Mercredi 11 mai 2022
Nous avons fini la soirée autour d’un super repas ouzbek concocté par la maitresse de maison, Camille, un « Oum ouchi » (la soupe) et un « Palov » (riz, agneau, carottes, oignons, pois-chiches.
Et mon esprit a été emporté… « Omar Khayyam a vingt-quatre ans, il est depuis peu à Samarcande. Se rend-il à la taverne, ce soir-là, ou est-ce le hasard des flâneries qui le porte ? Frais plaisir d’arpenter une ville inconnue, les yeux ouverts aux mille touches de la journée finissante : rue du Champ-de-Rhubarbe, un garçonnet détale, pieds nus sur les larges pavés, serrant contre son cou une pomme volée à quelque étalage ; bazar des drapiers, à l’intérieur d’une échoppe surélevée, une partie de nard se dispute encore à la lumière d’une lampe à huile, deux dés jetés, un juron, un rire étouffé ; arcade des cordiers, un muletier s’arrête près d’une fontaine, laisse couler l’eau fraîche dans le creux de ses paumes jointes, puis se penche, lèvres tendues, comme pour baiser le front d’un enfant endormi ; désaltéré, il passe ses paumes mouillées sur son visage, marmonne un remerciement, ramasse une pastèque évidée, la remplit d’eau, la porte à sa bête afin qu’elle puisse boire à son tour. » (Amin Maalouf, « Samarcande »)
Ce matin de mercredi, nous retournons au Registan, juste pour le traverser. Nous faisons une halte dans un kiosque. Les gens semblent en vacances, comme nous le sommes. Les enfants jouent avec leurs vélos, les plus jeunes dans leurs voitures téléguidées tournent le volant à l’épuiser. À côté d’eux un adolescent fait avancer l’engin, les doigts sur la manette. De jeunes mariés s’offrent au photographe. Des étudiants festoient leur fin d’année, un couvre-chef carré noir sur la tête, si particulier. Un chapeau anglo-saxon, le Mortarboard. Un peu plus loin une imposante statue de Islom Karimov autour duquel un homme prend son épouse et leur bébé en photo, « pousse-toi par là » elle se pousse, « avance par-là » elle avance. Je comprends quelques bribes des échanges. On parle souvent le russe ici. Il appuie. Nous passons devant le Rudakiy Maydoni, traversons les jardins pour prendre l’avenue Islam Karimov (celui-là même de la statue et défun président autocrate du pays, né et enterré ici à Samarcande) en direction de la mosquée Bibi Khanoun (une des femmes de Tamerlan) une mosquée du 14° siècle dont la construction a été décidée par cette femme Bibi Khanoun. Au centre de la cour intérieur il y a un énorme lutrin dans lequel un grand livre est protégé par un énorme vitrage. Ce lutrin était initialement destiné à protéger l’immense Coran de Osman, mais celui-ci est aujourd’hui à Tachkent (j’en ai parlé lundi). En face de la mosquée nous entrons dans le mausolée de Bibi Khanoun. Il y a plusieurs cercueils recouverts de tentures colorées, orange et or pour l’essentiel, parsemés de cercles rouges et noirs. Il y a trois dames qui filtrent les entrées (25000 UZS) et une autre qui vend des châles et des blouses pour les femmes, car on ne descend pas dans le caveau tête nue. Des femmes, après leurs prières nous ont pris en photos.
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Nous traversons la vieille ville, autrefois habitée par la communauté juive. Il en resterait 250 environ. Nous passons devant la synagogue, aujourd’hui fermée, elle se nomme Goumbaz et date du 19°. Elle se trouve juste devant le Hamam « Hammomi Davudi » non loin de la rue Abu Laiz Samarkandi, tout comme la mosquée Moubarak. Face à cette mosquée, un vieux russe tient une brocante « Art Chop ». Un sacré vendeur. Plus haut en revenant vers le Registan la mosquée Koraboï Oksokol. À la suite de ce quartier nous prenons un taxi (15.000X2) jusqu’au Mausolée Amir Tamur. Un groupe d’étudiantes et leur enseignant nous abordent ; Discussions autour de la langue française avec questions et réponses. « D’où vous êtes », « comment vous vous appelez » « avez-vous des enfants »… bien sympathiques questions. Ils sont en 2° année de français à l’Institut national des langues étrangères de Samarcande, à trois cents mètres d’ici. Nous sommes épuisés de tant de marche. Nous partons à la recherche d’un lieu fort apprécié par les guides touristiques, le « Blues café » sur l’avenue Amir Timour (il est partout, l’Amir)
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J’ai appris récemment la disparition à Paris des suites d’un cancer de Amina Mekahli, une jeune poétesse que j’ai entendue et dont j’ai apprécié les vers (et commentaires) à la télévision et radio algériennes. Je n’en dirai pas plus. Je vous propose un de ses poèmes, « Je suis de vous » lauréat en 2017 du Prix international de Poésie Léopold Sédar Senghor :
« Ne me regardez pas comme la grêle après la neige
Je suis de vous
Une infime vous
Et nulle part où aller sans vous emporter
En moi autour de mes peurs
Par-delà mes souvenirs broyés entre vos dents
Ne me regardez pas comme la pluie sur le désert
Larme du ciel supplié
Ma chair a le goût de vos lois
Mes yeux ressemblent à votre horizon
Et je suis de vous pareille
En mille morceaux comme vous
Éparpillée sur la route du talion
Regardez-moi cueillir les épines de l’amer
De mes mains nouées aux vôtres
Par le sceau des secrets
Mon dos sous vos jougs lacéré
Se lapide lui-même du péché
Et nulle part où aller sans vous emporter
En moi autour de mon cœur
Par-delà mes espoirs
De balbutiements en finitude
Je suis de vous
Rien que de vous
Aimez ce qui est vous
Étrange et étranger
Qui sent l’odeur des vents millénaires et d’autrui
Emportez moi chez vous
Ce sera toujours chez moi
Ouvrez moi
Ouvrez vos yeux à ma nuit fatiguée
A mes jours sans raison
A mes heures sacrifiées
Égrenez les prénoms
Vous reconnaîtrez le mien
Parmi les livres empilés
Le livre de l’arbre vous le dira
Je suis de vous
Une infime vous
Et nulle part où aller sans vous pleurer
De toute mon absence
Mon bâton et ma boussole
Pleureront sur vos tombes
Quand ils trouveront mon nom
Sous les vôtres
Ouvrez moi
Ouvrez vos mains au retour des vagues
Qui vous confieront tous les exils
De vous
Ouvrez le vent et les nuages
Aux étoiles brisées
Contre vos remparts obscurs
Laissez passer la brume de l’instant
Laisser passer la rosée de demain
Ouvrez moi. »
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Pardons pour l’écriture, sachez que je n’ai pas le temps de relire, tant le temps nous presse.
Je voudrais en profiter pour remercier tous ceux qui me lisent, qu’ils laissent ou non des commentaires, qu’ils likent ou non.