Littérature algérienne: « Liberté » lui ouvre grand ses pages

Par Lynda-Nawel TEBBANI, le 25-09-2021 

La littérature ne sert à rien si elle n’est pas lue ou partagée. La littérature n’est pas une étagère de bibliothèque, mausolée sacré que l’on vénère par le regard embué d’émotions de la possession. La littérature est le passage de témoin d’un savoir-être et d’un savoir-faire d’une génération à une autre.

Est-il possible pour moi de poser cette question : À quoi sert la littérature ? quand celle-ci est l’objet, l’enjeu et le cœur de mon travail, tant académique que créatif depuis plus de vingt ans. Est-il, non seulement possible, mais encore, puis-je y répondre sans me perdre dans cet interstice où je me trouve ? Cet entre-deux, tout à la fois subtil et inconfortable par moments. Cet isthme, limon d’une recherche et désert ivoire de mes écritures questrices. 

La littérature est, à l’instar du roman algérien en particulier et comme j’ai eu souvent à le dire, entre fabula et utopie. En cela, entre un imaginaire nécessaire – obligatoire ? – et un inaccessible impossible à atteindre. 

Que l’on soit critique ou modeste scripteur, il n’est possible de tomber dans les abysses d’un questionnement : pourquoi ? Je dirais, aussi, qu’il est impossible de trouver cette réponse. Est-ce à dire qu’un bon lecteur est celui qui garde ses questions insolubles ? Que le bon écrivain est celui qui ne répond à aucune énigme et se meut dans l’obscurité de son écriture ? 

Nullement.
Je dirais, seulement, que la littérature est un miroir sans fond dans lequel l’on cherche tant à se voir qu’à voir. Par-delà un je(u) qui nous prolonge, nous voulons absolument voir en elle une résolution, une réponse, une abjuration d’une réalité qui pourtant ne se trouve pas en elle. La littérature est un piège pour l’errant – orant qui veut y trouver un chemin quand il ne fait qu’avancer dans un labyrinthe toujours plus grand que sa quête et sans fil d’Ariane pour lui faire regagner la rive d’une sortie apaisée. 

On ne sort jamais indemne d’un livre. On se heurte, on se blesse, on se biffe, on se jette aux contours d’une réalité qui moins nous obsède qu’elle nous déplace. Elle déjoue nos attentes, nos préjugés et nos certitudes. La littérature, en soi, ne sert à rien d’autre, que nous rappeler nos béances dans laquelle des figures de styles et aux procédés d’écritures viennent se mouvoir pour nous habiter, et nous hanter, à la fin. 

C’est cette possession, duelle, qui en fait la plus prodigieuse des prédatrices. La littérature nous habite comme une ghoula ou un djinn. Et à nous de devenir obsédé par la future apparition : qu’il s’agisse d’un nouveau texte d’un auteur qui nous a coupé le souffle ou d’une nouvelle page blanche que notre plume viendra noircir de nos idées sans nom. La littérature, en soi, ne sert à rien. Que reste-t-il lors de l’épreuve de la grande errance et du déplacement, depuis l’exil au déménagement, de la catastrophe naturelle au décès, quand vient le temps de ranger dans des cartons ces milliers de pages que l’on a religieusement conservées, gardées, collectionnées… établies sur ces centaines d’étagères afin de mieux les regarder. Les voilà, réduites à des cartons et des valises, à des choix sur ceux que l’on doit laisser de côté, pour un temps. Lesquels ? Lequel possède moins d’importance que les autres ? Quel livre aura la gloire d’être assurément conservé dans un sac léger pour mieux le protéger. Et l’on se rend compte avec désarroi qu’à défaut de ne les prendre tous. On n’en prend aucun. À choisir celui-ci, il nous faut prendre l’autre. À prendre tel auteur, il nous faut assurément l’accompagner d’un tel. Mais l’on ne peut en prendre qu’un seul. Alors le sac, linceul d’une bibliothèque à qui l’on fait ses adieux, restera vide de l’objet compact livre mais empli de souvenirs de lecture.

Et alors, réaliser.

La littérature ne sert à rien si elle n’est pas lue ou partagée. La littérature n’est pas une étagère de bibliothèque, mausolée sacré que l’on vénère par le regard embué d’émotions de la possession. La littérature est une passion qui se partage dans la lecture en coryphée et le don de son herméneutique par l’enseignant dévoué. La littérature est le passage de témoin d’un savoir-être et d’un savoir-faire d’une génération à une autre. La littérature est le souvenir d’un rêve à une réalité qui se cherche de nouveaux lendemains. 


La littérature est dans le geste et dans sa queste. 

La littérature est dans ce miroir que l’on croit dirigé en soi et qui n’est qu’une fine fenêtre entre ce que je vois et ce que je dois.

La littérature n’est pas un discours, ni même un langage. Tout au plus tangue-t-elle entre un rivage escarpé d’un univers idéal et un grand large d’images-chimères qui obsèdent jusqu’aux souvenirs des prochains naufrages.

Dans le barzakh de mon écriture, je ne peux dire ce que je fais de la littérature. Je peux dire ce qu’elle me fait : exister, réfléchir et grimper jusqu’à la canopée des arbres afin de mieux avoir accès à toute cette jungle de pages dont je ne soupçonne pas encore l’écho qu’elles vont me provoquer.
Ecrire, étudier, lire le verbe, c’est rappeler l’humanité qu’il nous reste quand tout autour de nous, nous amène à penser qu’elle a disparu. Prendre une page au hasard d’un geste, être ému. Poser le livre, et humer l’inattendu de la surprise.


Mais, je n’ai pas tout lu.

Je n’ai rien lu.

Car, la littérature est ce qu’il reste à découvrir, à écrire.

Entre une page ivoire d’un carnet raturé et une étagère gondolée. 

La littérature sert à nous rappeler qu’il y a toujours de la place pour les souvenirs à venir. Pour le livre à venir…

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