux éditions Barzakh en décembre 2011.
  • Le Chuchotement des anges, sa première nouvelle, a été publiée dans le recueil collectif Ne rien faire et autres nouvelles aux éditions Buchet/Chastel en mars 2007.
  • Nos richesses, roman, éditions du Seuil, 20174.
  • Les petits de Décembre, roman, éditions du Seuil, Paris, 2019, 252 pages, (ISBN 978.2.0214.3080.6)
  • Prix et distinctions
  • Prix littéraire de la vocation, en 2011 pour L’Envers des autres3.
  • Prix du roman de la fondation France-Algérie, en 20155.
  • Prix du FELIV (Festival international de la littérature et du livre de jeunesse d’Alger) en 2008.
  • Prix du jeune écrivain de langue française, en 2006 et 6e en 2008 pour Pied de vierge6.
  • Nos richesses
    • Prix Renaudot des lycéens 2017 pour Nos richesses7.
    • Prix du Style 2017 pour Nos richesses.
    • Prix Beur FM Méditerranée 2018 pour Nos richesses.
    • Choix Goncourt de l’Italie 2018 pour Nos richesses.
    • Mention Spéciale Prix littéraire Giuseppe Primoli 2018 pour Nos richesses.

Notes et références:

 1_ abc et d « Nos richesses » : Kaouther Adimi, l’étrangère [archive], Jeune Afrique, 15 septembre 2017

  2_ « L’Envers des autres/ actes Sud » [archive], sur www.actes-sud.fr (consulté le 21 septembre 2017)

  3_ a et b Emmanuelle Caminade, « L’Envers des autres , Kaouther Adimi » [archive], sur www.lacauselitteraire.fr (consulté le 21 septembre 2017)

  4_ « Nos richesses, le nouveau roman de Kaouther Adimi » [archive], sur Al Huffington Post (consulté le 21 septembre 2017)

  5_ Le Soir d’Algérie, « http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/09/17/article.php?sid=1968&cid=16 » [archive], sur www.lesoirdalgerie.com (consulté le 21 septembre 2017)

6_   ‘La Dépêche du Midi, Muret. On connaît les lauréats du Prix du jeune Écrivain [archive], consultée le 12 mai 2012.

 7_ Le Prix Renaudot des Lycéens est attribué à Kaouther Adimi pour Nos richesses (Seuil) [archive], consulté le 14 novembre 2017.

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Albert CAMUS

Souvent, lorsque Oran était aussi jeune que nous l’étions, lorsque la tolérance entre les modes de vie faisait office de gouvernail – nonobstant la terreur de Boum, c’est une autre histoire –, attablés au rez-de-chaussée du célèbre et néanmoins abordable Cintra, nous faisions le tour du monde à moindre frais, imprégnés de la seule véritable philosophie de vie, joyeuse et scandaleuse, de Tambouctou à Honolulu, de Travemunde à Yellowknife, les lèvres plongées dans les enivrantes boissons de la BAO (80 centimes) et les yeux dans ceux de nos compères (« vive l’anarchie » ! chuchotions-nous et ironisions « tahia Khaïra ezziraïa », quel gâchis !), ou dans ces tableaux approximatifs accrochés au-dessus du comptoir. Camus nous contemplait à travers son cadre, aussi mélancolique que nous étions insouciants. Sur le large trottoir du boulevard de la Soummam, entre l’hôtel Continental et le Coq hardi (ou le Coq d’or, sacrée mémoire) de l’ASMO, le Cintra exposait ses majestueux tonneaux bondés le samedi soir. Albert Camus ne fréquentait ni le Cintra, ni Oran depuis longtemps.

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L’homme aime lancer des anathèmes et des affirmations qui nient les nuances. Un véritable drame. Il préfère souvent la caricature qui empêche de penser. Il refuse de plonger dans la pensée, profonde et complexe, d’Albert Camus, de peur de trop se questionner, de s’y noyer. Il préfère barboter à la surface calme de l’eau des oueds asséchés qui le confortent dans la béatitude du confort de sa paresse. Notre frère de classe, Albert Camus, enfant du peuple pauvre qu’il a été, comme pour la plupart d’entre nous l’avons été, fut mis au ban de la société intellectuelle bourgeoise de gauche aussi pour cette raison. Le courant idéologique stalinien, bulldozer mortifère dominant dans les années cinquante l’a ignoré car il avait dénoncé, haut et fort, – et parmi les premiers (L’homme révolté et Les Justes notamment) – les crimes de cette idéologie du bagne et de la mort. 

Comme tout homme, Albert Camus a parfois failli, n’a pas été au terme de ses propres convictions, à l’exemple de la question de l’indépendance algérienne (mais pas du colonialisme qu’il a clairement dénoncé). Ceux qui, hier comme aujourd’hui, ont troqué la vérité historique, celle des faits, de tous les faits, contre de grossiers mensonges aux soubassements idéologiques, ceux qui ont tronqué et continuent de mentir sur son intervention de Stockholm devront assumer le premier mur de la honte aujourd’hui morcelé, éclaté, agonisant. Comme ils devront voir et revoir ou lire et relire encore et encore, nuit et jour, Les Justes (1949). Pour se libérer de leurs propres démons. Camus est un penseur, et par conséquent un homme pétri de grandes idées complexes, trop complexes parfois. Comme il est un homme, il faut le répéter, qui peut faire preuve de contradictions. Nous gagnerons, nous Algériens, à le faire nôtre une fois pour toutes, pour enfin questionner son verbe et l’homme qui le véhicula « un homme fait de tous les hommes, qui les vaut tous et que vaut n’importe quel autre homme » , sereinement à charge et à décharge. Albert Camus aime les arcs-en-ciel dans leurs (et sa) radicalité. Albert Camus c’est la rumba…

AH- 04 janvier 2020

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« Albert Camus adorait danser. Aucune philosophie ne valait à ses yeux le geste où un corps n’exprime que lui-même, surtout s’il exhale une légère odeur de jasmin… Avant d’être le drame qui impose d’être libre et le non-sens où se cache la joie, la vie, pour Albert Camus, c’est la rumba ! (Raphaël Enthoven, Jacques-Perry Salkow- Anagrammes pour lire dans les pensées. Actes Sud, 2016)

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À propos d’Albert CAMUS lire ci-dessous l’article du journal Le Monde (A) , d’écouter/voir la vidéo documentaire (B), et l’émission qui a suivi (C). Enfin, lire plusieurs articles de mon blog : (D) … et le reste

A_ Voici un article du journal Le Monde.fr du 04 01 (concerne la vidéo B).

Un documentaire sur Albert Camus, toujours pertinent soixante ans après sa disparition

Les réalisateurs Fabrice Gardel et Mathieu Weschler retracent dans « Albert Camus, l’icône de la révolte », le parcours et la pensée de l’écrivain. Limpide.

Albert Camus est mort il y a tout juste soixante ans. Fauché par un accident de la route à l’âge de 46 ans. Trois ans plus tôt, il avait été désigné Prix Nobel de littérature. Aujourd’hui, l’auteur de L’Etranger et de La Peste est l’un des écrivains les plus lus au monde. « C’est quelqu’un qui vous donne le goût de la vie, sans jamais vous mentir ni vous rassurer », affirme le philosophe Raphaël Enthoven dans Albert Camus, l’icône de la révolte. Ce court documentaire relate l’existence et le parcours intellectuel du journaliste et écrivain qui a puissamment marqué la vie de ses contemporains et des générations qui ont suivi.

Tout commence de l’autre côté de la Méditerranée pour « ce petit Français d’Algérie » qui voit le jour dans une famille « qui ne sait ni lire ni écrire ». Huit mois après sa naissance, la première guerre mondiale éclate et son père est tué au front. La famille s’installe dans le quartier populaire de Belcourt à Alger. Il n’y a ni eau ni électricité, sa grand-mère gère le foyer « d’une main de fer »« Seuls moi et mes défauts sommes responsables et non le monde où je suis né », écrit Albert Camus, qui restera nostalgique de cette jeunesse où « les plus grands plaisirs ne coûtent rien » : les bains de mer, les parties de football avec les copains. « Le peu de morale que je sais, je l’ai appris sur les scènes de théâtre et dans les stades de foot, qui resteront mes vraies universités. »

Son combat pour une réconciliation

Il obtient tout de même un diplôme de philosophie grâce à une bourse qui lui permet d’aller au lycée. Mais la gravité de la tuberculose qu’il contracte, véritable condamnation à mort à l’époque, l’oblige à renoncer à l’agrégation. Son ami Pascal Pia l’embauche alors à l’Alger républicain. Il défend « un journalisme qui offre une voix à ceux qui n’en ont pas », en premier lieu les Kabyles d’Algérie, marquant l’histoire de la presse.

Résistant, Albert Camus s’impose comme le rédacteur en chef du quotidien clandestin Combat et dénonce la barbarie nazie, les goulags du communisme soviétique, l’usage des armes nucléaires. Les batailles qu’il mène contre les dérives totalitaires de son temps font de lui une figure de la révolte reconnue à l’étranger. Face aux atrocités de la guerre en Algérie, il se bat pour une réconciliation par le dialogue et des droits supplémentaires pour la population arabe. Mais « il n’accepte pas [l’idée d’une indépendance], c’est charnel pour lui », constate l’écrivain Salim Bachi.

Des paradoxes assumés

Ponctué de sonores d’Albert Camus, le documentaire ne fait l’impasse sur aucun des paradoxes que l’écrivain assumait – à l’image de Meursault, le héros qui « refuse de mentir » de L’Étranger –, et déploie efficacement les nuances de sa pensée, hermétique à la diabolisation ou à la déshumanisation. « Lorsqu’il traite de la difficulté qu’on a à dialoguer, parfois on a l’impression qu’il a connu les réseaux sociaux », observe Marylin Maeso, professeure de philosophie et auteure de L’Abécédaire d’Albert Camus (à paraître le 8 janvier aux éditions de L’Observatoire). « Quand il dit celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, on a l’impression qu’il parle de Twitter. »

Les témoignages de sa fille, Catherine Camus, pas dénuée d’humour, du rappeur Abd Al Malik, auteur de Camus, l’art de la révolte et d’une adaptation de la pièce Les Justes, ou de l’auteur de BD Jacques Ferrandez, apportent des éclairages signifiants. La diffusion du documentaire est suivie d’un débat animé par Jérôme Chapuis.

Par Mouna El Mokhtari – In Le Monde.fr- 04 janvier 2019

B_ Cliquer ici pour écouter/voir la 1° vidéo sur A. CAMUS

J’ai trouvé ce documentaire globalement intéressant. Certains passages (comme « l’arrivée de centaines de milliers de français… » alors qu’il s’agit d’une colonisation) sont discutables… , ou encore sur l’Algérie…. objections classiques)

C _ ICI POUR VOIR L’ÉMISSION QUI A SUIVI

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D _ je vous propose ces pages de mon blog :

NOVEMBRE 2008_ Cliquer ici pour lire l’article

JANVIER 2010 – Cliquer ici pour lire l’article

NOVEMBRE 2010 – Cliquer ici pour lire l’article

JANVIER 2013 – Cliquer ici pour lire l’article

JANVIER 2015 – Cliquer ici pour lire l’article

NOVEMBRE 2016 – Cliquer ici pour lire l’article

JANVIER 2018 – Cliquer ici pour lire l’article

Le CINTRA_ Oran (2 photos)

Albert CAMUS a résidé dans cet immeuble, rue Ben M’hidi (ex rue d’Arzew) ORAN (2 photos)

c

Cliquer ici pour écouter l’émission de France Inter « Comment Albert Camus peut-il changer notre vie? » – vendredi 3 janvier 2020

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Albert Camus : « Je ne connais qu’un devoir, c’est celui d’aimer »

25/06/2018 (Mis à jour le 06/01/2020)

Camus nous raconte la méchanceté du quotidien, l’ambivalence du soleil, la tendre indifférence du monde et la folie des hommes sacrifiant l’étal de leurs certitudes celui qui, parce qu’il ne sait pas mentir ni pleurer, ne leur ressemble pas. Relire Camus en ces temps troublés.

Aujourd’hui presque unanimement considéré comme un des grands hommes de la Nation, Albert Camus fut pourtant beaucoup décrié et critiqué par le passé. Camus n’a pas toujours été légitime en son temps. Libertaire refusant les extrémismes, défenseur de la classe laborieuse refusant le stalinisme. Réformiste contre le statu quo. Il faut aussi rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la pensée de Camus : celui de la résistance, puis de l’épuration, du début de la consommation de masse, de la guerre d’Algérie, et de la fascination de beaucoup d’intellectuels français pour le système soviétique. 

CLIQUER ici pour la vidéo: Une table ronde enregistrée en février 2018.

Pour le site de l’émission, cliquer ici

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Jacques Ferrandez, auteur de bande dessinée, Il a adapté la nouvelle L’Hôte en 2009, et L’Étranger en 2013

Saad Khiari, cinéaste, auteur de Le Soleil n’était pas obligé

Christian Phéline, président de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet

Agnès Spiquel, présidente de la Société des études camusiennes

Michel Thouillot, écrivain, auteur de L’Affaire Meursault

Yves Chemla, critique littéraire et enseignant à l’IUT de Paris.

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CLIQUER ICI pour écouter L’ÉMISSION FRANCE CULTURE: LE PREMIER HOMME_ ALBERT CAMUS- 02 SEPTEMBRE 2018

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CLIQUER ICI pour voir « Les vies d’Albert Camus »

F3: « Albert Camus meurt à 46 ans, le 4 janvier 1960, deux ans après son prix Nobel de littérature. Auteur de «L’Étranger», un des romans les plus lus au monde, philosophe de l’absurde et de la révolte, résistant, journaliste, homme de théâtre, Albert Camus a connu un destin hors du commun. Enfant des quartiers pauvres d’Alger, tuberculeux, orphelin de père, fils d’une mère illettrée et sourde, il s’est arraché à sa condition grâce à son instituteur. Français d’Algérie, il ne cessa de lutter pour l’égalité avec les Arabes et les Kabyles, tout en redoutant l’Indépendance du FLN. Fondé sur des archives restaurées et colorisées, et des témoignages de première main, ce documentaire tente de dresser le portrait de Camus tel qu’il fut. »

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA PIÈCE « LES JUSTES »

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ou CLIQUER ici: « LES JUSTES »:

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CLIQUER ICI POUR LIRE « Misère de la Kabylie » (suivi du Discours de Stockholm)

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La grande librairie : La fabuleuse histoire de la langue française

Émission diffusée le mercredi 06 novembre 2019, présentée par François Busnel

« La fabuleuse histoire de la langue française ! De ses origines à ses influences et ses évolutions. Les invités :

  • Bernard Cerquiglini, auteur de « Parlez-vous tronqué ? » (Larousse),
  • Alain Rey, qui publie une nouvelle édition de son « Dictionnaire historique de la langue française » (Le Robert).
  • Muriel Gilbert, auteure d' »Encore plus de bonbons sur la langue » (Librairie Vuibert),
  • François Morel, quant à lui, manie la langue avec subtilité et poésie pour faire rire dans son spectacle « J’ai des doutes », qu’il interprète actuellement à La Scala de Paris.
  • Bertrand Périer évoque l’apprentissage nécessaire à la maîtrise de la langue dans son dernier ouvrage, « Sur le bout de la langue » (J.C. Lattès). »

In : www.france.tv/france-5/

CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION – partie 1.3

CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION – partie 2.3

CLIQUER ICI POUR VOIR L’ÉMISSION – partie 3.3

Les jeunes auteurs au SILA

« En Algérie, nous devons payer pour être édités »

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Photo: DR

Huffpostmaghreb.com – 08/11/2019

Par Fayçal Métaoui

Des jeunes auteurs algériens se sont plaints, lors d’un débat organisé jeudi 7 octobre au 24ème Salon international du livre d’Alger (SILA), au Palais des expositions des Pins maritimes, des mauvaises conditions d’édition dans le pays. “En Algérie, nous devons payer pour être publiés. Il y a pas de comités de lecture chez les maisons d’édition. L’auteur doit faire sa propre promotion en allant sur youtube ou sur les réseaux sociaux. Il peut trouver un public, mais pas forcément des lecteurs. Les éditeurs ne donnent aucune importance aux couvertures qui souvent n’ont pas de rapport avec le contenu du livre. Il n’y a pas de correcteurs. L’écrivain est dans un mouvement continu de haut et de bas, ne sait pas où va aller”, a dénoncé Said FetahinePour Mohamed Salah Karef, prix Mohammed Dib 2016, rien n’est facile en Algérie pour les jeunes auteurs. “Là où j’habite(Djelfa), il n’y a pas du tout de livres, pas de librairies. Je me dis que mon souci principal est d’écrire un texte de qualité. Si je pense aux difficultés de se faire éditer, je ne ferais rien”, a-t-il dit. “Il suffit d’avoir de l’argent et votre texte est édité. Rapidement, vous devenez écrivain. Après, l’auteur, qui se précipite pour publier ses textes, va payer les frais. On réduit l’auteur à une somme d’argent. Si les autorités en charge du livre avaient donné de l’importance à cette situation, les maisons d’édition n’auraient pas osé imposer leurs lois et leurs méthodes à l’auteur et aux librairies. L’auteur est réduit à payer pour éditer son livre, mais n’est pas sûr que son livre soit distribué par manque de librairies”, a regretté Nahed Boukhalfa, qui a obtenu le prix Assia Djebbar 2018 pour son roman “Destination d’un homme optimiste”.

“L’écriture est révolution”

Nesrine Benlakhal a estimé, pour sa part, que les éditeurs sont « d’abord des commerçants ». “Ils ne reçoivent pas de soutien du ministère de la Culture. Donc, ils éditent pour vendre plus. Il n’y a pas de lecture, de relecture ou de correction des textes. On se retrouve avec des livres mal faits et de mauvaise qualité en raison du fait que l’auteur verse une somme d’argent pour se faire publier. Cette situation est anormale”, a-t-elle relevé. Ahmed Boufahta est allé dans le même sens en disant que ce phénomène de “payement contre publication” est devenu visible ces cinq dernières années. “Cela va avoir des répercussions négatives sur la littérature algérienne”, a-t-il prévenuWalid Grine dit avoir attendu depuis 2015, la publication de son recueil “Ala hafatou al rassif” (Sur la bordure du troittoir), paru cette année aux éditions ANEP. “Mon livre devait sortir aux éditions Alpha. On m’a demandé de supprimer une histoire, m’autocensuer en d’autres termes. Chose que j’ai refusé. J’ai eu ensuite trois autres mauvaises expériences avec des éditeurs. A chaque fois, on ne m’a pas donné d’explications sur le refus de publication”, a-t-il confié. “L’auteur cherche la consécration littéraire à travers des textes de qualité, des textes soignés, alors que l’éditeur est en quête de gains commerciaux. Nous devons aller vers une véritable industrie du livre”, a relevé Said Fetahine. Revenant au débat littérataireNahed Boukhalfa a estimé que l’écriture est elle même une rébellion. “L’écrivain qui réussit est celui qui suscite le débat et qui se rébelle. L’écriture est révolution », a-t-elle souligné. « L’écriture me permets de dire qui je suis, de dire ce que je veux et à quoi je veux arriver. L’écrivain doit exprimer son opposition, son avis contraire, son refus. Il n’est pas là pour écire des rapports. Ce qu’il écrit est déjà révolutionnaire. L’écriture prouve l’existence”, a repris, pour sa part, Nesrine Benlakhal. Ahmed Boufahta a appelé, lui, à clarifier certains termes comme “rebellion”, “refus” et “révolution”. “Certains, parmi les jeunes auteurs, pensent que la rébellion est de dépasser les coutumes, ne pas respecter la morale, tordre le cou aux croyances religieuses. La nouvelle mode est d’insulter Dieu. J’aurai aimé qu’on lie la notion de “rebellion” à un genre littéraire particulier et pour des sujets définis. La révolution contre les choses sacrées ne donne pas forcément une nouvelle littérature”, a-t-il noté.

“L’imagination doit être utile à la société”

L’écrivain, selon Said Fetahine,  porte la révolution à l’intérieur de lui même. “Il écrit d’abord pour que la justice sociale soit une réalité, pour que la parole soit donnée aux minorités. Lorsqu’il écrit, le romancier est entre les vagues du réel et les ouragans de l’imagination. Dans mon roman, j’ai imaginé un chat qui s’appelle Kafka parlant à une employé d’une bibliothèque qui n’aime pas les livres”, a-t-il plaidé en parlant de son roman, “Al Arabi al akhir” (le dernier arabe). Pour Mohamed Salah Qaref, l’écrivain aborde dans son écriture ce qu’il sait déjà et ce qu’il a déjà vécu. “Il doit répondre à la question : comment écrire sur soi-même et sur ce qui est partagé par tout le monde en même temps ? L’écrivain qui réussit est celui qui sait se cacher dans sa propre écriture, ne pas se dévoiler”, a-t-il tranché. “Nous écrivons sur le réel avec des noms fictifs. Tout ce que nous racontons dans nos livre a trait à des événements ayant déjà eu lieu en d’autres temps. Nous donnons une image à ces événements avec des personnages imaginaires. L’imagination doit être utile à la société, sinon ça ne sert à rien”, a noté Nahed Boukhalfa. Ahmed Boufahta s’est appuyé sur les théories post-modernes pour souligner que l’auteur s’efface désormais face à “la puissance” du lecteur qui, au final, aura le dernier mot.

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En Algérie, « l’édition devra aussi se remettre des années Bouteflika »

Éditeur et libraire aujourd’hui à la retraite, Boussad Ouadi a été un témoin direct des dégâts causés par le système de l’ancien président sur le secteur du livre.

Le Monde.fr – Par Dorothée Myriam Kellou Publié le 7 novembre 2019

Cette année encore, les wagons du tramway qui relient le centre-ville d’Alger au Palais d’exposition des pins maritimes, où se déroule le 24e Salon international du livre d’Alger (SILA) du 31 octobre au 9 novembre, sont bondés. En 2018, selon les organisateurs, plus de 2 millions de visiteurs s’étaient pressés au SILA pour découvrir les dernières publications : livres étrangers, éditions algériennes, ouvrages religieux. « La majorité sont des livres religieux », souligne Boussad Ouadi, éditeur et libraire aujourd’hui à la retraite.

Lui ne viendra pas. Peut-être à titre personnel rejoindra-t-il la foule curieuse ou simplement désireuse d’une occasion de flâner en famille. Mais il ne tiendra pas de stand pour exposer les livres de sa maison d’édition, INAS, qu’il ne s’est pas résolu à fermer. « Je n’ai pas demandé à tenir de stand depuis 2007 », raconte-t-il, attablé à la terrasse du jardin d’essai du Hamma à Alger.

« Cette année-là, j’avais publié le livre de Mohamed Benchicou, Les Geôles d’Alger, où l’auteur relatait ses deux années à la prison d’El-Harrach. Il y avait été incarcéré pour une histoire de bons du Trésor. Personne n’avait voulu publier ce livre. Je l’avais fait. L’injustice de son arrestation, après la parution de son livre sur Bouteflika, m’avait été insupportable », précise Boussad Ouadi. En 2004, M. Benchicou, ancien directeur du journal Le Matin, avait publié Bouteflika, une imposture algérienne, aux Editions Jean Picollec. « Il l’avait écrit alors que Bouteflika jouissait encore d’une certaine aura, notamment à l’international. Il a été l’un des premiers à démasquer le président », se souvient Boussad Ouadi.

Piratage de livres

En 2007, lors du SILA inauguré par le président Bouteflika, le stand de Boussad Ouadi est fermé et la séance de dédicace prévue avec l’auteur annulée. La publication du récit a également valu à l’éditeur des dissensions personnelles avec la ministre de la culture, Khalida Toumi, qu’il avait connue militante avant qu’elle ne rejoigne le gouvernement. « J’avais essayé de la convaincre d’accompagner la structuration du métier de l’édition en créant des formations au métier d’éditeur, en développant un réseau de distribution… », raconte-t-il.

Rien ne se passe ainsi et le secteur de l’édition n’échappe pas à la mauvaise gestion de la manne financière générée par la vente des hydrocarbures. « Ils ont mis en place un système de subventions publiques, avec en son cœur une logique de récompenses de loyautés et d’accointances personnelles. Alors que nous étions à peine une vingtaine d’éditeurs au début des années 1990, nous avons atteint le nombre de 800 en 2016. Cela touchait à l’absurde, poursuit-il. Beaucoup se sont improvisés éditeurs pour avoir accès aux subventions distribuées à chaque événement commémoratif. »

Selon l’éditeur, ce système a encouragé le piratage de livres, l’à-peu-près dans la qualité et les contenus éditoriaux. « Si on regarde les livres algériens exposés au SILA, très peu se distinguent. Et je ne parle même pas des livres religieux, en majorité importés du Liban et des Emirats arabes unis. C’est un autre circuit de diffusion. »

Le milieu de l’édition sinistré

L’Algérie ne bénéficiera jamais plus d’une telle manne financière. Les revenus de l’Etat générés par les ressources pétrolières ont chuté depuis la baisse du prix du pétrole en 2014. « Tout est à reconstruire », déplore t-il. Pourtant, il avait beaucoup d’espoirs quand il s’est lancé dans l’édition au milieu des années 1980. « J’étais l’un des premiers à oser briser le monopole public », se souvient-il. Avec les éditions Laphomic auxquelles il s’associe, il publie notamment des auteurs marginalisés dans l’édition officielle. Il se souvient de sa première publication d’un texte politique : Entretien avec Tahar Djaout, de Mouloud Mammeri (1987).

Avec l’ouverture démocratique en 1988, la possibilité de se constituer en association, de publier des journaux, des livres, le milieu de l’édition se développe. Boussad Ouadi se rappelle d’un temps glorieux : création d’un syndicat des éditeurs, formations, large réseau de librairies publiques et privées, participation à des salons du livre en Europe et au Maghreb… Il rejoint l’ENAP, l’Entreprise nationale algérienne de presse, l’une des librairies étatiques à Alger. Il importe des livres introuvables partout ailleurs en Algérie et les vend sous le comptoir. « La librairie dépendait du FLN, véritable Etat dans l’Etat, qui nous laissait une grande marge de liberté. », se souvient-il.

Puis le choc survient avec l’attentat contre son ami, journaliste et écrivain algérien, Tahar Djaout, le 26 mai 1993, tué « par un gamin armé de 19 ans ». Pendant cette décennie noire, guerre civile opposant l’armée aux islamistes qui a causé la mort de près de 200 000 personnes, le milieu de l’édition est sinistré. Malgré les menaces, Boussad Ouadi ne quittera pas l’Algérie. Il ne renoncera pas. Il se lance dans l’importation de livres qu’il part vendre à travers le pays dans les rares librairies encore ouvertes à l’époque : « L’Algérie était en cessation de paiement. La priorité était donnée à l’achat de semoules, de sucre et d’huile. Pas de livres ! », se souvient-il.

« Pas une librairie digne de ce nom »

Aujourd’hui, Boussad Ouadi remonte la rue Didouche-Mourad, anciennement rue Michelet, où se concentrent les librairies d’Alger-Centre : « Regardez, là, il y avait une librairie. Elle est devenue un magasin de vêtements et de chaussures. Ils y vendent du shampoing. » Les librairies étatiques ont été privatisées en 1997, souvent cédées à leurs salariés. « Ils sont nombreux à avoir cédé à la spéculation immobilière et vendu », précise-t-il.

L’éditeur se fraie un chemin dans la foule de l’après-midi jusqu’à une autre librairie : « Celle-ci est encore en activité. Mais ce n’est pas une librairie digne de ce nom. C’est un espace où sont disposés sans réflexion des livres édités localement ou importés. » Il attrape un ouvrage : « Regardez ce livre sur Tlemcen. Il coûte 8 000 dinars [60 euros], c’est la moitié du SMIC algérien. Qui peut l’acheter ? Il n’y a aucune vision éditoriale, juste un choix éditorial motivé par une logique de prédation de la rente. C’étaient les années Bouteflika. Le secteur de l’édition n’y a pas échappé. »

Quand on l’interroge sur des éditeurs algériens comme Barzakh qui ont acquis une réputation internationale, Boussad Ouadi répond que « c’est l’arbre qui cache la forêt, de beaux arbres devant une forêt qui pourrit ». Il s’excuse pour ses diatribes. Le constat est amer et il espère un changement avec le Hirak, le mouvement de contestation qui a débuté en février, « véritable tremblement de terre ». « Il faudrait lutter contre l’argent sale pour récréer des circuits professionnels des métiers du livre, de l’auteur jusqu’au libraire. » Il s’arrête. « Je dis tout ça, mais j’ai baissé les bras », avant d’ajouter : « Momentanément j’espère. »

Les mots turcs (et persans) dans le parler algérien

Un livre de Mohamed Bencheneb (1869 à Médéa – 1929 à Alger)

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Biographie :

Mohammed Ben Cheneb (né le 26/10/1869 à Médéa en Algérie et mort le 05/02/1929 à Alger) est professeur titulaire à la Faculté des lettres d’Alger. Il est aussi écrivain et essayiste.

Il voyage seul de Médéa à Alger en 1886 et s’inscrit à l’École normale de Bouzarréah, d’où il sort professeur de français en plus d’un diplôme de menuiserie obtenu en parallèle en 1888. Nommé enseignant au bureau officiel du village (Sidi Ali Tamdjert) près de Médéa où il enseigne jusqu’en 1892, il est ensuite muté à Alger à l’école Cheikh Ibrahim Fateh. Il s’inscrit alors de nouveau à l’École normale pour apprendre l’italien, en sus d’autres disciplines professées par le Cheikh Abdehalim Ben S’maya, obtenient les meilleures distinctions dans les sciences dites traditionnelles et un diplôme de lettres arabes de l’Université française d’Alger le 19 juin 1894. Plus tard, il apprend l’espagnol, l’allemand, le latin puis l’hébreu.

En 1898, le 8 mai, il est nommé professeur à la Kettania de Constantine en remplacement du Cheikh Abdelkader El Medjaoui. Il y enseigne les sciences de la langue et des lettres arabes ainsi que le Fiqg (droit musulman), et y reste jusqu’au 19 janvier 1901, avant d’être désigné comme professeur au lycée Thaâlibya d’Alger. En 1920, l’Académie des sciences de Damas l’élit membre en son sein, et il continue à publier dans sa revue scientifique ses recherches linguistiques, historiques et littéraires. La même année les grands professeurs de l’Université d’Alger le pressent de présenter une thèse de doctorat: ce sont deux grands volumes, l’un sur le poète des Abbassides « Abû Dulama », et l’autre sur les mots d’origine turque et persane dans l’arabe des indigènes d’Algérie. En 1924, il est nommé officiellement professeur à la grande Faculté des lettres. Mohammed Ben Cheneb est membre fondateur correspondant non résident de l’Académie des sciences coloniales en 1922. (1)

(1) source: © 2010 – Académie des sciences d’outre-mer 15, rue Lapérouse 75116 PARIS

4.10_ Janis JOPLIN…

Vous aviez 20 ans dans les années 70 ? alors cliquez ici ! (ce n’est pas le cas? c’est idem, regardez (écoutez !): Summertime

Bougez ou cliquez ici ! Move over

Souvenir, souvenir… J’ai trouvé ce bel hommage

Le dernier cri de Janis Joplin – Bel hommage de Bertrand Le Gendre- Le Monde.fr- 30 septembre 2000, à lire ici:https://www.lemonde.fr/culture/article/2000/09/30/le-dernier-cri-de-janis-joplin_101445_3246.html

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Janis Joplin est née le 19 janvier 1943 à Port Arthur, Texas. Elle est morte le dimanche 4 octobre 1970 à Los Angeles.

Le roman de Mengouchi

L’Algérie sous Boumediène…

Bientôt vous pourrez lire dans son intégralité, ce « roman » sulfureux qui a tant et tant fait trembler en Algérie dans les années 80 (il raconte les frasques du régime de Boumediène, les équipées nocturnes de ses ministres, leurs virées dans des Lupanars dédiés etc… (Rahma Éditions). Ce livre a-t-il été « soufflé » par Cherif Belkacem, son épouse? ou bien est-il né de l’imagination de la terrible Stasi algérienne ou bien encore de celle de Mengouchi, illustre inconnu?

VOICI LA PREMIÈRE DE COUVERTURE

ET LA SUITE. ACCROCHEZ-VOUS BIEN


CLIQUER ICI POUR LIRE LE ROMAN (jusqu’à la page 161)

CLIQUER ICI POUR LIRE LA SUITE ET FIN DU ROMAN (de la page 162 à 193)

Le contenu du livre – scabreux – ne nous engage en aucune manière.

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BIENTÔT LA SUITE

Nabile Farès. Un passager entre la lettre et la parole (collectif)

Posté par La Plume Francophone ⋅ 16 mai 2019

Présentation de l’ouvrage collectif Nabile Farès. Un Passager entre la lettre et la parole

Par La Plume Francophone

                Nabile Farès nous a quittés le 30 août 2016. Pour lui rendre hommage et pour offrir au public une lecture de son œuvre riche d’une vingtaine de livres et de plusieurs créations destinées à la mise en scène, Beida Chikhi, Karima Lazali et Ali Chibani ont proposé de rassembler les textes de celles et ceux qui l’ont connu et qui connaissent son œuvre dans un ouvrage collectif qui vient de paraître chez Koukou Éditions à Alger, sous le titre de Nabile Farès. Un Passager entre la lettre et la parole[1]. Ce titre fait clairement référence à son deuxième roman, Un Passager de l’Occident, et rappelle le travail subjectif effectué par Nabile Farès dans et par le texte ainsi que la quête d’une relation saine avec l’Autre.

Cliquer ici pour lire l’article à la source

Le train d’Erlingen, Boualem Sansal

Le train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu, Boualem Sansal

Le samedi 1° septembre, j’achetai le roman de Boualem Sansal, Le train d’Erlinger. 

Le lendemain, dimanche 2 septembre, eut lieu une importante manifestation de néo-nazis dans la ville de Chemnitz (ex RDA), en Allemagne, contre les « envahisseurs » (immigrés, réfugiés…), essentiellement musulmans.

« Si à nouveau des gens défilent aujourd’hui dans les rues en effectuant le salut nazi, notre histoire passée nous oblige à défendre résolument la démocratie » (Heiko Maas, ministre allemand des Affaires étrangères, AFP 02 septembre 2018)

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Dans son dernier roman, Le train d’Erlingen, Boualem Sansal développe une longue et profonde réflexion sur notre monde, « une chronique sur les temps qui courent », principalement sur les sociétés occidentales, naguère pourvoyeuses d’émigrants désirés par l’Amérique, et aujourd’hui cibles des immigrants du Sud majoritairement musulmans et de leurs « croyances pourries » et plus encore de l’islamisme (l’Islam ?) et sa « mainmise sur les zones fragiles de notre société ». L’auteur s’aventure – aussi – sur les terres opaques du questionnement de la liberté de conscience et donc de croyance, au risque d’alimenter la couche d’humus sur laquelle croissent l’amalgame et la stigmatisation. Le livre se clôt par plusieurs interrogations dont celle de savoir si le monde se dressera contre l’Islam ou s’il peut le soumettre, lui l’Islam (et non l’islamisme), dont « la mission est précisément de soumettre le monde » ? On est là autant dans de la littérature de témoignage « fondée sur une esthétique du vraisemblable » (Susan Rubin Suleiman, Le Roman à thèse) proche de La Soumission de Houellebecq, dans le développement d’une thèse – réitérée, une sorte de suite du précédent numéro –, que dans une fiction construite prodigieusement d’une main de maître. Ou peut-être dans un entre-deux.

La réflexion politique et philosophique, au centre de laquelle trônent côte à côte le transcendantalisme et la désobéissance civile de Henry David Thoreau ainsi que le discours-combat tenace désormais connu de l’auteur contre l’islamisme (l’Islam ?), est accompagnée ou portée par l’imaginaire complexe et enchanteur de l’auteur, qui non seulement invente « une terre nouvelle et un ciel nouveau » (G. Durand), mais aussi nous fait prendre la réalité pour  un fantasme et inversement.

Boualem Sansal, empruntant d’une certaine manière l’exergue des deux parties du livre à Dante écrit : «  Toi qui entres dans ce livre, abandonne tout espoir de distinguer la fantasmagorie de la réalité ». Et toute la difficulté vient de là justement. Comment raconter l’intrigue d’un roman complexe où se croisent des personnages « du monde réel » et d’autres « d’une réalité métamorphosée » de sorte que notre lecteur n’abandonne pas à la cinquième ligne ? Cela n’est possible que par la simplification que voici.

Dans sa forme le roman est constitué d’un prologue, de deux parties contenant une vingtaine de chapitres, d’un épilogue suivi d’un dernier chapitre et d’un Post-Scriptum (cf. infra). Deux personnages-clefs, deux femmes, chacune dans son espace-temps, rédigent des lettres à leur parente et prennent des notes en vue d’un futur roman. Les personnages vivent en France, en Allemagne, ou en Grande-Bretagne. Le premier, Léa Potier, écrit à sa maman Élisabeth. L’autre se nomme Ute Von Ebert, elle écrit à sa fille Hannah. Les écrits de Léa occupent la seconde partie du livre, ceux d’Ute la première. Commençons par la seconde partie.

Léa Potier

Léa est une jeune trentenaire qui vit à Londres. D’emblée elle nous apprend que sa mère, Élisabeth, est morte « bonjour ma maman chérie qui est (sic) au ciel ». Elle est morte un mois après sa sortie du coma à la suite d’une agression. Deux années auparavant elle prenait sa retraite, après avoir enseigné l’Histoire durant trois décennies dans un lycée de la Deuxième chance, « lycée Kaboul » ou « lycée Sing-Sing » dans le 9.3., département de la Seine Saint-Denis où elle habitait, dans un pavillon. Son agresseur, Laaziz, était un de ses anciens élèves. Léa a quitté la France où elle ne se considérait plus dans son pays. Il était interdit de parler des Serviteurs et de leurs croyances. « Par décret divin, ils ont nationalisé la Cité et lancé un puissant programme de soumission… Ils voulaient savoir si j’étais baptisée, si je portais une perruque… il y a eu du charabia derrière le voile… je suis née ici quand même, je ne suis pas un envahisseur… adieu la Seine-Saint-Denis, le cher 9.3 ! Étrangère pour étrangère autant l’être à l’étranger. »

Pour ne pas s’ennuyer et bien occuper sa retraite, Élisabeth répondit à une offre d’emploi en Allemagne pour « accompagner une enfant de onze ans dans son éducation », la jeune Cornélia (ou Nele) fille des riches Von Hornerberger. Léa suit avec bonheur la nouvelle vie de sa maman qui semble se plaire dans son nouveau travail. Lors d’un week-end, elle s’est rendue dans le port de Bremerhaven, au Musée des émigrés, puis un mois plus tard au musée de Hambourg. C’est pour la petite Cornelia qu’elle effectua ces déplacements. Il fallait à Élisabeth voir le port de Bremerhaven « cet endroit mythique d’où plus de sept millions d’Allemands embarquèrent pour l’Amérique au cours des 18 et 19° siècles. » Parmi ces émigrants, Victor Tamas Von Horneberger, l’arrière-grand-père de son employeur. Il embarqua en décembre 1831 sur le « Die neue Hansa ». Il fera « fortune dans la peau de castor », plus tard « dans l’exploitation des indigènes » en Amérique du Sud, avant de s’installer définitivement en Afrique du Sud où il devint Africaner, chef de police puis ministre des Mines. Ses descendants s’installeront à Londres et à Bremen.Toutes ces familles qui ont traversé l’atlantique pour le Nouveau Monde « ont vécu le mystère bouleversant de l’Exode, de l’Égypte vers la Terre promise, porteuses d’une espérance que rien ne pourra infléchir ». « Poussée par une force, Élisabeth s’arrêta devant un personnage de cire, un jeune homme petit, râblé, l’air rusé et entêté… qui s’appliquait de toutes ses forces à écrire une lettre ». Elle prit plusieurs photos du jeune homme et de la lettre qu’elle traduisit. L’émigrant s’adressait à ses parents, ses frères, sa sœur Ute, pour leur dire que tout allait pour le mieux. Cet homme de cire représente Ernst Hans-Günter Von Ebert qui avait embarqué sur le même bateau que l’aïeul des employeurs d’Élisabeth. Il était accompagné de son épouse Iris Wilhelmine Dana Rolf. Lui aussi fera fortune. Grâce à l’argent qu’il envoyait à sa famille, sa sœur Ute ouvrit une petite biscuiterie. Élisabeth voulait écrire une notice biographique sur l’arrière-grand-père de l’enfant et sur son voisin de voyage, qui, lui aussi, fit fortune en Amérique, sur sa femme, sur sa sœur Ute… Élisabeth « avait besoin de ces informations pour alimenter ses travaux pratiques », pour expliquer à Cornelia « qu’avec les autres il faut avoir des liens qui s’inscrivent dans l’histoire des siens et du monde. » 

La famille Von Ebert, du sommet à la base de la pyramide, et particulièrement Ute, la descendante et mystérieuse Ute responsable d’entreprise, a fait « une intrusion magique dans la vie de maman » écrit Léa qui veut comprendre ce qui lui est arrivé. En fait, deux histoires, l’une ancienne, l’autre inscrite dans notre temps, vont « converger vers Élisabeth et la prendre dans leur cours tumultueux ».

Lorsque le 13 novembre 2015, la France fut frappée par des attentats, Élisabeth quitta l’Allemagne pour rejoindre son pavillon. Il lui fallait faire quelque chose. Avec des amis elle se rendit à Paris pour se recueillir devant le Bataclan, cible d’un des attentats islamistes. Mais alors qu’elle revenait de ce rassemblement, elle a été violemment agressée dans le métro, place de la République, « par des malabars patibulaires, l’air de mauvais poil. Ils portaient la tenue réglementaire du moudjahid, blouson sur gandoura, pantalon parachute à mi-mollet, barbe en bataille, et une pastille nécrosée sur le front ». La France explosait sous la violence de ses islamistes, l’air était comparable à celui des années 40. Élisabeth fut hospitalisée. Elle plongea dans le coma durant quelques jours. Lorsqu’elle en est sortie elle « reprenait une figure humaine… elle parlait d’un monde que nous ne connaissions pas… elle s’adressait en allemand à des gens d’une autre vie… d’un ton fatigué, autoritaire même. » Élisabeth s’était-elle métamorphosée ? « Pour elle nous étions Hannah, Magda, Helmut ». Un autre monde, une autre réalité. L’infirmière dit « elle délire ». Puis elle revenait à la lucidité en remerciant ses amis d’être venus lui rendre visite, et sa fille d’avoir informé ses employeurs à Bremen. Elle avait mal à la hanche. Elle avait hâte de retrouver Cornelia. Léa dit avoir deux mamans en une. « Je lui téléphonais tous les jours et je me mettais à son diapason, je pouvais tomber sur maman et avoir une conversation bien familiale avec elle, comme je pouvais tomber sur Ute Von Ebert, mon autre mère en quelque sorte, et parler avec elle de toute autre chose, les menaces d’invasion et de fin du monde… » Sa conscience basculait sans que rien n’annonce le mouvement dit Léa. Et elle, répondait tantôt en étant Léa, tantôt en étant Hannah la fille d’Ute. « Hannah n’existait que comme rêve dans la tête d’un autre rêve nommé Ute. » Le médecin parlait d’oscillation de la conscience de soi non maîtrisée. Il y avait entre le monde d’Ute et celui d’Élisabeth « un lien par-delà le réel ». Léa n’a pas osé parler aux amis de sa mère, qui sont tous les jours à l’hôpital , car ils ne sont pas comme elle, elle Léa, dans la théorie mais dans la réalité. Léa intègre de plus en plus le monde d’Ute, celui de sa ville Erlingen (il existe bien une ville au nord-ouest de Munich qui porte ce nom, mais la première « une théorie inventée » par Ute n’a rien à voir avec la seconde.)

Ute Von Ebert

Ute Von Ebert, descendante d’Ernst Hans-Günter Von Ebert, est cette autre femme qui, comme Léa, rédige des lettres à un membre de sa famille – sa fille en l’occurrence, Hannah, qui réside à Londres – et des notes en vue d’écrire un roman. Ute est à la tête d’une grande entreprise de biscuits « mondialement connue ». La situation qui prévaut dans sa ville Erlingen qui est « infestée par les Ombres » (de la même engeance que celle qui hante – et pardonnez-moi – mon dernier roman, Le choc des Ombres) la panique. La ville est proche de l’anéantissement « la bombe n’est pas loin d’exploser ». Les jeunes fricotent avec l’ennemi, partagent ses idées. On dit « ennemi », mais le terme, une sorte de mot tronqué ou amalgame, « englobe toutes les hypothèses ». Ute est une radicale, elle est « pour le rentre-dedans et contre les services de déradicalisation » de ces gens, ces ennemis, ces « lâches et hideux » envahisseurs.

Le malheur de la ville, « le début de la fin », a commencé lorsque le Conseil communal, incapable et veule, plutôt que de se mobiliser pour défendre la ville, prit la décision d’organiser la fuite devant l’ennemi « ce mystère archaïque surgi du néant… des envahisseurs dont la croyance regarde l’abîme plutôt que le ciel ». Ute accuse les pacifistes, ce sont eux les responsables de la situation. Eux qui, avec d’autres, préparent la fuite de la population, « la déportation » par train. Les heureux élus « porteront un brassard jaune, les policiers les reconnaîtront et sauront les protéger… Où les emmènera-t-on, dans quels camps seront-ils entassés ? » Il est normal et juste pour Ute de faire disparaître les pacifistes comme tous les lâches. « On en est arrivé à penser que la défaite et la soumission sont une solution satisfaisante » devant l’ennemi qui approche d’Erlingen. L’humanité n’avait jamais rencontré un ennemi de cet acabit ». Son nom « Petit village 2084 bis ». Et nous suivons le regard ou le doigt de Boualem Sansal, dirigé vers La fin du monde. Un hameau métamorphosé, une sorte d’Abistan avant l’heure, devenu amnésique par la soumission imposée par le glaive, ou par la soumission adoptée. La métamorphose peut bien être aussi « un phénomène collectif. » Mais Ute est prise de remords. Elle compare les sournois envahisseurs d’aujourd’hui aux envahisseurs qui, comme ses aïeux, se sont jetés sur l’Amérique et sur ses peuples qui « furent dépossédés de leurs terres, de leurs cultures, de leurs âmes ». Elle dit « nous aussi nous avons été envahisseurs… chez les Ebert la religion et la vie c’est l’argent et la gloire… c’est dur pour moi d’être l’héritière d’Ernst l’esclavagiste et la gardienne receleuse de son immense fortune. » Mais des différences importantes semblent séparer les deux types d’envahisseurs. Comme le dit Ute « chez les Ebert la religion et la vie c’est l’argent et la gloire », or pour ces envahisseurs la gloire c’est « la soumission du monde » à leur vérité exclusive. Une autre différence, cette fois entre les Indiens et les Européens, tous deux « envahis », les Indiens n’ont, contrairement aux Européens, envahi aucun autre peuple, ni sont à l’origine des monstrueux drames humains passés et actuels liés au changement climatique (inondations, érosions, désertification, migrations…), à la mondialisation (extrême pauvreté, impérialismes, guerres…) Une vie souterraine faite de résistance s’est organisée dans Erlingen et sa banlieue. « Une bande d’excités – est-il écrit dans un rapport de police – se réunit dans une librairie libertaire et dans un parc à ferraille. Ute prend part à cette mobilisation contre les envahisseurs.

Mais la confusion voulue par l’auteur, où se croisent « réalité » et « fiction », persiste. Ute n’est pas dans sa peau, elle est dans celle que son rêve ou la fiction dictent « vous n’avez pas encore compris que nous sommes dans une fiction, un roman, la réalité ne se laisse pas abuser comme ça. » Nous sommes à la fois dans le roman et dans la confusion donc. À partir du rêve un petit film décousu s’est formé dans sa tête. Elle a mal à la hanche, elle y voit des bribes d’images, un train, un tunnel, des images qui explosent, une sirène… » des visages surgissent, elle entend des noms, celui de Léa, c’est que nous sommes – peut-être – à deux doigts de la place de la République et d’Élisabeth un certain novembre 2015. La confusion est totale. « Ce qui m’angoissait, ajoute Ute, c’est que dans mon rêve j’avais la parfaite conscience d’être dans le réel… oui je le savais, dans nos rêves la conscience est toujours là, dans un coin, veillant au grain, pour empêcher le naufrage dans la mort, pour nous rappeler que nous sommes dans la fiction, pas dans le réel… C’est affreux, quelque chose tourne en rond en moi, le réel et le rêve n’appartiennent pas à la même personne… comment savoir qui vit dans le rêve de l’autre et quel réel est à l’une et à l’autre… » Et si l’une est l’autre ? Il y a chez l’une comme chez l’autre, «  une quête de vérité que certains affirment posséder en exclusivité et vouloir imposer au monde. »

Architecture et écriture

Le roman se présente sous la forme de deux parties contenant des chapitres d’inégale longueur, 12 pour la première, 11 pour la seconde. Il faut ajouter un prologue, un  épilogue, un dernier chapitre et un Post-Scriptum.

Dans la première partie du livre, celle d’Ute, intitulée « La réalité de la métamorphose », on compte 12 chapitres : quatre notes pour la prévision d’un roman qui portent chacune un titre comme « Le début de la fin », « La vie secrète des Ebert »…, deux notes de lecture elles aussi portant un titre, cinq lettres à sa fille dont le début commence par des mots  écrits soit en italien soit en français,  et un « chapitre additif »

Dans la seconde partie du livre, celle de Léa, dont le titre est « La métamorphose de la réalité », il y a 11 chapitres : six notes en prévision d’un roman à écrire ( la première est « Le temps des migrants », les quatre autres portent ce même titre « Au croisement de deux histoires » suivi de sous-titres différents, sur les six notes trois sont suivies d’extraits bibliques), deux notes de lecture, trois lettres à sa fille. À la suite de cette seconde partie, il y a un épilogue, un chapitre à propos du roman (interne au roman) et un Post-scriptum. Celui-ci est un e-mail de la jeune Cornelia/Nele adressé à Léa.

Dès l’exergue du roman, celui de Boualem Sansal, en page 11, l’auteur adresse ses « pensées reconnaissantes » à nombres d’auteurs, tous ceux qu’il a convoqués pour étayer son « discours » comme Kafka à propos de la métamorphose, Henry David Thoreau (et par conséquent Emerson) concernant le transcendantalisme (un barbarisme !), Dino Buzzati avec Le désert des Tartares ou la recherche/l’attente inassouvie, Buridan et le paradoxe de l’âne, Dante et l’Enfer (Divine Comédie), Virgil Gheorghiu et Les immortels d’Agapia (Boualem Sansal se fourvoie-t-il ? car enfin cet auteur prêtre orthodoxe radicalement anticommuniste, fut diplomate sous le règne du premier conducator roumain – extrême droite – et antisémite dans les années quarante), mais aussi Charles Baudelaire, Albert Camus et Sisyphe qu’il faut imaginer, « pourquoi pas heureux dans son enfer », Prévert, La Fontaine, Voltaire, Proust, Dumas, Beaumarchais… et jusqu’à des auteurs anonymes comme ceux ou celui qui écrivit « Le Traité des trois imposteurs », livre qui exista bel et bien !

Boualem Sansal ne nous déçoit pas, tant s’en faut. Ni par son discours radical ou si l’on préfère celui d’Ute ou même d’Élisabeth, ni par son style toujours aussi pétillant quoique je trouve qu’il n’y a pas suffisamment de nuance entre les narratrices. Leur langage est proche, que ce soit dans les lettres à la mère/ à la fille ou que ce soit dans les notes pour l’écriture du roman dans le roman… Les interventions d’Ute ne sont pas égales. Tantôt elle s’exprime en chef d’entreprise, tantôt comme une citoyenne ordinaire, tantôt en utilisant un jargon improbable. On retrouve l’écriture de Boualem Sansal, mais peu ses grandes embardées comme dans certains de ses précédents romans caractérisés par l’emphase et l’amplification. Voici un extrait du roman :

« Je n’ose penser à ce qui a pu se commettre en ces terres d’islam, Mahomet est la prunelle des yeux d’Allah, les fidèles tueraient leurs enfants dans le ventre de leurs mères pour un seul de ses cheveux. Des rumeurs terrifiantes remontaient du Bosphore, le calife aurait envoyé des séides en Europe, à Amsterdam, Kiel, Oslo, Paris, Bâle, Genève, Lyon, partout où des éditeurs perfides se sont fait l’habitude de dénigrer la vraie religion et de moquer son prophète. Une liste de présumés coupables fut dressée, ils étaient voués à être enlevés et conduits devant le Grand Turc qui promettait de leur arracher le foi et de le dévorer cru, selon une certaine tradition arabique qu’il souhaitait actualiser et imposer sur les champs de bataille, tant pour le pouvoir d’excitation qu’elle exerce sur les troupes que pour le potentiel de terreur qu’elle exerce sur l’ennemi, et sur laquelle je me suis documenté tant elle m’a paru extraordinaire. »

Une perle, au-delà du discours.

Ahmed Hanifi, auteur.

Marseille, 10 septembre 2018

LE TRAIN D’ERLINGEN ou La métamorphose de Dieu

Boualem SANSAL_ Ed Gallimard- 2018. 248 pages.

Adieu Suzanne

Adieu Suzanne

C’était en 1973. J’avais l’âge de toutes les folies et même deux ans de plus. Et le diable au corps. Je me trouvais dans un pays lointain, aujourd’hui à deux clics de souris, à deux doigts donc. Mais à l’époque, ce pays qui nous faisait rêver était pour nous – nous la bande ‘Snouci and C°’ du quartier Michelet d’Oran –bande à laquelle s’est jointe Suzanne L. fraîche émoulue de La Sorbonne, enseignante à la fac de Lettres d’Oran Sénia – le bout du monde. Ce pays est la Suède. Je me trouvais en Suède donc et plus exactement à moitié allongé sur un sofa blanc dans un grand appartement de Farsta. Farsta est un joli bourg dans le sud de Stockholm. J’étais plus ou moins allongé avec dans la main une cannette de je ne sais plus trop quoi. Il me reste dans mes souvenirs qu’elle était sacrément énergisante. Dans la pile de vinyles j’avais choisi un morceau très en vogue, « Suzanne takes you down to her place near the river/ You can hear the boats go by/ You can spend the night beside her/ And you know that she’s half crazy… »

Dans l’appartement, qui était très spacieux, vivait une demi-douzaine de personnes, toutes – je le saurais plus tard – aussi sympathiques et farfelues que déglinguées. C’était Suzana, une fille que j’avais connue à Paris qui m’y avait invité. Nous avions fait le trajet ensemble en stop de la Porte de Clichy à Stockholm. Trois jours. Ce jour-là, un samedi, je m’en souviens bien car Suzana m’avait proposé d’aller voir ensemble Viskningar och rop de Bergman, à son retour. Elle était partie voir sa mère je ne sais plus où. Les autres co-locataires étaient eux aussi absents. « But that’s why you want to be there/ And she feeds you tea and oranges/ That come all the way from China/ And just when you mean to tell her/ That you have no love to give her » Les Suzanne m’envoutaient. De sa voix profonde Cohen nous embarquait auprès de lui, il nous invitait aux voyages les yeux fermés en toute confiance.

J’étais plus ou moins allongé en sirotant mon jus de je ne sais plus quoi, lorsque j’entendis un bruit de clé dans une serrure. Le temps de me retourner, un mec était planté là, un pack de Carlsberg V dans les bras. Il était bien éméché. Et même plus qu’éméché. Je me suis levé comme un soldat, prêt à se mettre au garde-à-vous. Que faire d’autre à 22 ans ? « Hi » j’ai dit en tendant la main, peu rassuré. Le gars m’a regardé un moment. N’a pas répondu à la main tendue. Il s’est affalé sur un fauteuil, puis a posé avec délicatesse le pack de bière sur une table basse. « U come here with Suzana, is n’t man ? » Et l’autre là-bas sur le tourne-disque qui se fichait de la situation et qui chantait encore « Then she gets you on her wavelength/ And she lets the river answer/ That you’ve always been her lover ». J’ai dit « Suzana, heu, yes, yes… » Je ne savais quoi dire en fait, car le type ne m’inspirait pas confiance. Le visage déformé il a baragouiné je ne sais quoi, a porté son bras droit dans la poche arrière de son pantalon pour en extraire un objet noir qu’il a tendu vers moi. « Cohen se fiche de moi » ai-je pensé. Il n’arrêtait pas. « And she shows you where to look/ Among the garbage and the flowers/ There are heroes in the seaweed/ There are children in the morning/ They are leaning out for love/ And they will lean that way forever/ While Suzanne holds the mirror » « This is for you guy » cracha le voyou. Le « this » signifiait l’objet qu’il tenait fermement dans la main. Et il disait qu’il me le destinait. Je n’avais pas trop vite saisi. Était-ce une plaisanterie ? Le gars ne souriait pas. Son regard, sa bouche, son visage, exprimaient plutôt de la colère. Je compris au terme d’un moment qui me parut une éternité que décidément non, le malfrat ne rigolait vraiment pas. Mais alors pas du tout. J’ai tenté d’entamer une discussion avec lui. Sur le bout des doigts ou des pieds. Plutôt des pieds. 

Le type était occupé à dégoupiller une Carlsberg, il cherchait dans sa poche avec sa main libre un instrument pour. L’autre main tenait fermement un révolver. Le moment était propice. J’ai réussi à m’extraire de la nasse qu’était devenu l’appartement, j’ai dévalé je ne sais comment les trois étages de l’immeuble, traversé la cour, suis sorti dans l’avenue, ai couru, couru, couru, sans me retourner jusque dans Djurgarden, un grand parc où se promenaient des centaines de personnes au sein desquelles je me suis fondu. Et j’entendais au loin Suzanne, « And you want to travel with her/ And you want to travel blind/ And you know that you can trust her/ For she’s touched your perfect body with her mind. » Je ne voulais rien d’autre que « voyager avec elle… voyager les yeux fermés » Je savais que je pouvais lui faire confiance… »

Le soir, lorsque la nuit se fut bien installée, Suzana me raconta l’histoire de ce type « il est un peu dérangé, il n’est pas méchant, non, il dit toujours qu’il va tuer quelqu’un. He always says that ! ». C’était en 1973. J’avais l’âge de toutes les folies et même plus.

Leonard Cohen est mort, mais pas Suzanne. Aucune des trois. La suédoise est grand-mère, l’égérie d’Oran a retrouvé Paris et Suzanne l’éternelle est en nous tous.  Elle sont toutes plus vivantes que jamais. Je les entends encore, quarante ans plus tard et quelques rides, me fredonner notre air préféré, « And you want to travel with her/ And you want to travel blind … » 

Si vous souhaitez rencontrer Suzanne, l’écouter, c’est simple. Cliquez ici : 

Oran, samedi 12 novembre 2016

NB : Léonard Cohen est mort il y a cinq jours,  ce lundi 7 novembre à Los Angeles. Il avait 82 ans

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