ALGÉRIE: JANVIER 1992 – JANVIER 2022, 30 ANS.

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JANVIER 1992. C’était donc il y a trente ans. L’Algérie basculerait bientôt dans l’horreur. Les ingrédients s’agrégeaient chaque jours un peu plus nombreux. Beaucoup ici parmi nous étaient adolescents ou pas nés. D’autres étaient (comme je le fus) jeunes, pleins d’espoir et de volonté. La désillusion est Grande aujourd’hui, mais pas définitive. Les jeunes algériens d’aujourd’hui sont magnifiques. Les batailles pour la liberté et la démocratie sont comme les petits cailloux que sème le Petit poucet, pour retrouver le bon chemin perdu … Il faut en semer chaque jour qui passe. Certains cailloux sont dévoyés, d’autres tiennent bon. Et il faut être très patient. L’Histoire n’avance pas à hauteur d’homme mais à la sienne propre. La lutte pour la liberté est donc un long, long, très long chemin. C’était donc il y a 30 ans. Je n’ai pris que quelques photos de documents que j’ai exhumés d’une armoire qui en regorge. 

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JANVIER 1992. C’était donc il y a trente ans. L’Algérie basculerait bientôt dans l’horreur. Les ingrédients s’agrégeaient chaque jours un peu plus nombreux. Beaucoup ici parmi nous étaient adolescents ou pas nés. D’autres étaient (comme je le fus) jeunes, pleins d’espoir et de volonté. La désillusion est Grande aujourd’hui, mais pas définitive. Les jeunes algériens d’aujourd’hui sont magnifiques. Les batailles pour la liberté et la démocratie sont comme les petits cailloux que sème le Petit poucet, pour retrouver le bon chemin perdu … Il faut en semer chaque jour qui passe. Certains cailloux sont dévoyés, d’autres tiennent bon. Et il faut être très patient. L’Histoire n’avance pas à hauteur d’homme mais à la sienne propre. La lutte pour la liberté est donc un long, long, très long chemin. C’était donc il y a 30 ans. Je n’ai pris que quelques photos de documents que j’ai exhumés d’une armoire qui en regorge. 

Il me faut ajouter ceci : parmi les premiers ingrédients de l’impasse, puis de l’horreur décennale enclenchée en 91 fut cette création le 30 décembre 91 du CNSA (dans les bureaux mêmes du ministre de l’information, Abou Bakr Belkaïd, un des piliers du régime en présence des responsables de l’UGTA, des patrons d’entreprises, UNEP, ANCAP, Khalida Messaoudi, RCD, Ettahaddi/PAGS…) pour officiellement barrer la route aux islamistes, mais réellement pour reconduire « le système » et barrer la route à la démocratie (tous ont échoué au 1° tour du 26.12.1991). L’Appel de Hocine Aït-Ahmed pour clamer haut et fort « Ni république intégriste, ni état policier » a rassemblé plus de 300.000 personnes dans les rues d’Alger le 2 janvier 1992 (du jamais vu). La presse a réussi, comme l’écrivait très justement El Kadi Ihsène dans La Nation N° 2 du 6 au 12/01/1993 à faire de « cette gigantesque marche populaire, de glissement sémantique en exégèse journalistique, ‘un refus du verdict des urnes’ » (Rappelons que la quasi-totalité de ces journalistes – y compris plus tard dans la presse privée (merci Hamrouche) soutenant directement ou non le régime – se revendiquaient de toutes sortes de libertés et de la démocratie. 

Au bout de l’impasse de l’impasse on courut au Maroc chercher Mohammed Boudiaf pour éteindre le feu. Lui qui avait dissous le PRS et juré dès janvier 1980 de se tenir à carreau. Il a foulé le tarmac de l’aéroport d’Alger le 16 janvier 1992 un peu hagard, un peu perdu… Dans ses discours, en tant que président du Haut Comité d’État (HCE) il parlait d’éradiquer la corruption à tous les niveaux « quel que soit le niveau de responsabilité des individus impliqués ». Il ne tiendra pas 6 mois. Il sera exécuté le 29 juin 1992 à Annaba par un officier du Groupe d’Intervention Spéciale (GIS). 

30 ans plus tard, le constat est terrible. La démocratie et la modernité ont perdu. L’Algérie a fait un prodigieux bond… en arrière. La société algérienne atrophiée s’est complètement « ‘‘islamisée’’ » (guillemets !) et le « Système » s’est redressé bien qu’il tienne encore, il avance sur deux prothèses en bois et son organisme est vieillissant. Très. Les remèdes actuels sont comme cautère sur jambe de bois et ne peuvent mener qu’à l’impasse. Une nouvelle impasse. La bataille n’est pas la guerre. 

Le Politique (organisations, débats…) faisant défaut, la chance des Algériens se niche peut-être, et vaille que vaille dans le biologique, dans les organes du corps humain y compris dans celui du ou des leaders maximo quels qu’ils soient. Je ne peux d’un revers de main, personne ne le peut, balayer toutes ces étoiles, toutes ces lumières, toutes ces rues chatoyantes et pacifiques. On ne peut balayer toutes ces immenses clameurs et espoirs qui ont parcouru les grands boulevards du pays il y a à peine quelques mois et bouleversé des millions d’hommes et de femmes à travers le monde à qui ils ont donné l’exemple ! Le Chili est devant nous. 

LA PLUS SECRÈTE MÉMOIRE DES HOMMES

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Ce qui suit est un entretien que Mohammed Mbougar Sarr a accordé à Jeune Afrique

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JEUNE AFRIQUE

CULTURE

30 décembre 2021 

Par Clarisse Juompan-Yakam 

Mohamed Mbougar Sarr : « La colonisation est une épine plantée dans la chair de l’ancien colonisé »

Sénégal, relations Afrique-France, homosexualité, et surtout littérature… Le Prix Goncourt 2021 a tenu Jeune Afrique en haleine avec une verve réjouissante.

Plus d’une cinquantaine d’interviews avec des médias internationaux tels la Deutsche Welle, le Financial Times ou encore le Guardian ; entre 2500 et 3000 exemplaires de son livre événement dédicacés dans une vingtaine de librairies à travers la France… Mohamed Mbougar Sarr tient ses comptes depuis le 3 novembre, jour de son couronnement par l’Académie Goncourt pour La Plus secrète mémoire des hommes, une enquête étourdissante entre le Sénégal, la France et l’Argentine, sur les traces d’un écrivain disparu des radars, qui questionne le pouvoir de la littérature et le face-à-face entre l’Afrique et l’Occident.

Considéré malgré lui comme un sacré phénomène, l’enfant de Diourbel a pourtant encore de la ressource : mots soupesés – et pas un seul de travers –, propos structuré, il nous tient en haleine durant deux bonnes heures, délivrant son discours sans flottement, avec une douceur et une autorité intimidante. Comme lors de ce savoureux échange de plus d’une heure sur le rôle de la littérature en politique avec christiane Taubira, ex-ministre française de la Justice, argument contre argument, citation contre citation. Un régal.

Fêlures et angoisse

Jeune homme bien dans son époque, mais profondément habité par la littérature, ce fils de médecin a déjà commencé, par petites touches, à constituer « une œuvre honnête », celle, dit-il, dont il n’aura pas à avoir honte. Remarqué dès 2014 après la publication de sa première nouvelle, La Cale, pour laquelle il reçoit le prix Stéphane-Hessel de la jeune écriture francophone, il est révélé en 2015 par Terre ceinte, son premier roman, qui lui vaut le prix Ahmadou-Kourouma puis le Grand Prix du roman métis.

Pourtant, Mohamed Mbougar Sarr confesse quelques fêlures, ainsi que son angoisse, obsessionnelle, de ne pouvoir un jour exprimer ce qu’il veut, de céder à la médiocrité ou de se prendre pour ce qu’il n’est pas. Et ce qu’il n’est pas, Mohamed Mbougar Sarr entend aussi le dire sur le continent, où il envisage d’effectuer une tournée. Une façon de se connecter à sa poésie pour être au plus près de l’esprit humain.

Jeune Afrique : Des polémiques sont apparues après votre couronnement par l’Académie Goncourt. Par exemple, l’un de vos textes, publié en 2013 – vous aviez 23 ans – et décrivant une foule sénégalaise se rendant à un concert de Youssou N’Dour, a été dénoncé comme étant raciste.

Mohamed Mbougar Sarr : J’étais en effet très jeune, mais ce n’est pas une excuse. Je savais déjà ce que j’écrivais. Exhumer de vieux écrits pour confondre leurs auteurs est un procédé classique. Je réalise que la moindre visibilité vous soumet au regard inquisiteur des autres : on fouille dans votre passé à la recherche d’une sorte de vertu ou de pureté absolue. C’est vain. Le texte en question est un exercice de satire et d’autodérision. Je m’inclus dans ceux que je moque. Je suis allé à ce concert que je raille. Lire ce texte au premier degré, c’est manquer son humour et sa distance ironique. Mais je comprends que la négrophobie qui, historiquement, passait aussi par le recours aux stéréotypes, à la caricature et à la satire, a tellement fait souffrir les Noirs que, aujourd’hui encore, diriger une satire – fusse-t-elle littéraire – contre eux est toujours mal perçu. Davantage encore quand l’auteur de la satire est lui-même un Noir. C’était un texte peut-être maladroit, mais, en tant qu’écrivain, je refuse de me cantonner à certains thèmes et genres littéraires parce que je serais noir.

JE DÉFENDS L’IDÉE D’UNE LITTÉRATURE OUVERTE, OÙ TOUS LES IMAGINAIRES TROUVENT LEUR PLACE

Justement, on vous reproche d’écrire pour les Blancs…

Je ne suis pas toujours certain de comprendre ce procès, qui relève plus de l’idéologie et de l’identité que du poétique et du littéraire. J’y sens presque, parfois, un fond de mépris pour les Africains, qu’on peut finir par infantiliser à force de vouloir les particulariser, comme s’ils n’étaient pas en mesure d’être de vrais lecteurs. Que signifierait écrire pour les Africains ? Écrire sur des thèmes africains (à supposer qu’on sache ce que seraient ces thèmes) ? Écrire dans des langues africaines (étant entendu qu’il ne suffirait pas d’écrire dans ces langues pour être lu des Africains) ? Je défends l’idée d’une littérature ouverte, où tous les imaginaires trouvent leur place. Je suis africain, sénégalais, sérère. Mon imaginaire l’est tout autant et, qu’on le veuille ou non, cela ressurgit dans mes textes.

Votre roman De purs hommes, qui traite de l’homosexualité et de l’homophobie au Sénégal, a reçu de l’association Verte Fontaine et des éditions du Frigo, le « Prix du Roman gay », ce qui vous a valu les foudres de certains sur les réseaux sociaux et sur le continent, où ces sujets dérangent. C’est un cadeau empoisonné ?

Je trouve étrange qu’il arrive maintenant, pour un roman paru il y a trois ans. J’ai été surpris mais cela m’a aussi fait sourire: le prix Goncourt produit de pareils effets : beaucoup en veulent un morceau.

Vous ne le reniez pas ?

Au fond, ce prix m’indiffère, mais je me serais bien passé de la polémique qu’il a générée, qui me prête des intentions invraisemblables et m’éloigne de la littérature. [Il a été accusé d’être sous l’influence des lobbys LGBTQIA+, ndlr]. Désormais, quelle que soit la position que j’adopte, elle pourrait m’être reprochée par quelques-uns. C’est la rançon de la surexposition médiatique. Je dois accepter de vivre avec, c’est-à-dire, ne pas répondre à toutes les polémiques, refuser de comparaître devant tous les tribunaux institués pour clarifier des positions. Mon tribunal, c’est ma conscience. Mes juges, ce sont mes livres. Je voudrais demeurer un écrivain, quelqu’un assume ces moments de tensions créés par le langage littéraire, lequel est subtil, ambigu, fait de malentendus. Cette ambiguïté, dérangeante pour certains, moi m’intéresse.

Avez-vous été blessé par ces attaques ?

Certaines, violentes, étaient dirigées contre ma famille. Elles me touchent, mais ne m’ébranlent pas. J’essaie de comprendre les logiques profondes de ces réactions, mêmes les plus abjectes d’entre elles. Écrire, c’est prendre le risque d’être jugé et incompris. Je ne suis pas le premier écrivain dans cette situation. Je ne serai pas le dernier. Je remercie en tout cas toutes les personnes qui ont défendu la liberté de créer et de s’emparer de tous les sujets dans une perspective romanesque. Il ne s’agissait pas seulement d’un lynchage : il y a aussi eu débat, et il dépassait ma personne pour toucher à des principes.

N’y-a-t-il pas un décalage entre la réalité et les tabous que sont pour la société sénégalaise la sexualité, l’homosexualité, l’avortement ?

Comme la plupart des sociétés africaines, la société sénégalaise a été brutalement projetée dans la mondialisation. Les grandes questions sociétales se posent désormais à elle dans des termes qui lui sont étrangers. Par exemple, lors de la parution de De purs hommes, certains m’ont soutenu que « l’homosexualité [venait] de l’extérieur. » Or les études scientifiques prouvent qu’elle a toujours été présente sur le continent. Mais comment étaient-elles présentes ? Sous quel mode  ? Là est la question. En réalité, les sociétés africaines ont toujours su intégrer toutes les minorités. Elles ont toujours eu des structures et stratagèmes d’intelligence sociale, que les colonisations ont précisément détruites. Aujourd’hui, parce qu’il y a ce contact avec l’extérieur, européen ou arabo-musulman, l’homosexualité devient paradoxalement un tabou, là où, à une époque, elle était digérée par un génie social, culturel et traditionnel africain. Aujourd’hui, suivant des logiques occidentales, et de façon brutale, on soulève la question de sa dépénalisation. Cela provoque des crispations au sein des populations, persuadées qu’on veut leur imposer un modèle de société. On en arrive ainsi à des violences homophobes.

N’est-ce pas assez hypocrite ?

Les choses se savent, se vivent, mais ne doivent surtout ni se dire ni s’écrire. C’est la définition la plus exacte de l’hypocrisie : savoir et ne pas vouloir se l’entendre dire.

Dans La plus secrète mémoire des hommes, vous racontez l’histoire d’un écrivain qui se lance à la poursuite d’un auteur disparu, dont l’unique roman a marqué l’histoire de la littérature africaine et française. Qu’est-ce que ce récit dit de la relation entre l’Afrique et la France ?

Il rappelle un mouvement de civilisation et un moment historique, où le racisme était présent partout, y compris dans la littérature. Racisme et préjugés pesaient alors beaucoup dans l’accueil réservé aux auteurs africains en France. Et Paris seule décidait de la valeur de ces écrivains, les encensant parfois avant de précipiter leur chute. Au-delà de l’histoire de cet écrivain fantôme, je tente de disséquer cette relation complexe entre deux espaces. Le premier, qui a été – s’est crû ou se croit encore – central, s’est arrogé le droit de dominer et coloniser l’autre. Fort de sa position, l’un dénie parfois à l’autre le droit de s’exprimer sur leurs relations, sur lui-même et sur l’ancien colonisateur. J’essaie de montrer comment la colonisation a pu, à travers un personnage d’écrivain, être un espace de domination, d’ambiguïté et d’exclusion, mais aussi d’amour et de relations puissantes. Le récit interroge non seulement les structures de l’échange littéraire africain, mais aussi le face-à-face entre l’Afrique et l’Europe, qui seraient vouées à se regarder en chiens de faïence.

Les deux parties semblent désormais d’accord sur un point : il faut en finir avec ce face-à-face.

Comme je le dis dans le livre, la colonisation est une épine plantée dans la chair du colonisé, et toute la question est de savoir comment continuer à vivre avec cette épine sans plus être obnubilé par elle et en lui ôtant le privilège de nous faire souffrir et d’emprisonner notre mental. Beaucoup s’imaginent qu’il n’y a qu’une seule manière de le faire.

Et quelle serait-elle ?

La rupture, définitive, radicale. Ceux qui la prônent voudraient cesser toute relation avec la France, ce qui est inenvisageable pour la simple raison que le monde est interconnecté. De plus, l’histoire tragique que l’Afrique entretient avec le continent européen a aussi fait naître des histoires individuelles et familiales entre ces deux espaces. Rompre avec l’Europe voudrait alors dire introduire des cassures, des désordres dans les trajectoires des familles, qui sont d’ici et de là-bas. Quelle relation aurait-on alors avec la diaspora ? Il ne faut pas voir les choses de manière abstraite et idéologique. Lutter contre l’impérialisme et le néocolonialisme est une cause noble a priori. Reste à gérer les complexités historiques de la mise en œuvre de ce combat. Il faut aussi admettre qu’il existe d’autres voies, plus apaisées, qui tentent, en établissant le dialogue, de poser des questions qui sont tout aussi radicales dans la mesure où elles touchent au fond des choses. Et ça passe aussi par un déplacement géographique. Tournons-nous, par exemple, davantage vers le continent sud-américain. Identifions ce que nous pourrions avoir d’intéressant à construire ensemble, afin de sortir de la relation exclusive avec l’Europe, qui devient toxique.

LE PANAFRICANISME EST UNE BELLE UTOPIE DIFFICILE À METTRE EN ŒUVRE

Le panafricanisme peut-il être l’une de ces voies ? A-t-il encore un sens ?

Je crois en l’idée. Elle me séduit dans ses expressions individuelles et locales, mais son échec, à l’échelle des grands ensembles, est patent. Même les grandes organisations continentales ne travaillent pas à le faire vivre, et donc échouent à se faire entendre sur des sujets essentiels comme la présence des armées étrangères en Afrique ou le franc CFA. Ces sujets sont portés par des activistes, parfois par des intellectuels, jamais par de grandes institutions politiques. Ce caractère inaudible me conforte dans l’idée que le panafricanisme est une belle utopie difficile à mettre en œuvre. La seule difficulté à voyager librement à l’intérieur même du continent africain pousse au désenchantement.

Beaucoup veulent pourtant que la relation Afrique-Europe évolue.

Tout le monde le veut. Mais il suffit de proposer des solutions pour assister à une levée de boucliers. Dire qu’on veut améliorer les rapports, c’est aussi accepter de prendre en compte l’autre protagoniste. Or c’est cette prise en compte de l’autre qui est vilipendée. Mais il faut se dire qu’on ne change pas une relation seul.

Cet autre, c’est la France. Emmanuel Macron fait-il vraiment ce qu’il faut pour réparer la relation Afrique-France ?

Oui et non. Il fait ce qu’il peut et ce qu’il doit. Son désir, sincère, de faire évoluer la relation n’entre pas en contradiction avec sa volonté, tout aussi sincère, de préserver les intérêts français sur le continent. Il a bien conscience que la relation de jeunes Africains à l’Hexagone change. Et, sans doute parce qu’il appartient à une génération différente de celle de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron tente de leur apporter des réponses ou des garanties. Cela ne prend pas toujours les formes les plus pertinentes et ne réussit pas toujours non plus, mais il essaie. Il a multiplié les gestes bien plus qu’aucun autre président français ne l’avait fait avant lui, mais il peut et doit aller plus loin.

La restitution des objets d’art spoliés fait partie de ces gestes censés contribuer à réparer la relation. À ce jour, seuls 28 ont été rendus, sur plus de 90 000 officiellement répertoriés. On est loin du compte.

Ce chiffre peut sembler dérisoire, mais le processus est enclenché. Je préfère retenir les scènes, touchantes, de l’accueil au Bénin des pièces de retour au bercail. Ça continuera. À condition que les États africains n’arrêtent pas de les réclamer. Côté français, il serait souhaitable qu’une loi-cadre voit rapidement le jour.

D’un point de vue philosophique, en quoi est-ce si important que ces objets soient restitués ?

Posez la question aux peuples qui se sont sentis dépossédés de ces figures-là – je dis bien figures. Parler d’objets, comme le dit si bien Felwine Sarr, est une manière anthropologiquement coloniale de nommer des statues. Or, dans nombre de nos cultures, ce sont des sujets vivants ou dépositaires de vies, des ancêtres qu’on voudrait voir revenir. Évidemment, cette dimension spirituelle ou philosophique ne vient pas immédiatement à l’esprit quand on évoque le développement du continent ou la résolution de ses problèmes sociaux les plus élémentaires. Ce n’est pas nier ces autres urgences que de s’en préoccuper.

LA COLÈRE DES JEUNES AFRICAINS N’EST PAS UNIQUEMENT DIRIGÉE CONTRE LA FRANCE, MAIS CONTRE L’IMPÉRIALISME SOUS TOUTES SES FORMES, QUI LES PRIVE DE TOUT HORIZON

Pourquoi le sentiment anti-français semble plus qu’exacerbé en dépit de ces gestes ?

Je ne crois pas en un sentiment antifrançais spécifique. C’est une colère générale, plus diffuse, née de frustrations diverses et d’un désespoir profond, qui englobe la suspicion et la méfiance envers les élites politiques françaises. Il ne serait pas juste de l’en isoler. Il anime surtout les Africains les plus jeunes. Leur colère n’est pas uniquement dirigée contre la France, mais contre l’impérialisme sous toutes ses formes, qui les prive de tout horizon. Une part de ce mécontentement est d’ailleurs orientée contre les élites africaines elles-mêmes, qu’ils tiennent aussi pour responsables de leur désespérance, et va de pair avec le sentiment que le France soutient et parfois légitime les gouvernements qui les oppriment. S’il est souhaitable de discuter sans complaisance avec la France, nous devons aussi prendre nos responsabilités en exprimant clairement nos aspirations politiques et en interpellant nos propres gouvernements. Par exemple, sur le tripatouillage des Constitutions, qui ne relève pas directement du fait colonial…

Quel regard portez-vous sur l’état de la démocratie en Afrique ?

En Afrique de l’Ouest, la région que je connais le mieux, j’ai toujours l’impression qu’on est dans « un régime démocratique de basse intensité », comme dit très justement mon ami Elgas, c’est-à-dire une démocratie de pure forme, où les instruments permettant de la mettre en œuvre concrètement n’existent pas. Nos structures sont là, elles sont anciennes, elles se reproduisent. Il suffit qu’une élection se passe à peu près sans encombre dans un pays pour qu’on salue sa vitalité démocratique et que ses dirigeants s’en vantent alors même que leurs populations ne l’expérimentent pas au quotidien, dans des attitudes citoyennes, dans des débats d’idées, dans l’existence de contre-pouvoir, dans la liberté de la presse. C’est absurde et humiliant.

Le Sénégal ferait partie de ces démocraties au rabais ?

Parce que ses structures de base étaient solides, il a été pendant longtemps été perçu comme un modèle de démocratie. Je m’inquiète de plus en plus des relations entre les différents pouvoirs, entre l’exécutif et le judiciaire, notamment – même si je ne peux nier que la liberté de la presse est une réalité. Les dix dernières années ont vu l’apparition de mouvements citoyens jeunes, forts – critiquables peut-être pour leur absence de projet clair -, qui se sont installés parce que les institutions avaient failli.

J’ESPÈRE FORTEMENT QUE MACKY SALL NE SE REPRÉSENTERA PAS. IL AURAIT AINSI LES COUDÉES FRANCHES POUR MENER À TERME SES DIFFÉRENTS PROJETS POUR LE SÉNÉGAL

Ces mouvements qui sont apparus dans plusieurs pays pourraient donc constituer l’autre terme d’une alternative ?

Je n’aime pas ce terme. Il impose l’idée d’un homme providentiel, prêt à sauver le monde. Finissons-en avec la mythologie du salut. Mais, oui, ces mouvements fournissent des exemples de ce que pourrait être un régime démocratique plus direct. Il faudrait interroger davantage la place du parlementarisme dans nos sociétés. Nos assemblées nationales ont-elles encore du sens ? Je n’en suis pas sûr. Il faudrait réfléchir à des modes de gouvernement ou de distribution des pouvoirs qui engageraient davantage les citoyens et les éduqueraient ainsi à une vie démocratique pleine et entière, vécue sur le plan individuel – ce qui suppose de savoir ce que vivre en citoyen démocrate signifie exactement. Il faudrait partir de la base et ne plus s’enfermer dans des armatures dites démocratiques.

La démocratie implique-t-elle forcément la limitation du nombre de mandats ?

Ce n’est pas le seul critère, mais il est fondamental. J’accorderais bien un satisfecit au Ghana, qui a réglé la question du renouvellement de la classe politique et des mandats à vie, ce qui permet au pays de se consacrer à des sujets essentiels comme la santé, l’éducation, le développement. En Afrique francophone, nous perdons un temps fou parce que nos Constitutions sont fragiles, manipulables avec une facilité désarmante et accablante.

Le président Macky Sall devrait donc s’abstenir de se représenter ?

J’espère fortement qu’il ne se représentera pas. Il aurait ainsi les coudées franches pour mener à terme ses différents projets pour le Sénégal. Pour en avoir discuté avec lui lors de son passage à Paris, je sais qu’il en a un certain nombre. Il lui serait tellement plus simple de s’en occuper s’il était libéré de l’équation du troisième mandat. L’exemple du président Abdoulaye Wade devrait suffire à l’en dissuader. En mars 2021, le président a eu un aperçu de ce dont la jeunesse révoltée est capable, même si cette colère-là n’était pas motivée par son éventuel troisième mandat. La population jeune est si désespérée qu’aller mourir dans la rue lors de manifestations lui semble d’une grande banalité.

Qu’est-ce que le retour des coups d’État au Mali, en Guinée et, dans une certaine mesure, au Tchad inspire au militaire que vous avez failli être ?

Cela m’effraie. Légitimer un coup d’État, c’est oublier la menace d’illégitimité qui pèsera ensuite sur le pouvoir ainsi arraché et qui, tôt ou tard, aura raison de lui. Et, tôt au tard aussi, consacrera une instabilité institutionnelle et militaire. Faire un coup d’État, aussi justifiable soit-il, c’est ouvrir la porte à d’autres coups de force. Que les populations descendent dans la rue pour protester et prendre leur destin en main est appréciable. Mais quand l’armée s’en mêle, c’est toujours inquiétant. Plus encore dans un pays comme le Mali, en proie à la menace terroriste. 

Au Sahel, malgré la présence des troupes françaises, on échoue à éradiquer le terrorisme. Pourquoi est-ce si compliqué de venir à bout des insurrections jihadistes ?

C’est un phénomène difficile à circonscrire, à expliquer et à combattre. Les défaillances militaires à elles seules ne peuvent expliquer l’échec de la lutte contre le jihadisme dans cette zone immense, où les frontières compliquent les contrôles et où les modèles de jihadisme diffèrent suivant les pays. Tant qu’il n’y aura pas de réflexion politique élémentaire impliquant que chaque pays africain se sente solidaire du pays menacé, tant qu’on laisse aux autres le soin de s’en occuper, la lutte sera inefficace. Les crises multiples et incessantes du Sahel prouvent que, malgré le G5, il y a un déficit de coopération entre les États. Il faut des actions politiques, militaires et sociales transnationales. Ces crises révèlent aussi la faiblesse de nos armées, lesquelles parviennent pourtant à renverser des chefs d’État.

LES ATTENTATS TERRORISTES RELÈVENT TOUJOURS D’UNE VISION STRATÉGIQUE CLAIRE, AVEC UN PROJET D’OPPOSITION, DE CONQUÊTE ET DE RENVERSEMENT CIVILISATIONNEL

Les insurrections jihadistes posent aussi la question de l’islam politique. Les attentats contre la France étaient-ils un acte de rejet du mode de vie occidental, une riposte aux frappes françaises contre l’État islamique, relèvent-ils d’une pensée stratégique articulée ou d’un simple acte de barbarie ?

Je le dis depuis mon premier roman, Terre Ceinte. Les attentats relèvent toujours d’une vision stratégique claire, avec un projet d’opposition, de conquête et de renversement civilisationnel. C’est aussi cela qui nourrit et fait la force de tous ces mouvements jihadistes autour de l’État islamique. Réduire ces attentats à des représailles, c’est ignorer toute l’idéologie qui se construit depuis de très longues années. Une telle idéologie ne peut se fonder sur la simple idée de représailles. Certes la haine de l’Occident existe et entre dans l’idéologie mais elle ne constitue pas la seule motivation ou le seul principe. Il y a une pensée, structurée, qui peut être de la barbarie. Ça pose des questions philosophiques sur ce que seraient la barbarie, la civilisation ou l’humanité. Reste que les jihadistes sont des êtres humains qui réfléchissent, qui veulent davantage de pouvoir et qui veulent dominer, au même titre que la civilisation occidentale a dominé pendant de longs siècles toute la planète. C’est leur projet et il passe par cet affrontement-là.

Dans Terre Ceinte, il est question de colonisation et de la Shoah. Quel lien établissez-vous entre les deux ? Était-il important de les évoquer dans le même ouvrage sachant que certains n’hésitent pas à se livrer à des batailles mémorielles ?

Il est indécent de parler de concurrence mémorielle. Hiérarchiser les souffrances, les évaluer suivant des critères oiseux, comme la durée, le nombre de morts ou l’exceptionnalité historique, c’est tomber dans le piège de la concurrence des mémoires qui fait perdre de vue le caractère spécifique – le moment historique particulier où ça s’est produit – de toutes ces tragédies, ainsi que les souffrances des individus, qui se valent les unes les autres, dans ces grandes catastrophes humaines. Ces horreurs, qui font honte à toute l’humanité, ne doivent plus arriver et leur mémoire doit être entretenue à cet effet. Il faut donc situer les responsabilités et raconter l’histoire le plus lucidement possible. Chercher à savoir comment cela s’est produit, pourquoi, que faire pour que cela ne se produise plus. De mon point de vue, ce sont ces regards historiques qu’il faut poser tant sur l’esclavage que sur la Shoah et la colonisation.

Vous écrivez en français. La question de la langue peut, elle aussi, se révéler très politique. À votre avis, la francophonie ne consacre-t-elle pas le rapport de domination politique.

La francophonie, c’est d’abord la conscience d’une langue en partage. Disant cela, j’évacue le piège qu’installe le rapport entre centre – la France – et périphérie – les autres pays membres. Personnellement, je ne subis pas ce rapport de domination. Mais, s’il existe, il faut s’en défaire. Le centre de la francophonie de doit pas être en France car le français appartient à plusieurs millions d’autres locuteurs, sans que ceux dont ce n’est pas la langue maternelle soient assujettis aux autres. Je n’ai pas le complexe du français ou devant le Français.

À QUOI SERT UN ESPACE [FRANCOPHONE] S’IL EST IMPOSSIBLE D’Y CIRCULER, Y COMPRIS ENTRE PAYS AFRICAINS ?

 Faites-vous allusion à la francophonie culturelle et linguistique?

Il y a une francophonie plus politique et plus institutionnelle qui a du mal à peser. Récemment encore, lors des discussions dans le cadre du comité Mbembe, chargé de réfléchir à la refondation de la relation Afrique-France, la question d’un visa francophone pour faciliter la mobilité s’est encore posée. À quoi sert un espace s’il est impossible d’y circuler, y compris entre pays africains ?

Vous avez déclaré que votre prix est un signal fort adressé à la francophonie.

Il dépasse à la fois ma personne et le livre lui-même. Je ne peux ignorer le symbole qu’il représente. Il doit pouvoir dire à tous les écrivains subsahariens (mais aussi d’ailleurs) d’expression française : « Cette langue est aussi la vôtre, vous pouvez l’utiliser pour écrire des œuvres qui seront saluées. » Mais ça ne doit pas rester un signal exceptionnel. Il ne faudra pas attendre un siècle de plus pour  couronner un autre Subsaharien.

Votre roman place en arrière-plan l’écrivain malien Yambo Ouologuem, prix Renaudot 1968 tombé en disgrâce sous des soupçons de plagiat. Avez-vous l’impression de l’avoir réhabilité ?

Je m’inscris dans une grande tradition de personnes qui, en Occident comme sur le continent, ne l’ont jamais abandonné, n’ont jamais voulu l’oublier et qui lui ont consacré au fil des décennies des hommages sous des formes diverses. C’est le cas de l’universitaire Jean-Pierre Orban, qui a ainsi réédité, en 2015, Les Mille et une bibles du sexe. J’ai écrit sur Ouologuem, à ma manière, pour lui payer ma dette, parce qu’il m’a aidé à devenir l’écrivain que je suis. La lecture du Devoir de violence, en particulier, m’a structuré. Si La Plus Secrète Mémoire des hommes peut permettre de relire ses livres sans préjugés, je peux assumer cette forme de réhabilitation-là.

Mais l’avez-vous innocenté ? Selon vous, les auteurs empruntent les uns aux autres, et toute l’histoire de la littérature est celle d’un grand plagiat.

On n’innocente pas un innocent. Il l’était. Parce qu’il concevait la littérature comme un grand espace de jeu à l’intérieur duquel la référence, l’intertextualité et l’hommage occupent une grande place. On n’a pas voulu voir cette inventivité-là, celle des vrais écrivains qui s’autorisent tout dans cet espace réservé. Je reviens sur sa vie pour représenter au monde cet écrivain qui aurait pu construire une œuvre magnifique mais qu’on a perdu parce qu’on lui a dénié le droit d’être singulier. On le lui a dénié parce qu’il s’appelait Ouologuem, c’était à la fin des années 1960, il était jeune, il affichait une insolence qui agaçait autant l’intelligentsia africaine que l’élite culturelle française. On ne lui a pas reconnu le droit de ne pas se plier aux injonctions que les deux bords semblaient lui adresser.

Quels sont les autres auteurs africains qui vous séduisent ?

Ils sont nombreux. Malick Fall, auteur très tôt disparu de La Plaie – récemment réédité par Jimsaan. Il présente quelques similitudes avec Le Devoir de violence. Parus la même année, en 1968, ils sont les œuvres quasi uniques de deux auteurs majeurs, auxquels j’ajouterais Ahmadou Kourouma, auteur de Les Soleils des indépendances. J’apprécie Valentin-Yves Mudimbe, pour ses romans, et, bien sûr, Ken Bugul, qui m’a inspiré le personnage de Siga D dans La Plus Secrète Mémoire des hommes. Boubacar Boris Diop et moi ne partageons pas les mêmes positions idéologiques, mais il reste important pour moi sur le plan de la fiction romanesque. Je suis très proche de Sami Tchak avec qui j’entretiens des relations presque filiales mais aussi très amicales, et dont le roman Hermina a été une source d’inspiration directe. Nous discutons beaucoup de nos goûts littéraires, de ce que nous essayons de faire, de notre travail, des sujets concernant le continent africain, aussi. Je lis de plus en plus Leonora Miano, que je trouve très stimulante, même si je ne partage pas toujours ses idées. Chacune de ses prises de position sur un sujet vous invite toujours à clarifier la vôtre. La liste des écrivains africains que j’admire serait longue. Je vous enverrai un jour, promis, ma bibliothèque idéale africaine, qui inclurait les anglophones et les écrivains du Maghreb.

Et Mongo Beti ?

J’ignore s’il aurait aimé mon roman. Mais il est important pour moi. Il assumait le fait d’être une conscience. Il ne reniait ni ses engagements ni ses prises de position, au prix parfois d’une certaine méchanceté à l’égard de ses confrères. Ses railleries à l’encontre de Camara Laye et Ahmadou Kourouma étaient injustifiées : drôles et féroces, mais un peu faciles.

L’ENGAGEMENT EST TOUJOURS LA RENCONTRE D’UN TEMPÉRAMENT D’AUTEUR ET D’UNE SENSIBILITÉ DE LECTEUR. JAMAIS ABSOLU, IL EST TOUJOURS RELATIF, FRAGMENTAIRE

Et hors du continent, il y a poète, romancier et nouvelliste chilien Roberto Bolano, à qui vous devez le titre de votre roman ?

Oui, il a changé radicalement ma conception de l’écriture en me faisant prendre un tournant décisif, jusqu’à la rédaction de La Plus Secrète Mémoire des hommes. Cela pourrait conforter ceux qui m’accusent d’avoir des « références de Blancs ». C’est ignorer que Sony Labou Tansi s’est inspiré de Gabriel García Márquez, lequel s’est lui-même inspiré des traditions africaines transbordées à Cuba ou à Haïti. Et il existe un « Bolano africain », qui parle du continent comme nul autre. Il situe plusieurs de ses actions dans l’Afrique des années 1980 – 1990, notamment dans Les Détectives sauvages. Son propos sur l’atmosphère d’instabilité politique au Liberia, tout en poésie et sans vision coloniale exotisante, est particulièrement juste, alors qu’il n’y a jamais été. C’est cela la littérature : un voyage, une ouverture, un continent à part qui englobe tous les autres.

Un écrivain doit-il forcément être engagé ?

Oui, au moins dans et pour l’écriture. L’engagement le plus significatif est existentiel. Les grands livres contiennent toujours l’âme et l’esprit de leurs auteurs, qui s’y projettent. Pour ce qui est de l’engagement politique, il ne lui suffit pas à un auteur de le clamer ou de le vouloir pour que son œuvre le révèle. L’engagement est toujours la rencontre d’un tempérament d’auteur et d’une sensibilité de lecteur. Jamais absolu, il est toujours relatif, fragmentaire.

Et quels intellectuels africains admirez-vous ?

Felwine Sarr, pour ses multiples travaux, Achille Mbembe pour l’importance de son œuvre, Fabien Eboussi Boulaga, Cheik Anta Diop, Léopold Sédar Senghor, Sophie Bessis… Au-delà des clivages qu’il peut y avoir entre eux, je les estime. Ma considération n’implique pas une adhésion à leurs idéologiques, mais à l’intérêt que leur pensée ou leur œuvre occupent dans l’histoire des idées. Je peux admirer Souleymane Bachir Diagne aussi bien que Boubacar Boris Diop.

Vous abordez une multitude de thèmes touchant à la littérature. L’édition française en prend pour son grade car vous épinglez les écrivains qui écrivent avec trois mots, la critique pour laquelle tout se vaut, les éditeurs qui fabriquent des produits marketés…

Je force le trait pour attirer l’attention sur l’absence de réelle foi dans la littérature, sur le fait que l’exigence est considérée comme contreproductive car peu commerciale, sur la standardisation et l’uniformisation des œuvres dans le seul but de vendre. C’est une conception éloignée de ce que devrait tenter de faire la littérature : un lieu de connaissances, d’élucidation du monde et de soi, de questionnements toujours plus profonds et plus philosophiques. La littérature doit renoncer uniquement aux clichés – c’est-à-dire à tout ce qui est déjà installé dans une langue donnée – pour tenter de trouver, sous cette langue usuelle et ordinaire, une autre langue, poétique, qui nous interroge mieux, questionne tous les phénomènes du monde en les soumettant à une lumière exigeante. La grande littérature tend vers cette exigence poétique.

L’année 2021 est une année de grande moisson littéraire pour les écrivains africains. Cela préfigure peut-être un âge d’or ?

Il y a toujours eu d’immenses écrivains sur le continent. Peut-être les institutions littéraires se rendent-elles compte que leurs palmarès présentent quelques anomalies et cherchent à découvrir et à mettre en avant cette littérature. Ce n’est pas simplement pour obéir au politiquement correct. Tous les livres primés sont indéniablement de belles œuvres. On arrive peut-être à une époque où, massivement, les œuvres sont reconnues sans que cela ressemble de façon trop évidente à des calculs équilibristes visant à contenter tout le monde. Ces récompenses s’inscrivent dans un moment qui me semble être celui de l’effort fait sur le continent pour la promotion de la littérature. Et ça passe notamment par la création de maisons d’édition qui tentent de se structurer par la création de prix littéraires. Comme le prix Ivoire, qui s’installe dans le paysage. En somme, l’institution littéraire africaine, bien qu’encore balbutiante, fait un mouvement qui, par un jeu de domino, finit aussi par se répercuter dans les grandes institutions internationales. Il faut souhaiter que ça se poursuive.

Comment avez-vous reçu la petite phrase du président de l’Académie Goncourt, Didier Decoin, soulignant les « tournures africaines » de certaines de vos phrases ?

C’était sans doute une petite maladresse, mais sans malice. Didier Decoin a aussitôt ramené le livre vers la littérature et l’a bellement défendu comme œuvre littéraire. Mais au-delà de ce petit épisode, plus généralement, je constate qu’il y a parfois une sorte de malaise à parler en Occident des œuvres d’Africains. L’imaginaire colonial pèse encore sur le langage de l’évaluation, de la description, du jugement de leurs créations.

En 2000, Robert Sabatier, alors membre du jury Goncourt, avait déclaré que le prix n’avait pas été attribué à Ahmadou Kourouma du fait de « ses manières trop africaines ».

Oui, il subsiste parfois dans l’inconscient un arrière-fond douteux. On a des mots qui ne veulent rien dire, ou qui disent tout. Et affirmer que Kourouma a été privé de Goncourt pour cela est profondément scandaleux. En vingt ans, les choses ont évolué. De tels propos ne peuvent plus être tenus aujourd’hui.

L’UNIVERSITÉ FRANÇAISE EST RESTÉE BLOQUÉE SUR QUELQUES NOMS DE LA LITTÉRATURE AFRICAINE ET SUR LES ANNÉES 1970, 1980 ET, PEUT-ÊTRE, 1990

Ces malentendus tiennent peut-être aussi au peu de place que les universités françaises accordent à l’enseignement de la littérature africaine ?

Elles accusent un grand retard dans ce domaine. L’université française est restée bloquée sur quelques noms et sur les années 1970, 1980 et, peut-être, 1990. Elle ignore assez nettement les auteurs contemporains. Si certains font l’objet de thèses individuelles, leurs œuvres ne sont quasiment pas enseignées, ce qui contribue à alimenter encore un peu plus les préjugés dont elles sont victimes.

Et comment accéder à la postérité dans ces conditions ?

C’est une question difficile sous tous les cieux. Tous les écrivains se la posent, sans doute avec angoisse, parce qu’ils ne sont pas assurés de survivre, finalement. Chez les écrivains africains, la préoccupation est double car se pose aussi la question de leur survie dans leur pays d’origine. Ils demeurent dans la mémoire comme des figures importantes. Pour autant, sont-ils lus, sont-ils encore vivants à travers leurs œuvres, celles-ci sont-elles réactualisées ? Appréhende-t-on toute la complexité de leur pensée si les mêmes analyses, les mêmes interprétations et les mêmes cours sont délivrés au fil des décennies ? Pas si sûr.

LA MUSIQUE D’OMAR PENE, C’EST LE RIRE DE DÉMOCRITE ET LES PLEURS D’HÉRACLITE. J’AI TOUJOURS L’IMPRESSION, EN L’ÉCOUTANT, QU’IL SAIT EXACTEMENT CE QUE JE RESSENS

La musique du Sénégalais Omar Pene a accompagné l’écriture de votre dernier roman. Il y a chez lui quelque chose de profondément mélancolique. Qu’est-ce que ça dit de vous ?

Même lorsqu’elle est rythmée, gaie, sa musique conserve un fond de mélancolie. Ce n’est pas tout à fait de la tristesse, ni de la noirceur, mais elle nous touche et nous rappelle que notre rapport au monde est toujours structuré par l’intuition d’un manque, une promesse qui nous attend, une chose vers laquelle nous nous dirigeons et que nous n’attendons pas toujours. Sa musique exprime cet état d’attente, de désir, d’impuissance. Elle rend triste et joyeux à la fois. Ce sont les deux faces de la mélancolie déjà bien représentée par les tableaux métaphoriques de Démocrite (le rire) et d’Héraclite (pleurs). La musique d’Omar Pene, c’est le rire de Démocrite et les pleurs d’Héraclite. J’ai toujours l’impression, en l’écoutant, qu’il sait exactement ce que je ressens et qu’il l’exprime très simplement.

Ce prix change-t-il votre vie ?

Certainement. Ça change le regard des gens sur moi. Mais pas mon rapport à la littérature et à l’écriture. J’essaierai de suivre les principes que je me suis fixés et la complexité que je tente d’introduire dans chacun que mes livres. Je suis un écrivain et j’entends bien le rester.

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Deux semaines à Paris

JE 16.12.2021

Gare aux gares égarées de nos granges gorgées de gros gras grains d’orge. Ainsi commencions-nous avant de réciter nos classiques au théâtre de notre adolescence du Centre culturel français d’Oran. Gare aux gares… Celle-ci ne l’est pas (photo). Albert Camus ne résidait pas loin d’ici, de chez moi. Il est inhumé dans sa ville d’accueil, Lourmarin, à 57 km d’ici en passant par la D973 et la D 139. Quels mots avait-il pour les gares et pour Lourmarin ? 

Les gares : « À la gare, tout un peuple pressé absorbe sans rechigner une nourriture infâme et puis sort dans la ville obscure, se coudoie sans se mêler et regagne hôtel, chambre, etc. Vie désespérante et silencieuse que la France tout entière supporte dans l’attente… Il n’était jamais sorti de sa ville sauf un jour où, obligé de partir pour Oran, il s’arrêta à la gare la plus proche de Tlemcen, effrayé par l’aventure… L’exilé passe des heures dans des gares. Faire revivre la gare morte. » (Carnet 2)

Et à propos de Lourmarin : « Lourmarin. Premier soir après tant d’années. La première étoile au-dessus du Luberon, l’énorme silence, le cyprès dont l’extrémité frissonne au fond de ma fatigue. Pays solennel et austère – malgré sa beauté bouleversante… Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d’eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu. » (Carnets 2 et 3) 

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Je 16.12.2021

Gare Saint-Charles de Marseille (1848) et son impressionnant escalier (1927) qui n’a rien à envier au Cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein), enfin, si, un peu quand même. Une ville qui tend les bras comme son escalier, ouverte sur la Méditerranée et le monde tant qu’à faire… près d’une vingtaine de millions de voyageurs l’empruntent chaque année. Marseille est le pays d’Antonin Artaud « Moi, Antonin Artaud, je suis mon fils, mon père, ma mère, et moi ; niveleur du périple imbécile où s’enferre l’engendrement, le périple papa-maman et l’enfant. » Marseille est aussi le pays de J.C. Izzo : « Les quartiers nord, avec leurs milliers de fenêtres éclairées, ressemblaient à des bateaux. Des navires perdus. Des vaisseaux fantômes. C’était l’heure la pire. Celle où l’on rentre. Celle où, dans les blocs de béton, on sait que l’on est vraiment loin de tout. Et oubliés. » (Chourmo

« Marseille est le centre du monde », entendu plusieurs fois à Marseille. Et si c’était la vérité ?

Suis dans le train. Direction…

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Ve 17.12.2021 –

Et voilà le Nord, précisément la gare Sncf Charles de Gaulle Roissy. On ne dit plus aux passagers « Terminus, terminus, tout le monde descend ». On prend des gants. Mais le résultat est le même, tout le monde descend. Il fait moins froid qu’à Marseille, mais humide. 

Le jour a atteint ses limites. On se précipite vers les proches qui attendent sur les quais ou plus haut, à l’extérieur, près des stations de taxis et du parking PCD. Beaucoup de monde, c’est la cohue. Nous quittons par l’ascenseur les quais et l’architecture métallique par certains aspects de type montagnes russes. 

« Gardez le masque s’il vous plaît ». À quelques centaines de mètres, les pistes de l’aéroport. Des avions s’apprêtent à décoller. Roissy en France (dept 95) est un village ordinaire, brusquement devenu mondialement connu avec l’ouverture de l’aéroport au début des années 70 construit sur ses terres. C’est le 9° plus important aéroport au monde avec plus de 70 millions de voyageurs. Tient v’la…

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Ma 21.12.2021 –

Quelques minutes dégagées pour ce post. Samedi fut un jour de repos total hormis une déambulation dans le village et un tour en calèche avec LN. Ce matin je me suis rendu à Paris, directement chez mon ami A. dans le 19°arrondissement, du côté de la rue de Lorraine. Cet ami ne veut pas ou ne peut pas me voir. Ce quartier particulièrement la rue de Lorraine me renvoient à une époque aujourd’hui révolue. Un temps où l’on venait au 27 (photo) de cette rue, siège de « Libé ». On sonnait, on entrait, on passait au deuxième étage filer un coup de main aux « petites annonces gratuites » souvent débordées. Puis on allait à Félix Potin en face sur l’avenue Jaurès faire des courses pour le casse-croute. Et on recommençait lorsqu’on le souhaitait.  

Au croisement de Jaurès, Stalingrad et Secrétan, j’ai choisi les quais, côté Jemmapes. Tout un flot de souvenirs émerge, notamment devant « l’Hôtel du Nord », la passerelle de la rue de Lancy où « atmosphère, atmosphère » d’Arletty prit son envol à la veille de la seconde guerre mondiale. Le minuscule café de Aïcha, « Le Pont tournant » qui était notre « siège » avec couscous garanti les samedis, et Khaled en continu grâce à nos cassettes d’Oran, est devenu « tchitchi » comme on dit au Bled, autrement « bobo ». Il a perdu son authenticité. Un peu plus bas, toujours sur le quai, « L’espace Jemmapes » qui hébergeait dans les années 70 une auberge de jeunesse que nous n’avons que trop utilisée… La Place de la République est très animée. J’ai emprunté la rue de Turbigo avec un brin de nostalgie devant le lycée Turgot où j’ai travaillé… Église St Eustache… À Beaubourg nous y avions fait cours (tous assis en rond au rez-de-chaussée) le premier mois de son inauguration (c’était en 1977/78 ) avec notre enseignante d’Histoire, Madeleine Rébérioux (future présidente de la LDH)… Chatelet Les Halles, Gare du Nord… 

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Ve 24.12.2021 _

J’ai consacré une bonne partie de la journée du mercredi à la bibliothèque de France (dénommée François Mitterrand depuis 1995). Tout ce qui se publie en France y est archivé. C’est une des plus importantes bibliothèques dans le monde. Le site de Tolbiac (photos) est le plus important parmi les sept qu’elle comporte. Son catalogue sur internet, « Gallica » (7 à 8 millions de documents consultables). Il est composé d’une grande surface en rez de chaussée avec de nombreuses salles de lecture (une dizaine ?) et par 4 tours de plus de 20 étages chacune : Lettres, Nombre, Temps, Lois. Tous mes écrits sont bien référencés dans leur « data.bnf.fr »… D’importantes expositions et manifestations sont prévues ou en cours, à nous donner le tournis : Giuseppe Penone, Beaudelaire et la mélancolie, Robert Badinter, May Angeli -cf. photos-  Amos Gitai, René Maran, précurseur de la négritude, Albert Londres, Julien Green, Sarah Hassid, Champollion…

J’ai tourné entre les salles (payer ou disposer d’un abonnement), dans les halls les salles d’expositions… et partout il y a du monde. On se croirait dans un supermarché. Cela est très réconfortant. J’y serais resté toute la soirée, mais mon ami M. m’attend au « Ville d’Aulnay », une brasserie sur la rue La Fayette, devant la Gare du Nord. Nous avons fait le tour du monde.

Jeudi, fut un jour de repos. Enfin presque. Quelques exercices physiques au manège « Royal… » pour les enfants. Et c’est casse-cou et têtes. Eh oui…

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Lundi 27.12.2021 _

Noël a franchi les limites du bonheur enfantin et il passa. « Y rvient quand papanouel ? » Dimanche matin nous avons couru au 4 bd de Strasbourg. Au théâtre libre, anciennement Eldorado, « c’était l’ancien théâtre de Bouvard, après moi je n’en sais rien » nous dit le contrôleur d’entrée du pass sanitaire… ». Je lui réponds que quant à moi, il me semble bien que dans les années de notre trafic insouciant cette salle de spectacle était un dancing, « le Kiss-Club ». Nous y avons fait les fous (limite de la légalité car parmi nos amis, certains se shootait à la … et au… La boite fut fermée plusieurs fois. Et le panier à salade qui passait par-là, repartait bien rempli. Tout est dit. Mais là, ce matin, c’est une belle salle de spectacles pour enfants où il est question de Petits ours brun… Très sympathique. Les enfants étaient pliés, les uns braillaient, d’autres parcouraient les allées, descendaient et montaient les marches, suivis par leurs parents… Plus tard, un rendez-vous nous attendait au sud de la Porte d’Orléans, au cœur du cimetière de Bagneux. Lignes perpendiculaires et croisements aussi raides qu’imperturbables, éternels.

Le clou de la virée se niche incontestablement au Bois de Boulogne, à proximité du Jardin d’acclimatation : La Fondation Louis Vuitton. Une merveille et d’architecture et d’exposition avec une série de tableaux ayant appartenu aux frères Morozov et mis en salles pour la première fois. La publicité est beaucoup plus précise : « l’une des plus importantes collections au monde d’art impressionniste et moderne. L’exposition événement réunit plus de 200 chefs-d’œuvre d’art moderne français et russe des frères moscovites Mikhaïl Abramovitch Morozov (1870-1903) et Ivan Abramovitch Morozov (1871-1921). C’est la première fois depuis sa création, au début du XX ème siècle, que la Collection Morozov voyage hors de Russie. » Je vous laisse admirer.

En soirée nous avons rejoint le Café « l’Impondérable » et Youcef Zirem qui y animait la rencontre programmée, comme chaque dimanche, ce soir il accueillait le chanteur Malik Kezoui. 

Jeudi 30.12.2021 _

Sortir dans le noir alors que le jour ne l’a pas encore vaincu. Les ombres avancent masquées vers les quais. « Nous vous rappelons que les masques sont obligatoires, sur la bouche et sur le nez ». Et elles avancent les ombres sans haussement d’épaules, ni un mot. L’habitude désormais. Le virus s’installé et est décidé à ne rien lâcher. De certains voyageurs on ne voit que les trous des yeux. Leurs oreilles sont obstruées par des fils de smartphone, blancs, noirs. Des zombies les jeunes (jeunes ?) Ils ne voient presque rien, ni personne. Voilà les wagons à la queue leu leu. Un cri strident de ferraille (évidemment). On ne se bouscule pas. À quoi bon ? On a le choix : train, Transilien, RER, métro, bus, Uber, vélo, trottinette et les gambettes c’est moins cher mais plus exigeant. La Madeleine est d’une sobriété toute matinale. Personne n’a un regard pour elle à cette heure où tous les lampadaires sont encore allumés. Les guirlandes des grands magasins (des petits qui le peuvent aussi) clignotent toujours désespérément, plus lumineuses que jamais. Tout autour des consulats, ambassades… J’attends 9 heures. Je pénètre dans quelques-unes, l’été n’est pas loin et il va falloir se décider…

Quelques centaines de mètres à pied jusqu’à La Madeleine. Il pleut, il ne pleut pas. Donc ouvrir le parapluie. Puis le plier. L’ouvrir à nouveau et cetera. Il y a des choses qu’on ne maîtrise pas. Métro ligne 8 direction Créteil. Changement à la première station : Opéra. Ligne 7 direction Mairie d’Ivry ou Aragon. Sortie Jussieu. « Jussieu » est vide de ses étudiants. Quelques boutiques sont encore fermées, les tireurs de plans, photocopieurs… Pas les boulangeries-pâtisseries. Un automobiliste furieux, klaxonne à l’intention d’un vélo imprudent. Le feu vire au vert pour les piétons. Je traverse et longe l’autre facette – elle est au garde-à-vous – de la grande « Sorbonne université, Campus Pierre et Marie Curie » appuyée sur des dizaines de poteaux, on dirait des pilotis vietnamiens. Et voilà l’IMA. Je zappe l’exposition « Juifs d’Orient, une histoire plurimillénaire » (trop cher à mon goût). Et puis, je suis bien à « l’IMA » non ? « Monde arabe » non ? Awweh, « y-a anguille sous roche » ai-je pensé une seconde. Je monte, descends, cafétéria, terrasse, librairie. Tiens, en passant je laisse deux de mes ouvrages au « chargé de », Alain Gu. Les mettra-t-il en exposition ? J’achète des livres pour enfants et d’autres de voyages lointains… Je prends des photos (réussies et belles j’espère) de la Seine, de Notre-Dame, des rives et quais à partir de la terrasse de l’Institut. Il pleut toujours où c’est mouillé dit l’adage. J’ai pu le vérifier. Et l’argent va toujours aux mêmes. Ne dites pas que cela n’a rien à voir. Si ça a à voir ! Je remonte les quais vers le nord, Notre-Dame, Saint-Michel, à droite le boulevard Sébastopol et Beaubourg avec les pieds bientôt en compote. Il y a foule par toutes les entrées. Va pour la BPI. Il m’a fallu une heure et même plus pour m’installer dans une salle. Il m’aurait fallu recommencer l’exercice pour entrer par la porte principale et la visite du côté ouest. Il y a une foule aussi importante que celle de la BPI. J’abandonne et me dirige vers le nord. Il pleuviote toujours. Une fois oui, une autre fois non. Boulevard Sébastopol de nouveau. Je traverse Étienne-Marcel. J’évite le Forum des Halles, plus le temps. Il commence à faire sombre. Boulevard de Strasbourg, Magenta à Gauche, puis La Fayette à droite, jusqu’à la Gare du Nord. En face, à l’angle La Fayette-Dunkerque, notre cher « Aulnay ». Mon ami M. m’y attend. Un verre. Et toujours le tour du monde, de plus en plus monde flou.

Demain est le dernier jour.

DES PHOTOS SUIVRONT

Faïza GUÈNE, « La discrétion », à l’Alcazar

La bibliothèque de l’Alcazar à Marseille a accueilli ce samedi 11 décembre à 17h-20h, la romancière et scénariste Faïza GUÈNE pour parler de son roman « La discrétion » (Plon, 08.2020). Elle a répondu aux question de Soraya Guendouz (qui est chargée de mission et organisatrice au centre de ressources Approches Cultures & Territoires (ACT). Durant la soirée, des extraits du roman de Faïza Guène ont été lus par Nora Maknouche (qui est éditrice chez Cris écrits et présidente de la librairie associative Transit). Il y eut ensuite les questions du public (une centaine de personnes).

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CLIQUER ICI VOIR LA VIDÉO « Faïza Guène à l’Alcazar de Marseille »

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À PROPOS DE SON ROMAN:

La Discrétion, le dernier roman de Faïza Guène

Faïza Guène, La Discrétion (Plon, août 2020)

C’est plus un compte rendu (long) de lecture qu’une académique recension du livre de Faïza Guène, La Discrétion (Plon, août 2020) que je vous propose ci-après.

Voici un livre qui, quelque part, me réconcilie avec moi-même, avec mon passé, mon présent, ici en France. J’ai trouvé un certain réconfort à la lecture de ce roman qui dépeint « une famille française » et algérienne et musulmane, pleine d’une histoire chargée, de noms, de culture, de présent dont le pays, la France, n’a d’autre choix – si elle veut sérieusement incarner comme elle le proclame sur tous les frontons l’égalité, la fraternité – que de reconnaître, de revendiquer même, de prendre cette famille (et toutes les autres familles maghrébines) comme elle est, avec ses complexités. De lui attribuer les mêmes droits et d’attendre d’elle de se plier aux mêmes devoirs que tous les autres citoyens, ni plus, ni moins. Le pays doit s’abstenir de vouloir continuer d’« effacer » une part de ces hommes et femmes qui participent à sa construction, de leur soustraire une part de leur être profond. Si la France a procédé ainsi avec les anciens qui se sont éreintés dans les chantiers dans la discrétion, dans le silence, dans l’effacement, elle devra, pour son propre devenir national, écouter les enfants de ces êtres oubliés et plus encore leurs petits-enfants qui donnent de la voix sans complexe aucun pour un égal traitement républicain. Avec raison. 

Le roman de Faïza Guène, La Discrétion, est léger et agréable, se lit d’une traite.

La Discrétion est le sixième roman de Faïza Guène. Le premier, Kiffe kiffe demain, est publié en 2004 chez Hachette. Elle a 19 ans. Il aura un grand succès et sera traduit dans plus d’une vingtaine de langues. Deux ans plus tard, elle publie Du rêve pour les oufs (Hachette, 2006), puis Les Gens du Balto (Hachette, 2008), Un homme, ça ne pleure pas (Fayard, 2014), Millénium Blues (Fayard, 2018). La page Faïza Guène de Wikipedia fourmille d’informations et sur l’autrice et sur ses écrits et films, car elle est également scénariste.

Comment se présente le roman ? 

 La Discrétion est composé de 35 parties que j’ai numérotées (c’est pratique). Il comporte 253 pages. Ce sont de courts chapitres allant de deux à seize pages. Vingt chapitres sont constitués de moins de six pages. Les chapitres 1 et 26 sont ceux qui comportent le plus de pages : 15 chacun.

Au cœur de l’ouvrage, en page 137, entre le 17° et 18° chapitre, Faïza Guène cite Frantz Fanon. « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » (Les Damnés de la terre).

Elle dédie le roman « à ma mère et à toutes nos mères ». En fin d’ouvrage elle renouvelle sa reconnaissance et en ajoute d’autres « À la mémoire de mon père, mort de discrétion… À ma mère, à son cœur qui déborde, à tous les héritiers d’une histoire en fragments, à Djamila Bouhired, à ma fille, à l’unique que j’aime et qui m’a portée… »

La page 9 porte en exergue une citation de James Baldwin extraite de son essai La prochaine fois, le feu. »

Chaque chapitre porte un titre. Et chaque titre porte le nom d’un lieu, du pays (France, Algérie ou Maroc) et l’année du déroulement des faits. Plus le numéro du département lorsqu’il s’agit du territoire français. Un seul titre porte les numéros de départements non français, il s’agit de « Wilaya d’Oran (31), d’Aïn Témouchent (46) et de Tlemcen (13)… »

Quelles sont les communes dont il est question dans les titres (et dans le livre évidemment) ? :

Pour le Maroc : Ahfir. 

Pour l’Algérie : douar Atochène, village d’Arbouze, commune d’Aïn Kihal, villes d’Oran, Témouchent, Tlemcen.

Pour la France : Aubervilliers, Bobigny, Les Lilas, Pillac et Paris (plusieurs arrondissements).

23 des 35 titres de chapitres comprennent des noms de villes françaises : Aubervilliers fait l’objet de onze titres, Paris, de huit… Neuf titres comportent les noms de villes algériennes, et trois, marocaines (Ahfir).

Quinze titres portent en sus une précision, ainsi : 

« Marché du boulevard de Oujda, (Ahfir, chapitre 8), 

« les vacances » (Wilaya d’Oran (31)…, chap. 26),

« Brasserie Le coq français » (Les Lilas, chap. 7), 

« Mairie » (Bobigny, chap. 28)

« Chemin des vignes (Bobigny, chap. 15), 

« Les jardins familiaux », (Aubervilliers, chap. 21)

« Rue du Moutier », (Aubervilliers, chap. 24)

« Bar Joséphine » (Paris 6°, chap. 29)

« Renault Talisman » (Paris 6°, chap. 3) 

« Cabinet de madame Aït Ahmad » (Paris 11°, chap. 31)

« Service stomatologie et chirurgie maxillo-faciale » (Paris 13°, chap. 30)

« Lav-Story » (Paris 18°, chap. 13)

« Impasse saint François » (Paris 18°, chap. 5 et 33)

« Maxi Toys » (Paris 19°, chap. 25)

Le roman déroule une histoire qui s’étend de l’année 1949 à 2020

Les années suivantes ne sont évoquées que par un seul titre : 1949 (chap. 2), 1954 (chap. 4), 

1956 (chap. 6), 1959 (chap. 8), 1962 (chap. 10), 1963 (chap. 12), 1964 (chap. 14), 1967 (chap. 16), 1978 (chap. 18), 1990-2000 (chap. 26).

L’année 2018 est évoquée dans trois titres : chap. 1, 3 et 5.

L’année 2019, dans les dix chapitres impairs de 7 à 25

Enfin, l’année 2020 est traitée dans les titres 27 à 33 et le dernier, 35.

Comment sont ventilées les années par chapitre. Les chapitres ne comportent pas de numéro. Je leur en ai attribué un pour la facilité de l’analyse.

Le 1° chapitre s’ouvre sur l’année 2018 

Le 2° chapitre renvoie à l’année 1949 (année de naissance de Yamina). Avec le 3° chapitre on revient à 2018. Le 4° se déroule en 1956. Le 5° de nouveau traite de 2018.

Les chapitres impairs suivants : du 7° au 25° se passent en 2019. Chacun d’eux est suivi d’un chapitre pair pour évoquer les années 1959 à 1981 (2019-1959-2019-1962-2019-1963 etc.)

Le chapitre 26 évoque les années 1990-2000. 

Les chapitres 27 à 33 se situent en 2020. Le chapitre 34 en 2012 et le dernier, le 35°, en 2020 à Pillac. (C’est la première fois que la famille prend de vraies vacances. « Ils sont émus de se dire qu’ils font partie de l’histoire de France »)

J’ai développé l’analyse ci-dessous en respectant l’étendue temporelle allant de 1949 à 2020.

La quatrième de couverture fait bien de se concentrer sur Yamina, la mère, car elle est au cœur de la famille Taleb et du livre. Tout ou presque se fait, se pense, se positionne à partir d’elle. Yamina, dans l’Algérie en guerre « À peine adolescente, elle a brandi le drapeau de la liberté… » et aujourd’hui en France « Quarante ans plus tard, à Aubervilliers, elle vit dans la discrétion. N’est-ce pas une façon de résister ? »

La question de la liberté, de la dignité, de la résistance face au mépris, à la condescendance, traverse tout le roman. Les enfants de Yamina et de Brahim Taleb sont d’ici, de France aussi, maintenant plus qu’hier. Ils portent en eux une histoire de plusieurs générations, leur histoire, qu’ils revendiquent la tête haute, hic et nunc. 

Maintenant que l’architecture du roman est posée, j’en viens au contenu.

Ce compte rendu-rendu je le réalise à partir d’une lecture du roman respectueuse de la ligne du temps (de 1949 à 2020), et non tel qu’il se présente à la lecture au premier abord avec ses chapitres qui vont et viennent d’une année vers une autre, du passé au présent avec plusieurs retours vers telle ou telle autre année du passée pour revenir une nouvelle fois vers 2020.

Le point de départ. Dans une maison en argile, le « tlakht », l’atmosphère est fébrile. Nous sommes en Algérie en 1949 dans le douar d’Atochène. Province de Msirda Fouaga. L’autrice suggère que la guerre a déjà commencé, ce qui n’est pas le cas. « Le soldat est à son 19° mois de mobilisation… » il bouscule une jeune femme enceinte et fait tomber son balluchon… mais elle ne montre pas qu’elle a peur. La peur elle la garde pour elle. « Rahma accouche dans une grande douleur, sa souffrance est telle qu’elle se confond avec la mort ». Le nourrisson s’appelle Yamina.

Quelques années ont passé. À cette époque, en 1954, il était imprudent de dormir dans la cour en été, car « les soldats français pouvaient faire irruption à tout moment ». La précision est inutile, car s’il y a soldats, ils ne peuvent qu’être français. Et puis nous sommes en été et Faïza Guène anticipe la guerre qui ne commencera réellement que l’année suivante, bien après l’automne dans un certain nombre de régions, certainement pas dans une mechta isolée et « sans intérêt » pour les colons et l’État français.

La guerre est déclarée depuis deux ans. La famille fuit le douar à l’aube « sous le regard embrumé de jeddi Ahmed, le grand-père, pour se réfugier au Maroc, à Ahfir, accueillis par la grand-mère de Yamina. Son père est au front. C’est un résistant. Deux des frères de Yamina, sans autre précision, sont nés en exil. Des inconnues passaient voir les réfugiés algériens au Maroc et donnaient des instructions « ne parlez pas de vos maris, de vos frères ». 

Yamina a grandi. C’est maintenant une petite fille de dix ans. Des femmes portent d’immenses plateaux de pain à faire cuire. Des enfants cirent des chaussures d’adultes ou mendient. Une fillette, à peine plus âgée que Yamina, mendie. « Personne ne s’arrête pour lui donner une pièce ou un bout de pain. » Yamina a mal à une dent « qui lui donne le vertige ». L’arracheur de dents pratique une médecine ancestrale. Il lui arrache la dent avec « une petite pince de forgeron en métal, non stérilisée. C’est pire que dans le pire des cauchemars. » Pendant 14 ans, jusqu’en 1973, « elle souffrira d’abcès et de migraines, régulièrement. » 

Sept ans de guerre ont passé. La famille de Yamina se trouve toujours à Ahfir chez la grand-mère. C’est l’indépendance de l’Algérie. Yamina, 13 ans, « portait une tenue aux couleurs du pays : jupette verte, chemise blanche et cravate rouge. » Yamina n’en avait jamais voulu à sa mère, Rahma, « plutôt froide, voire inaccessible et verrouillée. Yamina avait bien compris que manifester ses sentiments n’était pas une évidence. » Les sentiments demandent de l’espace pour s’exprimer, mais  « le problème c’est qu’avec la guerre et la misère, c’est que la guerre et la misère prennent toute la place. » Faïza Guène exprime formidablement bien cette pudeur qui plombe de très nombreux (la majorité ?) Maghrébins. Yamina, tout comme sa mère, se retenait naturellement de déborder. Les émotions restaient coincées à l’intérieur de leur corps. « Le corps ne coopère pas toujours avec le cœur, même si le cœur brûle, exulte, le corps doit rester là, figé, inapte. Ils finissent parfois comme deux étrangers qui ne parlent pas la même langue. » 

Yamina a été obligée d’arrêter l’école « pour aider ses parents à la ferme » et élever ses nombreux frères et sœurs dont cinq deviendront des professeurs. Elle en est l’aînée. On ne connaît pas le nom de tous les frères et sœurs de Yamina. Leurs parents sont Rahma et Mohamed Madouri qui vivent à Aïn Témouchent. Dans la fratrie il y a Moussa, Norah, Nabil, Djamila « dernier né des enfants ». Cette dernière porte le prénom d’une révolutionnaire. Plus tard (en mars 2015 ?), Yamina emportera avec elle une photo du journal algérien Liberté sur laquelle on pouvait voir la splendide révolutionnaire Djamila Bouhired, à l’occasion d’une visite officielle en Égypte » en juillet 1962. 

La famille est retournée dans le village ancestral d’Arbouze, à Msirda Fouaga. Le figuier de Yamina est mort. Elle se lamente à son pied. La pauvreté est un lot quotidien « Yamina et ses frères ont été longtemps sous-alimentés. » Après l’indépendance, le père est sans emploi et « les gens de la campagne ont tout perdu. » Le père « traîne dans les cafés. » La guerre a volé sa gentillesse et sa sérénité ». Il est devenu violent « et Yamina déteste la violence… Sa mère culpabilise sa fille – « c’est ta faute, tu ne sais pas parler, tu n’es bonne à rien » – qui n’a pu acheter à crédit. « L’épicier refuse de faire crédit, car l’ardoise est trop chargée ». L’année suivante, le choléra a touché plusieurs familles du village. Yamina s’en remet à peine. L’autrice écrit « quelques semaines plus tôt », mais sans préciser la date de référence.

Yamina fuit la tatoueuse du village, « elle n’accepte pas ce tatouage (sur le front), elle refuse d’être marquée à vie ». Faïza Guène fait un hasardeux parallèle entre le front et le front. Elle écrit que le front de Yamina est « son front de libération personnel. Elle le gardera libre jusqu’à la tombe. »

« Une dizaine de familles vivent dans la vieille ferme d’Aïn Kihal », près de Aïn Témouchent. Yamina a 18 ans, « elle a un regard de miel. Elle est belle mais elle ne le sait pas, il n’y a pas de miroir. » Mohamed Madouri, le père de Yamina « a été choisi par ses collègues agriculteurs pour les représenter au Syndicat régional des agriculteurs. C’est un analphabète, mais un orateur doué. » Le travail est dur, « de l’aube à la dernière prière du soir. » Yamina passe une partie de ses journées à coudre. « Elle confectionne des jupons et des robes pour les femmes », mais également et surtout elle « s’occupe de nourrir les animaux, faire le ménage, préparer ses jeunes frères et sœurs pour l’école. » Chaque matin, le vieux voisin, Tayeb, transporte les enfants sur son tracteur jusqu’à l’école, à 5 km.

Le chapitre suivant est long de 22 lignes. Nous sommes en 1978, année de la mort du dictateur Boumediene. Yamina vivait encore en Algérie, « elle eut la sensation que l’Algérie perdait son père. » J’aurais tendance à penser qu’il était plutôt détesté dans cette région frontalière de l’ouest, nonobstant sa politique implacable. Le dictateur était de l’Est et le coup d’État qu’il a mené l’a été contre un président issu d’un de ces villages frontaliers avec le Maroc. Le « régionalisme » est très profond en Algérie et cela est étonnant d’écrire « pour la famille, Boumediene était un sauveur », mais possible.

Yamina a accepté à contre-cœur d’épouser un émigré de dix ans plus âgé qu’elle. Le mariage avec Brahim a lieu à la mairie de la Daïra de Aïn Kihal. Brahim réside en France où Yamina ne veut pas vivre. Mitterrand préside désormais et depuis peu aux destinées de la France. Yamina était devenue « la vieille fille du coin. » Elle ne s’est pas mariée auparavant car son père avait besoin d’elle, elle dont il disait qu’elle « valait au moins les six garçons. » 

En juillet de la même année, on organisa une fête chez le frère aîné de Brahim, au 17° étage d’un immeuble du quartier de Bel-Air, à Oran. Les parents de Yamina viennent de quitter les lieux après la fête. « Sur le boulevard, la mère ne s’est pas retournée, son père a levé la tête vers le balcon. Elle se sent abandonnée. » Elle a envie de retourner chez eux, « de tout annuler ».

Ce n’est pas facile de devenir une femme « c’est brusque, elle n’a pas la marche à suivre. » 

Yamina passera ici 4 mois avant de rejoindre Brahim. Ils partirent pour la France en août. 

Voilà Yamina en France. « Brahim n’a eu que deux semaines pour trouver (grâce à des amis Kabyles) un logement. Jusque-là il a toujours vécu seul dans des foyers de travailleurs, dans des cafés-hôtels, dans des baraquements, dans des préfabriqués, chez des cousins dans les bidonvilles de Nanterre. » Faïza Guène rappelle le rouge octobre 1961, « Brahim se souvient de celui qui n’est jamais revenu, que la police française avait jeté dans la Seine » et la proposition faite par Giscard d’Estaing aux Algériens pour quitter la France « avec cette aide de 10.000 pauvres et pitoyables francs. Une honte plus qu’une aide. » C’était difficile à Brahim de faire oublier l’exil à son épouse. Elle pleurait tout le temps. Il la trouve « tellement douce et gracieuse »

Nous faisons un saut de plus de dix années. Nous sommes dans « la décennie noire » à la fois dans la région d’Oran, de Aïn Témouchent et de Tlemcen. Yamina et Brahim ont quatre enfants dont rien n’a été dit jusque-là, sinon que Omar est né « à la clinique de La Roseraie à Aubervilliers ». Tous nés dans la décennie 80 : Malika est née en 1980, Hannah en 1985, Imane en 1987 et Omar en 1988. Pour Yamina et Brahim « élever des enfants » c’est « avant toute chose, qu’ils ne manquent de rien » Pour les générations suivantes, celles du « bien-être » comme celles de leurs propres filles et fils c’est s’accroupir et parler avec leurs enfants « d’une voix mielleuse en regardant l’enfant dans les yeux ». 

Pour Malika, Hannah, Imène et Omar et leurs parents, les vacances c’était en Algérie, une semaine à Oran chez l’oncle et à la mer. « Une ville magnifique Oran, baignée par une lumière qui n’existe nulle part ailleurs. » Hannah se demandait comment faisaient les Oranais pour deviner qu’elle venait de France, « à croire qu’ils ont un détecteur ‘d’immigrés’ ». Le week end ils se rendaient au village de vacances Les Andalouses, ils écoutaient le raï de Cheb Hasni « pourquoi a-t-il été tué, il ne faisait pas de politique ». Puis ils se rendaient à Aïn Témouchent chez les parents de Yamina. « Omar était chanceux ‘comme un garçon’ » Faïza Guène n’explique pas pourquoi « comme un garçon ? »

« À Oran, alors qu’il a 8 ans, Omar demande à son père ‘papa, pourquoi il y a que des Arabes ici ?’ Poser une telle question à 8 ans, cela paraît difficile à croire. Il n’était peut-être jamais venu en Algérie avant 1996 ? Peut-être également que ses parents et ses sœurs ne lui ont rien dit non plus des habitants de ce pays ?  En Algérie, l’espace public est largement occupé par les hommes écrit justement l’autrice. « Les femmes sont obligées de trouver des stratagèmes pour se frayer des passages et, furtivement, passer sans trop déranger. » Les vacances familiales s’achevaient à Msirda Fouaga. De Aïn Témouchent à Msrida ils ont mis « 4 heures à saigner le goudron » alors qu’il y a à peine 135 km. Brahim préfère-t-il les pistes à la route nationale ? Dans la mechta de la tante paternelle Fatima, l’aînée, « il n’y avait ni montre, ni miroir, ni télévision ». Cela est difficilement imaginable alors que nous sommes dans les années 1990-2000. « Les enfants n’avaient d’autres activités que de dormir, marcher, grimper aux arbres, attraper des scarabées, monter à dos d’âne. Ils faisaient leurs besoins, avant le coucher de soleil, derrière les cactus, au milieu des poules, pour éviter d’avoir à faire ça en pleine nuit parce que ça leur foutait la trouille toutes ces histoires de vipères et de chacals. L’ennui c’est que les figues de barbarie à longueur de journée ça donne la diarrhée » 

Le chapitre suivant évoque les attentats terroristes qui ont pris la France pour cible durant les années 2012 à 2016, et l’angoisse qui saisit les Maghrébins, plus encore les Algériens à cause du climat nauséeux, voire délétère qui les vise périodiquement, eux plus que toute autre communauté, du fait de la guerre d’indépendance. « Les Taleb se soutiennent le front, les yeux hagards, devant les images terribles et les bandeaux qui défilent sous l’écran ». Un attentat. Effroi d’abord puis l’empathie pour les victimes et leurs familles. Et un vœu : « faites que le terroriste ne soit pas un ‘‘Arabe’’. » Exactement comme en cette quinzaine de fin octobre 2020, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty le vendredi 16. Quel Algérien n’a pas, au plus profond de lui, imploré « faites que le terroriste ne soit pas un Algérien. » Lorsque le lendemain j’ai appris que l’assassin de l’enseignant n’était ni Algérien, ni Maghrébin, j’ai respiré profondément, très profondément. Il était néanmoins musulman, et une partie de la société, de la classe politique à l’affût, plus encore des médias, particulièrement des commentateurs et invités de la télévision, exigèrent (exigent toujours) des musulmans de se « désolidariser ». Mais je ne suis plus vraiment dans l’analyse. J’y reviens.

« Les enfants Taleb savent qu’ils seront écartés du deuil national. » Ils sont habitués. Ils sont aussitôt rangés du côté des accusés. « On les somme de descendre dans la rue dans un cortège à part. » De sortir du rang pour se désolidariser des terroristes. » Les Taleb, réunis en famille comme tous les samedis, parlent de la tragédie. Ils se demandent s’il leur faut chanter plus fort la Marseillaise, changer de prénom, ou adhérer à un parti d’extrême droite pour qu’on leur accorde l’autorisation de faire partie de la communauté nationale.

En 2018, Yamina a 69 ans et vit à Aubervilliers. Chaque samedi matin, elle se rend au marché de la ville, « c’est un rituel ». Dans le bus on lui cède la place mais elle refuse car « elle n’aime pas qu’on se dérange pour elle ». Yamina ne se plaint jamais « comme si cette option lui avait été retirée à la naissance ». Lorsque son médecin traitant la tutoie, lorsqu’il lui demande de dégager ses oreilles de son foulard « Allez, madame Yamina, on enlève sa petite burqa pour montrer ses petites oreilles », elle n’y voit aucune condescendance, ou mépris. Elle ne voit pas cette échelle invisible (sic) sur laquelle il se perche chaque fois qu’il s’adresse à elle ». À moins qu’elle ait choisi « de ne pas se laisser abîmer par le mépris ou envahir par le ressentiment », sa façon de résister.

Elle enfouie sa colère, contrairement à sa fille Hannah qui la laisse exploser comme devant la guichetière de la préfecture de Bobigny « qui blesse les gens avec son comportement » sa façon de parler avec eux « très fort en articulant lentement » Malika est divorcée. Les trois autres sœurs et Omar sont célibataires. Les samedis, ils se retrouvent chez leurs parents qui sont heureux de les recevoir pour le rituel couscous.

Omar n’a jamais fait la moindre remarque à ses sœurs qui étaient pour lui comme « trois petites mères ». Il est le chouchou de Yamina, qui peut faire se lever l’une de ses filles pour que lui, le garçon de la famille, s’assoit « ma fille, lève-toi, c’est la place de ton frère »

Les sœurs considèrent que Omar est le préféré de leur mère. « Imène, détachée, lâche en haussant les sourcils « Inch’Allah que j’ai pas d’enfants, si c’est pour faire des différences, c’est pas la peine ! » Lorsque Brahim, le père, rentre des courses et qu’il a oublié les Chocapic, les céréales préférées de Omar, « Yamina le boude ». Suit une liste d’actions de Yamina montrant combien Yamina chouchoute Omar. Pourtant, Si Omar est la fierté de sa maman, Malika est la fierté de la famille, « Elle travaille au service de l’état civil de la mairie de Bobigny. » Elle se fait discrète, « elle ne fait jamais de vague. » Yamina rappelle à tous qu’elle ne fait aucune différence entre ses enfants « qui sont comme les doigts de ma main, je peux pas en couper un. » Mais Imane est persuadée qu’elle est « l’auriculaire de Yamina, ce doigt inutile. » alors elle quitte la pièce peinée. 

La famille habite à Aubervilliers, « rue du Moutier », non loin du cirque Zingaro, à quelques kilomètres de Paris et du stade de France.

Yamina se lève à l’aube pour faire sa prière. Une fois, alors qu’elle allait faire ses ablutions, elle s’est rappelée d’un rêve dans lequel elle se voit se rendre à l’école qu’elle trouve fermée. Elle crie « ouvrez-moi, je veux rentrer », mais en vain. Elle est ramenée à la maison par son père « qui fronce les sourcils ». Yamina a dû arrêter l’école pour aider ses parents. Ses enfants à elle ont tous été à l’école. Malika, sa fille aînée, divorcée, intellectualise tout. Elle ajoute toujours « à ce qu’il paraît » lorsqu’elle avance une citation d’un auteur « ce qui affaiblit malheureusement la crédibilité de son propos. » 

Les phrases sont en italiques lorsqu’elles reprennent les échanges entre par exemple l’employée de la préfecture et Hannah, mais aussi lorsque l’autrice s’adresse au lecteur « peut-être que ça ne vous frapperait pas immédiatement en la regardant, mais derrière Yamina il y a une histoire comme derrière tout un chacun. » Faïza Guène utilise l’humour, parfois de manière subtile, « Sur les boites de Chocapic, sous la date de péremption, on devrait ajouter l’âge limite pour en manger », parfois de manière incongrue ou trop légère, sans pertinence ainsi ces formules à l’emporte-pièce, ces formules qu’on entend parfois ou d’autres inutiles ainsi « il gare sa voiture toujours au même endroit, sous le lampadaire devant Chez Akfadou, la boucherie halal des Kabyles, juste en face de la rôtissoire à gaz (capacité trente-quatre poulets). »

Yamina a de bonnes relations avec sa voisine, « elle lui tient la porte, lui envoie une assiette de msemen ou de crêpes mille trous », mais elle est gênée quand son chien la renifle. La voisine croit qu’elle en a peur, « Il va pas vous mordre ». Yamina comprend que d’autres gens aiment les chiens « c’est leur façon de vivre ». Pourtant, des chiens elle en a vu dans la mechta de son enfance. Ils étaient libres d’aller et venir dans la ferme. Elle pense que « l’appartement ce n’est pas un destin acceptable pour un chien. » Yamina évite le chien, non parce qu’elle en a peur, mais c’est que pour prier il faut être pur, c’est-à-dire avoir fait ses ablutions. Or, tout contact avec un chien invalide cette pureté et Yamina sera obligée de refaire ses ablutions. C’est donc mieux d’éviter. Elle pourrait expliquer tout cela à sa voisine, mais « quelque chose empêche Yamina d’avoir ce dialogue. Aujourd’hui on ne peut pas dire qui on est. » L’atmosphère a changé depuis les années Zidane et les années 80, la décennie de la Grande marche citoyenne de Marseille à Paris « Pour l’égalité et contre le racisme ». Mais peut-être que Yamina « a tendance à embellir ses souvenirs ». Yamina dit vrai. L’atmosphère s’est alourdie. Elle n’aime pas écouter « les polémistes islamophobes à qui on donne la parole pour beugler leur haine, la bave aux lèvres, ces faces de chien, Woujah el kelb » Les Woujah el kelb comme le Zemmour prolifèrent à la radio, à la télé et même dans les quartiers. Hannah, elle, n’a pas la patience de sa mère. Elle, elle dit à la voisine « tenez votre chien là s’il vous plaît ». Mais lorsque sa mère lui demande d’user de patience « c’est comme ça benti, ma fille, on doit accepter, on est comme leurs invités, on est chez eux » Hannah ne supporte pas. « On n’est pas des invités ! t’as reçu un carton d’invitation toi ? Ça suffit, ça fait 35 ans que j’entends ça ! Nous on est chez nous ! on est nés ici ! » Et gare donc à qui ose lui barrer le chemin. Elle n’a pas froid aux yeux et elle a raison.

La famille possède depuis plus de dix ans un jardin ouvrier près de la nationale, du cirque Zingaro et du cimetière, à deux, trois kilomètres de l’appartement. Il est entouré d’autres jardins et des villes de Drancy, La Courneuve, Pantin et Bobigny. Dans ce jardin ouvrier il y a un figuier qui fait penser à Yamina à celui de son enfance à Msirda et qui a péri. « Désormais, l’arbre de Yamina, sa baraka, n’est plus en Algérie, il est ici, à Aubervilliers, bien enraciné. » La famille a pour voisin un vieil espagnol avec lequel Brahim échange fièrement en portugais, mais Brahim fait erreur.

Lorsqu’elle jardine, Yamina est comme transportée dans son enfance, « elle oublie tout et ne s’arrête que pour prier dans la cabane du jardin… Avant, elle priait même sur l’herbe fraîche, mais aujourd’hui elle ne se sent plus en sécurité. Elle se cache. »

Omar est chauffeur Uber depuis deux ans. Il porte un costume de grande marque en guise de tenue de travail. Sa nuit de travail touche à sa fin, l’aube pointe. Il dépose des clients devant le luxueux hôtel Lutétia. Omar peut se donner les moyens pour prendre un verre dans le bar de l’hôtel, mais « il y a dans sa tête une frontière nébuleuse qui lui raconte qu’il ne peut pas y entrer… Il y a des choses qui ne sont pas faites pour nous » mais pour les dominants « qui font à peine l’effort de nous exclure. Nous le faisons très bien nous-mêmes. » Il prend les derniers clients, deux touristes américaines qu’il dépose sur la place de la Bastille, avant de rentrer se coucher, mais avant « avec un peu de chance, il arrivera à temps pour prier el fajr à la mosquée d’Aulnay-sous-Bois. » Yamina est fière de son fils. Elle trouve qu’il s’en sort mieux que nombre de jeunes comme « ceux qui mendient avec leurs chiens, ceux qui ont fait de la prison ».

Une autre fois, Omar prend une cliente à la gare Montparnasse pour la déposer à Romainville. « Ils ont parlé de tout et ‘d’autre chose’. Il aurait voulu que la course dure jusqu’à l’aube. » Que devient-elle à la fin du roman, cette cliente ? est-ce la meuf qu’évoquera Hannah dans la grande maison de Pillac ?

« Omar  pense aux vacances qu’il a passées à Marseille l’année dernière, avec sa serviette de plage FC Barcelone, achetée au bled en 2012, à Tlemcen. » Je n’ai réellement pas saisi le sens, y en a-t-il un, de cette phrase, même si Faïza Guène précise « Il se souvient que le vendeur aussi s’appelait Omar » Très bien, mais quand même « passer ses vacances avec une serviette », quand-même… 

La cliente qu’il a prise à la gare Montparnasse s’appelle Nadia. « Ses yeux sont si noirs qu’on distingue à peine le contour de ses pupilles… elle est plutôt bavarde. Omar souhaite la revoir. « Elle lui donne son pseudo Facebook » Omar n’est pas sûr de lui. Il pense qu’elle a accepté par politesse. « Il a des fourmillements dans sa poitrine, chaque fois qu’elle rit. » 

Il pense qu’« elle plairait bien à maman ». N’est-ce pas là un cliché du garçon maghrébin accroché aux jupons de sa maman ? Omar est timide, « il peine à trouver sa place dans le monde. C’est un garçon arabe qui ne se conforme pas à ce que le monde attend de lui, c’est-à-dire devenir dominant, brutal, conquérant, viril et, si possible, fourbe, voire dangereux. » À Port Say, il y a quelques années, son cousin lui a appris qu’il fallait draguer les filles mal fagotées » pour avoir plus de chance de conquête. Il a échoué. Suivent trois pages sur la virilité telle que développée dans les westerns américains. 

En 2018, Omar « va bientôt passer les 30 piges » indique l’autrice (page 36). Un an plus tard, en 2019, « Omar a 29 piges » (page 159). Petit problème donc. La chambre de Omar ressemble à celle d’un étudiant. Lorsqu’il était en CDD à l’Assurance-Maladie Omar a acheté un très grand téléviseur « qui mange littéralement la pièce » qui supporte aussi d’autres meubles, « une armoire, une table basse, une banquette, un bureau », et surtout une Play-Station 4. Il passe des heures à jouer ce que ne comprend pas son père « Jouer ? à 30 ans ? » Brahim pense que son fils fait partie de cette « génération à l’enfance prolongée et aux responsabilités réduites » « Lui, Brahim, à 16 ans il descendait à la mine, la gueule noire, du côté de Roche-la-Molière et Firminy, dans la Loire ». Yamina ne comprend pas pourquoi son mari « s’entête à endurcir Omar ». Elle s’interroge, « les chauffeurs Uber d’aujourd’hui, comme leur fils, ne sont-ils pas les mineurs d’hier ? » Yamina souhaite que Omar se marie et « qu’il ne suive pas le chemin de ses sœurs demeurées célibataires. L’aînée est divorcée. Omar y songe peut-être. 

Tout en nettoyant sa belle voiture de travail à la station de lavage, « Omar pense à inviter Nadia, la cliente qu’il a ramenée de Montparnasse à Romainville. Elle lui a plu. Pour échanger avec elle il a créé un compte Facebook et envoyé quelques messages.  

Sa sœur Imane, 31 ans, est la troisième enfant. Elle habite seule dans un studio. Lorsqu’elle a annoncé à ses parents qu’elle projetait d’habiter seule, ils ont eu peur du « qu’en dira-t-on » des gens. Imane fuit le regard de son père qui est déçu par elle. Aucune des filles Taleb n’est mariée. « Malika, l’aînée, avait été mariée quelque temps », aujourd’hui elle est divorcée. Brahim avait dansé au mariage de sa fille (en août 1999, elle avait 18 ans). Mais celui-ci ne tint qu’un temps et comme les parents des mariés se connaissaient bien, le divorce ou « ‘l’arrangement’, s’était déroulé à merveille. » À cette époque, Brahim rodait avec le père Ammouri (mort d’un cancer de la gorge). L’auteure use d’une image qui s’apparenterait à un stéréotype pour décrire l’ami et voisin de Brahim « Avec son long corps de Berbère qui avait des airs de Jacques Brel trempé dans de l’huile d’olive. » Pas vraiment pertinent. « Les aînés de la fratrie, comme Malika, acceptaient les règles désuètes » des parents, car à leurs yeux ils faisaient de leur mieux. Il y a lieu ici de parler plutôt des fratries en général car, s’agissant de la famille Taleb, même Malika, née en 1980, est jeune pour avoir à « accepter » ces règles anciennes. Pourtant « décevoir les parents c’est pire que tout. »  Comme on vivait « ici » il fallait bien trouver des règles. « C’est ainsi qu’ils avaient inventé instinctivement des lois hybrides ». Mais les parents, « avaient peur de tout perdre. Ils tenaient à rester qui ils sont. Ils ont refusé d’être effacés » 

De nombreux passages, comme en page 60 et 61, sont marqués par une graphie particulière avec des phrases courtes de trois à neuf mots et retour à la ligne.

« Malgré eux, les parents, par les sacrifices énormes qu’ils leur ont consentis, ont fait de leurs enfants des gamins écrasés, accablés et les enfants accablés font comme leurs parents, ils marchent la tête baissée. » Pas toujours, on le constate bien avec Imène et Hannah. Celle-ci a 34 ans et elle se sent épuisée. C’est une adulte indignée. Elle semble regretter « la bonne époque, celle d’avant le 11 septembre 2001, d’avant Charlie. Au moment où les Arabes avaient été à la mode, grâce à Zidane, à Djamel Debbouze et à Rachid Arhab. C’était cool d’être rebeu à cette période ».  Mais des malheurs étaient passé par là, et Charlie avait brisé le cœur du coeur de millions de Français musulmans « au nom de la liberté ». 

Hannah a rendez-vous avec un homme « pas très beau, il a de l’embonpoint, des poils sur les doigts » et porte « un jean qui épouse ses hanches. Si Hannah remarque les hanches d’un homme, automatiquement il devient une sœur. » Généralement les garçons arabes s’intéressent plus « à la femme blanche, aux cheveux raides. » Hannah méprise les gens qui souffrent de la haine de soi. Elle déteste par-dessus tout, les gens qui se détestent. Une fois elle est tombée amoureuse d’un type, Samy, « qui s’est mis à vouloir la contrôler. Il n’avait pas assez d’amour pour en donner convenablement. Elle l’a quitté à contre-cœur. » 

Maintenant Hannah est avec Hakim. Il parle beaucoup et elle, « son esprit s’évade. » Il n’a aucune originalité Hakim. Hannah se lasse des choses, des gens et, dans la vie, s’ennuyer constamment n’est pas de tout repos. » Elle décroche lorsqu’il lui détaille son voyage en Thaïlande « son plus beau voyage qu’il a jamais réalisé ». Hakim voulait pratiquer la boxe thaïe, mais il a été découragé par un ami. « Frère, Wallah, t’as pas la condition physique pour ça. Le prends pas mal mais t’es sacrément dodu, t’as des seins mon frérot. » Ce type d’humour très drôle n’est pas rare dans le roman. Entre massage et boxe thaïe, les vacances à vingt ans en Thaïlande peut être un excellent rite initiatique. Ce pays avait fait de Hakim et de ses semblables, des hommes. Hakim voulait retourner une 4° fois au Salon de massage, mais le même ami avait essayé de l’en empêcher, « Eh Wallah frère c’est chaud. Elle t’a fait une marabouterie asiatique ou quoi ? Fais belek, j’crois qu’tu tombes amoureux frère. » 

La petite sœur, Imane, se trouve dans un Lavomatic au nom de « Lav’ Story », tenu par un Chinois qui force les sourcils en permanence. Imane aime le lavomatic « ça lui permet de rêvasser tranquille dans une atmosphère de linge humide ». Puis-je écrire qu’il s’agit là par contre d’un humour, disons bon enfant ? Le nom de la laverie renvoie Imane à un célèbre film américain, un film qu’elle a vu en cassette avec sa grande sœur Malika « une bonne centaine de fois. »

Cette année encore Imane, à Noël, intègrera l’équipe de vente de ‘Maxi Toz’. Le travail la fatigue « elle en a assez de la hiérarchie et de la pression qu’elle lui inflige. » Elle ne peut arrêter, il lui faut payer le loyer de son 20 m2, et il est cher. Ses parents lui feraient un scandale s’ils l’apprenaient « quoi ? 850 € ? ça fait 8 millions et demi » en Algérie, de quoi louer 7 appartements à Aïn Témouchent ! » Et Faïza Guène n’est pas vraiment généreuse ! Aujourd’hui on offrirait le double aux parents, 17 millions de centimes.

L’autrice imagine une suite de propos entre Imane et son père « cette histoire aurait possiblement mal fini. Imane aurait quitté l’appartement en claquant la porte. » Elle serait allée faire un tour « et se serait sentie incomprise dans cette famille « de toute façon y en a que pour les grandes et pour Omar ». 

Une fois par semaine, en cette année 2020, Hannah se rend chez une psychologue. « Elle en a honte. Elle fait croire à sa famille qu’elle s’est inscrite à un cours de zumba ». Cela n’a pas été facile car il lui a fallu « déconstruire les fiertés mal placées qu’elle portait en elle, ‘‘je suis algérienne ! je n’ai pas besoin d’aide !’’ » en levant le poing si nécessaire ou en agitant un drapeau algérien. Y a-t-il un seul Algérien qui ne reconnaîtrait pas chez tel ou tel de ses proches ce nif tellement « mal placé ? » et au nationalisme démesuré ? L’esprit de Hannah est taraudé par la question de la LÉGITIMITÉ (en lettres majuscules).

Depuis dix ans, elle est éducatrice spécialisée auprès de jeunes en réinsertion professionnelle. « Elle côtoie les psy dans le cadre de son travail », mais ce n’est pas la même chose. Un jour de septembre elle s’est adressée à une psychologue dans le 11° arrondissement de Paris, madame Aït-Ahmad – le troisième « a » n’est pas un « e », aurais-je commenté. Hannah a honte, mais « elle doit franchir la frontière pour ses enfants à peine en projets, même pas nés, encore flous. Les impacts de la vie sont dans la chair de Hannah. » Si un jour elle a des enfants « elle ne veut pas qu’ils héritent de cette colère qui dévore ses tripes et qu’ils soient fiers de qui ils seront. » Elle leur racontera sa propre histoire, celle de ses parents, celle de Djamila Bouhired, l’Histoire, sans ambages. 

Malika se doit en sa qualité d’officier d’état civil d’incarner l’impartialité et la neutralité de l’État. Mais elle peine. Comment rester neutre devant un chibani « qui se noie dans son charabia sans lui tendre une main compatissante. » Ce que ne comprend pas du tout, et ne peut peut-être pas comprendre, l’employée de la préfecture de Bobigny qui s’en était prise à Yamina. Quand Hannah s’adresse au vieux monsieur dans son propre dialecte, ses yeux fatigués s’illuminent. Même sa hiérarchie ne la comprend pas et « lui a remonté les bretelles », ni même sa propre mère qui lui demande de « rester discrète. » Dans les moments d’accalmie, Malika fait des micro-siestes ou surfe sur l’Internet. Elle recherche et trouve le village de « Sidi Ben Adda ex Les trois marabouts », près de Aïn Témouchent où ont vécu ses aïeux. Elle trouve un site qui relate la période coloniale, mais rien des anciens de sa famille « leurs vies se sont discrètement éparpillées dans la poussière ». Ils sont absents du site.  Malika n’a reçu qu’une « histoire fragmentée, un puzzle ». Il reste à ses propres enfants d’en assembler les fragments, de le reconstituer.

Omar n’est pas à l’aise. Il sue. Il s’est habillé comme « lors du mariage de son copain » 

Il se trouve au bar du Lutétia. En attendant Nadia, la cliente de Romainville il commande un cocktail « alcohol free ». Suit cet échange sensé nous faire rire. Omar se remémore d’une discussion qu’il a eue avec une fille lors d’une fête. « – tu fais quoi dans la vie – je suis Uber  – c’est marrant t’as pas une tête à t’appeler Hubert. » Bon.

Nadia arrive, « sa façon de traverser le bar, de slalomer entre les tables… c’est sûr, Omar est amoureux de cette fille. » Elle préfère aller ailleurs, ce bar ne lui plaît pas « on va pas payer 24 balles pour six accras de morue. » Ils se rendent chez un traiteur libanais « beaucoup plus accessible. »

Imane se rend à l’hôpital Salpétrière, « il paraît qu’ils ont de bons stomatos ». À 31 ans, Imane a besoin de sa maman à ses côtés, « c’est une douillette ». Elle a des difficultés à avoir une demi-journée « à croire que sa responsable a un problème personnel avec elle ». « Sa responsable est toujours à la surveiller, à chronométrer ses temps de pause. » Là encore cet humour est un peu lourd. Imane pense que si elle se trouve ici en stomatologie c’est à cause de sa responsable, « elle a une dent contre moi ».

Hannah raconte à la psy ses cauchemars. Tout le texte est en en italiques. Hannah se voit avec ses copines de lycée dans un restaurant chinois. Elles mangent, rigolent… lorsque tout à coup arrivent des cars de CRS. Le patron, Sofiane, est terrorisé. Du dessous de la caisse, « il sort vite une tondeuse, il la branche et se met à tondre sa barbe. »  Les CRS, cagoulés, tirent en l’air, mais l’un d’eux, un vieux militaire d’extrême droite, haineux avec un bandeau de pirate sur l’œil, « tire sur les jeunes en riant ». Arrive un autre de ses acolytes, de la même veine, qui écrase la tête de Yamina. Hannah hurle. « Il me tire dessus dans le front. Boum. » C’est ce qu’elle raconte à la psychologue, madame Aït Ahmad. Elle lui raconte d’autres cauchemars, des corps d’Algériens dont celui de son père qui flottent sur la Seine. Hannah ne sait quoi faire de « toutes ces histoires qui la hantent ». La psy trouve les mots qui réconfortent. « C’est normal, cette violence fait partie de votre histoire, et les humiliations vécues avant vous, vous en héritez… mais vous ne pouvez réparer seule, l’offense. » Ces mots lui font du bien car Hannah « a toujours le sentiment de devoir réparer l’offense subie par les parents » qui seront, certainement, « enterrés sans avoir la reconnaissance méritée. » Son père en se rappelant son arrivée en région parisienne en 1961, pensait « à Nasser, celui d’entre eux qui n’est jamais revenu » jeté dans la Seine en octobre 1961. Il a dû raconter ce vécu à Hannah.

Ce père qui offre des fleurs à Yamina chaque année à la Saint- Valentin. De tout temps il « glisse un billet de 20 € dans les pages du Coran de Yamina. Elle a fini par l’aimer, lui et ses manières gauches. » Brahim a arrêté de jouer au tiercé et de fumer, mais il a gardé des petits plaisirs, comme « mettre du parfum, se rendre au café Casanova, écouter Dahmane el Harrachi, regarder des westerns à la télévision. » 

Thomas, le petit ami de Imane, sanglote dans cette impasse du 18°. Elle l’avait prévenu qu’il ne fallait pas compter sur elle pour qu’elle s’engage. Imane ne supporte pas de le voir dans cet état. « Elle est au degré zéro de l’empathie… Même si elle déteste leurs pensées archaïques, leur autorité, leurs manières trop viriles, Imane préfère chez les garçons arabes le trop de virilité que le pas assez. » « Thomas était gentil avec Imane, mais malheureusement, l’électrocardiogramme est resté plat. Tout s’est évaporé lorsqu’elle l’a vu se dégonfler et baisser les yeux lorsqu’un mec leur a cherché bagarre dans un bar. Tout à coup il l’a dégoûtée, littéralement. » Thomas gagne bien sa vie, il est propriétaire de son appartement, mais il est trop près de ses sous. « Toujours à tout compter, à mettre sa part, à donner l’appoint, toujours avec ses ‘‘on fait moit’-moit’ » 

Imane est indépendante. « Elle soutient la liberté d’expression, mais elle n’est pas Charlie pour autant. Elle est musulmane et féministe. Elle est française et algérienne. Quand la viande n’est pas halal, Imane est végane (c’est-à-dire ne consomme pas de produit d’origine animale. Ne porte pas de laine, de fourrure ou du cuir). En un mot ou en treize, elle vit dans un monde qui n’est pas prêt à accueilli sa complexité. »

Le roman s’achève en Charente, dans une grande maison. C’est la première fois que la famille prend de vraies vacances. Les grands-parents sont morts. Les enfants se sont cotisés pour louer « une maison de 170m2 à Pillac, au nord de Bordeaux, avec piscine, ping-pong et balançoire. » Tout autour, des champs à perte de vue, Yamina ne se lasse pas de les regarder. Hannah apprend involontairement à ses sœurs que Omar « a une meuf ». Peut-être est-ce Nadia, sa cliente de Romainville ? La famille est heureuse, elle profite du lieu, Brahim somnole à l’étage.

« Yamina a six ans, elle rit aux éclats, elle se sent libre ». Malika, Hannah, Imène et Omar sont bouleversés. Ils sont heureux de « découvrir un nouveau visage du pays où ils sont nés, et plus heureux encore de le faire découvrir à leurs parents. » Ils sont émus de se dire qu’ils font partie de l’histoire de France, d’une manière ou d’une autre, ‘‘qu’ils le veuillent ou non’’. »

Voilà une famille qui remplit au quotidien sa mission, sans colère, dans la lignée des anciens et dans un environnement pas toujours bienveillant. Et lorsqu’ils manifesteront, ils ne descendront plus dans la rue « dans un cortège à part » qu’on le veuille ou non.

La Discrétion est un beau roman, malgré quelques imperfections, quelques lourdeurs. Il soulève plutôt avec subtilité nombre de questionnements liés au mal-être, à l’identité, à l’intégration, à l’altérité, au racisme banal, au travers l’évolution d’une famille algéro-française vivant en France. Un roman agréable à lire.

Ahmed Hanifi, 

mercredi 27 octobre 2020

lire ici Article et autres informations  : https://ahmedhanifi.com/la-discretion-le-dernier-roman-de-faiza-guene/

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http://ahmedhanifi.com/wp-content/uploads/2020/10/Faiza-Guene-La-Grande-librairie-Mer-23-09-2020.mp4

Faïza Guène à La grande librairie, le mercredi 23 septembre 2020

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Kamel Daoud à « Voix nue »

Je vous propose d’écouter « À voix nue » une émission de France Culture. L’invité est Kamel Daoud. Il s’exprime durant cinq épisodes de 30 minutes chacun, diffusés du 29 novembre au 3 décembre. Son discours est franc et intelligent. Il dit les choses, ses convictions, son parti-pris, ses réflexions, ses doutes, comme à son habitude en vous regardant droit dans les yeux. Il faut prendre parfois sur soi et surtout ne pas rejeter ou s’offusquer « bêtement » (pardonnez-moi). Je n’adhère pas à tout ce qu’il dit, non, mais je trouve qu’il fait beaucoup avancer les débat si tant est qu’on lui oppose, lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui, non des stigmatisations et autres noms d’oiseaux mais un argumentaire. Il est de mon point de vue primordial que nous arrêtions avec cet esprit et propos constrictifs « plus nationaliste que moi tu meurs » ! Personnellement j’aurais quelques réserves sur certains passages (la presse, l’écriture, le militantisme…) Je regrette qu’il ne rende pas hommage à feu « Moussa » Bennaoum son 1° employeur (lui, K.D., qui était alors un jeune en recherche d’une stabilité, d’un salaire) « Moussa » dont il cite furtivement le nom de son journal.

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Kaoutar HARCHI « Comme nous existons », à Marseille

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LA VIDEO SE TROUVE EN BAS, À LA SUITE DU TEXTE

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Kaoutar Harchi a présenté hier samedi 27 novembre son dernier ouvrage, « Comme nous existons » (Actes Sud) , une « enquête autobiographique », à la médiathèque Alcazar de Marseille. 

Je vous propose ces vidéos et à leurs suite une lecture de quelques extraits de son intervention qui a duré une heure et demie. 

La séance s’ouvre sur une question du cheminement entre les différents ouvrages écrits par l’autrice.  « La question de la trajectoire est une question complexe. Le point de départ qui est sûrement partagé par de nombreuses personnes, c’est le sentiment de la privation dans les deux sens du terme, être dans un espace domestique, familiale il y avait quelque chose qui paraissait complexe à cet endroit-là… et il y avait aussi la notion du sentiment d’être privé et aspiration à devenir publique au sens d’aspiration à faire des choses qui revêtent un caractère collectif, quelque chose qui relève d’une certaine forme d’utilité ou d’une certaine forme de réponse aux nécessités qui pouvaient être les miennes quand j’avais 17 – 20 ans. Beaucoup de choses se forment à ce moment-là et en tant que jeune fille de l’immigration post-coloniale comme je peux l’expliquer dans ce récit, la question scolaire était une question assez importante, assez centrale et l’écriture a fait naturellement au regard de la place que prennent les écritures scolaires quand on est enfant puis adolescent, la question de l’écriture a pris une place importante mais aussi parce que l’écriture c’est quelque chose d’assez paradoxal au sens où en France c’est très fortement érigé comme une sorte d’art suprême, mais c’est aussi un art plus accessible que peuvent l’être d’autres formes d’expressions artistiques qui exigent des instruments, qui exigent des cours, qui exigent une maîtrise technique. 

Donc j’ai été une jeune fille soucieuse de sortir dehors mais aussi inquiète à l’idée d’être confrontée à ce dehors-là que nous connaissons tous et qui est marqué par une sorte de violence qu’elle soit intellectualisée, analysée ou qu’elle soit simplement vécue de manière brutale et immédiate. Je m’interrogeais beaucoup sur ces questions. J’essayais de trouver un sens partageable aux différentes formes de sacrifice qui avaient accompagné la trajectoire et comment elles étaient aussi principalement un sacrifice d’ordre parental. Ces récits ont traversé cette histoire et j’essayais à chaque fois de résoudre quelque chose en me disant qu’après cet ouvrage-là les choses seront plus résolues. Les choses n’étaient pas plus résolues au sortir du livre, mais j’avais peut-être gagné en lucidité en radicalité. »

Sur la question la mise à jour de l’intime, sur les limites, les ressources… 

« La question autobiographique m’intéressait depuis un certain temps. J’avais commencé à écrire des récits de fiction. Le roman est un genre dominant. On y entre en tant qu’écrivain convaincu que c’est la forme la plus importante qui soit. À travers cette expérience de l’écriture romanesque qui était une expérience que je définissais avec beaucoup d’assurance comme une écriture émancipatrice, comme une écriture de la progression, comme une écriture de l’ouverture. Progressivement je me suis rendue compte que les choses, matériellement, ne se présentaient pas ainsi et que mon statut d’écrivaine qui était assez légitime à mes propres yeux ne l’était pas forcément aux yeux des personnes qui m’entouraient et des personnes dont le travail était de produire des formes de jugement sur ce type de récits. J’ai donc été confrontée à des formes de situations parfois paradoxales quand en tant qu’écrivaine je cherchais à affirmer une forme de singularité ou une forme de spécificité et que je mobilisais le ‘‘je’’ en disant ‘‘moi je pense, moi j’estime, moi je considère’’… les réponses qui pouvaient m’être faites étaient souvent des réponses qui pouvaient mobiliser non pas ma propre subjectivité mais mobiliser une certaine forme de groupe d’appartenance imaginaire, à ‘‘moi je pense, moi je considère, moi j’estime’’, on pouvait me répondre ‘‘mais vous les musulmans, vous les femmes arabes, vous les habitants des quartiers populaires’’ et j’étais toujours dans une forme de décalage en tout cas dans une forme de désajustement très fort entre le point, la situation qui était la mienne et la difficulté à faire reconnaître l’individualité qui était constitutive de mon travail et cette difficulté à faire reconnaître une individualité elle est absolument centrale dans le cadre des rapports qui régissent les populations minoritaires et les populations majoritaires. Elle est centrale aussi dans les processus de désubjectivation et dans les processus d’identification qui sont souvent des processus d’identification qui réduisent ce que vous êtes à ce que vous semblez être. La question de l’apparence est absolument fondamentale et on peut y entrer par la question du genre, par la question de la classe et bien évidemment par la question de la race. Donc à partir d’une expérience apparemment anodine et apparemment simple, celle d’être une jeune femme dans le champ littéraire français se sont redéployées des problématiques d’ordre général que j’aurais pu expérimenter à partir d’un ensemble infini d’espaces sociaux, mais je les ai expérimentées à partir d’un espace où le symbolique où la catégorie où la valeur où le jugement où la qualification sont absolument fondamentaux, et cela a exacerbé un certain nombre de choses et j’ai toujours été par la suite à la recherche de ce ‘‘je’’ en fait, j’ai toujours été à la recherche de cette forme d’individualité. 

Je crois de manière très simple et très élémentaire et avec des formes de sédimentation très profondes dans le temps, le temps de ma vie, mais aussi le temps qui précède ma vie, c’est-à-dire tout ce qui s’est passé avant moi et avant nous tout cela a pris une forme qui ressemblait à quelque chose, a pris une forme qui était celle d’un pouvoir qui s’exerce et d’une résistance qui est appelée à se faire connaître.  »

De nombreux thèmes ont été développés, ainsi les ruptures entre les attentes de la société français et le milieu d’origine… la peur à travers les personnages (personnes) du récit… le choix du collège de l’auteur par ses parents… les questions d’actualité, la violence, le précariat, les inégalités, le politique, les formes d’apartheid, les corps en survie…  

Je vous laisse apprécier des extraits de vidéos que j’ai prises à cette occasion.

ahmedhanifi@gmail.com

Marseille, 28 novembre 2021

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Oran-Tamanrasset

« Pour beaucoup ici la mesure du temps est une abstraction, une fantaisie étrangère dont on se moque éperdument comme on raille les instruments – la montre ou le sablier – chargés de cette énigmatique et impossible opération. Les éléments et les vicissitudes de la vie des hommes sont plus importants, parfois plus inquiétants, que l’horloge et le faux temps qu’elle dissèque. L’une et l’autre sont mis à distance par les hommes qui les observent avec le juste intérêt qu’ils leur doivent. Aucun sablier ne sied au temps éternel. » À Béni Abbès – El Ouata, 2014.Alors, installez-vous, prenez un thé, ce que vous voulez, respirez. Cool…

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Un thé à El-Ouata

Les derniers jours de janvier s’effilochent à leur tour, paisiblement, en lambeaux ou en débris, naturellement ou au gré du Zef ou du Chergui comme tous ceux qui les précédèrent. Je me trouve dans le désert algérien. À El-Ouata exactement. Latitude 29°51’50 nord, à cinquante kilomètres au sud de Béni-Abbès. Le thé rouge que je déguste sous la tonnelle qu’ombragent de respectables bougainvilliers fleuris à faire rougir de lointains congénères mieux lotis, a le goût suave de l’immuabilité.  Pour beaucoup ici la mesure du temps est une abstraction, une fantaisie étrangère dont on se moque éperdument comme on raille les instruments – la montre ou le sablier – chargés de cette énigmatique et impossible opération.  Les éléments et les vicissitudes de la vie des hommes sont plus importants, parfois plus inquiétants, que l’horloge et le faux temps qu’elle dissèque. L’une et l’autre sont mis à distance par les hommes qui les observent avec le juste intérêt qu’ils leur doivent. Aucun sablier ne sied au temps éternel.

J’arrivai à Béni-Abbès hier en fin de journée. Je passai la nuit dans l’hôtel du Grand Erg, chambre 187.  Cet hôtel est une sorte d’îlot, très peu nombreux ici, dont les responsables – ils viennent du Nord –, par souci de « bonne gestion », ont souvent les yeux rivés sur la trotteuse et la grande aiguille qui tournent sans fin, chacune à son rythme, sous un cadran impassible. « Le petit déjeuner est servi entre 7 h 30 et 9 h » m’avait-on averti. Parmi les autochtones, nombreux poufferaient de rire. Ce matin, aussitôt réveillé je pris une douche froide avant de me rendre dans la salle de restauration pour le petit déjeuner – ce fut café au lait, khobz*, mini plaquette de beurre et confiture d’orange –, que je pris bien après l’horaire indiqué. Je saluai le réceptionniste très attentionné et me rendis au cœur de la ville, à hauteur du carrefour, sous les arcades. Les boutiques étaient ouvertes. Un marchand de journaux, des vendeurs à même le sol d’amulettes, de sandales, de bracelets et autres bijoux et souvenirs. Et un café. À droite, à quelques centaines de mètres sur l’artère principale, face au café-restaurant El-Aurès, des minibus et taxis collectifs attendent les clients. Mon intention était de me rendre à El-Bayada pour découvrir ses réputés artisans qui reproduisent à l’identique des ustensiles de cuisine en terre cuite tels qu’on les fabriquait dans les temps les plus reculés. El-Bayada se trouve à quelques kilomètres au sud d’El-Ouata. Des chauffeurs de minibus accostent les passants : « Taghit, Bechar ! », d’autres « El-Ouata ! »

El-Ouata, où je me trouve devant un verre brûlant et des dunes tout autour délaissées par les ombres, est un village offert au silence et à la torpeur, posé à cinquante kilomètres au sud de Béni-Abbès. 

« À El-Ouata tu prendras un taxi » me répondit le propriétaire du minibus qui fit encaisser par son employé 80 dinars. Je m’assis au fond du véhicule, au cinquième et dernier rang, à gauche, prêt de la fenêtre. Sur ma droite un homme, vêtu d’un boubou de soie bleu et d’un chèche de même couleur mâchait une gomme. L’heure prévue pour le départ était depuis longtemps passée, mais personne ne se souciait de cette contrariété. Le véhicule démarra lorsqu’aucune place des cinq rangées de sièges n’était plus disponible, y compris les quatre strapontins du couloir. Au premier rang, deux hommes occupaient les deux sièges à côté du chauffeur. Les commentaires de l’un m’amenèrent à penser qu’il était fonctionnaire. Le deuxième, très jeune, avait en charge la vente des billets. Juste derrière le chauffeur, au deuxième rang, deux femmes discutaient. La plus jeune tenait dans ses bras un nouveau-né silencieux, emmitouflé dans une couverture en laine pourpre, complètement. Lorsqu’elle se retournait pour parler au jeune garçon assis derrière elle, je devinais les traits fins de son visage dissimulé par un âjar*. Les deux sièges de droite étaient pris par un vieux couple. Une jeune collégienne occupait le premier strapontin.

Nous abandonnâmes Béni-Abbès par l’est, par l’hôpital Mohamed Yagou. La température ne cessait de grimper. Le ciel était et demeure aussi pur que les eaux du lointain et pacifique lagon de Tetiaroa. Une traînée ridicule au loin, blanche, se lova quelque temps dans un creux de l’immensité, puis s’évapora. La route était libre. Peu de véhicules l’empruntent. Les portables ne cessaient de vibrer, de sonner, tout le long du voyage. Mélodies inconciliables. Les discussions étaient hautes et les intimités des jaseurs partagées avec les autres passagers qui ne rouspétaient pas, mais n’en pensaient pas moins : « et toi pourquoi tu es allée les voir ? Je t’ai déjà dit qu’il était inutile d’aller les voir ». Cherchaient-ils à dissimuler leur état émotionnel, leur angoisse ? Nous étions tous, j’en suis certain, tous, à des degrés divers, plus préoccupés par la conduite du chauffard qui s’imaginait à portée d’une victoire d’un rallye automobile quelconque que par le contenu imposé des échanges téléphoniques. Aucun d’entre nous n’osa rouspéter. Ceux qui téléphonaient, peut-être le faisaient-ils pour détourner leur esprit de l’inquiétude et de la peur qui l’auraient assiégé du fait de cette folle conduite ? J’eus moi-même grand-peine à prononcer ces mots à mon voisin « il roule trop vite ». Le voisin feignit l’indifférence : « Hum » fut sa seule réaction bien réfléchie. Ou complètement spontanée. Peu après le panneau qui indiquait « Béchir », le receveur descendit. Le chauffeur quitta la grande route pour se diriger vers ce village, à droite. À deux kilomètres, le hameau sorti de nulle part pointa ses premières façades ocre. Un passager descendit avec un impressionnant sac bariolé rempli d’une douzaine de baguettes de pain. Ou une vingtaine. Il ne regarda pas derrière lui, ne fit même pas un geste de bienveillance au chauffeur. Cet apparent désintérêt ne me parut pas s’inscrire dans les mœurs locales très chaleureuses, quel qu’ait pu être son sentiment d’inimitié à l’encontre du chauffeur, que néanmoins je comprenais et partageais. Le minibus revint sur sa route. À l’embranchement qu’il avait quitté, il ralentit. Le receveur reprit sa place. Dix minutes plus tard, une localité un peu plus étalée apparut. Je demandai à mon voisin si nous étions arrivés à El-Ouata. Il hocha la tête et dit : « Taansel », gêné, me sembla-t-il, par la mastication de sa gomme. Je le fis répéter. « Taamtel » fit-il en se levant, pressé sous son chèche bleu, mais je n’étais point satisfait. Il demanda de libérer le passage, pour descendre, soulagé. Lui non plus ne fit pas signe et cela me contraria. Un homme monta en articulant un « Tchalem alikum »* à l’assemblée. Il prit la place de l’homme au chèche, rota et remercia l’Invisible en faisant la main droite du front aux lèvres et en murmurant « Hamdjoullé* ». Au loin, des enfants jouaient au foot dans un mini-stade neuf de volley-ball sans gradins. L’avenue principale est bordée, de part et d’autre, de nombreux arbres. Un journal révèle : « Entamé il y a trois années, un projet permit à ce jour la plantation de 15.000 ha en brise-vent autour des périmètres de mise en valeur des terres sahariennes, à travers les daïras de Béchar, Béni Abbès, Tamtert… Ces opérations de lutte contre la désertification furent aussi marquées par la plantation de 150 ha d’oliviers et de près de 9000 ha d’espèces forestières adaptées aux conditions climatiques de la région… » Un oued sans eau traverse le village. Le pont qui l’enjambe est en travaux. A la sortie, son nom est barré d’une bande rouge. Je réussis à lire : Tamtert. Les téléphones chantaient toujours. Trois personnes dont une femme, racontaient dans leurs combinés des histoires qui nous encombraient certes, mais qui nous aidaient, car nous ne pouvions totalement les ignorer, totalement supporter la folie du chauffeur.

Le temps passa et de nouveau la fourgonnette ralentit, puis s’immobilisa. La belle jeune femme et son nourrisson – il fut silencieux ou pensif, peut-être dormit-il durant tout le transport – nous abandonnèrent à l’entrée du dernier village. Nous arrivions à El-Ouata. Le garçon qui était assis derrière elle, peut-être son jeune beau-frère, descendit aussi. Un homme les attendait. Il embrassa le jeune garçon et soulagea la femme de son sac sans la regarder. Il avançait, la main pressant celle du garçon. La jeune femme les suivait. Le terminus se trouve au centre de la daïra*, près du marché. « Tout le monde descend, Ham-waldjikum* ». Le chauffeur d’un autre minibus m’expliqua que je ne trouverai probablement pas de transport pour El-Bayada. L’objet de mon déplacement était la découverte de ce village et ses réputés artisans, à dix kilomètres d’ici. Mais « la route n’est pas bonne pour nos voitures ». Je n’irai donc pas plus au sud. 

Au café du marché, je commandai un thé rouge « dans un grand verre merci ». Puis un second. D’une fourgonnette grise, un homme extrait des plantes vertes et de jeunes arbres fruitiers qu’il dépose et déploie derrière, à même la chaussée. Quelques personnes s’avancent, interpellent le vendeur. La saveur de ce thé rouge que je savoure sur cette place cernée de dunes sans ombre « Vingt-cinq dinars le grand verre », sous la frondaison des bougainvilliers écarlates est, je l’affirme, aussi exquise que la douceur de l’éternité.  

*Khobz : pain

Âjar : une voilette. C’est un tissu triangulaire, symbole de pudeur, traditionnellement porté par les femmes voilées. Il est posé sur le bas du visage, et qu’on attache derrière la tête.

Tchalem alikum ou salam alikoum : que la paix soit sur vous

Hamdjoullé ou Hamdou Allah (lillah) :  Remerciement à Dieu

Daïra : sous-préfecture.

Ham-waldjikum ou rham weldikoum : que Dieu bénisse vos parents.

El-Ouata le 26 janvier 2014.

______________________________________ Photos 2019____________________________

Il y a cinq ans disparaissait Léonard Cohen

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Il y a cinq ans disparaissait LEONARD COHENPour ne pas oublier Léonard et SuzanneC’était en 1973. J’avais l’âge de toutes les folies et même deux ans de plus. Et le diable au corps. Je me trouvais dans un pays lointain, aujourd’hui à deux clics de souris, à deux doigts donc. Mais à l’époque, ce pays qui nous faisait rêver était pour nous le bout du monde. Par ce « nous » j’entends la bande Snouci and C° du quartier Michelet d’Oran – bande à laquelle s’est jointe Suzanne L. fraîche émoulue de La Sorbonne, enseignante à la fac de Lettres d’Oran Sénia. Dès qu’arrivait le vendredi, veille de week-end, nous délaissions la brasserie Le Majestic, notre quartier général, pour aller fureter les quartiers autour de la place des victoires, du marché, de la cinémathèque. Mais LGF, « el-khawa » nous empêchaient de tourner en rond. Treillis verts et triques noires, non merci. Où que nous allions, ils exigeaient de nous qu’on écrase l’Afras ou la Marlboro et qu’on leur montrât le livret de famille, ou de rentrer à la maison. Le temps était venu pour notre groupe, la bande Snouci and C°, d’aller voir ailleurs. Au début des années soixante-dix, notre plus bel ailleurs, à l’unanimité, était la Suède. Chacun a fait comme il a pu pour quitter (déjà !) notre pays d’enfer (le terme est ici très négatif). Il nous fallait bouger.En 1973, je me trouvais donc en Suède et plus exactement à Farsta dans un grand appartement de son centre. Farsta est un joli bourg dans le sud de Stockholm. J’étais à moitié allongé sur un sofa. J’étais plus ou moins allongé avec dans la main une cannette de je ne sais plus trop quoi. Il me reste dans mes souvenirs que le jus était sacrément énergisant. Dans la pile de vinyles j’avais choisi « Suzanne » un morceau très en vogue, « Suzanne takes you down to her place near the river/ You can hear the boats go by/ You can spend the night beside her/ And you know that she’s half crazy… » Dans le spacieux appartement vivait une demi-douzaine de personnes, toutes – je le découvrirais – aussi sympathiques et farfelues que déglinguées. C’était Suzana, une fille que j’avais connue dans une auberge de jeunesse « L’auberge du quai de Jemmapes » à Paris qui m’y avait invité. Nous avions fait le trajet ensemble en stop de la Porte de Clichy jusqu’à la banlieue de Stockholm grâce à un routier sympa de Max Meynier (vous ne connaissez pas Max ? un jour je vous raconterai). Trois jours de route. Ce jour à Farsta était un samedi, je m’en souviens bien, Suzana m’avait proposé d’aller voir ensemble Viskningar och rop de Bergman, à son retour. Elle était partie voir sa mère je ne sais plus où. Les autres co-locataires étaient eux aussi absents. J’étais seul, allongé sur un sofa blanc, une canette à la main, captivé par Suzanne de Cohen. « But that’s why you want to be there/ And she feeds you tea and oranges/ That come all the way from China/ And just when you mean to tell her/ That you have no love to give her » Les Suzanne m’envoutaient. De sa voix profonde Cohen nous embarquait auprès de lui, il nous invitait aux voyages les yeux fermés en toute confiance. J’étais plus ou moins allongé en sirotant mon jus de je ne sais plus quoi, lorsque j’entendis le bruit d’une clé dans la serrure de l’appartement suivi par le grincement de la porte. Le temps de me retourner, un mec était planté là, courbé, un pack de Carlsberg V dans les bras. Il a dit quelques mots en suédois. J’ai compris « vän » (ami). Son allure générale n’inclinait guère à la bienveillance. Manifestement il semblait bien éméché. Et même plus qu’éméché. Je me suis levé comme un soldat prêt à se mettre au garde-à-vous. Que faire d’autre lorsqu’à vingt ans on se trouve dans de tels draps ? « Hi » j’ai dit en tendant la main, peu rassuré. Le gars m’a regardé un moment. N’a pas répondu à la main tendue. Il s’est affalé dans un fauteuil, puis a posé sans délicatesse le pack de bière sur la table basse à côté. « U come here with Suzana, is n’t man ? » Et l’autre là-bas qui sillonnait sur le tourne-disque, se fichant de la situation. Il chantait encore « Then she gets you on her wavelength/ And she lets the river answer/ That you’ve always been her lover ». J’ai dit « Suzana, heu, yes, yes… » Je ne savais quoi dire en fait, car le type ne m’inspirait pas confiance. Le visage déformé il a baragouiné je ne sais quoi d’autre, a porté son bras droit dans la poche arrière de son pantalon pour en extraire un objet noir qu’il a tendu vers moi. « Cohen se fiche de moi » ai-je pensé. Il n’arrêtait pas. « And she shows you where to look/ Among the garbage and the flowers/ There are heroes in the seaweed/ There are children in the morning/ They are leaning out for love/ And they will lean that way forever/ While Suzanne holds the mirror ». Le voyou cracha « This is for you guy ». Le « this » signifiait l’objet qu’il tenait fermement dans la main. Et il disait qu’il me le destinait. Je n’avais pas trop vite saisi. Était-ce une plaisanterie ? Le gars ne souriait pas. Son regard, sa bouche, son visage, exprimaient plutôt de la colère. Je compris au terme d’un moment qui me parut une éternité que décidément non, le malfrat ne rigolait vraiment pas. Mais alors pas du tout. J’ai tenté d’entamer une discussion avec lui. Sur le bout des doigts ou des pieds. Plutôt des pieds. Le type était occupé à dégoupiller une Carlsberg, il cherchait dans sa poche avec sa main libre un instrument pour. L’autre main tenait fermement un révolver. Le moment était propice si je voulais connaître la suite du temps qui passe. En une fraction de seconde, de celles qui nous motorisent, qui nous galvanisent lorsque nous nous trouvons dans d’identiques situations, j’ai réussi à m’extraire de la nasse qu’était devenu l’appartement. J’ai dévalé je ne sais comment les trois étages de l’immeuble, traversé la cour, suis sorti dans l’avenue, ai couru, couru, couru, sans me retourner jusque dans Djurgarden, un grand parc où se promenaient des centaines de personnes au sein desquelles je me suis fondu. « Peut-être pas des centaines » ai-je penssé, mais enfin, ce n’était pas l’heure de ronchonner. Il faisait lourd, il faisait beau, je ne sais plus. Ces petits détails n’ont pas marqué mon esprit. J’entendais au loin Suzanne, « And you want to travel with her/ And you want to travel blind/ And you know that you can trust her/ For she’s touched your perfect body with her mind. » Je ne voulais rien d’autre que « voyager avec elle… voyager les yeux fermés » Je savais que je pouvais lui faire confiance… »Le soir, lorsque la nuit se fut bien installée, Suzana me raconta l’histoire de ce type « il est un peu dérangé, il n’est pas méchant, non, il dit toujours qu’il va tuer quelqu’un. He always says that ! ». C’était en 1973. J’avais l’âge de toutes les folies et même plus.Aujourd’hui, lorsque j’écoute cette chanson, je retrouve mes vingt ans. Finalement le temps, est d’une certaine manière, défait.Leonard Cohen est mort, mais pas Suzanne. Aucune des trois. La suédoise est grand-mère, l’égérie d’Oran a retrouvé Paris et Suzanne l’éternelle est en nous tous. Elles sont toutes plus vivantes que jamais. Je les entends encore, près de cinquante ans plus tard, les cheveux blanchis, me fredonner notre air préféré, « And you want to travel with her/ And you want to travel blind … »

Ahmed Hanifi,Marseille le 6 novembre 2021Ce texte (modifié) a été initialement écrit le 12 novembre 2016

Léonard Cohen est mort le 7 novembre 2016 à Los Angeles à l’âge de 82 ans

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Sur Facebook, il y eut des réactions au texte…

Il y eut des réactions quant à la proximité de Léonard Cohen avec l’état (colonial) d’Israël. Je ne les ai pas reprises ici, car mon propos se veut axé sur la poésie, la chanson, la littérature, le souvenir d’une époque… Nous savons tous les ravages de l’État d’Israël et nous savons que beaucoup de chanteurs, écrivains… sont proches de lui hélas, mille fois.

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Suzanne takes you down to her place near the riverYou can hear the boats go byYou can spend the night beside herAnd you know that she’s half crazyBut that’s why you want to be thereAnd she feeds you tea and orangesThat come all the way from ChinaAnd just when you mean to tell herThat you have no love to give herThen she gets you on her wavelengthAnd she lets the river answerThat you’ve always been her lover Etc.

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Et sa muse, la connaissez-vous ? Vous ne connaissez pas Suzanne VERDAL ?

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LES PAROLES

(en français = de Graeme Allright°

Suzanne takes you down to her place near the river

Suzanne t’emmène chez elle près de la rivière

You can hear the boats go by

Tu peux entendre les bateaux voguer(1)

You can spend the night beside her

Tu peux passer la nuit auprès d’elle

And you know that she’s half crazy

Et tu sais qu’elle est à moitié folle

But that’s why you want to be there

Mais c’est pour ça que tu veux rester

And she feeds you tea and oranges

Et elle te nourrit de thé et d’oranges

That come all the way from China

Qui ont fait tout le chemin depuis la Chine

And just when you mean to tell her

Et juste au moment où tu veux lui dire

That you have no love to give her

Que tu n’as aucun amour à lui donner

Then she gets you on her wavelength

Elle t’entraîne dans ses ondes

And she lets the river answer

Et laisse la rivière répondre

That you’ve always been her lover

Que tu es son amant depuis toujours

And you want to travel with her

Et tu veux voyager avec elle

And you want to travel blind

Et tu veux voyager les yeux fermés

And you know that she will trust you

Et tu sais qu’elle aura confiance en toi

For you’ve touched her perfect body with your mind.

Car tu as touché son corps parfait avec ton esprit.

And Jesus was a sailor

Et Jésus était un marin

When he walked upon the water

Quand il marchait sur l’eau

And he spent a long time watching

Et il passa très longtemps à observer

From his lonely wooden tower

Du haut de sa tour solitaire en bois

And when he knew for certain

Et quand il eût la certitude

Only drowning men could see him

Que seuls les hommes sur le point de se noyer pouvaient le voir

He said All men will be sailors then

Il dit tous les hommes seront des marins alors

Until the sea shall free them

Jusqu’au moment où la mer les libérera

But he himself was broken

Mais lui-même fut brisé

Long before the sky would open

Bien avant que le ciel ne s’ouvre

Forsaken, almost human

Abandonné, presque humain

He sank beneath your wisdom like a stone

Il sombra sous ta sagesse comme une pierre

And you want to travel with him

Et tu veux voyager avec lui

And you want to travel blind

Et tu veux voyager les yeux fermés

And you think maybe you’ll trust him

Et tu penses que peut-être tu lui feras confiance

For he’s touched your perfect body with his mind.

Car il a touché ton corps parfait avec son esprit.

Now Suzanne takes your hand

Maintenant Suzanne prend ta main

And she leads you to the river

Et te conduit à la rivière

She is wearing rags and feathers

Elle est vêtue de haillons et de plumes

From Salvation Army counters

Venant des guichets de l’Armée du Salut

And the sun pours down like honey

Et le soleil coule comme du miel

On our lady of the harbour

Sur notre dame du port

And she shows you where to look

Et elle t’indique où regarder

Among the garbage and the flowers

Au milieu des déchets et des fleurs

There are heroes in the seaweed

Il y a des héros dans les algues

There are children in the morning

Il y a des enfants dans le matin

They are leaning out for love

Ils s’inclinent par amour

And they will lean that way forever

Et ils s’inclineront ainsi pour l’éternité

While Suzanne holds the mirror

Pendant que Suzanne tient le miroir

And you want to travel with her

Et tu veux voyager avec elle

And you want to travel blind

Et tu veux voyager les yeux fermés

And you know that you can trust her

Et tu sais que tu peux lui faire confiance

For she’s touched your perfect body with her mind.

Car elle a touché ton corps parfait avec son esprit.

(1)  littéralement passer ( mais fallait éviter la répétition de passer )

Merci à : w.lacoccinelle.net

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Suzanne, la femme qui fit chanter Leonard Cohen

le 13 novembre 2016, 

(modifié le 21 juin 2017)

La légende folk Leonard Cohen s’est éteinte jeudi. Cohen devait son tube planétaire à une danseuse hippie de Montréal, Suzanne Verdal, qui l’obséda toute sa vie.

Leonard Cohen est mort jeudi. (Reuters)

A-t-elle écouté son dernier album, You Want It Darker, chant funéraire paru il y a trois semaines? C’est peu probable. Écouter Leonard Cohen lui était devenu insupportable. Pourtant, qui d’autre connaissait mieux la légende folk, le plus sérieux concurrent de Bob Dylan, qui s’est éteint jeudi à l’âge de 82 ans? Justement, Suzanne Verdal le connaissait peut-être un peu trop. Le chanteur lui doit son premier succès et probablement la plus belle histoire d’amour de ce séducteur impénitent. Plutôt que de lui offrir son corps, la femme qui survit aujourd’hui avec ses rêves hippies dans un cabanon au bord du Pacifique, lui a inspiré la chanson qui restera à jamais associée à son œuvre.

« Je touchais son corps parfait par l’esprit »

L’histoire de Suzanne commence au début des années 1960. Poète et écrivain sans le sou, ­Leonard Cohen retrouve au Vieux Moulin, un club de jazz de Montréal, son ami, le sculpteur Armand Vaillancourt, dont la complicité avec sa très jeune fiancée sur la piste de danse le fascine. Trois ou quatre ans passent. Son ami a divorcé de sa danseuse. À l’été 1965, Leonard Cohen décide de rendre visite à la belle dans la maison au bord du fleuve Saint-Laurent, où elle élève seule sa fille, Julie.

Dans les rues de Montréal, ils se promènent à l’unisson, allument des bougies à l’église Notre-Dame-de-Bon-Secours. Chez elle, Suzanne lui offre du thé venu de Chine. « Nous n’avons jamais été amants sur un plan physique s’entend, c’était beaucoup plus profond que cela. Vous savez combien ­Leonard est un homme sexuel! Il est très attirant pour les femmes et je ne voulais pas être une de plus dans la foule », confiera Suzanne Verdal. « C’était un loft à une époque où l’on ne connaissait pas l’existence de ce mot. Elle m’a invité en bas à prendre du thé avec des zestes d’orange dedans. Les bateaux passaient devant les fenêtres et je touchais son corps parfait par l’esprit, faute de pouvoir faire autrement », racontera ­Leonard Cohen.

La chanson naît d’abord sous forme d’un poème, Suzanne Takes You Down. Quand le chanteur le psalmodie à Judy Collins au téléphone, elle lui demande d’en faire une chanson qu’elle enregistre en premier. Puis Suzanne ouvre en 1967 le premier album de Leonard Cohen, Songs of Leonard Cohen, avec pour autre succès, So Long Marianne, inspirée par Marianne Jensen, encore une ex-épouse d’un de ses amis artistes, avec laquelle Leonard Cohen vivra. Mais les histoires qui se concrétisent n’ont pas le privilège de l’éternité. ­Leonard Cohen rencontrera une autre Suzanne (Elrod), avec qui il aura deux enfants. La première devient un classique, bientôt repris par les compagnes et muses de Bob Dylan, Joan Baez et Françoise Hardy, mais aussi plus tard par la chanteuse de Abba, Anni-Frid Lyngstad, Graeme Allwright ou Alain Bashung. ­Leonard Cohen comparera sa Suzanne à un Château Latour de 1982.

Elle devient sans-abri à Los Angeles

À la fin des années 1970, ­Leonard Cohen se produit à Minneapolis. Suzanne Verdal s’est acheté un billet et vient le voir dans les coulisses à la fin du concert. « Tu m’as offert une belle chanson », la remercie le chanteur, devenu une superstar. Celle qui a voyagé de San Francisco à New York via Paris est retournée vivre à Montréal, où elle élève trois enfants de trois pères différents, toujours seule. Vingt ans après l’été 1965, Leonard Cohen est lui aussi à Montréal, où il reprend ses promenades lorsqu’il aperçoit sur la place Jacques-Cartier un spectacle de rue. Il s’approche, la danseuse le remarque. C’est Suzanne qui se présente à lui en mimant une révérence. Brutalement, il tourne les talons. On ne saura jamais pourquoi et s’il l’a reconnue ou bien ignorée.

En 1999, la danseuse tombe d’une échelle. Dos et poignets brisés. L’ancien rayon de soleil du Vieux Moulin ne peut plus enseigner la danse et sombre dans la dépression. Sa chanson la poursuit jusque dans les restaurants, qu’elle quitte dès qu’elle en entend les premières notes. Sans aucune ressource, elle est sans-abri à Los ­Angeles, survivant sur un parking de Venice Beach. L’eau toujours devant soi mais sans amour. L’ancienne fille qui faisait tourner la tête à toute la Beat Generation ne se doute pas que son ancien prétendant a déménagé à quelques ­kilomètres. Il vit dans un monastère bouddhique sous le nom de Jikan.
Ils ne se reverront plus jamais. En 2008, Leonard Cohen reprend la route, ruiné par sa manageuse mais sauvé par Suzanne. La vraie n’écoute plus la chanson, mais a gardé les mêmes « haillons », ce manteau de bohème qu’elle n’a jamais quitté.

Source: JDD papier

www.lejdd.fr

Le Goncourt à Mohamed Mbougar Sarr

Le prix Goncourt a été décerné ce matin mercredi 3 novembre 2021 à l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, 31 ans, pour son roman « La plus secrète mémoire des hommes » édité chez Philippe Rey. Il est « l’un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire » (François Busnel, F5_ 09.09.2021_ LGL.)

« Mohamed Mbougar Sarr signe l’un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire. « La plus secrète mémoire des hommes », chez Philippe Rey, est une quête labyrinthique qui dit le pouvoir de la littérature. » (Vidéo La Grande librairie 9.09.2021)

Chez Busnel il évoque 

À écouter et à lire Mohamed Mbougar Sarr.

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En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ? 

Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda… 

D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel. 

In : www.leslibraires.fr/livre

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Bibliobs. 

10 choses à savoir sur Mohamed Mbougar Sarr

L’inattendu lauréat du Goncourt 2021 est un jeune auteur sénégalais coédité par deux petites maisons d’édition indépendantes.

Par Arnaud Gonzague

3 novembre 2021

1. Surprise

Sur le papier, le Goncourt 2021 n’avait rien pour décrocher ce Graal. Natif de Dakar (Sénégal) en 1990, Mohamed Mbougar Sarr n’appartient pas au « milieu », n’habite pas Paris, mais Beauvais (Oise) et son roman, « la Plus Secrète Mémoire des hommes », est copublié par Philippe Rey et Jimsaan – deux maisons d’édition indépendantes fort éloignées des habituels favoris du prix.

2. Sang-froid

Là où le journaliste s’attend à rencontrer un tout jeune écrivain, surexcité d’avoir été reconnu, il tombe sur un vieux sage de 31 ans, sourire discret, phrasé choisi : « Il faut accueillir les choses comme elles viennent, avec joie mais lucidité. Ce qu’on appelle le succès est très relatif. Je m’inspire des stoïciens : n’agir que sur ce qui dépend de nous. Et moi, je ne peux agir que sur l’écriture. »

3. Carton

Pourtant, sa « Plus Secrète Mémoire des hommes », qui lui a réclamé trois ans de travail, a connu une fortune commerciale et critique inattendues. Après plusieurs réimpressions, il a déjà été diffusé à 30 000 exemplaires grâce à un vif bouche-à-oreille. « Nous avons reçu vingt-trois demandes de traductions et plusieurs coups de fil de producteurs, c’est un record pour notre maison ! », s’exclame son éditeur Philippe Rey.

4. Enquête

Comment expliquer pareil succès ? Le récit est porté par une enquête, menée par un jeune écrivain africain sur les traces d’un autre auteur africain, le mystérieux T.C. Elimane. Ce dernier a publié en 1938 un chef-d’œuvre, « le Labyrinthe de l’inhumain », qui lui vaut le surnom de « Rimbaud nègre ». Hélas, Elimane a sombré dans le déshonneur après qu’un expert a trouvé son roman trop copié-collé sur une cascade d’auteurs classiques. Que s’est-il passé au juste et qu’est devenu l’auteur maudit ? C’est tout le nœud de l’intrigue.

5. Histoire vraie

Si Elimane est inventé, Mbougar Sarr s’est inspiré de la figure de Yambo Ouologuem, auteur malien récompensé par le Renaudot et accusé en 1972 d’avoir trop « emprunté » à d’autres, notamment Graham Greene. « Ouologuem est rentré au pays, humilié et n’a plus parlé. C’est un sort injuste, car il n’a plagié personne. Il s’agissait d’un jeu littéraire plein d’ironie. Mais un auteur africain a-t-il le droit de jouer avec les classiques de l’ancien colon ? »

6. Labyrinthe

Qu’on n’attende pas avec « la Plus Secrète Mémoire des hommes « un « roman africain » : Mbougar Sarr s’inscrit plutôt dans la lignée des grands bâtisseurs de labyrinthes narratifs, comme Jorge Luis Borges, Roberto Bolaño ou Witold Gombrowicz. L’intrigue repose ainsi sur une succession de récits enchâssés, dans divers formats (journal intime, articles de presse, mail…), à diverses périodes historiques et sur plusieurs continents. Pourtant, petit miracle : le lecteur ne s’y perd jamais !

7. Militaire

Mbougar Sarr, fils de médecin généraliste, a passé son enfance à Diourbel, petite ville à l’ouest du Sénégal, avant d’intégrer l’établissement le plus prestigieux du pays, le Prytanée militaire de Saint-Louis. « J’ai hésité à devenir officier avant de me décider pour la littératureLes deux vocations ont des points communs, d’abord une certaine discipline morale. En littérature, cette éthique vous fait refuser toutes les facilités et ce qui réduit un roman à un produit de consommation. »

8. Saint-Cyr

Le jeune bachelier se paie même le luxe de dédaigner Saint-Cyr, l’école militaire française d’élite, pour intégrer une classe prépa littéraire. Il quitte le Sénégal et atterrit donc au lycée Pierre d’Ailly, à Compiègne (Oise). « Un ami de mon oncle, qui vivait en France, pensait que je ne supporterais pas l’ambiance cannibale des grandes parisiennes. Je lui en sais gré ! J’ai été très bien accueilli, je tiens à le souligner. »

9. Etranger

Bien que vivant dans l’Oise depuis une douzaine d’années et ayant pour compagne une Française, il ne songe pas à demander la nationalité française. « Je ne suis pas en couple avec la France, plutôt en relation libre. Etre étranger est la position idéale pour toujours redécouvrir ce pays, même si ça ne simplifie pas les choses, notamment quand vous devez prendre l’avion ! » Il caresse même le projet de retourner vivre au Sénégal.

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Proclamation du 1° novembre 1954

« Qu’ont-ils fait de Novembre ? » demande le petit-fils.

« Une grande forfaiture contre leurs frères » répond le grand-père.

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« Quand trop de sècheresse brule les cœurs,Quand la faim tord trop d’entrailles,Quand on verse trop de larmes,Quand on bâillonne trop de rêvesC’est comme quand on ajoute bois sur bois sur le bucher :À la fin, il suffit du bout de bois d’un esclave Pour faire dans le ciel de dieuEt dans le cœur des hommesLe plus énorme incendie. »

Mouloud Mammeri in L’Opium et le bâton(Plon, 1965)

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Lire en pièces jointes, les 4 feuillets de la « Proclamation au peuple algérien – aux militants de la cause nationale »(Dite Appel du premier novembre 1954) – J’ai une pensée pour mon cher ami, feu Abdelkader Yaddaden (Arzew) et Ali Zamoum (Ighil Imoula) grâce auxquels j’ai eu accès à ces documents rares. La Déclaration dactylographiée a été remise par Krim Belkacem à Ali Zamoum pour la ronéotyper.J’ai ajouté le scan d’une dédicace de Ali Zamoum à Abdelkader Yaddaden (in Tamurt Imazighen, Mémoires d’un survivant- ed: Rahma)

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À partir du Mur FB de Feriel Fy- 31.10.2021

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Langue française et démagogie (en Algérie)

« Emergency issues » pour « Issue de secours » !

La langue et la démagogie

Ici et là, dans certains ministères algériens, on s’active à angliciser les structures, des panneaux indicateurs, des textes en anglais… contre la langue française installée depuis des lustres. Cela relève de la démagogie. La tentative d’introduire de manière cavalière la langue anglaise en Algérie, langue inconnue pour 90% de la population et mal maîtrisée par ceux-là mêmes qui s’y attellent, est vouée à l’échec car cette question majeure (comme beaucoup d’autres) n’est pas sérieusement débattue dans la société où la libre pensée est quasiment interdite. Et puis, l’Algérie se situe à la 81° place sur 100 au classement mondial de l’indice de compétence en anglais » établi en 2020 par www.ef.fr/epi. 

Cette tentative de remplacement vertical du français par l’anglais « pour impératif économique » et parce que le français est « la langue du colon » relève de la démagogie. Sait-on dans ces milieux de direction que la Grande-Bretagne fut longtemps la première puissance coloniale au monde ? Si nous suivons la logique de nos « mkhakh » (cerveaux), la langue anglaise est aussi à bannir car elle est aussi celle du Grand colon. C’est ridicule. En nageant dans la démagogie on confond le véhicule et son contenu ou mieux encore « le message et le messager », la langue française et la France politique. Je parle et écris en français (merveilleuse langue au passage) donc je deviens « un autre », celui qu’il faut stigmatiser, bientôt rejeter. On a un problème politique avec les dirigeants français, alors on va utiliser le levier de la langue. On a les vengeances qu’on peut. Allah ghaleb. Quelle tristesse.

L’Algérie est le troisième pays francophone au monde après la France et la RDCongo, c’est une réalité concrète qu’on le veuille ou non (plus de 11,2 millions de locuteurs, 33,3 pour la RDC). La diaspora algérienne est très importante dans les pays francophones (France, Canada, Belgique). Cette tentative aura pour résultat son éloignement (est-elle si turbulente que cela ?) 

Plutôt que de consolider le français et d’ajouter à ses côtés l’anglais, on procède par démagogie. La division et la démagogie sont au cœur du raisonnement des politiciens du pouvoir. En manque de légitimité et d’inspiration, ils inventent une « affaire », la consolident mais n’y croient absolument pas eux-mêmes. Alors ils la jettent comme une patate chaude.

Il me vient spontanément à l’esprit ces questions qui ne sont pas anodines : sur les 2000 élèves du lycée français international Alexandre Dumas et ses annexes en Algérie, combien sont les enfants de la nomenclature algérienne ? Combien d’autres de leurs enfants ou jeunes adultes sont inscrits dans les institutions françaises en France ? combien parmi eux et leurs premiers cercles investissent dans l’immobilier et autres « affaires » en France ? Quel est le niveau des échanges commerciaux avec la France ? (les chiffres officiels avancent que la France est le 2° fournisseur de l’Algérie et son 2° client ! Les échanges commerciaux avoisinent les 7 milliards d’euros, ce n’est pas rien !- in : direction du Trésor, France)

 Nos dirigeants inventent une « affaire » de langue du colon (faisant de la France du 21° siècle celle des 19 et 20°) et mobilisent leurs chiens de garde pour la lancer à la face des gens comme on lance un os à son toutou, mais les Algériens ne sont ni dupes ni ceux que les responsables croient être.

Avant de rendre illicite l’usage du « butin de guerre » qu’est la langue française, pourquoi ne rendent-ils pas justice à notre (leur !) identité malmenée ? Pourquoi ne rendent-ils pas justice à la langue (plurielle) de nos ancêtres, celle de notre quotidien évacuée sans ménagement depuis toujours : ouvrir les lois, la radio et la télévision (cauchemar du journal télévisé !) à la langue de nos mères, de nos poètes… la langue vernaculaire qui circule dans tous les recoins du pays non officiel, langue parlée par 100% des Algériens (avec des variantes évidemment et peu importe la graphie, derja, tamazight avec toutes leurs variantes, ). 

Nous ne verrons plus des ministres et autres cadres ânonner et bégayer devant les caméras, comme nous ne verrons plus nos parents regarder la télé, la bouche et yeux grands ouverts devant les images, mais l’esprit ailleurs faute de compréhension de la fossha (j’allais écrire « satanée fossha » parce qu’introduite draâ, sans pitié ni pédagogie). Il ne s’agit pas de l’exclure de notre champ, il s’agit dans ce champ justement de ne pas mettre les charrues avant les bœufs.

Voilà des ingrédients solides (la derja, tamazight, l’identité) qui, s’ils ne nous permettent pas de décrocher la lune, ils sont à même de participer à affermir la société algérienne, la nation algérienne, qui en a fort besoin, et définitivement sortir de la démagogie institutionnalisée, des frustrations et des multiples complexes infusés par une administration aux ordres absolus à un système politique complexé en guerre contre ses propres citoyens. Il n’est question ici que de la langue, car pour les autres problématiques, plus lourdes encore, d’autres réponses (beaucoup plus profondes) sont nécessaires, mais cela est une autre histoire. 

Le poète (Abderrahmane El Majdoub) dit:

Rah dhek zmen ou nassou

Ou ja dha zmen bfassou

Ou koul men yetkellem belhak

Kassroulou rassou

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Un temps est parti et ses gens avec

Un autre temps est arrivé avec sa son piolet

Quiconque dit la vérité

Ils lui fracassent la tête

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Un seul héros, le peuple

Entrée de la bibliothèque l’Alcazar (Marseille) (exceptionnellement quelques travaux…)

(lire en bas de texte la vidéo réalisée à partir de la soirée)

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Nous avons assisté hier samedi 16 octobre 2021 à la projection du film « Un seul héros, le peuple » (détail en regardant la vidéo) à la bibliothèque l’Alcazar (Marseille). Nous étions entre 100 et 150 personnes. Il y eut une courte présentation, puis la projection du film (80 minutes) et enfin ont suivi les questions et réponses.

Ma question, adressée à Mathieu Rigouste réalisateur du film, a été celle-ci : Vous montrez dans votre film des manifestations du Hirak en 2019 (contre le régime algérien). Est-ce un clin d’œil aux manifestations de décembre 1961 (pour l’indépendance) objet de votre film ? Est-ce que l’Histoire bégaie ? La réponse c’est Daho Djerbal qui s’y colle : « L’histoire ne se répète pas. Il y a quelqu’un que vous connaissez tous qui a dit ‘‘l’histoire ne se répète jamais, et si ça arrive, la première fois c’est sous forme de tragédie, la seconde fois sous forme de farce’’ (a). Donc tout historien qui fait un travail, il y a une mise en contexte et chaque contexte plaide pour lui-même sans faire des extrapolations, donc l’histoire ne bégaie pas. 

Ce qui reste c’est le regard du dominant sur le dominé. Et donc la dialectique quand je parlais tout à l’heure du maître et de l’esclave se poursuit y compris après l’indépendance. 

À l’indépendance il y a eu une bouffée d’angoisse, ce qui a été très bien décrit (dans le film), et cette bouffée d’angoisse c’est quoi ? On a chassé ‘‘les autres’’ qui étaient sur notre terre, mais ‘‘l’autre’’ après l’indépendance est toujours en nous. 

Alors le problème c’est comment se débarrasser de ‘‘l’autre’’ qui est en nous ? Et donc c’est tout une autre histoire qui n’est pas encore finie. » 

Sur des œufs notre ami Daho.

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(a) Au début de ‘‘Le Dix-huit brumaire de Napoléon Bonaparte’’  (1852) Karl Marx écrit : « Hegel fait remarquer quelque part que, dans l’histoire universelle, les grands faits et les grands personnages se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde comme farce. »  Ou comment des bouffons peuvent devenir des « héros » – ah.

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CLIQUER ICI POUR VOIR LA VIDÉO RÉALISÉE À PARTIR DE CETTE SOIRÉE À L’ALCAZAR

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Pour le fun…

IL Y A 60 ANS, LE 17 OCTOBRE 1961, MASSACRE DE CENTAINES D’ALGÉRIENS À PARIS

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Photo: Ahmed TAZIR (FB le 17102021)

Monique Hervo, une héroïne méconnue hélas, au cœur du bidonville de Nanterre pendant plusieurs années. Écoutez-la, elle raconte le bidonville, la terreur du funeste mardi.

Il y a 3 vidéos en une (1_Monique Hervo, 2_le bidonville de Nanterre (photos), et 3_ à propos de la photo ‘‘ici on noie les Algériens »

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CLIQUER ICI POUR LIRE LA VIDÉO

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Ma rencontre avec Banisadr et Khomeiny

10 octobre, dimanche. Il fait presque beau. Peu de circulation sur la départementale à l’horizon. Pas de vent. Une semaine sans vent, ce n’est pas commun ici. J’exagère à peine. Le soleil se lève avec flegme. Je prends mon thé quotidien. Ouvre le journal d’Oran. Acte routinier. Quasiment tous les matins. J’aime la sobriété de ce quotidien. Ni chaud ni froid. Entre deux gris médians. Mouvement de recul lorsque je lis en page 5 : « Mort de Banisadr, premier président de la République islamique d’Iran. » La photo montre un vieil homme amoindri. C’est bien lui. C’est Abolhassan Banisadr. Comment ne pas le reconnaître. Les quatre décennies, marches temporelles du temps, ne l’ont en apparence qu’à peine effleuré. Je demeure pensif un long moment. Puis je lis l’article (non signé) dans sa totalité. « Abolhassan Banisadr est mort samedi dans un hôpital parisien à l’âge de 88 ans, après avoir passé une grande partie de sa vie en France où il s’était exilé après sa destitution en 1981. » Je précise « il était déjà en France avant 1981 ». Je l’atteste. Le temps a passé, mais je m’en souviens comme d’un fait d’aujourd’hui.

1978. Nous étions jeunes et la fleur au bout du fictif fusil ou entre les dents. Du moins nous nous voyions ainsi. Étudiant en fin de course était mon statut. « Vincennes « wa ma adraka Vincennes ». Plus gauchiste (tendresse) tu meurs. Elle était en sursis. Une communauté, un monde, un univers à raconter. Pas aujourd’hui. Nous brassions dans la sociologie, la philosophie, le cinéma, etc. Dans les salles, dans les amphis, dans les espaces publics (ainsi en mezzanine dans Beaubourg avec Madeleine Ribeiroux quelques mois après son inauguration).

Mais à côté de cela il y avait la lutte, le PRS, Krim, Rachid, Omar, Azzeddine, le Celda (que nous avions monté dans une AG) « Comité pour les libertés démocratiques en Algérie » autour du PRS, déjà ! Les réunions à la fac, mais aussi dans les cafés, ah le Zeyer ! (Paris 14°, métro Alésia), rue Raymond Losserand chez l’imprimeur (Azzeddine ?), etc.

Les jours de Boumediène étaient comptés et le 4° Congrès du désormais honni FLN pour bientôt. Mais aussi les luttes de soutien au peuple iranien qui s’était soulevé contre le plus grand ami de l’occident, Pahlavi, le diabolique Shah d’Iran. Nous étions tous contre lui et par conséquent pour son grand opposant, l’imam Khomeiny dont l’aura doublait chaque jour. Le « nous » renvoie à la gauche. Toute la gauche, des trotskystes de Krivine (mes proches, j’ai même habité trois ans plus tôt dans sa famille, dans la rue B. qui se déroule au pied du Moulin rouge !) au Parti socialiste (la droite de la gauche), à LO, au PSU et jusqu’au PCF sorti du stalinisme et de la dictature du prolétariat en 76, mais que nous ne supportions pas du tout (le PCF attaquerait au bulldozer un foyer d’immigrés à Vitry-sur-Seine !)…

Le journal Libération qui paraissait « quand il le pouvait » était notre phare. Merci à vous de ne faire aucun parallèle entre le journal de Sartre, le nôtre, avec le journal du milliardaire Rotschild puis Drahi d’aujourd’hui. Libération est devenu un journal pour petits bourgeois bohèmes. Sartre se retourne, à raison, dans sa tombe à chaque fois que le titre qu’il a créé est nommé et j’en aurais fait autant. Je dis « le nôtre » car Libé était bien celui de ses lecteurs (dès la première année, précisément le lundi 17 décembre le journal titrait « l’existence de Libé prise en main par ses lecteurs » !) Il m’arrivait fréquemment d’aller donner un coup de main aux pigistes et clavistes du 27 rue de Lorraine (derrière Félix Potin !) d’assister aux réunions du Comité de rédaction et même de faire passer quelques lignes dans le journal et surtout de le vendre (1 franc 60) lors de grandes manifestations à République, Bastille, Nation… Libération c’était notre famille. Il donnait le la, le ton. Alors, lorsqu’il fonçait contre le Shah on ne se privait pas. Tête baissée.

C’est ainsi que j’eus cette idée un peu folle de me rendre à Neauphle-le-Château (dans le 78) lorsque j’ai appris que Khomeiny, le plus grand opposant au tyran, s’y trouvait, hébergé par un Iranien qui possédait une maison dans le petit village (Marguerite Duras habitait depuis deux décennies à quelques centaines de mètres de là près du parc, mais Marguerite n’a rien à faire dans ce texte). L’imam Khomeiny était arrivé d’Irak 22 jours auparavant. Je ne peux pas passer ce qui suit sous silence. Lorsque le Shah d’Iran, Mohammad Reza Chah Pahlavi et sa compagne la Shahbanou, « l’impératrice Farah », fuiraient vers l’Égypte de Sadate le 16 janvier 1979, notre cher Libé titrerait : « Émigration : Mohamed Rêza prend sa valise »

Khomeiny a mis fin a 25 siècles de monarchie. Et un camarade de l’OCI me dirait (pas très à propos) « les dés sont pipés, c’est Chadli qui a été tiré du chapeau ».

Maintenant je reviens à ce fameux jour – c’était le jeudi 2 novembre 1978 – où j’avais décidé de « monter à Neauphle » à la rencontre de Khomeiny. Monter à Neauphle comme on monte le Damavand. Mon idée je l’avais bien préparée.

C’était un jour brumeux avec une pluie, fine. Il ne faisait pas trop froid (le 7 janvier prochain, il ferait moins 13 à Paris), mais nous étions en novembre. J’ai préparé mon sac en bandoulière et ma moto, une Yamaha FT1 rouge et blanche. Elle avait de l’allure malgré ses dix ans d’âge. Je n’irai pas à la fac. J’ai pris la route peu avant treize heures. J’habitais dans le 17° arrondissement de Paris, boulevard Malesherbes (oui, oui… une « chambre de bonne »). Malesherbes est souvent calme. Voici le trajet, dans l’ordre : ave de Wagram, Arc de Triomphe, Trocadéro, Parc des Princes, Boulogne B., Sèvres, Versailles, Saint-Cyr, Plaisir, Neauphle le Château. Une heure 45. C’était une 50 cm3.

J’arrive à 14h30. Sur une grande place, je vois un café animé (« café des sports » ? de mémoire, j’ai oublié de noter) je rentre, m’installe au comptoir sur un tabouret au cuir bien élimé. « Un noir s’il vous plaît ». J’ai l’air d’un plongeur en eaux troubles avec mon étrange tenue grise et mon casque avec visière. Deux types me saluent. On échange. Ils sont aguerris. L’un est envoyé spécial de Reuters, l’autre de l’Agence centrale de presse. « Et toi ? » Moi je fais ce que je peux. Je navigue à vue.

Les vieux routards m’indiquent les ruelles à éviter, celles à prendre. « Tu descends la Grande rue jusqu’au carrefour, puis tu prends deux fois à gauche, la rue de Chevreuse. Tu vas au 23. Tu reconnaîtras, il y a du monde. » La porte de la villa est largement ouverte. Je traverse une partie du jardin, celle qui mène directement à la maison. Au bas de l’escalier, des hommes sont assis sur des transats rouges. Autour d’eux d’autres hommes discutent. Je ne saisis aucun terme. Je demande à celui qui se tourne vers moi, « Khomeiny est là ? » Je traduis par les gestes qu’il fait, le doigt pointé ver la porte de la maison et le hochement de tête que oui il est là. Je monte la quinzaine de marches du perron jusqu’à la plateforme de la maison. La porte est fermée. Je toc. Une fois, deux. On ouvre. J’explique au jeune qui se présente. Je dis « journaliste ». Je reprends, avec l’accent que je suppose londonien, je dis « Journalist ». « Oh ya… » Le jeune se retourne, disparaît quelques minutes. 

Je pousse la porte et me voilà dans une très grande pièce aux murs partiellement enjolivés de papiers peints fleuris. Quatre douzaines d’hommes assis sur des chaises pour quelques-uns, agenouillés ou en tailleur sur un immense tapis à dominante rouge que seul un connaisseur certifierait iranien ou non. Ils sont habillés pour certain en costumes-cravates, d’autres, moins nombreux, portent des turbans noirs, sont couverts d’une sorte de bure, ou robe de Mollah.

À l’écart un tout petit groupe papote. Khomeiny est au centre, tout de noir vêtu. Si eux sont assis sur le grand tapis rouge, lui a les jambes croisées sur une sorte de matelas recouvert d’une couverture carrelée. J’ai pensé « peut-être est-ce là qu’il dort. »Il semble absent. Il écoute ses voisins, la main posée sur sa longue barbe blanche. J’apprendrais que ce sont ses plus proches fidèles, ses gardes du corps, son secrétaire. Je reconnais Banisadr à l’extrémité. Il est grand, plus âgé, la quarantaine bien engagée. J’en avais vingt de moins. Le jeune qui m’a accueilli murmure à l’oreille de Banisadr. Il se lève, s’approche vers la sortie où je me trouve. L’imam Khomeiny a levé un œil vers nous et posé sa main droite à hauteur du front. Puis il a repris sa pose initiale, les mains jointes sur le buste. Banisadr porte un costume gris à carreaux, deux boutons, sans cravate.

De grosses lunettes à écailles marron. Cheveux et fine moustache noirs. Le jeune homme est surpris de me voir à l’intérieur. Il me montre du doigt. Banisadr me tend la main. Il demande: « De la part de quel journal venez-vous ? et ajoute aussitôt « vous êtes latino ? »

J’y suis allé au bluff un peu. Je dis en souriant « je ne suis pas latino. Je suis ici pour PRS-info. » Ce n’est pas la première fois qu’on me prend pour un latino. Les cheveux probablement. Il est vrai que je vivotais autour du PRS et de quelque « Comité de base » estudiantin, mais je n’avais rien de l’envoyé spécial de PRS-information ou d’El Jarida.

Ils ne m’auraient pas laissé passer.  « C’est quoi ? » Je précise « Parti de la révolution socialiste ». J’ajoute « opposition algérienne. » Puis immédiatement « Je souhaite vous poser quelques questions », « oui ? » À ce moment-là, je sortis de mon sac le carnet à spirale sur lequel j’avais porté les questions. Il m’a semblé fébrile. Le jeune a disparu. « Quelles perspectives envisagez-vous pour les minorités politiques, religieuses, ethniques, culturelles… » Vaste programme ! Il a mis ses deux mains entre nous comme pour dire « doucement, doucement », puis il m’a coupé en posant sa main droite sur mon épaule. « Écoutez, là je suis très pris, je vous donne mon numéro de téléphone : 665.89.54, appelez-moi, nous fixerons ensemble un meilleur moment pour un entretien. Rappelez-moi votre nom ? » Je le lui ai donné et j’ai noté son numéro. « Je vous appelle ». J’étais déçu, mais content aussi. 

Je n’ai pas eu le temps de préparer notre entretien, peut-être pas le courage. À quel journal l’aurais-je envoyé ? Trois mois plus tard, le premier février 1979, il s’envolait pour l’Iran avec l’imam Khomeiny. Lorsqu’ils atterrirent à l’aéroport de Téhéran, ce sont des millions d’Iraniens qui les acclamaient. Voici le contenu d’une dépêche de l’AFP datée 1° février 1979 : « Des millions et des millions d’Iraniens, visages épanouis, massés sur trente-deux kilomètres, ont fait le 1er février un accueil triomphal à « l’Exilé », l’ayatollah Khomeiny, dont la voiture a été engloutie pendant des heures dans une marée humaine en délire. À peine sorti de l’aéroport de Téhéran, où son avion s’était posé à 09H00 locales, l’ayatollah Khomeiny, visiblement ému mais serein, a été emporté par des millions de fidèles. »

Banisadr sera le premier président de la République islamique. Élu le 25 janvier 1980. Destitué par le Parlement en juin 1981. Il revient en France qu’il connaît depuis le début des années 60 et où il a étudié. Il résidera à Versailles. Abolhassan Banisadr est mort ce samedi 9 octobre 2021, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris 13°) « à la suite d’une longue maladie ». Il avait 88 ans.

Ahmed Hanifi, 

Marseille le 10 octobre 2021

E.Macron, les dirigeants algériens, la mémoire manipulée et la nation algérienne.

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Le dialogue inédit entre Emmanuel Macron et les « petits-enfants » de la guerre d’Algérie

Le chef de l’Etat a reçu, jeudi, dix-huit jeunes gens issus de familles qui ont intimement vécu la guerre d’Algérie. « Le Monde » a pu assister à cette rencontre. 

Par Mustapha Kessous 

Publié le 02 octobre 2021 à 05h52

Un invité s’est imposé sans bruit à ce déjeuner présidentiel : la souffrance. La souffrance d’appartenir à une histoire oublieuse, faite de non-dits, de dénis, de silences, de malentendus. Et de mensonges aussi. La souffrance de porter une mémoire lointaine qui brûle les âmes, génération après génération, depuis la fin de la guerre d’Algérie, en 1962.

Même Emmanuel Macron le concède : « J’étais frappé, durant ces dernières années, de voir à quel point l’histoire et les mémoires de la guerre d’Algérie étaient la matrice d’une grande partie de nos traumatismes. Il y a des souffrances qui ont été tues, et qui se sont construites comme étant irréconciliables. Or, je pense tout l’inverse. »

Jeudi 30 septembre, le chef de l’Etat a convié à l’Elysée, pendant deux heures, dix-huit jeunes gens – Français d’origine algérienne, binationaux et pour certains Algériens – pour échanger « librement » sur ce conflit. Avec un objectif : apaiser « cette blessure mémorielle », comme le rappelle l’historien Benjamin Stora, également présent.

Pourquoi s’adresser à ces jeunes en particulier ? Parce que Nour, Amine, Lina, Gauthier, Lucie ou encore Yoann sont les petits-enfants de ces mémoires froissées entre les deux pays de la Méditerranée. En effet, leurs grands-parents ont été combattants du Front de libération nationale (FLN), militaires français, appelés, harkis ou rapatriés (pieds-noirs et juifs). L’un d’eux est même l’arrière-petit-fils du général Salan, ancien chef de l’Organisation de l’armée secrète (OAS).

Depuis juin, dans une salle de Sciences Po Paris, ces jeunes, étudiants pour la plupart, se voient et réfléchissent à la manière de rapprocher toutes ces mémoires dont ils sont les héritiers. Ils ne se connaissaient pas auparavant, ils ont été réunis par Cécile Renault, chargée de mettre en œuvre les préconisations du rapport de Benjamin Stora sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », remis en janvier. Ils se sont donné pour mission de présenter, d’ici à la fin octobre, dix messages au président de la. (RESEVE AUX ABONNES)

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L’Algérie rappelle son ambassadeur en France après des propos critiques d’Emmanuel Macron

Publié le : 02/10/2021 – 18:32Modifié le : 03/10/2021 – 07:45

Texte par : France 24  

Alger a décidé, samedi, de rappeler « pour consultations » son ambassadeur en France. Une décision qui intervient après des propos d’Emmanuel Macron lors d’une rencontre avec des jeunes issus de familles marquées par la guerre d’indépendance. Ce dernier a fustigé, à cette occasion, « une rente mémorielle » entretenue par « le système politico-militaire » en Algérie. 

Vers une crise diplomatique entre Paris et Alger ? L’Algérie a justifié, samedi 2 octobre, le rappel de son ambassadeur à Paris par son « rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures », précisant avoir pris sa décision à la suite de « déclarations attribuées » au président français, Emmanuel Macron.

Dans un communiqué, la présidence algérienne affirme qu’en raison d’une « situation particulièrement inadmissible engendrée par ces propos irresponsables », Alger a décidé « le rappel immédiat pour consultation » de son ambassadeur à Paris Mohamed Antar-Daoud.

Samedi, les médias locaux reprenaient largement un article du journal français Le Monde dans lequel Emmanuel Macron, recevant des descendants de protagonistes de la guerre d’Algérie, estime qu’après son indépendance en 1962, l’Algérie s’est construite sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire ».

Il y évoque aussi « une histoire officielle », selon lui, « totalement réécrite » qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ». Des déclarations qualifiées par les médias algériens d' »acerbes » et de « dérapage ».

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Un précédent en mai 2020

C’est la seconde fois qu’Alger convoque son ambassadeur à Paris depuis mai 2020, lorsque celui de l’époque, Salah Lebdioui, avait fait l’objet d’un rappel « immédiat » après la diffusion d’un documentaire sur le mouvement de contestation prodémocratie Hirak, diffusé sur France 5 et la chaîne parlementaire.

Les relations entre Paris et Alger étaient déjà tendues. Mercredi, l’ambassadeur de France à Alger, François Gouyette, avait été convoqué au ministère des Affaires étrangères algérien pour se voir notifier « une protestation formelle du gouvernement » après la décision de Paris de réduire de moitié les visas accordés aux Algériens souhaitant se rendre en France.

Paris a, en effet, annoncé une forte diminution du nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie invoquant un « refus » de ces pays du Maghreb de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France.

« Cette décision, qui est intervenue sans consultation préalable avec la partie algérienne, comporte l’anomalie rédhibitoire d’avoir fait l’objet d’un tapage médiatique générateur de confusion et d’ambiguïté quant à ses motivations et à son champ d’application », a estimé le ministère algérien pour justifier la convocation de François Gouyette.

Selon les médias algériens, le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris est motivé, cette fois, par les déclarations d’Emmanuel Macron reprises dans l’article du journal Le Monde.

 Le journal privé El Watan consacre sa une de dimanche au « dérapage de Macron », et estime que « le président français a émis des critiques acerbes vis-à-vis des dirigeants algériens ».

« Le système algérien est fatigué »

Sous le titre « Macron au vitriol sur le ‘système algérien' », le média francophone 24H Algérie a repris de larges pans de cet article qui cite un dialogue entre Emmanuel Macron et une vingtaine de jeunes dont les parents ou grands-parents étaient des anciens combattants de la guerre d’Algérie (1954-1962), des harkis (paramilitaires au service de la France) ou des rapatriés.

En réponse à une jeune fille qui a grandi à Alger, le président français a confié ne pas penser qu’il y ait une « haine » contre la France « de la société algérienne dans ses profondeurs mais du système politico-militaire qui s’est construit sur cette rente mémorielle ».

Selon Emmanuel Macron, « on voit que le système algérien est fatigué, le Hirak (le mouvement pro-démocratie, à l’origine de la démission en 2019 du président Abdelaziz Bouteflika, récemment décédé, NDLR) l’a fragilisé ». 

Dans son échange avec les jeunes, le président français assure avoir « un bon dialogue avec le président (algérien, Abdelmajid) Tebboune », ajoutant toutefois : « je vois qu’il est pris dans un système qui est très dur ».

Selon les médias locaux, un autre passage des déclarations d’Emmanuel Macron a provoqué l’ire des autorités. « Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Ça, c’est la question », s’est interrogé le président français, en rappelant qu’il y a eu « de précédentes colonisations ».

Sur un ton ironique, il s’est ainsi dit « fasciné de voir la capacité qu’a la Turquie à faire totalement oublier le rôle qu’elle a joué en Algérie et la domination qu’elle a exercée », en allusion à l’Empire ottoman. « Et d’expliquer qu’on est (les Français, NDLR) les seuls colonisateurs, c’est génial ».

Hormis le Maroc où il n’a pas réussi à s’imposer durablement, l’Empire ottoman a dominé du 16e au 18e siècle l’Afrique du Nord qu’il avait organisée en trois provinces : Alger, Tunis et Tripoli.

Avec AFP

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Sur le mur (FACEBOOK) de Tahar Khalfoune, le lundi 11 octobre 2021

« Sur l’Algérie, Emmanuel Macron a dit publiquement ce que ses prédécesseurs disaient en privé »

Tribune 

Lahouari Addi, Professeur émérite à Sciences Po Lyon.

Le Monde du 10 octobre 2021

La réaction virulente du régime algérien aux propos tenus par le chef de l’Etat français le 30 septembre tient à ce qu’il n’assume pas que sa démocratie est « juste formelle » puisque sa souveraineté est dans les mains de la hiérarchie militaire, analyse le politiste dans une tribune au « Monde ».

Publié hier à 08h00, mis à jour hier à 10h46 Temps de Lecture 4 min. 

Les propos d’Emmanuel Macron critiquant, le 30 septembre, le « système politico-militaire » de l’Algérie et l’accusant d’entretenir une « rente mémorielle » ont créé la surprise auprès des autorités à Alger, qui ont réagi avec un communiqué sévère de la présidence. Il est vrai que c’est la première fois qu’un président français dit publiquement ce que ses prédécesseurs, de droite comme de gauche, disaient en privé.

Les officiels français sont exaspérés de ne pas avoir des interlocuteurs algériens dotés de l’autorité que leurs fonctions supposent. C’est ce que veut dire Emmanuel Macron quand il parle du président Abdelmadjid Tebboune, qu’il décrit comme étant l’otage d’un « système politico-militaire dur ». Venant de la France, pays à travers lequel beaucoup de gouvernements étrangers perçoivent l’Algérie, cette déclaration est considérée comme un coup de poignard dans le dos par des généraux qui font tout pour apparaître sous les ordres du président.

Priorité à la lutte contre l’opposition

Il n’est pas à écarter que Macron ait été contrarié par le peu d’empressement que montre l’Algérie à accepter l’expulsion de ses ressortissants en situation irrégulière, en cette période préélectorale où Eric Zemmour presse gauche et droite sur la question sensible de l’immigration clandestine. Alger veut-il monnayer en contrepartie de cette expulsion l’extradition d’opposants sur le sol français ? Cela est probable, surtout que les services de sécurité algériens ont été encouragés à cette fin par l’extradition d’Espagne d’un ex-gendarme réfugié à Barcelone obtenue à la suite de négociations confidentielles. Mais l’Algérie a moins de moyens de pression sur la France que sur l’Espagne qui pourrait, du jour au lendemain, ne plus recevoir de gaz algérien [l’Algérie fournit à la péninsule Ibérique 50 % de son gaz ].

Si cela se confirme à l’avenir, cela signifierait que la diplomatie algérienne donne la priorité à la lutte contre l’opposition au détriment d’autres aspects de la coopération avec les pays d’Europe, portant notamment sur les échanges économiques et culturels. Les services de sécurité, qui décident de la politique étrangère, ont juste oublié que ce qu’ils obtenaient hier de [l’ancien ministre de l’intérieur de 1986 à 1988 et de 1993 à 1995] Charles Pasqua, ils ne peuvent l’obtenir aujourd’hui d’Emmanuel Macron.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le dialogue inédit entre Emmanuel Macron et les « petits-enfants » de la guerre d’Algérie 

Pour les officiels algériens, la déclaration du président français est inadmissible de la part d’un chef d’Etat étranger. La réaction sera d’autant plus brutale que le régime algérien n’assume pas sa caractéristique essentielle, à savoir que la souveraineté appartient à la hiérarchie militaire en lieu et place de l’électorat, sous un habillage institutionnel qui ne traduit pas la réalité des rapports d’autorité au sommet de l’Etat.

Candidatures filtrées par le renseignement

Formellement, l’Algérie est un pays démocratique avec des élections pluralistes tenues régulièrement. En réalité, la démocratie est juste formelle puisque le président est désigné par la hiérarchie militaire à la suite d’un plébiscite auquel participent des candidats qui acceptent d’être des leurres. Lors des élections des députés et des maires, les listes de candidatures sont filtrées en amont par le service d’espionnage – le fameux département du renseignement et de la sécurité (DRS), qui change souvent de nom – pour ne faire élire que les candidats qui respectent la règle non écrite du système politique algérien : l’armée est seule source du pouvoir.

« Par ses propos, le président français reconnaît explicitement la légitimité politique des revendications du Hirak, ce qui est inacceptable pour le gouvernement algérien »

Cette règle est contestée par le mouvement de protestation dit Hirak, dont l’un des mots d’ordre-phares est « Dawla madania machi askaria » (« Etat civil et non militaire »). Par les propos qu’il a tenus le 30 septembre, Emmanuel Macron reconnaît explicitement la légitimité politique des revendications du Hirak, ce qui est inacceptable pour le régime algérien qui, jusqu’à présent, a toujours bénéficié de l’appui diplomatique de la France. La réaction virulente d’Alger exprime la peur de perdre la rente diplomatique française qui avait protégé le régime, accusé par Amnesty International et Human Rights Watch durant les années 1990 de violations massives de droits de l’homme.

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Si les propos du président français sont courageux, surmontant la raison d’Etat et ne reculant pas devant les lobbys économiques sectoriels, ils prêtent cependant le flanc à la critique lorsqu’il a déclaré que la nation algérienne n’existait pas avant la colonisation française du fait qu’elle appartenait à l’Empire ottoman. Le même raisonnement pourrait être appliqué aux pays européens, devenus souverains après leur refus de la double tutelle politique et spirituelle du Saint Empire romain germanique et du Vatican. Les monarchies européennes, dont la France, ne sont devenues des entités souveraines qu’après les traités de Westphalie de 1648.

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La différence entre l’empire et l’Etat-nation est que le premier domine symboliquement des territoires qui jouissent d’une grande autonomie, tandis que l’Etat-nation, jacobin dans sa forme française, domine l’individu de sa naissance à sa mort. Et si l’on ajoute que la France coloniale avait imposé un droit d’exception inégalitaire, nous comprenons pourquoi les Algériens n’ont pas le sentiment d’avoir été colonisés par les Turcs, alors qu’ils gardent en mémoire qu’ils ont été méprisés et traités injustement par la France.

Lahouari Addi est professeur émérite à Sciences Po Lyon est chercheur au laboratoire Triangle (« Action, discours, pensée politique et économique ») ; dernier ouvrage paru : La Crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant (Presses universitaires de Louvain, 2019).

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Texte de Ali Bensaad Repris par Salah Amer-Yahia sur son mur FB- 10.10.2021

Derrière la polémique mémorielle, l’isolement et la fragilité d’un régime 

Rien n’a été dit par Macron sur le pouvoir algérien qui n’ait déjà été dit, partagé et crié haut et fort en Algérie même. Il en a seulement pris avantage pour pousser jusqu’à semer le doute sur les fondements d’une nation algérienne. 

S’il s’est permis de le faire, ou a cru, pour des calculs électoralistes, devoir le faire, c’est parce que le discrédit du régime algérien est tel qu’il rejaillit sur l’image de tout le pays et que, pour cette raison, il ne se trouve plus personne en France pour le défendre alors même que sa guerre de libération puis ses tentatives de développement et de lutte pour le rééquilibrage des rapports Nord/Sud, malgré leurs errements, lui avaient valu la sympathie de larges secteurs de l’opinion française, notamment nombre de ses intellectuels. 

Les pratiques autoritaires et la prédation industrielle de ses ressources par un système politico-militaire ont fini par dilapider tout le capital de sympathie dont bénéficiait le pays et lui aliéner tous ses soutiens. Pire, ils ont justifié, à postériori, les thèses revanchardes de l’extrême droite et des tenants de « L’Algérie française » en leur fournissant, rétroactivement, l’alibi d’une « république bananière » caricaturale. Remuer le couteau dans la plaie des tares du régime pour jeter le discrédit sur tout le parcours libérateur du pays procure dorénavant un avantage électoral. Le régime algérien porte une part importante de responsabilité dans ce glissement de l’opinion française. 

La désespérance que ce régime a introduit dans la société algérienne est telle que nombre de ses citoyens identifient les figures militaires et civiles de ce système à des « colons » et le crient dans les manifestations. Il ne sert à rien de s’offusquer d’un tel anachronisme qui exprime plutôt la violence d’un ressenti. Il faut surtout s’inquiéter des effets de réel des ressentis et représentations qui peuvent miner l’édifice national de son intérieur. 

Le discrédit du système politico-militaire algérien est tel que, par ricochet, il a abouti à crédibiliser la monarchie marocaine sur la scène internationale et à faire occulter la dimension corrompue et autoritaire d’un Makhzen archaïque. 

Mais au-delà de ses « ennemis traditionnels », l’Algérie s’est isolée même dans ses bastions stratégiques comme en Afrique où le retour en force du Maroc a entrainé dans son sillage celui d’Israël illustré par son siège comme observateur à l’Union Africaine au moment même où ce pays s’ancrait toujours plus à l’extrême droite raciste déniant tout droit aux Palestiniens.

L’Algérie « l’homme malade du Maghreb »

L’intérêt n’est pas dans ce qu’a dit Macron sur la nation algérienne Il n’y a rien de neuf, il a repris des clichés autant vieux que largement démentis par les historiens. Des clichés qui font des va-et-vient dans l’actualité française au gré des enjeux électoraux.

Ce qu’il y’a de nouveau et la vraie question pour l’Algérie, celle qui doit faire débat, c’est le contexte nouveau, côté algérien, dans lequel intervient cette énième polémique. Celui de l’extrême isolement dans lequel s’est placé le régime algérien, dans le pays d’abord comme l’illustre le Hirak, et à l’international ensuite, et qui vulnérabilise à l’extrême l’Algérie. C’est cela d’abord qui en fait la cible facile des révisionnistes de la décolonisation. C’est cela aussi qui élargit en France le cercle de l’inimitié, ou au moins de l’antipathie, en dehors des secteurs qui lui sont traditionnellement hostiles. Mais c’est surtout cela qui, faisant de l’Algérie « l’homme malade du Maghreb », a abouti à un effacement de sa présence sur la scène internationale et a aiguisé des appétits pour tenter de l’en bouter. 

D’un point de vue géopolitique, l’Algérie est un pays neutralisé, contraint à la défensive comme l’illustrent d’un côté son effacement même dans des enjeux régionaux qui affectent directement sa sécurité comme le conflit libyen et de l’autre l’immense mur défensif qu’elle construit le long de ses vastes frontières, notamment sahariennes, et qui n’est pas sans rappeler celui que le Maroc avait érigé quand il ne pouvait résister aux assauts du Polisario. Sauf qu’il est d’une toute autre ampleur, les frontières de l’Algérie étant ce qu’elles sont, à la mesure du pays le plus vaste d’Afrique. 

La véritable question, c’est cette vulnérabilité extrême dans laquelle le régime a mis le pays. C’est cette réalité que celui-ci veut faire oublier en se saisissant de la perche que lui a offert la saillie provocatrice de Macron. Comme en France, le débat focalisé sur les questions identitaires et mémorielles sert de diversion pour occulter les impasses dans lesquelles le régime a enferré le pays et qui, elles, ébranlent réellement l’édifice national. D’ailleurs, il décrédibilise par ses propres pratiques ses revendications mémorielles comme celle consistant à réclamer le retour en Algérie des archives alors qu’il interdit à ses chercheurs, et l’assume officiellement, l’accès à celles qui s’y trouvent déjà. Sans parler des entraves au travail de recherche qui n’est qu’une facette d’une répression qui se généralise.

Le risque de la guerre

En effet, il y’a une fuite en avant dans un tout répressif qui prend l’allure d’une guerre à la société et qui accentue les fissures de l’édifice national et l’instrumentalisation de la question régionale, notamment kabyle, n’est pas la moins dangereuse pour la cohésion nationale. Cette fuite en avant se traduit à l’international par la multiplication des tensions avec l’environnement régional et le recours à des casus belli dans une sorte de prophétie auto-réalisatrice de « forteresse assiégée » qui justifierait les déboires du régime et le légitimerait par l’épouvantail du danger extérieur. La fébrilité de cette fuite en avant laisse craindre que ne soit plus exclue l’option d’une guerre avec l’illusion, classique, qu’elle pourrait renflouer son déficit de légitimité et ressouder autour de lui une population qui, depuis le 22 février, lui tourne fermement le dos.

Cette crainte est d’autant plus fondée que cette option a des chances de trouver un écho au Maroc, pays qui s’est tout autant surarmé que l’Algérie et où l’alliance avec Israël donne un surcroit d’assurance et d’hubris à certains cercles du Makhzen qui pensent régler par une sorte de guerre éclair la question du Sahara Occidental et dans la foulée celle de la suprématie régionale.

Si cela devait arriver, ce n’est pas seulement l’embrasement régional qu’il faudra craindre mais surtout le risque d’effondrement de l’Etat-national dont la crise de l’oxygène face à la pandémie du covid et celle des incendies, ont révélé sa fragilité telle qu’il ne pouvait déjà plus assurer ses missions régaliennes. De l’Irak à la Syrie en passant par le Yémen et la Libye, on sait comment les conflits armés précipitent la chute des Etats. Le risque que l’Algérie rejoigne cet arc des Etats-faillis ne serait alors plus de l’ordre de l’improbable.

Ali BENSAAD

L’écriture pour neutraliser le monde réel

-LIBERTÉ _ jeudi 30 septembre 2021

Par :  Ahmed HANAFI
Écrivain

Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner.

Peut-on parler de littérature sans parler de l’acte d’écrire ? Non. Alors, qu’est-ce qu’“écrire” et pourquoi écrit-on ? “Il me faut écrire comme il me faut nager, parce que mon corps l’exige”, écrivait Albert Camus (Carnets I/Folio). Par nécessité en quelque sorte, pourquoi pas ? Mais aussi écrire pour le plaisir d’admirer en fin de course l’échafaudage de signes constitué, ou celui de le donner à lire. Ou pour transmettre. Les raisons sont nombreuses. Sartre s’interrogeait : “Pourquoi écrire ? Chacun a ses raisons. Pour celui-ci, l’art est une fuite ; pour celui-là, un moyen de conquérir.” (in Qu’est-ce que la littérature ?/Gallimard) Philip Roth a répondu à la question Pourquoi écrire en 635 pages (Folio). Écrire pour domestiquer la solitude peut-être. Pourquoi cheminer dans l’écriture, dans un monde imaginaire, alors que la vraie vie avec ses êtres de chair et de sang est là, à côté ? Pour neutraliser ses effets, ses méfaits. Neutraliser le monde dit réel le temps d’une histoire avec des êtres en papier, ces homuncules si chers à William Faulkner. Écrire, c’est régler son compte au destin. Écrire, c’est donner une suite au premier cri d’horreur que l’on a éprouvé à l’origine en découvrant le monde à zéro heure. Mais comment tout “cela” commence ? Il y a bien une petite musique à la source, une émotion, quelque chose qui nous extrait de notre monotonie, qui nous happe.
Alors qu’assis à une terrasse de café nous observons les passants, les monuments…, alors que nous voyageons dans un autocar ou dans un train et qu’à travers la vitre nous admirons le paysage estival ou printanier, alors que nous nous promenons autour du lac de La Maix dans les Vosges, que nous progressons simplement sur la cime du mont de La Clusaz, avançons à la tombée du jour sur la plus haute des dunes de Béni-Abbès ou, qu’effrayés, nous observons un ours repu se dandiner sans grâce sur le bas-côté d’une route du Yukon du côté de Whitehorse…, une émotion fugace, une petite musique, l’ombre d’une bribe de vers, la fulgurance d’une idée de phrase ou de texte surgit, nous presse. Et “cela” émerge. “Des mouvements indéfinissables qui sont à l’origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver et qu’il est possible de définir.” (Nathalie Sarraute/ Tropismes)
Peu à peu l’indicible se transforme, mue. Aussitôt, au crayon à mine ou au stylo bille, nous alignons les mots sur un bout de feuille, prêt à les accueillir. À d’autres moments, dans d’autres circonstances, d’autres idées, d’autres lignes s’imposeront à nous. Dans nos calepins à spirales ou sur une feuille volante, les mots, les phrases, s’encrent. Et s’ancrent. Ils s’amoncellent. Les pages foisonnent de toutes sortes d’idées, de textes. Les marges se voilent puis disparaissent. Emportés par notre enthousiasme ou notre scepticisme, des nuits, des semaines, des mois durant, nous ne nous soucions pas des espaces blancs des pages qui se rétrécissent, pour céder plus de place à un univers que nous croyions disparu. Un univers disparu, renfloué, ranimé par la force des mots ou un monde délibérément inventé, mais – nécessairement – construit de bout en bout avec des matériaux épars de ce qui nous fait, de notre propre histoire. Nous continuons, nous ajoutons, nous rayons, nous modifions. Puis un jour nous marquons un arrêt pour nous interroger : “Le moment n’est-il pas venu de partager, de donner à lire nos respirations, nos émotions, nos rencontres, nos futilités, nos rythmes intérieurs ?”

Littérature algérienne: « Liberté » lui ouvre grand ses pages

Depuis quelques jours, le quotidien algérien LIBERTÉ ouvre ses feuilles aux gens de lettes, qu’ils soient libraires, éditeurs, auteurs, critiques… Nous reproduisons ci-dessous ces interventions.

Par Hana Menasria,  le 23-09-2021

SELMA HELLAL, COFONDATRICE DES ÉDITIONS BARZAKH

“La littérature nourrit l’imaginaire et façonne un individu libre”

“Alors que les espaces de liberté se réduisent comme peau de chagrin, ici en Algérie, et que notre aptitude à penser, à rêver, semble comme neutralisée, sous l’effet de l’épuisement, du désenchantement, de la peur aussi. La littérature nourrit l’imaginaire et, ce faisant, façonne un individu libre.” 

Liberté : Vous êtes la cofondatrice des éditions Barzakh, qui viennent de célébrer leur 20e anniversaire. Pourquoi avoir choisi l’édition ? 

Selma Hellal : Était-ce une vocation ? Pour Sofiane Hadjadj, mon compagnon et partenaire dans l’aventure, assurément. Quant à moi, le métier est venu à moi comme je suis venue à lui par une série de concours de circonstances – dont celle, décisive, de ma rencontre avec Sofiane. En guise de boutade, je serais tentée de détourner la fameuse formule de Samuel Beckett, qui, à la question “Pourquoi écrivez-vous ?” répondait : “Bon qu’à ça.” Nous pourrions également faire nôtres ces mots de l’éditeur Jean-Jacques Pauvert, extraits de ses mémoires(1) : “Les livres, c’est un monde à part. Un monde de fête. Un monde secret. Chacun, je suppose, a le sien, comme moi.” 

Est-il commode de vivre de ce métier en Algérie ?

Non, surtout quand on est un éditeur indépendant qui, de surcroît, ne peut compter ni sur des mécanismes rodés et récurrents de soutien à l’édition pensés par une politique publique du livre, ni sur la manne du livre scolaire et parascolaire. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que, souvent, dans l’histoire de l’édition, les éditeurs indépendants viennent d’un milieu relativement aisé. Il n’est que de citer deux éditeurs français : François Maspero (il paraît qu’il se plaisait à se décrire comme “un bourgeois qui trahit la bourgeoisie”) ou Jérôme Lindon des éditions de Minuit. 
Ils n’ont pu mener à bien leur aventure, au début du moins, que parce qu’ils avaient un capital économique et social leur permettant de faire face à l’adversité consubstantielle à l’exercice de la profession. 
Nos trajectoires et catalogues ne sont en rien comparables, d’autant que nous ne nous sommes pas construits aux mêmes époques et dans le même pays, mais c’est bel bien un métier dont il est difficile de vivre, plus que jamais en Algérie. Il reste que Sofiane et moi sommes conscients de la chance que nous avons, celle d’avoir pu faire d’une passion un métier. C’est un luxe.

Les libraires ont du mal à “survivre”. Cette situation est-elle due à l’absence d’un lectorat ou à d’autres raisons ? 

Il faudrait des études, des recherches, des sondages pour donner une réponse étayée et documentée. (Je salue ici l’initiative de Hadj Miliani, décédé il y a quelques jours, qui, secondé par un collectif, menait depuis des années, avec endurance, une enquête d’envergure sur le secteur de l’édition et le lectorat en Algérie.) Le lectorat existe sans aucun doute, en tout cas il est plus nombreux que celui qui fréquente la librairie : c’est un lectorat “dormant”, pour ainsi dire, qui se révèle, se donne à voir, lors du Sila, des conférences à l’université (où les amphis sont souvent pleins), des trop rares rencontres organisées dans les maisons de la culture, des salons du livre locaux. 
Mais la librairie (comme tant d’autres maillons de la chaîne du livre) est en danger : elle aurait besoin d’être soutenue, de bénéficier d’allègements fiscaux, elle aurait besoin que son personnel soit formé, que son essaimage à l’échelle du pays soit encouragé par des mécanismes d’aide systématiques et finement réfléchis. Est-il concevable que le plus grand pays d’Afrique en termes de superficie, peuplé de 44 millions d’habitants, n’ait que 15 à 20 librairies dignes de ce nom sur tout son territoire ? Nous sommes loin de la librairie considérée, sous d’autres cieux, comme un “commerce de première nécessité”.

Selon vous, quel est l’intérêt de la littérature dans la société ?

C’est une réponse bateau, mais je ne crains pas de la marteler encore et encore, aujourd’hui plus que jamais, alors que les espaces de liberté se réduisent comme peau de chagrin, ici en Algérie, et que notre aptitude à penser, à rêver, semble comme neutralisée, sous l’effet de l’épuisement, du désenchantement, de la peur aussi. La littérature nourrit l’imaginaire et, ce faisant, façonne un individu libre. 
Elle crée un espace inaliénable, inviolable, où un “je” peut rêver, se confronter à l’altérité, à une infinité de mondes possibles, et donc cultiver sa liberté de pensée, son autonomie, sa capacité à réfléchir, à interroger – et donc remettre en question – les contraintes et les cadres que sa société, le système politique dans lesquels il vit lui imposent. N’est-ce pas d’une puissance inouïe ? Je me rappelle certains vendredis de mars-avril 2019, alors que nous vivions ces jours d’allégresse et d’effroi mêlés, j’étais, devant le déploiement des forces de sécurité, les fourgons anti-émeutes, les hélicoptères, les policiers en civil avec leur talkie-walkie, ceux en tenue – avec leurs casques, matraques, protège-tibia et protège-bras, tels des tatous androïdes –, hantée par le texte de Qui se souvient de la mer ? de Mohammed Dib. J’avais, de façon troublante, la sensation d’être un personnage de ce roman halluciné et extraordinairement subversif. Je convoque cette anecdote personnelle pour illustrer de manière très concrète, peut-être triviale, l’influence de la littérature sur l’intimité d’une conscience individuelle (avant même d’appréhender son impact sur la “société” en général), à l’origine d’une expérience intime où poétique et politique coïncident de manière vertigineuse. C’est la grâce de la littérature.

À votre avis, les auteurs algériens sont-ils assez impliqués dans les questions politiques, culturelles ou économiques du pays ? 

Nous militons, Sofiane et moi, pour une littérature affranchie de toute idéologie et de tout message à délivrer. Nous aimons les eaux troubles de la complexité, les récits polyphoniques et diffractés, où tentent de se dire, de se mettre en mots, avec un souci de la langue et du style, plusieurs vérités et non une Vérité. 

Selon nous, ces bruissements, ces grésillements ne peuvent se capter et se transcrire (comme on dit d’un sismographe qu’il transcrit les secousses et les grondements de la Terre) que si l’écrivain, dégagé de toute assignation, se concentre sur son œuvre d’écriture et exclusivement elle. 
Ce qui, pour autant, ne l’empêche pas de se sentir intimement atteint par l’état du monde et de son pays, intimement re-lié aux autres et à l’humanité et de faire œuvre de citoyen et/ou de militant – oui, comment ne pas à être affecté par le caractère proprement indéchiffrable de ce que nous expérimentons aujourd’hui en Algérie, et de si difficile, de si douloureux à cerner et nommer ? C’est encore Mohammed Dib que je convoque, dont la trajectoire est à cet égard exemplaire : de l’engagement assumé de la Trilogie Algérie (1952-1957, période de la colonisation et de la guerre d’Indépendance) au “désengagement” radical (exemple de La Trilogie nordique, fin des années 1980, début des années 1990), avec des interventions intermittentes de textes à la forme singulière, éclats, constellations, plus ou moins aux prises avec des questions contemporaines (exemple, entre autres, de La Nuit sauvage, 1995). 


Je le cite encore : “Je m’embarquais pour un voyage qui, sans me faire quitter ma terre encore, allait me conduire en terre inconnue et, dans cette terre, de découverte en découverte, et que plus je pousserais de l’avant, et plus j’aborderais de nouvelles contrées, plus je ferais, en même temps mais sans m’en douter, route vers moi-même.”(3) C’est ce qu’il nomme “Les voies de l’écriture”, lesquelles frayent bel et bien ailleurs loin des “questions politiques, culturelles ou économiques du pays” citées dans votre question. 

Entretien réalisé par : Hana MENASRIA 

1- Jean-Jacques Pauvert, La Traversée du livre, Viviane Hamy, 2004.

2- Tlemcen ou les lieux de l’écriture, Barzakh, 2020 (1re édition : La Revue Noire, 1994).

3- Idem.

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Bouteflika est mort

Abdelaziz Bouteflika est mort hier vendredi 17 septembre 2021.

Il n’était qu’un élément (important) d’un ensemble immuable moribond.

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Voici ce que répondait avec dédain ce « 3/4 président » face à la détresse des familles de disparitions forcées : « vos disparus je ne les ai pas dans ma poche… lifet mat, le passé est mort. » Contrairement à l’Afrique du Sud, au Chili, en Argentine etc. il n’y aura ni enquête, ni procès, ni justice. Ni vérité. C’est pourquoi – entre autres dossiers fondamentaux mis sous le boisseau –, la schizophrénie et le mal-être profond ont encore de beaux jours devant eux, hélas, avec une perspective possible, la fuite, el Harga vers d’autres cieux plus cléments pour les jeunes.

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Voici un mot de Maître Ali-Yahia Abdenour interrogé à ce sujet par « Confluences Méditerranée » 2004/4 (n°51) :

Le président Abdelaziz Bouteflika a chiffré à deux mille le nombre de disparus. (Les fiches individuelles établies par la LADDH et les associations de familles de disparus font ressortir 7203 disparus, tous identifiés.) Il n’a pas tenu sa promesse d’ouvrir une enquête nationale sur le sujet. Il n’a pas maîtrisé sa colère, furieux d’avoir été interpellé publiquement à la salle Harcha, la veille du référendum de septembre 1999 sur la concorde civile, par les mères de disparus qui demandaient la vérité sur le sort réservé à leurs enfants. Il les a traitées de pleureuses et de marionnettes : « Les disparus ne sont pas dans ma poche, leur a-t-il dit. Enterrez le passé ! On ne sortira pas de la crise avec le passé. Tout le peuple algérien a souffert et il n’y a donc pas lieu d’exiger des droits exceptionnels afférents à la qualité de victime ». 

ahmedhanifi@gmail.com

Sa 18 septembre 2021

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La LADDH avance le chiffre de 18000 disparus 

« Confluences Méditerranée » 2004/4 (n°51) pages 39 à 44

Ali Yahya Abdennour est un miltant de la cause nationale algérienne dès les années 1940. En 1956, il fonde avec Aissat Idir la centrale syndicale UGTA. Au lendemain de l’indépendance, il occupe divers postes ministériels mais il démissionne, s’opposant à l’orientation autoritaire du nouvel Etat. Il s’installe comme avocat à Alger en 1967. En 1985, il est arrêté et traduit devant la Cour de sûreté de l’Etat pour avoir créé la première Ligue Algérienne de défense des Droits de l’Homme (LADDH). Face aux massives violations de droits de l’homme depuis 1992, il mène une activité intense pour mobiliser les énergies à l’intérieur et alerter l’opinion à l’extérieur. Maître Ali Yahya Abdennour est actuellement le président de la LADDH.Confluences Méditerranée : Quel est le nombre exact de disparus et comment définissez-vous un disparu ?

Maître Ali Yahya Abdennour : Une personne est déclarée disparue lorsque son corps n’a pas été retrouvé. Le dossier des disparus s’écrit au jour le jour. Le nombre de disparus est difficile à établir et ne peut être qu’approximatif. Les fiches individuelles établies par la LADDH et les associations de familles de disparus font ressortir 7203 disparus, tous identifiés. Lorsqu’une famille remplit une fiche individuelle, il lui est demandé de préciser si son parent a été enlevé seul ou avec d’autres personnes. La réponse est toujours la même : « il a été kidnappé avec 2, 3 voire 5 personnes ». Mais il y a des familles qui souvent ne veulent pas porter plainte, par peur ou fatalisme. Il en résulte qu’en moyenne une famille sur trois porte plainte, ce qui rend crédible le chiffre de dix-huit mille disparus retenu par la LADDH. 

Le président Abdelaziz Bouteflika a chiffré à deux mille le nombre de disparus. Il n’a pas tenu sa promesse d’ouvrir une enquête nationale sur le sujet. Il n’a pas maîtrisé sa colère, furieux d’avoir été interpellé publiquement à la salle Harcha, la veille du référendum de septembre 1999 sur la concorde civile, par les mères de disparus qui demandaient la vérité sur le sort réservé à leurs enfants. Il les a traitées de pleureuses et de marionnettes : « Les disparus ne sont pas dans ma poche, leur a-t-il dit. Enterrez le passé ! On ne sortira pas de la crise avec le passé. Tout le peuple algérien a souffert et il n’y a donc pas lieu d’exiger des droits exceptionnels afférents à la qualité de victime ».

Quelle est la revendication principale des familles de disparus ? Le président Bouteflika peut-il la satisfaire ?

Les familles veulent d’abord savoir si leurs enfants sont morts ou vivants. Les services connaissent le sort réservé aux disparus. Seraient ils toujours en vie, détenus dans des camps secrets et soumis au lavage de cerveaux, pour en faire des repentis ? S’ils sont vivants, le pouvoir doit les libérer ou les présenter à la justice. S’ils sont morts, ce qui est malheureusement le cas pour la plupart d’entre eux, il doit localiser les charniers où ils ont été enterrés et remettre les ossements aux parents avec l’aide de la LADDH. Le collectif des familles de disparus exige la vérité et la justice, c’est-à-dire le jugement des assassins, quelle que soit leur fonction, par une justice indépendante. Il fait preuve d’une grande vigilance afin que les auteurs de crimes contre l’humanité n’échappent pas à la justice. Il a lancé à l’opinion publique nationale et internationale un cri d’alarme et un appel pressant, lui demandant de faire pression sur le pouvoir algérien afin qu’il donne une réponse précise à la question posée depuis des années : « Q’avez-vous fait des disparus ? Vous les avez pris vivants, rendez-les vivants, ou bien dites où vous les avez enterrés ». 

Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, a déclaré : « Pour les disparus, 2600 à 2700 cas ont été élucidés sur les 4600 plaintes. Il s’agit de personnes ayant rejoint les maquis ; d’autres ont été abattus par leurs compères ; d’autres sont incarcérés ; d’autres encore sont dans des cantonnements de l’armée islamique du salut (AIS) en trêve depuis 1997 » (El-Watan 20 janvier 2002). M. Zerhouni a le droit de mentir pour se défendre, mais la vérité est qu’aucun disparu n’a été retrouvé à ce jour. Zerhouni n’était pas en fonction quand il y a eu le gros des disparitions, mais il ment pour couvrir ceux qui ont donné les ordres et qui l’ont nommé ministre. C’est un problème qui le dépasse et qui dépasse même Bouteflika. Le président Bouteflika n’a ni la capacité, ni la volonté de satisfaire la demande de justice réclamée par les familles de disparus. Il a créé des commissions administratives pour soustraire le dossier des disparus au collectif des familles, aux partis politiques et à la LADDH. 

Les trois armes de la lutte contre les disparitions forcées sont la vérité des faits, la force du droit et la volonté d’aller jusqu’au bout pour découvrir la vérité. 

Qu’est-ce qui empêche que la justice algérienne soit saisie pour affirmer le droit, même au prix de l’arrestation d’un général qui serait coupable de disparitions ? Ne serait-ce pas là une occasion de réhabiliter l’Etat et ses institutions et de regagner la confiance de la population ?

Les conditions politiques et juridiques ne sont pas réunies pour juger en Algérie les commanditaires des crimes contre l’humanité qui sont au sommet de l’Etat, bénéficiant de l’impunité du fait de leur prééminence au sein du pouvoir qui les absout de tous les crimes. Les juges comme les tribunaux et les cours sont soumis au pouvoir, et ne peuvent condamner les responsables des crimes commis au nom de l’Etat. Il faut faire appel à la justice internationale qui vient de faire ses premier pas. Les droits de l’Homme sont universels et ne peuvent être enfermés à l’intérieur des frontières nationales. 

La convention internationale sur la torture de 1984 fait obligation aux Etats qui l’ont ratifiée de déférer sur leur territoire, en justice, tout tortionnaire, quelles que soient sa nationalité et celle des victimes et quel que soit le pays où il a trouvé refuge et vit en exil doré ou est seulement de passage. La Cour Pénale Internationale (CPI) est opérationnelle. Tôt ou tard des dirigeants algériens rendront compte à la CPI parce que pendant la décennie sanglante la lutte antiterroriste a été menée en dehors de la légalité et au mépris des traités internationaux. Cela s’est traduit par des milliers de morts sous la torture, d’handicapés à vie, d’exécutions extra-judiciaires, etc. Pendant dix ans, les organes de l’Etat ont imposé une terreur indescriptible au peuple. Les responsables rendront compte soit à la justice nationale lorsque les conditions politiques seront réunies, soit à la justice internationale si elles ne le sont pas. L’Etat a le monopole de la violence à condition qu’il respecte les lois nationales et internationales relatives aux droits de l’Homme. Il ne doit utiliser ni la terreur ni les moyens illégaux contre les auteurs présumés de la violence, qui doivent être différés devant les tribunaux et cours de justice, et condamnés quand ils sont déclarés coupables selon la loi. L’Etat qui ne respecte pas ses propres lois est un Etat de non-droit. Le peuple algérien veut l’ordre et la paix, à condition que ce ne soit pas l’ordre des prisons, ni la paix des cimetières. 

En tant que militant des droits humains, que reprochez-vous à la politique dite de « concorde civile » initiée par le président Bouteflika lors de son accession à la présidence en avril 1999 ?

Après sa désignation à la magistrature suprême le 15 avril 1999, M. Abdelaziz Bouteflika a voulu donner « une couverture politique et juridique » à un accord conclu entre le DRS et l’AIS. Cet accord avait-il une contrepartie politique ou était-ce seulement un accord verbal sans lendemain ? Pour le chef d’état-major, le général Lamari, il n’y a pas eu d’accord mais seulement une reddition. La loi sur la concorde civile adoptée au pas de charge par le Parlement et soumise à référendum ne s’est finalement pas appliquée à l’AIS qui a rejeté les termes de repenti et de reddition et exigeait une amnistie ainsi que les honneurs de la guerre. Mais le référendum de septembre 1999 n’était qu’une élection présidentielle bis, ayant pour objet de légitimer le président mal élu et de le libérer de la tutelle de l’armée qui avait fait de lui un monarque sans autorité. 

La grâce amnistiante accordée par le décret présidentiel en date du 10 janvier 2002 à l’AIS est anticonstitutionnelle car l’amnistie relève de la compétence exclusive du Parlement. L’effet psychologique recherché par le président de la République, à savoir une reddition massive des groupes armés qui formeraient des files indiennes devant les commissions de probation, afin que le combat cesse faute de combattants, n’a pas eu lieu. Sa démarche n’est pas la solution idoine, car il ne veut pas ouvrir un dialogue avec toutes les forces politiques représentatives sans exclusion, mais imposer sa loi, qui ne relève que de lui, de lui seul, pour ne rien devoir à personne et apparaître aux yeux du peuple comme le sauveur, l’homme providentiel. 

La réconciliation nationale ne peut se réaliser sans la levée de l’impunité. Elle sera vouée à l’échec tant que les commanditaires de crimes contre l’humanité ne seront pas jugés. La véritable réconciliation nationale passe par les concepts de vérité et de justice et par un dialogue entre toutes les forces politiques comme l’a montré la réunion de Sant’Egidio qui a porté sur le contrat national signé à Rome par les forces politiques représentatives de la société algérienne. 

En quoi consiste la différence entre la « concorde civile » lancée en 1999 et la « réconciliation nationale » prônée depuis avril 2004 ?

Le président veut passer de la concorde civile, qui s’apparente à la loi sur la clémence dite de la rahma du président Zeroual, qui ne comportait aucune référence politique, à la concorde nationale ou réconciliation nationale, dont il n’a pas défini encore les contours, pour aboutir à la paix. 

Me Farouk Ksentini, qui préside la commission gouvernementale sur les disparus, a déclaré récemment à la presse que l’Etat doit assumer ses responsabilités sur ce dossier. N’est-ce pas là une avancée significative pour rendre justice aux familles de disparus ?

Me Farouk Ksentini, président de la Commission ad hoc sur les disparus, veut régler ce problème épineux en versant une indemnité aux familles de disparus. Le régime, par la voix de Me Ksentini, propose à chaque famille un million de dinars, ce qui correspond au prix d’une voiture en Algérie. 

La commission ad hoc n’a aucun pouvoir d’investigation. Elle ne comprend pas de délégués des familles de disparus. Les seules institutions en mesure de donner des informations sont le DRS, la gendarmerie, la police et la justice. Me Ksentini a déclaré que l’Etat était responsable mais pas coupable. Cette affirmation révèle qu’il n’est pas du côté des familles et ne recherche pas la justice. Il est du côté du régime et il cherche à disculper ses dignitaires. L’Etat sujet actif du droit pénal, qui fait condamner les coupables, ne peut s’exclure de la culpabilité. L’Etat est responsable et coupable. 

Qu’en est-il aujourd’hui de la torture en Algérie ? Est-elle toujours pratiquée ou bien les autorités ont-elles décidé de l’abolir dans les faits ?

La pratique de la torture est de notoriété publique et seul le pouvoir semble l’ignorer. Ce dernier tolère, cautionne et pratique l’usage de la torture, et ne prend aucune mesure pour l’enrayer et condamner les tortionnaires. La torture ne constitue pas seulement des faits isolés, des bavures, des dépassements sans plus, mais une pratique administrative courante employée de manière systématique. Elle est devenus partie intégrante des interrogatoires quelle remplace avec les moyens de la violence physique. 

En juin dernier, à T’Kout, dans les Aurès, des adolescents ont été torturés et, fait nouveau, le président du tribunal a refusé de les entendre. 

Les bourreaux ne reconnaissent jamais leurs crimes. Larbi Taher, responsable de la LADDH à Lebiod Sidi Cheikh, a été torturé en prison. La violence physique qu’il a subie était visible sur son corps, mais les magistrats l’ont accusé de mensonges. 

La torture atteint l’être humain dans ce qui lui est essentiel, à savoir sa vie, son intégrité physique, sa santé et sa dignité. Pour éviter que ne se maintiennent ou ne se reproduisent l’horreur et l’abominable qu’elle représente il faut engager un combat très ferme contre elle, un combat qu’il faut gagner car elle se nourrit du silence. 

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2011

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Bel article de Meddi… tout droit sorti du « frigo »

PATTY SMITH dans La Grande Librairie

Elle fut Rock, mais aujourd’hui plutôt écrivaine, poète (plus qu’hier)

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les paroles

________ Source: LyricFind.______________

L’efficacité porcine

et d’autres… Richard Millet…

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« Ce sont donc bien ces idées fausses qui ont rendu l’Europe malade. Elles lui ont donné le virus de l’efficacité et elles ont rendu le meurtre nécessaire… La volonté d’efficacité, c’est la volonté de domination. Vouloir dominer quelqu’un ou quelque chose, c’est souhaiter la stérilité, le silence, ou la mort de ce quelqu’un. Voilà pourquoi nous vivons un peu en fantômes dans un monde désormais abstrait, silencieux à force de hurlements et menacé de ruine. Car les philosophies qui placent l’efficacité au sommet de toutes les valeurs sont des philosophies de mort. C’est sous leur influence que les forces de vie ont déserté l’Europe et que la civilisation de ce continent présente aujourd’hui des signes de dépérissement. Les civilisations aussi ont leur scorbut qui est ici le mal d’abstraction…

Exemple de la polémique. Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique, langage de l’efficacité. Le 20° siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l’insulte… Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d’hommes, mais dans un monde de silhouettes ».

Albert Camus- Le temps des meurtriers. In Conférences et discours, 1936-1958. Ed Gallimard/ folio.

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Et c’est bien après l’efficacité que galopent en grognant Zemmour, les zemmouriens et tous les revanchards. Nous ne laisserons pas les porcs saccager les solidarités humaines.

ahmedhanifi@gmail.com

14 septembre 2021

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Source:

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« L’Ombre d’un doute » de Nadia Agsous. Lecture

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Ahmed Hanifi,

Jeudi 9 septembre 2021

« L’Ombre d’un doute » est un roman de Nadia Agsous. Édité par les Éditions Frantz Fanon, Boumerdès, 12. 2020. 147 pages. La photo de couverture a été prise devant le mausolée Sidi Abdelkader à Bejaïa, l’un des 99 saints de la région.  On peut lire en quatrième de couverture : « Bent’Joy est une ville-légende qui traîne son passé comme un boulet. Toute idée de renouveau y est vécue comme une menace à son identité. « L’Ombre d’un doute », est un véritable conte moderne, qui se lit comme un poème épique ». Il est composé de sept courts chapitres et 17 sous-chapitres. Il développe l’intrigue sur quatre temporalités : la première marque l’arrivée de Sidi Akadoum en 1602 et le règne du « bon prince », la 2° est celle de Sa Majesté Le Pouilleux qui « haïssait Sidi Akadoum et qu’il a démis de ses fonctions et exilé », la 3° couvre le règne du fils de Sa Majesté Le Pouilleux « qui ne pense qu’à faire la fête », jusqu’à la fuite de la famille royale. La dernière enveloppe notre réalité. Le discours n’est pas linéaire, et les périodes et événements s’entrecroisent tout le long du livre. Il y a donc une difficulté pour qui s’attend à une intrigue simple, tels les composants d’une quelconque pièce de métier à tisser. Non, les fils de chaîne et de trame sont nombreux. Et les patrons divers et parfois complexes.

Ces temporalités ne sont pas linéaires donc. Ce qui est mis en avant ce sont les personnages et les événements qui les articulent et stimulent sur une trajectoire, un spectre de quatre siècles. Il y a de nombreux personnages, les principaux étant le narrateur, sa mère qui ne comprend pas son fils : « ah cette génération, il faut que vous le sachiez, cet homme (Sidi Akadoum) est notre sauveur » ; une autre femme dont la « voix est rocailleuse, une femme habitée par la folie blanche ». Nous ne connaissons pas leur nom. Et Sidi Akadoum. Ils traversent tous le roman sans trop insister sur la diachronie. Ce qui importe est l’événement.

Le cœur territorial est la ville de Bent’Joy (Bejaïa ?), embellie par une Montagne sacrée… et la pluie. La ville est repliée sur elle-même et « sa mémoire est engourdie, enlisée dans les sables mouvants de son histoire. » Sans difficulté, derrière la métaphore nous reconnaissons l’Algérie et les sempiternelles interrogations qui jaillissent dès que son nom est prononcé. Sont posées les questions de l’appropriation des identités nationales, leur construction, leur falsification « à outrance »… Mais pourquoi ce nom de Bent’Joy qui sent plus le vieux far west américain que la bougie éponyme (parfumée à la rose d’Austin) fierté des bougiotes. 

Des créatures étranges apparaissent ici et là, à côté des autres personnages dans ce « conte moderne, de ce poème épique » (4° de couverture) dans des réalités fantasmées, dans une possibilité fardée d’ombres, sous le déluge : nous croisons des hommes « accoutrés de longues robes noires, arborant sur leurs fronts des bandeaux rouge-vermillon », ainsi que Athina et Amjah, deux êtres « à l’apparence fragile », toutes les inhumanités du monde,se concentraient dans leurs gros intestins… la pluie cinglait leurs visages… Ils burent goulûment leurs maux, en silence sans mot dire… Et ils avalèrent leurs mots, sans maudire… », mais aussi un « chat mort pourri, des crânes vomis, d’os se transformant en aigle noire », et enfin des anges de la Bienvenue à travers des spectacles de magie noire…

Des créatures étranges qui apparaissent également au travers les divagations du narrateur qui, pris de doute au milieu de la nuit, quitte sournoisement ou ‘‘ à bas bruit’’ (locution répétée) son lit pour s’installer dans la terrasse familiale où l’attendait « un petit être étrange ». Le narrateur vit une expérience fantastique. Le voilà errant « dans la nuit de mes rêves. Je traversais les âges. Je chevauchais les siècles… J’avançais lentement dans les dédales souterrains de mes errances existentielles lorsque surgit, devant mes yeux emplis de sommeil visqueux, le passé de Bent’Joy. » En son for intérieur il entendait la voix enjouée de sa mère qui « dissipait ma crainte, apaisait ma peur, distillait dans mon cœur l’envie d’affronter l’imprévisible et d’éclairer les zones d’ombres de l’histoire de Sidi Akadoum ». 

Car il s’agit bien d’une paisible ville, Bent’ Joy, qui d’une part a été bouleversée par l’arrivée « à dos de chameau » d’un homme, Alââ di Paya el Mandouli, alias Sidi Akadoum, et de sa philosophie « qui aliène en douceur » et d’autre part va refuser que son identité soit emportée par la tempête de ce « prophète sans barbe, À la vie ! À la mort ! » 

Sidi Akadoum arriva à dos de chameau, à l’aube du 20° jour de l’été de l’an 1602 (aucun lien à faire – ici – avec le 16.02 de l’an 19).  « Sur la Côte d’Argent. D’abord un Boum ! On aurait dit un tremblement de terre. Un homme… et un animal… s’affalèrent sur le rivage ». Le vacarme fut tel qu’il ébranla la Montagne sacrée et effraya les habitants.  Sidi Akadoum est  « un être absent, sans visage, profondément ancré dans les confins de la mémoire collective ». Nous sommes amenés par le choix de mots, de lieux… à faire un rapprochement avec « un ensorceleur qui possédait des pouvoirs divinatoires », un Marabout, un idéologue islamiste, peut-être même Le prophète (la grotte, l’araignée, le Livre Saint, certains versets détournés… : « de la fragilité nous naissons. Dans la fragilité nous vivons. À la fragilité nous retournerons. »

Au lever du jour, Sidi Akadoum, inconnu alors, « baragouina quelques mots dans une langue étrangère aux habitants », il cligna des yeux et aboya. Son cauchemar prit l’allure d’un ‘‘verre de terre’’ qu’un oiseau de mer emporta. Trois mois après son arrivée, un « orage diluvien s’abattit sur la ville ». Il a plu nuit et jour durant une semaine. « Le ciel noir porta le lourd fardeau de la colère divine ». Les oracles convoqués par le prince prièrent, le roi sacrifia « une tonne de poules et de moutons ». En vain. Jusqu’à l’apparition de Sidi Akadoum. « Soudain, tout redevint calme. La mer se reconstitua en présence des habitants qui assistèrent à la scène en s’exclamant d’étonnement et de joie. » Le roi saisit cette occasion pour faire connaissance de Sidi Akadoum. « Aux yeux de la population, cet homme, qui était de plus en plus apprécié, était un faiseur de miracles, un sauveur. »  « Cette intervention inaugura le début d’une amitié » qui mènera Sidi Akadoum jusqu’à la fonction de Vizir du « bon prince ». Sidi Akadoum « apprit la langue locale dans ses moindres détails et étudia minutieusement l’histoire, les mœurs des habitants. Partout il répandait la joie, il éblouissait, il séduisait ». Dans un livre il consignerait ses mémoires : « Le parchemin de mes années à Bent’Joy ».

Une des rares fausses notes sur le tableau d’accueil de Sidi Akadoum est une vieille femme, une folle, à la voix particulière. La « voix rocailleuse d’une femme habitée par la folie blanche irait dans les ruelles de Bant’Joy, mettant en garde contre « la prophétie de l602 », celle de Sidi Akadoum. « Ô gens de peu ! Maudissez le nid nuptial vide de Sidi Akadoum, Ô gens de rien ! Il étouffera votre parole !… » Elle le poursuivra longtemps. Cette femme habitée par la folie a-t-elle jamais côtoyé Léon-Gontran ? « Qu’attendons-nous/ les gueux/ les peu/ les rien…/ pour jouer aux fous/ pisser un coup/ tout à l’envi/ contre la vie/ stupide et bête/ qui nous est faite… » Peut-être. 

La voix de la folle traverse le livre en italique et avec conviction et des mots lourds, appelant les citoyens de la ville à réagir, à ouvrir les yeux, à sortir de leur léthargie, à dénoncer « cet homme voleur de lumière », « la supercherie des siècles, il vous engloutira dans les ténèbres envoûtantes. » Nous renouons ici avec les temporalités indiquées plus haut. Le prince est mort, vive le Prince. Sa Majesté Le Pouilleux, qui succéda à son père « le bon prince », était exécrable, autoritaire. Il haïssait Sidi Akadoum qu’il a démis aussitôt de ses fonctions et exilé. Pour accélérer son départ il lui offrit biens et bétail que le bénéficiaire donna à son tour à des pauvres préférant vivre dans la discrétion. Mais « Pendant que Sa Majesté Le Pouilleux était persuadée qu’il avait quitté la ville, alors que les descendants de la lignée royale se faisaient la guerre, lui, Sidi Akadoum, ralliait à sa cause la population de Bent’Joy. » En deux ans ils adoptèrent sa philosophie « qui aliénait en douceur ». Les habitants édifièrent sur le Rocher flou, là même où il vivait, un mausolée en son honneur. Et il fut proclamé « Saint de tous les Saints ». Le lieu devint un lieu de pèlerinage où on venait chercher un « soulagement aux désordres intérieurs » attribués aux djinns. 

Le Pouilleux, comme son père, mourut d’une chute. Il tomba du haut de la Montagne sacrée et mourut dans sa chute. Sa disparition fut accueillie « dans la joie et la liesse » par la population. « Les femmes investirent la rue annonçant la fin d’une ère et l’avènement d’une époque qu’elles embelliraient » Sidi Akadoum écrivit sur son cahier « Un Monde humanisé est désormais possible ! » Et les habitants y crurent. « La ville n’allait pas tarder à vivre des changements radicaux ».

La mère du narrateur (il y a là un saut temporel) se rend au mausolée de Sidi Akadoum avec d’autres femmes pour « offrir leurs corps et leurs âmes à l’absent vénéré ». Lui ne comprend pas qu’on puisse porter tant de dévotion à un être « Messie, Rassoul, Prophète » dont on ne sait « ce qu’il a fait pour Bent’Joy ? » « il y a fixé son existence », mais il n’en est pas originaire.  La mère et son fils ne se comprennent pas. Pour elle, « cet homme est notre sauveur, il est le symbole de notre unité, il nous a rendu notre dignité, va vite te recueillir sur sa tombe ». Le narrateur, comme la femme à la voix rocailleuse, s’opposait à l’idéologie de cet homme vénéré par sa mère. Un jour il lui dirait : « Je la regarderais droit dans les yeux et lui avouerais ce que je pensais de Sidi Akadoum, cet homme qui avait emprisonné tant d’âmes, bluffé les plus crédules… » 

« Une procession d’hommes et de femmes marchaient sous la pluie battante. Je les voyais avancer main dans la main, piétinant leurs traumatismes et conjurant le malheur des années passées sous le règne de la médiocrité obscure. » Vingt et unième siècle. « L’aube des jours heureux faisait son entrée dans la légende primitive. Je m’agrippai au sommeil qui m’emportait jusqu’aux confins de mes origines lointaines. » Bent’ Joy « toujours belle et désormais rebelle », se purifiait sous la pluie battante, de ses impuretés primitives. Son avenir radieux se dessinait. Dès que les premières lueurs du jour caresseraient son visage, la femme à la voix rocailleuse irait boire le lait de dattes pour célébrer l’ensevelissement de la Prophétie de l’Aube 1602 dans le terreau des ténèbres.

Il faut seulement être patient et ne jamais rien lâcher comme dit la chanson « Notre réalité est la même/ et partout la révolte gronde/ Dans ce monde on n’avait pas notre place/… On lâche rien, on lâche rien…walou !… (HK et les Saltimbanks). Ne dit-on pas que la patience est mère de toutes les vertus ? Voilà donc un beau livre, hommage aux luttes des femmes et des hommes pour la réappropriation de leur réelle histoire, pour la vérité, pour la dignité, pour le futur. L’écriture est fluide. Le roman est agréable à lire. 

Nadia Agsous utilise beaucoup l’énumération avec répétition de possessifs, de prépositions, de substantifs … pour appuyer une idée, mettre en relief une pratique, un déroulé d’action… exemple : « … après avoir erré pendant plus de deux années, de dune en dune, d’oasis en oasis, d’étendue de sable en étendue de sable, de bourgade en bourgade… », « il découvrait ses habits, leurs modes de vie, leurs mœurs, leurs atouts, leurs faiblesses… », « la ville perdit sa joie, ses couleurs, sa beauté, son allégresse, sa clémence », « chacun portait sur son dos un instrument de musique : un violon, une harpe, une mandoline, une derbouka, un tambourin », « ce jour-là j’avais osé, j’avais parlé, j’avais dit, j’avais usé du verbe, je n’avais pas mâché mes mots », « elle courait, elle allait et venait, elle portait, elle cuisinait, elle goûtait, elle donnait, elle comptait, elle sermonnait, elle félicitait, elle s’emportait, elle me lançait des regards chargés d’amour. »

Les personnages sont touchants, particulièrement La folle à la voix rocailleuse, même s’ils manquent d’épaisseur. Ici, nous basculons dans les réserves et il y en a d’autres. Nombre de fois il y a indistinction ou plutôt des va-et-vient délibérés entre le système du présent et celui du passé de sorte que la narration parfois nous échappe (je devrais relire le roman). Nous avons parfois cette sensation que la narration s’appuie sur une succession de faits froids au détriment de la description (portraits, états d’âme…) C’est peut-être un choix. Heureusement qu’il y a de nombreuses pages au discours direct (les paragraphes en italique). Par contre l’utilisation de mots généralement peu usités ou éruditsalourdit le texte. Je cite pour exemple : valétudinaires, animadversion, déhiscence, obombrer, à la venvole… Il y a aussi des expressions ou jeux de mots malheureux ou fautes d’inattention : de bouche en bouche, mâles en mal d’amour,  elles acceptèrent ‘‘sans mot dire’’ ou ‘‘sans maudire’’ (avec répétition), L’architecture de ces résidences ‘‘étaient’’…, leur ‘‘héro’’, « ils dormaient à ‘‘points’’ fermés », son allure et sa démarche ‘‘fascinait’’…

Mais, heureusement, les passages poétiques qui glissent dans le roman sont nombreux et nous font vite oublier les écarts ci-dessus :- « J’errais dans les nuits de mes rêves. Je traversais les âges, je chevauchais les siècles, je comptais les années, je déréglais les ressorts du temps… j’avançais lentement dans les dédales souterrains de mes errances existentielles lorsque surgit devant mes yeux le passé de Bent’Joy. » – « L’aube des jours heureux faisait son entrée dans la légende primitive. Je m’agrippai au sommeil qui m’emportait jusqu’aux confins de mes origines lointaines. »  – « Allez-vous-en ! votre vue nous est insupportable ! Allez cheminer…, Vos vies sont des tragédies…, Allez, disparaissez… » – « Une femme marchait à mes côtés. Le silence de ses pas apaisait. Il agissait sur mon âme comme une douce caresse aux senteurs de l’enfance heureuse et insouciante. Des effluves d’ambre se répandaient dans l’air. L’ambre de ma mère. L’ambre de ma jeunesse heureuse passée à courir après une promesse de magie ; cette senteur envoûtante qui dit l’ardeur de l’amour maternel résonnait dans mon corps avec une étonnante familiarité. L’ambre blanc avait le pouvoir de transformer la vanité du monde en promesse d’épanouissement. » 

– À la lecture de la page 116, sans pouvoir me l’expliquer (le rythme, les mots ?), notamment de la longue tirade d’un des Grands Frères de la P’tite Mort « le plus âgé, le plus puissant, le plus pernicieux », je fus transporté dans les années 70, avec les paroles de La solitude de Léo ferré (qui fut un de nos marqueurs) .

Tirade du grand Frère : « Nous portons nos vies comme un haillon ravaudé. Nous avons été témoins du ravissement du cœur battant de vos esprits vifs, et dans l’aurore de vos vies à peine rougeoyantes, nous avons assisté au dépouillement de vos entrailles bouillonnantes. Nous avons surpris des mains drapées dans un tissu vert oindre vos corps d’huile du pessimisme… »

La solitude de Léo Ferré : « Les flics du détersif, Vous indiqueront la case, Où il vous sera loisible de laver, Ce que vous croyez être votre conscience, Et qui n’est qu’une dépendance de l’ordinateur neurophile, Qui vous sert de cerveau, Et pourtant… »

Poésie pour poésie, une attention particulière est à porter aux mots de la femme à la voix rocailleuse. On peut comprendre le combat de ces femmes et de ces hommes (ou même adhérer à leurs convictions) pour atteindre la vérité, retrouver leur véritable histoire, écrire leur Roman national inclusif. Le nôtre. Reste le cheminement et là… 

Le lecteur algérien (mais pas seulement) a besoin de ce type de roman. C’est le premier de Nadia Agsous, une belle performance, sans l’ombre d’un doute.

Ahmed HANIFI

Marseille, jeudi 9 septembre 2021

ahmedhanifi@gmail.com

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ET AUSSI…

LE QUOTIDIEN D’ORAN

L’ombre d’un doute de Nadia Agsous: Une ville, un mythe destructeur 

par Faris Lounis

in Le Quotidien d’Oran, samedi 22 mai 2021

Quand les mythologies s’installent, lever le voile sur de telles occultations devient une gageure. La vérité est mensonge et l’histoire n’est qu’une berceuse qui veille gracieusement sur les aveugles qui ne veulent pas voir. 


Ecrire une nouvelle histoire, par-delà le mensonge et la mythologie, n’est possible qu’à travers la remise en question du passé, d’une manière totale et absolue. Un nouveau regard est un nouveau départ. Nietzsche disait qu’ «il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante» et le créateur doit faire danser, voire trembler, ceux qui voient l’avenir comme une répétition statique et religieuse du passé. 


Le récent roman de Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, aborde la trajectoire des étoiles dansantes, afin de démythifier certaines légendes enkystées. Ces légendes dont le poids est devenu insupportable ont fait régner, pendant un temps considérable, une léthargie innommable sur la ville et le peuple de Bent’joy. 


La ville de Bent’Joy 


Bent’Joy est une ville à la mémoire engourdie. Une ville amnésique repliée sur elle-même. Elle est paranoïaque et toute tentative de renouveau y est vécue comme une menace à son identité. Le mensonge ancestral ronge le ciment de ses murs. De quel mensonge s’agit-il ? De celui de Sidi Akadoum, érigé en élu de Dieu. Il est devenu un être omniprésent dans l’histoire et la mémoire collective de la ville. Il repose sous une tombe en pierre de taille sur une plateforme surplombant la mer : « Femmes et hommes, grands et petits, implorent sa bénédiction dans leurs moments de doute et de malheur. Les jours de semaine, ils se remémorent ses actes et ses paroles. Tous ensemble, d’une seule voix, main dans la main, ils l’adulent, louent ses vertus, célèbrent son courage et son sens d’abnégation et de sacrifice »1. 


Par la force du hasard, cet individu devient le personnage principal d’une histoire défigurée et combien de fois réécrite. Lors des préparations précédant la célébration du centième anniversaire de sa disparition, le narrateur, s’interrogeant sur le sens du faste commémoratif dédié à Sidi Akadoum, demande à sa mère quel rôle a-t-il joué réellement dans le développement et l’épanouissement de la ville de Bent’Joy. Remontée par les questionnements de son fils, la mère réplique : « Comment oses-tu, fils indigne ? Hein ? Aurais-tu oublié que cet homme s’est sacrifié pour nous ? Qu’il nous a débarrassés des tyrans ? Qu’il nous a libérés des chaînes de l’inféodation ? Qu’il a enchaîné nos démons ? Qu’il nous a rendu notre dignité ? Ah, nos ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes ! S’ils étaient encore de ce monde, ils châtieraient les incrédules de ta graine ! Va ! Va vite te recueillir sur sa tombe et implorer son pardon. Va, vite, fils de Satan ! »2. 


Sidi Akadoum avait tout pour plaire et persuader. Une chevelure longue et noire. Des yeux couleur miel luisant comme le sable du désert. Il est venu de loin, sur sa monture, portant un Livre Sacré: «Cet homme que le vent sec et brûlant du désert expulsa vers les contrées douces et clémentes du nord fut subjugué par Bent’Joy et ses paysages qui dégoulinaient de beauté sauvage. La mer et ses tremblements, qui exaltaient une plainte douce et capricieuse, l’intriguèrent. La quiétude des nuits éthérées l’éblouit; elle raviva son envie de vivre et alimenta son désir de graver son empreinte sur des sépultures sans noms »3. Son installation à Bent’Joy fut saluée par tous, y compris les anges qui gardent la ville. 

Le verbe de Sidi Akadoum 


Son discours était superstitieux. Il ne parlait que du monde invisible. Il voyait de petits êtres malins partout et nulle part. Il glosait absurdement sur la relation pathologique des djinns avec la lumière. Ce discours absurde et bien enchaîné séduisait une foule largement naïve et crédule : «Durant ces nuits, à l’aide du miroir qu’il cacha dans la grotte du Rocher flou, Sidi Akadoum s’improvisait exorciste. Il avait réussi à faire croire qu’il possédait des pouvoirs lui permettant d’expulser les esprits malins des corps des femmes, des hommes et des enfants frappés par le destin maléfique. Ses prétendus dons de guérisseur des désordres psychiques étaient appréciés par la population bent’joyienne qui venait nombreuse solliciter son aide, lui, le mage adulé et glorifié sans modération »4. La charlatanerie de Sidi Akadoum ne faisait pas l’unanimité mais, hélas ! ceux qui contestaient son endoctrinement obscurantiste ne purent guère pallier la crédulité de la majorité de la ville. 


Le jour où tout a basculé 


Vendredi, journée sainte. La mère du narrateur prépare, avec les femmes de la ville, la grande célébration de l’ancêtre qui a sauvé leur ville, Sidi Akadoum. Les festivités se déroulent à Tiguemmi N’Ouguellid el Kheir. Comme tout parent désireux de transmettre ses rites et legs ancestraux, la mère du narrateur a trouvé l’occasion d’exprimer son mécontentement à l’égard de son fils. Voyant la révolte de ce dernier à l’égard de la tradition ancestrale, elle l’admoneste, tout en rappelant que le Saint de la ville est sacré et que cette dernière doit sa conservation à sa prédication, son Livre Sacré et sa bénédiction dont la source est son tombeau, lieu de pèlerinage et point névralgique de Bent’Joy. 


Impassible, le fils ne cède rien à la tradition qui sacralise l’ignorance : « Je la regarderais droit dans les yeux et lui avouerais sans détour ce que je pensais de Sidi Akadoum, cet homme du hasard inopiné qui avait envoûté plusieurs générations, emprisonné tant d’âmes, bluffé les plus incrédules, trompé les plus malicieux, amadoué les plus tenaces et les avait enfermés dans un monde étriqué où la vie prenait l’allure d’un cercueil dans lequel chaque âme attend son départ ultime »5. Le constat du fils est le suivant : les Bent’Joyiens sont les prisonniers de la mémoire d’un fantôme, Sidi Akadoum. Et cet asservissement mémoriel et dogmatique ne pourra pas durer : « Le passé n’est pas une prison : il n’est pas une demeure éternelle. C’est un lieu mémoriel où chacun vient puiser des forces, méditer, se ressourcer, se reposer, trouver des réponses à des questions qui taraudent l’esprit, et prendre de la distance avec le présent pour mieux appréhender l’avenir. Aujourd’hui ne sera pas hier. Demain ne sera pas aujourd’hui. Lorsque le soleil se lèvera, la graine prendra. Une nouvelle génération naîtra »6. Mettre le passé au repos et dessiner les voies du renouveau, c’est ainsi que le narrateur décide de s’opposer à sa mère et aux obscurantistes de Bent’Joy. 


La ville de Bent’Joy avait non seulement des personnes éveillées, mais aussi une ombre blanche qui veillait, depuis un temps immémorial, sur sa prospérité. Le jour où le narrateur a décidé de rompre avec la coutume commémorative et cultuelle qui ronge sa ville, l’ombre blanche fait son apparition, comme si par miracle, elle avait entendu l’appel au renouveau. Durant la procession du vendredi, la foule des croyants dociles a rompu avec sa léthargie : «Le lendemain à l’aube, dès que les premières lueurs du jour caresseraient son visage, elle irait boire le lait de dattes qu’Ang’Ava, la messagère des jours bénis, lui offrirait pour célébrer l’ensevelissement de la Prophétie de l’Aube 1602 dans le terreau des ténèbres. Lorsqu’elle aurait étanché sa soif, elle lui confierait un sac de mots multicolores, et chaque jour, elle jouerait au troubadour sur la place centrale de la ville. Sa voix gutturale répandrait le lot de verbes, de noms, de conjonctions, d’adjectifs contenus dans le sac. Les araignées laborieuses s’empareraient de ces perles finement ciselées, et à l’aube de chaque jour nouveau, elles tisseraient l’histoire renouvelée de Bent’Joy, fontaines de nos joies. Oasis de nos passions heureuses »7. 


Vers l’avenir comme ouverture 


Le progrès est une imitation infidèle, transfigurée. Surpassement. L’imitation totale et rigide est une mort. Une mort dans la lassitude et la sclérose. C’est ainsi que les habitants de Bent’Joy ont décidé de réécrire leur Histoire, en regardant vers l’avenir. Leur créativité a cassé ses chaînes, regardant vers le ciel et mer, se tenant sur le tombeau du Saint-Corrupteur des générations, désormais dépassé et jeté dans les oubliettes de l’histoire.

Faris Lounis

 
Notes: 

1- Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, Boumerdès, Editions Frantz Fanon, 2020, p. 9. 

2- Ibid., p. 10-11. 

3- Ibid., p. 23. 

4- Ibid., p. 73. 

5- Ibid., p. 141. 

6- Ibid., p. 142. 

7- Ibid., p. 144. 

EL WATAN 02 MARS 2021

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LIBERTÉ, 9 mars 2021

Dans cet entretien, la journaliste et autrice revient sur l’écriture de son dernier ouvrage, dont l’action se déroule dans la ville Bent’Joy. Une ville fictive et néanmoins très similaire à l’Algérie,“comme la métaphore de son enfermement sur son passé”, dit-elle.

Liberté : Quel  était  le  point  de  départ de votre  roman  publié  le  mois dernier chez Frantz-Fanon ?
Nadia Agsous : À l’origine, L’ombre d’un doute était un mini-roman. C’est sur les conseils bienveillants de mon éditeur qu’il est devenu un roman. Les trois personnages principaux : le narrateur, sa mère et Sidi Akadoum existaient dans la première version. Bent’Joy, le cadre spatial du roman, était une ville sans grande envergure. 
Au fur et à mesure de l’élaboration du récit, elle est devenue une ville millénaire. Puis, des personnages secondaires sont venus se greffer autour du noyau qui constitue le socle du roman. J’ai gardé la dimension fantastique (rêves, ambiance crépusculaire, pluie diluvienne, vents…) du récit. 
Cet exercice d’écriture et de réécriture fut formateur. La similitude avec l’Algérie est apparue au fil des pages. “Bent’Joy a émergé comme la métaphore de l’Algérie et de son enfermement sur son passé. À la fin 
du récit, à l’instar de l’Algérie, Bent’Joy qui au début n’était jamais rebelle, est devenue rebelle, un écho criant à la Révolution du sourire (Hirak)”.

Qui sont les personnages de L’ombre d’un doute ?
Le roman oscille entre les genres réaliste et fantastique. Il est “habité” par deux types de personnages : le lieu-personnage représenté par Bent’Joy, et les personnages humains qui se divisent en deux catégories. 
D’une part, les personnages principaux qui sont au cœur de l’intrigue : le personnage-narrateur, sa mère et Sidi Akadoum. Et d’autre part, les personnages secondaires : Athina, Amjah, la foule, le Dieu des eaux ruisselantes… Les deux premiers, par exemple, ont un rôle de figurants. Leur fonction est de servir la quête de vérité relative à Sidi Akadoum menée par le protagoniste lors de son incursion nocturne et onirique dans le passé de Bent’Joy. 

Comment décririez-vous le personnage-narrateur ?
C’est lui qui dynamise le récit, il va endosser un double rôle. Il est un précieux témoin du présent de Bent’Joy, et il va œuvrer pour se renseigner sur son passé au point d’émerger comme un historien, voire un archéologue qui fouille dans le passé pour éclairer le présent. C’est un jeune homme au tempérament curieux. Il est lucide, il voit et entend tout. Il est un observateur actif des mœurs de Bent’Joyiens. Lorsqu’il parle du passé, il adopte un point de vue narratif raconté à la troisième personne. 

Puis, il va changer de point de vue narratif pour devenir un personnage actant qui emploie la première personne (je). Il va s’inscrire à contre-courant des valeurs dominantes et s’attribuer le rôle de “sauveur” de Bent’Joyen se  lançant dans une quête pour découvrir la véritable nature de Sidi Akadoum, le saint vénéré et adulé. 
L’emploi du “je” renforce le caractère intime du récit qui sera consolidé par une expérience mystique vécue dans un mausolée où il assiste à l’engloutissement de Sidi Akadoum dans les abysses de son inconscience. C’est lors de ce baptême du feu qu’il se débarrasse de ses peurs, purifie ses sentiments et affirme sa détermination d’œuvrer pour le renouveau de Bent’Joy, “ville de – ses – tourments”. 

Sidi Akadoum est omniprésent dans la mémoire collective. Qui est cet homme qui subjugue les Bent’Joyiens ? 
Ah, Seigneur Visage !  C’est un homme à part. Il est absent physiquement, mais il a une forte présence symbolique, car il est omniprésent dans la mémoire collective bent’joyienne. Il a une personnalité double et trouble. Lorsqu’il arrive à Bent’Joy, il ensorcelle les Bent’Joyiens et gagne leur confiance, y compris celle de son altesse, le prince qui, rapidement, le nomme son homme de confiance. 
Puis, un changement de personnalité s’opère, car, au fur et à mesure de l’avancement de l’histoire, on découvre sa vraie nature. Il est fourbe et roublard. Il présente des caractéristiques similaires à celles d’un dictateur. Il a réussi à fabriquer des femmes et des hommes obéissants et incapables de réfléchir par eux-mêmes. 

L’ombre d’un doute,
éditions Frantz-Fanon, Alger, janvier 2021, 147 pages, 600 DA / 15 euros.
 

Entretien réalisé par : KAMAL OUHNIA

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EXTRAITS….

La folle…

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Les hypocrites

Les hypocrites

Ils nous regardent sans bienveillance

Ils ont kidnappé la vérité majuscule de l’Invisible, travestie, stérilisée.

Et nous la récitent par kilogrammes en veux-tu en voilà.

Chacun la sienne, main sur le cœur.

Ils nous sermonnent, nous alpaguent, nous maltraitent

Parce que chez nous, nous partageons les plaisirs de la table,

Parce que nous ne nous mêlons que de notre vie,

Parce qu’ils ne nous voient pas jouer du coude derrière l’imam, selfies à l’appui.

Ils sirotent les prêches qui leur promettent le Paradis éternel, c’est sûr

Et ne disent mot sur leurs comportements diaboliques ici et maintenant 

À l’égard de leur voisin, de leur frère, de leurs enfants

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

De leur fille, de leur (s) épouse (s), de leur voisine

N’y a-t-il pas problème ?

Nous balbutions « éducation, citoyenneté » 

Nous voilà éjectés hors de la « nation des croyants » 

Le venin toujours et encore au nom de Dieu, le grand, le miséricordieux.

Leurs miroirs malsains déforment nos pensées

Ils construisent le plus grand nombre de mosquées par habitant au monde

Et les plus hautes.

Le Maroc et la France n’ont qu’à bien serrer les fesses.

Et el-ghachi de se prosterner devant l’écran plasma de la honte

Qui montre l’unique voie.

Ils reprennent « Corruption ? la France,

Incompétences ? la France,

Covid 22 ? la France,

Zawiyat kounta ? la France,

Les cousins se jettent par milliers dans les bras de la tour Eiffel ? la France

Trou dans le trou ? la France… »

Dans leur cœur brûle la flamme de la haine 

Parce que nous ne leur ressemblons pas,

Parce que l’humilité nous habite et avons horreur du vacarme.

Et gare si nous ne pointons pas devant les tourniquets de la foi publique 

Cinq fois par jour au bas mot.

Gare si nous ne réveillons pas les résidents du quartier, 

Leur signifier à trois heures du matin et à voix haute,

Que leur place est à nos côtés, sur la route de la mosquée

En groupes pour toujours plus de bruit

Réveiller les bébés, achever les malades

Cogner aux portes et aux fenêtres ah la bonne blague !

Désopiler la rate de l’imbécillité

Preuve de la sainte et heureuse bigoterie

Puis dormir jusqu’à midi

La société d’État guèdra (1), attendra.

Elle a toujours toléré et encouragé.

Sur ordre.

Ps : si vous ne vous reconnaissez pas dans cette bourrade, si vous ne vous sentez pas pointé du doigt, merci de partager et de passer votre chemin. Vous êtes des miens.

ahmedhanifi@gmail.com

dimanche 5 septembre 2021

1_ charika guèdra- « l’entreprise peut ». Expression populaire. Ne pas se préoccuper du « combien ça coûte » puisque l’entreprise (lÉtat) alimente sans règles.

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C

C

La peau des nuits cubaines de Salim Bachi

____ LE QUOTIDIEN D’ORAN, samedi 19 juin 2021, page 18- « Culture »___

___ LE QUOTIDIEN D’ORAN, dimanche 20 juin 2021, page 18- « Culture »___

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Recension de « La peau des nuits cubaines » de Salim Bachi, édité par Gallimard en mai 2021.

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Salim Bachi aime les voyages et il aime nous les faire partager à travers ses livres. Le dernier nous emmène au cœur des Caraïbes, à Cuba. Il se présente en la forme d’un roman de 153 pages intitulé « La peau des nuits cubaines » édité par Gallimard. L’année de publication inscrite sur la deuxième de couverture est « 2020 », dépôt légal « avril 2021 ». La pandémie de la Covid-19 a retardé d’une année sa mise en librairie (le 7 mai 2021). 

Le roman est composé de trois parties. La première contient les chapitres 1 à 4, la deuxième les chapitres 5 à 7 et la troisième qui est intercalée entre les deux parties ne contient que deux phrases : « Le soir même, Chaytan reçoit un coup de téléphone d’Ely : nous devons rentrer au plus vite. Omid s’est pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro ». Chaque chapitre du roman est subdivisé en sous-parties ou séquences d’une à cinq pages (45 en tout, montées comme un film). Ainsi dans le chapitre 1 il y a 5 séquences, 4 dans le chapitre 2… Le 5° chapitre est celui qui compte le plus de séquences : 12 pour un total de 29 pages.

Voici un roman qui fait la fête à Cuba, à ses villes, qui exalte ses habitants (ses femmes), qui célèbre le cinéma. Sur le bandeau rouge d’accompagnement du livre, il est mentionné en majuscules « Il était une fois La Havane ». Cela pourrait être le titre d’un film réalisé autour de séquences qui s’entrecroiseraient avec les mêmes personnages, avec les mêmes lieux, avec ce qui donne sens à la vie, tout « ce qui disparaît, perte sans remède. »  C’est cette vie, cette perte, que cherche à fixer le narrateur sur pellicule et de fait, sur un autre support par l’auteur.

Nous sommes à Cuba donc, au mois de juin, en « saison humide », où le ciel est « strié d’éclairs et de folies », des éclairs qui « griffent le ciel noir » avec « un vent de fin du monde » et « une lune géante, mortifère, (qui) troue le ciel noir ». Mais parfois le soleil « cogne comme un boxeur ». Le narrateur est en vacances à La Havane, une ville qui « ne ressemble en rien à la carte postale vendue dans le monde entier », rues tracées au cordeau comme New York avec ses calle 1, calle 25, 19… qui se jette dans la mer, mais c’est la seule comparaison possible entre les deux villes.

Les événements se déroulent dans le cœur de La Havane, Cienfuegos, Puenta Gorda, ou dans l’historique Diez de Octubre, dans leurs artères… durant la coupe du monde de football (très probablement celle de juillet 2018 qui eut lieu en Russie). Les maisons de ces quartiers ont presque toutes été éventrées par les arbres tropicaux. Les touristes ne s’y aventurent pas. Le quartier Diez de Octubre porte la date d’un événement historique. Le 10 octobre 1868 est le point de départ de la première guerre d’indépendance de Cuba. Le narrateur est cinéaste. Il filme les quartiers de La Havane, « les décombres de cette Allemagne année zéro », mais il précise qu’il ne rend « sans doute pas justice à cette cité marine. « Je ne montre pas ses qualités, inhumaines, entêtantes comme un songe concocté dans la marmite de cet Atlantique redoutable où reposent des siècles de servitude, esclaves sombres, négrières sordides qui ont engrossé l’île de cette humanité violente. » 

Les principaux personnages du roman sont ce narrateur-cinéaste et Chaytan son hébergeur ou ami, une sorte de patron voyou. Le narrateur soupçonne son camarade de porter deux masques, ceux de la droiture et de l’amoralisme « qui se combinent pour donner cet homme fascinant à la Citizen Kane. »  Chaytan signifie « Satan » en iranien (et en arabe). Se sont-ils connus par le fait du hasard, par le biais d’une agence de tourisme ? Ils naviguent d’un endroit à un autre, arrivent à Cienfuegos « sous un soleil de plomb, dans une voiture chaude comme l’enfer. » Le narrateur écrit « je dérive entre le continent de ma naissance et ce nouveau monde qui s’offre à moi dans son étrangeté au point de m’abandonner, navire corsaire sans mâture, vaisseau fantôme voguant sur des souvenirs absents », ceux de son lointain passé dans l’africaine Cyrtha. 

Chaytan est Iranien. Il a grandi à Chiraz. Le narrateur dit à son propos « il faut prendre ses dires avec circonspection » et se demande s’il n’a pas exagéré son passé politique en Iran, pays qu’il a fui pour la France où il a passé plusieurs années et où il a été marié (et a divorcé) deux fois. Ses enfants lui en veulent « d’être parti vivre à Cuba, avec une femme autre que leur mère. « 15 jours après son divorce il arrivait à La Havane ». Il possède un restaurant, deux appartements. Chaytan loue au narrateur une Casa particular qui se situe à calle San Lazaro et lui avance des pesos convertibles pour ses dépenses. Lui prête un téléphone portable pour son séjour. Le narrateur lui règlera plus tard la location par virement, probablement lorsqu’il sera retourné en France. C’est ce que préfère Chaytan. Sa Casa particular est tenue par deux demandeurs d’asile, iraniens comme lui. Chaytan est un homme difficile, sévère avec ses employés, il se moque d’eux, il n’aime pas les Cubains « des voleurs et des malades mentaux ! » Il dit vivre « dans un hôpital psychiatrique à ciel ouvert. » « Il s’emporte contre le système cubain, sa politique, sa bureaucratie ». Se vante d’avoir « grandi avec les plus grands voyous de Chiraz. »

Laura est l’épouse cubaine de Chaytan. Elle a « 30 ans et des poussières » et possède un appartement à Calle Galiano, près de la Casa de la musica. À la moindre contrariété, elle s’y enferme. Laura ne lit jamais. Elle ne s’intéresse à rien, déteste le théâtre. Elle s’intéresse au Reggaeton et aux magasins qu’elle dévalise. 

Son mari a un visage diabolique, « il ressemble à un bouc. Ses dents du fond manquent à l’appel. » Laura, est dentiste, mais n’a rien pu faire pour les empêcher de tomber ». Lui l’accable de tous les maux ». Il la trouve « immature, malade et instable ». Mais il ne peut en divorcer au risque de tout perdre. Elle le tient. S’il divorce, il perd son restaurant, sa carte de séjour, son appartement, la casa particular de la calle San Lazaro. Chaytan dit avoir fait une erreur en l’épousant. Ils ne s’entendent pas du tout. Lors d’un repas elle confie au narrateur que Chaytan c’est le diable et confirme qu’il porte bien son nom. Lorsqu’elle le quitte après une dispute, elle emporte « un peu des économies de son mari cachées sous le lit conjugal ».  Chaytan aime la belle vie, les soirées, les sorties. Il a invité son ami, le narrateur à la pension de José. Elle se trouve à Puenta Gorda, une presqu’île. José veille sur son établissement et sur sa fille qui ne sort jamais le soir. Chaytan aimerait refaire sa vie avec une fille de la province comme la fille de José. Il est prêt à attendre qu’elle grandisse » « on regrette parfois d’avoir l’âge qui nous interdit de toucher aux jeunes filles en fleurs » dit le narrateur en pensant lui aussi à la fille de José qui le fait rêver « rien de sexuel dans ce désir de regarder danser, chatoyante, cette jeunesse qui bat des ailes comme un papillon. » Elle ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita, dit-il.

Le narrateur est l’autre personnage important. Son nom n’apparaît qu’en page 71. À une fille qui le lui demande, il répond « Durquès… » Ce sera la seule fois. Est-ce son vrai nom ? Nous savons qu’il a été marié et qu’il a un enfant de quatre ans et demi « qui l’appelle pour lui souhaiter bonne fête ». Nous savons également qu’il habite en France et qu’il a passé son adolescence ou enfance à Cyrtha (la ville référence de l’auteur qui le poursuit depuis son premier et célèbre roman Le Chien d’Ulysse). Lorsqu’il pense à son ex-femme et à l’amant de celle-ci, le narrateur dit qu’il regrette de ne pas les avoir frappés lui qui a du sang d’Othello qui coule dans ses veines : « J’aurais dû me venger ! frapper et tuer : elle et son Cassio ! » Cassio le ‘‘capitano moro’’, le fidèle capitaine d’Othello.

La Havane fascine le narrateur « au-delà du raisonnable ». Il restera au moins un mois « empêtré dans cette ville ». Il se rend souvent à Ispahan le restaurant de son ami. La Havane est une cité en ruine qui « accélère la décomposition des sentiments ». « L’eau manque, la misère fleurit sur le fumier, la ville pue. » La pauvreté est partout, mais les habitants s’improvisent restaurateurs pour arrondir leur fin de mois. Dans le quartier de Diez de Octubre, il n’y a que « des rues sordides où la misère suinte des murs, où un immeuble sur deux s’effondre… » Le narrateur/ Durquès aime les Cubains et regrette d’avoir perdu sa jeunesse « dans un pays froid qui ignore l’alchimie des corps ». Il regarde cette vieille ville « qui se déploie comme une tapisserie usée par les siècles » et qui déteint sur ses habitants. Liannis, une des serveuses de l’Ispahan « incarne cette ville étrange, violente, radicale ; hanches déliées des Orientales et des Africaines. Elle ressemble à une Arabe : ses cheveux bouclés flottent comme des palmes. » La Havane, sa chaleur, sa pauvreté attirent le narrateur, le poussent dans sa mémoire « où se sont abîmés avant moi tous les Ulysse du monde. » Elles le renvoient à ses jeunes années passées à Cyrtha. Il regarde les petites voitures des gamins pauvres de l’île et ce sont les ‘‘carricos’’ algériens qui surgissent dans sa mémoire. Alors il se revoit adolescent au collège à Cyrtha « par un matin semblable à celui-ci. » À quoi rêvait-il cet adolescent qu’il était ? Ce souvenir le fait « pleurer longuement, en silence. » 

Durquès restera plusieurs semaines à Cuba, jusqu’à juillet. Avec sa caméra il filme à longueur de journée et de nuit. Il filme « des maisons coloniales en ruine », les filles de la calle Humboldt, Freido le frère de Chaytan et sa femme « cette vierge s’apprêtant à donner vie ».  Il filme même lorsqu’on le lui interdit comme lors de cette fête des saints : « il laisse tourner la caméra pour filmer la fin de la cérémonie », malgré l’interdiction de la sœur de Liannis une des serveuses de l’Ispahan. Le narrateur est magnétisé. On danse, on chante, « c’est une mer déchaînée de corps gras en sueur, cheveux mêlés aux voix tumultueuses teintées d’hystéries. » Il filme au risque de se faire agresser ainsi, Miguel, un jeune étudiant entremetteur qui, non content d’être filmé, sort un couteau « qui brille dans la nuit épaisse ». Sans soleil méditerranéen, la lumière ne giclera pas sur l’acier. Heureusement pour le narrateur, Chaytan ­­— qui veut être « le personnage principal » du film en préparation — est intervenu. « Je lui ai arraché les dents pour lui apprendre son code civil ». Le narrateur, ce « métèque », aura la vie sauve. Il a pris goût à ces déambulations, à ces rencontres fortuites. « Elles sont devenues cet opium qui m’apaise et me permet de sortir de la bulle d’indifférence qui m’emprisonne d’habitude et m’empêche de saisir le monde sinon à travers l’objectif de ma caméra. » « Le cinéma a été pour moi cette connaissance intime de ce qui disparaît, perte sans remède donnant sens à ma vie et que je cherche pourtant à fixer sur une pellicule. Il montera son film ici même, « à La Casa ».

D’autres personnages animent le roman. Il y a Sohar et Omid un couple d’Iraniens demandeurs d’asile, arrivés à Cuba il y a six mois. Sohar est chrétienne et « au pays des mollahs ce n’est pas évident ». Omid manifestait contre le régime. Ils tiennent la Casa particular de Chaytan, s’occupent du ménage, reçoivent les clients étrangers, leur préparent le breakfast. En échange ils sont logés ‘‘gratuitement’’ entre guillemets. Ils « font lit à part », mais c’est elle, Sohar, qui se sent « supérieure dans la souffrance » qui est la « lider maximo » du couple. Tous deux rêvent d’un autre ailleurs. Omid du Canada, elle des États-Unis. En attendant cette issue, Sohar passe son temps à se promener près du Paseo et sur le Malecon avec ses amis. Chaytan se demande si elle ne se prostitue pas. Omid souffre de sa condition. Il est « plus mal loti que dans son pays d’origine ». Il est seul. Sa femme le délaisse. Il n’en peut plus. Il se pend. 

Omid s’est suicidé et le narrateur en a été perturbé. Il pense à ses perruches « qui va s’en occuper  ? » Le narrateur dira que depuis sa disparition il a le sentiment de nager dans l’irréalité. Il regardera Les Enfants du paradis sur son ordinateur. Chaytan a « passé la journée chez les flics puis à l’ambassade d’Iran. Il faut rapatrier le corps d’Omid et il lui faut de l’argent pour cela. Il compte sur une amie pour lui rendre ce qu’elle lui avait emprunté. Chaytan lui avait prêté cet argent pour ne pas le laisser chez lui de crainte que Laura le lui vole. 

Il y a un autre personnage qui apparaît ici et là. Freido le frère de Chaytan. Il dit à Durquès qu’en Iran il a été condamné à mort à cause de son frère, c’est lui qui l’a entraîné dans la politique en Iran. Il n’en revient pas que Chaytan côtoie à Cuba le consul iranien. Contrairement à lui Freido aime les Cubaines « ici les gens n’ont rien et te reçoivent chez eux sans te connaître. » Freido s’est fait plumer par son ex, mais il n’est pas rancunier. 

Chaytan et le narrateur se dévergondent dans les boites de nuits, discothèques, restaurants, bars où ils sont bien accueillis « comme si nous étions de grands amis. » La France vient de se qualifier pour la finale du Mondial, alors partout ils sont les bienvenus, bien reçus. On les prend pour des français, « même le flic qui inscrit nos noms sur son grand carnet nous félicite ». Cela paraît absurde au narrateur. Le match de la qualification à la finale qui s’est déroulé à St Petersbourg a vu la France battre la Belgique par un but à zéro. Ce qui rend heureux les deux amis ce sont les soirées dans les restaurants, les discothèques, avec les Cubaines, plus que le football dont ils n’ont rien à faire. Durquès trouve la situation plutôt drôle lorsque les vigiles les congratulent pour la victoire de l’équipe de France. « Deux étrangers devenus les ambassadeurs d’un pays qui les méprise et les renvoie à leurs différences. Deux métèques naturalisés grâce à une équipe de football dont ils se fichent ! »

 « Miguel leur propose d’aller voir « des copines muy bonitas », « des filles pour 60 pesos ». Elles sont belles, élégantes, l’une d’elles porte « une robe blanche virginale, une pierre brille sur sa narine, un piercing qui aimante le regard du narrateur. Une fille avec de longues jambes noires qui disparaissent sous un short minuscule. » Lorsqu’il en emmène chez lui, Durquès les « laisse traîner seules dans sa chambre ». Elles ne touchent à rien. Des filles à qui il donnait de l’argent pour prendre le taxi, acheter des vêtements. En échange elles le laissaient les filmer. Ces filles (souvent des ‘jineteras’) sont jeunes et belles. Elles font contraste avec les villes en ruine, prêtes à clamer cette discordance au narrateur-cinéaste (il se qualifie « cinéaste-voyeur) qui les filme comme on présenterait ses atouts lors d’un casting. On le devine les accompagner dans la nuit pour les en sortir dans un cadre qui les resserre. Certaines sont « aimantées par la caméra », d’autres ressemblent à des actrices de films cultes. « Tu veux pas me filmer ? Je ressemble à Marylin pourtant ! » dit l’une d’elles, et  « la fille de José ressemble à la fille de la paillote dans La Dolce Vita. » L’auteur fait de nombreux clins d’œil au cinéma, au théâtre, et à la littérature comme dans d’autres de ses romans… Du Sergent Garcia à Al Capone en passant dans le désordre par La Haine, Majnoun Leïla, Roméo et Juliette, Allemagne année zéro, Citizen Kane, Moby Dick », L’Odyssée (Ulysse, Ithaque, Elpenor), La Bataille d’Alger, Kubrick, Schnitzler, Les Enfants du paradis de Carné, « Dolce vita », Hemingway, etc.

Ce dernier jour, le narrateur arrive au restaurant de Chaytan à midi comme pour un clap de fin. Le restaurant est bondé. Le barman est affalé sur le zinc la tête enfouie entre ses bras. Il est abattu. « Quelque chose d’obscur, comme ce désir malsain de revenir sans cesse sur mon passé, me propulse machinalement vers le fond du restaurant. » À l’intérieur de son appartement, Chaytan était allongé sur l’un des canapés. Il semblait dormir. Torse nu. Visage recouvert par son bras droit. Le gauche traînait sur un tapis le poing serré. Une mouche se posa sur sa poitrine, se posa sur son bras livide. Elle s’attarda ensuite sur sa poitrine. « Doucement et tendrement, elle s’immisça dans une plaie ouverte comme une fleur carnassière où elle finit par disparaître. » À côté de Chaytan, Laura semblait sourire. Égorgée. 

Le roman s’achève sur cette scène échappée du présent comme d’un thriller. Chaytan et son épouse se sont-ils entre-tués, ont-ils été tués par des voyous, par des services secrets ? Car enfin, Omid, lui qui a été condamné à mort en Iran, a été retrouvé pendu dans l’appartement de la calle San Lazaro.

Et puis Freido disait ne pas comprendre que son frère se rende en Iran chaque année alors que son meilleur ami a été assassiné en prison. Il ne reconnaissait plus Chaytan qui l’a entraîné dans la politique, ce frère qui était recherché par toutes les polices du Shah puis celle des mollahs. Et qui « maintenant fricote à La Havane avec le consul d’Iran ! »  qui rentre sans problème au pays, c’est sûr « qu’il a signé une lettre dans laquelle il a reconnu s’être trompé et qu’il regrettait », dit Freido. 

Le roman s’achève comme un film. Et les caractères, comme les pixels, se transforment en de « scintillantes étoiles ». La focalisation est double, Durquès raconte, exprime ses sentiments, sa subjectivité, mais il observe aussi les autres personnages. Le système narratif est celui du présent. Les phrases sont courtes. L’écriture est inscrite dans une réalité immédiate, forte, permanente, volontairement accessible, non soutenue qui nous donne à deviner, à l’identique d’une caméra discrète qui fouine et zoome, dézoome, plan général, d’ensemble, plan américain, les contours d’une scène, d’un moment poétique, d’une réalité tantôt noire décomposée, tantôt belle comme cette danseuse à l’image d’une « flamme qui tremble dans la nuit ». « Deux flammes vacillent dans la nuit brûlante à la peau veloutée et sombre. Je respire leur beauté qui vibre dans l’air moite de la ville après l’orage ». Et le lecteur se met à figurer ces flammes, cette nuit, et la peau veloutée. Nous sommes installés au cœur de la Havane, sur une banquette du célèbre bar-restaurant El Floridita à siroter comme papa Hemingway à son époque, un daiquiri en suivant au plafond les volutes rondes d’un Cohiba, « la Rolls-Royce du cigare ! » 

Dans la section 4 du chapitre 5 l’auteur écrit au présent : « Chaytan est locataire d’un appartement. Il possède un autre logement, derrière Ispahan, moderne, meublé avec art. » Puis il bascule au passé : « Chaytan aimait l’art et il tenait à le faire savoir »… Puis il revient au présent deux phrases plus loin : « Chaytan vit avec Laura, ils sont mariés depuis trois ans, dans le petit loft qu’il a décoré. Peut-être a-t-il aimé l’art dans le passé, pas (plus) au présent. Il y a des allers-retours entre l’un et l’autre, du présent au souvenir. Dans le dernier chapitre, nous sommes en juillet « le soleil assassine » : il arrive, la chemise colle,  les gens attendent, il cherche, il voit, il fait signe… puis en page suivante et dernière du roman : Chaytan était allongé, son bras traînait, il avait le poing serré, il ne voulait pas, Laura regardait, un trait rouge découpait son cou… 

 Durquès retrouve dans sa mémoire « le frêle adolescent qu’il a été, qui se rendait au collège, dans les rues de Cyrtha ». Il est apaisé. À ses côtés, Maria, la fille rencontrée dans une discothèque du Diez de Octubre « une flamme qui tremble dans la nuit ». « Je la serre fort dans mes bras et me laisse dériver, emporté par mon beau navire corsaire, ma mémoire africaine. » Nul besoin ici de s’encombrer de caméra.

Les subtilités du roman n’ont pu être entièrement rapportées ici, transposées dans ce compte-rendu. Elles sont nombreuses et les subjectivités propres à chacun privilégient telles ou telles strates.

Salim Bachi est l’auteur de dix romans, deux récits, un essai et un recueil de nouvelles. Dix de ses quatorze ouvrages ont été édités chez Gallimard. Salim Bachi publie depuis 2001 un livre tous les 18 mois en moyenne. Il a reçu plusieurs prix : dont le prix Goncourt du 1° roman pour Le chien d’Ulysse. Salim Bachi est l’un des plus doués auteurs algériens (il est franco-algérien) dont le nom mérite d’occuper le haut des plus belles affiches des pages culturelles. Il est regrettable que son œuvre ne soit quasiment ni éditée ni disponible en Algérie.

Ahmed Hanifi,

Auteur.

En Occitanie, le 17 juin 2021

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Élections en Algérie et commentaires, analyses…

Lu sur une page FB « pas d’élection avec la mafia » / « Libérez les détenus d’opinion »

LE GRAPHIQUE ILLUSTRE LA GRANDE VICTOIRE DU HIRAK (à partir des chiffres officiels)

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_____________Dilem Liberté- 19.06.2021______

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER ÉMISSION SPÉCIALE SUR RADIO M du 16 juin 2021

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Tebboune répond à des questions…à des questions…

Abdelmadjid Tebboune répond aux questions de l’hebdomadaire français « Le Point »

Précisément aux deux journalistes algériens: Adlène Meddi et Kamel Daoud, chroniqueurs à l’hebdo cité.


Comment expliquer ces questions banales, neutres, blanches, lénifiantes parfois de quelqu’un (je ne connais pas le second) réputé très audacieux, secoueur des mythes, empêcheur de jouer en eaux calmes et de tourner en rond, etc., etc

Il n’a rien secoué du tout ! était-il malade? pas à l’aise? Souhait-il, enfin, je veux dire…

« Mais, me diriez-vous, comment voulez-vous (tenter d’) adoucir le regard que porte le français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault), sur nous, sur nos dirigeants et notre nouvelle stabilité désormais ? » Car en effet, le lecteur-cible de ce papier est français. seul lui importe. 

D’accord, d’accord, mais comme les journalistes sont Algériens et qu’ils écrivent (aussi) habituellement pour des médias algériens, et que le contenu nous concerne par l’émetteur, alors j’ai lu (merci à A.T.) l’article du journal français et vous donne spontanément mon point de vue.

Les deux journalistes du Point ont posé 33 questions en sus d’une présentation à fleur de poésie et un portrait d’où rien ne dégouline. Du sur-mesure. « ‘‘Vous avez trop de questions’’, commente, tout sourire, Abdelmadjid Tebboune en invitant à prendre le café. » C’est joliment écrit. La dernière question, la 33°, relève de l’ordre médical et même du traitement :  « Comment être heureux en Algérie bon sang docteur ? » « Regardez Sisyphe dit l’autre…, trimez, votez et recommencez ! » (je n’ajouterais pas le gros mot qui fut celui de Léo Ferré dans les seventie’s: « Votez connards! » Non je ne l’ajouterai pas.

Restent 32 questions, 15 concernent les relations avec divers pays et surtout avec la France (10 questions), et 17 qui concernent l’Algérie, les Algériens, leurs dirigeants…

L’état d’esprit du président, son état physique, sa traversée du désert… Lui, attaque en règle les manifestations et cite Corneille, oui monsieur ! « Qui t’a rendu si vain/Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main ». Acte 2, scène 2. Nos deux journalistes n’ont pas demandé au président s’il comptait aller jusqu’au 5° acte comme pour le Cid. Enfin si, ils ont balbutié, « pensez-vous avoir besoin d’un second mandat ? » Réponse : « Très honnêtement, je n’y pense pas. » Ils avalent. Et on continue. Le Point baisse la tête, ne relève pas l’outrage contre les marcheurs. Déjà 4 questions. On continue. La libération des détenus « pourquoi ce raidissement aujourd’hui ? » (là par contre j’applaudis), pourquoi Rachad et le MAK… les élections du 12 juin, l’arrestation du journaliste de Liberté… C’est là aussi une bonne question sauf que le président dans sa réponse piétine allègrement la présomption d’innocence « Il a joué au pyromane » dit-il à propos du journaliste enfermé qui n’a fait que son métier (je vois d’ici la tête des lecteurs français à qui on ne la fait pas, on ne plaisante pas « ici » avec les choses graves… mais bons, des Algériens…) Les journalistes passent à une autre question (la 9°) sur le Parlement…le retour aux années 90… Voilà une autre bonne question : « Parler de l’Algérie, c’est évoquer le poids de l’armée et des services de renseignement… » (j’applaudis chaudement). Les journalistes ne savaient pas que l’armée (et les services…) ne font plus de politique depuis 1988 ? Hé bé le président le leur rappelle. Les deux compagnons avaient oublié. Ils se grattent mutuellement le crâne à tour de rôle et passent à autre chose : « comment rassurer les patrons ? » On respire ! Oui comment rassurer le Medef algérien, pour tranquilliser son vis-à-vis ? (les Pinault par exemple) « Un partenaire étranger peut-il gagner de l’argent en Algérie ? » que c’est mignon !

Je ne vous raconte pas le reste, suis fatigué. N’oublions pas que la cible du papier est le « français-moyen-lecteur-d’un-canard-de-droite (propriété des milliardaires Pinault).

Quant à moi, je vais feuilleter La Comédie française de Sapin. C’est plus hilarant, plus sincèrement hilarant.

NB: il nous faut préciser que K.D est partisan de la participation au vote du 12 juin. Il l’a clairement exprimé et répété.

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L’ARTICLE DU JOURNAL LE POINT EST EN PAGE SUIVANTE

Halte à la confiscation de la souveraineté populaire ! (PAD)

Le Pacte pour l’Alternative démocratique (PAD) appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. 

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mercredi 2 juin 2021

COMMUNIQUÉ DU  (PAD)

« Halte à la confiscation de la souveraineté populaire !

Réunies, le 1er juin 2021, les forces du PAD déclarent ce qui suit : 

Le pouvoir s’entête à restaurer le système autoritaire. Affolé par le désaveu des citoyens vis-à-vis du nouveau simulacre électoral du 12 juin prochain, il s’est lancé dans une escalade furieuse de la stratégie de répression mise en œuvre depuis avril 2019, sur fond d’instrumentalisation des appareils sécuritaires, judiciaires et médiatiques. De fait, il interdit les manifestations en leur substituant une occupation policière permanente de la rue. On réprime les marcheurs du hirak et on va jusqu’à inventer, traquer et punir le délit d’intention de manifester. 

Aucune catégorie sociale n’échappe à l’arbitraire et à la violence d’Etat. Des milliers d’interpellations, des centaines de poursuites pénales, des dizaines de condamnations judiciaires sont le palmarès d’une justice aux ordres et d’un appareil sécuritaire voué à la défense des tenants d’un pouvoir illégitime. Après les journalistes, c’est le tour des robes noires. Avec l’emprisonnement de Me Raouf Arslane, avocat de Tebessa, le pouvoir proclame son cruel désir de priver les victimes de son arbitraire de leurs droits à la défense. Désormais, le nombre de détenus d’opinion dépasse les deux cent otages. Faute d’animer une campagne électorale vide de politique par le débat d’idées et de programmes, le régime surpeuple ses prisons. Ultime provocation, cette violence d’Etat caresse l’espoir vain de pousser le hirak à se départir de son pacifisme. 

Un juge attaché à l’exercice légal et indépendant de ses fonctions est radié par un Conseil de la magistrature dont le mandat a expiré depuis plus d’un an. Un procureur récalcitrant est démis de ses fonctions. 

Des associations et des partis sont menacés de dissolution subissant un harcèlement administratif et judiciaire en violation des dispositions de la Loi.

Après avoir échoué à diviser les rangs du peuple par de pseudo différenciations ethniques, le pouvoir use de l’argument terroriste pour jeter l’anathème sur le hirak béni devenu brusquement un levier tombé aux mains d’extrémistes et de forces étrangères. Il est même envisagé d’amender le code pénal pour blacklister, pour terrorisme, des organisations et des individus selon l’humeur des sultans. On veut aller jusqu’à édicter des règles pour régenter l’ouverture des comptes Facebook ou You tube. Toutes les grèves sont déclarées illégales et les travailleurs de l’éducation qui dénoncent les violences subies par leurs collègues dans différentes wilayas sont soumis, à leur tour, à des violences policières. 

Les médias et les réseaux sociaux relaient une campagne de propagande et de calomnies contre tout opposant à l’agenda du pouvoir et à la mascarade du 12 juin.

Le système maffieux paralyse le pays et le plonge dans le marasme économique et social. Toute prise en charge sérieuse de la crise multidimensionnelle, aggravée par les effets de la pandémie de covid-19, est gravement compromise. La communauté algérienne à l’étranger est quasiment interdite de retour dans son pays. Après la menace de déchéance de nationalité, le pouvoir lui inflige des conditions insupportables pour entrer sur le territoire national. La justice et la police des Etats de ses résidences sont enrôlées dans la répression, y compris à l’intérieur des consulats. Et tandis que les uns n’arrivent pas à rentrer en Algérie, d’autres partent toujours plus nombreux et au péril de leur vie, traversant la méditerranée sur des embarcations de fortune. 

Tournant le dos à cette réalité de plus en plus intenable, les clientèles associées au régime se sont engagées dans une course à la curée des dernières ressources du pays.

Loin de démobiliser le peuple algérien, la stratégie du tout répressif et les évolutions géostratégiques de plus en plus incertaines – en particulier à nos frontières- le mettent en alerte et le poussent à se redéployer dans les quartiers et les communes pour continuer d’exprimer pacifiquement son aspiration au changement. 

En faisant de l’échéance du 12 juin un ultimatum, le pouvoir entend exiger du peuple algérien de se résigner au retour à l’ordre ancien. En réalité, il s’est lui-même piégé car il prouve son absence de volonté politique et son incapacité à transcender ses privilèges et accepter le changement démocratique.

Pour l’heure, les forces du PAD réitèrent leurs exigences de libération immédiate de tous les détenus politiques et d’opinion, d’arrêt de la répression et de rétablissement des droits et libertés. 

Face à un pouvoir qui veut en faire une bataille décisive pour sa pérennité, le PAD appelle les Algériennes et les Algériens à disqualifier le simulacre électoral du 12 juin par un rejet résolu, pacifique et massif. C’est là, le meilleur moyen de rapprocher et rendre incontournable l’heure d’une transition démocratique indépendante et d’un processus constituant souverain permettant au peuple d’exercer effectivement sa souveraineté.

C’est là, la seule voie pour préserver l’État national fruit d’une indépendance arrachée et défendue au prix de sacrifices inouïs et pour arracher la démocratie, le pluralisme et l’Etat de droit démocratique contre toute forme de dictature. »

Alger, le 2 juin 2021

Le PAD

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VIDÉO:

CLIQUER ICI_ LE PACTE POUR UNE ALTERNATIVE DÉMOCRATIQUE

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Pourquoi je ne voterai pas.

Pourquoi je ne voterai pas. 

Les Algériens sont convoqués pour élire la nouvelle Assemblée nationale. La date du vote a été arrêtée au samedi 12 juin prochain. Dans dix-huit jours.

Le vote est un droit constitutionnel. Il n’est pas une obligation. Voter ou ne pas voter est un choix personnel, individuel. Il n’est pas criminel ou délictueux de voter ni de s’abstenir, ni de boycotter.

Il est nécessaire avant de poursuivre de donner un sens à ce terme de « voter ». Le dictionnaire dit que voter c’est « exprimer son opinion, son choix par un vote ». Et celui-ci, « vote », que signifie-t-il ? Là encore le dictionnaire précise : « le vote est l’acte par lequel un citoyen participe, en se prononçant dans un sens déterminé, au choix de ses représentants… ». Nombre de citoyens algériens votent depuis la nuit des temps et jamais (quasiment jamais) les « élus » hameçonnés on ne sait comment n’ont reflété leur choix, pour la simple raison que des maillons qui forment la chaîne qui relie l’acte de voter à son résultat, manquent, et d’autres sont falsifiés, les urnes bourrées, voire remplacées. Il n’y a pas de transparence, les citoyens ne sont pas associés au contrôle de ladite chaîne ou de manière très secondaire, artificielle sur quelques maillons. Ces « élus » ne pouvaient ni ne désiraient apporter des réponses satisfaisantes aux attentes des citoyens.

Pour illustrer mon propos, je vous livre une expérience que j’ai personnellement expérimentée dans une autre vie, il y a trente ans. Je me souviens de cette longue nuit du jeudi 26 décembre 1991 que j’ai passée dans cette salle de la daïra à attendre avec d’autres qu’on daigne nous annoncer les résultats de l’élection législative. J’étais candidat aux premières élections législatives « libres et honnêtes » du pays. Nous y avons cru. Nous avons participé au comptage des bulletins, à l’élaboration du procès-verbal de notre bureau de vote, à suivre autant que possible tous ces gens sûrs d’eux qui allaient, venaient, entraient dans la salle, sortaient (avec pour certains des Talkies-Walkies), qui entraient de nouveau… Nous avons fait ce que nous pouvions. J’ai lutté contre l’insomnie jusqu’à 5 heures du vendredi levant. Nous n’étions plus qu’une poignée de personnes éreintées à attendre les résultats définitifs de la région, au sein même de la daïra d’Arzew. J’ai abandonné au petit matin, complètement épuisé. C’est (aussi) ce moment que choisirent les prestidigitateurs bonneteurs pour entrer en scène. On peut aisément imaginer la production à l’identique de ces machinations dans les autres circonscriptions du pays.

Les résultats annoncés étaient biaisés par l’immixtion renouvelée de l’administration malgré une très forte abstention. Près de la moitié des Algériens ne se sont pas déplacés, découragés par l’atmosphère électrique qui pesait sur le pays. Cette atmosphère arrangeait les affaires du pouvoir qui avait perdu sur toute la ligne. Quelques jours plus tard, dans le bureau-laboratoire du ministre de l’Intérieur était créé le Cnsa, un « Comité de sauvegarde de l’Algérie » sous la houlette de H’Mida et de quelques généraux (Nezzar…) affolés par le résultat des urnes. Il leur fallait briser le processus démocratique en cours, et revenir au statu quo ante. Cnsa auquel ont spontanément adhéré la direction de l’Ugta et deux petits partis sans véritable ancrage dans le pays réel, mais pas l’écrasante majorité des Algériens qui répondront (plusieurs centaines de milliers décidés) à l’appel lancé par Hocine Aït-Ahmed pour une marche nationale le 2 janvier contre un état policier et contre l’intégrisme islamiste. Le mal était fait, et le coup d’État qui suivrait le 12 janvier donnera le feu vert à toutes les terreurs. J’y reviendrai un jour…

Avant cette élection de décembre 1991, j’avais très peu voté, et je n’ai plus jamais revoté depuis. J’ai eu raison. Les résultats des consultations qui ont suivi furent tous à des degrés divers tronqués, falsifiés, grâce notamment à l’administration qui ne pouvait qu’appliquer les ordres émanant de hauts dignitaires, de hauts responsables civils ou non. H’Mida était partout. Je me suis promis alors que tant qu’il jouera (alors qu’il est aussi l’arbitre, le croupier, le débiteur, le créditeur, le bonneteur et le baron), je ne voterai pas. Je déteste les jeux malsains de H’Mida, son bonneteau. 

Le bonneteau continue aujourd’hui encore. Comment voter alors que les visages d’une partie importante des candidats sont « effacés » ? avec la bénédiction du Pouvoir et de l’ANIE évidemment (Agence de préparation des élections). Cette ANIE est un des Va-tout de la Nouvelle Algérie, elle n’est qu’un artifice parmi d’autres qui ne changera rien à rien. Une simple interrogation à propos de son président nous renseigne froidement sur sa non-neutralité : savez-vous qui est son président ? connaissez-vous son itinéraire, son combat pour (plutôt contre) les libertés ? connaissez-vous son CV, ses années bien remplies à satisfaire le Pouvoir d’avant le Hirak ? vous êtes-vous interrogés sur cette énigmatique petite mouche plantée sur son front, cette hyperkératose, cette verrue ? l’a-t-il déclarée halal comme pour sa Constitution ? Cette fâcheuse tâche n’est rien d’autre qu’un marqueur clair, noir en l’occurrence, ténébreux, à qui veut voir.

Aujourd’hui, des chaînes de télévision par dizaines diffusent un même et unique message au profit du pouvoir en place. Elles sont squattées par un discours univoque porté par des politiques et aussi par quelques responsables militaires. Ces médias, ces politiques peuvent demain nous épingler pour le simple fait d’écrire notre opinion.

Est-on en démocratie lorsque des médias privés sont jugulés par le chantage à la publicité… Est-ce cela la démocratie ou n’est-ce que le fait du prince ? 

La démocratie autorise-t-elle de surveiller l’Internet, d’en réduire le débit ou même le couper des heures durant, punissant délibérément et par la même tous les utilisateurs ? Cela relève-t-il de la démocratie ? 1984 a été écrit en 1948 et les maîtres censeurs algériens en sont encore à débattre de la taille des ciseaux et des caméras de surveillance. Nous constatons tristement que nous sommes bien en 1984. Les Grands Frères n’ont jamais manqué. Aujourd’hui, au-delà des banalités, l’on ne s’exprime presque plus sur les réseaux sociaux domiciliés en Algérie. Facebook est asséché, alors qu’il y a deux ans c’était un bouillon. LGF veillent.

Emprisonner à tour de bras de simples manifestants (parfois mineurs), museler des journalistes pour accomplissement de leur devoir d’informer, étouffer les rares médias libres (Radio M. tolérée jusque-là y compris par la précédente et exécrable Issaba), interdire de parole des chefs de partis politiques n’est-ce pas là le fait du prince ? Priver de liberté pour le simple fait d’expression d’opinion 168 citoyens algériens est-ce cela la démocratie ? (Comité national pour la libération des détenus, au 24 mai 2021), interdire toute expression opposée au discours officiel est-ce cela la démocratie ? Peut-on parler de démocratie lorsque la presse est soumise à pression et au chantage ? Lorsque la justice est actionnée par téléphone ? Lorsque la séparation réelle des pouvoirs est une fiction ?

Certainement pas, non certainement pas. C’est pourquoi je ne voterai pas. Les gens sont libres de boycotter ou voter. Les empêcher de voter est une erreur et un acte certes répréhensible et je le comprends. Mais les empêcher de boycotter (et utiliser leur nom sur les listings à des fins de falsifications de leur décision) est un délit tout autant sinon plus répréhensible. Criminaliser un appel au boycottage comme celui-ci (le mien) et interdire (par simples appels téléphoniques) aux médias publics et privés d’ouvrir leurs pages aux adversaires du pouvoir est un abus primaire qui ne résistera pas au temps. 

Les millions d’Algériens qui sont descendus dans les rues, boulevards, places d’Algérie pour crier des mois durant et de toutes leurs forces « Etnahaw Gaâ » à la face des dirigeants responsables comme leurs devanciers, à des degrés divers, de la grave crise multidimensionnelle dont les effets les enserrent depuis des décennies, même s’ils sont en retrait aujourd’hui (à cause des risques réels d’emprisonnement et d’atteintes multiples à leurs droits fondamentaux) ces millions d’Algériens ne se satisferont certainement pas de ce énième cirque, de cet énième ravalement de façade. Carnaval fi dechra. Les Algériens ne se contenteront pas du saupoudrage ou chirurgie plastique, renouvelés. Leur faire la morale, ou le chantage est puéril et vain. 

Les Algériens savent que les conditions ne sont pas réunies pour aller voter paisiblement, parce que les médias ne sont pas libres de proposer des débats dignes de ce nom, autour de réels programmes politiques divers. Comme c’est le cas hélas depuis de nombreuses années. C’est pourquoi, massivement, ils ont boycotté et l’élection présidentielle de décembre 2019 (taux officiel de participation : 39,88%) et le référendum constitutionnel de novembre 2020 (taux officiel de participation : 23,14%). Le pouvoir a-t-il entendu ces boycotts magistraux ? Non. Il n’en fait qu’à sa guise. Les Algériens savent que les législatures passées n’ont apporté que malheur aux plus démunis et aux classes moyennes, alors une de plus…

On nous rétorquera « oui, mais si vous ne votez pas, les islamistes et patati… les Kabyles, les laïcs-koffars et patata… ». Là encore cela ne marche pas, ne prendra pas, pour la simple raison que « les islamistes » et autres catégories fustigées sont mobilisés comme variante d’ajustement que les tenants du pouvoir réel règlent au gré de leurs besoins, des circonstances et des rapports de force.

Lorsqu’un ministre, un haut dignitaire du régime ou responsable de parti objectivement allié s’autorise à excommunier de la Communauté nationale des Algériens pour croyances non conformes, lorsqu’il stigmatise une catégorie d’Algériens parce qu’ils sont francophones, lorsqu’il propose de déchoir des Algériens de leur nationalité algérienne, car ils en ont une autre, lorsque d’aucuns appellent au lynchage d’un chercheur, d’un intellectuel ou de femmes isolées…Ils le font, car ils considèrent à juste titre disposer de l’aval ou de la complicité muette, tacite, froide, du Pouvoir. Les yeux des marcheurs de la Silmiya sont désormais grands ouverts.

Je n’irai pas voter parce que la transparence est absente, interdite. Parce que les urnes qui sont translucides avant 20 heures pour les caméras, sont strictement surveillées au-delà, les approcher est interdit après minuit jusqu’à l’aube. Parce que les jeux (d’une certaine manière) seront faits la nuit juste avant l’aube naissante sous le grincement de chauves-souris grisées et aveugles, en l’absence des journalistes libres, du peuple et d’organismes non gouvernementaux. 

Les subterfuges sont gras et gros. Ils ne tromperont que leurs propres auteurs. Ce régime agonisant a épuisé — presque — toutes ses potentialités. Internationalement il n’est plus crédible non plus. Ma petite-fille dirait « il est cuit ». Quant aux Assemblées à venir, ses propres Assemblées, elles creuseront les mêmes sillons sur des terres incultes, asséchées par les Assemblées qui les ont précédées (les slogans portés par les affiches électorales actuellement en circulation sont une preuve s’il en fallait du peu de crédit et du peu de sérieux à leur accorder). Les futures Assemblées, forcément illégitimes, n’auront plus les moyens de leurs fantasmes, elles donneront à ce régime à bout de souffle et bien malgré elles, par tiers interposés, le coup de grâce. On ne pourra creuser plus profond. Et puis, les mêmes causes engendrant les mêmes effets, le Hirak reviendra toujours pacifique, silmiya, plus insoumis que jamais, plus aguerri, plus puissant, plus confiant et plus encouragé (oui, oui) par ceux-là mêmes qui le répriment et par leurs soutiens, majoritairement opportunistes. Instruit par son expérience — qui ne se résume pas à la marche d’un point à un autre —, le Hirak (forcé de marquer le pas à cause de la brutalité inouïe de la répression), reviendra. C’est un mouvement effervescent d’idées, de projets, de fraternité, dont le pays et le peuple confondus ne peuvent se passer. Exercer son droit de voter alors qu’autour de soi la répression, la persécution, l’oppression, les arrestations rythment le quotidien jusqu’aux portes des lieux de vote est absurde. Le boycottage est ma réponse à ce cirque.

Enfin et pour clore, je citerai nos deux célèbres, talentueux et lucides écrivains. 

Le premier : « Le Hirak est aujourd’hui admiré dans le monde entier. Mais je suis aussi très inquiet, le peuple n’a pas réalisé son but, l’indépendance, tant s’en faut et le voilà désemparé au milieu du gué, ne pouvant ni avancer ni reculer, sachant qu’il sera mitraillé s’il avance et qu’il sera écrasé s’il recule… J’espère que nous n’allons pas vivre une nouvelle décennie noire. » Boualem Sansal – (entretien in Liberté 23 mai 2021). 

Le second, qui ne croyait pas si bien anticiper : « La nature de l’État algérien reste donc la même : soumis à l’équation de l’occultation, à la théorie de la régence avec des centres de décision collégiaux, à la formule de démocratie contrôlée ou en sursis perpétuel. Le général est donc mis à la retraite, mais cela ne change pas beaucoup de choses pour le moment. Cela ne change pas une nature qui revient au galop. On reste sceptique, marqué, indifférent. » Chronique du 16.09.2015 de Kamel Daoud in Mes indépendances. Ed Barzakh. Ah, cette « satanée nature du pouvoir » qui pend à la gorge alors même qu’on l’avait remisée !  

Après notre perspicace auteur, je répète et précise « en 2021, la nature de l’État algérien reste la même ». Comme en 2015. La même. Ce qui était avant-hier et hier est aujourd’hui. Et H’Mida est toujours au cœur du jeu, cartes en main — même s’il a fichtrement vieilli — sans aucun signe de bonne volonté adressé au Hirak, bien au contraire. De « béni » le Hirak est à son goût devenu « ennemi ». Alors pourquoi voter ? Tant que ce bonneteur jouera, je ne voterai pas. Je suis prêt à parier (je déteste les jeux) que le 13 juin au matin, sans même jeter un œil à l’écran du ministère de l’intérieur, H’Mida et ses larrons crieront victoire, puis ils redistribueront cartes et strapontins pour sauver coûte que coûte le Système quelques temps encore. Dans ce clair-obscur gramscien finissant, les monstres n’ont qu’à bien se tenir, car le divorce entre le peuple — le Hirak — et le pouvoir tel qu’il est a été prononcé avec majesté, le 22 février 2019.

Décidément, je déteste le bonneteau. Voilà pourquoi je n’irai pas voter. Je déteste le bonneteau. 

Ahmed Hanifi,

Auteur

Mercredi 26 mai 2021


« L’ombre d’un doute » de Nadia Agsous

L’ombre d’un doute de Nadia Agsous: Une ville, un mythe destructeur 

par Faris Lounis

in Le Quotidien d’Oran, samedi 22 mai 2021

Quand les mythologies s’installent, lever le voile sur de telles occultations devient une gageure. La vérité est mensonge et l’histoire n’est qu’une berceuse qui veille gracieusement sur les aveugles qui ne veulent pas voir. 


Ecrire une nouvelle histoire, par-delà le mensonge et la mythologie, n’est possible qu’à travers la remise en question du passé, d’une manière totale et absolue. Un nouveau regard est un nouveau départ. Nietzsche disait qu’ «il faut encore porter du chaos en soi pour pouvoir donner naissance à une étoile dansante» et le créateur doit faire danser, voire trembler, ceux qui voient l’avenir comme une répétition statique et religieuse du passé. 


Le récent roman de Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, aborde la trajectoire des étoiles dansantes, afin de démythifier certaines légendes enkystées. Ces légendes dont le poids est devenu insupportable ont fait régner, pendant un temps considérable, une léthargie innommable sur la ville et le peuple de Bent’joy. 


La ville de Bent’Joy 


Bent’Joy est une ville à la mémoire engourdie. Une ville amnésique repliée sur elle-même. Elle est paranoïaque et toute tentative de renouveau y est vécue comme une menace à son identité. Le mensonge ancestral ronge le ciment de ses murs. De quel mensonge s’agit-il ? De celui de Sidi Akadoum, érigé en élu de Dieu. Il est devenu un être omniprésent dans l’histoire et la mémoire collective de la ville. Il repose sous une tombe en pierre de taille sur une plateforme surplombant la mer : « Femmes et hommes, grands et petits, implorent sa bénédiction dans leurs moments de doute et de malheur. Les jours de semaine, ils se remémorent ses actes et ses paroles. Tous ensemble, d’une seule voix, main dans la main, ils l’adulent, louent ses vertus, célèbrent son courage et son sens d’abnégation et de sacrifice »1. 


Par la force du hasard, cet individu devient le personnage principal d’une histoire défigurée et combien de fois réécrite. Lors des préparations précédant la célébration du centième anniversaire de sa disparition, le narrateur, s’interrogeant sur le sens du faste commémoratif dédié à Sidi Akadoum, demande à sa mère quel rôle a-t-il joué réellement dans le développement et l’épanouissement de la ville de Bent’Joy. Remontée par les questionnements de son fils, la mère réplique : « Comment oses-tu, fils indigne ? Hein ? Aurais-tu oublié que cet homme s’est sacrifié pour nous ? Qu’il nous a débarrassés des tyrans ? Qu’il nous a libérés des chaînes de l’inféodation ? Qu’il a enchaîné nos démons ? Qu’il nous a rendu notre dignité ? Ah, nos ancêtres doivent se retourner dans leurs tombes ! S’ils étaient encore de ce monde, ils châtieraient les incrédules de ta graine ! Va ! Va vite te recueillir sur sa tombe et implorer son pardon. Va, vite, fils de Satan ! »2. 


Sidi Akadoum avait tout pour plaire et persuader. Une chevelure longue et noire. Des yeux couleur miel luisant comme le sable du désert. Il est venu de loin, sur sa monture, portant un Livre Sacré: «Cet homme que le vent sec et brûlant du désert expulsa vers les contrées douces et clémentes du nord fut subjugué par Bent’Joy et ses paysages qui dégoulinaient de beauté sauvage. La mer et ses tremblements, qui exaltaient une plainte douce et capricieuse, l’intriguèrent. La quiétude des nuits éthérées l’éblouit; elle raviva son envie de vivre et alimenta son désir de graver son empreinte sur des sépultures sans noms »3. Son installation à Bent’Joy fut saluée par tous, y compris les anges qui gardent la ville. 

Le verbe de Sidi Akadoum 


Son discours était superstitieux. Il ne parlait que du monde invisible. Il voyait de petits êtres malins partout et nulle part. Il glosait absurdement sur la relation pathologique des djinns avec la lumière. Ce discours absurde et bien enchaîné séduisait une foule largement naïve et crédule : «Durant ces nuits, à l’aide du miroir qu’il cacha dans la grotte du Rocher flou, Sidi Akadoum s’improvisait exorciste. Il avait réussi à faire croire qu’il possédait des pouvoirs lui permettant d’expulser les esprits malins des corps des femmes, des hommes et des enfants frappés par le destin maléfique. Ses prétendus dons de guérisseur des désordres psychiques étaient appréciés par la population bent’joyienne qui venait nombreuse solliciter son aide, lui, le mage adulé et glorifié sans modération »4. La charlatanerie de Sidi Akadoum ne faisait pas l’unanimité mais, hélas ! ceux qui contestaient son endoctrinement obscurantiste ne purent guère pallier la crédulité de la majorité de la ville. 


Le jour où tout a basculé 


Vendredi, journée sainte. La mère du narrateur prépare, avec les femmes de la ville, la grande célébration de l’ancêtre qui a sauvé leur ville, Sidi Akadoum. Les festivités se déroulent à Tiguemmi N’Ouguellid el Kheir. Comme tout parent désireux de transmettre ses rites et legs ancestraux, la mère du narrateur a trouvé l’occasion d’exprimer son mécontentement à l’égard de son fils. Voyant la révolte de ce dernier à l’égard de la tradition ancestrale, elle l’admoneste, tout en rappelant que le Saint de la ville est sacré et que cette dernière doit sa conservation à sa prédication, son Livre Sacré et sa bénédiction dont la source est son tombeau, lieu de pèlerinage et point névralgique de Bent’Joy. 


Impassible, le fils ne cède rien à la tradition qui sacralise l’ignorance : « Je la regarderais droit dans les yeux et lui avouerais sans détour ce que je pensais de Sidi Akadoum, cet homme du hasard inopiné qui avait envoûté plusieurs générations, emprisonné tant d’âmes, bluffé les plus incrédules, trompé les plus malicieux, amadoué les plus tenaces et les avait enfermés dans un monde étriqué où la vie prenait l’allure d’un cercueil dans lequel chaque âme attend son départ ultime »5. Le constat du fils est le suivant : les Bent’Joyiens sont les prisonniers de la mémoire d’un fantôme, Sidi Akadoum. Et cet asservissement mémoriel et dogmatique ne pourra pas durer : « Le passé n’est pas une prison : il n’est pas une demeure éternelle. C’est un lieu mémoriel où chacun vient puiser des forces, méditer, se ressourcer, se reposer, trouver des réponses à des questions qui taraudent l’esprit, et prendre de la distance avec le présent pour mieux appréhender l’avenir. Aujourd’hui ne sera pas hier. Demain ne sera pas aujourd’hui. Lorsque le soleil se lèvera, la graine prendra. Une nouvelle génération naîtra »6. Mettre le passé au repos et dessiner les voies du renouveau, c’est ainsi que le narrateur décide de s’opposer à sa mère et aux obscurantistes de Bent’Joy. 


La ville de Bent’Joy avait non seulement des personnes éveillées, mais aussi une ombre blanche qui veillait, depuis un temps immémorial, sur sa prospérité. Le jour où le narrateur a décidé de rompre avec la coutume commémorative et cultuelle qui ronge sa ville, l’ombre blanche fait son apparition, comme si par miracle, elle avait entendu l’appel au renouveau. Durant la procession du vendredi, la foule des croyants dociles a rompu avec sa léthargie : «Le lendemain à l’aube, dès que les premières lueurs du jour caresseraient son visage, elle irait boire le lait de dattes qu’Ang’Ava, la messagère des jours bénis, lui offrirait pour célébrer l’ensevelissement de la Prophétie de l’Aube 1602 dans le terreau des ténèbres. Lorsqu’elle aurait étanché sa soif, elle lui confierait un sac de mots multicolores, et chaque jour, elle jouerait au troubadour sur la place centrale de la ville. Sa voix gutturale répandrait le lot de verbes, de noms, de conjonctions, d’adjectifs contenus dans le sac. Les araignées laborieuses s’empareraient de ces perles finement ciselées, et à l’aube de chaque jour nouveau, elles tisseraient l’histoire renouvelée de Bent’Joy, fontaines de nos joies. Oasis de nos passions heureuses »7. 


Vers l’avenir comme ouverture 


Le progrès est une imitation infidèle, transfigurée. Surpassement. L’imitation totale et rigide est une mort. Une mort dans la lassitude et la sclérose. C’est ainsi que les habitants de Bent’Joy ont décidé de réécrire leur Histoire, en regardant vers l’avenir. Leur créativité a cassé ses chaînes, regardant vers le ciel et mer, se tenant sur le tombeau du Saint-Corrupteur des générations, désormais dépassé et jeté dans les oubliettes de l’histoire.

Faris Lounis

 
Notes: 

1- Nadia Agsous, L’ombre d’un doute, Boumerdès, Editions Frantz Fanon, 2020, p. 9. 

2- Ibid., p. 10-11. 

3- Ibid., p. 23. 

4- Ibid., p. 73. 

5- Ibid., p. 141. 

6- Ibid., p. 142. 

7- Ibid., p. 144. 

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Lire ma critique ici:

Que Diable les emporte !

Je suis en colère.

À l’origine de ce post, un certain nombre d’écrits insupportables parmi lesquels celui-ci : « Si Facebook — créé par un Juif — n’existait pas, comment feraient les Arabes pour défendre les Palestiniens ». Son auteur est un abruti, un ignorant, ai-je spontanément pensé. Il y en a eu d’autres de la même veine. Un ramassis de bêtises aveugles insultant les Palestiniens, dénonçant ou raillant le soutien des Algériens « encrassés dans l’arabité » ou « attardés dans leur islamité » ou d’autres insanités du même genre. « Les Juifs, eux se battent contre l’islamisme », « Hamas ce sont des terroristes, islamistes », etc. Et le jour de l’aïd ils évitent de se brancher sur les réseaux sociaux, pour n’avoir rien à souhaiter. Probablement victimes, mais sérieusement complexés, refoulés maladifs et schizophrènes. Je précise ici que je n’ai pas pour habitude ce type d’écrit rugueux, mais je suis en colère. Une colère maîtrisée néanmoins.

Comment ne pas l’être ?

Ma morale, mes principes et mes valeurs exigent de moi que j’agisse également quelles que soient les circonstances. Ils m’interdisent de moduler mes actions contre l’injustice selon la couleur de peau des Hommes (hommes et femmes), selon leurs croyances, leurs idéologies, leurs cultures etc. Lorsqu’un homme est volé ma conscience (ma morale et mes principes) m’ordonne de dénoncer (de condamner) le voleur. Lorsqu’un homme est spolié ma conscience m’interpelle, lorsqu’un homme est violenté, racisé, stigmatisé, pareillement. Sans autre circonvolution. Condamner un vol, une spoliation, un viol selon l’appréciation que j’ai de l’origine de l’homme spolié, volé, violenté (ses appartenances, son idéologie…) et non selon l’acte qu’il a subi, qui l’a dégradé, cela s’appelle ségréger. Ce comportement, ces attitudes révèleraient que notre morale est tâchée, sombre, que nos principes relèvent de l’opportunisme, de l’aveuglement, du calcul.

Si on approuve le combat pour la liberté et la dignité mené par Nelson Mandela, Larbi Ben M’Hidi, Ho Chi Minh, Salvador Allende…, le combat mené par les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique… pour se déchaîner, on ne peut faire l’impasse sur celui que mène depuis trois générations, depuis la Grande Naqba le peuple palestinien pour sa survie, le combat de Yasser Arafat, de Marwane Barghouti, ou Ahed Tamimi contre la colonisation israélienne, contre l’Apartheid de l’État Juif. Faire de ce combat de libération une guerre de religion ou « un conflit aux torts partagés » est bête, ridicule et pire encore, c’est s’approprier le discours des colons israéliens et des médias occidentaux très majoritairement sionistes ou pro-sionistes, et très profondément marqués au fer de la culpabilité depuis l’holocauste, leur propriété. Faire de ce combat une guerre de religion est intellectuellement malhonnête. Lire à longueur de pages le rejet de la résistance palestinienne parce qu’elle n’est pas kabyle, ou parce qu’elle n’est pas algérienne ou que sais-je, est navrant, triste. Triste particulièrement pour les auteurs de ces lignes imbéciles remplies de haine évoquées en début de mon texte. Écrits puérils, mais dangereux d’auteurs inconséquents. Je pleure l’école algérienne et ses ravages — et en veux à mort aux responsables (c’est une formule SVP). Ces gens déversent leur haine contre d’autres pour le simple fait qu’ils sont ou qu’ils se disent Arabes, parce qu’ils sont Kabyles, ou parce qu’ils soutiennent la cause palestinienne. 

Et pour notre malheur, les grands bénéficiaires de ce gâchis, de cette gadoue, ce sont justement tous ceux qui, aux commandes à divers niveaux de responsabilité du pays depuis l’indépendance n’ont eu de cesse d’attiser les brasiers, d’allumer le feu, de le maintenir, pourvu que leurs pouvoirs, leurs intérêts gras et primaires, directs ou indirects, demeurent intacts. Tous ces satrapes ou assimilés ont inoculé dans le cœur de nombre d’Algériens le venin de la discorde, de la haine, de l’ignorance, et acculé d’autres à la dérive, vers une identité immaculée niant l’altérité. À d’autres enfin ils ont enlevé tout espoir de vivre, ou de retourner vivre, dignement dans leur pays. 

Que vive et aboutisse le Hirak pour qu’émerge une Algérie libre et démocratique respectueuse de tous, pour sauver les futures générations d’Algériens. Quant aux responsables de cette situation, quel que soit le degré de leurs responsabilités, que Diable les emporte tous avec lui dans ses geôles éternelles ! (SVP, ce n’est là encore que procédé langagier)

Et Aïd mabrouk à tous.

Ahmed Hanifi, jeudi 13 mai 2021 

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www.lacimade.org/

Amina Alaoui, chants andalous

Vous la connaissez peut-être. Amina Alaoui est une belle chanteuse marocaine de musique classique arabo-andalouse. Elle a édité plusieurs albums dont « Alcantara » dont je vous propose deux très beaux titres : Ode d’Ibn Arabi et Ya racha fattan. Écoutez… c’est magnifique. Perso je peux l’écouter sans discontinuer « durant des heures » en exagérant un peu, et plus encore en ces jours de ramadan. À la fin de la vidéo je vous ai glissé un texte, voici un extrait. Amina Alaoui parle de cet album : « Alcàntara constitue un témoignage de ces moments privilégiés (ah : Andalousie arabo-berbère) de coexistence, de convivialité, de communion de savoir et de dialogue dus au respect des différences, malgré les aléas de l’histoire, et non pas simplement une élégie posthume aux illustres figures du passé. Cet âge d’or fut ! 

Cela nous renvoie actuellement au problème moral du déni des différences, du racisme et du repli sur une identité autarcique. Serions-nous capables de réinventer un nouvel âge d’or de tolérance ? Cette évocation lyrique peut-elle être une relecture symbolique de l’histoire à travers l’art vers une nouvelle Renaissance à l’aube du 21e siècle ? » » 

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L’Ode d’IBN ARABI

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CLIquer ici pour écouter l’album ALCANTARA en entier (Youtube)

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« Assises nationales du Hirak » ce 8 mai à Kherrata.

APPEL de « RAJ » pour la tenue des Assises nationales du Hirak ce samedi 8 mai à Kherrata.

Un appel est lancé par l’association « Rassemblement Action Jeunesse » dont le président accorde un entretien à El Watan ce jour (lire plus bas).

Allez, je le dis sans prendre de gants, c’est du cash. Pour la réussite d’un quelconque rassemblement ou projet, il est impératif de se départir de son égo, de son arrogance et de son surplomb, hélas trop prégnants chez nos « élites », chez nos « intellectuels », que je désignerais plus justement, nos amis follement médiatiques. Un peu de bagout et un paquet de like et les voilà survolant sur un tapis, portés par une gloire éphémère oubliant voisins, camarades et échanges, ne répondant aux interrogations que par leur assurance, leurs certitudes à prendre ou à laisser. Cela frise la puérilité. Il faut que cela cesse si l’on veut la réussite de tous face à l’entêtement de ce pouvoir que l’on a cru l’année dernière avoir battu et qui plus que jamais a ressuscité encouragé par l’opportunisme de certains, par l’erreur d’autres et par la bénie Covid. Le pouvoir est décidé de mener à terme son recyclage idéologique, notamment par les élections législatives de juin prochain. Disons NON au recyclage, NON aux élections dans l’opacité et la violence et le même personnel politique. 

Plus que jamais le Hirak doit s’organiser et faire des propositions de sortie du marasme politique..

ah.

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EL WATAN, lundi 3 mai 2021

Propos recueillis par : Iddir Nadir

Entretien

Abdelouahab Fersaoui. Président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ) : 

«La conférence nationale du hirak rapprochera les visions des acteurs du mouvement»

Dans l’entretien qu’il a accordé à El Watan, le président du RAJ revient sur les objectifs assignés à la rencontre nationale de «concertation» du hirak à laquelle il a appelé. «Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de capitaliser les deux ans du mouvement populaire, de nous rencontrer, d’échanger pour pouvoir rapprocher les visions des acteurs et des forces du hirak restés fidèles, créer des jonctions et des synergies. Nous avons pratiquement tous le même objectif, mais chacun l’exprime à sa manière», souligne-t-il.

°Dans un texte publié sur votre page Facebook, vous appelez à une «rencontre nationale de concertation du hirak», le 8 mai prochain à Kherrata (Béjaïa). La rencontre devrait permettre de faire «face aux manœuvres du pouvoir» et favoriser la mise en place d’un consensus politique ? Pourriez-vous nous en parler davantage ?

La troisième année du hirak doit être politique par excellence, car le retour des marches est important, voire indispensable pour maintenir la pression pacifique dans la rue, mais il est insuffisant. Le pouvoir joue la montre, sur l’usure et nos discordes, sans oublier le côté social qui impacte le quotidien des Algériens et Algériennes. Nous sommes à la croisée des chemins : il faut donner un prolongement politique aux slogans exprimés chaque vendredi et mardi par les hirakistes à travers une feuille de route consensuelle. 

Aujourd’hui, nous avons plus que jamais besoin de capitaliser les deux ans du mouvement populaire, de nous rencontrer, d’échanger pour pouvoir rapprocher les visions des acteurs et des forces du hirak restés fidèles, créer des jonctions et des synergies. Nous avons pratiquement tous le même objectif, mais chacun l’exprime à sa manière. Il est temps de construire des compromis et de se mettre d’accord sur une démarche rassembleuse bien claire qui va rassurer le hirak et lui donner un nouveau souffle.

Il s’agit d’une proposition d’une première rencontre de concertation du hirak qui sera sûrement suivie par d’autres : le contenu et le format seront l’œuvre d’un travail collectif. Le choix de la ville de Kherrata est important pour sa symbolique historique, révolutionnaire et hirakiste, c’est une ville rassembleuse qui a, à mon avis, la capacité d’abriter une telle rencontre, notamment dans le contexte actuel. 

D’autres rencontres vont suivre, elles peuvent être organisées dans d’autres villes aussi symboliques, comme Khenchela, Oran, Alger… si les conditions sont réunies. Concernant la date, il est important de travailler l’idée et la mûrir même au-delà du 8 mai prochain.

°Quel écho a reçu l’appel parmi les militants et activistes du mouvement populaire ?

L’écho est très positif, je n’ai pas vu d’attaques contre l’idée, beaucoup d’activistes soutiennent la proposition. Il y a des questionnements très légitimes exprimés par certains militants et dynamiques sur le contenu et le format. 

Pour cela, je saisis l’occasion pour dire qu’il ne s’agit pas d’une initiative bien ficelée, au-delà de son caractère «première rencontre nationale de concertation», son contenu et la forme doivent être travaillés collectivement. On doit tous conjuguer nos efforts pour réussir une telle rencontre et amorcer ce processus de concertation dans le hirak. Même du côté de la ville de Kherrata, les hirakistes de la région sont motivés, d’ailleurs même eux avaient déjà l’idée et travaillent là-dessus. 

Actuellement, le hirak est dans l’attente d’un horizon politique, personnellement je le vois dans chaque marche où les manifestants-es expriment leur inquiétude sur l’avenir : «Les marches sont revenues, et après ?» entend-on dire.

Je considère que pour le moment, la conférence nationale du hirak est la voie la plus efficace pour donner un nouveau souffle au mouvement et concrétiser son objectif, le 8 mai prochain à Kherrata peut être un point de départ d’un processus.

°Des initiatives politiques ont été lancées par le passé «sans produire, comme vous l’attestez dans votre texte, l’impact recherché dans la société». Pourquoi, selon vous ?

Pour moi, les initiatives lancées par le passé n’ont pas échoué, elles ont permis à des dynamiques partisanes, syndicales, associatives et à des militants de se rencontrer et de produire des documents très importants qui vont servir à l’avenir comme documents de base pour l’élaboration d’un autre document consensuel portant les aspirations du peuple. Ces initiatives n’ont pas pu produire l’impact recherché dans la société pour plusieurs raisons.

Premièrement, nous ne devons pas oublier ce que nous avions vécu, c’était un désert politique. Le pouvoir, notamment durant les 20 ans de règne de Bouteflika, a cassé et atomisé toutes les forces autonomes dans la société. 

Le hirak a permis aux Algériens et Algériennes de se libérer et renouer avec le politique, de se rencontrer et d’échanger et surtout de se découvrir. Pour tisser à nouveau les liens de confiance et aller vers un large rassemblement, cela demande un peu de temps. 

Deuxièmement, le mouvement populaire a connu la décantation que je considère positive, beaucoup de partis politiques, dynamiques de la société civile et militants ont rejoint le pouvoir, il y en a encore qui tiennent le bâton par le milieu. 

Troisièmement, il y a aussi une question d’ego qui bloque, malheureusement, à chaque fois le travail de rassemblement, pour cela, il est temps que chacun de nous fasse son bilan. Aujourd’hui, personne ne détient la vérité ni la solution tout seul, nous voulons une Algérie pour tous et vivre ensemble dans le respect de la pluralité, de la diversité et de la différence. L’élite restée fidèle au hirak est appelée à faire des efforts pour jeter les ponts, chercher des compromis pour une feuille de route consensuelle en faveur du hirak. 

°Le régime a rejeté ces rencontres organisées durant les premiers mois du hirak, et certains de ses initiateurs ont été emprisonnés. Une explication ?

Jusqu’à présent, le pouvoir n’a affiché aucune volonté politique pour le changement. Il continue son entêtement et sa politique du fait accompli pour maintenir le régime en place avec quelques replâtrages. Ce ne sont pas les initiatives qui manquent, mais le pouvoir les a refusées et même diabolisées. Il n’a jamais considéré le hirak comme un partenaire et une opportunité ; au contraire, il l’a considéré comme un adversaire à abattre.

°Par ailleurs, le même pouvoir maintient sa feuille de route électorale. Mais comme pour les précédents rendez-vous, les prochaines échéances sont rejetées par des partis de l’opposition démocratiques…

Le pouvoir fait de la diversion et vise à recycler le régime en optant pour un replâtrage politique de façade destiné à la consommation internationale sans changer les réflexes et les pratiques. L’agenda électoral a montré ses limites. 

Le prochain rendez-vous électoral prévu pour ce 12 juin sera un autre échec du pouvoir qui s’ajoute à celui du 12 décembre 2019 et du 1er novembre 2020. Les élections ne constituent pas une solution, notamment dans le contexte actuel. 

Il est à rappeler que l’Algérie a connu depuis le pluralisme politique en 1989 des dizaines d’élections à tous les niveaux sans qu’il y ait le changement souhaité, la démocratie ne se résume pas à l’acte de mettre le bulletin dans l’urne, c’est un exercice permanent de la citoyenneté, des libertés et des droits.

°La répression s’est intensifiée ces derniers jours avec des dizaines d’interpellations, des gardes à vue et des placements en détention provisoire qui ont touché des activistes du hirak. Y a-t-il une explication à ce qui s’apparente à un nouveau tour de vis sécuritaire ? Les prochaines élections expliquent-elles ce nouveau cycle de répression ?

L’escalade de la répression que nous connaissons ces derniers jours est grave, inadmissible et même dangereuse. Le pouvoir est atteint d’une schizophrénie politique, il fait le contraire de ce qu’il déclare. Au moment où il consacre plusieurs articles dans le chapitre «Liberté et droits» de la nouvelle Constitution, il réprime les marches, interpelle et emprisonne arbitrairement des activistes pour leur opinion, des journalistes pour leur travail, mais aussi des universitaires et des intellectuels. 

Il harcèle judiciairement les partis politiques de l’opposition et les associations autonomes, il ferme le champ politique et l’espace public et il verrouille le champ médiatique. Avec cette approche sécuritaire et fuite en avant, le pouvoir prolonge la crise profonde et l’aggrave davantage. 

Cet entêtement renforce la rupture des Algériens et des Algériennes, fragilise ce qui reste des institutions de l’Etat, menace l’unité et la cohésion nationales et expose l’Algérie et la mène droit dans le mur. Le pouvoir doit faire aussi son bilan, cette approche sécuritaire et répressive pour faire passer ses élections n’ont pas pu faiblir la mobilisation populaire pacifique deux ans durant et ne va pas arrêter les Algériens et les Algériennes dans leur quête de liberté et de souveraineté, car les raisons qui ont fait sortir des millions d’Algériens dans les rues sont toujours d’actualité, et ça peut rebondir à tout moment. 

Le pouvoir est plus que jamais interpellé à cesser son entêtement et saisir l’opportunité du hirak pour amorcer un véritable processus de changement démocratique et pacifique du régime, le coût du changement du régime est beaucoup plus inférieur au coût de son maintien.  (AH : « plus inférieur » ?)

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Marche et rencontre «consultative» du Hirak le 8 mai prochain à Kherrata 

 

La rencontre des forces du hirak à Kherrata, à laquelle a appelé le président du Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), Abdelouahab Fersaoui, se précise. Samedi soir, un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux a appelé «l’ensemble des citoyens à l’échelle nationale à participer massivement à la marche qui aura lieu le samedi 8 mai, et qui sera suivie d’une rencontre consultative préliminaire avec toutes les forces du hirak, s’inscrivant dans la rupture avec le système en place». 

Fersaoui revient sur l’initiative de tenir les «assises de concertation» du hirak, à l’occasion du 76e anniversaire des massacres du 8 Mai 1945, pour permettre au mouvement populaire de se doter d’une «feuille de route consensuelle». 

Fersaoui souligne : «Aujourd’hui, personne ne détient la vérité ni la solution tout seul, nous voulons une Algérie pour tous et de vivre-ensemble dans le respect de la pluralité, de la diversité et de la différence. L’élite restée fidèle au mouvement populaire est appelée à faire des efforts pour jeter les ponts, chercher des compromis pour une feuille de route consensuelle en faveur du hirak.»

Il estime que le pouvoir est «plus que jamais interpellé à cesser son entêtement et saisir l’opportunité du hirak pour amorcer un véritable processus de changement démocratique et pacifique du régime, le coût du changement du régime est beaucoup plus inférieur au coût de son maintien».

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Réactions à la suite d’un article (Ali-Yahia – Benchicou etc.)

Hier, vendredi 30 avril, j’ai posté sur mon fil d’actualité (ma page), sur Facebook, ce court texte (accompagné d’une image) en réaction à  la lecture d’un article de presse que j’ai trouvé « culotté ». Il n’a pas laissé indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire. Je vous propose deux groupes de réactions. Le premier est celui qui se trouve sur ma propre page FB, le second sur celle de la page « Chroniques algériennes » qui a repris mon post. Je ne suis pas allé chercher les réactions à la suite des 120 partages et même plus que cela, c’eut été fastidieux !

Les Algériens ont soif d’écouter, mais aussi sinon plus encore de dire, de s’exprimer. Ils veulent comprendre les années 90, « les années noires », « les années rouges », « les années de l’intégrisme islamiste », « les années du DRS »…, Les années de l’impensable.

Je me dois de préciser (telle est ma très ancienne et actuelle conviction) que le régime qui n’a pas accepté la défaite en décembre 91, a tout mis en œuvre pour stopper « le processus démocratique » alors en cours. Les islamistes n’étaient pas des saints, certes pas. Des islamistes ont violenté, tué. Mais il serait malhonnête de taire les exactions commises au nom du Pouvoir, directement (police, Ninjas, DRS…) ou indirectement (les milices, les « patriotes » et autres groupes paramilitaires (OJAL, OSSRA)…)

Les jeunes ont besoin de savoir la vérité. Cela est difficile car les médias étaient tenus, menacés, fermés, encadrés. Des hommes de la sécurité militaire fonctionnaient dans certaines rédactions. C’est un secret, s’il y en a, de Polichinelle. Il y avait des journalistes honnêtes, mais bâillonnés. Il y avait une Histoire, celle des Fax et télétex officiels, sur la base desquels on se devait d’écrire des « articles d’investigations » ( la journaliste zélée dite « S.T » par exemple en est le modèle parfait, les Algériens ne s’y trompaient pas qui l’appelaient « la colonelle »).  Et qui, dans la profession, ne connaissait pas Fawzi ? qui ne connaissait pas Hadj Zoubir ?

Cette histoire construite notamment par des médias proches du Pouvoir (par choix ou forcés),devra nécessairement être déconstruite, objectivement, pour qu’enfin jaillisse une autre histoire construite elle sur le socle de la Vérité. Donnons au temps son temps.

Les jeunes d’aujourd’hui qui réagissent (parfois maladroitement, durement, faussement) à certains articles, le font de bonne foi. Ils ont été nourri à L’Unique, à El Moudjahid et aux médias qui se définissaient dans les années 90 (et aujourd’hui) « Libres et indépendants ». Ils ne le furent jamais, ou précisément, dans certains domaines comme celui de la sécurité ils n’avaient qu’une seule directive. Ceux qui ont essayé de passer outre, furent balayés, bâillonnés, sommés de se contenter de chiens écrasés.

Il ne faut jamais oublier. Enfin, si j’ai un ivre à vous conseiller, ce serait celui-ci: « Être journaliste en Algérie » de Ghania Mouffok- Ed RSF, Paris 1996. (lire tout en fin de cette page, quelques extraits du livre de GM)

Voici mon texte:

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Le journal « Le Matin » (électronique), de Benchicou vient de publier — sans rougir — un hommage à Maître Ali-Yahia Abdennour. Quel culot, quel toupet !

Pourquoi j’écris « sans rougir » ? Parce qu’il y a quelques années, durant les années noires de tous les dangers, « Le Matin » a été le journal parmi les plus virulents à l’égard de feu Maître Ali-Yahia Abdennour, lui reprochant de défendre l’indéfendable. Jusqu’à l’invectiver et l’insulter, le traitant de suppôt, de complice des terroristes.

Maître Ali-Yahia Abdennour qui était avant tout un homme de Droit, ne faisait que défendre dans le respect du DROIT, les droits de l’homme, de tous les hommes, quels qu’ils soient, hommes ou femmes, ne regardant ni la couleur de leur peau, ni leur compte en banque ni leur idéologie. Il les défendait tous. C’était un grand homme.

Aujourd’hui, Le Matin se comporte exactement comme ce très officiel représentant, Bouzid Lazhari, le président du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) qui vient lui aussi rendre hommage à Maître Ali-Yahi Abdenour, au cimetière. Peut-être a-t-il même versé une larme de crocodile.  Ces individus dénigrent les droits de l’homme et leurs défenseurs, les emprisonnent même, et puis ils les encensent une fois morts. Sans rougir. Il faut dénoncer leurs agissements. ahmedhanifi.com

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Réactions sur ma page FB:

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Voici l’article repris sur « Chroniques algériennes » et la cascade de réactions qu’il a suscitée.

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POUR INFORMATION, VOICI LES OBLIGATIONS FAITES AUX JOURNALISTES ALGERIENS DANS LES ANNEES 1990 _

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Table des matières

Maître Ali-Yahia Abdenour est mort

Dimanche 25 avril, 14h. Je viens d’apprendre la disparition de maître Ali-Yahia Abdenour. Il était un phare, un monument de lumière, un pionnier. Il était un guide essentiel, un maître. Le monde des libertés est orphelin. Nous sommes orphelins.Maître Ali-Yahia Abdenour a été de tous les combats pour les libertés humaines, pour les libertés fondamentales, pour la démocratie. Il a dédié sa vie à ces combats, pour que vive une Algérie libre et démocratique. Des pas importants ont été réalisés grâce au combat pour les droits fondamentaux, mais il reste encore beaucoup, beaucoup à faire.Cette photo a été prise lors du meeting que nous avons organisé (FFS Immigration) le 29 Septembre 1996 à Drancy « Pour la paix civile et la démocratie en Algérie » à l’occasion du 33° anniversaire de la création du FFS et intitulé « Quelle Algérie demain ? » avec notamment les interventions de Hocine Aït-Ahmed, Mohammed Harbi, Salima Ghezali, Louisa Hanoune, Maître Henri Leclerc, El Hadi Chalabi, Farid Aïssani, feu Hamida Bensada et bien sûr Maître Ali-Yahia Abdenour qui nous a toujours accompagnés.Je m’incline devant sa mémoire. Allah yarhmah. Ahmed Hanifi.

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Signature par maître Ali-Yahia Abdenour du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

Signature du « Contrat de Rome » pour une sortie politique de la guerre civile – Rome janvier 1995

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Un intellectuel condamné pour « offense à l’Islam »

À propos de la condamnation ce jeudi 22 avril de Saïd Djabelkhir.

Avant d’en venir aux faits, voici quelques éléments utiles. On peut lire ceci dans le préambule de la Constitution algérienne de 2019 : « Le peuple algérien exprime son attachement aux Droits de l’Homme tels qu’ils sont définis dans la Déclaration universelle de 1948 et les traités internationaux ratifiés par l’Algérie. » Or, cette Déclaration universelle énonce en son article 18 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion… » Il est à noter que la Constitution algérienne reconnait l’inviolabilité de la liberté d’opinion (art.51), mais la réalité la met à mal chaque jour.  Ce même article 51 poursuit : « L’État assure la protection des lieux de cultes de toute influence politique ou idéologique. » Des lieux de cultes, mais manifestement pas ceux de justice.  Par contre nulle part dans cette même Constitution algérienne il n’est question de liberté de conscience, laquelle était clairement admise dans la précédente Constitution (1996), en son article 36  : « La liberté de conscience et la liberté d’opinion sont inviolables ». Notre éventuelle naïveté doit passer son chemin. Les textes sont une chose, la réalité en est une autre. Les textes sont un gage de bonne volonté destiné à la Communauté internationale, particulièrement aux ONG.

J’en viens aux faits. À la suite d’une plainte déposée par un enseignant de l’Université de Sidi Bel-Abbès qui a préféré la facilité de la justice au débat intellectuel qui (ou car) nécessite un haut degré de connaissance en le domaine (pouvait-il s’y confronter ?), l’islamologue Saïd Djabelkhir a été condamné hier par le Tribunal de Sidi M’hammed à trois ans de prison ferme et à 50.000 DA pour « offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans ». Cette condamnation est politique, elle est un gage destiné aux esprits les moins ouverts sur la lumière, ceux-là même dont les idées, depuis des années, ont pénétré les plus hautes sphère du pouvoir réel et sa devanture, mais aussi infusent des pans entiers de la société déboussolée qui s’abreuve de plus en plus d’us et de codes en tous genres d’un autre âge.

La Justice garantit ou devrait garantir la liberté, elle n’est pas ou ne devrait pas être un obstacle à son expression naturelle. La Justice devrait garantir les Droits de l’homme et les libertés fondamentales. Cette condamnation est en même temps une mise en garde à l’endroit des hommes épris de liberté et de justice. Plus généralement elle est une preuve d’une inféodation au pouvoir politique de « L’Algérie nouvelle ». Car enfin l’objet en question ne relève pas du Tribunal, c’est une entorse à la loi et au bon sens. Ce qui est condamné c’est le questionnement, l’argumentation, c’est la recherche, c’est El Ilm, c’est l’université (déjà hautement très mal en point). Cette condamnation ouvre vers une pente dangereuse. « Le combat pour la liberté de conscience est non négociable » a déclaré Saïd Djabelkhir qui est prêt pour ces raisons à aller jusqu’en cassation si nécessaire. Rappelons que dans la foulée la Ligue algérienne de défense des Droits de l’homme (LADDH) a dénoncé « la criminalisation des idées, du débat et de la recherche académique pourtant garanties par la Constitution… » La lumière a besoin de nos bougies. Plus que jamais, l’intellectuel a besoin de notre solidarité. Le Hirak réagira-t-il aujourd’hui devant cette mascarade ?

J’écrivais récemment (Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril) en introduction à un article sur Ibn Rochd : « le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Je me demande à mon tour si nous n’avons pas pris le train vers ce funeste futur de l’inquisition, celui du 12° siècle. Reste à brûler les livres et la pensée. Il est urgent de se ressaisir, pour éviter le grand saut vers l’inconnu.

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Ajouté le: Vendredi 30 avril 2021

Lu ce jour sur la page Facebook de Ahmed Tazir

La condamnation de l’islamologue Saïd Djabelkhir marque la dérive rigoriste de la justice algérienne ( Le Monde ) 

« Le chercheur a été condamné à trois ans de prison pour « offense à l’islam ». Des opposants y voient un gage donné par le pouvoir au camp islamiste.Pour l’islamologue et ses soutiens, c’est le procès de la liberté de conscience et d’expression. La condamnation de Saïd Djabelkhir en première instance à trois ans de prison par un tribunal d’Alger, le 22 avril, pour « offense aux préceptes de l’islam » symbolise les dérives de la justice algérienne, qui prend le parti de la vision la plus rigoriste de la religion musulmane.

Islamologue reconnu, spécialiste du soufisme, Saïd Djabelkhir, 56 ans, était poursuivi par un enseignant et six avocats pour avoir, entre autres, expliqué que certains rituels existaient avant l’islam, à l’image des pèlerinages, qui se pratiquaient dans un cadre païen. « C’est une première. Jamais un spécialiste, un universitaire n’avait été condamné pour avoir exprimé des idées qui relèvent de son domaine de compétence académique. Je suis choqué, je ne m’attendais pas à un verdict aussi dur », avoue le chercheur. Saïd Djabelkhir, qui mène un combat contre les prédicateurs salafistes, jusqu’à les défier sur leur terrain – les textes –, paie sans doute là des années d’abnégation.

« C’est choquant car il n’y a rien de condamnable dans ces écrits, qui sont les avis d’un islamologue », réagit Me Moumen Chadi, l’un de ses défenseurs. L’avocat dénonce la nocivité de l’article 144 bis 2 du code pénal sur l’offense aux préceptes de l’islam, qui a servi de base à la sentence. Un article de loi que Saïd Djabelkheir, fondateur du Cercle des lumières pour la pensée libre en Algérie, appelle à abolir depuis des années.

« Je connais cet article pour avoir travaillé sur beaucoup d’affaires de ce type. Il faut l’annuler purement et simplement. D’abord parce qu’il contredit la Constitution, qui garantit la liberté de culte et de croyance, et ensuite parce que le code pénal se doit d’être précis : un vol est un vol ; un viol est un viol. Or, cet article, avec ses formulations générales, fait qu’un juge peut l’interpréter comme il l’entend », soutient Moumen Chadi.

Fond de l’air vicié

Et l’interprétation peut être large, si l’on se fie aux arguments parfois rocambolesques qui ont été avancés par le camp opposé lors des plaidoiries. L’accusé répandrait ainsi « le mensonge », comme l’aurait fait l’école avec ses manuels scolaires : « Ils nous ont appris que nos pères étaient au marché et nos mères au jardin et, aujourd’hui, la femme a déserté la maison et traîne dans les rues », a déploré un des accusateurs… « Le plaignant dit que les écrits de son adversaire ont provoqué chez lui des problèmes psychologiques. Il doit aller voir un psychologue, pas un juge », rétorque pour sa part l’avocat Salah Dabouz, qui soutient l’islamologue.

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition » des universitaires, ancien combattants et écrivains, signataires d’une lettre ouverte

« Le tribunal n’est pas le lieu où l’on débat des religions. Il y a des lieux pour cela : les universités, les médias, les espaces culturels. Je ne connais pas les raisons qui ont conduit le tribunal à me condamner, mais je constate que le but des plaignants est de museler l’expression libre, d’intimider et de faire un exemple, estime Saïd Djabelkhir, aujourd’hui ciblé par une campagne de menaces de mort. On me dit : “On vous attend en prison pour vous régler votre compte” et que je ne suis plus en sécurité dehors. On me menace même à visage découvert. » Le fond de l’air est vicié, ajoute-t-il : « Nous assistons à un retour en force du salafisme en Algérie, dont le discours se répand dans les médias, dans la rue, sur les réseaux sociaux… »

« Notre pays a suffisamment de problèmes pour ne pas lui ajouter une affaire d’inquisition, d’autant que certains attribuent au procès un caractère idéologique manifeste », dénoncent dans une lettre ouverte des universitaires, anciens combattants et écrivains. « Ce procès a entraîné la justice sur un terrain qui n’est pas le sien, dans la mesure où un tribunal n’a pas vocation à juger les idées philosophiques, scientifiques ou artistiques. »

« Crédulité des croyants »

Dans un pays où la justice est accusée d’être aux ordres, ce jugement ne serait pas dénué d’arrière-pensées alors que le pouvoir aborde une séquence politique périlleuse avec l’organisation d’élections législatives en juin, contestées par un mouvement de protestation persistant et boycottées par l’opposition proche des manifestants et par le bloc démocrate.

Privé d’assise politique depuis la quasi-disparition des anciens partis dits « présidentiels » qui, à l’image du Front de libération nationale (FLN), sont en état de mort cérébrale, le président, Abdelmadjid Tebboune, devrait s’appuyer sur une constellation de formations islamistes et populistes, appelées à peupler les travées de la future assemblée.

« Ces procédures [judiciaires] apparaissent et disparaissent comme par enchantement. A moins que (…) ceci ne résulte en réalité des petits calculs sans vision pour obtenir des appuis de circonstance de la part de groupuscules baptisés “partis politiques”, en surfant sur la crédulité des croyants pour cacher leur absence de représentativité, écrit Madjid Benchikh, ancien doyen de la faculté de droit de l’université d’Alger. Comment, dès lors, ne pas se demander aujourd’hui si la condamnation de Djabelkhir ne rentre pas dans ce type de manœuvre politique à la veille des élections du 12 juin, décidées par le pouvoir ? »

( Madjid Zerrouky pour Le Monde )

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La pénurie, de Fernand Raynaud à « L’Algérie nouvelle ».

Photo Cap Ouest 12 03 2021

Les vidéos montrant des Algériens se bousculant, les uns sur les autres (en pleine pandémie) pour se procurer un ou deux bidons d’huile de table provoque une grande tristesse. Et de la colère. Qu’ont fait ces hommes et ces femmes pour mériter cette situation complètement déchirante et grave à la fois ? Quel misérabilisme que ce montage, cette incompétence renouvelée chaque année à pareille période ? « Oui mais, disent les indulgents, cette pénurie est organisée par des circuits véreux, des commerçants sans foi ni loi, la dine la mella » mais est-ce possible que ces circuits puissent ainsi durer et se renouveler chaque mois de ramadan sans le consentement ou à minima le silence complice de l’administration ? Quel miroir faudrait-il tendre ou planter devant les responsables les plus hauts pour les faire rougir à défaut de pouvoir les éjecter (pacifiquement) ou les faire démissionner ? Et c’est autrement plus triste et navrant, que ces vidéos ont fait le tour de la planète Net et jusqu’au Japon selon un journal électronique. Elles ont entraîné des commentaires sarcastiques, voire méchants et des rires sardoniques. Qu’elle honte pour les responsables à tous les niveaux qui, par leur incompétence ou leur cynisme, laissent se reproduire le même phénomène à chaque arrivée de ramadan. Hier les pâtes, l’eau, aujourd’hui l’huile, et demain pourquoi pas le pain. Et à chaque fois c’est tout un peuple qui paie l’impéritie de « ceux d’en haut », érigée en système de gouvernance. Cette ubuesque histoire de pénurie d’huile que vivent les Algériens au 21° siècle, dans une « Algérie nouvelle », un pays riche et indépendant depuis près de 60 ans, m’a renvoyé à une autre histoire de pénurie, très ancienne. La même. 

Il était une fois à Oran… Nous étions dans un immense espace, le Palais des sports, archicomble : « on était 5000 spectateurs » noterais-je sur mon calepin de jeune à peine sorti de l’adolescence. C’est là, un soir d’octobre lors d’un grand spectacle que nous a été racontée, par un étranger, notre propre histoire d’huile. Une blague. C’était la fin des années 60. Nous avons eu droit en première partie au groupe de rock oranais The New Clark’s and the King. Le King d’Oran serait tué quelques mois plus tard à Marseille pour une raison que nous ne connaîtrions jamais. Après le groupe de rock est arrivée Bellinda une chanteuse franco-algérienne installée en France (Maria, La chambre vide). L’année précédente nous avions correspondu un temps, entre un admirateur esseulé et une artiste sur une piste de lancement (elle serait une étoile filante).

Il y eut aussi un spectacle de mode de la boutique Scarlett (ma mémoire hésite sur son emplacement rue Ben M’hidi ou Émir Abdelkader), un spectacle présenté par Leïla de la RTA (à l’époque il y avait pas moins de quatre Leïla entre la radio et la noire télévision). La malheureuse Leïla et son défilé ont été hués pendant de longues minutes. On s’était cru au Stade Municipal. La présentatrice ne méritait vraiment pas cette hostilité. Mais c’est que le public était impatient de voir et d’écouter la star de la soirée, Fernand Raynaud (aujourd’hui il est oublié, mais à l’époque c’était un grand humoriste, parmi les meilleurs). Fernand Raynaud était le clou de la soirée. Il aimait beaucoup l’Algérie, où il se rendait fréquemment. Je crois même qu’il avait un appartement à Alger où il aimait passer ses vacances en famille. Fernand Raynaud était « un ami du peuple algérien ».

La salle du Palais des sports avait plongé dans l’hilarité avant même qu’il eut ouvert la bouche. Sa dégaine suffisait. On a eu droit à ses célèbres sketches : heureux, le plombier, le fromage de Hollande, le tailleur, le service militaire… Quant à l’histoire d’huile, c’est avec elle que Fernand Raynaud a commencé dès qu’il apparut sur scène, accueilli par un tonnerre d’applaudissements. Il lui fallait créer une atmosphère, « chauffer la salle » avant de se lancer. 

Et quoi de mieux pour se lancer dans le bain qu’une histoire que nous vivions chacun d’entre nous chaque jour dans ce pays mal barré ? Quoi de mieux qu’une histoire de pénurie ? Nous, nous étions habitués. C’était l’époque de « makach » (nie ma, net nikakikh, disait-on dans les magasins des pays du bloc de l’Est que le dictateur et ses soutiens imitaient et nous donnaient en exemple). Nous disions « bled makach ». On rentrait dans un magasin, un souk el fellah, et le seul mot qu’on nous renvoyait souvent était « makach », sauf si l’on recherchait des boites de conserve OFLA. Il y avait des rayons entiers qui n’étaient remplis que par ces seules boites OFLA, rouillées. (C’est que j’écrirais des pages entières sur ce satané modèle kholkhozien et cette époque des « 3R », les trois « révolutions » affreusement mimétiques dont nous payons aujourd’hui encore le prix. Mais cela n’absout absolument pas les responsables actuels, ce serait trop facile !)

Fernand Raynaud a commencé à raconter : « Nous sommes arrivés avec beaucoup de retard, mais on m’a dit de ne pas être trop tatillon. Il faisait beau. Lorsque le commandant de bord fit ouvrir les portes de l’avion sur le tarmac, on s’est aperçu qu’à l’extérieur il y avait foule. On s’agitait, s’agglutinait au bas de la passerelle. De nombreux civils mélangés avec d’autres hommes en uniforme kaki et armés. Au loin, à l’intérieur de l’aérodrome, les gens ordinaires se bousculaient collés au vitrage. J’étais heureux. Je me suis dit voilà un accueil des plus chaleureux, des plus magnifiques qu’on me réservait. Je voyais les gens lever les bras, s’exclamer. J’entendais « c’est arrivé ! » et moi je levais les bras pour les saluer. J’ai dit à mon voisin « c’est sympa tout cet accueil, hein ? » C’est qu’il ne m’a pas répondu. Il a hoché la tête et il a souri. Il n’a pas voulu me vexer. Les gens se bousculait, pour saluer l’arrivée tant attendue de l’huile de table et du beurre ! » La salle entière était en larmes. Larmes de joie dans un environnement hautement hostile. Nous vivions sous un régime de constriction, de dictature, qui gérait tout jusqu’à l’aiguille à coudre, directement par le centre. Dire un mot de trop pouvait vous expédier en tôle (croyez-moi). Alors, vous comprenez bien que lorsque quelqu’un fait rire au larmes une population contrainte c’est le bonheur absolue, malgré le chaos.

C’était en octobre 1969. Le 3 du mois précédent Ho Chi Minh meurt « Ho, Ho, Ho ! » criait-on l’année précédente au cœur de Paris. Le 15, j’ai vu à la cinémathèque un film avec Yves Montand. Le 18 Cheikha Rimitti est sortie miraculeusement indemne d’un accident de voiture. Ses compagnons musiciens n’eurent pas sa chance. Plus d’un demi-siècle plus tard, les images et vidéos sur la dernière pénurie d’huile sur Facebook, Twitter, Instagram… ne me font vraiment pas rire du tout. Mais que peut la colère et que faire ? disait l’autre. 

Je suis persuadé que la solution à cette incurie, au marasme (au plus lourd du marasme) et pire encore, à l’impasse, se trouve en gestation au cœur du Hirak. « Tant que nous utiliserons des chevaux pour labourer et des ânes pour des courses, nous n’arriverons à rien de bon » écrivait le regretté Mohammed al-Maghout. L’intelligence salvatrice est en mouvement, dans la Silmiya, pour peu qu’on ne l’écrase pas par la force, par la violence.

NB : On fêtait la semaine dernière dans des villages d’Illizi (au cœur du cœur des champs gaziers) l’arrivée du gaz naturel dans les foyers. « Un réseau d’alimentation en gaz naturel de 1.464 foyers a été mis en service mercredi dans la commune de Bordj Omar Idriss (720 km au nord d’Illizi)… Ce projet, qui porte le taux de couverture en gaz naturel de la wilaya à 55%, soit plus de 9.000 branchements, vise l’amélioration du cadre de vie de la population locale » écrit le plus sérieusement du monde El Moudjahid (9 avril).  À en pleurer, à se cogner la tête contre le mur ou à tout renverser… Pacifiquement.

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L’exilé indexé

J’écris ces lignes en réaction à la lecture d’un article que j’ai lu ce matin, parce que je me sens visé. Pourquoi suis-je visé par cet article en question ? Je ne suis pourtant ni du Mak, ni de la mouvance islamiste qu’il pourfend. Je ne suis plus universitaire, pas même d’Aix-en-Provence, même si je suis provençal et que j’aime la Provence. 

Je me sens égratigné par cet article écrit par un cadet fort sympathique par ailleurs, mais la question n’est pas là.  Je me sens concerné par son article car je suis moi-même comme son « exilé algérien », cœur de l’article. Retenez qu’il écrit « exilé » (neutre, inodore) et non pas « émigré » très chargé et qui sied mieux. Généralement j’apprécie les écrits de cet auteur, ses interrogations et réponses, souvent cinglantes, justes. Parfois « dans l’air du temps » européen (froid, vif et limite intolérant, stigmatisant). M’enfin et bref. 

Dans le papier en question, l’auteur demande à ce que les exilés algériens cessent de faire de la politique pour l’Algérie alors qu’ils en sont si loin. Eux qui ont au cœur à la fois le pays d’accueil où ils vivent et le pays de naissance où ils se rendent souvent, pour beaucoup plus qu’une « semaine de bénévolat ». Il écrit de ces Algériens qu’ils sont  « autant que nous Algériens, mais pas plus », sans ajouter « pas moins », c’est dire l’inconscient ! Ces exilés donc ne devraient pas avoir le droit d’exercer leur citoyenneté au motif qu’ils sont à l’étranger ou alors avec « modestie » ! (suit une typologie de comportements : Algérien, hyper-Algérien)

Avec tout le respect que je dois à l’auteur de cet article, il ne peut m’empêcher d’écrire que ses mots ont un drôle de goût, âcre, qui sent le stal. Je m’arrête là. Je suis persuadé qu’il s’agit d’un dérapage et je veux bien passer, mais deux lignes plus loin il enfonce le clou en nous insultant : « les sentiments de nostalgie des exilés sont de même nature que ceux d’un colon ». C’est une insulte inqualifiable.  Honnêtement et personnellement j’aurais honte d’écrire quelque chose qui se rapproche de ces parallèles Algériens/colons) et de cette idée de déchoir « les exilés algériens » de leurs droit fondamental à l’expression.  En débattre, « malgré le caractère tabou » ajoute-t-il. Quelle honte ! Au point où on en est, pourquoi leur accorder le droit de vote ? Cela dévoile la suffisance, voire l’arrogance et l’ignorance de l’histoire des rôles des émigrations passées et présentes dans les luttes pacifiques de leurs pays, de l’étranger où ils vivaient et vivent. Beaucoup de ces Algériens qui ont « quitté l’Algérie durant les années 90 » ont vécu jusqu’au bout leurs idées, en Algérie même cher monsieur, en Algérie même avant de « fuir » (disait-on dans la périphérie de qui vous savez). Il y a vingt ans, cet auteur que par ailleurs j’apprécie écrivait : « Il est plus commode de vivre les paupières fermées ». Le temps a passé. 

Poursuivre le combat sans zèle (mais sans reddition) à l’étranger n’est pas une tare, mais le plein exercice d’un droit fondamental (merci la France, merci le Canada, l’Allemagne etc.) que ces « exilés » exercent avec fierté, par devoir et que l’auteur de l’article leur dénie en filigrane. Lorsque je lis ou entends pronostiquer que les « manifestations sont sans lendemain » je me revois devant ce professeur polonais (réfugié !) que j’ai eu à l’université dans les années 70 et qui ne comprenait pas ces manifestations des refuznik et de leurs camarades français : « ça sert à quoi ce cirque ? » Il a eu raison durant cinq ans, mais il a eu définitivement tord les années suivantes. Lourdement. Mais il était en droit de se poser là. Je ne lui ai pas jeté la pierre car l’homme est ainsi fait de courage, de tiédeur, de peur etc.

Je ne leur attribue pas (aux refuznik et à leurs soutiens) la chute du Mur, et toutes les conséquences qui suivirent, mais un jour je raconterai l’histoire (en lien avec l’impossible Mur) de ce colibri Topaze « fou » qui entreprit d’éteindre le feu qui décimait l’Amazonie. Un jour. 

Je considère par ailleurs regrettable de distinguer la validité d’un combat patriotique, d’un espoir, selon que l’on est de Suède ou de Aïn Sefra, c’est d’un dommage incompréhensible, et ajouter que « la démocratie (est) absolue ». C’est insensé. Elle ne l’est nulle part et ne pourrait jamais l’être. Elle ne peut qu’être améliorée. Notre ami agite (c’est d’une facilité déconcertante) l’épouvantail de l’islamisme à venir, alors qu’il est présent, partout, hic et nunc, par la grâce d’un pouvoir jusqu’au-boutiste qui nous a déjà prouvé qu’il pouvait faire feu de tout bois (et jusqu’à créer 20 chaînes de télévision au discours univoque louant les dirigeants au creux d’une palette d’artifices). Nier que quasiment toute la société algérienne a intégré les codes islamistes c’est, encore une fois, ne pas voir les trous dans la raquette.

Notre ami ne dit pas un mot sur la nature de ce pouvoir en Algérie, rien de sa capture par une gérontocratie à bout de souffle, toujours à la recherche de compromissions. Elle est vacillante, mais toujours debout par la grâce (aussi) de commentaires laudateurs (aussi) ou lénifiant (aussi) ou visant un horizon quelconque fait de moulins à vent espagnols (ou français). Est-il vrai que celui qui ne dit rien (ou regarde ailleurs, ou minimise…) consent ? Où se nichent les « myopies souveraines », où ?

Si le chroniqueur en question évoque le cœur du pouvoir c’est entre guillemets et par la bouche de notre exilé-enseignant d’Aix qui, dit-il, « harangue la foule avec passion », qui n’a même pas « le sens de la prudence ». Comment haranguer autrement s’il vous plaît une foule d’exilés. Un exilé (universitaire) « intoxiqué par les fakes sur le ‘‘Régime’’ ». Un exilé qui a perdu « le sens de la prudence, la mesure de ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. » L’auteur en question a-t-il jamais réfléchi à ce qui — au temps de fakhamatouhou — relevait du possible et à ce qui n’en relevait pas ? 

Il y a plus de vingt ans, il s’interrogeait très justement en rouge et noir, probablement à l’intérieur de son propre dialogue comme il disait…  « Pourquoi faut-il naître dans ce pays (l’Algérie) rien que pour saluer un drapeau, écouter un discours, mâcher un crachat et rêver d’une catapulte vers le Canada et insulter les nouveaux colons ? »  Oui, il y a plus de vingt ans. Le temps a passé, et il n’a pas fini de passer.

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Lire en page 2 l’article de Kamel Daoud et autres réactions les pages suivantes

Ibn Rochd al-Qortobi (Averroès)

(ou AVERROÈS en Europe)

voici l’article. Paru ce matin in Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 avril 2021

Ibn Rochd al-Qortobi 

par Ahmed Hanifi 

« Que la Loi divine invite à une étude rationnelle et approfondie de l’univers, c’est ce qui apparaît clairement dans plus d’un verset du Livre de Dieu (le Béni, le Très-Haut !). Lorsqu’il dit par exemple : ‘‘Tirez enseignement de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence !’’ (Coran s59, v2), c’est là une énonciation formelle montrant qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel, ou rationnel et religieux à la fois. »1

« L’homme a naturellement la passion de connaître2. »  

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Jeudi 1er avril, le procureur du tribunal de Sidi M’hamed (Alger) a requis une peine de trois à cinq ans de prison contre un islamologue pour « offense aux préceptes de l’Islam ». Une avocate du collectif de la défense s’est exclamée « on est en train de débattre des idées dans le tribunal, mais les idées se débattent à l’extérieur du tribunal. J’ai pensé au film ‘‘Le Destin’’, on se croirait au 12° siècle à l’époque d’Ibn Rochd ! » 

Justement, en ce début du mois de ramadan, nous célébrons la naissance, il y a près de neuf siècles, de Abû-l-Walid Mohammed bnou Ahmed bnou Rochd, l’un des plus illustres penseurs andalous, dont le nom orne les portails de nombreux établissements scolaires en Algérie, mais qui disparaît aussitôt qu’on les a franchis. Qui est Ibn Rochd ? C’est l’objet de cette contribution. J’appréhenderai ce savant d’abord par son identité, puis par son parcours, sa pensée, son rapport au pouvoir, à la cité où il vécut, et finirai par évoquer quelques regards sur son œuvre/sa personne, par des hommes de son temps ou non.

Ibn Rochd et l’Andalousie 

Ibn Rochd « le fils de la rectitude » était juriste, physicien, astrologue, philosophe (hakim-sage), médecin, au temps d’al-Andalous. En Espagne où il naquit, et en Occident de manière générale, Ibn Rochd est connu sous son nom latinisé Averroès ou « Le commentateur ». Il y est admis comme « l’un des pères de la philosophie occidentale » ou encore « le précurseur de la pensée rationaliste occidentale ». Nous savons beaucoup de choses sur la pensée et les écrits (ses propres écrits en arabe ou retraduits) d’Ibn Rochd, mais peu sur lui, son identité, sa famille. Il est né le 14 avril 1126 (520 H) à Cordoue, mort le 10 décembre 1198 (595 H) à Marrakech. Ibn Rochd al Qortobi était Espagnol et ses aïeux probablement Berbères, très certainement pas de la périphérie du Nejd comme le suggère étrangement Luis Borges dans une de ses nouvelles3. « La lignée des Banû Rushd est connue à partir de l’arrière-grand-père de notre philosophe, Ahmad b. Ahmad b. Muhammad b. Ahmad b. ‘Abd Allah b. Rushd. Ce nasab (généalogie incluse dans la nomination) indique que la famille était déjà musulmane depuis au moins trois générations », écrit Urvoy4. Notons que tous les philosophes espagnols de cette époque sont dits « arabes » en référence à la langue qu’ils utilisaient et non à leur origine ethnique, ils avaient pour la plupart une ascendance berbère. De même, les dynasties berbères almoravides (almorabitoun), almohades (almowahhidoun), zirides (ezziriyoun)… sont parfois dites « arabes ». Au début du 12ème siècle, le sud de l’Espagne et du Portugal était sous domination des Almoravides (1086-1147), puis des Almohades (1147-1248), une autre dynastie berbère qui serait chassée par la Nasride, dernière dynastie musulmane en Espagne (milieu du 12ème à fin du 15èmesiècle). La période dite de « l’âge d’or de l’Islam »  (9ème au 13ème siècle) couvrait trois continents. Les savants n’étaient pas tous musulmans, mais Ibn Khaldoun écrivait : « Parmi les plus grands (philosophes) musulmans, on citera Abû-Nasr al-Fârâbî et Abû-‘alî Ibn Sînâ (Avicenne) en Orient, le cadi Abû-l-Walîd b. Rushd (Averroès) et le vizir Abû-Bakr b. as-Sâ’igh (ou Ibn Bajja, ou Avempace), en Espagne »5. Nous pouvons ajouter d’autres noms qui furent célèbres comme les orientaux Al-Razi (Iran), Al-Kindi (Irak), Al-Ghazali (Iran) et les Occidentaux-Andalous Ibn Tufayl, Ibn Arabi, Hafsa Rakumiyya, Wallada bint al mustakfi, Ibn Sab’în, ou Maïmonide qui n’était pas musulman. Et d’autres.

La péninsule ibérique était alors florissante, les pouvoirs favorisaient la connaissance, les salons littéraires se multipliaient. Cordoue comptait plus de 300.000 habitants. « Au ‘‘pays de bénédiction’’, Almeria tissait la soie sur 800 métiers, produisait des instruments de cuivre, Alicante possédait des chantiers de construction navales… À partir d’Abou-Ya’qoub, il est impossible de séparer le Maghreb de l’Espagne… » écrit Charles-André Julien6. Au Maghreb les Almohades régnèrent de Tanger à Tunis et au-delà (1147-1260).

Très jeune, Ibn Rochd avait appris tout le Coran. Il aimait la poésie, la musique. Son père et grand-père étaient juges à Cordoue, très proches de la dynastie almoravide. Afin de le distinguer de ses parents, on l’appelait « Ibn-Rochd al hafid ». Plus tard, il ferait des études de fiqh et des hadiths. Il s’intéresserait à la physique, à l’astrologie, à la philosophie par le biais des écrits du perse Al-Farabi (872-950), mais surtout de ceux d’Ibn Bajja de Saragosse, Avempace pour les Européens (1085-1138)… Il étudierait la médecine auprès de Abû Ja’far al-Trujjâli ( ?- 1180). 

Ibn Rochd a écrit une soixantaine d’ouvrages qui traitent de médecine, de théologie, de droit,  de philosophie… comme Fasl al-maqal fima bayn al-hikma wa as-shari’â min al-ittisal (L’accord entre la religion et la philosophie – Traité décisif), Le Commentaire du Traité de l’âme (De Anima) d’AristoteBidayat al-Mujtahid wa Nihayat al-Muqtasid (Le début pour qui s’efforce et la fin pour qui est partial, traité de droit), Tahafut at-tahafut, (l’Incohérence de l’incohérence), Al-Kulliyât, (Colliget ou Le livre des généralités, médecine), d’innombrables Commentaires (grands, moyens, petits)…Ibn Rochd avait 34 ans lorsque son ami et érudit Ibn Tufayl, son aîné de seize ans, le présenta à Abu Yacub Youssef qui succèderait bientôt à son père Abdelmoumen, mort en 1163. Ibn Tufayl (1110-1185),  était mathématicien, philosophe, astronome, médecin et romancier. Il a écrit en 1170 une œuvre majeure. « L’épître d’Ibn Tufayl Hayy ibn Aqzan est un chef d’œuvre de la pensée arabe classique, de la pensée tout court7. »

Un intellectuel organique ?

Abu Yacub Youssef, « le calife intellectuel » devenu amir al-mou’minin, fit savoir à Ibn Tufayl qu’il cherchait quelqu’un qui pût résumer Aristote (384 – 322 av JC) . Voici comment en parle Ibn Rochd à l’un de ses élèves : « Abû Bakr Ibn Tufayl me fit appeler un jour et me dit ‘‘ j’ai entendu aujourd’hui le prince des croyants se plaindre de l’incertitude de l’expression d’Aristote ou de celle de ses traducteurs. Il a évoqué l’obscurité de ses desseins et a dit : ‘Si ces livres pouvaient trouver quelqu’un qui les résumât et qui rendît accessibles ses visées après l’avoir compris convenablement, alors leur assimilation serait plus aisée pour les gens.’’ Si tu as en toi assez de force pour cela, fais-le4. »

Et Ibn Rochd le fit. Ainsi et dans la tradition des Miroirs des princes (Kalila et Dimna ou l’éducation des princes) Ibn Rochd fut engagé. Il entreprit de « traduire » tout Aristote « le plus sage des Grecs » pour lequel il avait une grande admiration, plus tard il deviendrait le médecin du sultan à la suite de Ibn Tufayl. « Nous adressons des louanges sans fin à celui qui a prédestiné cet homme, Aristote, à la perfection, et qui l’a placé au plus haut degré de l’excellence humaine8. » Ibn Rochd avait déjà composé l’Abrégé du ‘‘Mustasfa min ilm al-usul’’ d’Al-Ghazali, en 1157, et au cours des deux années qui suivraient il rédigerait un Abrégé de l’Almageste de Ptolémée, et un Traité des Météorologiques d’Aristote, puis des Commentaires moyens sur l’Organon, un ensemble de traités d’Aristote et beaucoup d’autres ouvrages plus tard. Parmi ses livres les plus retentissants figurent Discours décisif (1179) et L’incohérence de l’incohérence (1180-1181) dans lesquels Ibn Rochd défend l’importance de la philosophie.

Si le chercheur Makram Abbès ne pense pas qu’Averroès fut « un simple instrument aux mains du Pouvoir qu’il aurait servi durant un demi-siècle… non, Averroès n’a pas du tout été un intellectuel organique comme l’avancent certains9 »,  Alain de Libera nuance : « Un philosophe médiéval ne peut être qu’un intellectuel organique. Quand il est organique par son statut social et socialement critique par la réforme et le contenu de son activité, il vaut mieux se le représenter comme philosophe engagé9. » Peut-être qu’Ibn Rochd eût fléchi les genoux, mais certainement pas courbé sa raison comme écrirait plus tard Montaigne pour lui-même (De l’art de conférer).

Les importantes divergences qui opposaient Ibn Rochd au Calife Al-Mansour, le petit-fils de Abdelmoumen Ben Ali Agoumi ennedromi, poussèrent le philosophe à démissionner de ses charges (voir absolument le beau film de Youcef Chahine « Le Destin » — a-t-il été jamais projeté en Algérie ?) 

« Dans Commentaire de ‘‘La République’’ de Platon, Averroès exprime très nettement son attitude envers les trois souverains almoravides, respectant le premier, mais voyant dans les deux autres l’incarnation type de la dégradation des régimes politiques telle que la décrit Platon (428 – 348 av JC)… Averroès dénonce la résurgence du pouvoir de l’argent, qui ne laisse le plus souvent place qu’à des attitudes encore plus ‘‘abjectes’’10. » Les trois souverains almoravides sous lesquels vécut Ibn Rochd, avant que ne les supplantent les Almohades, sont : Ali Ben Youssef fils de Youssef Ben Tachine, Tachfin Ben Ali et Ibrahim Ben Tachfin. Celui-ci fut tué à Oran par les Almohades en 1147, il ne régna que quelques mois.

Une seule vérité, plusieurs voies.

Dès les premières pages du Traité décisif Ibn Rochd écrit : « Notre but dans ce traité est d’examiner si l’étude de la philosophie et des sciences logiques est permise ou défendue par la religion ou prescrite » et il cite deux versets du Coran (s59/v2 et s12/v184). Il y a une obligation coranique pour les savants, les sages, « d’examiner le royaume des cieux et de la terre et toutes les choses que Dieu a créées » (s7/v185 et non s6/v75 comme mentionné par l’auteur)11

Sur l’ensemble du Traité décisif (ou Discours décisif) Ibn Rochd cite 23 versets du Coran. Il déduit qu’il est obligatoire de faire usage du raisonnement rationnel ou rationnel et religieux. « C’est pour nous une obligation de nous appliquer à la spéculation par le syllogisme rationnel (el qiyyas el ‘aqli) et par la forme la plus parfaite de celui-ci qui est la démonstration (al-borhan) ». La démonstration dit Ibn Rochd incombe aux philosophes, « gens de la démonstration ». La voie démonstrative dévoile le contenu de la voie révélée qui est caché derrière le « sens obvie » écrit Alain de Libera dans l’introduction au Discours décisif, dont il dit qu’il n’est pas une œuvre philosophique, mais une fetwa, un avis juridique.10Ce noble terme a subi par le fait d’un glissement sémantique médiatique un détournement, de sorte qu’aujourd’hui il signifie tout autre chose, une condamnation, une mise à mort, qui n’a plus rien à voir avec son sens initial.

Il y a une seule et même vérité, mais les chemins qui y mènent sont différents. « À la multitude appartient de s’en tenir au sens littéral ; l’interprétation relève du philosophe, qui découvre des vérités dont la connaissance est le culte même qu’il rend à Dieu. On comprend que cette philosophie syncrétiste, admettant qu’une même vérité peut se présenter sous des formes diverses, ait inquiété les théologiens professionnels et pu faire soupçonner son auteur d’hérésie6. »

En effet, la vérité révélée dans le Coran peut être atteinte par la voie de la démonstration ou par la voie non-démonstrative. Si la première est réservée aux philosophes, la voie non démonstrative, la voie de la rhétorique ou dialectique est destinée aux « théologiens (al-mutakallimoun) qui soulèvent des doutes sur le sens apparent du texte sacré sans disposer du moyen de les résorber »11 , mais également à la masse (al-joumhour) qui ne dispose pas non plus des outils pour décrypter le Livre, car tous les esprits ne sont pas à même de pouvoir philosopher. Telle était la perception d’Ibn Rochd. Jamais il ne parla de « double-vérité » comme on le lui a souvent reproché, il y a là un contresens. Il n’y a qu’une vérité accessible par des voies différentes. Selon nos capacités cognitives propres, nous avons accès à la sensation, à l’imagination et aux intelligibles. Ces derniers étant le domaine des philosophes. Il y a chez Ibn Rochd une démarche élitiste assumée. « Nous musulmans savons de science certaine que l’examen des étants par la démonstration, n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé́ : car la vérité́ ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur »10 Toute interprétation sans les armes du savoir et contre lui ne peut qu’engendrer de graves dérives. Nous conviendrons que l’actualité de ce 21° siècle en regorge. 

« L’entreprise philosophique c’est d’abord la saisie et la compréhension des intelligibles. La fonction première de l’intellect (la raison) c’est de saisir et comprendre les intelligibles, c’est l’aspect le plus important de la raison » souligne le professeur Souleymane Bachir Diagne12. Il n’est malheureusement pas possible ici d’aller plus avant sur les interrogations relatives aux différents intellects, à la puissance commune de penser (l’intellect-agent est-il éparé, pas séparé ?) et à celle de leur synergie et l’intellection, ces questions exigeraient plus d’espace et ouvriraient sur d’autres perspectives hautement exigeantes. L’essentiel des positions d’Ibn Rochd à travers Al Kashf ‘an manâhij al-adilla(Dévoilement des méthodes de démonstration des dogmes de la religion musulmane) et dans Tahafut al-Tahafut(L’Incohérence de l’incohérence) est clair, écrit Alain de Libera : « a) l’obligation de philosopher est prescrite par la Révélation, b) elle est adressée aux « hommes de démonstration », c) la théologie véritable a pour tâche de montrer par ses résultats mêmes que la philosophie est indispensable à la préservation du noyau littéral dur du Texte révélé contre les ‘‘innovations blâmables’’ de la théologie sectaire »9

La cité vertueuse

Comme le médecin soigne les corps, le philosophe, « le philosophe-roi » (ce dirigeant idéal de Platon) soigne les âmes des citoyens. « Il n’y aura de cesse aux maux de l’espèce humaine, avant que, soit l’espèce de ceux qui philosophent droitement et en vérité n’accède au pouvoir politique, soit ceux qui sont puissants dans les cités, par quelque grâce divine, ne se mettent réellement à philosopher » (Platon, la Lettre VII, 326 b). Le philosophe-roi ou le roi-philosophe doit être doté des quatre types de vertus (al-fada’îl) ou arété grec : le premier type englobe les vertus théoriques (al-fada’îl nadhariya), le deuxième est celui des vertus intellectuelles (al-fada’îl al-fikriya), le troisième est celui des vertus morales (al-fada’îl al-kholoqiya), le quatrième et dernier type regroupe les vertus pratiques (al-fada’îl al-‘amaliya). Le but du dirigeant vertueux est d’orienter sa gouvernance vers la perfection afin de parvenir à la cité juste, la cité parfaite, la « cité de beauté » où le citoyen peut atteindre sa fin suprême qui est le bonheur13. Et l’exemple premier du citoyen ordinaire est donné par les gouvernants. S’ils font fi des vertus attendues d’eux par le peuple, la corruption et l’immoralité s’installent aux différents niveaux de la société, de la cité. 

« Platon (écrit Al-Farabi) évoque le grand nombre des citoyens des cités et des nations. Il affirme que l’homme parfait, l’homme qui cherche, et l’homme vertueux y sont en grave danger ; on doit trouver un moyen de faire que le grand nombre des citoyens changent de mode de vie et d’opinion pour adopter la vérité et le mode de vie vertueux ou s’en approcher’’ » Al-Farabi « La philosophie de Platon, son ordre, ses parties », cité par Ali Benmakhlouf14.

Dans une cité qui vise la perfection, les citoyens sont égaux. Nous ne sommes plus tout à fait dans le mimétisme de « l’ordre harmonieux du cosmos… » où chacun se doit de demeurer à sa place dans cet ordre (La République de Platon). Ici, avec Ibn Rochd, les hommes et les femmes ont quasiment strictement les mêmes droits et devoirs. « Un dialogue imaginé en 1189 entre Ibn Rochd et la poétesse Hafsa bint al-Hajj, dite Al-Rakuniyya, est l’occasion de rappeler l’engagement précurseur du philosophe en faveur de l’égalité des sexes, mais aussi d’interroger la possibilité de côtoyer, voire de servir, le pouvoir tout en défendant une ‘‘éthique du dire-vrai’’ » note Khalid Lyamlahy. (« Zone critique », 24 octobre 2020). Quant à Urvoy, il écrit : « Sur la question féminine, Ibn Rochd s’avance seul. Il développe sans la moindre restriction, la thèse platonicienne de l’égalité des sexes : ‘‘ Dans ces États, la capacité des femmes n’est pas reconnue, car elles y sont prises seulement pour la procréation. Elles sont donc placées au service de leur mari et (reléguées) au travail de la procréation, de l’éducation et de l’allaitement. Mais cela annule leurs (autres) activités. Du fait que les femmes, dans ces États, sont des êtres faits pour aucune des vertus humaines, il arrive souvent qu’elles ressemblent aux plantes. Qu’elles soient un fardeau pour les hommes, dans ces États, est une des raisons de la pauvreté de ces (mêmes) États4. » À mille lieues de cette position, dans ‘‘Kitab at-tibr al-masbuk fi nasihat al-muluk’’ (Le Miroir du prince et le conseil aux rois), « Al-Ghazali reprend tous les préjugés sur la femme qui est un être foncièrement mauvais, soumis à la passion qui est parfois en deçà de l’humanité15 ».

La persécution

Ibn Rochd était réellement seul sur tant de sujets. « Nul philosophe n’aura été plus mal compris ni plus calomnié qu’Averroès… Philosophe impénitent, rationaliste intrépide ou cynique, homme d’une “double foi” ou inventeur du “double langage”, tous les qualificatifs lui ont été attribués16. »

Ernest Renan fut à la fois élogieux et très critique, très dur envers Ibn Rochd : « Il faut rendre cette justice à la philosophie arabe, qu’elle a su dégager avec hardiesse et pénétration les grands problèmes du péripatétisme et en poursuivre la solution avec vigueur. En cela, elle me semble supérieure à notre philosophie du Moyen-Âge, qui tendait toujours à rapetisser les problèmes et à les prendre par le côté dialectique et subtil.8 » Sur sa sévérité à l’égard du penseur il rectifierait « j’ai sous-évalué cette figure » (rapporté par Ali Benmakhlouf). « Sans Avicenne (Ibn Sina) d’abord et sans Averroès (Ibn Rochd) ensuite, l’Europe telle qu’elle est n’aurait pas existé, disait naguère un spécialiste d’Ibn Rochd17.

Stimulés par le sultan Al-Mansour qui a interdit la philosophie et qui voulait que l’on sache qu’il maudissait les égarés, les adversaires d’Ibn Rochd s’organisèrent contre lui. Sa pensée était dénoncée dans des réunions, une plainte fut déposée contre lui. Un jour alors qu’il se trouvait dans la mosquée de Cordoue avec son fils Abd Allah, il en fut expulsé « par une poignée de la lie du peuple ». « Ibn-Rochd ne fut pas persécuté́ seul; on nomme plusieurs personnages considérables, savants, médecins, faquihs, kadhis, poètes, qui partagèrent sa disgrâce. ‘‘La cause du déplaisir d’Al-Mansour, dit Ibn-Abi-Oceibia, était qu’on les avait accusés de donner leurs heures de loisir à la culture de la philosophie et à l’étude des anciens’’. La disgrâce des philosophes trouva même des poètes pour la chanter.8 »

Accusé d’hérésie, Ibn Rochd est banni et exilé dans la petite ville de Lucena au sud de Cordoue. Ses livres seraient brûlés. Près d’un siècle plus tôt, al-Ghazali (Tahafut al-falasifa) condamnait la philosophie « qu’il opposait » au Texte sacré et accusait les philosophes d’impiété alors que lui-même opta pour la démarche philosophique. Abdurrahmân Badawi note pourtant : « la légende d’un Ibn Rochd athée est à mettre définitivement dans le magasin des antiquités de fausses accusations. Il croyait fermement en Dieu, en Son Prophète Muhammad, en le caractère miraculeux du Coran, et aucun texte d’Ibn Rochd ne peut être interprété en un sens contraire18 ».

« La disgrâce d’lbn-Rochd ne fut pas, au reste, de longue durée : une nouvelle révolution fit rentrer les philosophes en faveur. Al-Mansour leva tous les édits qu’il avait portés contre la philosophie, s’y appliqua de nouveau avec ardeur, et, sur les instances de personnages savants et considérables, rappela auprès de lui Ibn-Rochd et ses compagnons d’infortune. Abou-Djafar el-Dhéhébi, l’un d’eux, reçut la charge de veiller sur les écrits des médecins et des philosophes de la cour8. » Ibn-Rochd mourut en décembre 1198, peu après avoir été gracié.

En mars de l’an 1199, trois mois après sa mort, le corps d’Ibn Rochd fut exhumé de sa tombe de Marrakech et transporté jusqu’à Cordoue pour y être enterré. Voici ce qu’écrit Ibn Arabi, le Cheikh el-akbar, dans son Futuhat : « Lorsque le cercueil qui contenait ses cendres eut été chargé au flanc d’une bête de somme, on plaça ses œuvres de l’autre côté pour faire contrepoids. J’étais là debout en arrêt: il y avait avec moi le juriste et lettré Abû l-Hosayn Mohammad ibn Jobayr, secrétaire du Sayyed Abû Sa’îd (prince almohade), ainsi que mon compagnon Abû l-Hakam ‘Amrû ibn as-Sarrâj, le copiste. Alors Abû l-Hakam se tourna vers nous et nous dit: ‘‘Vous n’observez pas ce qui sert de contrepoids au maître Averroës sur sa monture? D’un côté le maître (imam), de l’autre ses œuvres, les livres composés par lui.’’ Alors Ibn Jobayr de lui répondre : ‘‘Tu dis que je n’observe pas, ô mon enfant? Mais certainement que si. Que bénie soit ta langue !’’ Alors je recueillis en moi (cette phrase d’Abû l-Hakal), pour qu’elle me soit un thème de méditation et de remémoration. Je suis maintenant le seul survivant de ce petit groupe d’amis – que Dieu les ait en sa miséricorde – et je me dis alors à ce sujet : D’un côté le maître, de l’autre ses œuvres. Ah ! comme je voudrais savoir si ses espoirs ont été exaucés ! » (Cercamon.net/ibn-arabi) Les mots qui suivent sont extraits de la dernière page de Discours décisif qu’il publia l’année de ses 52 ans : « Dieu a par lui ouvert la voie à de nombreux bienfaits, surtout pour cette classe de personnes qui s’est engagée dans la voie de l’examen rationnel et aspire à connaître la vérité10. » Ibn Rochd a parlé et a écrit de l’intérieur de l’Islam et toujours a revendiqué la démonstration (al-borhan) pour la vérité, contre l’obscurité et l’ignorance.

Notes

1- Ibn Rochd (Averroès), « L’accord de la religion et de la philosophie. Traité décisif. Traduit de l’arabe par Léon Gauthier. Ed. Sindbad, Paris, 1988, 70 p. Page 12.

2- La Métaphysique, Aristote. Livre 1er – chapitre 1er. Traduction J.B. Saint-Hilaire.  Librairie G. Baillière. 1879.

3- La quête d’Averroës. (in L’aleph). Jorge Luis Borges. https://ahmedhanifi.com/la-quete-daverroes/

4- Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman. Dominique Urvoy. Ed. Flammarion/Champs biographie, Paris, 2008_  253 p. Pages 18, 150,152.

5- Discours sur l’Histoire universelle – Al Muqaddima, Ibn Khaldûn. Traduction nouvelle, préface et notes de Vincent Monteil. Éditions Sindbad, Paris, 1978, T3, 1440 p. Pages 1047-1048.

6- Histoire de l’Afrique du nord. Charles-André Julien. Ed Payot, Paris 1975, T2, 368 p. Pages 121,122.

7- Robinson de Guadix. Jean-Baptiste Brenet. Ed. Verdier, Lagrasse 2021, 115p. Page 97. (Lire le bel article de Faris Lounis « Le philosophe sans maître d’Ibn Tufayl » Le Quotidien d’Oran, 13 mars 2021).

8- Averroès et l’averroïsme. Ernest Renan. Ed. Ennoïa, Rennes 2003, 377 p. Pages 56, 31,100, 30.

9- Averroès. L’Islam et la raison. Anthologie. Traduction et notes par Marc Geoffroy. Présentation par Alain de Libera.  Ed. GF Flammarion. Paris,  2000. 226 p. Page 51.

10- Averroès : Discours décisif. Traduction de Marc Geoffroy, introduction de Alain de Libera. Ed GF Flammarion, Paris 1996, 254 p. Pages 119, 11, 115.

11- Averroès. Ali Benmakhlouf. Ed. Perrin/Les Belles Lettres- tempus Philo- Paris, 2009_ 242 p. Pages 36, 142.

12– Lire Comment philosopher en Islam ? Souleymane Bachir Diagne. Ed. Philippe Rey / Jimsaan, 2013.

13– Lire Islam et politique à l’âge classique. Makram Abbès – PUF, Paris, 2009 – 320 p.

14- Pourquoi lire les philosophes arabes. Ali Benmakhlouf. Ed. Albin Michel, Paris 2015, 203 p. Page 115.

15- Makram Abbès. École normale supérieure de Lyon, 2009.

16- La Philosophie médiévale, Alain de Libera. Paris, PUF, 1993. Page 161.

17– Jean-Baptiste Brenet lors de la 24ème édition des « Rencontres d’Averroès » (Marseille, 16 novembre 2017) 

18- Averroès (Ibn Rushd). Abdurrahmân Badawi. Ed J. Vrin, Paris 1998, 194 p. Page 143.

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TEL QUEL

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CLIQUER ICI POUR VOIR EXTRAIT DE LA VIDÉO DE « LE DESTIN » (Ibn Rochd)

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Les lectures nécessaires…

Appel du 24 mars 2021, pour une Algérie démocratique

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER L’APPEL DU 24 MARS 2021

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Djameleddine Benchenouf lit l’Appel

Liberté 25 mars 2021

actualité 

Appel à déjouer des provocations dangereuses contre le combat pacifique du peuple algérien pour la démocratie

Après avoir volontairement suspendu pendant un an ses marches pour protéger les populations contre l’épidémie de coronavirus, le peuple algérien a repris, avec des mobilisations pacifiques massives sur l’ensemble du territoire national et à l’étranger, son combat pour mettre fin à l’emprise du commandement militaire sur la vie politique, économique et sociale, et construire un État de droit civil et démocratique.

Les dirigeants algériens au lieu de répondre positivement à la détermination de la majorité du peuple de conquérir ses droits restent préoccupés par la seule sauvegarde de leur pouvoir et de leurs intérêts avec leur programme habituel d’institutions qu’ils contrôlent et d’élections manipulées. La reprise des marches populaires pacifiques semble avoir surpris de nombreux cercles du pouvoir qui prennent peur et s’adonnent à des improvisations politiques, à des manœuvres de récupération et à des provocations par lesquelles, ils croient pouvoir déstabiliser le Hirak et semer la division entre les forces qui le soutiennent en agitant les spectres de l’islamisme, du séparatisme et de la main de l’étranger. Les projets relatifs à la déchéance de la nationalité algérienne, les arrestations arbitraires dans les rues qui s’apparentent à des enlèvements, lors de manifestations pacifiques, le recours impuni à la torture et aux mauvais traitements, que signalent des détenus, des ONG et le Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies, attestent de cette irresponsable fuite en avant des autorités algériennes. De récentes provocations, comme le tabassage de journalistes, l’intimidation de femmes manifestant pacifiquement pour leurs droits lors de la journée du 8 Mars, l’introduction de groupes de manifestants d’origine inconnue qui cherchent à susciter des tensions lors des marches populaires sont autant d’exemples qui illustrent ces politiques aventureuses.
Nous, signataires de cet appel, convaincus de la légitimité du combat du peuple algérien contre le système autoritaire, de sa résilience et de sa vigilance pour déjouer les provocations et les manipulations :
– interpellons les gouvernants pour mettre fin rapidement à toutes les mesures qui mettent en danger la stabilité du pays et la sécurité des individus et des populations ;
– demandons instamment à toutes les forces qui soutiennent les revendications du soulèvement populaire de rester fidèles à l’esprit d’ouverture démocratique, au pluralisme politique, à la diversité culturelle et sociale, qui caractérisent le combat pacifique en cours et de faire preuve de vigilance pour isoler effectivement les individus qui tentent de semer le trouble et la division lors des manifestations publiques pacifiques ;


– saluons la solidarité internationale qui se manifeste en soutien à la lutte du peuple algérien pour les droits humains et les libertés démocratiques,

– appelons toutes les forces éprises de paix et de liberté en Algérie et dans le monde à soutenir la lutte pacifique du peuple algérien pour un État démocratique.

Premier(e)s signataires de l’appel 

Ahmed Mahiou, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, juge ad hoc à la Cour internationale de justice, Nourredine Melickechi, physicien, Sadek Hadjerès, militant politique et social depuis 1944, Zineb Ali-Benali, professeure des universités,  Mohammed Harbi, historien, Saïd Chemakh, enseignant universitaire de linguistique tamazight, Aïssa Kadri, sociologue, Rachid Ouaïssa, professeur des universités, Saïd Salhi, défenseur des droits humains, Ali Bensaad, professeur des universités, Anouar Benmalek, écrivain, Fatma Oussedik, sociologue, Madjid Benchikh, ancien doyen de la Faculté de droit d’Alger, Mansour Brouri, médecin spécialiste, Nacer Djabi, sociologue, Ali Guenoun, historien, Khaoula Taleb-Ibrahimi, professeure des universités, Mohand Arezki Ferrad, historien, Abdelouhab Fersaoui, président du RAJ, Gaia Abdesselam, informaticien, Madjid Abdesselam, physicien médical, Mehana Abdesselam, enseignant USTHB, Nadia Abdesselam, médecin, Mohamed Salah Aboudi, ingénieur, Ramdane Achab, éditeur, Hakim Addad, militant politique, Lahouari Addi, sociologue, Abderrezak Adel, enseignant universitaire, Farid Aïssani, ancien secrétaire national du FFS à l’émigration, Rachid Aïssaoui, université de Mostaganem, Nabil Aït Ahmed, militant démocrate, Ali Aït Djoudi, président de Riposte internationale, Sanhadja Akrouf, militante féministe et associative,  Tewfik Allal, coordonnateur de ACDA, Rafik Almi, émigré,  militant associatif, Ghanima Ammour, poétesse, militante associative, Samia Ammour, cadre associatif, Boualem Amoura, président du Satef, Farid Amrouche, enseignant universitaire (UMMTO), Kamel Amzal, militant des droits de l’Homme, Hamid Arab, directeur du Matindalgerie.com, Oussama Azizi, ingénieur en informatique, Krim Bacha, technicien, Malika Bakhti, ingénieure d’études, Rachid Beguenane, professeur à l’Université d’Ontario, Akram Belkaïd, journaliste, écrivain, Farouk Belkeddar, militant associatif, Amara Benamara, militant démocrate, Malika Benarab Attou, militante associative, présidente de Game, Mohamed Benhamadouche, poète, Ahcène Benkaroun, enseignant retraité, Nadia Benkaroun, enseignante retraitée, Nasser Bensefia, professionnel en santé, Madjid Ben Yaou, enseignant-chercheur en économie (UMMTO), Othmane Benzaghou, expert financier, militant associatif, Ahmed Bouaziz, militant démocrate, Abderrahmane Bouchène, directeur des Éditions Bouchène, Hacen Boudjema, militant démocrate, cofondateur du collectif Caman, Abdelkrim Boudraa, militant associatif, Nassim Boudrahem, professeur de mathématiques (UBM), Fatma Boufenik, économiste, enseignante-chercheure, Mahrez Bouich, enseignant chercheur, Salima Boumaza, enseignante universitaire, Mouloud Boumghar, professeur de droit, Omar Bouraba, ingénieur, militant associatif, Ali Brahimi, juriste, militant démocrate, Fatiha Briki, retraitée universitaire,  Arezki Chalal, opposant démocrate,  Massensen Cherbi, enseignant universitaire, Bachir Dahak, docteur en droit, Ahmed Dahmani, économiste, Mohamed Daid, technicien en pétrochimie, Mohamed Daoui, enseignant université (UMMTO), Karima Dirèche, historienne, CNRS, Saïd Djaafer, journaliste,  Ahmed Djeddaï, chirurgien, militant politique, Nadir Djermoune, architecte, Nacera Dutour, porte-parole du CFDA (Collectif des familles de disparus en Algérie), Nasser-Eddine Ghozali, professeur de droit, Hachemi Ghezali, militant des droits de l’Homme, Abdenour Guellaz, militant démocrate,  Nacer Haddad, militant politique, Nacéra Hadouche, avocate et militante des droits de l’Homme, Madjid Hachour, avocat, Djamel Hamdi, enseignant, Hamid Hami, enseignant retraité de l’Éducation nationale, Ali Harfouche, professeur (USTHB), Zahir Harir, informaticien, président de FORSEM, Mohamed Hennad, professeur de sciences politiques, Akli Izouaouène, militant démocrate, Zahia Kacel, militante politique, Abdelkader Kacher, professeur d’Université,  Myriam Kendsi, artiste peintre, Rime Kerfah, biochimiste, Salem Kessal, professeur (USTHB), Tahar Khalfoune, juriste, Habib Kheddache, avocat, Saïd Khelil, pharmacien, ancien secrétaire général du FFS, Mouloud Kichou, enseignant retraité, Souad Labbize, autrice, Sara Ladoul, enseignante, universitaire, Nawel Laib, militante des droits de l’Homme, Jaffar Lakhdari, consultant, militant associatif, Feriel Louanchi, enseignante universitaire, Lotfi Madani, expert en communication, Abdeslam Mahanna, physicien et militant démocrate, Myriam Maupin, militante et activiste des droits de l’Homme, Larbi Mehdi, Faculté des sciences sociales, Université d’Oran,  Rachid Menana, médecin spécialiste, Malika Mersroua, militante politique, Abdesselam Mebrouk, militant associatif, Amar Mohand-Amer, historien, Kamel Moktefi, toxicologue et militant, Rabah Moulla, enseignant et militant, Ramdane Moulla, ancien parlementaire, militant du Caman, Farid Ouadah, émigré militant démocrate,  Tayeb Ouardas, expert international, Genève, Salah Oudahar, directeur du Festival Strasbourg-Méditerranée, Belaïd Ould Brahim, commerçant, Hichem Ould Brahim, ingénieur aéronautique,  Kahina Redjala, militante, associative, Youcef Rezzoug, journaliste, Abdelkader Saadallah, consultant en géosciences, Madani Safar-Zitoun, citoyen, Adel Sahraoui, militant citoyen, Djaballah Saïghi, ingénieur et activiste politique,  Aldja Seghir, militante associative, Brahim Senouci, écrivain, Menouar Siad, chercheur en sciences nucléaires, Ouardia Sid Ali, ancienne cadre supérieure de l’État et militante démocrate, Menad Sidi Si Ahmed, expert climatologue, Hocine Sifaoui, enseignant, Nabila Smaïl, avocate, Loucif Nasser Timsiline, auditeur interne, militant de la citoyenneté, Sandra Alex Triki, enseignante UBM, Mohammed-Idir Yacoub, architecte, militant du FFS, Farid Yaker, militant associatif, Nadia Yefsah, militante démocrate, Mohamed Zaaf, professeur de l’Université d’Annaba, Youcef Zirem, écrivain, Rachid Zouaimia, professeur d’Université.

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La quête d’Averroës

Jorge Luis Borges

(traduit par Roger Caillois)

S’imaginant que la tragédie n’était autre chose que l’art de louer…

Ernest Renan, Averroës,48 (1851).

Abulgualid Mohammad Ibn Ahmad ibn-Mohammad ibn-Rushd (un siècle passera avant que ce nom interminable devienne Averroës, à travers Benraist et Avenryz, sans oublier Aben-Rassad et Filius Rosadis) rédigeait le onzième chapitre de son œuvre Tahafut-ul-Tahafut (Destruction de la Destruction), dans lequel il maintient, contre l’ascète persan Ghazali, auteur de Tahafut-ul-Falasifa (Destruction des Philosophes), que la divinité connaît seulement les lois générales de l’Univers, ce qui concerne les genres et non les individus. Il écrivait avec une lente sécurité, de droite à gauche ; son application à former des syllogismes et à enchaîner de vastes paragraphes ne l’empêchait pas de sentir comme un bien-être la fraîche et profonde maison qui l’entourait. Au fond de ce repos, s’enrouaient d’amoureuses colombes ; de quelque patio invisible, montait le bruit d’une fontaine ; quelque chose dans la chair d’Averroës, dont les ancêtres venaient des déserts arabes, était reconnaissant à cette continuité de l’eau. En bas, se trouvaient les jardins, le potager ; en bas, le Guadalquivir absorbé par sa tâche ; plus loin, Cordoue, la ville chère à son cœur, aussi lumineuse que Bagdad et Le Caire, comme un instrument complexe et délicat, et alentour (Averroës le percevait aussi) s’élargissait jusqu’à l’horizon la terre d’Espagne, où il y a peu de chose, mais où chaque chose paraît exister selon un mode substantif et éternel. 

La plume courait sur le papier ; les arguments s’entrelaçaient, irréfutables ; mais une légère préoccupation compromettait la béatitude d’Averroës. Le Tahafut, travail de hasard, n’en était pas le motif, mais un problème de nature philosophique dépendant de l’œuvre monumentale qui justifierait Averroës devant les générations : le commentaire d’Aristote. Ce Grec, source de toute philosophie, avait été accordé aux hommes pour leur enseigner tout ce qui se peut savoir ; interpréter ses ouvrages comme le font les ulémas le Coran, était la difficile entreprise que se proposait Averroës. L’histoire consignerait peu d’événements aussi beaux et aussi pathétiques que ce médecin arabe se consacrant à la pensée d’un homme dont quatorze siècles le séparaient ; aux difficultés intrinsèques s’ajoutait le fait qu’Averroës, ignorant du syriaque et du grec, travaillait sur la traduction d’une traduction. La veille, deux mots douteux l’avaient arrêté au seuil de la Poétique. Ces mots étaient tragoedia etcomoedia. Il les avait déjà rencontrés, des années auparavant, au livre troisième de la Rhétorique ; personne dans l’Islam n’entrevoyait ce qu’ils voulaient dire. En vain, il avait fatigué les traités d’Alexandre d’Aphrodésie. En vain, compulsé les versions du nestorien Hunain ibn-Ishaq et de Abu Bashar Meta. Les deux mots arcanes pullulaient dans le texte de la Poétique : impossible de les éluder.

Averroës laissa la plume. Il se dit (sans trop y croire) ce que nous cherchons est souvent à notre portée, rangea le manuscrit du Tahafut et se dirigea vers le rayon où étaient alignés, copiés par les calligraphes persans, les nombreux volumes du Mohkam de l’aveugle Abensida. C’était ridicule d’imaginer qu’il ne les avait pas consultés, mais il était tenté par le vain plaisir d’en tourner les pages. Il fut tiré de cette distraction studieuse par une espèce de mélodie. Il regarda à travers les grilles du balcon : des enfants demi-nus s’amusaient en bas, dans l’étroite cour de terre. L’un, debout sur les épaules de l’autre, jouait évidemment le rôle d’un muezzin. Les yeux bien fermés, il psalmodiait : Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu. Celui qui le portait, immobile, représentait le minaret ; un autre, prosterné dans la poussière et agenouillé, l’assemblée des fidèles. Le jeu s’interrompit vite : tous voulaient être muezzin, personne la tour ou les fidèles. Averroës les entendit discuter en dialecte grossier, c’est-à-dire dans l’espagnol naissant de la plèbe musulmane de la Péninsule. Il ouvrit le Qutab-ul-aïn de Jalil et pensa avec orgueil que dans la Cordoue entière, peut-être dans toute l’Andalousie, il n’y avait pas de copie de l’œuvre parfaite supérieure à celle-ci, que l’émir Yacoub Al-Mansour lui avait donné à Tanger. Le nom de ce port lui rappela que le voyageur Aboulkassim Al-Ashari, de retour du Maroc, devait dîner avec lui, le même soir, chez le coraniste Farach. Aboulkassim devait avoir atteint les royaumes de l’Empire de Sin (de la Chine) ; ses détracteurs, avec cette logique spéciale que donne la haine, juraient qu’il n’avait jamais foulé le sol de la Chine et que, dans les temples de ce pays, il avait blasphémé le nom d’Allah. Sans aucun doute, la soirée durerait plusieurs heures ; Averroës, promptement, repris le texte du Tahafut. Il travailla jusqu’au crépuscule de la nuit.

La conversation, dans la maison de Farach, passa des incomparables vertus du gouverneur à celles de son frère l’émir ; ensuite, dans le jardin, ils parlèrent des roses. Aboulkassim, qui ne les avait pas regardés, affirma qu’il n’y a pas de roses comparables à celles qui ornent les villes andalouses. Farach ne se laissa pas corrompre ; il signala que le docte Ibn Qutaiba décrit une superbe variété de la rose perpétuelle, qui croît dans les jardins de l’Indoustan et dont les pétales rouges incarnat portent des caractères qui disent : il n’y a pas d’autre dieu que Dieu. Mohammed est son prophète. Il ajouta qu’Abdoulkassim connaissait sûrement ces roses. Abdoulkassim le regarda, assez alarmé. S’il répondait oui, tous le tiendraient avec raison pour le plus disponible et le plus occasionnel des imposteurs ; s’il répondait non, ils le tiendraient pour un Infidèle. Il choisit de susurrer que le Seigneur détenait les clés des choses cachées et qu’il n’existe pas sur terre une seule chose verte ou flétrie qui ne soit pas mentionnée dans Son livre. Ces mots appartenaient à l’une des premières sourates. Un murmure de respect les accueillit. Rendu vaniteux par cette victoire dialectique, Aboulkassim allait dire que le Seigneur est parfait et impénétrable dans ses voies, quand Averroës déclara, anticipant les lointains arguments d’un Hume encore problématique :

– J’ai moins de peine à admettre une erreur du docte Ibn Qutaiba ou de ses copistes que l’idée que la terre donne des roses qui confessent la Foi

-C’est vrai ! Grandes et véridiques paroles ! dit Aboulkassim. 

-Un voyageur, rappela le poète Abdalmalik, parle d’un arbre dont les fruits sont des oiseaux verts. Il m’est plus facile de croire à cet arbre qu’à des roses avec des lettres.

-La couleur des oiseaux, dit Averroës semble faciliter le miracle. En outre, les oiseaux et les fruits appartiennent au monde de la nature, alors que l’écriture est un art. Passer des feuilles aux oiseaux est plus facile que de passer des roses aux lettres.

Un autre invité nia avec indignation que l’écriture fût un art, puisque l’Original du Coran — La Mère du Livre — antérieur à la Création, est conservé au ciel. Un autre parla de Chahiz de Basrah qui affirme que le Coran est une substance qui peut prendre la forme d’un homme ou d’un animal, opinion qui paraît s’accorder avec celles des théologiens qui lui attribuent deux faces. Farach exposa longuement la doctrine orthodoxe. Le Coran (dit-il) est un des attributs de Dieu, comme sa piété ; on le copie en livre, on le prononce avec la langue, on s’en souvient avec le cœur : l’idiome, les signes et l’écriture sont l’œuvre des hommes, mais le Coran est irrévocable et éternel. Averroës, qui avait commenté La République, aurait pu dire que La Mère du Livre est quelque chose comme son modèle platonicien. Il nota que la théologie était un domaine absolument inaccessible à Aboulkassim.   `

D’autres, qui l’avaient aussi remarqué, demandèrent à Aboulkassim de narrer quelque merveille. Alors, comme aujourd’hui, le monde était atroce ; les audacieux pouvaient le parcourir et aussi les misérables, ceux qui se pliaient à tout. La mémoire d’Aboulkassim était un miroir d’intimes lâchetés. Que pouvait-il raconter ? En outre, on exigeait de lui des merveilles et la merveille est peut-être incommunicable ; la lune du Bengale n’est pas identique à la lune du Yémen, mais on la décrit avec les mêmes mots. Aboulkassim hésita, puis il parla. 

-Celui qui parcourt les climats et les villes, affirma-t-il avec onction, voit beaucoup de choses dignes de foi. Celle-ci, que je n’ai racontée qu’une fois, au roi des Turcs. Elle arriva à Sin Kalan (Canton) où le fleuve de l’Eau de la Vie se jette dans la mer.

Farach demanda si cette ville se trouvait loin de la muraille qu’Iskander Zul Qarnain (Alexandre Bicorne de Massédoine) avait élevée pour contenir Gog et Magog.

-Des déserts l’en séparent, répondit Aboulkassim avec un orgueil involontaire. Une caravane cheminerait quarante jours avant d’en apercevoir les tours et autant, paraît-il, pour l’atteindre. À Sin Kalan, je n’ai entendu parler d’aucun homme qui l’eût vue ou qui eût vu quelqu’un qui l’eût vue.

La crainte de l’épaisseur de l’infini, du pur espace, de la simple matière émut un instant Averroës. Il regarda le jardin symétrique ; se sentit vieilli, inutile, irréel. Aboulkassim disait :

 – Un soir, les marchands musulmans de Sin Kalan me conduisirent à une maison de bois peint, où vivaient beaucoup de gens. On ne peut pas raconter comment était cette maison, qui était bien plutôt une seule pièce avec des rangées de réduits ou de balcons placés les uns à côté des autres. Dans ces enfoncements, il y avait des gens qui mangeaient et buvaient, de même que sur le sol et aussi sur une terrasse. Les gens de la terrasse jouaient du tambour et du luth, sauf quinze ou vingt environ (avec des masques de couleur cramoisie) qui priaient, chantaient et conversaient. Ils étaient punis de prison, mais personne ne voyait les cellules ; ils étaient à cheval, mais personne ne voyait leurs montures ; ils combattaient, mais les épées étaient en roseau ; ils mouraient, mais ils se relevaient ensuite.

– Les actes des fous, dit Farach, dépassent les prévisions du sage.

-Ils n’étaient pas fous, dut préciser Aboulkassim. Ils étaient en train, me dit un marchand, de représenter une histoire.

Personne ne comprenait, personne ne paraissait vouloir comprendre.

Confus, Aboulkassim passa d’une narration bienvenue à d’ennuyeuses explications. Il dit, en s’aidant avec les mains : 

– Imaginons que quelqu’un figure une histoire au lieu de la raconter. Supposons qu’il s’agisse de l’histoire des Dormants d’Éphèse. Nous les voyons alors se retirer dans la caverne, nous les voyons prier et dormir, nous les voyons dormir avec les yeux ouverts, nous les voyons réveillés au bout de trois cent neuf ans, donner au commerçant une monnaie antique, se réveiller au paradis, nous les voyons se réveiller avec leur chien. C’est un spectacle de ce genre que nous montrèrent ce soir-là les gens de la terrasse.

– Ces personnes parlaient-elles ? demanda Farach.

– Bien sûr, elles parlaient, dit Aboulkassim converti en avocat de cette séance dont il se souvenait à peine et qui l’avait fort ennuyé. Elles parlaient et chantaient et discouraient.

– Dans ce cas, conclut Farach, il n’était pas besoin de vingt personnes. Un seul narrateur peut raconter n’importe quoi, quelle qu’en soit la complexité.

Tous approuvèrent ce verdict. On loua les vertus de l’arabe qui est la langue dont Dieu se sert pour commander aux anges ; puis de la poésie des Arabes. Abdalmalik, après l’avoir approuvée comme il se doit, censura comme retardataires les poètes qui, à Damas et à Cordoue, s’acharnaient à employer des images d’éleveurs et un vocabulaire bédouin. Il dit qu’il était absurde qu’un homme devant qui s’étalait le Guadalquivir célébrât l’eau d’un puits. Il estima urgent de rénover les anciennes métaphores ; il dit que quand Zuhair compara le destin à un chameau aveugle, cette figure avait pu étonner les gens, mais que cinq siècles d’admiration l’avait usée. Tous approuvèrent cette opinion qu’ils avaient déjà souvent entendue de nombreuses bouches. Averroës se taisait. À la fin, il parla, moins pour les autres que pour lui-même.

– Avec moins d’éloquence, dit Averroës, mais avec des arguments analogues, il m’est arrivé de défendre la proposition que soutient Abdalmalik. À Alexandrie, il fut avancé que seul est incapable d’une faute, qui déjà l’a commise et déjà s’en est repenti. Ajoutons que, pour s’affranchir d’une erreur, il est bon de l’avoir professée. Zuhair, dans une moallaka, dit qu’au cours de quatre-vingts ans de douleur et de gloire, il a vu souvent le destin renverser soudain les hommes comme ferait un chameau aveugle ; Abdalmalik en tant que cette figure ne peut plus nous émerveiller. À cette observation, on peut opposer beaucoup de choses. La première, que si le but d’un poème était de nous étonner, sa durée ne se mesurerait pas en siècles, mais en jours et en heures, peut-être en minutes. La seconde, qu’un grand poète est moins celui qui invente que celui qui découvre. Pour louer Ibn Sharal de Berja, on a répété que seulement lui pouvait imaginer que les étoiles, à l’aube, tombent lentement du ciel comme des feuilles tombes des arbres ; ce qui, si c’était vrai, démontrerait que l’image ne vaut rien. L’image qu’un seul homme a pu concevoir est celle qui ne touche personne. Il est infiniment de choses dans le monde ; chacune peut être comparée toutes les autres. Comparer des étoiles à des feuilles n’est pas moins arbitraire que les comparer à des poissons ou à des oiseaux. En revanche, il n’est personne qui n’ait éprouvé, au moins une fois, que le destin est puissant et stupide, qu’il est à la fois innocent et inhumain. Le vers de Zuhair se réfère à cette conviction, qui peut être passagère ou permanente, mais que personne n’élude. On ne dira pas mieux ce qu’il a dit là. En outre (et ceci est peut-être l’essentiel de mes réflexions), le temps qui ruine les palais enrichit les vers. Celui de Zuhair, quand il l’écrivit en Arabie, servait à confronter deux images : celle du chameau, vieilli et celle du destin. Répété aujourd’hui, il sert la mémoire de Zuhair et confond notre affliction avec celle du poète mort. La figure avait deux termes, maintenant elle en a quatre. Le temps argumente le contenu des vers et j’en sais qui, à l’égal de la musique, sont tout pour tous les hommes. Ainsi il y a des années, poursuivi à Marrakech par le souvenir de Cordoue, je me plaisais à répéter l’apostrophe qu’Abdourrahman adressa dans les jardins de Rouzafa, à une palme africaine :

Toi aussi, tu es, ô palme !

en terre étrangère

Singulier privilège de la poésie : des mots écrits par un roi qui regrettait l’Orient me servir à moi, exilé en Afrique, pour exprimer ma nostalgie de l’Espagne.

Averroës, ensuite, parla des premiers poètes, de ceux qui dans le Temps de l’Ignorance, avant l’islam, avaient déjà dit toutes choses dans le langage infini des déserts. Alarmé, non sans raison, par les futilités d’Ibn-Sharaf, il avança que, dans les Anciens et dans le Coran, toute la poésie était inscrite : l’ambition d’innover venait de l’ignorance, elle était condamnée à l’échec. Les assistants l’écoutèrent avec plaisir, parce qu’il prônait le passé.

Les muezzins appelaient à la prière de la première aube quand Averroës rentra dans sa bibliothèque. (Dans le harem, les esclaves brunes avaient torturé une esclave rousse, mais il ne devait pas la prendre avant l’après-midi.) Quelque chose lui avait révélé le sens des deux mots obscurs. D’une ferme et soigneuse calligraphie, il ajouta ces lignes à son manuscrit : « Aristû (Aristote) appelle tragédie les panégyriques et comédie les satires et anathèmes. D’admirables tragédies et comédies abondent dans les pages du Coran et dans les moallakas du sanctuaire. »

Il eut sommeil et un peu froid. Il détacha son turban et se regarda dans un miroir de métal. Je ne sais ce que virent ses yeux, car aucun historien n’a décrit son visage. Je sais qu’il disparut brusquement comme si un feu sans lumière l’avait foudroyé et qu’avec lui disparurent la maison et l’invisible jet d’eau et les livres, les manuscrits et les colombes, et la multitude des esclaves brunes et la tremblante esclave rousse, et Farach et Aboulkassim et les rosiers et peut-être le Guadalquivir. 

Dans le récit antérieur, j’ai voulu raconter l’histoire d’un échec. J’ai pensé, d’abord, à l’archevêque de Canterburry qui se proposa de démontra qu’il existe un Dieu ; puis aux alchimistes qui recherchèrent la pierre philosophale ; puis aux vains trissecteurs de l’angle et équarrisseurs du cercle. Je réfléchis ensuite qu’apparaîtrait plus poétique le cas d’un homme qui se proposerait un but qui ne serait pas caché aux autres, mais à lui seul. Je me souvins d’Averroës qui, prisonnier de la culture de l’Islam, ne put jamais savoir la signification des mots tragédie et comédie. Je racontai son aventure ; à mesure que j’avançai, j’éprouvai ce que dut ressentir ce dieu mentionné par Burton qui voulut créer un taureau et créa un buffle. Je compris que mon œuvre se moquait de moi. Je compris qu’Averroës s’efforçant de s’imaginer ce qu’est un drame, sans soupçonner ce qu’est un théâtre, n’était pas plus absurde que moi, m’efforçant d’imaginer Averroës, sans autre document que quelques miettes de Renan, de Lane et d’Asin Palacios. Je compris, à la dernière page, que mon récit était un symbole de l’homme que je fus pendant que je l’écrivais et que, pour rédiger ce conte, je devais devenir cet homme et que, pour devenir cet homme, je devais écrire ce conte, et ainsi de suite à l’infini. (« Averroës » disparaît à l’instant où je cesse de croire en lui.)

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Yasmina Khadra est un « écrivain médiocre » déclare (à son tour) Salim Bachi

Photo « 28′ »

Khadra a plusieurs fois été qualifié d’imposteur. Des critiques littéraires le dénoncent plus ou moins régulièrement. La dernière fois « Le Masque et la plume » l’a descendu en flamme (cf nos articles antérieurs).

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Un écrivain algérien critique Yasmina Khadra et prend la défense de Ben Jelloun

Par: Rédaction 27 Févr. 2021 

Les écrivains algériens continuent de s’entredéchirer sur les réseaux sociaux. Rebondissant sur les déclarations polémiques de Yasmina Khadra sur l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, le romancier algérien Salim Bachi a clairement pris position.

L’auteur de « Chien d’Ulysse », qui a obtenu le prix Goncourt du premier roman, a sévèrement critiqué ce samedi son compatriote Yasmina Khadra, le qualifiant d’ « écrivain médiocre » et prenant la défense de l’écrivain Tahar Ben Jelloun.

«Yasmina Khadra est un écrivain médiocre, il n’a pas besoin de « nègre » (ghostwriter est un meilleur mot) pour l’être », estime M. Bachi dans une publication sur le réseau social Facebook.

« J’ai rencontré à de nombreuses reprises le personnage et il m’a toujours rebuté par ses vantardises jusqu’au point de se comparer à Tolstoï », fustige l’écrivain algérien.

Salim Bachi se moque de Yasmina Khadra

« J’ai aussi rencontré à de nombreuses reprises Tahar Ben Jelloun qui m’a toujours témoigné du respect et de l’amitié. Je ne peux pas en dire autant de Khadra ou de Boudjedra par exemple. Je préfère mille fois l’auteur de La nuit sacrée à celui de L’Imposture des mots », tranche Salim Bachi.

La prise de parole publique de M. Bachi intervient alors que Yasmina Khadra a provoqué la polémique en s’attaquant publiquement le 6 février dernier à l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun. « Après vingt ans de silence, ne voyant personne s’assagir et tenter de renoncer à la vilénie, j’ai été contraint de dénoncer les manœuvres inqualifiables d’un écrivain que j’ai toujours respecté et qui s’est avéré être indigne de considération. J’ai nommé Tahar Ben Jelloun », a affirmé Yasmina Khadra dans un entretien sur TV5 Monde.

« Quand vous avez un écrivain de renom, connu dans le monde entier, prix Goncourt, membre influent de l’Académie Goncourt, qui s’appelle Tahar Ben Jalloun, qui raconte partout depuis 20 ans, de janvier 2001 jusqu’à ce matin, que je suis un imposteur, que ce n’est pas moi qui écris mes livres, qu’il connait mon nègre », a dénoncé l’écrivain algérien, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul.

Yasmina Khadra a accusé l’écrivain marocain de lui avoir barré les portes des institutions littéraires françaises et des médias français. « Tahar Ben Jelloun est tellement bas, qu’il n’y a pas de débat », a fustigé Yasmina Khadra.

Ce n’est pas la première fois que des écrivains algériens se critiquent mutuellement. Dans son pamphlet « Les Contrebandiers de l’histoire » édité en 2017, Rachid Boidjedra n’a pas été tendre avec ses pairs. Il a classé dans la même case, celle des « contrebandiers de l’Histoire », Yasmina Khadra, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Wassyla Tamzali, Feriel Furon et d’autres. À Khadra, il reproche « d’avoir déformé la réalité coloniale » dans son roman Ce que le jour doit à la nuit où « il se fait le défenseur fervent de la cohabitation heureuse et enchanteresse entre les Français et les Algériens durant la colonisation ».

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Cliquer ici pour voir vidéo TV5 Monde et Khadra s’emporter contre Tahar Ben Djelloun (absent)

Ben Djelloun ne peut pas lui répondre et le journaliste ne dit rien.

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Cliquer ici pour lire d’autres articles sur le sujet

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CLIQUER ICI POUR LIRE LE MÉMOIRE _ PDF _ (Merci Karim Sarroub)

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Merci à Jean-Jacques Reboux – Cliquer ici

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CLIQUER ICI POUR LIRE_ « Tout ce que Khadra m’a fait ne m’a rendu que plus fort », écrit Youced Dris à Jean-Jacques Reboux

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CLIQUER ICI POUR LIRE LETTRE DU PREMIER ÉDITEUR FRANÇAIS DE Y. KHADRA

« Comment je me suis fait entuber par Yasmina Khadra (pour solde de tout compte) »

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Extraits proposés par rkhettaoui- 22 décembre 2016

Les mots étaient semblables à de jolies hirondelles qui glissaient dans le ciel, puis montaient , montaient encore , et soudain , plongeaient jusqu’au ras du sol.Ou encore, quelques fois ces paroles ressemblaient à des papillons légers qui battaient des ailes , immobiles au -dessus d’une fleur.

Apres tout un petit garçon de trois ans n’est pas une lourde responsabilité pour nous deux ! On s’en occupera,et puis deux femmes seules ont besoin de compagnie.

La chanson passait dans l’ombre, douce comme une caresse .Et Dahmane , immobile , appréciait cet instant merveilleux qu’il souhaitait ne jamais se terminer.

Le cœur humain est pareil aux pendules , elles s’usent en servant ,mais se détraquent en ne servant pas.

Quelque fois ma chère sœur , il vaut mieux lâcher sa valise que de manquer la calèche.

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N’en jetez plus, la cour est pleine !

22 février 2019 – 22 février 2021, le Hirak

Jailli du fond de nos désespoirs il y a deux ans, le souffle a emporté une partie non négligeable de la nomenclature.

La Covid 19 a indirectement suspendu l’élan du Hirak, ce gigantesque mouvement pacifique algérien de protestation. Le moment venu, il reprendra, car le pouvoir n’a pas répondu à ses attentes démocratiques et joue la montre.

Je vous offre cette magnifique vidéo. Elle date de mars 2019. 

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632_ Révolution de velours

Les Algériennes et les Algériens aspirent à une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. Ils l’ont maintes fois prouvé. Cette Algérie libre et heureuse, authentiquement démocratique, ne peut se concevoir sans la liberté de parole. La libre parole, ce droit premier de l’Homme, doit être accessible dans la rue et dans tous les médias, publics et privés, sans entraves. Une libre parole respectueuse de toutes les autres paroles, exprimée dans la langue de son choix, sans complexe aucun, sans stigmatisation.
Il y a en Algérie des dizaines de chaînes de télévision, de radios, de journaux, publics et privés, mais la parole n’y est pas réellement libre. La censure et l’autocensure sont permanentes.
Les Algériens et les Algériennes, qui ont payé le prix fort, ont soif d’une « Révolution de velours », sans donc aucune violence ni casse, sans qu’aucune goutte de sang soit versée. Une Révolution pacifique, celle qu’appréhendent par-dessus tout les tenants du « Système » actuel, prêts à toutes les intrigues et violences. N’oublions jamais Octobre 1988, ni janvier 1992 et les années qui suivirent, n’oublions jamais non plus les manipulations de la religion à des fins politiques de certains partis et organisations islamistes dont les paroles ont semé la mort par milliers. 

Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants.

D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs,jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. 

Ahmed Hanifi, auteur

Samedi 23 février 2019

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634_ Le boulevard de l’Algérie libre et démocratique 

Moins d’un mois après mon retour du grand Sud, j’ai troqué les mots de mon imaginaire et de la romance contre ceux qui disent l’effervescence populaire, qui chantent la hargne contre les hommes à la source des maux de notre quotidien. Je reviendrai plus tard aux premiers, le moment venu, lorsque les sourires s’afficheront sur les lèvres et dans les esprits. Ce temps léger n’est pas trop loin, je le vois se profiler à l’horizon, porté par l’Algérie entière.

Depuis ce désormais historique 22 février (l’histoire n’oubliera pas ces milliers de fervents supporters de football qui alertent, qui chantent leurs gammes aux tenants du « Pouvoir » depuis des mois, voire des années…), depuis ce désormais historique 22 février disais-je, nous sommes tous absorbés corps et âmes par le train des massives manifestations arc-en-ciel, permanentes et pacifiques, Selmiya ! Il ne se passe pas un seul jour sans que des jeunes, des pas jeunes, des chômeurs, des étudiants, des avocats, des femmes au foyer, des artistes,  battent le pavé algérien. Pas un seul jour depuis le 22 février.

Nous sommes pris dans les entrailles de cette révolution de velours en cours qui ne dit pas son nom, enveloppés par les mots d’ordre de cette jeunesse, mais pas qu’elle, traversés par leur puissance et leur vigueur. Des mots d’ordre et de conviction  contre le régime algérien autocrate, cleptocrate et sénile. Depuis ce 22 nous marchons, crions, écrivons pour dénoncer ce Système corrompu, Ennidham el fassed qui tente depuis la nuit des temps, en usant de tous les subterfuges, de tous les mensonges, de toutes les trahisons, de phagocyter nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires.

La première grande trahison s’exprima par la confiscation de notre indépendance et de nos libertés, dès le mois de juillet avec la prise du pouvoir par la force de « l’Armée des frontières », une des dernières par un coup de Jarnac en janvier et juin 1992, mettant fin au premier véritable printemps « arabe » né d’Octobre 1988.

Aujourd’hui, trente années plus tard, ce sont les enfants d’Octobre – auxquels le Pouvoir, ce Système corrompu, ce Ennidham el fassed n’offre que les stades de football pour faire diversion – enfants d’Octobre qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures qui nous prennent par la main et par le verbe « venez, venez, c’est par là le boulevard de l’Algérie Horra, Dimocratiya ! »   

Ahmed Hanifi,auteur.Marseille, le 6 mars 2019

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635_ Il y a deux semaines j’écrivais :…

Il y a deux semaines j’écrivais : « … Cette Révolution douce algérienne a peut-être commencé hier, vendredi 22 février 2019. À travers de nombreuses villes du pays de Tlemcen à Annaba, de Bejaïa à Ouargla en passant par Alger, Oran, Sidi-Bel-Abbès… des milliers d’Algériens et d’Algériennes, jeunes et moins jeunes, ont manifesté contre le Système (« Non au 5° mandat » brigué par un des hommes du Système)  dans le calme et sans heurts, offrant parfois des fleurs aux policiers bienveillants. D’autres vendredis arrivent. Faisons (chacun selon ses possibilités) qu’ils soient noirs de monde et prometteurs de tous les espoirs jusqu’à la victoire, pour une Algérie authentiquement démocratique, libre et heureuse. »
Vinrent alors le 1° mars et ce fut une déferlante, et aujourd’hui, 3° vendredi de lutte, un autre flot tout autant imposant. Dans la joie et la fraternité. Tout cela me fait penser aux pays de l’Europe de l’Est, lorsque durant l’année 1989 et suivantes des centaines de milliers de citoyens, par leurs marches et manifestations pacifiques firent tomber les régimes totalitaires – notamment en Tchécoslovaquie – régimes qui sévissaient depuis plus de 70 ans. En Algérie, ce régime corrompu qui prend les Algériens en tenailles depuis les premières lueurs de l’Indépendance, ce Ennidham el fassed qui phagocyte nos espoirs, nos rêves, nos vies les plus ordinaires, est entrain de vaciller.

Les Algériens ne lâcheront pas, particulièrement les jeunes, ces enfants d’Octobre, qui ont l’âge  de l’amour, de la fraternité et de toutes les bravoures. Crions avec eux, haut et fort « Non au 5° mandat. Non au Système dans sa totalité ». L’Espoir d’une Algérie nouvelle pointe. À ce propos, celui de l’Espoir, Vaclav Havel, héros de la Révolution douce Tchèque disait : « L’Espoir est un état d’esprit… C’est une orientation de l’esprit et du cœur… Ce n’est pas la conviction qu’une chose aura une issue favorable, mais la certitude que cette chose à un sens, quoi qu’il advienne. » En Algérie une véritable Révolution de velours est en cours, là devant nous, aujourd’hui, demain. »
Ahmed Hanifi, auteurVendredi, 8 mars 2019

https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/080319/35-le-8-mars-en-algerie-une-revolution-de-velours

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636_ Colère froide ou les Ils en février

(débrouillez-vous avec la non ponctuation)

ils ont quitté le navire au gré de la houle des événements en mars puis en octobre et aujourd’hui en février au printemps en automne et en hiver la lumière d’août les aveugles ils donnent des leçons tapent du poing renversent les tables ils furent censeurs sous la lune laudateurs au premier vent tournant ils vénèrent les points cardinaux avec tel les honnissent avec tel autre ils ont le verbe haut et la presse qui en redemande à portée de main ils ont occupé de beaux postes imploré dieu et Khalifa et cetera perçu la patente pour leurs enfants sait-on jamais ils ont louangé sans réserve étoiles et montagnes des vareuses compassées locales du vieil Est jusqu’aux confins des Carpates et tout le reste ils ont ensemble bâillonné les folles d’Algérie et les bougres par milliers craché sur des héros martyrs depuis désormais ils n’ont que ce mot sur les lèvres qu’ils serinent à l’envi « démocratie démocratie » qu’ils conditionnent de mais mais mais retournez-vous vous en connaissez en ce printemps ils ont glissé parmi nous veulent animer notre démonstration notre révolution de velours la mener pourquoi pas « Djazaïr horra dimocratiya » ne les dégageons pas offrons leur un beau miroir et du pq
(1° jet) samedi 16 mars 2019

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637_ 22, c’est le Printemps

C’est le printemps, 
Sur le croissant de lune 
Et l’étoile rouges, 
Bourgeonne l’espoir. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Une clameur monte dans le ciel, 
Main dans la main, le cœur léger, 
Les torses se gonflent 
De fraternité, de sororité. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les larmes inondent la défaite. 
Sous nos semelles le Paradis. 
Tous ensemble ! 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Mille mesk ellil, Sakura et oiseaux de Paradis 
Pour nos mères, nos sœurs 
Et toutes les femmes de mon pays 
Pour qu’éclose en cette aube bleue 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les teintes chaudes et froides du peintre 
Se répandent sur les boulevards et les places. 
Des corps tournesols à perte de vue. 
Djazaïr Horra, démocratiya. 

 
C’est le printemps, 
Les martyrs de Novembre, d’Octobre, 
D’avril et de toutes les ombres, 
Sont revenus nous indiquer la voie. 
Ils dansent avec nous, chantent 
Djazaïr Horra, démocratiya.

Ahmed Hanifi21 mars 2019

638_ Révolution de velours en Algérie_ Images et chants

Comme en Octobre 88, la révolte de février a commencé à Bordj Bou Arreridj (c’est ce qu’on dit sur la base de vidéos qui circulaient à BBA bien avant le 22 février). Elle couvait depuis des années. D’autres révoltes se sont exprimées en divers endroits du pays avec plus ou moins de réussite, souvent réprimées. 

En réalité de nombreuses manifestations ont périodiquement lieu, un peu partout dans le pays, appelées par des enseignants, des retraités de l’armée, des policiers, du corps médical…

 https://www.youtube.com/embed/QKeUzc1uNtg?feature=player_embeddedLa dernière révolte, l’actuelle révolution de velours couvait, on l’entendait, surtout dans les stades depuis quelques mois, voire des années. Des milliers de supporters criaient leur rejet du Pouvoir, dénonçaient la Hogra, le mépris. Elle couvait ici et là, dans les stades, sur les réseaux sociaux. Certains Youtubers et Facebookers sont suivis par des milliers de followers. Et puis la rumeur se faisait de plus en plus pressente ces derniers mois, avec par exemple des vidéos, comme celle de ces deux jeunes de Bordj Bouareridj, qui appelaient à sortir dans la rue. Étaient-ils libres de leurs appels ou étaient-ils en commande ? D’autres posts anonymes (sous pseudos) appelaient à manifester au courant du mois de janvier et février. Jusqu’à ce 22 février qui vit des milliers de manifestants s’approprier l’espace et crier leur rage contre « Le Système » et leur soif de liberté.

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639_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 27 mars 2019

Mercredi 27 mars 2019

La gare ferroviaire de l’aéroport

Comme je l’ai écrit il y a quelques jours, je me devais d’être, au moins pour quelques jours, au cœur de la Révolution en cours, Révolution de velours, qui fait courber le monde de respect. Je suis arrivé à l’aéroport HB, par le flight ZI 707 d’un Boeing 320, bleu et blanc avec le lever du jour. En moins d’une heure j’étais à l’extérieur. Si vous voulez éviter les arnaques des taxis (comme dans de nombreux pays les prix des taxis ici sont excessifs. Du racket. Si vous voulez les éviter alors faites comme moi, utilisez Woo…, utilisez les transports en communs. À 400 mètres, sur votre droite après le parking et la nouvelle et belle gare ferroviaire (non encore fonctionnelle) il y a une esplanade avec des taxis clandestins qui vous apostrophent et des arrêts de cars plus ou moins indiqués. Ne prenez ni le 178, ni le 38, prenez le 100 Sahat Echouhada de l’Etusa.dz. Pour 50 DA il vous conduit jusqu’au cœur d’Alger en passant devant l’immense  
« mosquée Bouteflika » et par Tafoura. Tiens pourquoi pas descendre ici ? « Ici est la rue des Vandales. C’est une rue d’Alger ou de Constantine, de Sétif ou de Guelma, de Tunis ou de Casablanca » criait Mustapha dans le Cadavre encerclé (j’ai joué ce rôle de Mostapha au Centre culturel français d’Oran dans les années mortes, il y a une éternité…). Mon ici est le Square Port Saïd à deux pas de la place des Martyrs. Un hôtel près du fameux Tantonville et du TNA, dans la rue qui monte, la Casbah c’est derrière, encore plus haut. Accueil correct, autant que le prix. La chambre se trouve à hauteur de la 67° marche, au 2° étage sans ascenseur, à droite, « la 15 ». Correcte, mais l’odeur de renfermé et de moisi n’est pas agréable. Et pas de Wifi. Comment peut-on vivre sans le Wifi ? Trop tard, j’ai réglé la chambre. Demain j’irai voir ailleurs. Je me jette sur le lit. Respirer un bon coup. Sur Canal Algérie je suis le dernier quart d’heure de la rediffusion de l’émission d’hier soir, Expression livre. Mièvre, guindé et autosuffisant est l’animateur (fort sympa par ailleurs), médusé l’invité comme beaucoup avant lui. « Pas de vague, pas de vague » m’avait lancé un jour le premier. Le journal qui suit, en français, nous montre des familles recevant « les clefs » de leur appartement. Il n’y a ni discours redondants et ronflants, ni portraits géants du président, ni youyous et autres salamalecs et c’est mieux ainsi. Pas un mot sur la situation de crise nationale. Ni l’ANP, ni l’article 102. On regarde ailleurs le ciel qu’il fait en Europe, en Asie. « Chez nous il fait beau ».  Pourtant le DG de l’EPTV, Toufik Khelladi vient d’être démis de son poste hier, « appelé à d’autres fonctions ». Le problème est qu’il a été remplacé par Lotfi Cheriet, un proche du clan Boutef (cet ancien journaliste puis directeur de l’info à Canal Algérie avait intégré la direction d’une « chaîne de propagande, El Wiam, lancée par Ali Haddad pour faire la promotion du 4° mandat du chef de l’État » écrit El Watan de ce jour, page 9). Moussa Hadj nous dit adieu et Hadj Moussa nous dit Salam alikoum.
14heures 30. Devant la grande poste il y a un attroupement, on s’agite, les échanges sont hauts. J’ai voulu lancer aux uns et aux autres « Silmiya mes frères, silmiya ». « Bagarre ? » « non ils discutent » me répond l’homme que j’ai apostrophé. Je vous promets qu’il m’est apparu qu’on était à deux doigts d’en venir aux mains. Bien non. « C’est comme ça ici, le sang il tourne vite ».  Un jeune homme se fait fouiller les poches par un autre. Un flic en civil probablement. Des gamins s’amusent de toute cette agitation des adultes. Le soleil est éblouissant. Je m’assois sur une des longues marches de l’édifice de la Poste. Les principaux articles de El Watan sont plutôt favorables à la décision du chef de l’armée de convoquer l’article 102 de la Constitution – 3 articles sur 3 –« Il est heureux de constater que l’ANP s’est prononcé en faveur de l’expression populaire » dit un constitutionnaliste dans l’un des articles, « Gaïd Salah est venu secouer le président du Conseil constitutionnel » écrit Messaouadi dans le deuxième, le troisième « L’armée s’implique… » reprend de longs extraits de son chef. Les autres articles sont des commentaires ou des réponses des organisations, des responsables de partis etc. : Assoul, Bouchachi, Zenati, Ali Rachedi…  Sur ma gauche deux « écrivains publics », en fait deux vieux messieurs, arrondissent leur fins de mois en remplissant pour les clients perdus des chèques et des documents divers de la poste. Et entre deux clients ils se racontent des histoires de vieux messieurs que tout, la politique, la vie, le vide, étonne. Et le sourire ne les quitte pas. À la librairie Charras je feuillette quelques livres (et m’enquiers du destin des miens) « Repassez » me dit la charmante responsable. Je ne lui dis pas que c’est la réponse qu’on me donne à chacun de mes passages (Un par an environ).Le rez-de-chaussée des anciennes Galeries Le Bon Marché sur la rue Ben M’hidi a été transformé en un grand, très grand, café restaurant avec Wifi (le code s’il vous plaît… P@ssw0rd). Oasis Planète « le plus grand restaurant d’Algérie » (Les Échos d’Alger). Agréable et pas excessif. J’y prends un thé et consulte mon FB. À propos « à qui appartient-il » demande-je discrètement à un voisin de table » qui hausse les épaules en faisant la mou. Quelle question…Je me rends ensuite et sur le retour à l’immeuble qui abrite les locaux de SOS Disparus, rue Ben Boulaid. Malheureusement il n’y a personne. Au TNA Bachtarzi on commémore les vingt ans de la journée mondiale du théâtre. Le spectacle arrive à sa fin. Au Tantonville on sirote qui un café, qui un jus, qui je ne sais quoi d’autre… Sur les marches qui y donnent accès, un attroupement se forme. C’est le 3° depuis « les événements ». Le prochain rendez-vous aura lieu ici même mercredi prochain dit l’animatrice. À 17 heures une jeune animatrice prend la parole, explique l’objet de ces réunions « échanges d’expérience, points de vue, lectures, nous sommes devant un nouveau souffle… »  Le premier intervenant est une jeune intervenante, Alia qui lit un texte sur les femmes « elles ont toujours existé ! » répète-t-elle. D’autres intervenants lisent des poèmes ou autres textes. Hmida El Ayachi rend hommage à Kamel Amzal, ou Madjid, un militant de la démocratie, a été assassiné par des islamistes dans la cité universitaire de Ben Aknoun, le 2 novembre 1982. Déjà. Puis il improvise une poésie Chams ettoufal, un jeu interactif avec le public, Charlie Chaplin…, puis Le Mur et Kaddour Blendi… Un vrai acteur ce Hmida. Je n’ai pas pu lui dire un mot (la dernière fois que je l’ai rencontré c’était à l’aéroport d’Oran, il y a bien 3 ou 4 ans grâce à un ancien ami). Puis il y eut une autre jeune femme, puis Hakim qui lit en arabe un texte de 1998 de Habib Younès. Connais pas. J’interviens pour lire deux poèmes que j’ai écrit en hommage aux enfants d’Octobre 1988 pour le premier, à la Révolution de velours actuelle pour le second. « Octobre » et « C’est le Printemps ». D’autres personnes suivront. À la fin de la rencontre l’attroupement se scinde en plusieurs petits groupes. J’échange avec des jeunes, certains sont à l’initiative de ces sorties publiques. « Va dans ‘Balance ton mot’ sur Facebook me dit l’un d’eux, tu auras pleins d’informations, va aussi sur ma page FB ».

(https://www.facebook.com/adel.ricco.71?fref=search&__tn__=%2Cd%2CP-R&eid=ARBKUwgmJjGW8JS0VRV-gUukehUFmHz-7Zn7ycC7Ij5jZEMvc1ZWthywdiJWIOAyaVTOMPrNb9nn1FMI)
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640_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

 Révolution de velours en Algérie_ Alger 28 mars 2019

Jeudi 28 mars 2019

Café à défaut de thé. Lecture de la presse. El Watan titre « Gaïd Salah face à la contestation populaire. » Un article de Salima Tlemçani (durant la décennie noire, elle était connue sous le sobriquet de « la colonelle » tant disait-on elle s’abreuvait – quasiment – à une unique source, celle des « services et de la muette » où elle avait ses entrées, solides comme du rock.) La journaliste préfèrerait voir le défunt Mohamed Lamari (celui qui en mai 92 déclarait : « je suis prêt à éliminer trois millions d’Algériens s’il le faut »), ou son clone officiant à la place de ce balourd de Gaïd Salah qu’elle ne ménage guère personnellement, ce chef d’État-major qui a réussi (pas seul) à liquider les liquidateurs de l’ex DRS (wa ma adraka, combien d’Algériens tremblent aujourd’hui encore rien qu’à l’énoncé de ces trois lettres :D,R,S. Mon Dieu), lesquels liquidateurs du DRS, dit-elle faussement naïve, avaient « ouvert des enquêtes sur les affaires de corruption impliquant les hommes du président ». Elle nous prend pour des imbéciles. Coquine va et démocrate jusqu’au bout des ongles des seuls cinq doigts de sa main droite.
À onze heures je plie bagages et change d’hôtel. J’en trouve un dans la rue Abane Ramdane, en face, un chouya plus cher, mais propret et le monde à portée de main. Écouter FIP en sourdine avec entre les mains une feuille blanche qui vous invite au délire ou bien encore un Kérouac ou un Roth. Vous m’en direz des nouvelles. Quand même. Je balance mon premier écrit.  Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « kidnappé ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ?
Je fais un tour du côté de la poste. J’entends au loin un gars crier. Je m’approche, d’autres gens aussi. On fait foule autour de lui. Il ne crie pas du tout le monsieur au super costume brillant comme neuf sur un pull-over rayé de lignes bleues, rouges et grises. Non il ne crie pas, il hurle son mixe de douleur et de joie. Ses yeux pétillent. « Nous vivons de l’oxygène, comment peut-on abandonner notre environnement ?… Oui, le peuple s’est libéré le 22 février… » Son discours est bien rodé « je fus candidat… »  Certains spectateurs ironisent, d’autres applaudissent. La rue Didouche Mourad fourmille de monde. Beaucoup de jeunes, filles et garçons, plaisantent, rient, chahutent. De peur qu’ils ne s’écroulent sur eux, et comme ils le feraient pour des murs d’immeubles, ils tiennent fermement les arbres à leur portée en posant la paume de la main contre leurs troncs. À l’angle de la rue Didouche Mourad (1955-1927) et Zabana Ahmed (1956-1926)… Oui, je sais, mais ici, il faut lire les dates de droite avant celles de gauche. L’ordre est inversé bien que les nombres soient écrits en arabe et les lettres en caractères latins… Les explications sont à demander à qui de droit, certes pas à moi. Je reviens à cet angle des deux artères, je disais que là, à cet angle, un groupe s’acharne sur un bendir et des karkabou (tambour et castagnettes essoudane/ soudanaises, en réalité malienne, pays qu’on disait bled essoudane, me semble-t-il) : karbaq, karabeq, karbaq…Autour de lui un demi cercle s’est formé. Il y a de l’électricité dans l’air et cela titille nos sens et nos espoirs. Une dizaine de jeunes passent en criant, avec un léger retard sur l’histoire en cours « Oh Bouteflika, la lil khamsa ! » Un peu plus haut un autre chant fuse d’un local, celui du RCD, c’est l’énorme « Win win win…rakoum rayhin’ win… » chargé d’émotion. Je rentre dans le local, saturé de photos et de centaines de bouteilles d’eau minérale de 50 cl qui seront probablement distribuées aux manifestants de demain qui auront la chance de passer par ici. « L’eau minérale Lalla Khedidja prend son origine dans les monts enneigés du Djurdjura. En s’infiltrant lentement au travers des roches, elle se charge naturellement en minéraux essentiels à  la vie, tout en restant d’une légèreté incomparable. Elle est pure par nature, car elle est directement captée à la source. » Ainsi va la pub. Je pense, et ne sais pourquoi, à ce proverbe détourné « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se case (caze) » Je discute avec un vieux militant et ancien syndicaliste qui me propose de faire le tour du propriétaire (une unique grande pièce de 32 m2). Et me revoilà devant les photos avec cette fois des explications lourdement orientées, « regarde ils ont dit qu’on est avec le pouvoir, c’est ça la vérité ? » m’interroge-t-il avec malice en me montrant une foule (supposée être composée de militants de son parti) entourée par des policiers certainement méchants.   Ils ont cela dans le sang les syndicalistes, ou nombre d’entre eux, c’est que lorsqu’ils vous tiennent ils ne vous lâchent plus. Il m’a fallu insister lourdement « je dois aller réserver un billet avant la fermeture… » pour que le gars (il n’avait peut-être pas parlé de la journée que sais-je) me libère. Il me serre fortement les pinces.  « À la prochaine » fait-il, mais là il s’aventure. Il n’y en aura pas. Je contourne le pâté d’immeubles et me retrouve en contrebas près du marché Clauzel. Pour la réservation chez Aigle Azur (le type, je ne lui ai pas vraiment menti), j’attendrai quelques jours.  Je me paie une belle calantica (50 DA), ce fameux plat oranais à base de farine de pois-chiches (franchement, elle ne vaut pas celle d’Oran). Chez un droguiste j’achète une longue tige en plastique. Je demande au vendeur de la couper en deux parts égales. Elles supporteront ma banderole « Révolution de velours » que je porterai (si tout va bien) demain, parmi les centaines de milliers d’autres manifestants. Car demain est présenté ici comme le jour le plus long et le plus haut  « rabbi yestorna ».  

Je reviens vers la Grande poste. Il fut un temps pas si lointain, où, arrivé dans ces parages, je m’interrogeais, hanté par eux, si tel ou tel bistro était toujours ouvert et si la cigarette empestait toujours autant. Avant d’entrer dans l’un d’eux, pour la protéger un tant soit peu ou si peu que cela soit, je camouflais ma veste dans un sac en plastique que j’avais prévu à cet effet. Je me demandais aussi s’il y avait encore, glissant entre les consommateurs, les tous jeunes ou tous vieux vendeurs de bebbouche (escargots) bien épicés ou de foule (fèves bouillies) au cumin ou d’œufs durs que je détestais et déteste toujours (les œufs durs). Aujourd’hui je ne le suis plus. Je ne suis plus hanté par les bistros que je ne fréquente plus. Presque plus, et plus du tout ici au Bled. Je passe devant leurs devantures (elles ne laissent entrevoir qu’un mince espace à travers la porte, entrebâillée pour permettre aux clients d’entrer)  et les mêmes questions me taraudent l’esprit. 

 Et c’est à peine si je leur adresse un regard indifférent, presque triste, comme à cet instant devant « la lune rouge » au 27 de Ben M’hidi.  
Sur Chourouk TV on apprend que son patron a été « libéré ». Fichtre et bigre à la fois. What’s that ? Sur FB on se délecte de cet énième épisode entre clans et sous-clans.

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641_ Révolution de velours en Algérie_ Alger 29 mars 2019

https://www.youtube.com/embed/GdtHtH8xqS4?feature=player_embedded Alger, vendredi 29 mars 2019

Vendredi 29 mars 2019 

Café au lait, croissant et pain au chocolat. C’est une belle journée qui s’ouvre en perspective. « Nouveau jour de mobilisation en Algérie » disait-on en titre il y a quelques minutes sur France Inter : « l’Algérie de nouveau dans la rue aujourd’hui. 6° vendredi de mobilisation contre un président et un Système de moins en moins soutenu, mais toujours en place ». Un doux euphémisme. Les klaxons nous invitent à sortir. Je prépare ma banderole « Révolution de velours »  que j’enroule autour des baguettes en plastique que j’ai achetées hier au marché Clauzel. Me voilà sur la rue Asselah Hocine, devant le mythique Aletti, entièrement voilé, en cours de rénovation. Dans le ciel, un hélicoptère blanc tournoie. Le gilet est supportable. Par petits groupes, des jeunes passent, enveloppés dans le drapeau national. Il n’est pas encore dix heures. Près de l’Institut français, des policiers manifestement affolés ou en manque d’ordre courent devant eux, derrière. Sur le boulevard Ben Boulaid, à hauteur de l’hôtel Régina, un groupe dans lequel se trouvent nombre de handicapés moteurs scande « silmiya, silmiya », pacifique… Devant la Grande Poste il y a environ trois mille manifestants. On entend « Biyaîne el cocaïne kheyanine, kheyanine » vendeurs de cocaïne, voleurs… De l’autre côté, en allant vers Audin, sur l’avenue El Khettabi, à hauteur de la rue Ferhat Tayeb, un journaliste de la chaîne TV, Ennahar, est littéralement pourchassé, même bousculé.  C’est choquant. Je n’approuve absolument pas, mais ne peux m’adresser aux jeunes qui sont hors d’eux, très en colère. Il est vrai que c’est une chaîne honnie, qualifiée d’« islamiste ». Le pauvre journaliste est effrayé, ses yeux immenses regardent dans le vide, hagards. Je ne suis pas fier de cette scène digne d’un lynchage. Imbéciles, eux-mêmes remontés par d’autres médias ou groupes anti-islamistes intolérants et pourtant « démocrates ». 

12h15, angle de Hamani et Didouche, devant le fleuriste, une jeune femme devant la banderole, passe derrière, me tend un micro, « d’où venez-vous, qui êtes-vous, quelle appréciation portez-vous… » Je ne me souviens plus du nom de sa chaîne. Ma banderole se taille un succès raisonnable. Un gars d’âge mûr lit la banderole puis lève le poing et dit assez fortement le sourire grand « Prague ! » Je souris et lui rends un pouce au sien. Midi passé. La foule a maintenant tellement enflé. Combien sommes-nous, 30, 50 mille ? 
J’ai beau me dire il me faut être de tous les instants, de toutes les vigilances, je ne tiens pas. Il me faut m’asseoir, m’accroupir à défaut. Je m’abaisse et voilà que se tendent des mains. On me propose de m’aider. On m’offre une bouteille d’eau. Ai-je l’air en si mauvais état que cela ? « je n’ai rien, merci, j’ai juste mal au dos, merci, Yaâtik Saha ». Satanée cinquième vertèbre. Elle fait des siennes dès lors que je suis en position debout, immobile pendant un certain temps. M’enfin.

14heures. Je suis sur l’escalier de la Grande Poste. Un brusque mouvement important de foule. Impressionnant, on laisse passer, d’aucuns haussent le ton « khalli, khalli ». Sur la pointe des pieds j’aperçois Arzeki Aït-Larbi, heureux de son coup comme un diable rusé. À ses côtés l’idole de la Révolution et des Algériens, Djamila Bouhired, autour d’eux des drapeaux tunisiens.
Les artères, boulevards, avenues, rues et ruelles déversent des foules compactent et impressionnantes. Il en sort absolument de partout. Où que l’on plonge le regard on est saisi. Jamais vu cela, pas même aux premiers jours de l’Indépendance, et je m’en souviens mêmes si je n’avais pas plus de la dizaine : Audin, Didouche, Khemisti, Ben M’Hidi, Asselah, Ben Boulaïd, Cherif Saadane, Saliha Ouatiki, Hassiba Ben Bouali… mains dans la main. Ils sont tous là. Les femmes et hommes d’honneur et de dignité percutent le présent. Je les entends « Restez debout ! » Suis fatigué, le soleil cogne dru. Me rassois de nouveau. Sur le boulevard Khémisti, côté est, je me range un temps au milieu des mères et parents de « Disparus » Bonjour Ferhat, Nassera… 

Break (je ne vous raconte pas la perte d’une clé, le serrurier clandestin…)
La journée s’écoule et l’atmosphère est toujours époustouflante. Près du marché aux fleurs, on se croirait à la sortie d’un match international de foot qui a vu la victoire des Algériens. Folie est peu dire. Les pizzas, fast-foods, cafés, pâtisseries… ne désemplissent pas.  Les vendeurs d’écharpes, de drapeaux, de toutes dimensions sont heureux, doublement heureux, « ayya vingt mille, vingt mille ! »

Un jeune artiste propose des feutres « faites ce que bon vous semble sur le tableau » 
Je remonte vers l’ouest. 17h20 : derrière la Fédération des cheminots, il y a de l’agitation. Des gamins déferlent le grand escalier. « Va par là-bas âmmo, ici il y a des lacrymogènes. Nous sommes pas loin de la rue du lieutenant Boulhert Salah et le boulevard Mohamed V. Petites échauffourées. On imbibe des mouchoirs en papier de gouttes de vinaigres. Je me retrouve de nouveau à hauteur de El Khettabi-Audin. Je discute avec trois jeunes. Leur dis avoir constaté l’absence de toute revendication d’ordre religieux (à part le « inna li Allah iwa Inna ilayhi rajiôun » – nous appartenons à Dieu et à Lui nous retournons, adressé malicieusement au Président grabataire). Les jeunes me répondent (ils ont la vingtaine) que le peuple a souffert après octobre 88 et la guerre qui a suivi et surtout la récupération politique du mouvement de protestation des Algériens alors ne doit pas se reproduire et ils ne pensent pas qu’il se reproduira. Ils ajoutent : aujourd’hui nous savons qui sont les voleurs du pays et nous leur demandons de partir. C’est tout. « On veut être bien, c’est tout ».
De toute la journée, je n’ai pas croisé plus de deux, va pour trois, barbus (islamistes à la posture ostentatoire). Mail il est vrai qu’ils ont cette capacité extraordinaire caméléonienne de se fondre en Ombres.
18h30, les hélicos tournent toujours dans le ciel serein.

 Yet Nahaw Gaâ

NB : J’ai été au plus pressé. J’aurais pu écrire trois plus, mais… (je ne me relis même pas).
 
https://blogs.mediapart.fr/ahmed-hanifi/blog/070319/33-algerie-revolution-de-velours ;

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LIRE ÉGALEMENT:

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/02/632-revolution-de-velours.html

http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/645-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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http://leblogdeahmedhanifi.blogspot.com/2019/05/651-la-revolution-du-22-fevrier-2019.html

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« Islamo-gauchistes » : une chasse aux sorcières médiatique

Un article d’ACRIMED_ par Frédéric Lemaire, Maxime Friot, Pauline Perrenot, vendredi 30 octobre 2020

Quelques jours après l’attentat de Conflans-Sainte-Honorine et la mort de Samuel Paty (1), parmi le déferlement d’amalgames et de propos racistes, un mot d’ordre résonne dans de nombreux médias : haro sur les « islamo-gauchistes » ! Un vocable qui regroupe (entre autres) tantôt la Ligue des droits de l’homme (LDH), Mediapart, l’Observatoire de la laïcité, ou la France Insoumise… et parfois tous en même temps, dans une même accusation : celle de complicité avec le terrorisme. Une accusation grave portée en l’absence de toute preuve et de toute contradiction, proférée par des éditorialistes, des responsables politiques et une poignée de « personnalités » qui multiplient les apparitions à la télévision, à la radio ou dans la presse. Retour sur une séquence d’hystérie médiatique… aux allures de règlements de compte.

Lundi 19 octobre, de France Inter à RTL, en passant par Europe 1, CNews et BFM-TV, le même discours se déploie dans de nombreux médias, les mêmes anathèmes sont lancés sans contradiction.

Sur Europe 1, Patrick Cohen reçoit dans son interview de la mi-journée Pascal Bruckner. L’essayiste médiatique y déroule un discours halluciné, dénonçant une « hydre islamiste » qui aurait « pénétré tous les secteurs de la France : l’université, l’administration, peut-être la police, peut-être les services de renseignement, le monde du sport et le monde de l’école ». Et appelant à ce qu’on « désigne les complices », en particulier la France insoumise, coupable selon Bruckner d’avoir participé à la manifestation de novembre 2019 contre l’islamophobie avec le CCIF (2). Edwy Plenel serait également à compter parmi « les complices de gauche et d’extrême-gauche » qui ont « du sang sur les mains et devraient rendre des comptes ». Autant d’accusations graves, sans fondement, reçues avec la plus grande complaisance par Patrick Cohen… Quelques jours plus tard, sur le plateau de « 28 Minutes » d’Arte (21/10), Bruckner accuse cette fois Rokhaya Diallo d’avoir « armé le bras des tueurs » de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 – sans aucune réaction de l’animatrice, Élisabeth Quin.

Le 19 octobre, après avoir reçu Pascal Bruckner sur Europe 1, Patrick Cohen est sur France 5 pour sa chronique dans « C à vous ». Le lancement d’Anne-Élisabeth Lemoine donne le ton : « le drame de Conflans-Sainte-Honorine est aussi la conséquence d’années de déni ». Patrick Cohen acquiesce et dresse la liste de ceux qui se seraient rendus coupables de « lâchetés et les compromissions avec l’islam politique », citant pêle-mêle Edwy Plenel, Jacques Chirac, Tariq Ramadan ou le CCIF. Puis il épingle les propos d’un responsable de Sud Éducation, en les tronquant allègrement (3).

Invité par Alba Ventura sur RTL (19/10), l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, tient un discours similaire, pointant du doigt « les mêmes qui depuis 20 ans, utilisent cette arme de destruction massive de notre République que sont les accusations d’islamophobie, la victimisation, la culpabilisation permanente ». Même tonalité dans la matinale de France Inter (19/10), où Sophia Aram s’en prend d’abord aux« véritables promoteurs de ces attentats » qui « encouragent et organisent la posture victimaire [sic] » ; puis aux « promoteurs du concept d’islamophobie » ; ainsi qu’à « tous ces décérébrés, qu’ils soient militants, universitaires ou animateurs télé, venant dégouliner leur compassion morbide sur les musulmans pour leur expliquer qu’il est normal, compréhensible d’être bouleversé, meurtri, blessé par un putain de dessin. (4) »

Sur BFM-TV, Alain Marschall ne réagit pas lorsque Julien Odoul (RN) qualifie les députés de la France insoumise de « collabos » et de « cinquième colonne de l’islamisme » (19/10). Ni lorsque Tugdual Denis (Valeurs Actuelles) évoque « une espèce d’ambiance culturelle qui permet ce genre de passage à l’acte ». Même son de cloche plus tard : cette fois, c’est l’éditorialiste de la chaîne Bruno Jeudy qui fustige les « responsables de gauche » et les « responsables de sites d’information comme Edwy Plenel ».

Le même jour, Éric Zemmour, chez lui sur le plateau de « Face à l’info » (CNews), accuse Jean-Luc Mélenchon d’avoir manifesté avec ceux « qui ont armé intellectuellement le Tchétchène qui a tué le prof ». Et d’en conclure : « Un an après, il vient manifester pour cette jeune victime. C’est comme a dit l’ancien député Bernard Carayon : c’est le collabo qui veut participer à la Libération ». La veille, toujours sur CNews, Charlotte d’Ornellas n’hésitait pas non plus à cibler Jean-Luc Mélenchon, « plus qu’ami » avec « toute une nébuleuse qui a posé une cible sur la tête de ce prof ».

Les éditorialistes de la presse écrite ne sont pas en reste. Alexis Brézet n’a pas non plus de scrupule à donner des noms dans son édito du Figaro du 19 octobre. Parmi les « compagnons de route » qui soutiendraient la cause des islamistes, il cite tantôt Jean-Louis Bianco de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Luc Mélenchon ou encore Edwy Plenel, et « toute une nébuleuse islamo-gauchiste » regroupant pêle-mêle les mouvements décoloniaux, l’Unef, SOS-Racisme, la LDH, etc.

Dans Le Point (20/10), Étienne Gernelle s’en prend au secrétaire fédéral de Sud Éducation, qualifié de « sinistre clown » et au directeur de Mediapart. Puis c’est au tour de l’inénarrable Franz-Olivier Giesbert (21/10) d’éructer contre « le multimillionnaire » Edwy Plenel, « saint patron de l’islamo-gauchisme », avant de conclure : « Le martelage de cette engeance, sur fond de terrorisme intellectuel, ne contribue pas qu’un peu à notre délitement actuel ». Fidèle au poste dans Marianne (23/10), Jacques Julliard est au diapason des âneries réactionnaires : « Pour la première fois depuis l’Occupation, la France n’est plus libre. » Et l’éditocrate d’espérer : « Si, au moins, l’indignation actuelle contribuait à nous débarrasser de l’islamo-gauchisme, sans lequel l’islamo-fascisme ne saurait prospérer. (5) »

Ainsi, dans un large spectre de médias, des radios aux chaînes d’information en continu en passant par la presse, ce sont les mêmes accusations graves qui sont portées (de complicité avec le terrorisme tout particulièrement) en l’absence de tout élément factuel. Les mêmes procès d’intention sont formulés à l’égard des participants à la marche contre l’islamophobie, fin 2019, pour mieux les discréditer sous un vocable épouvantail : « l’islamo-gauchisme ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire et la « force des concepts faibles », comme l’analyse Samuel Hayat dans une tribune pour L’Obs (27/10) (6). Pour comprendre l’omniprésence d’un tel concept dans la séquence qui nous occupe, et son infusion dans le débat public, il faut s’intéresser au rôle joué par un petit nombre de personnalités médiatiques ayant multiplié les interventions depuis l’assassinat de Samuel Paty. Et, dans un second temps, à celui des membres de gouvernement, ayant contribué – avec des journalistes, au choix : militants, suivistes ou complaisants – à la co-construction d’une telle chasse aux sorcières.

Un agenda médiatique, ça se travaille


Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer qu’à peine 48 heures après l’assassinat de Samuel Paty, l’agenda médiatique ait été à ce point orienté sur le lynchage des pseudo « intellectuels collabos » et du fumeux « islamo-gauchisme » – en plus d’un déferlement de propos islamophobes et xénophobes ? Dans l’article « Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière », nous revenions sur les mécanismes propres aux chaînes d’info, à même d’expliquer tout à la fois la médiocrité du débat public et sa « radicalisation » à droite et à l’extrême droite. Ils ont évidemment ici joué à plein. Mais il faut signaler, dans ce moment particulier, un élément central et déterminant : la surface médiatique (bien au-delà des seuls médias ouvertement réactionnaires) occupée par le discours d’une série de journalistes, de polémistes ou d’essayistes, proches du Printemps républicain et de Manuel Valls. Malgré des tons différents, tous ont contribué à mettre en avant, dans les grands médias dont ils sont familiers, une obsession et un agenda communs : la stigmatisation des « complices de l’islamisme ».

À 23h16 le 16 octobre, soit seulement quelques heures après l’assassinat de Samuel Paty, Pascal Bruckner, en campagne médiatique pour vendre son dernier livre, dégaine le premier dans un entretien au FigaroVox: « On aura une petite pensée émue pour tous ceux, des Indigènes de la République jusqu’à une certaine presse de « gauche » – je pense au délicat Edwy Plenel – qui, patiemment, minutieusement, au nom de l’anti-racisme, ont construit une haine inexpiable contre l’équipe de Charlie. » Le philosophe médiatique n’a pas perdu de temps. Pas plus que Manuel Valls, sur le pont dès 8h30 le lendemain matin dans la matinale de France Info pour à son tour dénoncer Edwy Plenel et « les ambiguïtés […] présentes pas seulement parmi les politiques, [mais aussi] dans la société française, […] à l’école. » Une tirade savamment introduite par la journaliste du service public :

Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, a dit récemment que la gauche a abandonné ce combat pour la laïcité et la liberté d’expression. Philippe Val, l’ancien patron de Charlie Hebdo, a lui parlé de la complaisance de certains milieux intellectuels. Est-ce que vous partagez leurs constats ?

Le même jour, c’est « l’essayiste » Céline Pina qui menait campagne sur LCI, jetant cette fois-ci l’anathème sur l’université toute entière : « Aujourd’hui, allez écouter ce qui se dit à l’université. Ce n’est pas que les islamistes qui tiennent ce discours. Ils sont alliés avec qui ? Avec tous les racialistes, tous ceux qui voient tout par la couleur de la peau. Ils sont alliés avec qui ? Avec les Geoffroy de Lagasnerie. Ils sont alliés avec qui ? On les a vus ! »

Au soir du samedi 17, encore, c’est au tour du Parisien de mettre en ligne un entretien avec Bernard Cazeneuve, qui paraîtra le lendemain dans la version papier. L’ancien Premier ministre y dénonce des « petites lâchetés et concessions médiocres face au communautarisme » avant de mobiliser les grands mots, relancé sur la question par le journaliste politique Alexandre Sulzer : « Il y a aussi l’islamo-gauchisme qui regarde avec les yeux de Chimène certaines organisations communautaristes qui ont en elles une défiance, pour ne pas dire une forme de haine de la République. » Invité deux jours plus tard dans le « 7/9 » de France Inter (19/10), il pointe à nouveau les « groupes gauchistes » et « les parlementaires » ayant manifesté le 10 novembre dernier contre l’islamophobie. À Nicolas Demorand – en mal de cibles plutôt que d’arguments (« Vous parlez des insoumis ? De la France insoumise ? ») – Bernard Cazeneuve répand un semi-flou : « Ils se reconnaîtront, je parle bien entendu d’un certain nombre de députés insoumis, mais pas seulement. »

Mais n’allons pas si vite… Car c’est sans doute le dimanche 18 que les saillies contre « l’islamo-gauchisme » ont pris toute leur ampleur. À la faveur, notamment, d’agitateurs réactionnaires ou d’extrême droite ayant revendiqué, dans les médias, leur refus de se rendre au rassemblement pour Samuel Paty (place de la République à Paris), en raison de la présence de la France insoumise (entre autres). Dans Causeur, Céline Pina repart ainsi à l’offensive : « Les organisateurs appartiennent pour l’essentiel à la gauche qui a sombré dans l’islamo-gauchisme. […] Je ne défilerai pas aux côtés de ceux qui tiennent la porte à l’idéologie des assassins. […] Et surtout je refuse de défiler auprès des syndicats enseignants. Ceux-là mêmes qui par lâcheté ont laissé la situation dériver. » Avant de lister les « traîtres » un à un, de la FCPE à SOS Racisme en passant par la Ligue des droits de l’homme, la FIDL et l’Unef, tous « comptables […] de toute cette horreur », accusés de « légitimer la sauvagerie ».

Présent au rassemblement, Manuel Valls remet dix pièces dans la machine dans un duplex sur BFM-TV, ciblant une nouvelle fois la « très grande complicité » et la « très grande responsabilité » de Jean-Luc Mélenchon. Une intervention qui lui vaut d’être propulsé en plateau, quelques heures plus tard, en tant qu’invité principal de l’émission « BFMTVSD »:

Jean-Baptiste Boursier : Pardon je m’arrête là-dessus c’est très important parce que tout à l’heure je vous ai écouté avec attention. Vous étiez place de la République, vous avez eu des mots extrêmement durs, et notamment à l’endroit de la France insoumise, de Jean-Luc Mélenchon. Vous avez dit ils ont une forme de responsabilité dans cette lâcheté ?

Il n’en fallait guère plus à Manuel Valls pour renouveler et compléter le listing des complices : « La France insoumise, la gauche journalistique – Edwy Plenel, la gauche syndicale bien sûr – l’Unef, mais aussi la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme. » Quasiment à la même heure, la « camarade de barricade » de Manuel Valls (7), Caroline Fourest, se livre au même procédé sur le plateau de « C politique » (France 5), dénonçant l’Observatoire de la laïcité et appelant solennellement à ce que « les syndicalistes qui se disent à gauche arrêtent de tolérer d’être noyautés par des militants qui sont des militants obscurantistes. » Là encore, aucune précision ni le début du commencement d’une contradiction ne seront apportés par les journalistes.

Invité le lundi 19 dans la matinale de RTL, Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, dénonce les manifestants du 10 novembre 2019 en désignant Jean-Luc Mélenchon et Esther Benbassa. Avant de conclure : « On ne peut pas être en même temps Obono et Charlie Hebdo. » Un plaidoyer qu’il renouvelle sur « C à vous » (France 5) le soir-même, en dénonçant à nouveau Jean-Luc Mélenchon et Éric Coquerel, « qui trahissent tous les idéaux de la République […] en allant manifester le 10 novembre dernier avec le CCIF. » Là encore, la présentatrice Anne-Élisabeth Lemoine avait en amont bien labouré le terrain : « C’est pour ça qu’il vous est insupportable de voir hier place de la République des responsables politiques, eux qui ont été longtemps dans le déni ? Jean-Luc Mélenchon était présent […]. »

Ces quelques exemples – concentrés sur les trois premiers jours ayant suivi l’assassinat – donnent une idée de la rapidité avec laquelle le thème des « complices intellectuels » et de « l’islamo-gauchisme » s’est imposé dans le débat médiatique. Ils donnent également un bon aperçu de l’absence totale de contradiction de la part des journalistes, suscitant ou relayant des anathèmes et des concepts pourtant fumeux, sans ressentir le besoin d’argumenter. Et surtout, en assurant une présence médiatique quotidienne à leurs auteurs, tout au long de la semaine.

Pour ne donner que quatre exemples : Caroline Fourest écrit un édito dans Marianne le 17, passe sur France Inter et dans « C Politique » le 18, dans Elle le 19, dans L’Express, sur LCI et France 2 le 21 (entre autres !) ; Céline Pina écrit dans Causeur (les 17, 18 et 21), passe sur LCI les 17, 20 et 27, sur Sud Radio les 20 et 27, sur Public Sénat le 21, dans Front populaire le 24, Atlantico le 26, et fait même une apparition dans le « 13h » de TF1 le 20.

Manuel Valls, lui, est bel et bien de retour : le 17 sur France Info, le 18 sur Europe 1 et BFM-TV, le 21 sur Europe 1, BFM-TV et LCI, le 23 dans le talk du Figaro et sur TV5 Monde, le 27 sur Public Sénat… Quant à Pascal Bruckner, on peut le lire le 16 dans Le FigaroVox, l’entendre le 19 sur Europe 1, le 20 sur LCI, le 21 dans les « Grandes gueules » puis sur Arte, le 22 dans la matinale d’Inter et sur France Culture.


Une coproduction politico-médiatique


Si l’agenda médiatique est donc très vite accaparé par les accusations de « complicité » d’une partie de la gauche, la chasse aux sorcières prend une ampleur supplémentaire avec les prises de position médiatiques de plusieurs membres du gouvernement.

Le 19 octobre sur Europe 1, le ministre de l’Intérieur fait part de son souhait de dissoudre des associations, notamment Baraka City et le CCIF. Face à lui, Sonia Mabrouk rappelle ses accusations proférées deux semaines plus tôt à l’Assemblée nationale : « Vous avez dit à l’Assemblée, Gérald Darmanin, qu’il y a un islamo-gauchisme lié à la France insoumise qui détruit la République… qui détruit la République ! » Loin d’en interroger la pertinence, elle les atteste et s’interroge : « Qu’est-ce qu’on fait pour empêcher cela ? » Au ministre, qui tempère (« Les mots de temps de peine ne sont pas les mots de temps de guerre. Moi je veux attaquer personne en particulier. Je suis très content que beaucoup de gens se réveillent »), elle semonce : « Est-ce qu’il y n’a pas des réveils tardifs ? »

Le lendemain soir (20 octobre), sur BFM-TV, le ministre de l’Intérieur s’aligne explicitement sur les mots de Patrick Cohen, tenus la veille dans « C à vous » (« M. Cohen en a témoigné ») et s’en prend à Sud Éducation et Edwy Plenel : « Je me dis qu’il y a de la lâcheté intellectuelle évidemment, et qu’ils sont aussi entre guillemets responsables de cette ambiance, de température, qui permet à des individus de passer à l’acte en excusant tout. » La coproduction politico-médiatique de tels anathèmes ne fait que commencer…

À compter du 22 octobre, des ministres et membres de la majorité relayent ce discours dans les médias ou à l’Assemblée nationale (8).

Mais c’est surtout l’interview du ministre de l’Éducation nationale par Sonia Mabrouk (décidément…) le 22 octobre sur Europe 1 qui remettra, à compter du jeudi et plusieurs jours durant, la question de l’ « islamo-gauchisme » à l’ordre du jour médiatique. Et, plus précisément ce passage :

Jean-Michel Blanquer : Moi je pense surtout aux complicités intellectuelles du terrorisme. C’est ce point que je souhaite souligner en ce moment. Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée.

Sonia Mabrouk : Qui par exemple ? Des milieux intellectuels, universitaires ? Citons-les !

Jean-Michel Blanquer : Oui on peut les citer, ce qu’on appelle communément l’islamo-gauchisme fait des ravages.

Et le ministre de citer « l’université », « les rangs de la France Insoumise » ou « l’Unef » comme « complices intellectuels de crimes ». L’AFP y consacre une dépêche le jour-même – reprise partout : sur les sites de L’Obs, Le Parisien, Le Point, La Provence, Paris Match, Ouest-France, Nice Matin, L’Express, Challenges, La Voix du Nord, 20 Minutes, et ceux de BFM-TV, CNews, i24 News, France 24, RTL et encore celui de France Info. Le buzz est garanti, et la mécanique médiatique est relancée. Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Opinion, RT France, Atlantico publient également des articles sur ce passage de la déclaration du ministre… Relayés, commentés ou critiqués, ses propos sont partout. Et bien sûr, également dans les talk-shows – c’est qu’ils donnent matière à débat : dès le 22 octobre sur CNews (dans « L’heure des pros 2 » puis dans « Soir Info ») et LCI (« 20h Darius Rochebin »), le 23 octobre sur RMC (« Les Grandes gueules »), le 24 sur CNews (« Midi News Week-end ») et France 5 (« C l’hebdo »), le 26 sur LCI (« 24h Pujadas »).

Les chroniqueurs de « L’heure des pros », une des émissions phares de CNews, ne sont pas avares en outrances. Le 22, Gilles-William Goldnadel tranche à propos d’un syndicaliste cheminot : « [Anasse Kazib] c’est Sud Rail, et c’est largement autant l’islamisme que le gauchisme » ; le lendemain Ivan Rioufol (du Figaro) se lance dans une des tirades hallucinées dont il a le secret :

Ce sont des fascistes, ce sont des islamo-fascistes, des nazislamistes [sic], des totalitaristes appelez-les comme vous voulez, ce sont des antidémocrates. D’ailleurs il est temps aujourd’hui de mettre un cordon sanitaire […] pour tous ces partis, notamment d’extrême gauche, qui pactisent aujourd’hui avec ceux qui ont décidé de l’effondrement de la France.

Ce 22 octobre, Pascal Praud a senti le basculement : « C’est intéressant, parce que ce n’est pas Marine Le Pen qui le dit, ce ne sont pas des éditorialistes qui le disent, c’est le ministre de la République. Et cette phrase (…) n’aurait pas pu être dite il y a huit jours ». Il est suivi par sa bande :

Gilles-William Goldnadel : « L’expression “islamo-gauchiste”, je l’ai employée à peu près depuis 20 ans, et pendant très longtemps, on ne parlait pas des ravages qu’il faisait, on disait que j’étais un ravagé moi-même ».

Ou Ivan Rioufol, le lendemain, toujours sur CNews : « Ça fait très longtemps que nous sommes quelques-uns à dénoncer l’islamo-gauchisme. Et jusqu’alors effectivement nos paroles ne passaient pas… ne passaient guère les murs. Aujourd’hui les murs s’effondrent, tant mieux ».

Un bilan que tirait aussi Marianne (en s’en réjouissant) le 22 octobre : « On voit les complaisants politiquement corrects de l’UNEF se faire huer comme collabos dans les manifestations – ; qui parle d’islamo-gauchisme, d’années d’aveuglement et de laxisme n’est plus à la droite d’Attila ».

Et on a vu sur les chaînes d’info en continu, dans les éditos de la presse hebdomadaire, sur l’audiovisuel public se poursuivre cette chasse aux sorcières (9). Le dimanche 25 octobre sur France Culture, Brice Couturier reprend ainsi à son compte la « thèse » de Jean-Michel Blanquer :

Je pense que Jean-Michel Blanquer a tout à fait raison de souligner qu’il y a tout un tissu intellectuel, tout un écosystème intellectuel et médiatique qui a couvert, qui a just…, qui a légitimé en essayant de comprendre. […] On a été très très loin quand même dans la légitimation de ces actes de guerre qui sont dirigés contre notre pays et contre nos concitoyens. Il faut que ça cesse ! Il y a des gens qui ont manifesté en novembre avec les islamo-gauchistes, avec les islamistes en criant « Mort aux juifs » dans les rues, et qui aujourd’hui retournent leur veste parce qu’ils ont compris que les Français étaient exaspérés

Avant de se faire le porte-parole de Manuel Valls en fustigeant, tout en nuance, une gauche « indigéniste, racialisante, qui déteste la laïcité et qui veut renverser la République. » Et de conclure, hargneux : « Ces gens-là sont en train de faire l’objet d’un rejet très violent de la part de la population, c’est bien fait pour eux. »

Valérie Toranian, directrice de la rédaction de la Revue des deux mondes, accrédite également les propos du ministre de l’Éducation nationale dans un éditorial publié sur le site du mensuel:

Les collabos se recrutent à tous les étages de notre société. Dans les médias, à l’université, très justement accusée par Jean-Michel Blanquer d’être souvent le lieu d’un islamo-gauchisme qui fait des ravages..

Le 26 octobre, c’est encore Alain Finkielkraut qui, seul sur le plateau de LCI pour répondre aux « questions » de David Pujadas, s’en donne à cœur joie. Faut-il dénoncer l’islamo-gauchisme demande Pujadas ? Bien sûr, répond Finkielkraut :

L’islamo-gauchisme n’est pas un fantasme droitier. C’est une triste réalité. […] L’islamo-gauchisme, c’est Danièle Obono, députée de la France insoumise qui ne pleure pas pour Charlie, qui réserve ses larmes pour Dieudonné. L’islamo-gauchisme c’est Emmanuel Todd […]. L’islamo-gauchisme c’est en effet Jean-Luc Mélenchon […].

La violence est telle que les (très rares) personnes accusées d’ « islamo-gauchisme » qui furent invitées à « s’exprimer » ont en réalité été jetées en pâture et soumises à des interrogatoires journalistico-policiers en règle. Comme l’a signalé Laurence de Cock, ce fut notamment le cas de la présidente de l’Unef, Mélanie Luce, lors de l’émission « Signes des temps » présentée par Marc Weitzmann sur France Culture.

Bref. Plus d’une semaine après l’assassinat de Samuel Paty, l’hystérie médiatique à propos des « islamo-gauchistes » continuait, appelant la surenchère d’une Marine Le Pen sur RTL ou celle d’un Alain Finkielkraut sur LCI (fustigeant l’ « islamo-clientélisme » et l’ « islamo-humanisme » !) Le 22 octobre, Le Figaro rapportait d’ailleurs le désarroi du Rassemblement national, « à l’épreuve de la banalisation de ses idées ».

***


La semaine de matraquage ayant suivi l’assassinat de Samuel Paty témoigne de l’emprise des obsessions réactionnaires, du degré d’hystérie du débat médiatique. Et de folles contradictions : ainsi certains journalistes peuvent-ils, dans le même temps, vanter les mérites de l’éducation et de la connaissance ; et contribuer à la misère du débat public en favorisant la circulation circulaire d’amalgames et d’anathèmes sans fondements qui neutralisent, par avance, toute discussion et toute réflexion.

Et les mêmes têtes d’affiches qui claironnent en chœur la défense de la liberté d’expression se livrent par ailleurs à une campagne de disqualification et de stigmatisation d’un pan toujours plus vaste de la société : associations, organismes publics, organisations de défense des droits humains, syndicats enseignants et étudiants, milieu de la recherche, intellectuels et partis politiques, accusés en bloc de « complicité » avec le terrorisme. Le tout en marginalisant leurs prises de parole, ou plutôt en les excluant purement et simplement de l’espace du débat public, comme ce fut le cas en cette semaine.

Après les attentats de 2015, déjà, dans l’article « ‘‘ Avec nous, ou avec les terroristes’’ : les éditorialistes-faucons sont de retour », nous analysions le matraquage auquel se livraient les mêmes personnalités que l’on retrouve aujourd’hui contre les voix dissidentes de l’époque :

Au-delà de l’évidente condamnation de ces actes ignobles et de l’expression de la solidarité avec les victimes et leurs proches, certaines organisations et certains individus ont tenté de faire entendre une voix discordante, refusant de s’identifier de manière acritique à la politique française, qu’elle soit étrangère ou intérieure. […] Ces voix discordantes ont-elles raison ? Là n’est pas la question. Il s’agit plutôt de savoir si elles ont le droit de s’exprimer dans l’espace public et, singulièrement, dans l’espace médiatique. Nous estimons que oui, car rien ne saurait justifier l’interruption du débat démocratique, a fortiori dans un moment où une population sous le choc a envie, et besoin, de réfléchir et de comprendre. […] Réfléchir, comprendre, expliquer, ce n’est pas justifier. Il serait temps que certains le comprennent pour ne pas répéter éternellement les mêmes erreurs en faisant régner une terreur intellectuelle qui, sous couvert de défense de la liberté, tend à ruiner encore un peu plus les conditions élémentaires du débat démocratique.

Nous assistons, cinq ans plus tard, à une réactivation amplifiée de ce moment médiatique. « Réactivation » car les raisons et les processus médiatiques de la disqualification sont identiques. « Amplifiée » car le matraquage est massif, irriguant désormais la quasi-totalité de l’espace médiatique. Et se traduit par la mise au ban par anticipation des « complices » supposés, auxquels certains journalistes vont jusqu’à dénier le droit du recueillement et de l’émotion.

« Contre le parti collabo » écrivait Jacques Julliard dans un édito de Marianne en septembre 2016, fustigeant les « arrières-greniers de la pensée collabo », leur « esprit de soumission » et les « intellectuels » au sens large. « Ce n’est pas ma faute à moi si dans le langage populaire intello rime avec collabo. » Contre ce niveau d’argumentation, contre le piétinement de la pensée, contre les verrouillages du débat et pour la liberté d’expression : voilà à quoi nous en appelons plutôt.


Frédéric LemaireMaxime Friot et Pauline Perrenot, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed

1_ Voir le communiqué d’Acrimed ici-même.

2_ Le Collectif contre l’islamophobie en France est une association dont l’objet est de lutter contre l’islamophobie — définie par elle comme « l’ensemble des actes de rejet, de discrimination ou de violence perpétrés contre des institutions ou des individus en raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à la religion musulmane » (Wikipédia). Il a, dès le début, été visé par le gouvernement et les commentateurs médiatiques.

3_ Lire à ce sujet cet article de la page Checknews du site de Libération.

4_ Ce passage a été complété le 31/10/2020.

5_ Pourfendeur de longue date de « l’islamo-gauchisme », Jacques Julliard écrivait par exemple en 2018 dans La revue des deux mondes : « L’islamo-gauchisme […] est le fait d’intellectuels, de groupuscules, de certains médias comme Mediapart. Ce n’est pas un mouvement organisé, son importance vient de son influence sur le monde des médias (beaucoup de journaux, de radios, la presse de gauche en général, Libération en particulier). Aujourd’hui un certain nombre de personnalités de gauche sont fascinées par ces formes inédites d’obscurantisme religieux. »

6_ À ce sujet, on pourra également se reporter aux articles de Libération : « Islamo-gauchisme, aux origines d’une expression médiatique » (14/04/16) et « En finir avec l’ »islamo-gauchisme » ? » (23/10/2020)

7_ L’expression est de Manuel Valls, France Info, 17 oct.

8_ Par exemple, la députée LREM Aurore Bergé qui exprime sa « colère face à ceux qui ont mis leurs pas dans ceux du CCIF. » Ou encore le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui « dénonce » dans Le Figaro, « l’attitude de certains partis politiques comme La France insoumise ou une fraction des Verts » et « la complaisance de certains syndicats étudiants comme l’Unef. » Il se répétera, le lendemain (23 octobre), chez Sonia Mabrouk.

9_ Dans le même temps, le défilé médiatique des membres du gouvernement et de la majorité se poursuit pour lister les « complices », par exemple Aurore Bergé sur LCP le 23 octobre, ou Jean-Michel Blanquer dans le JDD et Marlène Schiappa sur CNews le 25.

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LE CNRS EST CLAIR

Voici son mot daté 17 février

L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique 

17 février 2021 

Institutionnel

« L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

Contact

Priscilla Dacher 

Responsable du bureau de presse du CNRS

www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme

https://www.cnrs.fr/fr/l-islamogauchisme

Jenin, Jenin…. Palestine oubliée

(vous pouvez visionner le film – en 2 parties – ici sur cette page. cf plus bas)

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Une pétition circule pour dénoncer la censure israélienne contre le film « Jenin, Jenin » du Palestinien Mohamed BAKRI

Levez l’interdiction du film « Jenin, Jenin » de Mohammed Bakri !

20 janvier 2021

Membres de la communauté mondiale du cinéma, nous dénonçons la décision d’un tribunal israélien d’interdire toute projection ou diffusion du film documentaire “Jenin, Jenin”, et nous exprimons notre solidarité avec son auteur, notre collègue Mohammed Bakri, éminent réalisateur et acteur palestinien. En défense de la liberté d’expression, nous vous demandons de vous associer à notre appel à lever cette interdiction révoltante. 

C’est avec consternation et indignation que nous avons appris la décision du tribunal d’instance de la ville de Lod d’interdire toute projection ou diffusion du film documentaire “Jenin, Jenin”, tourné en 2002 par Mohammed Bakri, réalisateur et acteur palestinien renommé.

Dans sa décision scandaleuse, le tribunal affirme que certaines allégations du film – qui décrit des évènements ayant eu lieu dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine au long d’une période de deux semaines en avril 2002 – sont fausses. Outre qu’il interdit toute projection du film en Israël, le tribunal rend une ordonnance de confiscation de 24 copies du film et ordonne au réalisateur du film de payer 175 000 shekels (55 000 dollars étasuniens) de dommages et intérêts à un officier israélien qui apparaît dans le film, ainsi que 50 000 shekels (15 500 dollars étasuniens) de frais de justice.

Mohammed Bakri, qui n’a cessé depuis 17 ans d’être harcelé et persécuté par le gouvernement israélien, montre de façon documentaire, sans commentaire, sans voix off, les suites de la destruction brutale du camp de réfugiés de Jénine commise par l’armée israélienne en 2002. Il dédie le film à son producteur Lyad Samoudi, tué par des soldats israéliens dans le gouvernorat de Jénine peu après la fin du tournage. 

Nous demandons instamment à la communauté mondiale, et en particulier à la famille globale du cinéma, de s’associer à nous pour dénoncer cette tentative flagrante de censure. Les autorités israéliennes responsables, y compris le ministre de la Culture, doivent répondre de cet acte.

La subjectivité est un aspect essentiel de l’expression artistique et cinématographique. Nous demandons donc à nos collègues et camarades de s’associer à nous pour dénoncer les allégations portées contre Bakri et les efforts des autorités israéliennes pour compromettre la liberté d’expression et la liberté artistique des cinéastes et des artistes palestiniens. 

Nous exigeons enfin l’annulation de la décision inacceptable du tribunal israélien, qui menace le droit fondamental des cinéastes et des artistes à exprimer librement leur point de vue.

Rejoignez Ken Loach, Aki Kaurismaki, Mike Leigh, Alia Shawkat, Liam Cunningham, Vanessa Redgrave, Hany Aby Assad, Mai Masri, Michel Khleifi, AnneMarie Jacir,  Eyal Sivan, Robyn Slovo, Asif Kapadia, Rasha Salti, Raed Andoni, May Odeh, Ali Suliman, Orwa Nyrabia, Christoph Terhechte, Henrique Goldman, Paul Laverty, Rebecca O’Brien, Ola Alsheikh, David Riker, Asia Kapadia, Brian Eno, Miriam Margolyes, Sawsan Asfari…

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+ Ahmed Hanifi         ahmedhanifi@gmail.com

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CE QUE DIT CETTE MAGNIFIQUE ADOLESCENTE EST TRÈS ÉMOUVANT

ET INCITE À L’ESPOIR POUR LE PEUPLE PALESTINIEN

TRADUCTION EN FRANÇAIS

« Ils ne réalisent pas ce qu’ils font, combattre l’ennemi, cela ne veut pas dire que je suis cruelle. Je défends ma patrie. Je défends mon camp. Nous ne ferons jamais la paix avec eux. Même si notre président la fait. Je ne ferai jamais la paix avec eux. C’est vrai que je suis une bonne personne, mais les juifs sont odieux. Ils nous ont envahis. Nous défendons notre terre. S’ils capturent votre fils, ne feriez-vous rien pour le récupérer? Nous ressentons donc la même chose pour notre terre. Notre terre signifie tout pour nous. Comme nous le disions, nos femmes existent toujours. Nous continuerons d’avoir des enfants. Ils deviendront plus forts et plus courageux que jamais. Je n’ai pas peur de ces lâches. Ils sont comme des souris. Malgré leurs grandes armes. Ils se cachent toujours derrière leurs chars, effrayés par les civils comme nous. Leur lâcheté est légendaire. Nous n’avons pas peur d’eux quoi qu’ils fassent. Leurs bombes sont tombées sur nous comme de l’eau car ce sont des perdants et des lâches…

Quand j’ai appris que Sharon venait au camp, j’étais tellement en colère que j’ai éclaté en sanglots. Parce que j’avais un grand désir de me venger de lui, de le torturer pour ainsi dire.

– Croyez-vous que vous pouvez vaincre Sharon?

Oui je peux, pourquoi pas?

– Il est plus fort que vous, comment pourriez-vous le faire?

Je suis plus forte que lui, grâce à ma volonté. Je peux le vaincre grâce à ma volonté. Parce que je défends ma nation, parce qu’il a tué des innocents que je connaissais très bien. Je peux le vaincre parce qu’il a dispersé notre peuple. Il a détruit chaque coin du camp sans épargner une seule maison. »

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TRADUCTION EN ANGLAIS

They don’t realize what they’re doing, fighting the enemy, this doesn’t mean that I am cruel. I defend my motherland. I defend my camp. We will never make peace with them. Even if our President does so. I will never make peace with them. It’s true that I’m a good person but Jews are hateful. They invaded us. We are defending our land. If they capture your son, wouldn’t you do anything to get him back? So we feel the same for our land. Our land means everything to us. As we used to say, our women still exist. We’ll keep on having children. They’ll become stronger and braver than ever. I’m not afraid of these cowards. They’re like mice. Despite their great weapons. They still hide behind their tanks, afraid of civilians like us. Their cowardice is legendary. We are not afraid of them no matter what they do. Their bombs came down on us like water because they’re losers and cowards…

When I heard that Sharon was coming to the camp, I was so angry that I burst, into tears. Because I had a great desire to take revenge on him, to torture him so to speak. 

_ Do you beleave you can defeat Sharon?

Yes I can, why not?

_ He’s stronger than you, how would you be able to?

I’m stronger than him, thanks to my will. I can defeat him thanks to my will. Because I’m defending my nation, because he murdered innocent people whom I knew very well. I can defeat him because he has dispersed our people. He destroyed each corner in the camp without sparing one single house.

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1° PARTIE

CLIQUER ICI POUR VOIR LA PARTIE 1 DU FILM

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2° PARTIE

CLIQUER ICI POUR VOIR LA PARTIE 2 DE « JENIN, JENIN »

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ARTICLES

Dix-huit ans après sa sortie, la justice israélienne décide d’interdire le documentaire Jenin, Jenin 

13 janvier 2021

Situé au nord de la Cisjordanie occupée, le camp de réfugiés palestiniens de Jénine a été le théâtre de graves violences du 3 au 11 avril 2002. 52 Palestiniens et 23 soldats israéliens ont été tués lors de l’opération « Rempart » lancée par Tsahal après une série d’attentats commis en Israël dont celui du 27 mars 2002 à l’hôtel Park de Netanya.

Le documentaire Jenin, Jenin (Mohammed Bakri, 2002), qui raconte cette histoire tragique, a été jugé « biaisé » par la justice israélienne le 12 janvier 2021, laquelle a décidé de l’interdire – en exigeant même la remise des copies – et de condamner pour diffamation son réalisateur à payer 175 000 shekels (environ 43 000 euros) au lieutenant-colonel Nissim Magnagi que l’on peut identifier dans le film de 54 minutes.

Le réalisateur a qualifié ce jugement « d’injuste », précisant à l’AFP qu’il allait faire appel. Pour Hussein Abou Hussein, son avocat, « il s’agit d’une décision politique » qui a pour finalité de « faire taire toute voix qui diffère de la position officielle ». Selon le ministre palestinien de la Culture, Atef Abou Seif, « les autorités militaires israéliennes ont peur de voir les faits qui exposent leur brutalité et la souffrance des Palestiniens ». Pour sa part, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a salué « un soutien clair et net adressé aux combattants de l’armée ».

Notons que des réservistes avaient déjà porté plainte en 2008 pour diffamation, des plaintes alors rejetées par la justice qui a toutefois considéré que le réalisateur avait fait preuve de « mauvaise foi », lui reprochant notamment de ne pas avoir présenté la version de l’armée pour contrebalancer les témoignages des habitants du camp de réfugiés.

Rappelons enfin la polémique soulevée en France en 2003 après qu’Arte a annulé la diffusion du documentaire initialement programmée sur la chaîne publique le 1er avril à 21h40 dans la soirée Thema, « Dialogues israélo-palestiniens » en raison « de la situation internationale » et pour « ne pas accroître les tensions entre les communautés ». Des cinéastes israéliens et palestiniens avaient alors adressé une lettre ouverte à Jérôme Clément, président d’Arte :

« Les cinéastes israéliens et palestiniens participants actuellement, à Paris, au Festival « Israéliens – Palestiniens, que peut le cinéma ? », ont appris avec stupéfaction votre décision de déprogrammer le film Jenine, Jenine, du réalisateur palestinien Mohamad Bakri, annoncé dans le cadre de la soirée thématique du mardi 1er avril « Dialogues israélo-palestiniens », l’ennemi à mes côtés. Nous protestons vigoureusement contre cet acte de censure, probablement dû à des pressions politiques exercées par des éléments extérieurs à la direction d’Arte. En cédant à ces pressions, Arte emboîte malheureusement le pas à la censure officielle exercée en Israël contre ce film. Tous les films, fictions ou documentaires, sont des représentations de la société dans laquelle nous vivons. Avec nous, Arte se doit de partager et de discuter les différentes versions qui existent de cette même réalité, plutôt que de les interdire ou de réduire leurs auteurs au silence. Nous tenons à vous faire savoir que la réalisatrice Yulie Gerstel et le réalisateur Nitzan Giladi, auteurs des films israéliens programmés dans le cadre de cette même soirée thématique, nous ont demandé de joindre leurs noms à cette protestation. »

www-darkness-fanzine-over-blog-com-2021-01

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« Jenine, Jénine » : laissez-vous censurer par Arte

Par Germinal Pinalie, lundi 7 avril 2003

Autocensure : Arte en repasse une couche sur « Jénine, Jénine », film déprogrammé par la chaîne.

Le magazine Metropolis diffusé par Arte ce samedi 5 avril 2003 comportait un reportage sur le film « Jénine, Jénine » de Mohammed Bakri, réalisé à Tel Aviv par une équipe allemande semble-t-il (le magazine en question est réalisé alternativement par les rédactions parisienne et allemande de la chaîne je crois). Ce reportage se terminait sur ce commentaire :

« Comme documentaire, c’est à dire comme représentation de la réalité, le film de Bakri n’est pas crédible. Mais en le censurant, les autorités israéliennes se dont mis une partie de l’opinion publique à dos, et en ont fait un film culte, ce qu’il ne serait jamais devenu sans cela. » 

À aucun moment ce reportage ne faisait allusion au fait que le film en question a été déprogrammé par la direction d’Arte [lire plus bas « Arte déprogramme un documentaire sur Jénine »] suite à des protestations émises par des groupes pro-israéliens, parmi lesquels la LICRA, arguant justement du fait que le film avait été censuré en Israël. Le reportage d’Arte ne parle que de cette censure, mais pas de l’autocensure d’Arte. Il ne donne comme élément de compréhension distancié que le rapide décryptage par un correspondant de chaînes étasuniennes d’images utilisées par Bakri, en plus d’une interview du cinéaste, de celles d’un censeur israélien et d’un soldat qui a demandé cette censure, accompagné de son avocat. En dehors du cinéaste lui-même, tous les témoignages sont « contre », y compris donc le correspondant en question qui arrive à retourner les images du dynamitage d’un immeuble de Jénine en opération militaire légitime.

Ce reportage est scandaleux, d’abord pour ce qu’il montre, à savoir qu’Arte met en scène l’info comme tout le monde, et pour ce qu’il cache, à savoir qu’Arte ne parle pas de son autocensure dans un reportage sur la censure… 

Non seulement nous n’aurons pas pu voir ce film, mais en plus ils auront craché dessus… « Lassen sie sich von Arte überaschen », qu’ils disaient…

Germinal Pinalie

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Arte déprogramme un documentaire sur Jénine

mercredi 2 avril 2003

« Arte a déprogrammé le documentaire « Jénine, Jénine » qui devait être diffusé mardi 1er avril à 21H40 dans une soirée Thema, « Dialogues israélo-palestiniens », en raison « de la situation internationale » et pour « ne pas accroître les tensions entre les communautés ».

« Jénine, Jénine » est un documentaire réalisé par Mohammed Bakri, Arabe israélien, sur les violences dans le camp de Jénine au printemps 2002, qui ont fait une cinquantaine de morts [Chiffre contesté (note d’Acrimed)].

[…] La diffusion de ce documentaire, précise ARTE dans un communiqué, sera reportée à une date ultérieure et accompagnée d’un débat. »

WWW_acrimed-org

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Amanda Gorman

La jeune poétesse Amanda Gorman (22 ans) lors de la cérémonie 

d’investiture de Joe Boden, 46° président des États-Unis, 

le mercredi 20 janvier 2021 _ Elle lit un poème qu’elle a écrit pour la circonstance :

The Hill We Climb.

Nous l’avons tous vue, entendue, hier.

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CLIQUER ICI POUR ÉCOUTER, VOIR, AMANDA GORMAN. (VIDÉO)

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www.franceculture.fr

Amanda Gorman, plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d’investiture dans l’histoire des États-Unis

20/01/2021 – Par Maïwenn Bordon 

Amanda Gorman, 22 ans, été choisie pour composer et réciter un poème sur l’unité nationale lors de la cérémonie d’investiture de Joe Biden à la présidence des États-Unis, ce mercredi 20 janvier. C’est la plus jeune poétesse jamais invitée à cette cérémonie dans l’histoire du pays. 

« When day comes we ask ourselves, / where can we find light in this never-ending shade? / The loss we carry, / a sea we must wade » : c’est par ces mots que commence le poème lu par Amanda Gorman, la plus jeune poétesse jamais invitée à une cérémonie d’investiture dans l’histoire des États-Unis. Originaire de Los Angeles, elle a été choisie par Joe Biden pour composer et réciter un poème lors de sa prise de fonction à la Maison Blanche, ce mercredi 20 janvier. Selon la presse américaine, la Première Dame, Jill Biden, apprécie beaucoup le travail de cette poétesse de 22 ans, originaire de Los Angeles, et a convaincu le comité chargé de la cérémonie d’investiture de la choisir. Cette tradition démocrate du poète inaugural remonte à l’investiture du président John Fitzgerald Kennedy : le 20 janvier 1961, le poète Robert Frost avait alors récité The Gift Outright. En 2009, Barack Obama avait par exemple choisi Elizabeth Alexander, qui avait récité Praise Song for the Day pour sa première cérémonie d’investiture. Le poème lu par Amanda Gorman pour l’investiture du 46e président des États-Unis, est intitulé The Hill We Climb (La colline que nous gravissons), et aborde le thème de l’unité nationale.

Un poème sur l’unité nationale

Selon le New York Times, le comité d’organisation de la cérémonie d’investiture de Joe Biden a contacté Amanda Gorman à la fin du mois dernier. Elle a appris à ce moment-là que Jill Biden avait vu, à la Bibliothèque du Congrès en 2017, une lecture de son poème In This Place : An American Lyric, dans lequel la jeune poétesse condamne la marche raciste de Charlottesville en Virginie. La future Première Dame avait alors suggéré que la poétesse lise un poème lors de l’investiture. Aucune consigne ne lui a été donnée, mais elle a été encouragée à insister sur l’unité et l’espoir. « Gorman a commencé le processus, comme elle le fait toujours, avec des recherches. _Elle s’est inspirée des discours des leaders américains qui ont essayé de rassembler les citoyens pendant des périodes de division intense_, comme Abraham Lincoln et Martin Luther King. Elle a également parlé à deux des précédents « poètes inauguraux », (Richard) Blanco et (Elizabeth) Alexander« , affirme le New York Times.

Le poème d’Amanda Gorman fait référence au quartier de Washington, Capitol Hill, où se situe le siège du Congrès américain. Selon le New York Times, la poétesse de 22 ans était arrivée environ à la moitié de son poème lors que les militants pro-Trump ont envahi le Capitole : elle est restée éveillée cette nuit-là et a ajouté des vers au poème pour décrire ces scènes apocalyptiques qui ont ébranlé les États-Unis. 

“We’ve seen a force that would shatter our nation rather than share it / Would destroy our country if it meant delaying democracy / And this effort very nearly succeeded / But while democracy can be periodically delayed, / It can never be permanently defeated / In this truth, in this faith we trust. 

Nous avons vu une force qui détruirait notre nation plutôt que de la partager / Détruirait notre pays si cela veut dire retarder la démocratie / Et cet effort était à deux doigts de réussir / Mais pendant que la démocratie peut être ponctuellement retardée / Elle ne peut être vaincue de façon définitive / Nous croyons en cette vérité, en cette foi », écrit Amanda Gorman dans cet extrait du poème dévoilé par le New York Times, avant l’investiture. »

Dans The Hill We Climb, Amanda Gorman évoque son parcours, qui fait écho à celui de Kamala Harris, devenue la première femme à accéder au poste de vice-présidente des États-Unis. « We the successors of a country and a time / Where a skinny Black girl / descended from slaves and raised by a single mother / can dream of becoming president / only to find herself reciting for one (Nous les héritiers d’un pays et d’une époque / où une fille noire maigre / descendante des esclaves et élevée par une mère célibataire / peut rêver de devenir présidente / seulement parce qu’elle se retrouve à réciter pour l’un d’eux)« , a déclaré Amanda Gorman à travers son poème.

Contrairement à ses prédécesseurs, la jeune poétesse a dû relever un défi de taille : composer un poème qui appelle à l’unité et à l’espoir, alors que les Américains sont plus divisés que jamais au sortir de la présidence de Donald Trump. Son poème reflète donc cette Amérique « en désordre« . « Je dois reconnaître cela dans le poème. Je ne peux pas l’ignorer ou l’effacer. Et donc, j’ai élaboré un poème inaugural qui reconnaît ces cicatrices et ces blessures. J’espère qu’il nous fera progresser vers leur guérison« , a confié Amanda Gorman au Los Angeles Times. 

Selon le journal Los Angeles Times, la jeune poétesse a écouté de la musique pour l’aider à composer son poème et avoir un « état d’esprit historique et épique« , avec notamment les bandes originales des séries The Crown, Lincoln, Darkest Hour et Hamilton. Lors de la cérémonie d’investiture, Amanda Gorman a lu son poème pendant six minutes, d’une voix assurée alors qu’elle savait que des millions d’Américains avaient les yeux rivés sur elle et son message. 

« We are striving to forge a union with purpose / To compose a country committed to all cultures, colors, characters and / conditions of man / And so we lift our gazes not to what / stands between us / but what stands before us / We close the divide because we know, to put our future first, / we must first put our differences aside / We lay down our arms / so we can reach out our arms / to one another (Nous nous battons pour forger une union avec un but / Pour composer un pays engagé dans toutes les cultures, couleurs, personnages et / conditions de l’homme / Et nous levons nos regards non pas vers / ce qui se tient entre nous / mais vers ce qui se tient face à nous / Nous mettons fin au clivage parce que nous savons, mettre notre futur en premier, / nous devons mettre nos différences de côté / Nous déposons nos armes / pour atteindre nos bras / et en former un autre », invite Amanda Gorman dans The Hill We Climb.

Une étoile montante de la poésie 

Amanda Gorman est tombée amoureuse des mots et de la poésie quand elle était petite. Elle grandit à Los Angeles, élevée avec sa soeur jumelle par sa mère célibataire, qui enseigne l’anglais au collège. Elle écrit dans des journaux dans la cour de récréation. À l’âge de 16 ans, elle remporte le concours des jeunes poètes de Los Angeles. En 2017, alors qu’elle étudie la sociologie à l’université d’Harvard, elle devient lauréate du premier concours national des jeunes poètes : c’est la première personne à détenir ce titre.

Depuis cette période, Amanda Gorman a acquis une certaine notoriété et a été conviée par des personnalités comme Lin-Manuel Miranda, Al Gore ou encore Hillary Clinton. Elle a également récité des poèmes lors des célébrations du Jour de l’Indépendance ou lors de l’investiture du nouveau président de l’université d’Harvard en octobre 2018. 

Amanda Gorman est une poétesse militante, qui s’inspire de la société américaine. Elle a par exemple composé We the People pour décrire le choc qu’elle a ressenti après l’élection de Donald Trump. Elle a écrit We Rise, en écoutant le témoignage de Christine Blasey Ford, la psychologue qui a accusé Brett Kavanaugh d’agression sexuelle, alors qu’il était candidat à la Cour suprême des États-Unis. L’année dernière, elle s’est inspirée de la crise sanitaire pour écrire The Miracle of Morning, poème dans lequel elle tente d’insuffler de l’espoir : « In this chaos, we will discover clarity. / In suffering, we must find solidarity (Dans ce chaos, nous découvrirons la clarté / Dans la souffrance, nous trouverons la solidarité) ».

En février 2020, la poétesse a été sollicitée par Nike pour rédiger une tribune en faveur des athlètes noirs.

Consciente du succès des messages qu’elle véhicule dans ses poèmes, Amanda Gorman a déjà beaucoup d’ambition. Dans une interview au New York Times en 2017, elle ne cachait d’ailleurs pas qu’elle avait la Maison Blanche dans le viseur. « C’est un objectif très lointain, mais en 2036, je présenterai ma candidature pour devenir présidente des États-Unis« , affirmait la poétesse. Avant d’ajouter, à l’intention du journaliste : « Vous pouvez ajouter cela à votre calendrier iCloud« .


Attention: traduction olé olé… si la vôtre est meilleure, n’hésitez pas à me la communiquer…

The Hill We Climb

La colline que nous escaladons

When day comes we ask ourselves,

Quand le jour vient nous nous demandons,

where can we find light in this never-ending shade?

où trouver la lumière dans cette teinte sans fin?

The loss we carry,

La perte que nous portons,

a sea we must wade

une mer qu'il faut patauger

We’ve braved the belly of the beast

Nous avons bravé le ventre de la bête

We’ve learned that quiet isn’t always peace

Nous avons appris que le calme n'est pas toujours la paix

And the norms and notions

Et les normes et notions

of what just is

de ce qui est juste

Isn’t always just-ice

N'est pas toujours juste de la glace

—-

And yet the dawn is ours

Et pourtant l'aube est à nous

before we knew it

avant de le savoir

Somehow we do it

D'une manière ou d'une autre, nous le faisons

Somehow we’ve weathered and witnessed

D'une certaine manière, nous avons résisté et été témoins

a nation that isn’t broken

une nation qui n'est pas brisée

but simply unfinished

mais simplement inachevée

We the successors of a country and a time

Nous les successeurs d'un pays et d'un temps

Where a skinny Black girl

Où une fille noire maigre

descended from slaves and raised by a single mother

descendant d'esclaves et élevée par une mère célibataire

can dream of becoming president

peut rêver de devenir présidente

only to find herself reciting for one

seulement pour se retrouver à réciter pour quelqu’un

And yes we are far from polished

Et oui on est loin d'être poli

far from pristine

loin d'être vierge

but that doesn’t mean we are

mais cela ne veut pas dire que nous nous

striving to form a union that is perfect

efforçons de former une union parfaite

We are striving to forge a union with purpose

Nous nous efforçons de forger une union avec un but

To compose a country committed to all cultures, colors, characters and

Pour composer un pays engagé pour toutes les cultures, couleurs, personnages et

conditions of man 

conditions de l'homme

And so we lift our gazes not to what stands between us

Et donc nous levons nos regards pas vers ce qui se tient entre nous

but what stands before us

mais ce qui nous attend

We close the divide because we know, to put our future first,

Nous fermons le fossé parce que nous savons, pour mettre notre avenir en premier,

we must first put our differences aside

nous devons d'abord mettre nos différences de côté

We lay down our arms

Nous déposons nos armes

so we can reach out our arms

pour que nous puissions tendre les bras
 

to one another

à un autre

We seek harm to none and harmony for all

Nous ne cherchons le mal à personne et l'harmonie pour tous

Let the globe, if nothing else, say this is true:

Laissons le globe, à tout le moins, dire que c'est vrai:

That even as we grieved, we grew

Que même en pleurant, nous avons grandi

That even as we hurt, we hoped

Que même si nous souffrions, nous espérions

That even as we tired, we tried

Que même si nous étions fatigués, nous avons essayé

That we’ll forever be tied together, victorious

Que nous serons à jamais liés ensemble, victorieux

Not because we will never again know defeat

Pas parce que nous ne connaîtrons plus jamais la défaite

but because we will never again sow division

mais parce que nous ne sèmerons plus jamais la division
  

Scripture tells us to envision

L'Écriture nous dit d'envisager

that everyone shall sit under their own vine and fig tree

que chacun s'assoit sous sa vigne et son figuier

And no one shall make them afraid

Et personne ne leur fera peur

If we’re to live up to our own time

Si nous voulons vivre à la hauteur de notre temps

Then victory won’t lie in the blade

Alors la victoire ne sera pas dans la lame
 

But in all the bridges we’ve made

Mais dans tous les ponts que nous avons créés

That is the promised glade

C'est la clairière promise

The hill we climb

La colline que nous gravissons

If only we dare

Si seulement nous osons

It’s because being American is more than a pride we inherit,

C'est parce qu'être américain est plus qu'une fierté dont nous héritons,

it’s the past we step into

c'est le passé dans lequel nous entrons

and how we repair it

et comment nous le réparons

We’ve seen a force that would shatter our nation

Nous avons vu une force qui briserait notre nation

rather than share it

plutôt que de le partager

Would destroy our country if it meant delaying democracy

Détruirait notre pays si cela signifiait retarder la démocratie

And this effort very nearly succeeded

Et cet effort a presque réussi

But while democracy can be periodically delayed

Mais alors que la démocratie peut être périodiquement retardée

it can never be permanently defeated

elle ne peut jamais être vaincue définitivement

In this truth

Dans cette vérité

in this faith we trust

dans cette foi nous avons confiance

For while we have our eyes on the future

Pendant que nous avons les yeux sur l'avenir

history has its eyes on us

 
l'histoire nous regarde

This is the era of just redemption

C'est l'ère de la juste rédemption

We feared at its inception

On craignait à sa création

We did not feel prepared to be the heirs

Nous ne nous sentions pas prêts à être les héritiers

of such a terrifying hour

d'une heure si terrifiante

but within it we found the power

mais en elle nous avons trouvé le pouvoir

to author a new chapter

pour rédiger un nouveau chapitre
 

To offer hope and laughter to ourselves

Pour s'offrir de l'espoir et du rire

So while once we asked,

Alors une fois que nous avons demandé,

how could we possibly prevail over catastrophe?

comment pourrions-nous vaincre la catastrophe?

Now we assert

Maintenant nous affirmons

How could catastrophe possibly prevail over us?

Comment la catastrophe pourrait-elle prévaloir sur nous?

We will not march back to what was

Nous ne retournerons pas à ce qui était

but move to what shall be

mais passer à ce qui sera

A country that is bruised but whole,

Un pays meurtri mais entier,

benevolent but bold,

bienveillant mais audacieux,
 

fierce and free

féroce et libre

We will not be turned around

Nous ne serons pas retournés

or interrupted by intimidation

ou interrompus par l'intimidation

because we know our inaction and inertia

parce que nous connaissons notre inaction et notre inertie

will be the inheritance of the next generation

sera l'héritage de la prochaine génération

Our blunders become their burdens

Nos maladresses deviennent leurs fardeaux

But one thing is certain:

Mais une chose est certaine:

If we merge mercy with might,

Si nous fusionnons la miséricorde avec la puissance,

and might with right,

et pourrait avec le droit,

then love becomes our legacy

alors l'amour deviendrait notre héritage

and change our children’s birthright

et changer le droit de naissance de nos enfants

So let us leave behind a country

Alors laissons derrière nous un pays

better than the one we were left with

mieux que celui qui nous reste

Every breath from my bronze-pounded chest,

Chaque souffle de ma poitrine martelée de bronze,

we will raise this wounded world into a wondrous one

nous élèverons ce monde blessé en un monde merveilleux
 

We will rise from the gold-limbed hills of the west,

Nous nous élèverons des collines dorées de l'ouest,

we will rise from the windswept northeast

nous nous élèverons du nord-est balayé par les vents

where our forefathers first realized revolution

où nos ancêtres ont réalisé la première révolution

We will rise from the lake-rimmed cities of the midwestern states,

Nous nous élèverons des villes bordées de lacs des États du Midwest,

we will rise from the sunbaked south

nous nous lèverons du sud ensoleillé
 

We will rebuild, reconcile and recover

Nous reconstruirons, réconcilierons et récupérerons

and every known nook of our nation and

et chaque recoin connu de notre nation et

every corner called our country,

chaque coin a appelé notre pays,

our people diverse and beautiful will emerge,

notre peuple diversifié et beau émergera,

battered and beautiful

battue et belle

When day comes we step out of the shade,

Quand le jour vient nous sortons de l'ombre,

aflame and unafraid

enflammé et sans peur

The new dawn blooms as we free it

La nouvelle aube fleurit alors que nous la libérons

For there is always light,

Car il y a toujours de la lumière,

if only we’re brave enough to see it

si seulement nous sommes assez courageux pour le voir

If only we’re brave enough to be it

Si seulement nous sommes assez courageux pour l'être

www.lyricstranslate-com

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En tête des ventes de livres, acclamée par Obama : la poétesse Amanda Gorman captive les Etats-Unis

Ses ouvrages ne sont pas encore sortis qu’ils atteignent déjà des records de vente. A 22 ans seulement, cette jeune femme originaire de Los Angeles a déjà été plébiscitée par Oprah Winfrey, Hilary Clinton, Malala et Barack Obama.

Par L’Obs avec AFP

Publié le 22 janvier 2021 

Records de vente, couronnes de lauriers : les Etats-Unis se passionnent pour la jeune poétesse noire Amanda Gorman depuis sa prestation très remarquée à la cérémonie d’investiture de Joe Biden.

Trois de ses ouvrages – un recueil de poèmes, un livre pour enfants et une édition spéciale des vers déclamés pour le nouveau président américain – étaient ce vendredi 22 janvier en tête des ventes de livres sur Amazon.

 Pourtant aucun n’est encore publié : ils ne sortiront qu’en avril, voire en septembre pour « Change Sings », des odes illustrées pour les plus jeunes.

Ce qui n’a pas empêché les acheteurs de les précommander en masse, si bien que la jeune artiste et militante dépasse désormais Barack Obama, dont les mémoires, « Une Terre promise », ne sont qu’en 5e position dans cette liste de best-sellers.

D’Obama à Malala

L’ancien président a été impressionné par la jeune femme qui, à 22 ans seulement, a récité mercredi avec grâce et une assurance stupéfiante une ode de sa création : « The Hill we climb » (la colline que nous gravissons).

Elle « a fait plus qu’incarner le moment. Les jeunes gens comme elle sont la preuve qu’il y a toujours de la lumière, si nous sommes assez courageux pour la voir. Si nous sommes assez courageux pour être cette lumière », a-t-il tweeté en lui empruntant ses vers.

L’ex-candidate démocrate à la présidentielle Hillary Clinton et même la Nobel de la Paix pakistanaise Malala ont également salué son travail.

En une journée, elle a gagné deux millions d’abonnés sur Instagram et plus d’un million sur Twitter. Ses vers ont même été mis en musique par le musicien Rostam Batmanglij.

Premier prix à 16 ans

Originaire de Los Angeles, élevée par une mère célibataire, elle souffrait de bégaiement dans son enfance – comme le 46e président – ce qui l’a encouragée à se tourner vers l’écriture.

Enfant prodige, elle a remporté son premier prix de poésie à 16 ans, et a été couronnée du titre de « meilleur jeune poète » du pays trois ans plus tard, alors qu’elle étudiait la sociologie à la prestigieuse université Harvard.

 Avant elle, cinq autres poètes, dont Robert Frost et Maya Angelou, ont participé aux cérémonies d’investiture de présidents américains, mais aucun n’était aussi jeune.

Son nom avait été soufflé aux organisateurs de la cérémonie par Jill Biden, l’épouse du président, qui avait assisté à une de ses lectures. Leur commande, passée en décembre : qu’elle rédige une ode à l’« Amérique unie », en écho au discours du démocrate.

Elle n’avait rédigé que la moitié du texte quand des partisans de Donald Trump ont envahi le Capitole le 6 janvier. Horrifiée, elle a écrit d’une seule traite la fin de son poème qui, sans nier les maux du pays, prône l’unité pour avancer. « Nous ne sommes pas une Nation brisée, seulement une Nation pas finie. »

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