Élections en Algérie et commentaires, analyses…

Tebboune accélère son isolement après des législatives suicidaires (analyse)

 Info Radio M |  16/06/21 10:06

Par El Kadi Ihsane 

Il ressemble à une machine à perdre. Jusqu’où les soutiens miliaires du président vont ils continuer de le suivre dans le remplissage des cases institutionnelles par courant d’air électoral ? 

Le président Tebboune a subi deux cuisants revers politiques ce samedi 12 juin. Les Algériens ont largement ignoré son scrutin législatif et le peu qui a voté lui a restitué dans les grandes lignes la représentation parlementaire du bouteflikisme.

La fraude a d’ailleurs porté sur la correction de ces deux déroutes : réduire le taux d’abstention et réduire « la victoire » des partis de l’ère Bouteflika. Dans le premier cas la participation a été hissée de 14,4% à 16 h à plus de 23% à la clôture du scrutin, souvent moins de quatre heures après. Un tour de force moins obscène que celui suggéré dans un premier temps par le président de l’ANIE, Mohamed Chorfi, – une moyenne de participation de 30,20% – mais tout aussi invraisemblable. Il n’y a pas eu 5,6 millions de votants en Algérie et dans le monde samedi dernier. Dans le second cas, la taille du groupe des listes indépendantes a été dopée. Il est devenu second avec 78 sièges, derrière les 105 sièges du FLN, afin d’atténuer l’effet désastreux de la reconduction à l’identique de l’alliance présidentielle qui a dominé le parlement pendant les années Bouteflika.

Additionnés les deux revers, révèlent une grave incapacité à prévenir les évènements. Les présidentielles du 12 décembre 2019 étaient un signal sans ambiguïté du refus de la majorité des algériens de jouer le jeu du suffrage sous les anciennes règles du pouvoir autocratique. Abdelmadjid Tebboune n’en a tiré aucune conséquence et a maintenu son rendez-vous du 1er novembre 2020, pour un référendum constitutionnel pourtant clairement voué à la Bérézina.

Pour finir, les législatives du 12 juin 2021 ont aggravé la précarité de l’édifice institutionnel sur lequel le président Tebboune souhaitait asseoir son autorité flageolante face à l’opinion publique, notamment dans sa partie mobilisée dans le Hirak. Le projet de promouvoir, en contournant les revendications du mouvement populaire, une nouvelle classe politique issue de la « société civile » était clairement voué à l’échec. L’énergie du renouveau était dans le Hirak et nulle part ailleurs. Abdelmadjid Tebboune et son entourage ont refusé de le voir. Le recours au soutien financier pour les jeunes indépendants a été contre-productif. Il a clochardisé le champ électoral. Aggravé le rejet populaire. Il fallait, en tout bon sens, ne pas s’entêter à tenir son calendrier électoral dans un tel contexte.

Piège institutionnel

La volteface le 06 avril dernier dans la gestion de la contestation politique a été une autre grossière erreur d’évaluation. Le Hirak et les législatives étaient bien partis pour cohabiter sans avoir besoin – à travers le haut conseil de sécurité – de criminaliser un peu plus les marches populaires, diffuser la peur en classant terroristes Rachad et le Mak, et engager une vague de répression hors gabarit polluant même le propos électoral. Le gain politique de cette dramatisation est resté indéchiffrable.

Le fait d’avoir cherché à anticiper une défection des électeurs en déclarant que le taux de participation « n’avait pas d’importance » à ses yeux, a donné l’image d’un président autiste, soucieux de cocher des cases sur une feuille de route, sans se poser la question de leur utilité dans la reconstruction d’une légitimité de pouvoir en Algérie. Il en sort un peu plus isolé politiquement qu’au moment de son exil médical en Allemagne à l’automne 2020.

Abdelmadjid Tebboune a donc « tenu » ses « législatives », mais tout comme au lendemain du référendum constitutionnel, il ne peut rien construire sur un courant d’air électoral. Dans ce cas précis, il ne peut pas compter sur un nouvel élan politique porté par l’émergence d’une nouvelle majorité parlementaire à un moment ou l’action du gouvernement Djerrad est au plus bas.

La formation d’un nouveau gouvernement incarnant une correspondance avec une supposée représentation populaire exprimée le 12 juin s’annonce particulièrement suicidaire sur le plan du symbole. Avec le FLN et le RND qui devront sans doute se situer sur le terrain du soutien au président, de même que le MSP de Makri qui a déjà offert ses services, et qu’une partie des listes indépendantes, la connotation « années Bouteflika » va finir de donner totalement raison à « l’intransigeance » démocratique du Hirak populaire.

Si s’appuyer sur les partis de l’alliance présidentielle de Bouteflika est piégeux pour Tebboune, il peut être aussi embarrassant pour ses partis de soutenir un président dont le destin politique s’est un peu plus obscurci avec le naufrage politique du 12 juin.

Boukrouh, de mauvais augure

L’un des premiers indicateurs de l’aggravation de l’isolement politique de Abdelmadjid Tebboune après ce scrutin manqué du 12 juin est bien sur l’attaque ad hominen de Nourredine Boukrouh, le traitant de fou dans un long article sur sa page Facebook. La charge est ainsi portée pour apporter des arguments à la fin de mission de l’ancien premier ministre intronisé chef d’Etat en décembre 2019 sous la protection de l’homme fort de l’armée à ce moment-là, le chef d’Etat-major Ahmed Gaïd Salah.

Nourredine Boukrouh est un oracle des changements de cycles intra-système. Il a joué à l’éclaireur – ou à la voiture ouvreuse – critiquant l’inertie bureaucratique du système avant octobre 88 dans les colonnes de Algérie Actualité, puis étrillé les pratiques du général Betchine, homme fort de Liamine Zeroual, au plus fort de son mandat, préfigurant sa démission en 1998.

Le polémiste Boukrouh avance rarement loin de la cavalerie qui couvre ses arrières. Sa sortie spectaculaire est de mauvais augure pour Abdelmadjid Tebboune. Les choses sont cependant plus complexes que ne le laissent entendre le pamphlet de l’ancien ministre du commerce de Bouteflika. Les sécuritaires de l’armée qui portent à bout de bras le pouvoir de Tebboune ne sont-ils pas au moins co-responsables de son entêtement à faire passer une feuille de route institutionnelle qui enchaine les déroutes politiques ? Boukrouh n’en dit bien sur rien, et laisse supposer que le président est seul responsable de l’enfermement politique aux allures d’asile de fous dans lequel nous nous retrouvons. Un clan influent – lequel ? – au sein du système – donc forcément aussi au sein de l’ANP – ne veut plus poursuivre l’expérience visiblement « machine à perdre » de Abdelmadjid Tebboune ?

Le mauvais buzz international provoqué jeudi et vendredi dernier, avec la détention pendant 30 heures de trois personnages publics à la caserne Antar de la DGSI, a été interprété par certains observateurs comme une pierre jetée dans le jardin du président et de son élection contestée, tant elle paraissait malveillante à 48 h des élections et en présence – rare en Algérie- de la presse étrangère.

Les législatives étaient censées mettre en conformité le parlement avec le pouvoir présidentiel. Rien n’est moins sûr aujourd’hui. Tebboune va vouloir mettre rapidement le cap sur les élections locales dans le même esprit du remplissage des cases institutionnelles à cocher. Il n’est pas certain, cette fois, que la crise politique aggravée par la banqueroute du 12 juin lui laisse la main libre sur le calendrier de son propre destin.

E-K. I

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