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Assassinat de Matoub Lounès

Paru in Libre Algérie – Octobre 2000

Canal+ diffuse demain mardi 31 octobre un reportage de 25 minutes sur l’assassinat de Matoub Lounès le 25 juin 1998. C’est un condensé explosif qui donne la parole à la famille du chanteur, à des villageois et d’autres témoins directs de l’attentat. Pas moins de 18 témoignages tissent le documentaire. Certains sont perplexes d’autres accusateurs. Rappelons le contexte dans lequel est intervenue cette tragédie.

Ces premiers mois de 1998 se caractérisent par un climat délétère:. En effet :

  • En mars monsieur Sané (AI) appelle à une action « immédiate et effective » pour mettre fin à la crise des droits de l’homme en Algérie.
  • Le 4 mai le responsable de l’ONDH reconnaît pour la première fois l’existence de centres secrets de détentions.
  • Le 9 mai les ministres des affaires étrangères du G8 exhortent le pouvoir algérien à autoriser l’envoi d’une mission de l’ONU
  • Durant tout le mois de juin de larges échos sont donnés à des articles au vitriol d’un responsable de parti visant particulièrement Betchine pour le déstabiliser. (1). Deux ans plus tard ce même leader politique siègera dans le nouveau gouvernement.
  • Le 17 juin Amnesty International publie son rapport annuel.: « …le pouvoir algérien a reconnu que de très nombreux membres des forces de sécurité ont été arrêtés pour des crimes commis depuis 1995 et précédemment imputés à des groupes armés tels que le GIA… »
  • En juin le mouvement de protestation dénonçant la loi « scélérate » s’amplifie. Cette loi « portant généralisation de la langue arabe » va prendre effet le mois suivant.

Le documentaire

Le documentaire s’ouvre sur un groupe de « patriotes », des membres de la hiérarchie militaire et des cadavres anonymes. Les images sont insoutenables. Il s’achève 25 minutes plus tard sur le chanteur, debout les doigts formant le V de la victoire.

Le commentateur précise que d’emblée à l’enterrement de Matoub Lounès « la foule est persuadée que le pouvoir est le véritable commanditaire de l’attentat »  ajoutant que « d’étranges repérages ont été effectués »

Le premier témoin est direct et formel :  » depuis des mois…un officier de la SM connu venait chaque jour faire un petit footing le long de la route. Dans la région tout le monde le connaît… »

Plusieurs villageois de Tala-Bounane ont tenté d’alerter les autorités sur la présence « d’étrangers armés se promenant en plein jour », en vain. Pris de panique légitime ils ont alors décidé d’attirer l’attention d’ONG et de médias internationaux. Voici le cri de détresse de ces habitants lancé aux autorités le 22 juin 1998 :

 » (…) des individus armés (…) ont réussi à installer dans le village un climat de peur et de terreur (…) nous vous interpellons et attendons de vous une intervention rapide et efficace avant qu’il ne soit trop tard. Dans le cas contraire vous serez tenus pour seuls responsables devant la justice et l’opinion internationale. »

Par ailleurs le matin même de ce jeudi 25 juin 1998 selon un autre témoignage appuyé par la mère de Matoub, un camion de l’ANP a déposé un groupe de militaires dans les parages. Certains parmi ceux-ci ont « ordonné aux habitants de ne pas sortir car ils (les militaires) préparaient un ratissage ».

Les questions

Compte tenu de ce documentaire et des interventions des différents protagonistes depuis trente mois, de nombreuses interrogations persistent.

  1. Que sont devenus les véhicules (Jetta et 4X4) dont la presse s’est faite l’écho dès le lendemain de l’attentat?
  • Comment expliquer que le véhicule de Matoub est parfaitement garé – sur la terre battue entre un panneau de signalisation et un talus de l’autre côté de la chaussée – alors que quelques secondes auparavant il essuyait des tirs de tous côtés?
  • Pourquoi les gendarmes qui ont qui ont entamé une enquête ont été mutés quelques semaines après l’attentat?
  • Pourquoi Noureddine Aït Hamouda a-t-il promis à Matoub en décembre 1997 un visa pour la France pour son épouse pour ensuite « bloquer » plusieurs mois le passeport de celle-ci « obligeant Matoub qui vit en France à rentrer en Algérie pour débloquer la situation? »

Pourquoi une fois en Algérie Matoub n’arrivait-il plus à joindre ses amis au téléphone « comme Sadi et Aït Hamouda » ne serait-ce que pour récupérer le passeport de son épouse « même sans visa »?

  • Le commentateur du documentaire avance que le RCD « propose un marché à Nadia à savoir des visas pour elle et ses sœurs pour rejoindre Paris en échange d’une conférence de presse accusant le GIA »?

Appuyant ces propos Ouarda l’une des sœurs de Nadia déclare que cette dernière « a fait une conférence de presse et on a eu nos visas. C’est comme cela que ça marche »

La question est alors la suivante : Quelle serait l’ étendue de ce « marché »? Nadia a-t-elle tout dit?

  • Plus tard révèle Nadia, le RCD lui a demandé d’accuser les islamistes : « sois gentille dis que c’est le GIA ». Sur quelles bases et pour quels intérêts?
  • Pourquoi et qui a « tronqué » la déposition de Nadia en juillet 98 en ajoutant cette phrase sur le PV qu’elle récusera : « J’attribue l’attentat au GIA »?
  • La mort du « patriote tombé d’une fenêtre » est-elle la conséquence de l’identification par Ouarda d’un des assassins de Matoub? (Elle l’identifie parmi les photos qu’il lui a présentées) Y-a-t-il eu enquête? Selon nos informations sa mort serait liée à une altercation.
  •  Pour quelles raisons les reconstitutions sont programmées le mois anniversaire de l’assassinat de Matoub? (Prévue le 22 juin 1999 la reconstitution est reportée au 07 juin 2000). A quand l’étude balistique? Et pourquoi cette lenteur de l’enquête et cette opacité?

Faut-il alors se satisfaire du communiqué attribué à Hassan Hattab qui « vient confirmer les supputations qui ont entouré l’assassinat du chantre de la cause amazigh » (N Belhadjoudja, Liberté du 01/07/98) ou des « révélations » télévisuelles dont la diffusion hâtive dans un « 52 minutes » n’est pas dénuée d’intérêts (2) alors même que le réalisateur du documentaire algérien lui même doute de son efficacité :  » Je sais que beaucoup de gens vont se dire que le reportage a été commandé… » (El-Watan du 24/06/99) ? La réponse est bien évidemment, non. On ne peut se contenter « d’aveux » Les seules « revendications et aveux » ne sont pas constitutifs d’une preuve. Seule la Justice – indépendante – doit avoir le dernier mot.

Lorsque le journaliste de Canal+ lui pose des questions sur l’assassinat du chanteur, Aït Hamouda « seigneur de guerre » déclare implicitement travailler avec les « services » puis l’insulte et lui renvoie des menaces à peine voilées : « Je vous connais, votre nom, votre femme, tout cela…vous êtes un minable… ».

Ces intimidations de Aït Hamouda ne sont pas nouvelles. Il y a quelques mois il menaçait un député au sein même de l’Assemblée, aujourd’hui c’est au tour d’un journaliste. Ce comportement est à la fois misérable indigne et condamnable.

Alors que le commentateur de la chaîne française s’interroge sur le silence de plusieurs généraux de l’ANP et sur celui des dirigeants du RCD, à l’écran Matoub Lounès « tombé en héros » se relève, tend le bras et adresse aux téléspectateurs un V comme Victoire, probablement contre la trahison.

1- À titre d’exemple, durant ce mois de juin 1998 El-Watan y réserve 6 « unes », 2 éditoriaux, l’équivalent de 6 pages entières et 2 photos. Le Matin en fait part dans 3 « unes », 3 éditoriaux, l’équivalent de 8 pages entières et par 2 photos.

2- Il est à noter que ce « documentaire » de l’ENTV diffusé à dessein la veille de l’anniversaire de l’assassinat de Matoub devait aussi coïncider avec la reconstitution convoquée pour le 23 juin 1999 et renvoyée « pour des raisons techniques » à l’année suivante.

Sous cette signature : H. Flen

Lire articles (et vidéos) concernant cet assassinat sur mon blog, cliquer ici.

L’élection présidentielle…

L’élection présidentielle, une chance pour l’Algérie- mars 1999

                                 A l’attention de Monsieur Jacques AMALRIC _ Libération

                                                             

L’élection présidentielle, une chance pour l’Algérie

Dire que les généraux algériens n’admettent que des idées et hommes sous influence relève du sens commun mais la courte histoire de l’Algérie indépendante est jalonnée d’exemples suffisamment éloquents montrant que la cohésion de l’oligarchie militaire fut maintes fois mise à mal.

Nous affirmons que le séisme d’octobre 1988 a fini par rattraper le pouvoir algérien, couplé avec l’évolution d’un monde à la fois plus dure pour les sociétés fragiles mais aussi à l’endroit des régimes arrogants.

Depuis de nombreuses années nous vivons dans une réalité tragique faite de sang et de haine. Cette réalité est marquée depuis quelques mois par une atmosphère grosse à la fois d’espoir et d’appréhension. Espoir que notre pays sorte de cet enfer, appréhension qu’il ne s’y enfonce davantage.

Notre objet est de mettre en relief d’une part les événements actuels qui accréditent ces propos et d’autre part montrer comment –  de notre point de vue – nous pouvons soit basculer dans la concrétisation de l’un soit nous immerger dans l’autre.

En septembre dernier l’exacerbation des conflits au sein du pouvoir atteint  des sommets himalayens. Ces antagonismes se traduisent notamment par la publication – partielle – d’une série de scandales qui éclaboussent le président Zeroual. Forcé de démissionner avant échéance et par conséquent confier l’intérim à qui de droit, il annonce des élections présidentielles anticipées pour au plus tard le mois de février 1999 (puis avril). Cet artifice inconstitutionnel permet au président sortant de maîtriser le processus  aboutissant à sa relève. Ce départ consacre non seulement l’échec de Zeroual qui ne concrétise pas ses promesses électorales mais aussi celui de toute la stratégie cahoteuse suivie depuis plusieurs années.

Bien que donnée comme probable, la forme que prend cette retraite déconcerte nombre d’observateurs; mais surtout une fraction adverse au sein du pouvoir. Le temps ne suffit pas à celle-ci pour trouver un candidat idéal qu’agréerait la majorité du collège. Nous nous trouvons dans une situation inédite. C’est en effet la première fois que les « décideurs » n’aboutissent pas à un consensus dans une affaire de si haute importance.

Lorsque  A. Bouteflika ( pressenti puis écarté lors de la Conférence Nationale de janvier 1994) est « tiré du chapeau », l’empressement désarticulé de certains décideurs à vouloir faire avaliser cette entourloupette vite dénudée par une confidence  (ou bévue) n’a d’égal que le vaste et spontané mouvement de désapprobation apparu y compris et d’abord chez des hommes élevés au sérail comme le candidat potiche révélé. Cela est un autre élément fort à relever. Combiné avec la démission du ministre-conseiller auprès de la Présidence, ce mauvais tour a pour effet de fissurer le « parti de Betchine » dont plusieurs membres de la direction manoeuvraient en vue des élections déclarées.

Nous osons croire que le champ politique dans tout ce qu’il recèle comme potentialités et pratiques, bien que fortement secoué ne s’avoue pas vaincu devant cette confusion mais qu’il est bien au contraire fermement décidé à faire aboutir ses revendications. C’est le sens que nous donnons à la démarche commune de ces partis et personnalités politiques aux horizons et desseins divers qui saisissent que la conjoncture alimentée par des convulsions sans précédent au sommet de la hiérarchie militaire, est propice. L’opinion publique est quant à elle prise à témoin.

Lors de l’intervention du 12 février le président Liamine Zeroual réitère sa ferme volonté de mener à terme et dans la transparence la future élection présidentielle. D’un côté il vise à rassurer ces partis et personnalités; de l’autre il émet un signal fort en direction de la classe politique dans son ensemble mais aussi et prioritairement envers les responsables en charge des institutions de l’Etat. Nous retenons particulièrement cette mise en garde voilée: « Je voudrai réaffirmer, pour être encore une fois parfaitement clair, que je suis déterminé à assumer pleinement mes engagements concernant le déroulement sain et démocratique du prochain scrutin, notamment ceux relatifs à l’impartialité de l’Administration et de toutes les institutions de l’Etat. »

Les termes de la réaction immédiate du général à la retraite et ancien chef d’Etat-major conforte les appréhensions des uns et des autres. En ces moments difficiles et incertains ça et là des  allusions et autres appels du pied pour l’arrêt de ce processus en cours se font jour. Diversement relayés, ils sont d’une extrême gravité et porteurs de tous les  dangers car ils risquent d’ébranler la cohésion ténue du peuple algérien.

L’élection présidentielle anticipée du 15 avril prochain – si elle a lieu – est une chance historique inouïe qui s’offre à l’Algérie pour enfin asseoir les fondations d’une sortie graduée de la nasse et entrer dans une étape qualitative de construction d’une véritable transition démocratique dans la sérénité. Des préalables s’imposent néanmoins pour ce faire. Primo il y a une nécessaire et forte mobilisation pacifique des citoyens pour faire avorter toute velléité de remise en cause. Pour ce faire il y a urgence absolue à se démarquer des crypto-pyromanes et de leurs discours belliqueux . Deusio les autorités – toutes les autorités – doivent montrer que les leçons du passé sont retenues, par l’ordonnancement de mesures concrètes – connues et rappelées – palpables quotidiennement. Tertio enfin, la neutralité minimum de tous les services est une autre condition sine qua non. Nous disons minimum car nos convictions en ces domaines sont fragiles et récemment encore secouées par les  « indiscrétions » d’un hebdomadaire déchaîné. 

Nous nous autorisons à espérer que dès lors que ces conditions sont réunies, le déroulement de l’élection présidentielle du 15 avril 1999 sera à la hauteur des attentes des citoyens. Le choix du peuple algérien devra s’imposer à tous par tous les moyens légaux, sans quoi….Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant (1).

Ahmed Hanifi

Militant des droits de l’homme.

Sociologue

(1) Tacite : Ubi solitudinem faciunt, pacem appellant = « Où ils font un désert, ils disent qu’ils ont fait la paix. » ( ce point (1) a été ajouté le 11.01.2021)

Paris rend hommage à William Faulkner

La Tribune Mardi 30 septembre 1997

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À L’OCCASION DU CENTENAIRE DE L’AUTEUR DE TANDIS QUE J’AGONISE, DES DIZAINES DE SPECIALISTES SE SONT RENCONTRÉS DANS LA CAPITALE FRANÇAISE POUR SALUER SON GÉNIE

Paris rend hommage à William Faulkner

Deux cents personnes dont des dizaines venues du Mississipi étaient présentes lors du dévoilement d’une plaque commémorative à la rue Servandoni, lieu où il entama ses deux premiers romans Soldiers Pay et Elmer en 1925.

Mardi 30 septembre 1997

Par Ahmed Hanifi

LE MONDE des lettres célèbre en ce mois de septembre le centenaire de William Faulkner. Le soir du 25 septembre à Paris, une plaque commémorative, posée une semaine auparavant, est dévoilée à l’entrée du 26, rue Servandoni où l’écrivain vécut durant le second semestre de l’année 1925, année durant laquelle il entama ses deux premiers romans Soldiers Pay (Monnaie de singe) et Elmer Le premier fut édité dans l’indifférence en février 1926, le deuxième, posthume, en 1983.

Deux cents personnes ont assisté à l’événement dont des dizaines, parmi lesquelles des écrivains, venues du Mississipi. William Cuthbert Faulkner est né le 25 septembre 1897 à New Albany à quelques kilomètres au nord d’Oxford (Mississipi). Les Etats Unis entrent dans « l’âge doré », le progrès technique s’accélère. La tentative de sécession des onze Etats confédérés du Sud se veut lointaine (1865). L’injustice l’inégalité et l’oppression des Noirs n’ont pas pour autant disparu.

Un Sud pris en tenailles entre ses nativistes et le Nord moderne. « Ce pays tout entier, le Sud tout entier, est maudit, et nous tous qui en sommes issus, (…), nous sommes sous le coup de la malédiction » (1). Cette malédiction, dira Faulkner en avril 1957 « c’est l’esclavage, qui est une condition intolérable ( … ) le Sud doit extirper ce mal » (2).

C’est en 1840 que la famille Falkner arrive dans le Mississipi en provenance du Tennessee, menée par William Clark Falkner arrière-grand-père du romancier. Celui-ci mène une vie agitée. Il est « souvent persécuté et pourchassé comme une bête sauvage » peut-on lire dans son roman « The White rose of Memphis » paru en 1881. Il fut à l’origine d’une compagnie de chemins de fer. En 1889, il est abattu par son ancien associé et adversaire politique malchanceux. Nous retrouvons cet aïeul sous les traits de John Sartoris. Bien que ruinés après la guerre, les Falkner n’étaient pas pauvres « Mais nous ne gaspillions rien » affirme John Wesley Thomson III Falkner, frère de l’auteur; lui-même romancier. (Murry, autre frère de William Faulkner sera aussi l’auteur d’un livre de souvenirs familiaux). Le père était administrateur du Lyceum de l’université du Mississipi, la mère (Maud Butter) était peintre. A sa mort en octobre 1960 elle laisse près de six cents (600) toiles.

Un jour de 1921 lors d’une réunion d’écrivains à La Nouvelle Orléans (Louisiane) on débattait de William Shakespeare lorsque « on vit se lever un petit homme que personne ou presque dans l’assistance ne connaissait et qui déclara calmement:  » je pourrais très bien écrire une pièce comme Hamlet si je voulais ». Ayant ainsi parlé, il se rassit et n’ouvrit plus la bouche de toute la soirée » (3). C’était William Faulkner,

Ce « petit homme (1,65 mètre d’après mon estimation), (…) triste et crispé » Comme le décrit plus tard Malcom Cowley (Octobre 1948) entrepris à vingt-deux ans sa première œuvre littéraire connue, l’Après-midi d’un faune, (titre original). Le jeune Falkner – il décide désormais de se faire appeler « Faulkner » – ne se doutait pas que, quelques décennies plus tard, il produirait plus d’une vingtaine de romans, une centaine de nouvelles et plus encore de poèmes. Une oeuvre consacrée en 1950 par le prix Nobel de littérature qu’il refusa dans un premier temps.

A l’université où il s’inscrit comme « étudiant spécial » il ne s’attarde guère. (septembre 1919 à novembre 1920). Il réussit néanmoins à faire paraître quelques poèmes dans le journal des étudiants. Il « erre » durant plusieurs années. La chance ne lui sourit guère. Ses échecs affectifs et financiers sont nombreux. Il occupe tour à tour les emplois suivants : aide-comptable, employé de banque, de librairie, de poste avec une idée fixe, une seule, écrire. Ainsi, c’est dans la centrale électrique où il est employé de nuit qu’en six semaines (d’octobre à décembre 1929) il rédige Tandis que j’agonise. Toute l’œuvre de Faulkner s’enracine dans le Sud. A Jefferson. « Jefferson, superficie 2400 milles carrés », du comté mythique de Yoknapatawpha dont il est l’ «unique possesseur et propriétaire » précise-t-il dans Absaon ! Absalon ! « J’ai découvert que mon propre petit timbre-poste de terre natale valait la peine de l’écriture » dit-il simplement (4).

Les journaux américains commencent à s’intéresser à lui en novembre 1931. Il découvre qu’il est le « caïd » de la littérature américaine. Quelques mois plus tôt, en février, parut Sanctuaire. « Il fut conçu délibérément dans le but de faire de l’argent ». Ce roman dont le contenu est pourtant bien en deçà de la première version fit scandale. Sanctuaire, cette « chambre d’horreurs » fut son premier succès commercial. Quoique mitigé, l’accueil de ce roman fit sortir de l’ombre et de l’isolement Faulkner. En trois mois, il s’en est vendu plus de sept mille exemplaires. C’est son sixième livre depuis Soidiers Pay (monnaie de singe) en février 1925. Il a trente-trois ans, Sanctuaire est un « roman d’atmosphère policière sans policiers, de gang aux gangsters crasseux, parfois lâches, sans puissance (…). C’est l’intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier » préface élogieusement André Malraux en novembre 1933.

Pour William Faulkner l’écriture est le seul passage obligé, le lieu unique de toutes ses vérités. L’écriture s’impose à lui. « Il écrit non pas ce qu’il veut, mais ce qu’il doit écrire, qu’il le veuille ou non » (Malcom Cowley). Une écriture-compensation, où « l’épaisseur des mots » bouscule le monde du réel auquel il la substitue.

 « Il me semblait qu’il (Anse) s’était joué de moi, que, caché derrière un mot comme derrière un écran de, papier, il m’avait, à travers, frappée dans le dos » se convainc Addie dans son monologue (5), rejoignant ainsi l’auteur. Pour Marc Saporta il semble bien que la littérature fut pour William Faulkner « le remède de son mal à l’âme, (…) une autre façon de triompher du monde» (6).

Son écriture est spectacle « angoissée et angoissante ». Un spectacle peuplé d’homuncules de lieux et d’objets « ces formes ombreuses mais ingénieuses au travail desquelles je devais de pouvoir réaffirmer les impulsions de mon propre ego dans le monde réel mais dénué de stabilité » (7),

Un spectacle dense tourbillonnant, enivrant auquel Faulkner convie les lecteurs à participer. Ainsi sommes-nous incités à lire et relire autrement; agencer les espaces, résoudre les énigmes, compléter les histoires en apparence désarticulées de ces « individus exceptionnels ». Parfois même nous nous laissons aller jusqu’à pénétrer dans la narration, à partager les souffrances/joies – nos souffrances/joies. Comme dans Tandis que j’agonise. Puis, il nous faut consulter et corriger notre agenda mental, mémoire des faits. Revenir plusieurs pages en arrière. Vérifier des lieux, des situations, des (pro) noms; tenter une généalogie; démonter les pièges et autres difficultés, prendre des voies inattendues et inconnues où souvent le passé se conjugue au présent. Alors seulement l’écheveau se démêle. Le monde obscur s’illumine. Cela est particulièrement remarquable dans Absalon! Absalon!. Ce chef-d’œuvre fut composé en dix mois entre mars 1935 et janvier 1936, dont une partie dans la douleur de la disparition tragique de son jeune frère. Absalon ! c’est « l’histoire d’un homme qui voulait un fils par orgueil, qui en eut trop – et ceux-ci le détruisirent ». (lettre à son éditeur Harrison Smith, août 1934). Alors seulement donc le monde s’illumine. Un monde sur lequel trône l’auteur « inaccessible et serein au-dessus de ce microcosme des passions, des espoirs et des malheurs de l’homme, ambitions, terreurs, appétits, courage, abnégations, pitié, honneur, orgueil et péchés, tout cela lié pêle-mêle en un faisceau précaire, retenu par la trame et par la chaîne du frêle réseau de fer de sa capacité, mais tout cela voué aussi à la réalisation de ses rêves » (9). Un monde qui, page après page, a-t-on écrit, défie le bon sens. Invariablement les thèmes de la guerre (la décadence), la haine, le Sud… jaillissent, récurrents. Le passé s’incruste dans le présent. Nous touchons ici la sève de la technique faulknérienne. Par intermittence, le passé s’impose au présent comme pour signifier une fin improbable ou plutôt un retour inéluctable. Le passé comme échappatoire unique face au temps qui se fige. « Je me suis dirigé vers la commode et j’ai pris la montre toujours à l’envers » dit Quentin « j’en ai frappé le verre sur l’angle de la commode et j’ai mis les fragments dans ma main et je les ai posés dans le cendrier et, tordant les aiguilles, je les ai arrachées et je les ai posées dans le cendrier également» (9). Sur la signification qu’il donne à l’emploi des temps Faulkner répond : « Le temps n’est pas un état fixe, (…). Le temps est en quelque sorte la somme des intelligences combinées de tous les hommes qui respirent en ce moment » (2).

Dans la préface à le Bruit et la fureur. M. E. Coindreau écrit qu’à l’origine William Faulkner, selon ses propres mots, avait « songé qu’il serait intéressant d’imaginer les pensées d’un groupe d’enfants, le jour de l’enterrement de leur grand-mère, dont on leur a caché la mort (…) ». Un roman difficile d’accès. Un roman où sans autre prétention, le romancier « se contente d’ouvrir les portes de l’enfer. Il ne force personne à l’accompagner » (8). Un torrent de haine. (Lire particulièrement le troisième chapitre).

Le Bruit et la fureur « est une expérience unique, inoubliable (…). Tandis que j’agonise et Lumière d’août furent écrits comme à distance, aisément, chaque mot tombant à sa place de main de maître en somme » (10). Quelques années et publications plus tard, en août 1970 près de deux mille pages de manuscrits sont découvertes dans la propriété de William Faulkner. Elles sont cédées en 1982 à l’université du Mississipi. Une dizaine de films ou téléfilms de qualité inégale furent adaptés des romans de Faulkner. Citons: The Story of Temple Dark, The Sound and the Fury, The Reivers… Le romancier fut également co-scénariste du célèbre Howard Hawks (The Road to Glory, Shave Ship, To Have and have not ….). Son nom ne figurait parfois pas dans les génériques. Les longs rapports entre William Faulkner et l’industrie du cinéma furent assez douloureux pour l’écrivain.. Ce fut parfois un cauchemar. « J’acceptais de travailler dans « les mines de sel » (…) parce que j’étais sans le sou ». Un travail ingrat et difficile pour un salaire humiliant. Cet ange de l’écrit eut en revanche sur la question raciale une attitude pour le moins équivoque bien qu’elle évolua favorablement dès le début des années quarante – comme ses interventions d’avril 1957 (lire ci-dessus) – ou celle du 20 février 1958: Un mot aux Virginiens. De même, les repères (signaux) qu’il égrène ça et là dans ses romans (Dilsey!) sont insignifiants nous semble-t-il. Les remarques qu’introduit à cet égard Edouard Glissant dans Faulkner Mississipi sont édifiantes.

Aux premières heures du 6 juillet 1962, William Faulkner meurt à l’hôpital de Byhalia (Mississipi), à une cinquantaine de kilomètres au nord ouest d’ Oxford, emporté par le Jack Daniel (11). Il est enterré dans sa demeure Roan Oak au centre d’un Sud qu’il n’a jamais méprisé.

« Je ne le hais pas », dit-il. « Je ne le hais pas », pensa-t-il, haletant dans l’air glacé, dans l’implacable obscurité de la Nouvelle-Angleterre.  « Non. Non ! Je ne le hais pas ! Je ne le hais pas ! »  (12).

William Faulkner aurait aujourd’hui cent ans. Il a beaucoup apporté – et apporte encore – à l’écriture romanesque. Des milliers d’articles lui sont consacrés annuellement. De nombreux écrivains se revendiquent de William Faulkner. Relisons Kateb Yacine.

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1- Descends, Moïse. Gallimard. 1996, page 233,

2: W. Faulkner: Faulkner à l’université. Gallimard. 1964.

3 : Rapporté par Jean Roubérol : Faulkner, cet élisabéthain. Revue littéraire Europe, Janvier – Février 1992.

4- Faulkner. Oeuvres romanesques, volume l, Gallimard, la Pléiade. 1977 page 1079.

5: Tandis que j’agonise, Gallimard. 1996, page 166

6: Marc Saporta : La vie et l’œuvre, in L’Arc no 84/85: William Faulkner

7: Notice de M. Gresset in: Faulkner, oeuvres romanesques, Gallimard, la Pléiade. 1977, page 1087. ,

8: Le Bruit et la fureur. Gallimard. 1996.

9 – The Town. Cité par Monique Nathan « William Faulkner par lui-même ». Ed: Seuil, 1963, page 6.

10- WF . As Lay I Daying, Light in August : A. Bleikasten, F. Pitavy, M. Gresset, ed Armand Collins 1970. Page 18.

11- Boisson alcoolique. Faulkner était connu comme un grand buveur d’alcool (comme son père et plusieurs autres membres de sa famille), parfois jusqu’à perdre connaissance. Il suivit plusieurs cures de désintoxication à l’hôpital de Byhalia. Officiellement le décès est imputé à un « oedème pulmonaire ».

12: Quentin dans Absalon ! Absalon ! edition Gallimard. 1997, page 411.

Autres sources:

– Joseph Blotner: Faulkner a Bibliography, volumes I et II. Random House, NewYork. 1974.

– Fondation William Faulkner, université de Rennes Il.

            Ahmed HANIFI,

Paris – septembre 1997

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La presse algérienne en Île de France: lectures et identité.

Cliquer sur ce lien pour lire l’intégralité du Mémoire de DEA Sociologie. 1996_ Université Paris VIII

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Extrait du mémoire « La presse algérienne en Île de France: lectures et identité. Les travaux portant sur les émigrations ou les immigrations  sont nombreux notamment sur l’immigration algérienne en France. Ces recherches étudient ces populations dans une problématique historique ou économique en termes de causes des départs des pays d’origine mais aussi  en termes de vécu dans les pays d’accueil (difficultés de vie, marginalisation…)

Les études portant sur les liens qu’entretient ou que n’entretient pas (ou plus) une population immigrée avec son pays d’origine sont tout aussi nombreuses.

Généralement ces travaux ne traduisent pas les rapports que peut tisser une population immigrée avec la presse de son pays d’origine comme des rapports révélateurs ou non de liens entre cette communauté et son pays d’origine. Comme des rapports révélateurs ou non de liens identitaires. Ces recherches ne les abordent pas. Ne  traitent pas de ces rapports. Il est communément admis que la lecture n’est pas une pratique sociale de l’immigration.

Tel sera quant à nous l’objet que nous proposons.

Quelle place occupent les médias algériens au sein de la population algérienne vivant en France ?

Le paysage médiatique algérien, particulièrement celui de la presse écrite a changé. A la presse d’Etat d’hier, vient s’ajouter une presse privée nombreuse et différente.

La presse algérienne est présente chez les buralistes en France depuis plus de vingt années. Comment s’inscrit- elle – dans le champ médiatique utilisé  par les algériens ?

Nous abordons  notre étude par la notion de communication puis par  la présentation de l’immigration  algérienne en France.

Nous présentons ensuite l’évolution de la presse algérienne : de la presse « unique » à la presse « plurielle ».

Pourquoi des Algériens vivant en France lisent la presse algérienne ?

Au delà du simple parcours informatif du journal quelles raisons poussent ces algériens à lire cette presse ?

Telle est notre démarche.

2_ PROBLEMATIQUE

INTRODUCTION

Nous abordons cette partie par la notion centrale de communication. Comment devons nous entendre cette notion  pour la compréhension de notre objet ?

Nous y  traitons également de la population visée par notre étude. Nous achevons le chapitre par le concept d’identité et la place qu’il tient dans notre démarche.

2.1 LA COMMUNICATION

Dès lors que nous utilisons la notion de communication nous sommes dans la nécessité de la clarifier.

Ce terme est en effet polysémique. Il porte en lui plusieurs définitions selon que l’on s’interroge sur le processus de communication ou sur un ou plusieurs éléments de ce processus à savoir : sur les partenaires, sur le message ou bien sur les supports de celui-ci. Ou bien encore si nous l’entendons comme « un système à multiples canaux auquel l’acteur social participe à tout instant qu’il le veuille ou non »1 En fait chaque individu est membre actif  d’un « orchestre ».

Dans la première perspective c’est à dire lorsque nous l’entendons comme processus, par définition nous faisons appel à l’ensemble des caractéristiques de la communication, c’est à dire non seulement l’émetteur mais aussi le récepteur qui, par son « feed-back » inverse les rôles de l’un et l’autre mais aussi le message. Le tout pris dans un ensemble cohérent. On utilise d’ailleurs fréquemment pour désigner ce processus l’expression « boucle de communication ». Le processus est

entier, achevé, lorsque la boucle est bouclée c’est à dire lorsque l’émetteur reçoit (en réponse à son propre message) à son tour le « retour d’écoute » ou « feed-back » (ou réaction). On parle de rupture de la communication lorsque le processus est inachevé, interrompu.

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1-G.BATESON et alii. La nouvelle  communication (Y. WINKIN en avant propos à).

 Paris : Seuil, 1981.

« La communication est un terme irritant ajoute-t-il c’est un invraisemblable fourre-tout, où l’on trouve des trains et des autobus, des télégraphes et des chaînes de télévision, des petits groupes de rencontre, des vases et des écluses ».

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La seconde perspective s’intéresse à l’un (ou à plusieurs) des éléments du processus de communication. Lorsque nous entendons la communication comme le message transporté nous faisons référence à un système de signes émis et à leur signification, mais aussi aux émetteurs (source), aux récepteurs (destinataires) et à leurs stratégies mutuelles.

Les supports de communication s’entendent comme les moyens par lesquels les messages sont transmis. L’étude de ces moyens montre qu’ils ont considérablement évolué et gagné de façon exponentielle des sphères entières de populations dans le monde.

A l’image de l’économie, la communication est inégalement répartie et maîtrisée. (Quels groupes pilotent INTERNET et qui sont ces dizaines de millions de consommateurs qui y surfent ?)1

De même, son statut est diversement apprécié selon les systèmes socio-politiques.

C’est ce dont traite CHEVALDONNE dans son ouvrage2 avec moult détails. Non seulement il y a dit-il déséquilibre international dans l’information, par ailleurs largement admis mais aussi des inégalités à l’intérieur même de pays en « voie de développement ». Inégalités dans la réception dans la distribution, vite expédiées par « les mass-médiologues » et utilisées par eux comme un élément (une preuve) supplémentaire de l’écart existant entre leur pays et les pays développés. Celles ci ne peuvent donc leur être imputées. Eléments ou preuves ces disparités se suffisent par elles mêmes.

Une des principales fonctions des « mass-médiologies » écrit il est « d’empêcher que puissent être constituées en objet d’étude les déterminations concrètes de l’accès à la diffusion (quel problème peut-il rester quand même les bergers ont le transistor.) ».

En préface à l’étude de F.CHEVALDONNE, J.C PASSERON appuie cette perception. Il écrit:

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1-On comptait en janvier 1996, neuf millions et demi d’ordinateurs reliés à INTERNET. Soit un total d’environ 55 millions d’utilisateurs surfeurs -on considère qu’il y a en moyenne six utilisateurs pour un ordinateur- (Sources: NETWORK WIZARDS citées par Arnaud DUFOUR « Que sais-je ? » N° 3073. » INTERNET« . Paris : PUF, 1996.)

2-F.CHEVALDONNE: La communication inégale: l’accès aux média dans les campagnes algériennes. Paris CNRS, 1981. Cet ouvrage est issu de sa thèse de 3° cycle « la communication inégale, facteurs de différenciation quantitative dans la

réception des moyens modernes de diffusion. Université Paris VIII, mai 1979.

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« Dans la conversation des classes moyennes algériennes, le lieu commun « même le berger a son transistor » dont l’évidence triviale se renforce des échos idéologiques qu’elle éveille, à l’infini, suffit le plus souvent à se rendre quitte de questions embarrassantes sur les inégalités scolaires, les monopoles d’information ou les hétérogénéités culturelles ».

Dans notre recherche nous nous intéresserons sur le rapport qui lie une population particulière à une presse particulière et traiterons de la communication ainsi que l’écrit Erik NEVEU1 « comme une grille de lecture des pratiques sociales ».

Nous entendons traiter donc de la population algérienne vivant en France et du type de relation qu’elle établit avec la presse écrite algérienne disponible en France.

Quelle est la force de ce lien ? Comment les lecteurs algériens l’expriment ils ? . Comment et pourquoi cette population algérienne « s’inscrit » dans un processus de communication dont la source est essentiellement en Algérie.

« Il y a mille manières de lire, de voir, d’écouter. (…) On peut sans doute mesurer au nombre et à la taille des caractères, ou à la disposition des titres, l’importance accordée à tel ou tel événement, mais a-t-on le droit d’en inférer que le lecteur ait accordé à cette information une importance proportionnelle aux millimètres carrés qu’elle occupait dans le journal? »2.

L’algérien en France achète-t-il (lit-il) la presse algérienne pour la lire c’est-à-dire pour s’informer ? Ou bien juste pour la « regarder », la feuille, la posséder comme on possède un objet, un bien  auquel on tient pour ce qu’il représente ?

Ou bien tout à la fois ? Lire, s’informer et montrer (exhiber) qu’il lit un journal qui n’est pas d’ici, mais d’un ailleurs qui lui est propre ? Qui lui appartient ?.

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1-E.NEVEU. Une société de communication?.Paris : Monchrestien, 1994.p12.

2-P.BOURDIEU,J.C PASSERON. Sociologues des mythologies et mythologies de sociologues in LES TEMPS MODERNES 12/1963,p998 à 1021.

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2.2 LES TRAVAUX SUR L’IMMIGRATION ET LA PRESSE.

L’immigration a fait l’objet de nombreuses études ainsi que nous l’indiquions en introduction.

Notre recherche ne peut se mener sans au préalable porter un regard sur des travaux ayant porté sur le rapport qu’entretient une communauté vivant hors de son pays (de sa région) avec la presse de son pays (de sa région) et/ou plus généralement sur des travaux traitant du rapport qu’entretient le lecteur de la presse écrite avec celle-ci. Du rôle et de la place de la circulation de l’information écrite sur une communauté constituée ailleurs qu’en son pays (ou région) d’origine.

L’essentiel des écrits consultés porte sur les fonctions   de la presse. La presse est traitée d’un point de vue historique. Ainsi dès les premières pages de son ouvrage M. VARIN-D’AINVILLE1 précise l’objet de sa recherche en ces termes :  » Il ne faut donc pas chercher dans notre travail un historique de la presse, mais uniquement une analyse des fonctions psychosociales qu’elle a successivement  remplies (…) « .

De même  C.A TUFFAL écrit2 dans le même sens « on devrait voir se préciser les fonctions de la presse (…) cette étude des fonctions menée avec précaution selon des normes fonctionnalistes est nécessaire « 

D’autres travaux traitent du rapport qu’entretient la presse avec ses lecteurs en termes de régularités dans la lecture.3

Il nous paraît intéressant de noter trois ouvrages qui ont développé de manière tout à fait différente cet objet. Ces travaux traitent de la place que tient la presse au sein de l’immigration. Il s’agit pour le premier de N. ANDERSEN4 qui réserve plusieurs pages au hobo, cet ouvrier migrant non sédentaire et à sa place dans la presse,  » dans la presse réfractaire « :

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1-M.VARIN-D’AINVELLE. La  presse en France : génèse et évolution de ses fonctions psycho-sociales. Paris : PUF,1965,p7

2-TUFFAL (C.A). Etude de la presse quotidienne parisienne : le rapport entre informateurs et informés. Th. Sciences Politiques : Toulouse : 1966,p159.

3-AKKA (A).Etude de la lecture de la presse quotidienne dans une ville moyenne  d’Algérie.Th.Sciences de l’Information : Paris 2 .

4-N.ANDERSEN. Le Hobo : Sociologie des sans-abri. Paris : Nathan, 1993, chapitre XIII, « la vie intellectuelle du hobo »,p197.

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 « Sans eux des feuilles radicales telles que les publications I.W.W et le Hobo-News n’attireraient pas les sans-abri (…). Le ‘Industrial-Solidarity’ est un journal typique de l’organisation I.W.W. Mieux que toutes ses autres publications, il parvient à refléter les opinions et l’esprit du hobo moyen (…). »

Le second livre est de A SAYAD qui traite de la circulation de l’information au sein de la communauté algérienne en France5. Il écrit :

 » Tout groupe dispose à chaque moment, pour pouvoir communiquer avec ses membres absents (ou ses émigrés), d’un ensemble d’instruments qui forment système : messages oraux (et parfois écrits) « .

A.SAYAD développe son argumentaire autour des lettres adressées (ou reçues) par les immigrés mais aussi du message oral.  » La forme la plus simple, la plus directe, la plus spontanée parce que la plus facilement accessible « .

Il n’intègre pas la presse dans ses observations. Celle-ci ne véhiculant que très partiellement des messages directs. (annonces diverses nominatives). Il écrit par contre dans un autre ouvrage2:

 » La communauté algérienne n’a pas de presse propre à diffusion nationale en dehors de  la semaine de l’immigration diffusée par l’Amicale des Algériens en Europe (A.A.E). Mais elle est largement présente par diverses  » agences de presses  » et publications, dont le mensuel  Sans Frontières ,  Nous autres  (plus Jeunes français-musulmans ),  Cosmopolis . Ces publications ont aujourd’hui disparu.

La troisième publication est celle de M. TRIBALAT3 dont un chapitre est  consacré aux « pratiques linguistiques et (à la) consommation médiatique ». Comment dans leur manière de vivre en France les immigrés trouvent des substituts à leurs rapports directs avec le pays d’origine. L’auteur écrit: « Les journaux du pays d’origine occupent une fonction importante pour les immigrés en maintenant le lien avec la société qu’on a quittée ».

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1-A.SAYAD. L’immigration ou les paradoxes de l’altérité. Chapitre 6  » du message oral au message sur cassette. La communication avec l’absent « . Bruxelles : De Boeck Université / EditionsUniversitaires, 1991, p147

2-A.GILLETTE, A.SAYAD. L’immigration algérienne en France. Paris : Entente, 1984,p22.

3-M. TRIBALAT (avec la participation de P. SIMON et B. RIANDEY). De l’immigration à l’assimilation : enquête sur les populations d’origines étrangères en France. Paris : La Découverte / INED, 1996, p188 – 213.

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Pourquoi les algériens en France lisent la presse algérienne ? Quelles raisons les y poussent ? Quels besoins éprouvent-ils à sa lecture ?

Questions centrales autours desquelles se greffent d’autres :

-Quelle place tient la presse écrite algérienne dans le maintien des liens entre les algériens en France et l’Algérie et/ou les algériens demeurés au pays ?

-Comment est exprimé, comment apparaît par l’acte même de lire et à travers la lecture de la presse le sentiment d’appartenance au pays d’origine ?

 Ou comment il n’apparaît pas ? C’est à dire comment un type particulier de lecture, une lecture artificielle tout à fait aléatoire, dévoile une « certaine distance » prise par rapport au pays d’origine.

La problématique élaborée initialement n’a pas été retenue (secteurs et lieux de pénétration…). Elle a été recentrée particulièrement lorsque nous avons pris connaissance des chiffres concernant la diffusion même de cette presse en France; en réalité bien en deça de ce que nous prévoyions.

La population visée par mon étude s’entend comme :

 -Les algériens installés en France qui y vivent et possèdent un titre de séjour. Y compris leurs enfants. Cette précision est nécessaire car la notion -non retenue- de « immigré » est liée à un  déplacement géographique :  » venir se fixer dans un pays étranger au sien » ou

« arriver dans un pays, d’étrangers venus s’y installer et travailler » même si écrit A.SAYAD :  » on ne sait plus s’il s’agit d’un état provisoire mais qu’on se plaît à prolonger indéfiniment ou au contraire, s’il s’agit d’un état plus durable mais qu’on se plaît à vivre avec un intense sentiment du provisoire. »1. Or les enfants d’immigrés n’ont pas forcément « fait ce voyage ». Ces enfants font partie de la population-cible de cette étude2.

  • De même, ceux qui possèdent la double nationalité: française et algérienne.

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1- A.SAYAD.Ibid.p51

2- Lire la note 2 en page 11

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– Une partie de cette population d’algériens vivant en France,  peu  nombreuse et qui réfute le qualificatif   » immigré ». Les algériens entrant dans cette catégorie ne se considèrent pas comme immigrés, notion qui sous-tend l’idée de « s’installer » comme précisé plus haut.  Ce sont des algériens qui, pour des raisons objectives (crise  politique et climat de guerre civile depuis  les premiers mois de l’année 1992) sont venus « pour quelques temps » se replier en France. Ils ne sont pas bi-nationaux (franco-algériens)  Ils n’entrent pas non plus dans la catégorie « touriste ». Tous  ne sont pas comptabilisés dans les chiffres de l’INSEE que nous avons donné plus haut.

La presse algérienne s’entend comme la presse écrite , traitant prioritairement d’informations relatives à l’Algérie et diffusée en Ile-de-France, qu’elle soit éditée en Algérie ou non; d’expression française ou non, quel que soit sont statut : presse du secteur public ou privé (partisane ou non).

Les uns et les autres utilisent la presse écrite comme un référent identitaire. Un référent traduisant leurs liens au pays. Ou, pour les « nouvelles générations » un référent traduisant leur volonté de ne pas rompre avec le pays de leurs parents. Nous entendons par référent identitaire un élément parmi d’autres par lequel l’individu s’identifie.

Notre postulat est que les motifs qui incitent les algériens en France à lire la presse algérienne réfèrent pur certains essentiellement à une réaction. Réaction par rapport à un environnement qui de leur point de vue les perçoit négativement. Cet environnement s’entend comme l’administration locale, l’information, le voisinage, les lieux de vie. C’est une lecture-réaction, lecture-refuge.

Pour d’autres la lecture de la presse s’inscrit plus dans une perspective de maintient sinon d’affirmation de leur appartenance.

L’identification est une nécessité pour tout individu.

Dans la section suivante nous développons ce concept d’identité.

2.3 L’ IDENTITE

L’identité est un concept complexe qui est à manipuler avec précaution car historiquement il fut -il est- utilisé à des fins douteuses (la fascination de l’homogénéité) où les particularités de l’individu sont niées au nom de traits de caractères communs immuables à un ensemble d’individus d’une société donnée.

Or les individus ont des histoires personnelles. Des histoires propres telles qu’ils ne sont jamais (tout à fait) identiques les uns aux autres.

La situation dans laquelle se trouvent des individus est définie aussi bien par des  caractères objectifs que subjectifs. C’est à dire que toute situation objective dans laquelle se trouve un individu doit être intégrée et complétée par sa biographie. Le comportement d’un individu (situation objective) s’ explique par la prise en compte des caractères subjectifs (sa trajectoire propre).

La trajectoire qui est propre à l’individu intervient dans l’explication de telle situation de cet individu à tel moment en tel lieu.1 « Cet état profond » écrit DURKHEIM.

Ou autrement cet « habitus (…) produit de l’histoire, c’est un système de dispositions ouvert qui est sans cesse affronté à des expériences nouvelles et donc sans cesse affecté par elles ». 2

Dès sa naissance l’homme est confronté à la construction de son identité. Dès les premières années l’individu exprime ce besoin d’identification par l’adhésion à des valeurs, à des codes, à des groupes non pas comme de simples agrégats mais comme des unités sociales cohérentes produisant ces normes et valeurs et fonctionnant comme modèles.

Tout au long de son existence l’individu construit, consolide son identité. Il est en quête d’identité. L’identité écrit ERICKSON3 « n’est jamais installée, jamais achevée comme le serait une manière d’armature de la personnalité ou quoi que ce soit de statique et d’inaltérable ».

Nous tenterons dans notre étude de mettre en relief les liens que dévoile la pratique de la lecture de la presse algérienne entre cette pratique même et la formation / consolidation de l’identité.

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1-Dans « formes identitaires et socialisation professionnelle ». Revue Française de Sociologie N° 32 / 1992,p506, C. DUBAR écrit que l’identité  » peut toujours être analysée : à la fois comme le produit intériorisé de ses conditions sociales(de l’individu) antérieures les plus objectives et comme l’expression de ses espérances individuelles les plus objectives ». Il se refuse de distinguer l’identité individuelle de l’identité sociale.

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2- P. BOURDIEU (avec L.J.D. WACQUANT). Réponses. Paris : Seuil, 1992, p108.

3-E.H.Erikson. Adolescence et crise: la quête de l’identité. Paris : Flammarion, 1972.

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3_ METHODOLOGIE

INTRODUCTION

Nécessairement la construction de notre objet de recherche fait appel à une démarche théorique. Il ne nous appartient pas au stade qui est le notre d’intégrer le débat sur le bien-fondé ou non des « modes de pensée binaires pour la compréhension des phénomènes sociaux1.

Ce débat sur l’appréhension de la réalité sociale est ancien et « s’alimente à des oppositions d’ordre philosophique, politique et culturel »2.

Il demeure néanmoins possible de tenter (risquer) quelque démarche. L’activité sociale est le fruit d’actions humaines. Appréhender une réalité sociale c’est tenter des réponses causales mais aussi comprendre le sens donné à cette réalité fruit de ces actions humaines. Quelle intelligibilité donner à la conduite humaine ?

Comprendre ou expliquer ? Ou comprendre et expliquer ?

Ne s’agit-il pas plutôt de se situer au coeur de la tension entre explication et compréhension ?3 .Comprendre le point de vue des agents. Saisir le sens de leur conduite. 4

Nous brosserons dans ce chapitre un bref historique de l’immigration en France dans sa globalité puis nous nous intéresserons à l’immigration algérienne : son évolution et sa réalité actuelle particulièrement en Ile -de- France.

Nous traiterons dans la section suivante des lecteurs de la presse algérienne. Qui objectivement est lecteur en Ile -de- France ?

Nous entamerons enfin l’enquête elle-même. Du choix de l’entretien à celui des interviewés, du recueil et du type d’analyse des informations.

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1-PH.CORCUFF écrit dans les nouvelles sociologies. Paris : Nathan, Université,1995,p8: « Depuis leurs débuts, les sciences sociales se débattent avec toute une série de couples de concepts comme matériel / idéel, objectif / subjectif ou collectif / individuel (…). La répétition et la solidification de ces modes de pensée binaires apparaissent assez ruineuses pour la compréhension et l’explication de phénomènes sociaux complexes. »

2-J.M BERTHELOT. L’intelligence du social. Paris : PUF,1990,p9.

3-F.DOSSE. L’empire du sens. Paris : La découverte, 1995, p171.

4-« Mais comment saisir ce sens? Weber introduit ici une nouvelle distinction, ce qu’il appelle la compréhension actuelle ou immédiate et la compréhension explicative. Nous comprenons de la première manière le sens d’une multiplication que nous effectuons ou d’une page que nous lisons (…) la seconde forme est indirecte parce qu’elle fait intervenir les motifs des actes dans la saisie du sens. Je comprends de cette manière, le sens qu’une personne donne à une opération de calcul quand je la vois plongée dans un problème de comptabilité (…).Comprendre peut-on dire, c’est saisir l’évidence du sens d’une activité ».J.FREUND. Sociologie de Max WEBER. Paris : PUF,1983,p84.

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3.1 DE L’IMMIGRATION EN GENERAL A     L’IMMIGRATION ALGÉRIENNE

3.1.1   L’IMMIGRATION EN FRANCE

Les mouvements migratoires vers la France sont anciens. De 100.000 au début du siècle, le nombre des étrangers en France serait passé en 1851 à 380.0001 accompagnant ainsi le développement industriel, particulièrement durant la seconde moitié du siècle. Cette population étrangère est essentiellement européenne.  Elle  représente  en  1881,

 2,7 % de la population totale en France.

Confrontée à des problèmes de main d’oeuvre l’industrie française sollicite et encourage la venue de populations étrangères notamment après la seconde guerre mondiale. Bien qu’il y ait eu parfois des reflux, d’une manière générale le nombre des immigrés va croître, passant de 1.743.619 en 1946 à 2.621.088 en 1968 puis à 3.596.602 lors du dernier recensement. 2

Essentiellement européenne  au début du siècle l’origine géographique de ces étrangers va se modifier. En 1911, en effet 85 % venaient de pays européens voisins de la France3,  en  1990  ils  ne  sont  plus  que

 41 % des étrangers4 .

Les pays d’origine se diversifient plus. Ils sont africains, asiatiques. En 1990 les étrangers résidents représentent 6,34 % de la population totale (en 1931 ils étaient 6,58 %)5.

Les algériens en France sont au nombre de 614.2076 . Leur présence remonte au début du siècle.

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1-Estimation de P.DEPOID cité par G. TAPINOS: l’immigration étrangère en France, 1946-1973, Cahiers N° 71. INED- Paris : PUF, 1975.

2-Dont 2.840.000 nés hors de France et 750.000 nés en France.

Les « immigrés » s’entendent comme les étrangers nés hors de France (2.840.000) auxquels officiellement s’ajoutent les étrangers ayant acquis la nationalité française (1.290.000).

« Juridiquement un étranger est une personne qui, résidant en permanence en France n’a pas la nationalité française.(…) L’immigré (est) quelqu’un qui, né à l’étranger est entré en France et y vit en général définitivement. (…) Il y a des immigrés qui sont restés étrangers et des immigrés qui sont devenus français » (Gérard LE GALL rapporteur de la commission de la qualité de la vie du Comité Economique et Social d’Ile-de-France, in : C.E.S Janvier 1992 « Réflexion sur l’immigration en France« .

3-G.TAPINOS.Ibid.

4-INSEE : La société française : Données sociales. 1993

5-B.STORA. Ibid.

6-INSEE: Résultats/ démographie-société. Recensement de la population de 1990. Nationalités N° 21.

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Itinéraire de Kateb Yacine

LE JEUNE INDEPENDANT – N° 11- Semaine du 6 au 13 novembre 1990

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Edouard Glissant écrivait dans a préface au « cercle des représailles » de Kateb Yacine :

« Aujourd’hui plus qu’hier, nous ne pouvons envisager notre vie si notre art en dehors de l’effort terrible des hommes qui, de races et de cultures différentes, tentent de s’approcher et de se connaître ».

En tout lieu Kateb Yacine aura voué sa vie au combat pour le rapprochement des êtres : pour la vie (l’âme condamne à mort/La défaite »).

Ce combat s’impose à lui dès sa naissance même: « je vis le jour en chambre verte dans La Casbah face à la caserne, tout au fond de l’impasse… » . Mais le véritable déclic, le véritable point de départ de tout ce que créera Kateb Yacine s’opère en lui un jour de mai 1945 à Sétif. Il a alors quinze ans et demi. Pour avoir participé aux manifestations nationalistes il est emprisonné. « .C’est alors en prison qu’on assume la plénitude de ce qu’on est et qu’on découvre les êtres… J’ai découvert alors les deux choses qui me sont les plus chères : la poésie et la Révolution » (1 )

A seize ans, il publie à Bône (Annaba) son premier recueil de vers grâce à son « père spiritue » cheikh Mohamed Tahar Ben Lounissi.

Le Congrès du PPA/MTLD décide en février 1947 de la création de l’ Organisation Spéciale. D’autres fédérations et associations sous l’égide du mouvement révolutionnaire sont créées. C’est en Mai de la même année que Kateb Yacine part pour Paris. C’est son premier grand voyage. Il y donne une conférence sur « l’Emir Abdelkader et l’indépendance algérienne ». «… il est un fait flagrant, plein de bon sens, qu’aucune personne sincère et avertie ne peut songer à mettre en doute : c’est que l’Algérie, après avoir triomphé de toutes les formes de colonisation depuis la phénicienne, en passant par la romaine, s’est intégrée d’elle-même à la communauté arabe et musulmane. Et elle tient tellement à cette communauté que malgré la chute de l’Empire et du prestige musulman, cent dix-huit ans de militarisme français, ne l’ont pas écarté de l’Islam.

Voilà la plus belle victoire spirituelle d’une civilisation qui n’est ni prête, ni résolue à périr !… Le combat de l’indépendance commencé par Abdelkader continue, a toujours contiriué… ». Kateb Yacine achève son intervention par un souhait : « Quant à moi, j’aurais accompli ma plus belle mission si je gagnais de nouvelles sympathies françaises à la cause  de l’indépendance de mon pays » (2).

Plusieurs publications paraissent cette même année  et suivantes, ainsi : un poème « Ouverte la voix », « Nedma ou le poème et le couteau », « les ascètes redoublent de férocité »…

A dix-neuf ans Kateb Yacine est journaliste à Alger Républicain, affecté à la rubrique culturelle. En novembre 1954, Kateb Yacine habite sous les toits de Paris. « …Mon domicile est devenu le rendez-vous perpétuel des jeunes militants… » (3) En juillet 1956-paraît « Nedjma ». C’est un roman de longue maturation. D’innombrables recherches ont de par le monde à ce jour tenté de cerner cette œuvre totale, mais le peuvent-elles ? Réponse de Kateb Yacine : « Nedjma (comme l’Algérie) est une femme qui se cherche, que l’on cherche. Actuellement, la recherche n’est pas encore finie. Au fond un symbole ce qu’il a de propre c’est qu’il est insaisissable et que, en même temps, chaque fois qu’on l’examine d’un côté où de autre, il est de plus en plus riche en signification… » (4). En 1987, Kateb Yacine dénonce la censure et l’auto-censure, ce « langage de la peur »; lui pour qui l’écrivain « quand il a quelque chose à dire, il faut qu’il le fasse, quitte à crever mais il faut qu’il le fasse ».

Sa dernière parution publique à l’occasion du (dernier ?) festival international du court métrage d’Oran du 1er au 4 juillet 1989 fut très bénéfique aux nombreuses personnes venues questionner l’écrivain.

Un film sur Kateb Yacine du réalisateur Kamel Dahane y était programmé. « Kateb Yacine, l’amour et la révolution ».Quelques mois plus lard, au soir de ce 28 octobre 1989, consternés, le regard fixé sur notre chaîne unique nous eûmes droit – en direct – au dernier pied-de-nez de Kateb Yacine au produit de la censure…

Le poète a toujours raison.

HANIFI Ahmed

Les notes (1-2-3-4) ont « sauté ». Le journal a omis de les mentionner