Le nouveau Muppet Show et le Coronavirus

Je sortais ce matin du Consulat de Marseille lorsque Kada m’a téléphoné : « tu es où ? » Habituellement le samedi à cette heure-là je l’avais rejoint. J’aime bien descendre à Marseille les samedis, aller fouiner dans les rayons de la Fnac ou de la bibliothèque de l’Alcazar, et surtout retrouver Kada mon ami de plusieurs dizaines d’années, et refaire, encore une fois, le monde, le nôtre mais pas que. Il y a tant de choses à dire sur tel et tel… généralement nos amis et généralement pour rire, pas plus. Mais là, j’ai été retenu au Consulat. J’avais le numéro P 38 et au guichet on répondait au client portant le numéro P 23. Client n’est peut-être pas le terme approprié, mais il faut savoir qu’on vous demande 5 € pour légaliser un document, comme dans une boucherie ou un autre magasin. Les samedis il y a plus de monde qu’en semaine. C’est comme le hammam, il y a plus de chance d’y rencontrer des connaissances, d’échanger… Quant à moi, cela me permet de régler deux coups en une descente, solutionner quelque problème administratif (en l’occurrence ce matin une procuration) et rencontrer mon ami Kada pour morigéner nos amis et tous les autres autour d’un verre de thé, leur trouver des travers, comme le faisaient si bien les deux vieux du Muppet Show (ça ne vous dit peut-être rien Kermit la grenouille et ses amis l’ours Fozzie, Piggy, les deux vieux ragoteurs Statler et Waldorf…) Ragoter, oui, voilà ce que nous faisons aussi quand nous nous retrouvons Kada et moi.

.

Moi : « J’arrive, tu es où ? »

Kada : « Chez Krimo derrière l’Alcazar »

Il y avait du monde chez Krimo Gambitta. Son café se trouve derrière l’Alcazar. À la terrasse trois personnes discutaient autour de Kada. Trois gars du Bled dont un, Hamid, que je n’avais pas vu depuis quelques semaines. Sur la table, des verres de thés à la menthe chauds et de tasses de graines d’arachides super salées (une dizaine de pigeons pas du tout intimidés, ils connaissent bien la maison, attendaient qu’on partage avec eux les cacahuètes) Lorsque je suis arrivé à leur auteur, Hamid s’est levé. Je lui ai présenté mon coude en souriant, je voulais lui dire bonjour en faisant un El bow bump, un peu comme on nous le montre souvent à la télé depuis la propagation du Coronavirus. C’est rigolo, (tout comme le check) et ça évite toute éventuelle contamination, à l’heure grave du Covid-19. Que n’ai-je pas fait là ! Hamid riait à gorge déployée et m’embrassa en jetant ses bras autour de mes épaules comme un reptile constricteur.

Moi, en essayant de le repousser, mais c’était peine perdue : « ne prenons pas de risque khoya »

Hamid : « aweddi khallik, koulch mektoub »

Moi : « kifech mektoub, ah non, là ça va pas. Le monde entier essaie de se protéger et toi tu me dis mektoub »

Hamid, qui avait perdu son sourire : « en’âl echittan, kayna aya dgoulek ta destinée est écrite quoi que tu fasses »

Moi : « alors suicide-toi directement si tu es contre la protection contre le danger du virus ! »

Un autre gars est intervenu après avoir insisté en me tendant la main « salam alikoum. Bon, je lui ai tendu la main, idem pour le troisième et également pour Kada.

Le gars : « ma ken walou si Mohamed. Si tu dois avoir peur c’est de Dieu seul, pas du corona. Hada el mard c’est Rabbi qui le veut, on n’y peut rien nous les humains. »

Moi : « tu ne crois pas à la Science, aux hommes de savoir ? »

Le gars : « ces gens sont mieux que Dieu ? »

Moi : « connais-tu ce verset ? “Sont-ils égaux, ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? ” Seuls les doués d’intelligence se rappellent. » (S 39)

Le gars : « Dieu est mieux que tout, il faut compter sur Dieu »

Moi : « et celui-ci tu connais ? ‘‘Iqra bismi rabbika elladi khalaqa…’’ » (S96), ya Sahbi, lis ! apprends au lieu de dire des conneries !

Le gars : « Koulch bel mektoub, Hamid te l’a dit. Ne t’immisce pas dans les affaire de Dieu, la cherk bi Allah.» (cherk = s’associer à Dieu…)

Moi: « quel cherk mon ami? Regarde bien (j’ai pris son verre de thé), si je verse sur la table la moitié du verre, c’est el mektoub? et si je décide de lancer ce même verre sur la tête d’un idiot c’est el mektoub ? Qu’est-ce que tu fais de ma responsabilité intime, de ma conscience ? »

Sur ce, j’ai fait un signe à Kada, je souhaitais lui parler en aparté. Je lui ai dit deux, trois mots et me suis excusé « lorsque tu es avec des types comme ça évite-moi la punition, s’il te plaît, c’est fatigant. »

Aux autres gars, j’ai prétexté un autre rendez-vous pour mieux les fuir. Pas possible quoi. Ça se passe à Marseille, chez Krimo Gambitta, mais cela se passe également ailleurs en l’an de grâce 2020 après Jésus Christ, au temps de la robotique et de l’intelligence artificielle. Je vous jure qu’il y a trente, quarante ans ici en France, cet échange n’aurait même pas pu être imaginé, c’est dire la régression.

Heureusement, j’avais une petite bouteille de gel hydro alcoolique dont j’ai utilisé la moitié (35 ml) pour purifier mes mains de leurs crasses ignorances. Dans la bibliothèque de l’Alcazar, avant de monter à l’étage Littérature, j’ai utilisé un mètre de Sopalin pour me nettoyer le visage.

_

A.H_ Marseille, le 14 mars 2020.

————–

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Résoudre : *
9 + 12 =