Littérature algérienne: « Liberté » lui ouvre grand ses pages

Par Mustapha BENFODIL, le 26-09-2021

Dans mon esprit, la littérature, la création, est d’abord mouvement. Ce n’est pas quelque chose de figé. Ce que la vie m’a appris, j’essaie d’en distiller quelques pépites, quelques enseignements, sans  faire de morale ni imposer une lecture univoque. J’avoue que cela me donne de  l’énergie  et  du  courage quand mes forces m’abandonnent, quand  je  perds la  foi dans  le verbe “écrire” et que je n’éprouve plus le désir de continuer  à gribouiller.

Pourquoi j’écris ? C’est le genre de questions qui nous ramènent aux fondamentaux de notre “métier” et qu’on perd de vue, à vrai dire, à mesure qu’on s’enfonce dans les méandres de l’écriture. Si on se plaît à déconstruire l’acte d’écrire, on réalise d’emblée que c’est un acte complexe, un processus mystérieux qui répond le plus souvent à des raisons obscures. Ce n’est pas quelque chose d’aisément intelligible qu’on peut restituer de façon complète et exhaustive. On ne peut pas isoler un seul facteur et dire : c’est ça l’élément déclencheur. C’est ça qui me pousse à écrire. Il y a tout un faisceau d’incitations. Et il y a autant de livres que de raisons de les avoir écrits. Dans mon esprit, la littérature, la création, est d’abord mouvement. Ce n’est pas quelque chose de figé.
Aussi, je dirais que chaque livre, chaque projet, a sa vérité, ses mobiles, ses motivations. Les raisons qui nous ont poussés à écrire ce livre en particulier, sur ce sujet en particulier, sous cette forme particulière, ici et maintenant. Si je dois remonter à mes débuts en littérature, je dirai que l’une des pulsions qui m’animaient, c’était le goût de la fiction, de l’invention, de l’affabulation. J’ai toujours été quelqu’un de fantasque mais de façon discrète. Cela explique pourquoi je me suis davantage investi dans les arts narratifs que dans les genres spéculatifs comme l’essai. Le fait est que j’adorais raconter et “me” raconter des histoires. Je me souviens aussi que dans ma prime jeunesse j’étais quelqu’un de timide, beaucoup plus timide qu’aujourd’hui. Et l’écriture s’est d’emblée imposée à moi comme un confident, un refuge, un exutoire. J’ai perdu mon père à l’âge de 7 ans, et mes grands-parents paternels entre 6 et 8 ans. Je pense que ce contact brutal avec la mort a largement façonné mon tempérament, faisant de moi quelqu’un de solitaire et d’introverti, et donc fatalement porté sur l’introspection, un exercice spirituel dont l’outil, le “médium”, est l’écriture. Cela m’a amené aussi à me poser les grandes questions, et c’est dans l’écriture, par l’écriture, que j’ai essayé de les formuler, sans bien sûr être en mesure de leur apporter une réponse satisfaisante. Et ce n’était pas du tout de l’autothérapie, loin de là. Au mieux, cela représentait une forme de libération. Mais ça, c’est un peu les grandes lignes, les fantasmes de base. Après, quand j’ai fait mon petit bonhomme de chemin dans le monde de la littérature, j’ai appris une chose importante : beaucoup de ce que nous écrivons ne nous appartient pas en toute propriété, et quand l’écriture devient “professionnelle”, quand votre manuscrit confidentiel se transforme en livre, c’est-à-dire un objet économique et social, il y a quantité de paramètres qui orientent votre cheminement. J’aime à répéter sur le ton de la boutade qu’écrire est un verbe “intransitif”, pour répondre notamment sur la notion très vague de “message”. Pour autant, écrire n’est pas quelque chose de purement immanent, vaporeux, hors-sol. Anhistorique. Il se fixe quelque part. Il a un ancrage social. S’inscrit dans une temporalité. Quand bien même il n’est pas conçu comme un acte de communication, Écrire est malgré tout conditionné par un “quoi” et un “comment”. Il est incarné par un livre en particulier. 
Alors, bien sûr, je pourrais vous dire : “J’écris pour le plaisir de l’écriture, de la langue” ; “J’écris par besoin existentiel, par nécessité” ; “L’écriture pour moi constitue une urgence vitale, une urgence sociale”. Je pourrais ajouter : “J’écris pour apprivoiser la mort” ; “J’écris pour conjurer mes démons”, “J’écris à défaut d’agir sur le monde”, “J’écris pour témoigner”, “J’écris pour documenter le réel et le sublimer”, “J’écris pour laisser une trace, pour ne pas mourir bêtement”, “J’écris pour donner un sens à ma souffrance”, “J’écris pour inventer d’autres possibles”, “J’écris pour réenchanter le monde”, “J’écris pour donner une maison à mes rêves d’enfant”, etc., etc., etc. Je suis tenté de vous dire : Cross the Right Answer. Cocher la bonne réponse. Mais, au fond, toutes ces réponses se valent, font sens pour moi, et cependant aucune n’a l’exclusivité, même si, dans la pratique, certaines pulsions l’emportent sur d’autres. Juste un mot pour terminer : depuis que je suis papa, mes filles Leïla et Nina ont bouleversé mon rapport à l’écriture. Aujourd’hui, j’écris en pensant d’abord à mes filles. Ainsi, je suis de plus en plus mu par un désir de  transmission. 
Ce que la vie m’a appris, j’essaie d’en distiller quelques pépites, quelques enseignements, sans faire de morale ni imposer une lecture univoque. J’avoue que cela me donne de l’énergie et du courage quand mes forces m’abandonnent, quand je perds la foi dans le verbe “écrire” et que je n’éprouve plus le désir de continuer à gribouiller.

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